- Jeudi 5 juillet 2018
- Audition de M. Jean-Louis Beaudeux, doyen de la Faculté de pharmacie de Paris
- Audition de Mme Christelle Chapteuil, directrice générale des laboratoires Juva Santé et présidente du syndicat Synadiet (syndicat national des compléments alimentaires)
- Audition conjointe de MM. Gilles Bonnefond, président de l'union des syndicats de pharmaciens d'officine (USPO) et David Pérard, président de la commission Communication de la fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF)
Jeudi 5 juillet 2018
- Présidence de Mme Corinne Imbert, présidente -
La réunion est ouverte à 11 heures.
Audition de M. Jean-Louis Beaudeux, doyen de la Faculté de pharmacie de Paris
Mme Corinne Imbert, présidente. - Mes chers collègues, notre mission d'information sur le développement de l'herboristerie et des plantes médicinales accueille ce matin le Professeur Jean-Louis Beaudeux, Doyen de la Faculté de Pharmacie de Paris. Il est accompagné du Professeur Sylvie Michel, professeur de pharmacognosie. Après avoir entendu il y a deux semaines des responsables de diplômes universitaires spécialisés, vous allez nous apporter un éclairage plus global sur la façon dont les sujets qui intéressent notre mission sont pris en compte dans la formation des pharmaciens. Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et d'une retransmission en direct sur notre site Internet. Elle a été ouverte à la presse ainsi qu'au public, que je salue.
M. Jean-Louis Beaudeux, doyen de la Faculté de médecine de Paris. - J'ai choisi de venir avec ma collègue Sylvie Michel, chef de service de l'unité pédagogique de pharmacognosie. Je vais d'abord vous faire une présentation générale des études de pharmacie et de la façon dont elles intègrent la pharmacognosie et la biologie végétale.
Les pharmaciens font partie des professions de santé de niveau médical. Les études en pharmacie durent six années, la première année étant commune à toutes les professions de santé (Paces). Ces études sont très professionnalisantes. Les trois premières années, consacrées aux connaissances générales, permettent d'obtenir le diplôme de formation générale en sciences pharmaceutiques ; les trois années suivantes sont consacrées à l'acquisition d'une formation approfondie en sciences pharmaceutiques. L'ensemble des disciplines connaît une progression pédagogique, y compris celles ayant trait à la biologie végétale, aux plantes et à l'utilisation des principes actifs d'origine naturelle. La dernière année s'effectue à mi-temps en milieu hospitalier, avec un interfaçage entre la prescription et la dispensation des médicaments. La sixième année se termine par une thèse d'exercice. La répartition, à parts égales, entre des enseignements magistraux et des travaux pratiques comprenant des stages en officine dès la deuxième année, permettent aux étudiants d'obtenir des compétences spécifiques dans les domaines abordés par votre mission d'information.
Si le diplôme de pharmacien est unique, ses débouchés sont multiples. Il existe trois filières de spécialisation à partir de la quatrième année d'étude : l'officine et les métiers de la distribution (grossistes-répartiteurs) - que choisissent 50 % des étudiants de Paris-Descartes -, l'industrie du médicament et des produits de santé - 35 % de nos étudiants -, enfin l'hôpital et la biologie médicale pour lesquels optent 15 % de nos étudiants. Nos études sont ainsi très complètes, en offrant une connaissance de la chimie du médicament, de la dispensation et des trois règnes animal, minéral et végétal. En outre, les études de pharmacie sont soumises aux exigences du développement professionnel continu, à l'instar des études médicales : obligatoire, cela permet notamment aux pharmaciens de passer d'une filière à l'autre, via des actions courtes ou des diplômes universitaires.
Mme Sylvie Michel, professeur de pharmacognosie. - Ma discipline s'intéresse aux substances chimiques définies, qu'elles soient isolées ou non. Ma présentation portera sur les formations liées aux plantes médicinales dispensées dès la deuxième année. Elles concernent en particulier la botanique, les sciences végétales, la mycologie, le métabolisme végétal et la reconnaissance des plantes grâce au jardin botanique qui est au sein de la faculté. Les troisième et quatrième années sont réservées à l'étude des substances chimiques isolées des plantes, à leur utilisation thérapeutique, leur mécanisme d'action et à leurs effets secondaires. Ces formations représentent au total 40 heures d'enseignement se répartissant en cours magistraux et en travaux dirigés, lesquels permettent aux étudiants de se familiariser notamment avec les techniques d'extraction des molécules.
Dans la filière officine, sont également proposées des formations en phytothérapie, aromathérapie, en plantes toxiques, en homéopathie, pour une durée totale d'environ 46 heures. Enfin, en sixième année, des cas de comptoirs sont consacrés aux compléments alimentaires.
Des parcours de master sont consacrés à la qualité des médicaments, notamment ceux à base de plantes, ainsi qu'à la qualité des produits cosmétiques, des aliments (dont les compléments alimentaires) et des eaux. Chaque parcours comprend environ 300 heures de formation.
Comme cela vous a déjà été exposé lors d'une précédente audition, un diplôme interuniversitaire (DIU) sur les données actuelles et les limites de la phytothérapie et de l'aromathérapie est proposé par l'Université de Paris-Descartes et celle de Paris Sud-Saclay. Son accès est limité aux professionnels de santé (pharmaciens, préparateurs en pharmacie, médecins, sages-femmes, dentistes ou vétérinaires).
Un projet de licence professionnelle, autour de la phytothérapie, serait destiné à des professionnels du niveau des préparateurs en pharmacie pour leur permettre par la suite de prodiguer des conseils en boutique et les former aux bonnes pratiques de préparation. En outre, une formation de technicien en matière végétale est également envisagée, en réponse aux demandes d'expertise en actifs naturels émanant d'entreprises de production, dans les industries pharmaceutiques et de cosmétique.
La recherche porte sur des plantes traditionnelles, notamment sur des plantes exotiques utilisées par d'autres traditions médicales comme en Chine, en Inde et en Afrique, en collaboration avec des universités situées dans ces zones géographiques. Malheureusement, à défaut de financement, nous conduisons peu de recherche sur les plantes médicinales locales pour lesquelles nous disposons donc de peu de données cliniques. Nous collaborons avec l'Institut de chimie des substances naturelles (ICSN), les agences régionales de santé et les centres anti-poisons pour déterminer la toxicité de certaines plantes, n'ayant pas encore fait l'objet de contrôles uniformes.
