Mercredi 6 juin 2018
- Présidence de M. Alain Chatillon, président -
La réunion est ouverte à 13 h15.
Adoption du rapport final de la mission, portant sur le volet « stratégie industrielle »
M. Alain Chatillon, président. - Nous voici au terme de nos travaux, débutés en décembre dernier, lors desquels nous avons mené 49 auditions au Sénat et effectué huit déplacements, rencontrant environ 150 personnes. Comme nous en étions convenus, nous avons procédé en deux étapes, étudiant d'abord la situation d'Alstom avant de nous pencher sur celle, plus générale, de la réindustrialisation du pays.
En avril dernier, nous avons conclu sur le premier volet de notre mission, c'est-à-dire sur l'évolution profonde du groupe Alstom en quelques années, et sa prise de contrôle par le groupe allemand Siemens, dans des conditions particulières. Avec Martial Bourquin, nous avons regretté l'absence de contreparties suffisantes à cette opération, ainsi que nous avons pu le constater en prenant connaissance des échanges entre l'administration et le groupe Siemens. Nous avons pu mesurer, sur ce cas d'école, combien notre industrie, y compris nos grands groupes, était fragile dans un environnement mondial très concurrentiel. Voyez la politique incroyable des États-Unis sur la métallurgie et ses conséquences ; serons-nous assez compétitifs ? Nous espérons que les Européens réussiront enfin à s'entendre sur l'essentiel. Nos politiques publiques n'ont pas su suffisamment prendre en considération cet environnement. Sur Alstom, donc, nous avons formulé plusieurs recommandations afin d'atténuer le choc que pourrait constituer cette opération de rapprochement pour le tissu industriel français.
Aujourd'hui, nous allons clore le second volet de nos travaux, qui portait sur la situation plus générale de l'industrie française et de l'action menée par les pouvoirs publics - État comme collectivités - en sa faveur. Le rapporteur et moi-même avons souhaité nous inscrire en filiation avec les travaux menés et les préconisations formulées dans le cadre de la mission d'information lancée par le Sénat en 2010 sur la réindustrialisation des territoires. Le constat fait à l'époque reste malheureusement d'actualité : malgré une amélioration conjoncturelle certaine, et quelques signaux structurels plus favorables, l'industrie française est dans une position critique, notamment au regard de deux révolutions fondamentales qui en bouleversent les fondements : la digitalisation et une concurrence exacerbée à l'échelle internationale. L'industrie ne s'est pas approprié certaines mesures que d'autres concurrents ont pu avoir. Nous regrettons aussi une fiscalité et des aides gouvernementales inadaptées.
Ces deux révolutions sont des défis pour notre industrie, qui doit impérativement trouver les moyens d'en tirer profit. À défaut, elle risque fortement de rater un tournant décisif dont les conséquences seraient redoutables pour notre économie. L'industrie française, qui comptait 5,4 millions d'emplois en 1985, n'en a plus que 2,4 millions d'euros actuellement, soit une réduction de 60 % des emplois industriels en 30 ans !
Pour que l'industrie puisse mieux relever ces défis, avec l'appui indispensable de la puissance publique, nous avons entendu des acteurs de l'industrie et de la finance, des représentants des salariés et des pouvoirs publics, ainsi que des juristes et des économistes.
Martial Bourquin vous présentera nos 45 propositions, que je partage entièrement : comme souvent, le Sénat sait dépasser les clivages politiques lorsqu'il en va d'enjeux essentiels pour la Nation. Je ne doute pas que ces propositions seront partagées par le plus grand nombre, voire par chacun d'entre vous.
M. Martial Bourquin, rapporteur. - Je remercie tous nos collègues qui ont participé à nos auditions et à nos déplacements. Cette mission, aux objectifs forts, a été très remplie. Certains collègues auraient voulu aller plus loin, mais nous étions limités financièrement et par le temps.
Nous avons demandé à Alstom de rééquilibrer les engagements pris avec Alstom, car lorsque nous avons pris connaissance des termes de l'accord entre Alstom et Siemens, nous étions atterrés : c'est une véritable prise de contrôle d'un groupe de plus de 7 milliards d'euros de chiffre d'affaires pour rien. Il est très rare qu'une fusion se passe ainsi. Les journaux de toutes les opinions se sont interrogés sur la monnaie d'échange, car c'est quasiment un don !
Conformément aux propositions faites en avril dernier, nous solliciterons auprès du président du Sénat et de la présidente de la commission des affaires économiques la création d'un groupe de suivi parlementaire sur le rapprochement Alstom-Siemens. Il est important que ce groupe de suivi soit attentif à l'avenir de cette fusion car nous avons les plus grandes incertitudes sur l'avenir des sites et des entreprises sous-traitantes concernés. Certains, forts d'une importante recherche-développement, sont solides, d'autres sont plus fragiles. Je pense notamment aux sites d'Alstom et aux entreprises de certains territoires, comme le Doubs, le Bas-Rhin, le territoire de Belfort...
