- Jeudi 24 mai 2018
- Table ronde autour de Mme Ida Bost, auteure d'une thèse sur l'histoire des herboristes en France, Pr Pierre Champy, professeur de pharmacognosie à l'université Paris-Sud, Mme Agnès Le Men, directrice du Conservatoire national des plantes à parfum, médicinales, aromatiques et industrielles (CNPMAI)
- Audition de M, président. Claude Chailan, délégué filière Plantes à parfum, aromatiques et médicinales (PPAM), de FranceAgriMer et de Mme Alix Courivaud, chef du pôle marchés à la direction marchés études et prospective de FranceAgriMer
Jeudi 24 mai 2018
- Présidence de Mme Corine Imbert, présidente -
La réunion est ouverte à 11 heures.
Table ronde autour de Mme Ida Bost, auteure d'une thèse sur l'histoire des herboristes en France, Pr Pierre Champy, professeur de pharmacognosie à l'université Paris-Sud, Mme Agnès Le Men, directrice du Conservatoire national des plantes à parfum, médicinales, aromatiques et industrielles (CNPMAI)
Mme Corinne Imbert. - Mes chers collègues, notre mission d'information sur le développement de l'herboristerie et des plantes médicinales ouvre aujourd'hui son cycle d'auditions. Cette première table ronde fait l'objet d'une captation vidéo et d'une retransmission en direct sur notre site Internet. Elle a été ouverte à la presse ainsi qu'au public.
Je remercie nos trois intervenants d'avoir accepté d'y participer. Nous accueillons ce matin Ida Bost, docteur en ethnologie, auteur en 2016 d'une thèse sur les herboristes en France de 1803 à aujourd'hui, Pierre Champy, professeur de pharmacognosie à l'Université Paris-Sud, membre du conseil d'administration de la Société française d'ethnopharmacologie, et Agnès Le Men, directrice du Conservatoire national des plantes à parfum, médicinales, aromatiques et industrielles de Milly-la-Forêt.
Nous avons réuni ces trois intervenants aux profils divers pour introduire nos réflexions, axées à la fois sur la filière de l'herboristerie et des plantes médicinales et les métiers qui lui sont liés. Mesdames et Monsieur, de par vos profils, parcours et travaux, vous pourrez nous donner une première approche générale - historique, patrimoniale ou encore scientifique et comparée - de ces notions. Je vous cède immédiatement la parole
Mme Ida Bost. - Mes travaux de recherche ont pour sujet l'herboristerie en France, qui a eu cette particularité de connaître une forme de reconnaissance étatique à travers la délivrance d'un certificat entre 1803 et 1941. Je regarde l'herboristerie d'aujourd'hui comme le fruit d'une histoire, appelée encore à évoluer.
Je vais focaliser ma présentation sur deux aspects.
D'abord, réduire la question à un jeu d'opposition entre l'herboristerie et la pharmacie serait, à mon sens, passer à côté des enjeux réels.
Certes, la multiplication des tentatives visant à supprimer le certificat d'herboriste, menée par l'Association générale des pharmaciens de France depuis la fin du 19ème siècle, a été l'occasion de développer un argumentaire en forme d'opposition entre les herboristes et les pharmaciens, sur fond de préservation du monopole pharmaceutique. Cependant, la réalité de la pratique - regardée notamment à travers les récits de vie dont nous disposons - montre des passages incessants des acteurs d'un monde à l'autre.
La pharmacie est restée longtemps un métier d'homme alors que l'herboristerie était un métier de femmes. Le certificat d'herboriste, sanctionné à l'issue d'un examen, était financièrement plus accessible que le diplôme de pharmacien.
L'herboristerie a également été un outil d'ascension sociale pour des fils de pharmaciens ou des préparateurs en pharmacie, pour qui passer le certificat permettait de passer du statut d'employé à celui de patron.
Aujourd'hui, ces passages se retrouvent encore dans les écoles d'herboristerie comme dans les formations auxquelles participent des pharmaciens. Des herboristes reconnus, par exemple Gilles Raveneau de l'herboristerie de la place de Clichy ou encore Patrice de Bonneval, sont des pharmaciens.
Le second aspect sur lequel je souhaite insister est que l'enjeu n'est pas aujourd'hui de rétablir l'ancien certificat qui ne correspond plus à la réalité de l'herboristerie.