M. Joël Labbé, rapporteur. - Vous avez évoqué le projet de licence professionnelle de « conseiller en herboristerie ». Comment concevez-vous l'articulation entre cet éventuel métier d'herboriste et le métier de pharmacien ? Pensez-vous qu'une spécialisation en « pharmacien-herboriste » réponde à une demande croissante des jeunes étudiants et de la profession ? La formation initiale de base devrait-elle évoluer ? Vous avez souligné qu'il existe peu de recherches sur les plantes locales de l'hexagone. Qu'en est-il des plantes des outre-mer qui sont d'une grande richesse ?
Mme Sylvie Michel. - Les pharmaciens ont tout en main pour être de bons herboristes. Le module de phytothérapie leur permet d'approfondir leurs connaissances. Mais celles acquises durant leur cursus initial en physiologie, pharmacologie et toxicologie leur permettent d'appréhender les risques sanitaires potentiels de l'utilisation des plantes. Dans certaines limites, des herboristes disposant de bonnes connaissances des plantes pourraient également délivrer des plantes hors monopole ou alimentaires, à l'issue d'une formation universitaire.
M. Jean-Louis Beaudeux. - J'ai insisté sur le niveau médical des études de pharmacie. Le pharmacien bénéficie en effet du renfort d'autres connaissances et de spécialités comme la physiologie et la toxicologie pour appréhender des processus plus complexes tels que les mélanges de plantes ou les interactions médicamenteuses. Cette formation médicale constitue une valeur ajoutée pour l'exercice de l'herboristerie. Elle peut aussi être mise à profit pour assurer une formation de professionnels non médicaux.
Mme Sylvie Michel. - Le pharmacien a la capacité de renvoyer vers le médecin, lorsque la phytothérapie n'est pas en mesure de prendre en charge certaines pathologies.
M. Jean-Louis Beaudeux. - La recherche s'intéresse en effet trop peu aux plantes ultramarines.
Mme Sylvie Michel. - Nous travaillons toutefois avec la Guyane et les Antilles au développement de la production de plantes médicinales qui peuvent être commercialisées localement.
M. Jean-Luc Fichet. - Merci pour cette présentation. Peu de temps est consacré à la connaissance réelle des plantes médicinales en tant que telles. Cette connaissance est diffuse, ce qui motive notre réflexion sur la rénovation du métier d'herboriste. Que pensez-vous de la réapparition d'un tel métier ? Le problème qui se pose aux herboristes est celui de l'exercice illégal de la médecine ou de la pharmacie, à travers les indications de santé ou de confort qu'ils peuvent être amenés à donner. Or, j'ai découvert l'inscription, sur les emballages d'une margarine vendue en grande surface, des bénéfices de sa consommation pour les problèmes de cholestérol ou les problèmes cardiaques. On interdit pourtant aux herboristes de dire qu'une tisane est bonne pour le foie !
M. Jean-Louis Beaudeux. - Loin de leur transmettre un savoir se prétendant encyclopédique, nous apprenons à nos étudiants une méthodologie pour répondre aux questions auxquelles ils seront confrontés et appréhender des sujets nouveaux. Le métier d'herboriste peut se concevoir à deux niveaux : celui de l'expert, qu'est le pharmacien, et dans certaines limites, celui de l'herboriste non pharmacien. Les indications cardiovasculaires de la margarine que vous évoquez bénéficient d'une caution scientifique, puisqu'elles ont été validées par l'Institut Pasteur de Lille.
Mme Sylvie Michel. - Le diplôme de pharmacien n'est pas destiné à former uniquement des spécialistes des plantes, mais sa formation lui permet de bien les identifier et de mettre au jour leurs propriétés. Dans la filière officine, les étudiants bénéficient d'une formation non négligeable en ce sens. Si le pharmacien doit devenir le spécialiste des plantes, une formation complémentaire serait toutefois bienvenue. Il serait selon moi possible d'avoir une formation parallèle d'herboriste ; mais il est plus compliqué de déterminer quelles allégations de santé il pourrait être autorisé à délivrer. On pourrait cantonner sa pratique à l'usage traditionnel reconnu de certaines plantes.
M. Pierre Louault. - Une formation sur les connaissances des plantes est-elle prodiguée par l'une des facultés de pharmacie ? Les compléments alimentaires peuvent remédier à des problèmes de santé que les médicaments ne sont pas en mesure de soigner efficacement. Il est dommage qu'on ait abandonné ce savoir-faire en matière d'herboristerie qui étaient encore en vigueur il y a quelques décennies, alors que l'amélioration des technologies de conditionnement permettraient encore d'en améliorer les effets.
Mme Sylvie Michel. - Des diplômes universitaires en phytothérapie et aromathérapie se sont mis en place suite à une demande en croissance exponentielle parmi les professionnels de santé. Ces formations incluent une démarche qualité qui commence dès la plante : il faut être capable de l'identifier, d'en évaluer les taux de pesticides ou de métaux lourds ou de vérifier que les bulletins d'analyse ont bien été effectués. Cette formation existe déjà, bien que ne figurant pas dans la formation commune.
M. Jean-Pierre Moga. - Les formations dont vous parlez s'adressent aux pharmaciens. Vous parlez également de former des techniciens spécialisés dans les matières végétales. Une formation au métier d'herboriste destinée à d'autres publics vous paraît-elle possible ?
Mme Sylvie Michel. - Une formation d'herboriste appuyée sur un cursus universitaire permettrait de bien cadrer les choses et de dispenser un programme évalué.
M. Jean-Louis Beaudeux. - Les universités de pharmacie peuvent jouer un rôle important. Le diplôme interuniversitaire de phytothérapie, dont peuvent bénéficier les pharmaciens, porte sur la dispensation, les allégations de santé et les interactions, le mélange des plantes et leurs éventuels bienfaits. Encore faut-il disposer des connaissances nécessaires y compris sur le contrôle de la qualité des matières premières : le pharmacien, fort de ses compétences notamment en chimie, dispose d'une réelle valeur ajoutée.
Mme Angèle Préville. - L'Institut de chimie des substances naturelles conduit-il des recherches ? En quoi consiste votre collaboration ?
Mme Sylvie Michel. - Cet institut, qui dépend du CNRS, travaille sur des plantes plus exotiques et dispose d'un accès à une grande biodiversité de plantes : les chimistes qui y exercent ont la capacité de fournir des activités biologiques sur des extraits ou des produits chimiquement définis.