Mme Viviane Artigalas. - Et Tarbes !
M. Martial Bourquin, rapporteur. - Vous avez raison. Faisons attention : une des fonctions importantes du Parlement est de contrôler le Gouvernement. Nous devrions en débattre avec l'Assemblée nationale et nous entourer d'experts et de syndicalistes. Le groupe de suivi doit se réunir régulièrement. La fusion ne doit pas se traduire par le départ de savoir-faire, d'ingénierie et de sous-traitants
Lors de notre visite à La Rochelle avec Daniel Laurent, les ouvriers nous ont dit qu'en l'absence d'une commande immédiate de TGV, le site s'arrêterait, car il y a un trou de deux ans dans les carnets de commande. Je crains pour l'avenir de plusieurs sites français.
M. Alain Chatillon, président. - Grâce à la commande publique, la France assurera la majorité du chiffre d'affaires de la nouvelle société Siemens-Alstom pendant cinq ans. N'aurait-il pas été normal de demander aux Allemands le même montant du chiffre d'affaires pour les cinq années suivantes ?
M. Martial Bourquin, rapporteur. - Dès le départ, nous avons souhaité, conformément à la demande du groupe socialiste et républicain qui avait sollicité la création de cette mission, prendre en considération la situation de l'ensemble de l'industrie française et de ses entreprises - grandes entreprises, entreprises de taille intermédiaire (ETI) ou petites et moyennes entreprises (PME) - et la stratégie des pouvoirs publics pour l'accompagner.
Notre industrie a connu une mutation très profonde : nos fleurons ont été démantelés et vendus à la découpe, plusieurs d'entre eux sont désormais contrôlés par des capitaux étrangers. Cette évolution n'est sans doute pas étrangère au manque de compétitivité de notre industrie, même si certains secteurs sont en avance. Mais elle est surtout due à des choix de politiques publiques discutables opérés en France et à une exacerbation de la concurrence internationale. Nous avons perdu certains pans entiers de notre économie : nous n'aurons plus de maitrise nationale sur le ferroviaire, et nous n'en avons plus sur l'énergie... Ces choix nous dépassent largement.
M. Alain Chatillon, président. - Sur tous ces sujets structurants assurant l'avenir de nos entreprises, le Parlement doit demander à l'État de bien réfléchir avant de prendre une décision.
M. Martial Bourquin, rapporteur. - Au terme de nos travaux, réaffirmons que la France doit croire à son industrie. Je doute que l'industrie soit encore une priorité : pour la première fois, il n'y a pas de ministre de l'industrie, du commerce et de l'artisanat !
M. Alain Chatillon, président. - Et l'industrie ne figurait pas parmi les propositions faites par Jean Pisani-Ferry lorsqu'il était commissaire général de France Stratégie !
M. Martial Bourquin, rapporteur. - La France doit croire à son industrie et à son avenir sur le territoire français. Louis Schweitzer, qui nous a livré une audition très intéressante, avec une grande hauteur de vue, nous indiquait qu'il était important qu'il y ait une industrie en France et que ses centres de décision et de production se trouvent en France.
La désindustrialisation de notre pays est forte mais n'a rien d'irrémédiable. La rupture technologique liée à l'irruption de la digitalisation et de la numérisation dans les processus de production et dans les produits eux-mêmes, associée à la mondialisation des marchés, créent une occasion sans précédent pour l'industrie française de revenir à un rang qui lui convient. Voyez le bobinage en Tunisie ou en Chine. Désormais, avec les nouveaux procédés industriels, il sera moins cher de le faire en France, en raison du coût du fret.
Ce renouveau industriel doit avoir lieu sur le territoire français. L'avenir de l'industrie en France n'est pas seulement celui de l'implantation de ses centres de décision sur notre territoire, comme nous le rappelaient nos interlocuteurs ; nous devons maintenir en France des unités de production transformées par les nouvelles technologies - robotisation, fabrication additive, numérisation - pour relocaliser certaines productions.
Pour y parvenir, plusieurs obstacles doivent néanmoins être levés. Le premier est d'ordre culturel et psychologique : les Français doivent aimer à nouveau leur industrie. Certains pensent que la bataille est perdue, mais nous pouvons regagner des parts de marché. Les poncifs ont la vie dure ! Lorsque l'on parle de l'industrie, seules viennent les images des siècles passés. C'est dramatique, alors que certaines entreprises sont très modernes. L'industrie a fortement évolué, tant dans les tâches demandées aux salariés que dans leurs conditions de travail : les métiers dans l'industrie sont aujourd'hui plus qualifiés et parfois mieux rémunérés que dans beaucoup de services ! Malgré cela, l'industrie rebute encore, notamment les jeunes.