Au temps du certificat, la législation permettait aux herboristes de vendre en boutique toutes les plantes médicinales indigènes, fraîches ou sèches, sans que la loi ne fixe de cadre précis quant à la possibilité ou non de les mélanger.
Aussi, le statut de l'herboriste n'étant pas clair, fallait-il le considérer comme un homme du soin ou comme un débitant spécialisé sur les plantes ? L'examen lui-même entretenait ce flou. Les épreuves se déroulaient dans les facultés de médecine, encadrées par des médecins et des pharmaciens, mais ne portaient que sur l'aspect botanique des plantes sans aborder leurs propriétés médicinales ou les procédés d'utilisation.
Les herboristes ont tiré parti de ce statut flou et ambigu pour bâtir une pratique qui leur correspondait.
Ainsi l'herboristerie était un métier de femmes, qui l'exerçaient souvent sur le lieu de vie, comme une pratique intermittente et non comme un métier de carrière. Rapportant peu, la vente des plantes s'ajoutait à la vente d'autres objets en tout genre. C'était un métier de soins, avec une image très ambivalente de ces personnes sans savoir académique, perçues à la fois comme un peu sorciers mais aussi guérisseurs, capables de miracles.
Aujourd'hui, à part la présence majoritaire des femmes qui représentent par exemple 84 % des étudiants à l'école des plantes de Paris, le profil socio-économique des herboristes a complètement changé et s'est diversifié.
Il n'existe non plus un mais des métiers de l'herboristerie : des producteurs, qui revendiquent le titre de paysan-herboriste, des vendeurs en boutique, des personnes assurant une transmission de savoirs (formateurs, guides...), des pharmaciens ou soignants ayant recours aux plantes comme méthode complémentaire, et enfin tout l'univers du bien-être.
Tous ont reçu une formation en herboristerie, que ce soit à titre principal ou accessoire à leur profession, comme les infirmières-herboristes ou les diététiciennes-herboristes.
Derrière cette multitude de pratiques, s'est mis en place un réseau. Ainsi, les écoles d'herboristerie sont des lieux d'interconnexion et d'échanges, de même que certaines manifestations comme le congrès des herboristes, la fête des simples, la fête à Milly-la-Forêt. Enfin, quelques personnes clés donnent une identité à la pratique.
Si l'herboristerie ne se résume plus à la vente de plantes médicinales, la plante en l'état, la tisane et plus encore le rapport à la plante restent au coeur de l'herboristerie. Celle-ci renvoie à tout un mode de vie, axé sur le respect de la nature, qui puise sa source dans le mouvement environnemental développé dans les années 1970.
L'herboristerie actuelle se revendique par ailleurs d'une forme de transmission d'un patrimoine, de connaissances, d'une génération à l'autre.
Il ne s'agit pas aujourd'hui de créer l'herboristerie. Celle-ci existe bien. Les acteurs s'installent et s'institutionnalisent. Ils demandent en revanche à être sécurisés dans leurs pratiques, qui sont à la limite de la légalité et de l'illégalité.
Mme Agnès Le Men. - Je suis ingénieur agronome et directrice du conservatoire national des plantes à parfum, médicinales, aromatiques et industrielles depuis le début de l'année 2017.
Le conservatoire est spécialisé dans la gestion des ressources génétiques des plantes à parfum, médicinales et aromatiques et se situe donc très en amont de la production, à l'interface du monde des plantes sauvages et de celui des plantes cultivées.
La filière des plantes à parfum, aromatiques et médicinales (PPAM) est une filière modeste qui couvre 48 000 hectares, soit moins de 1 % de la surface agricole française, pour environ 3 500 exploitations, dont 15 % sont labellisées biologiques contre 5 % dans le reste de l'agriculture. Trois espèces (la lavande, le lavandin et le pavot-oeillette) couvrent 70 % des surfaces. Néanmoins, la production des 30 % des surfaces restantes assurent plus de 60 % du chiffre d'affaires, ce qui montre la forte hétérogénéité du chiffre d'affaires par hectare.
L'activité de cueillette commerciale est peu connue et documentée, ce qui pose la question de la gestion de la ressource sauvage.
La filière est également orpheline de la recherche publique.