M. Jean-Louis Beaudeux. - Il conduit exclusivement des activités de recherche.
M. Joël Labbé, rapporteur. - S'agissant des formations, il existe tout de même cinq écoles qui forment au métier d'herboriste. Un encadrement de ces formations existantes ne serait-il pas opportun ?
Mme Sylvie Michel. - Tout à fait ! Le travail doit être collaboratif. Il faut reconnaître les compétences et connaissances, certes incomplètes, sur lesquelles s'appuient ces écoles.
Mme Corinne Imbert, présidente. - Je vous remercie de vos interventions et de l'éclairage que vous nous avez apporté.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de Mme Christelle Chapteuil, directrice générale des laboratoires Juva Santé et présidente du syndicat Synadiet (syndicat national des compléments alimentaires)
Mme Corinne Imbert, présidente. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions en recevant Mme Christelle Chapteuil, directrice générale des laboratoires Juva Santé et présidente du Synadiet, le syndicat national des compléments alimentaires. Elle est accompagnée de M. Michel de Sarrieu, directeur scientifique de Fleurance Nature et administrateur du Synadiet, responsable du groupe de travail sur la réglementation nationale.
Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et d'une retransmission en direct sur notre site Internet. Elle a été ouverte à la presse ainsi qu'au public.
Mme Christelle Chapteuil, directrice générale des laboratoires Juva Santé et présidente du Synadiet, le syndicat national des compléments alimentaires. - Je débuterai mon propos avec une rapide présentation du syndicat national des compléments alimentaires (Synadiet). Cette instance regroupe 243 sociétés représentatives, sur l'ensemble du territoire national, des professions de la filière incluant les producteurs, les transformateurs, les façonneurs, jusqu'aux laboratoires de contrôle. Notre rôle est de représenter la profession, de faire avancer la réglementation, de promouvoir, de faire connaître et de valoriser les produits auprès des professionnels et des autorités.
Un complément alimentaire est un produit présenté sous forme de dose (gélule, ampoule, sachet), constitué de nutriments, d'acide gras ou encore de plantes. Ainsi, 64 % des produits commercialisés en France contiennent au moins une plante. Le complément alimentaire se place entre les aliments, dont la fonction est de nourrir, et le médicament qui a pour fonction de guérir. Relevant de la législation alimentaire, ce produit a pour finalité d'apporter un confort et se trouve donc dans une sphère physiologique et non thérapeutique. Le consommateur décide de l'acheter, en général sans remboursement, dans une démarche volontaire afin d'entretenir sa santé.
Les plantes sont utilisées traditionnellement pour prévenir ou guérir les affections du quotidien. Dès le premier siècle de notre ère, les vertus des plantes ont été consignées dans des ouvrages. Il s'agit de plantes ou d'épices qui sont aujourd'hui dans le domaine alimentaire, comme la sauge, le safran ou le curcuma. La connaissance s'est étoffée de manière empirique. Jusqu'en 1941, un diplôme d'herboriste existait en France, avant qu'il ne soit supprimé par le régime de Vichy.
Les compléments alimentaires représentent 1,8 milliard d'euros d'achats en sortie caisse, toutes taxes comprises. Ceux-ci sont achetés, à hauteur de 51 %, en pharmacie ; le reste étant partagé entre parapharmacie, grandes surfaces, magasins diététiques, magasins bio ou franchisés bio, ainsi qu'à distance via le e-commerce. Ce marché est relativement jeune : apparu en France à la fin des années 80, il concernait avant tout les vitamines et minéraux. Les plantes sont apparues dans les compléments alimentaires à la fin des années 1990, avec une accélération à partir de la décennie 2010. Les officines ont développé le marché ; l'essentiel des ventes s'effectue toujours sous le contrôle des pharmaciens
Ce marché croît annuellement de 4 à 6 % malgré un contexte économique morose ; cette tendance se retrouve dans d'autres pays européens et traduit la volonté des consommateurs de prendre en main l'entretien de leur santé. Les acheteurs sont souvent des femmes, issues de catégories socio-professionnelles élevées, pour lesquelles l'hygiène de vie est essentielle.
En France, la culture des plantes médicinales et aromatiques représente 85 millions d'euros. Notre pays importe également des plantes exotiques, puisque, d'une part, tout ne pousse pas, ou suffisamment, sur le sol français et que, d'autre part, la filière est encore récente et ne répond pas à tous les besoins.
La plante est un élément vivant, actif et doit s'accompagner de mesures de contrôle. Elle peut présenter une charge bactérienne importante ainsi que des contaminants. Il importe ainsi de mettre sur le marché des produits sûrs pour le consommateur.
La réglementation a été élaborée à la fin des années 1990. La directive européenne 2002/46/CE a permis de définir un cadre commun pour la définition et l'étiquetage des compléments alimentaires. Elle a été transposée par un décret de 2006 relatif aux vitamines-minéraux, qui a permis de notifier les produits auprès de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et d'inclure des plantes autorisées dans d'autres Etats membres. Cette direction a dressé une liste de 541 plantes sur la base de laquelle un arrêté spécifique a été publié en 2014. Cet arrêté « plantes » du 24 juin 2014 établit la liste des plantes, autres que les champignons, autorisées dans les compléments alimentaires et les conditions de leur emploi, en précisant notamment les types et parties de plantes, les substances à surveiller, les actifs et les précautions d'emploi qui doivent figurer sur les emballages. Ce travail de recensement, certes long, a permis d'autoriser la vente libre des plantes, avec un degré de sécurité suffisant.
Le règlement n° 432/2012 du 16 mai 2012 sur les allégations est également structurant, mais ne concerne pas encore les plantes. Celles-ci sont encore sur une liste d'attente en cours d'examen.
Enfin, un dernier texte de 2010, relatif à la nutrivigilance, concerne l'ensemble du cycle de vie d'un produit : l'ingrédient, la formulation, la fabrication, la commercialisation et, enfin, la post-commercialisation. En effet, si un effet secondaire est remarqué par un consommateur, il peut le signaler soit à un professionnel de santé qui doit le répertorier auprès de l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), soit au laboratoire qui doit également faire remonter l'information pour l'analyser ; cela sert de base aux avis mentionnés sur les étiquetages.
Sur les plantes elles-mêmes, plusieurs étapes sont du ressort des opérateurs. L'agriculteur va récolter une plante, la sécher et la contrôler. Le façonneur va ensuite recevoir la matière ; pour les plantes, il va procéder à une extraction traditionnelle, très souvent avec de l'eau ou un degré hydro-alcoolique limité. Le laboratoire doit vérifier la qualité des produits qu'il reçoit et veiller au respect des paramètres de sécurité tout au long de leur fabrication.