La finance a parfois fait de la concurrence déloyale, proposant à nos ingénieurs des salaires qui peuvent être trois fois supérieurs à ceux de l'industrie. Mais voyez l'industrie cinématographique... Gagnons cette bataille culturelle en montrant des industries qui font envie.
L'industrie reste également encore marquée par l'histoire du capitalisme qui s'est longtemps confondue avec celle de groupes industriels de nature conglomérale. C'est pourtant oublier que l'industrie en France ne se limite pas aux grandes entreprises et que c'est grâce à un tissu renforcé de PME et d'entreprises de taille intermédiaire que notre pays retrouvera ses pleines capacités de production locale. Traditionnellement, lorsqu'on évoquait l'industrie française, on parlait de nos quarante plus grands groupes... ils ne sont aujourd'hui plus si nombreux !
Enfin, l'industrie ne produit plus seulement des biens, elle y associe désormais toute une gamme de services, traduisant une évolution globale de l'économie vers une économie de l'usage. Or cette transformation est encore largement ignorée des Français, alors même qu'elle accroît considérablement le champ de l'activité industrielle et les fonctions que les salariés de l'industrie peuvent exercer.
Il faut donc changer les mentalités vis-à-vis de l'industrie, pour enclencher une dynamique vertueuse et recréer de l'emploi industriel en France.
Les autres obstacles sont liés à l'orientation et à l'application de nos politiques publiques. Dans un environnement concurrentiel exacerbé au niveau mondial, les États doivent rester des acteurs de premier plan pour favoriser la réussite de leurs entreprises, en formalisant notamment un cadre juridique favorable à leur activité mais également en exerçant des actions d'accompagnement et de soutien. C'est le rôle, majeur, de l'État actionnaire et de l'État stratège.
À cet égard, il ne faudrait pas que la création annoncée d'un « fonds pour l'innovation de rupture » restreigne ses capacités d'investissement dans l'industrie. L'enjeu est crucial, dès maintenant et lors de l'examen de la prochaine loi de finances. On nous prétend que nous n'aurions pas besoin de participations de l'État dans les entreprises. Mais lors de notre visite à Munich, nous avons pu voir que les Länder travaillent étroitement avec les entreprises, de la formation à l'investissement. On devrait toujours accompagner les entreprises dans leur développement.
Comme nous l'avons souligné dans le premier volet de nos travaux, l'État français a choisi, dans les années 1990, d'abandonner les politiques industrielles verticales pour ne conserver que des politiques horizontales, sous la pression de l'Union européenne. C'est une erreur. L'État, par ses participations et ses fonds pour l'innovation, doit intervenir pour défendre les emplois.
Évidemment, il ne s'agit pas revenir à l'interventionnisme économique des Trente Glorieuses : laissons les entreprises industrielles maîtresses de leurs stratégies de développement. Mais l'action de l'État - et plus largement des pouvoirs publics, notamment les régions - doit comporter une dimension microéconomique plus affirmée, afin d'accompagner le tissu industriel national, sans renoncer à mettre en place de mécanismes d'incitation ciblés dans certains domaines jugés stratégiques pour la Nation, au premier rang desquels l'innovation technologique. Cette stratégie renouvelée ne peut intervenir que dans un cadre collaboratif plus affirmé avec les différentes parties prenantes de l'industrie et porter sur des leviers de natures différentes mais complémentaires. État, collectivités territoriales et chambres consulaires doivent coproduire la politique industrielle pour conserver les emplois.
C'est au regard de cet objectif que je vous soumets 45 propositions qui s'ordonnent autour de quatre priorités.
La première, c'est de renouveler la vision stratégique des pouvoirs publics en faveur de l'industrie. Elle se décline en cinq axes d'action. D'abord, il faut s'appuyer sur des axes de développement favorables à notre industrie. Avoir une stratégie, c'est définir un objectif et utiliser à cette fin les moyens les plus adaptés. Aussi est-il indispensable d'identifier les domaines dans lesquels l'industrie doit se développer. Pour les années futures, il faut retenir à la fois des domaines transversaux - comme les données et l'intelligence artificielle, la transition énergétique et les nouvelles mobilités. Nous aurions dû davantage réfléchir à ces questions pour Alstom, notamment dans le cadre de la vente d'Alstom à General Electric - ce sont des domaines protégés par le décret Montebourg... Il faut aussi nous appuyer sur les secteurs déjà porteurs de notre économie, en particulier l'aéronautique, l'agroalimentaire, les transports, la défense et la santé, qui sont stratégiques.