La règlementation, en pleine évolution, est parfois lacunaire et complexe, et souvent décalée de la réalité du terrain. A titre d'exemple, la règlementation européenne REACH sur les substances chimiques dangereuses assimile certaines huiles essentielles à des produits dangereux et impose la constitution de dossiers complexes. Le règlement relatif à la classification, à l'étiquetage et à l'emballage (CLP) impose l'étiquetage des huiles essentielles pures avec des pictogrammes montrant leur dangerosité. La règlementation sur les alcaloïdes pyrrolizidiniques - molécules que l'on peut retrouver dans des plantes à tisanes - impose un degré de contrainte décalé de la réalité : le seuil admis correspond à une plante touchée sur un champ entier de menthe par exemple. Il existe d'autres normes telles que la pharmacopée ou la règlementation des compléments alimentaires notamment.
La complexité des plantes et de leurs propriétés, sur lesquelles les recherches sont encore expérimentales, traduisent l'avenir et la richesse de cette filière.
Celle-ci s'est structurée et mécanisée à partir des années 1980, période à laquelle a été créé l'Institut technique de la filière, l'Iteipmai. Depuis sa création, tant les surfaces que le chiffre d'affaires de la filière PPAM n'ont cessé de se développer. Entre 2000 et 2010, la surface cultivée a augmenté de 15 % quand elle diminuait de 2 % pour le reste des productions agricoles et le nombre d'exploitations a augmenté de 23 % alors qu'il diminuait de 6 % dans le reste du secteur agricole.
Cette dynamique s'est accélérée au cours des dernières années : les surfaces ont augmenté de 26 % entre 2010 et 2015, du fait de la diversification de céréaliers vers les PPAM pour sécuriser leurs revenus, de l'installation de jeunes agriculteurs et de l'évolution de la demande.
En découle un besoin croissant en formation, un accompagnement technique et un approvisionnement en semences et plants.
Dans la filière PPAM, nous identifions de manière arbitraire trois grandes catégories : les plantes à parfum, aromatiques et médicinales. Les plantes à parfum sont principalement celles qui vont être transformées en huiles essentielles, comme la lavande ou le lavandin, qui peuvent être également des plantes médicinales. Les plantes aromatiques sont les plantes condimentaires tels le thym, le romarin, qui peuvent aussi être utilisées comme des plantes médicinales. Enfin, dans les plantes médicinales, on distingue des productions à grande échelle de ginkgo biloba et de pavot-oeillette, sous contrat avec les laboratoires pharmaceutiques, et des productions d'autres plantes (plus de 100) commercialisées en circuit court comme compléments alimentaires ou plantes sèches sur le marché de l'herboristerie. Il est ainsi difficile de définir les plantes médicinales et de les distinguer des autres catégories de plantes.
J'en viens à la structuration de la filière. Le réseau de recherche agronomique appliquée, le réseau PPAM, est fédéré autour de l'Iteipmai, l'institut technique de la filière situé à Chemillé-en-Anjou, auquel est adossé le CRIEPPAM (centre régionalisé interprofessionnel d'expérimentation en plantes à parfum, aromatiques et médicinales). La chambre d'agriculture de Valence s'est historiquement spécialisée dans la filière PPAM.
Le conservatoire, créé en 1987 à Milly-la-Forêt, dans le sud de l'Essonne, bassin historique de plantation PPAM, est une association loi 1901 financée à 50 % par les pouvoirs publics et compte 9 salariés. Il s'attache à approvisionner ses partenaires en diversité génétique, développe une activité proche de celle d'un jardin botanique pour acquérir, rassembler, conserver une collection dynamique de plus de 1 000 espèces, et travaille parallèlement sur la cueillette et la protection du patrimoine naturel, en partenariat avec l'Association française des cueilleurs de plantes sauvages (AFC). Il a en outre une activité de production de semences et de plants (plus de 700 espèces) qui permet d'approvisionner les producteurs. Enfin, il accueille plus de 10 000 visiteurs par an et joue un rôle de sensibilisation du grand public, en développant une offre de stages pour laquelle la demande est croissante.
D'autres organismes sont à mentionner : le CPPARM (Comité des plantes aromatiques et médicinales), qui regroupe des producteurs, le CIHEF (Comité interprofessionnel des huiles essentielles françaises), des organismes de formation spécialisés, notamment les quatre CFPPA (centres spécialisés de formation pour la promotion agricole) et la délégation nationale de FranceAgriMer.