Une même plante peut être utilisée à la fois en alimentaire, en médicament ou pour la fabrication de compléments alimentaires, selon des teneurs diverses, les différentes parties de plantes ou différents types d'extraction.
Aujourd'hui, si l'arrêté plantes permet de commercialiser au moins 541 plantes en France, les listes ne sont pas harmonisées au niveau européen. Ainsi, la racine d'une plante peut être autorisée en France, tandis que seule la feuille le sera dans un autre État. Ce travail énorme d'harmonisation des listes est nécessaire pour une libre circulation plus aisée des produits au sein de l'Union européenne. En outre, les allégations de santé sont en attente : si treize vitamines sont reconnues dans toute l'Europe, le nombre de plantes est beaucoup plus important et les listes sont très hétérogènes. Or, nous ne disposons pas sur toutes les plantes d'études cliniques d'un niveau scientifique attendu, c'est-à-dire analogue à celui des médicaments. Il n'existe ainsi pas d'étude clinique sur l'effet transit du pruneau. Faute d'un recul scientifique avéré et documenté, une insécurité d'ordre économique perdure.
A-t-on vraiment besoin d'une allégation ? Si les consommateurs connaissent globalement certaines plantes, leurs effets leur sont plutôt méconnus. Les produits doivent ainsi présenter des indications, afin d'éviter toute confusion ou mésusage, tant pour le consommateur que le professionnel de santé. C'est la raison pour laquelle le Synadiet recommande, au niveau européen, de traiter les plantes de manière spécifique et non analogue aux autres substances chimiques. Ce texte européen doit comprendre à la fois des volets allégation et sécurité afin de garantir le libre accès à ces plantes. Créons un texte, à l'instar des arrêtés français et belges, et étoffons la liste des critères de sécurité.
Enfin, le consommateur exprime une demande accrue de produits naturels en réponse à une tendance de fond depuis quinze ans qui privilégie les produits doux et les ingrédients naturels aux produits chimiques. Ainsi, le tonus et la vitalité, le sommeil et le stress, l'articulaire, la digestion ou la circulation, sont des domaines santé où émerge une demande de compléments alimentaires. Il faut que les professionnels de santé bénéficient d'une formation spécialisée, qui n'est pas dispensée dans les facultés de médecine. D'autres professions, comme les herboristes ou les naturopathes, doivent également être considérées. Ces professionnels doivent être bien formés sur les plantes. Ne peut-on pas prévoir la même gradation avec les pharmaciens que celle qui existe entre les diététiciens et les médecins nutritionnistes ?
M. Joël Labbé, rapporteur. - En matière d'harmonisation de réglementation, où en est le projet BelFrIt ? Par ailleurs, la possibilité de disposer d'un conseil avisé par un professionnel formé, même non pharmacien, serait-il selon vous souhaitable, bénéfique au secteur, voire indispensable ? Enfin, alors que 541 plantes sont susceptibles d'entrer dans la composition des compléments alimentaires en vente libre, seules 148 plantes en vrac sont sorties du monopole officinal : cette différence vous semble-t-elle justifiée ?
M. Michel de Sarrieu, directeur scientifique de Fleurance Nature et administrateur du Synadiet. - La liste BelFrIt est issue du travail des trois administrations belge, française et italienne, en raison des difficultés d'obtenir une liste positive de plantes susceptibles d'entrer dans la composition des compléments alimentaires. Des spécialistes de pharmacognosie, les professeurs Robert Anton, Mauro Serafini et Luc Delmulle, ont travaillé à répertorier les plantes, leurs parties, les substances actives et toxiques et à définir des règles d'utilisation et des mises en garde figurant sur l'étiquetage des produits. Cette liste, qui n'a pas force de réglementation, regroupe 1029 plantes. Néanmoins, en Italie un arrêté a été publié sur cette base et les Belges ont mis à jour leur liste initiale à l'aune de ce document. L'arrêté français n'a pas été, pour l'heure, modifié. Mais l'évolution des compléments alimentaires depuis le décret de 2006 a conduit à une autorisation de fait de l'utilisation de la plupart de ces plantes, au nom de la libre circulation des produits en Europe.
Mme Christelle Chapteuil. - Il est essentiel de former les médecins et les pharmaciens. Certains peuvent d'ailleurs se former une fois en exercice. Le niveau de conseil doit être graduel en fonction du type de produits et des professions de chacun. Dans certains points de vente bio, des naturopathes se forment aux plantes, bien qu'ils n'aient pas le droit de prodiguer des conseils dans ce domaine.
M. Joël Labbé, rapporteur. - Quelle formation diplômante pourrait bénéficier aux personnes extérieures au monde médical ?
Mme Christelle Chapteuil. - L'approche doit être cantonnée au confort de vie. On ne sait jamais si les personnes qui sollicitent un conseil sont malades ou polymédicamentées. Dans ce cas, ces personnes doivent consulter des professionnels de santé. Il faut absolument insister pour que des professionnels qui ne seraient pas professionnels de santé n'outrepassent pas leurs prérogatives. Le flou, au final, limite la possibilité de développement économique. C'est important de bien cadrer les choses.
M. Jean-Luc Fichet. - La traçabilité des plantes est essentielle. Comment y parvenir ? La profession d'herboriste pourrait répondre à cette exigence. Aujourd'hui, entre le complément alimentaire, dont la finalité est le confort, et le médicament qui est à visée thérapeutique, la frontière est ténue aux yeux du consommateur. Dans les Ehpad, des médecins prescrivent à la fois des médicaments et des compléments alimentaires, fournis en même temps par la pharmacie, ce qui alimente cette confusion. On gagnerait en clarté à bien distinguer le complément alimentaire du médicament.
Mme Corinne Imbert, présidente. - Dans un Ehpad, si des compléments alimentaires se retrouvent dans le pilulier établi sous la responsabilité du pharmacien, c'est que les médecins les ont prescrits. À l'inverse, si le complément alimentaire est acheté par les familles, parfois sur internet, sans prescription médicale, le pharmacien ne les mettra pas dans le pilulier. Il engagerait sa responsabilité.
M. Jean-Luc Fichet. - Toutefois, le patient perçoit le complément alimentaire comme un médicament ! Le coût annuel par personne des compléments alimentaires, dont l'efficacité n'est pas mesurée, peut être très important. Le fait qu'il incombe au consommateur de signaler les effets secondaires des compléments alimentaires est contraire à ce qui prévaut dans le domaine de la santé et des produits vendus sur prescription médicale.