Dans ce cadre, l'utilisation de deux outils généraux est primordiale. D'une part, la normalisation volontaire française constitue un levier de promotion des activités industrielles françaises sur les marchés européens et internationaux ; d'autre part, les solutions de l'industrie du futur sont sources d'évolution des processus de production comme des produits eux-mêmes. Sans mise à niveau technologique, il n'y aura pas de salut pour nos industries ! Lors de notre déplacement à Saclay, nous avons appris que 60 % des entreprises n'ont pas de réflexion sur l'industrie du futur. Or si ce travail n'est pas réalisé en profondeur, elles risquent de disparaître.
Pour ce faire, il faut donc renforcer les moyens de l'Alliance Industrie du futur pour accompagner davantage nos PMI et ETI dans leur mutation technologique.
M. Alain Chatillon, président. - Et ce sont eux qui créent les emplois !
M. Martial Bourquin, rapporteur. - Nos grands groupes ont déjà pris le virage, notamment dans le secteur automobile. Ce matin, Engie a déclaré supprimer des centres d'appel. Les emplois s'en vont.
Seules les ETI, les PMI et les PME créent des emplois, mais leur mutation technologique pose problème. Il faudrait que chaque pôle de compétitivité ait une sorte de « démonstrateur » d'usine du futur, comme celui du Boston Consulting Group que nous avons visité à Saclay, et qui ne coûte que 5 millions d'euros. Dans chaque région, ces « usines écoles » formeraient les PME, PMI et ETI aux innovations.
Ensuite, il faut garder la présence de l'État présent au quotidien dans l'industrie, ce qui passe par une redéfinition de sa politique actionnariale. Cela implique une association étroite du Parlement à la définition et la mise en oeuvre de la stratégie de l'État actionnaire. Je vous rappelle que, dans un premier temps, le ministre n'avait pas voulu donner suite à notre demande de voir l'accord entre Alstom et Siemens.
M. Alain Chatillon, président. - D'ailleurs, j'ai été stupéfait que les engagements pris dans le cadre du rapprochement de deux entreprises de 7 milliards d'euros chacune tiennent dans un document de seulement trois pages !
M. Martial Bourquin, rapporteur. - Il faut redéfinir le niveau des participations de l'État dans certaines entreprises, mieux investir directement dans des activités stratégiques pour l'industrie et ne pas nécessairement reverser les sommes qui découlent des ventes au fonds pour l'innovation de rupture.
En cas de désengagement partiel, l'État doit mettre en place des mécanismes préservant ses prérogatives d'actionnaire. En cas de désengagement complet, il doit rechercher des investisseurs de long terme de nature à favoriser le maintien des centres de décisions et de production en France.
Il convient de mieux formaliser les interventions respectives de l'Agence des participations de l'État et de Bpifrance, notamment de favoriser l'action de cette dernière dans sa stratégie d'accompagnement et d'envol des entreprises engagées dans une sortie progressive de l'État.
M. Alain Chatillon, président. - Bpifrance a aujourd'hui des difficultés pour sécuriser les investissements, car les banques veulent réduire les aides pour faire monter les taux. Comment allons-nous financer nos entreprises ?
M. Martial Bourquin, rapporteur. - Si notre pays doit être ouvert aux investissements étrangers, il doit aussi protéger son industrie des comportements prédateurs.
Il faut d'abord élargir la liste des activités soumises au contrôle des investissements directs étrangers aux domaines en lien avec la révolution technologique, notamment le stockage et la sécurité des données, l'intelligence artificielle et les semi-conducteurs, ainsi que le domaine spatial, et assurer une révision périodique de cette liste. Le Gouvernement devrait y procéder prochainement. Il serait bon que le Parlement soit associé.
Il faut établir une cartographie précise des entreprises qui présentent en France un caractère stratégique, y compris les PME et les ETI, en s'appuyant notamment sur la connaissance du tissu industriel local par les services déconcentrés de l'État. Ce travail doit être effectué en collaboration avec les régions.
Pour les entreprises les plus stratégiques, et sur le modèle américain, le Gouvernement ne doit pas hésiter à imposer des mesures de gouvernance, notamment l'exclusion de l'investisseur étranger de son droit de vote sur certaines décisions ou la mise en place d'un « superviseur » indépendant au sein de l'entreprise.
La présence d'administrateurs salariés est également un moyen puissant pour éviter de céder aux sirènes d'investisseurs étrangers moins intéressés par un investissement productif en France que par un juteux retour sur investissement financier à court terme. Nous plaidons pour qu'il y ait des administrateurs salariés. Tous les pays scandinaves l'ont fait, et l'Allemagne est très active.
La commande publique est un outil pertinent pour conforter l'industrie française. Cela a été clairement mis en relief par nos travaux sur Alstom. D'une manière générale, on peut davantage tirer profit des règles des marchés publics, dans le respect du droit de l'Union européenne, afin qu'ils bénéficient pleinement aux industries implantées en France.