Cette filière et son développement sont portés par une attente sociétale pour plus de naturalité, le souhait de « consommer local », le développement de la responsabilité sociétale des entreprises, notamment dans la filière cosmétique, le phénomène du « do it yourself » ou encore la recherche de produits purs et naturels. Les PPAM ont également un rôle à jouer dans le développement d'une agriculture plus respectueuse de l'environnement.
M. Pierre Champy. - J'enseigne la chimie végétale et la phytothérapie en faculté de pharmacie et suis co-responsable d'un diplôme interuniversitaire de phytothérapie à destination des professionnels de santé. J'effectue également des missions d'expertise pour l'ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation).
L'herboristerie recouvre des activités multiples de production (culture, cueillette, vente directe) ou de commerce avec notamment la vente de produits de santé mais aussi de plantes en vrac ou de préparations de plantes, ce qui forme un ensemble de produits sous des statuts et des normes règlementaires extrêmement variables.
La frontière est fine entre les conseils prodigués par les herboristes et un éventuel exercice illégal de la médecine ou de la pharmacie, c'est-à-dire entre l'indication thérapeutique que l'on trouve sur un médicament et l'allégation de santé pouvant figurer sur un complément alimentaire ou un aliment. Cette instabilité juridique explique une demande de sécurisation des pratiques des herboristes, qui oscillent entre la santé et le bien-être.
Actuellement, il n'existe pas de formation unifiée ni de diplôme défini pour la pratique de l'herboristerie.
Les plantes inscrites à la pharmacopée française font partie du monopole pharmaceutique, institué pour des raisons sanitaires et non économiques. La liste de ces plantes est divisée en deux parties :
- la liste A comporte 365 plantes utilisées traditionnellement (ou drogues végétales), employées dans des préparations de phytothérapie ou d'homéopathie. Certaines présentent une forte toxicité. Une libéralisation de la vente de l'ensemble de ces plantes en dehors du circuit pharmaceutique me semblerait donc difficile, à titre personnel ;
- la liste B correspond à des plantes utilisées par le passé en thérapeutique mais abandonnées à cause de leur toxicité ou du doute sur leur efficacité au fil des avancées des connaissances scientifiques ; les effets indésirables sont donc supérieurs aux bénéfices attendus.
Le décret n° 2008-841 du 22 août 2008 a permis la sortie de 148 plantes végétales du monopole pharmaceutique. Ce décret précise la forme traditionnelle d'emploi de ces plantes pour laquelle la sécurité de leur utilisation est assurée.
Les plantes médicinales rejoignent les exigences de qualité du circuit pharmaceutique. Celles hors monopole à visée alimentaire relèvent d'exigences différentes.
La France importe environ 18 000 tonnes de plantes en l'état ou sèches, principalement depuis la Chine et l'Inde. La DGCCRF s'est intéressée à la qualité de certaines classes de produits à base de plantes médicinales, cette analyse ayant montré des dysfonctionnements assez inquiétants.
En ce qui concerne les mélanges de plantes, une monographie « mélange de plantes pour tisanes » inscrite à la pharmacopée française définit quelles plantes peuvent être associées entre elles par le pharmacien en l'absence d'ordonnance ; certaines plantes en sont donc exclues et l'ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament) définit les exigences en termes de bonnes pratiques de préparation.
Hors du circuit pharmaceutique, les mélanges de plantes en vrac ne sont pas interdits et ont le statut de produit alimentaire. Un enregistrement comme complément alimentaire est possible si la dose consommée par le patient est définie. Cette pratique se développe, dans les officines ou en dehors, pour contourner les restrictions règlementaires.
Se développent également hors des officines des associations de préparations de plantes (extraits, huiles essentielles), dont les frontières sont parfois floues avec le statut de médicament par fonction ou par présentation, ce qui conduit à des requalifications de produits par l'ANSM ou les tribunaux.
Les statuts des produits à base de plantes, en vente libre, sont d'une grande diversité. Il s'agit principalement, en dehors des plantes en vrac, de compléments alimentaires, mais on trouve également des dispositifs médicaux et des produits cosmétiques, ainsi que des huiles essentielles.
Les organismes de tutelle pour ces produits relèvent soit du ministère en charge de la santé, soit du ministère en charge de la consommation.