Mme Corinne Imbert, présidente. - Le patient est-il un consommateur ? La présentation des compléments alimentaires accentue cette confusion. Il y a quelques années encore, certains compléments alimentaires ou médicaments à base de plantes étaient remboursés par l'assurance maladie et leur déremboursement renvoie aux difficultés de notre système de prise en charge des dépenses de santé.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Merci pour la clarté de votre exposé. En matière de nutrivigilance et de sécurisation des importations, dès qu'une alerte est transmise à l'ANSES, comment se déroule le retrait du marché des compléments alimentaires ?
Mme Christelle Chapteuil. - L'opérateur est responsable de la vérification des critères de qualité des plantes importées. Cette démarche est indépendante de la nutrivigilance, analogue à la pharmacovigilance, qui intervient une fois le produit commercialisé. Certains effets secondaires sont répertoriés, mais il y en a peu et d'une gravité limitée. Sur certains ingrédients particuliers, cette démarche peut conduire à l'ajout de précautions d'emploi.
J'ai volontairement utilisé le mot de consommateur, puisque nos produits d'adressent aux personnes en bonne santé, pour leur apporter un confort de vie. Nous ne nous plaçons pas dans la sphère du patient.
44 % des premières utilisations de compléments alimentaires se font sur la base d'une prescription médicale. Historiquement, des médicaments traditionnels à base de plante étaient remboursés ; ce mécanisme évolue, les opérateurs s'orientant pour diverses raisons vers des compléments alimentaires. En outre, le marché de l'automédication (OTC) connait également une mutation en Europe. Il n'est pas toujours facile pour un pharmacien d'identifier un médicament d'un complément alimentaire, même si l'emballage doit le permettre.
M. Michel de Sarrieu. - En matière de traçabilité, pour un produit qui serait responsable d'un effet secondaire chez un consommateur, nous devons être capables de remonter toute la filière de fabrication du produit jusqu'à la plante. Cette exigence réglementaire est analogue à celle applicable aux produits alimentaires.
L'ANSES conduit des études ponctuelles sur des cas de nutrivigilance signalés. De l'ordre de quelques dizaines de cas de nutrivigilance sont signalés pour des millions de boîtes vendues. La difficulté vient notamment de personnes polymédicamentées.
L'industrie pharmaceutique s'est totalement désintéressée des plantes, les plantes n'étant pas brevetable ce qui limite les recherches sur leurs effets sur les maladies. Le secteur du complément alimentaire peut contribuer à raviver toute la filière plante, en étant en mesure d'assurer la sécurité et la traçabilité des produits aux consommateurs.
Mme Christelle Chapteuil. - Il existe aujourd'hui des textes encadrant l'utilisation des plantes dans le domaine alimentaire, sur lesquels nous avons mis du temps à travailler. Continuons à développer le cadre existant, plutôt que de créer de nouvelles mesures.
M. Joël Labbé, rapporteur. - Il était important de vous entendre, tant vos connaissances de professionnels sont importantes à nos travaux.
Mme Corinne Imbert, président. - Je vous remercie de vos interventions.
La réunion est close à 12 h 30.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
- Présidence de Mme Corinne Imbert, présidente -
La réunion est ouverte à 14 heures.
Audition conjointe de MM. Gilles Bonnefond, président de l'union des syndicats de pharmaciens d'officine (USPO) et David Pérard, président de la commission Communication de la fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF)
Mme Corinne Imbert, présidente. - Mes chers collègues, notre mission d'information sur le développement de l'herboristerie poursuit ses travaux en accueillant des représentants des deux syndicats représentatifs de la profession de pharmacien, M. Gilles Bonnefond, président de l'Union des Syndicats de Pharmaciens d'Officine (USPO), accompagné de Mme Bénédicte Bertholom, responsable des affaires réglementaires, et M. David Pérard, président de la commission Communication de la Fédération des Syndicats Pharmaceutiques de France (FSPF), accompagné de M. Pierre Fernandez, directeur général.
Cette audition a été ouverte à la presse ainsi qu'au public.
M. Gilles Bonnefond, président de l'Union des Syndicats de Pharmaciens d'Officine (USPO) - Je voudrais vous remercier de nous auditionner sur ce sujet important.
Le plus gros fournisseur au monde de substances actives, ce sont les plantes. Beaucoup de traitements en sont issus. La plante par définition, c'est une substance active qui a enrichi la pharmacopée.
Un autre point est que la pharmacie d'officine est aujourd'hui organisée, avec son maillage territorial, sa disponibilité et son amplitude horaire, pour permettre d'avoir une réponse adaptée aux besoins des patients qui souhaitent avoir recours à la phytothérapie. Dans ce cadre, tout traitement par les plantes ne peut être que complémentaire par rapport aux traitements habituels. Il ne faut pas séparer les deux sujets, faute de quoi il pourrait y avoir une absence de cohérence dans le parcours de soin du patient.
A titre d'illustration, nous allons faire des bilans de médication chez les personnes âgées où nous demanderons également si elles ont recours à la phytothérapie ou l'aromathérapie car cela peut avoir des conséquences sur l'efficacité de leur traitement, notamment en raison des interactions possibles avec certaines plantes.
Sur la disponibilité des plantes, les pharmaciens sont parfaitement formés et ont, dans leur formation initiale, suffisamment de connaissances pour recommander le recours aux traitements phytothérapiques. Souvent, les patients amènent des plantes à la pharmacie comme ils y amènent des champignons, pour les reconnaître. Les pharmaciens sont, dans ce circuit, une référence puisque peu de personnes sont habilitées à donner ces conseils.
À défaut de conseil, il existe des risques d'empoisonnement, ce que l'on voit par exemple avec des plantes comme la belladone. Les patients viennent solliciter leurs pharmaciens pour savoir si le datura est dangereux. Nous leur répondons que même si la fleur est magnifique, c'est bel et bien une plante dangereuse.
Le recours à la phytothérapie est sujet à des phénomènes de mode. Tous les ans, au printemps, des journaux conseillent une nouvelle plante qui aurait des propriétés efficaces pour l'amaigrissement. Chaque année, la plante conseillée l'année précédente tombe dans l'oubli au profit de cette nouvelle plante « miracle ». On voit bien qu'il y a là une stratégie marketing qui prime sur la recherche d'efficacité et de cohérence.