Dans une compétition mondiale, et non plus seulement intra-européenne, il est indispensable de développer une vraie stratégie industrielle à l'échelon européen. Nous proposons que cette mission, d'une part, soutienne pleinement les initiatives de l'Union européenne visant à faire respecter par les pays tiers le principe de réciprocité dans l'ouverture de leurs marchés, y compris les marchés publics, ainsi qu'à sanctionner les comportements de dumping et, d'autre part, invite la Commission européenne à une plus grande prise en considération, dans l'application de la réglementation relative aux aides d'État et au contrôle des concentrations, d'un contexte où les entreprises doivent avoir une taille critique pour rivaliser avec les géants industriels implantés hors de l'Union européenne. L'application du droit antitrust peut aujourd'hui nous empêcher d'avoir des champions européens.
Il faut soutenir une initiative européenne pour favoriser l'utilisation, au niveau du commerce international, de la monnaie européenne et envisager l'adoption de textes européens dont la portée serait explicitement extraterritoriale.
Le financement est une autre priorité. Il faut un environnement fiscal porteur. De nouvelles diminutions de cotisations patronales peuvent être envisagées, uniquement pour les secteurs exposés à la concurrence internationale. Il faut également des modifications d'assiette des impôts de production, sous réserve de ne pas provoquer de pertes de recettes pour les collectivités territoriales.
Il faut assouplir le pacte Dutreil. L'Allemagne et l'Italie ont des règles relatives aux droits de succession favorables à la transmission d'entreprises. Il faut s'en inspirer.
M. Alain Chatillon, président. - En Allemagne, des fondations permettent de transmettre gratuitement des entreprises, ce qui explique leur pérennité.
M. Martial Bourquin, rapporteur. - Nous proposons de conditionner le crédit d'impôt recherche, qui est important, à un maintien d'activité sur le territoire national pendant cinq ans. Nous souhaitons aussi restaurer le dispositif de suramortissement, qui serait désormais ciblé sur les PME industrielles.
L'épargne des Français doit être mobilisée en faveur de l'industrie. Nous avions proposé en 2011 le « livret d'épargne industrie ».
Un PEA peut aussi être un excellent outil. Il faut l'orienter davantage vers l'industrie, en appliquant un abattement sur les droits de mutation à titre gratuit en cas de décès et en ouvrant la possibilité d'y investir après soixante-dix ans.
M. Alain Chatillon, président. - De même, avec seulement 1 % sur les 3 000 milliards d'euros investis en France sur l'assurance-vie, on peut avoir 30 milliards d'euros pour des PME-PMI.
M. Martial Bourquin, rapporteur. - En matière de financement des entreprises, le développement de la participation des salariés a aussi une grande vertu. Nous proposons ainsi d'assouplir le plafond de 10 % du capital social applicable en cas d'attribution gratuite d'actions. C'est un outil de meilleure répartition des profits des entreprises. Je vous renvoie sur ce point à la récente étude d'Oxfam France.
Il faut également mener à bien la suppression du forfait social pour la participation et l'intéressement dans les entreprises de moins de cinquante salariés et exonérer d'impôt sur le revenu au-delà de huit ans de détention les gains de cession des actions gratuites détenues par les salariés.
Nous plaidons pour un effort budgétaire soutenu pour permettre à Bpifrance d'assurer un niveau élevé de financement courant de l'innovation. Et, en cas de création d'un « fonds pour l'innovation de rupture », il faut assurer la cohérence de sa gouvernance.
Dans le cadre du financement par des fonds d'investissement, les actions de préférence sont des outils très intéressants. Nous proposons de permettre leur rachat à l'initiative de l'émetteur ou du détenteur de ces actions.
Pour revaloriser l'image de l'industrie, qui est un autre sujet crucial, il faut d'abord favoriser une cartographie plus fine des besoins de l'industrie en matière d'évolution des compétences.
Nous proposons ensuite de simplifier et rendre plus flexible le système d'apprentissage, en renforçant l'implication des entreprises industrielles et des pôles de compétitivité, qui sont en danger si les choses ne changent pas d'ici cinq ans.
Des outils pédagogiques efficaces doivent aussi être développés et renforcés. Je pense aux campus des métiers et des qualifications, aux « classes d'excellence » et aux écoles d'entreprises. Puisque le Gouvernement a annoncé un plan d'investissement dans les compétences, les métiers de l'industrie doivent en être un axe prioritaire.
Nous souhaitons un renforcement des logiques coopératives et de l'appui territorial. Il faut rassembler autour d'une action collective. Il faut mieux intégrer les PME, ainsi que les pôles de compétitivité, aux travaux du Conseil national de l'industrie et des comités stratégiques de filières.