Pour l'USPO, le réseau pharmaceutique peut répondre, avec l'ensemble des producteurs, au développement d'une filière permettant un recours accru aux plantes. Il n'y a pas besoin d'inventer autre chose, il suffit de développer ce qui existe déjà. Dans les départements où la production se développe le plus, par exemple la Drôme, les pharmaciens travaillent déjà avec les laboratoires pour mettre à disposition des patients des plantes et des huiles essentielles. La construction d'une filière peut se faire avec le réseau pharmaceutique.
Cela relève d'une évolution du métier de pharmacien. La signature d'une nouvelle convention avec l'assurance maladie en juillet 2017, entre le camp du commerce et le camp du patient, a tranché en faveur du second, pour sa sécurité et le bon usage du médicament. Cela se traduit par exemple dans l'évolution du mode de rémunération des pharmaciens qui se fera moins à la marge commerciale et plus à l'acte de dispensation. L'instauration de bilans de médication est d'ailleurs un bon exemple des actions menées pour protéger les personnes âgées du risque iatrogène qui existe d'ailleurs avec les plantes médicinales.
C'est la poursuite de cette stratégie de long terme avec les pouvoirs publics et l'assurance maladie qu'il faut entreprendre pour lutter contre les mauvais usages.
Mme Corinne Imbert, présidente. - Pouvez-vous préciser ce qu'est un risque iatrogène ?
M. Gilles Bonnefond. - Un risque iatrogène naît de l'interaction entre deux médicaments ou entre un médicament et une autre substance par exemple d'origine végétale. Il convient dès lors de vérifier qu'il n'y a pas de contradiction entre les deux traitements. Par exemple, le millepertuis peut réduire l'efficacité de certains traitements médicamenteux, tout comme le pamplemousse.
M. David Pérard, président de la commission Communication de la Fédération des Syndicats Pharmaceutiques de France (FSPF). - Tout d'abord je tiens au nom de la FSPF à vous remercier à la fois pour l'organisation de cette mission sur ce sujet important mais également pour l'invitation à ces auditions.
Nous rejoignons les propos tenus par mon confrère comme d'ailleurs ceux entendus lors de vos auditions précédentes notamment en ce qui concerne le scepticisme de la part du grand public vis-à-vis de la chimie de synthèse et des médicaments qui en découlent. Nous avons connu dans l'actualité récente un certain nombre de polémiques qui ont amplifié ce sentiment de crainte. Par voie de conséquence, la demande en phytothérapie et aromathérapie devient ou redevient omniprésente. De plus en plus de patients entrent dans nos officines en quête de produits de santé dits naturels, à base de plantes. Un sondage TNS SOFRES de 2011, qui n'a pas dû beaucoup évoluer, indique que deux tiers des Français font confiance à la phytothérapie et un tiers lui donne la priorité face à la médecine classique.
En tant que syndicat de pharmaciens, notre position sur l'herboristerie dans son sens large est la suivante : le public estime souvent que ce qui est naturel est une assurance contre tout danger, alors que cette croyance est fausse ou à nuancer très largement. Les plantes médicinales contiennent des substances actives potentiellement dangereuses, surtout lorsqu'elles sont utilisées en l'absence de contrôle sur la qualité.
Nous avons de nombreux exemples de mauvaises utilisations. C'est par exemple le cas du millepertuis dont les interactions nuisent à l'effet des médicaments antirétroviraux et des contraceptifs. Un autre exemple est la confusion de la badiane de Chine avec la badiane du Japon qui, elle, est toxique pour le système nerveux central et a été à l'origine de convulsions chez des patients. Cela a conduit à un certain nombre de retraits de lots.
La position de la FSPF sur ce sujet repose sur 4 axes : compétence, proximité, disponibilité et sécurité. Le pharmacien répond légitimement à l'ensemble de ces prérequis. La compétence tout d'abord au travers de sa formation initiale, des cours de biologie végétale, de botanique, de pharmacognosie, de toxicologie qui intègre des données sur les plantes ou encore de mycologie. À cette formation initiale s'ajoutent des formations et des diplômes universitaires qui existent et sont accessibles aux pharmaciens d'officine. Pour mémoire, il y a actuellement douze diplômes universitaires en phyto-aromathérapie en France alors qu'il n'y en avait qu'un seul il y a dix ans.
La disponibilité ensuite car le pharmacien est le seul professionnel de santé disponible 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 au travers d'un maillage très dense du territoire des 22 000 pharmacies d'officine. Il se situe en général à moins de 15 minutes du domicile du patient.
Mais l'élément le plus important est la sécurité. La loi oblige déjà chaque pharmacie à disposer d'un pharmacien présent en permanence à l'officine pendant ses heures d'ouverture et même de pharmaciens supplémentaires en fonction des tranches de chiffres d'affaires définies par la loi. Un autre outil contribue à la sécurité des patients : le dossier pharmaceutique qui permet de tracer les dispensations médicamenteuses effectuées par toutes les officines, ce qui réduit le risque d'interactions médicamenteuses et de contre-indications grâce à une meilleure connaissance du patient. Les délivrances des produits à base de plantes ne sont pas tracées dans le dossier pharmaceutique mais ce dernier donne accès à ce qui a été délivré au patient et qui pourrait faire l'objet de contre-indications. Ce système propre à la profession, qui est d'ailleurs entièrement autofinancé, est majeur pour la protection de la santé publique.
Sur ce point, il faut rappeler que les plantes inscrites à la pharmacopée française font partie du monopole pharmaceutique, sauf celles qui ont été libéralisées, non pas pour des raisons économiques mais bien, avant tout, pour des raisons sanitaires.
La FSPF pense donc qu'il ne faut pas ajouter de la confusion au scepticisme. Le cadre qui entoure les plantes et produits à base de plantes doit être clair. Ces produits font-ils l'objet d'allégation de santé ? Si la réponse est oui, la FSPF pense que ces produits ne peuvent faire l'économie du cadre sécurisé de l'officine dont je viens de revenir sur les contours et les intérêts.
M. Joël Labbé, rapporteur. - Si j'ai bien entendu la conclusion de vos propos, « hors de l'officine, point de salut ». Tel n'est pas le point de vue de plusieurs personnes auditionnées qui ont plaidé pour la reconnaissance d'un métier d'herboriste. Il y a donc un vrai débat.
La formation initiale de base des pharmaciens d'officine devrait-elle intégrer une formation complémentaire en herboristerie ? Quelle forme pourrait prendre une formation diplômante pour des herboristes de comptoir qui ne seraient pas pharmaciens, d'une part, et pour des paysans-herboristes, d'autre part ?
M. Gilles Bonnefond. - La formation initiale de base du pharmacien permet d'assurer la sécurité, le conseil et d'accompagner un patient qui souhaiterait avoir recours à la phytothérapie.
Par ailleurs, les diplômes universitaires existants permettent à certains d'aller vers une spécialisation et même d'envisager une activité connexe en phytothérapie.
Je considère que la phytothérapie doit être un élément du soin. L'organisation du système de santé nécessite aujourd'hui une plus grande coordination des soins (notamment entre l'hôpital et la médecine de ville à la sortie d'hospitalisation des patients). Je crains que placer un acteur supplémentaire au sein du réseau ne « dilue » un peu plus les responsabilités vis-à-vis du patient, alors même que la formation de base du pharmacien permet aujourd'hui de développer les soins phytothérapeutiques en garantissant la sécurité des patients.
Vous parlez de créer une formation diplômante d'herboriste : ce serait nécessaire s'il y avait une carence, or il n'y en a pas. La pharmacie répond à cette demande. Créer un diplôme qui ne relèverait pas de la pharmacie ne nous paraît pas une piste nécessaire.
J'attire votre attention sur le fait que l'activité économique de l'herboristerie porterait sur des volumes réduits. Les « allégations de santé », soumises à des effets de mode, seraient par ailleurs extrêmement difficiles à contrôler alors qu'elles peuvent faire l'objet de nombreux contournements. Nous prendrions donc des risques inutiles.
M. David Pérard. - J'adhère à ce qui vient d'être dit et je m'interroge sur les contours de cette nouvelle profession que vous envisagez d'instituer.
Car soit nous parlons de la commercialisation des plantes dites « libérées » du monopole officinal et il s'agirait alors d'un retour en arrière pour des plantes considérées comme anodines comme le tilleul ou la verveine en ajoutant un acteur supplémentaire : nous reviendrions en quelque sorte aux herboristes « d'avant » la suppression du diplôme ; soit il s'agit d'aller au-delà et de commercialiser l'ensemble des plantes ayant des vertus thérapeutiques, dont on sait qu'elles peuvent être dangereuses, en raison notamment de risques d'interactions, et dans ce cas, la question du statut des « herboristes » se pose : serait-il un professionnel de santé ? La frontière de ce qu'il va lui être demandé par le grand public risque d'être extrêmement fine entre un conseil de bien-être et un conseil de santé.
Comment ne pas tomber dans l'exercice illégal de la pharmacie ou de la médecine ? Comment faire la différence entre conseiller et soigner ? C'est un risque qu'il me semble difficile d'éviter.
M. Daniel Chasseing. - Il est vrai que le public est actuellement demandeur de soins par les plantes et de phytothérapie. Les herboristes peuvent aujourd'hui commercialiser 148 plantes. Les auditions de la mission ont montré que la production comme la consommation des plantes se développent.
Dans le système de santé actuel, c'est le pharmacien qui contrôle l'ordonnance du médecin, qui peut compter jusqu'à dix médicaments.
Des universitaires que nous avons entendus proposent de mettre en place une formation d'herboriste en trois ans d'études. Ils estimaient que cela pouvait suffire pour maîtriser les connaissances en iatrogénie médicamenteuse et donc éviter les risques d'interactions avec les médicaments d'une ordonnance. Pensez-vous que cela soit crédible ?
M. Gilles Bonnefond. - Je suis très surpris des propos tenus par ces enseignants de la faculté. Comment peut-on, sans maîtriser l'ensemble de la physiologie, de l'anatomie, l'ensemble de la pharmacopée chimique ou des médicaments issus du génie biologie, prétendre contrôler l'équilibre d'une ordonnance ? Cela ne me paraît pas crédible.
Alors que les thérapies évoluent, notamment concernant les nouveaux protocoles des traitements contre le cancer, la formation permanente des pharmaciens dont je vous rappelle qu'ils ont validé six années d'études, est une nécessité. Ne pas avoir une formation solide de base, qui permet de maîtriser l'ensemble des alternatives thérapeutiques, me semble être un danger pour le patient.
M. Bernard Jomier. - Notre mission pose des questions qui vont bien au-delà de son objectif. Les pharmaciens sont appelés à jouer, de par leur présence sur le territoire et leurs compétences, un rôle de santé publique accru que ce soit pour la vaccination ou encore le suivi des malades chroniques. Cela nécessite aussi de réfléchir à un partage de certaines de leurs prérogatives avec d'autres professionnels, pour mettre en adéquation les compétences et le service rendu à la population. Il est important que le cadre juridique reste très sécurisant dès lors qu'il s'agit de santé. Toutefois, en l'occurrence, nous sommes aussi dans le champ du bien-être.
S'agissant du recours aux 148 plantes hors monopole pharmaceutique, il semble que les accidents graves liés à des utilisations non maîtrisées soient extrêmement rares. Pour les autres plantes de la pharmacopée encore incluses dans ce monopole, y aurait-il selon vous une marge d'appréciation ? Certaines pourraient-elles en sortir sans porter atteinte à la sécurité sanitaire ?
M. David Pérard. - Sortir de nouvelles plantes du monopole pharmaceutique demanderait une analyse. Ce travail a déjà été effectué il y a quelques années mais il pourrait être réexaminé dans le détail et ne conduirait sans doute pas à de grands chamboulements. Il faut savoir que les remontées d'information en nutrivigilance sont plus difficiles à collecter que pour le médicament. Il faut rester vigilant. Je peux vous citer par exemple l'exemple d'un fournisseur de tisane dite « Atchoum » dans l'Aveyron, dont je vous laisse deviner l'usage, qui contient de l'hysope. Cette plante est « libérée » mais sous forme d'huile essentielle, elle est interdite à la vente en raison de sa neurotoxicité et de ses propriétés abortives. Il y a donc un risque de confusion pour les usagers, car les risques ne sont pas les mêmes selon le changement de statut de la plante.
M. Gilles Bonnefond. - La profession de pharmacien s'est bien mobilisée pour regarder comment participer activement à l'évolution de l'organisation du système de santé, pour faire face aux défis du vieillissement de la population, de développement des maladies chroniques, etc. En créant une profession d'herboriste diplômé, qui ne soit pas pour autant un soignant, nous mettrions de la confusion : est-il dans le bien-être ? est-il dans la santé ? le cas échéant, quelle est son articulation avec les autres professionnels de santé ? Cette confusion me semble être à éviter.