Les pôles de compétitivité ont un rôle majeur à jouer. Il faut conserver un maillage fin du territoire. Le désengagement financier de l'État est très problématique.
Il faut encourager les « hôtels à projets » comme celui que nous avons visité à Saclay, le Factory Lab, et garder une politique industrielle territorialisée.
Nous suggérons de recentrer l'action des services déconcentrés sur la mise en oeuvre des actions d'intérêt national définies par l'État, de renforcer les synergies et complémentarités entre les réseaux consulaires et les opérateurs Bpifrance et Business France et de favoriser les politiques industrielles des régions par le maintien de relais locaux.
Enfin, à l'export, nous voulons créer une « équipe de France » qui jouera « collectif ». Il faut soutenir donc la réorganisation du service public à l'export en cours.
M. Franck Montaugé. - Quelles suites pouvons-nous donner au point pour le moins surprenant que vous avez soulevé sur Alstom ? Nous savons qui était alors aux responsabilités. Il y a là un vrai sujet politique.
Il serait intéressant d'avoir une étude de droit et de fiscalité comparés à l'échelle européenne et internationale, en incluant la politique sociale, qui peut être un élément de compétitivité face aux difficultés que vous avez pointées.
M. Alain Chatillon, président. - Des éléments figurent dans le rapport. Nous y plaidons pour une baisse des charges salariales et patronales. Les écarts de compétitivité entre la France et l'Allemagne sont de 8 % à 10 %.
J'imagine que le ministre n'a pas dû apprécier certaines de nos remarques sur Alstom. Peut-être pourrions-nous envisager une question orale ? J'ignore s'il y a eu une compensation ; nous avons par exemple appris que le prochain président d'Airbus serait français. Serait-ce la compensation à la perte d'Alstom ?
M. Martial Bourquin, rapporteur. - Le vrai débat est de savoir s'il fallait baisser plutôt l'impôt sur les sociétés - certaines PME en paient peu - ou les impôts sur la production. Il faut que le Gouvernement dialogue avec le Parlement sur le sujet.
M. Alain Chatillon, président. - Nous sommes allés jusqu'à 3,5 fois le SMIC sur les entreprises hypercompétitives, parce qu'il faut vraiment réagir.
M. Franck Montaugé. - Quid de l'affectation du CICE ? L'idée était à l'origine d'aider les entreprises engagées dans la compétition internationale. Or ce sont La Poste et les groupes la grande distribution qui en bénéficient.
M. Martial Bourquin, rapporteur. - Dans le rapport, nous prônons le ciblage des futures aides sur le secteur exposé. Le CICE a été une aubaine pour ceux qui n'avaient pas forcément besoin d'être aidés.
M. Gilbert-Luc Devinaz. - Sur l'agglomération lyonnaise, beaucoup se vantent d'être chefs d'entreprise, alors que ce sont simplement des distributeurs.
Il faut revaloriser l'apprentissage, où il y a des réussites spectaculaires qui mériteraient d'être mises en avant.
M. Alain Chatillon, président. - Tout à fait. Lorsque j'étais vice-président du conseil régional de Midi-Pyrénées en charge de l'économie, le groupe Airbus m'avait contacté car il ne trouvait pas de personnel qualifié pour travailler sur les avions modernes. La région compte trois centres de formation d'apprentis (CFA) spécialisés en aéronautique, installés à Blagnac, Toulouse, et Colomiers. Airbus leur a proposé de mettre à leur disposition des ingénieurs pour donner des cours quelques heures chaque semaine. Les CFA ont refusé. En conséquence, Airbus a créé sa propre école et y recrute la majorité de ses ouvriers, tandis que seuls 15 % des élèves des CFA sont recrutés chez Airbus... Historiquement, il y a un mur entre l'industrie et le monde de la formation. Il faut trouver des solutions. C'est pourquoi nous avons cherché à voir comment les pôles de compétitivité, en lien avec les régions, les entreprises et les filières pouvaient participer au système de formation. Revel, dont j'étais maire, est historiquement la localité du meuble d'art et comptait 600 artisans spécialisés dans les années soixante. La filière s'est trouvée en difficulté. J'ai réussi grâce au lycée des métiers d'art, du bois et de l'ameublement à faire venir des enseignants de qualité. La filière repart car, depuis 20 ans, on forme des jeunes qui vont passer une après-midi par semaine chez des artisans, se forment et finissent par reprendre l'entreprise de l'artisan chez qui ils ont travaillé. En France, plusieurs dizaines de milliers d'emplois industriels ne sont pas pourvus faute de personnes qualifiées, et avec la révolution numérique cela va s'accentuer. C'est pourquoi nous voulons que tous les acteurs, les pôles de compétitivité, les régions, les chambres de commerce et d'industrie (CCI) participent à la politique des filières et à la formation. Alors chef d'une entreprise agroalimentaire, je sais que j'avais beaucoup de mal à trouver des personnes bien formées, hormis celles sortant de l'école de nutrition de Dijon et d'une autre à Toulouse. On cherche des personnes formées aux dernières technologies, non à celles d'il y a 25 ans... Le monde de l'entreprise doit être associé à la formation.
M. Gilbert-Luc Devinaz. - Le rapport veut encourager les logiques coopératives et mieux inscrire les politiques industrielles dans les territoires. Il faut se poser la question des freins à ces logiques coopératives. On évoque souvent l'État, les collectivités territoriales, les salariés et les syndicats, mais il faut aussi évoquer, comme le fait Louis Schweitzer, l'état d'esprit du patronat et sa conception du management. Un cadre d'une entreprise leader en matière de scies à bois me confiait récemment que le fondateur de l'entreprise, âgé de 85 ans, la dirigeait toujours, et l'empêchait de passer un cap en bloquant tout partenariat avec d'autres entreprises, ce qui lui permettrait de garantir son avenir.
M. Martial Bourquin, rapporteur. - Effectivement, Louis Schweitzer a évoqué ce sujet très librement.
M. Alain Chatillon, président. - Vous avez raison, mais l'État ne facilite parfois pas les choses. Prenez l'exemple du groupe Avril, coopérative agricole de six milliards d'euros de chiffre d'affaires, qui travaille notamment sur la valorisation énergétique des productions agricoles françaises. Le groupe avait signé un accord avec Total, mais le pétrolier a préféré importer, pour produire des bio-carburants, de l'huile de palme, dont chacun connaît pourtant la toxicité et dont la culture est désastreuse pour l'environnement. Le Gouvernement a autorisé le groupe Total à importer cette l'huile, sans écouter tous ceux qui appelaient à son interdiction pour mieux soutenir la filière française... Il serait bon que le Gouvernement écoute les élus et les parlementaires car ils connaissent mieux les problématiques de leur territoire !
M. Martial Bourquin, rapporteur. - Nicolas Hulot a expliqué sa décision par la nécessité de sauver les 250 emplois de la raffinerie de La Mède. Il aurait toutefois pu parvenir au même résultat, sans avoir à manger son chapeau, en discutant avec le groupe Avril et les acteurs de la filière du colza, très performante en France. Cette décision est désastreuse pour cette filière.
M. Alain Chatillon, président. - Je rappelle d'ailleurs que le groupe Avril compte 20 000 salariés.
M. Martial Bourquin, rapporteur. - C'est l'illustration d'une décision verticale, sans concertation.
M. Jacques Bigot. - Vous posez à juste titre la question de l'organisation des filières. Il devient en effet urgent d'organiser les filières comme en Allemagne. Le Bas-Rhin, par exemple, abrite un secteur des biotechnologies très dynamique autour de la faculté de médecine, avec un potentiel de développement très fort. Il repose sur de petites entreprises. Leur rôle est central. L'organisation de la filière est donc un enjeu fondamental.
Vous avez raison de souligner le rôle des pôles de compétitivité, et celui des régions. Vous abordez aussi le rôle des chambres consulaires avec beaucoup de diplomatie. Les chambres de commerce et d'industrie ne devraient plus s'appeler ainsi, vu leur action en faveur de celles-ci....
M. Alain Chatillon, président. - Il appartient aux régions de s'affirmer. Dans la région Occitanie, le rapprochement entre les régions Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées n'est toujours pas digéré, vu les distances entre les zones enclavées des Hautes-Pyrénées et le Gard, situé à 60 kilomètres de Marseille... On nous promettait 10 milliards d'économies avec la création des grandes régions, en fait les charges augmentent : en Occitanie, les services ont doublé pour garantir un lien de proximité !
M. Martial Bourquin, rapporteur. - En effet, les grandes régions coûtent plus cher...
M. Alain Chatillon, président. - Je partage tout à fait votre avis sur les CCI. Le terme « industrie » doit disparaître de leur intitulé : elles doivent s'occuper des commerces, de la revitalisation des centres-villes, etc. La tâche est déjà vaste !
M. Martial Bourquin, rapporteur. - Je partage votre idée : il importe de faciliter la coopération entre les petites entreprises. Lorsqu'elles développent des technologies nouvelles, il faut les accompagner spécifiquement et les aider financièrement.