M. Bernard Jomier. - Il existe forcément une part de confusion entre santé et bien-être, qui découle d'ailleurs de la définition de la santé par l'OMS.
M. Gilles Bonnefond. - Il nous faut veiller à garder une cohérence dans l'ensemble de la chaîne du soin. Nous voyons des patients qui ont lu dans tel ou tel journal des vertus sur des « plantes miracles » pour un nouveau régime d'amincissement. Notre rôle est de les conseiller, en ayant une vision globale de leur situation.
Faut-il revoir la liste des 148 plantes hors monopole ? Pourquoi pas. Mais le mésusage peut aussi porter sur certaines de ces 148 plantes. Si de nouvelles données scientifiques sont à prendre en compte, il faut voir comment bouger certaines lignes. Ce qui concerne les allégations de santé doit rester dans le champ de la santé.
Mme Angèle Préville. - Une demande forte de nos concitoyens est de prendre en compte également la bonne santé, alors que des médicaments de chimie de synthèse peuvent créer des effets indésirables ou de l'accoutumance. Pourquoi ne pas envisager des allégations de bien-être, notamment pour favoriser le sommeil ou donner du tonus ?
M. David Pérard. - Le réseau de 22 000 pharmacies d'officine, présent sur l'ensemble du territoire, est là pour répondre à cette demande sociétale, qui est légitime mais n'est pas nouvelle. Nous disposons d'un arsenal de plantes. En quoi un herboriste apporterait un service supplémentaire ?
M. Gilles Bonnefond. - Nous sommes tous les jours confrontés aux demandes de nos concitoyens d'éviter des médicaments présentant des risques d'accoutumance et d'aller vers des soins plus naturels. Nous leur apportons ce conseil. Nous allons même au-delà en les accompagnant dans le sevrage du traitement chimique en prenant le relai avec de la phytothérapie, selon des doses adaptées. Le recours au pharmacien offre ainsi déjà une réponse à ces attentes, dans un cadre sécurisé.
M. David Pérard. - J'exerce à Lyon au sein d'une maison de santé. Les demandes de ce type sont en effet très fréquentes : des médecins nous adressent des patients avec des troubles de sommeil. Ce travail doit se faire en coordination avec les autres professionnels de santé : pour cela, l'officine offre un cadre approprié.
M. Jean-Luc Fichet. - Je suis très intéressé par la discussion. Nous cherchons comment placer des frontières : l'herboristerie entre dans une démarche de confort, de bien-être, de bonne santé. Il est normal en revanche, dès lors qu'une personne a un problème de santé, de l'adresser vers une personne qualifiée qui apportera de bonnes réponses.
Dans le cursus de formation des pharmaciens, peu de temps (environ 30 heures) est consacré à la connaissance des plantes. J'ai fait l'expérience : un certain nombre de pharmaciens ne sont plus à même de nous conseiller si on leur apporte un panier de champignons. Ils ne connaissent pas toujours bien, par ailleurs, les compléments alimentaires qu'ils vendent. Ces produits s'inscrivent dans la nutrivigilance.
De plus en plus, les gens vont trouver des informations sur internet, où l'on trouve une profusion d'indications thérapeutiques, et pratiquent l'automédication, alors qu'avant ils s'en tenaient à la prescription du médecin.
J'ai vu en vente en grande surface une margarine dite bonne contre le cholestérol et les problèmes cardiaques : il s'agit d'une allégation thérapeutique, dont on nous a dit ce matin qu'elle avait été validée par l'Institut Pasteur. Il est donc étonnant, à côté de cela, qu'un herboriste ne puisse pas dire qu'une tisane est bonne pour le foie.
On pourrait imaginer que l'herboriste soit au pharmacien ce que le psychologue est au psychiatre.
M. David Pérard. - Sur les compléments alimentaires, les pharmaciens interviennent régulièrement pour mettre en avant des difficultés auxquelles nous sommes confrontées. Le flou sur ces produits et les allégations de santé qui s'y rattachent ne doit pas conduire à laisser les plantes en général et l'herboristerie aller dans le même sens, bien au contraire. Il serait d'ailleurs intéressant de créer une commission sur les allégations en santé des compléments alimentaires.
M. Gilles Bonnefond. - Nous ne sommes pas opposés à une réflexion sur la formation initiale des pharmaciens, si l'on estime que celle-ci doit être renforcée et améliorée en matière de connaissance des plantes ou encore d'aromathérapie. Je partage votre inquiétude à l'égard de l'automédication. Quand vous rentrez dans une pharmacie, vous n'êtes pas en automédication : vous allez voir le spécialiste du médicament, dans un parcours de soins pharmaceutiques plutôt que d'aller chez le pharmacien ou aux urgences ; vous pouvez lui demander un conseil. Le dossier pharmaceutique permet au pharmacien de savoir si vous suivez par ailleurs d'autres traitements et sera intégré demain au dossier médical partagé. Il faut rester vigilant : le bien-être, l'alternative par les plantes jouent sur les limites. Il faut laisser les personnes qui souhaitent recourir à la phytothérapie la possibilité de le faire en toute connaissance de cause. Mais si on veut développer le recours à la phytothérapie, il faut le faire dans un cadre sécurisé.
M. Pierre Louault. - Ce serait déjà un progrès qu'un certain nombre de pharmaciens aient une spécialisation en herboristerie, afin de constituer un réseau de professionnels passionnés et particulièrement compétents. Certains naturopathes ont davantage de connaissances en ce qui concerne le soin par les plantes. Nous avons perdu l'habitude d'utiliser les plantes, alors que certaines offrent des réponses que la chimie ne peut parfois pas apporter.
M. Gilles Bonnefond. - Nous ne pouvons pas partager le patient : s'il existe trop d'intervenants, son parcours risque d'être compliqué. Les laboratoires Pierre Fabre, que je vous invite à visiter, se sont développés grâce aux médicaments à base de plantes et ont gardé cette spécialité. S'il existe un déficit dans le recours aux plantes, il faut travailler avec la faculté de pharmacie pour permettre à certains pharmaciens de se spécialiser.
M. Joël Labbé, rapporteur. - Aucun des herboristes que nous avons pu entendre n'a revendiqué une capacité de prescription. Ils se positionnent davantage en complémentarité des professionnels de santé, dans le bien-être et non la pathologie lourde. Vous avez parlé de « plantes miraculeuses » : si la formation diplômante des herboristes est bien encadrée, ils seraient également à même de dire si l'on est dans quelque chose de sérieux ou pas.
La réunion est close à 15 heures.