M. Alain Chatillon, président. - A cet égard nous n'avons pas voulu nous substituer aux régions. C'est à elles de décider. Il faut ne faut pas oublier les pôles de compétitivité. Le pôle de compétitivité dans le domaine agroalimentaire, que j'ai créé en Midi-Pyrénées, compte 470 entreprises, 80 centres de recherche et représente 80 000 emplois indirects, avec les agriculteurs. Il regroupe 27 filières. Le problème est que l'État baisse le niveau de ses aides chaque année. Or, les pôles de compétitivité favorisent les rapprochements entre les entreprises autour de projets précis. On compte quatre fois moins d'entreprises de taille intermédiaire que les Allemands. Pour jouer à armes égales avec eux, il faut qu'elles se rapprochent pour avoir la capacité d'innover, d'exporter, de se financer. C'est aussi pourquoi nous sommes favorables au suramortissement qui permet d'accélérer le développement des PME.
M. Jacques Bigot. - Je suis d'accord avec vous sur le rôle des pôles de compétitivité, qui peuvent jouer un rôle d'impulsion, même s'il ne faut pas négliger les initiatives des entreprises elles-mêmes. En Allemagne, les entreprises se prennent elles-mêmes en main par le biais de leurs filières. De ce point de vue-là, les CCI ne font pas leur travail. Or elles encaissent de l'argent. Il n'est donc sans doute pas besoin de demander de l'argent supplémentaire, il convient d'abord d'utiliser l'argent aux fins pour lesquelles il est prélevé, là où il est utilisé pour autre chose ! Mais je comprends votre diplomatie sur le sujet...
M. Alain Chatillon, président. - Pour aller dans votre sens, je voudrais citer un cas concret d'absence de synergie entre les acteurs. La présidente de la région Occitanie est actuellement au Japon. La CCI y organise aussi un déplacement le mois prochain, et le conseil départemental, qui n'a pourtant plus de fonctions en ce domaine, s'y rendra le mois d'après...
M. Martial Bourquin, rapporteur. - En Allemagne, les chambres de commerce et d'industrie sont très puissantes et exercent des compétences exclusives que les Länder n'exercent pas. Plutôt que d'étrangler les CCI financièrement, peut-être serait-il judicieux de leur confier une ou deux compétences fortes. En Allemagne, elles sont chefs de file sur certains sujets.
M. Jacques Bigot. - Et avec les entreprises, elles chassent en meute, d'où leur efficacité !
Mme Michèle Vullien. - Je salue votre travail. Je n'ai pas pu visiter les usines avec vous mais, en tant qu'élue de la métropole de Lyon, je connais l'usine d'Alstom à Aytré-La Rochelle qui produit notre tramway ; j'ai aussi eu l'occasion de visiter les usines des concurrents d'Alstom, puisque le Rhônexpress a été fabriqué à Berlin ; enfin j'ai des attaches familiales dans l'industrie.
Depuis trente ans, on sait ce qui se passe mais l'État semble s'en désintéresser alors que l'on parle sans cesse de l'État stratège. Les élus ont aussi leur part de responsabilité : à Techlid, le technopôle de l'Ouest lyonnais, mes collègues se réjouissaient à chaque fois que la tertiarisation progressait. J'étais seule à craindre que l'on aille dans le mur car le tertiaire ne peut fonctionner seul, sans industrie. La nouveauté est que l'industrie et le tertiaire ne sont plus séparés, l'industrie devient « servicielle ».
Je partage tout à fait vos avis sur les CCI. Je suis plus dubitative sur les régions qui peinent à digérer les conséquences de leurs fusions. Je crois plus à une organisation territorialisée sur le modèle de la métropole lyonnaise, où les élus locaux sont étroitement associés à l'industrie et connaissent les personnes qui y travaillent. Ma commune fait partie d'un technopôle réparti sur cinq communes et qui emploie 40 000 personnes. Nous disposons d'un Plan de déplacements inter-entreprises (PDIE) pour la circulation, de services permettant aux personnes de se restaurer ou de faire leurs courses, des crèches, des écoles, etc. Lorsqu'un chef d'entreprise prend la décision de s'installer, il prend d'abord en compte l'environnement, le cadre de vie, les services, les opportunités de carrière pour son conjoint, les possibilités d'études pour les enfants, etc. L'enjeu, pour nous élus, est d'organiser le territoire pour les rendre attractif, donner envie de s'y installer. L'industrie a commencé à décliné lorsque les financiers ont pris le pouvoir à la place des ingénieurs. On aura beau évoquer l'industrie du futur, la digitalisation, si on oublie les facteurs humains, on n'y arrivera pas !
M. Alain Chatillon, président. - Comme disait Pierre Mendès France, c'est une très bonne question !
M. Gilbert-Luc Devinaz. - Je suis d'accord mais la métropole me parait une unité trop petite. Mieux vaudrait travailler à l'échelle du pôle métropolitain.
M. Alain Chatillon, président. - Chers collègues, je vous remercie de ces échanges et, plus généralement pour votre participation aux travaux de la mission. Je mets désormais aux voix le rapport.
Le rapport est adopté.
La réunion est close à 14h40.