Un arrêté du 24 juin 2014 a établi une liste des plantes autorisées à entrer dans la composition des compléments alimentaires : parmi les 540 espèces qui y figurent, 60 % environ sont des plantes alimentaires ou médicinales hors monopole pharmaceutique et environ 25 % sont des plantes médicinales relevant de ce monopole pharmaceutique ; le reste sont des plantes ayant des usages médicinaux dans d'autres traditions que la nôtre ou encore quelques plantes de la liste B de la pharmacopée. L'arrêté de 2014 ne représente qu'une liste partielle de ce qui circule réellement.
Une liste commune de plantes utilisées dans les compléments alimentaires est en projet entre la France, la Belgique et l'Italie, dite « liste Belfrit », qui comporte 1 028 plantes.
Les exigences en termes de sécurité et de qualité des produits restent insuffisantes, notamment en termes d'étiquetage. Pour un grand nombre de compléments alimentaires, la question du statut de médicament par fonction ou par présentation se pose. Or, la plupart des produits de phytothérapie sont vendus sous la forme de compléments alimentaires en dehors des officines, par des non professionnels de santé et souvent sans conseil, comme c'est le cas en grande surface.
Des dispositifs de vigilance s'appliquent aux produits à base de plantes, dès lors qu'un usage traditionnel n'est pas forcément un gage de sécurité et qu'un certain nombre d'interactions médicamenteuses sont à prendre en compte.
L'ANSES est l'autorité compétente en matière de nutrivigilance (compléments alimentaires) et l'ANSM pour la cosmétologie et la matériovigilance (dispositifs médicaux).
L'ANSM, l'Agence européenne du médicament et l'OMS publient des référentiels pour l'emploi des plantes médicinales et des huiles essentielles. Toutefois, beaucoup de personnes qui vendent ces plantes ou huiles essentielles ne les connaissent pas et se fondent sur des ouvrages spécialisés qui ne sont pas forcément pertinents.
Il existe un fort besoin de formation pour les personnes autres que les pharmaciens délivrant des produits à base de plantes, afin qu'elles puissent délivrer un conseil efficace et adapté, apte à garantir la sécurité du consommateur, en tenant compte des données scientifiques. Au-delà de la plante en vrac hors monopole, cette formation doit concerner l'ensemble des produits vendus de manière courante hors du cadre pharmaceutique. Il semble important de donner un socle universitaire à ces formations, dans une interface indispensable avec les formations en santé.
Plusieurs questions restent ainsi en suspens. Quelles plantes peuvent être commercialisées ? Quelles sont les conditions d'exercice des herboristes, leur formation et leur place au sein du réseau de soin ?
Mme Corinne Imbert, présidente. - Je remercie nos intervenants dont les trois exposés reflètent bien le champ très large de notre mission.
M. Joël Labbé, rapporteur. - Merci de ces exposés. Très succinctement, Ida Bost nous dit que l'herboristerie n'est ni à inventer ni à réinventer, car elle existe. Reste à savoir si elle peut exister comme cela. Agnès Le Men a mis l'accent sur la forte attente sociétale, que l'on doit entendre, et sur une recherche publique orpheline. Pierre Champy évoque un fort besoin de formation, pour délivrer un conseil adapté. Ces premières réflexions justifient déjà l'existence de notre mission.
Je salue la présence du public et de la presse : nous avons souhaité ouvrir nos auditions car il s'agit d'un sujet de société.
D'après les connaissances que vous pouvez avoir de la situation dans d'autres pays notamment européens, y-a-t-il une spécificité française dans l'approche de l'herboristerie et des plantes médicinales, tant de la part des professionnels de santé que des attentes des consommateurs ?
Comment décririez-vous par ailleurs les spécificités des outre-mer en matière de richesse patrimoniale et d'usage des plantes médicinales ?
Quelles sont vos réflexions sur la réglementation qui entoure les plantes médicinales et les produits dérivés type huiles essentielles ou compléments alimentaires ? Quelles évolutions seraient selon vous bienvenues ?
Estimez-vous que les connaissances scientifiques sur les plantes médicinales sont suffisamment développées ? Que pensez-vous de l'offre actuelle de formation, tant universitaire que privée ou professionnelle ? Quel serait le socle minimal de connaissances à avoir pour prétendre prodiguer des conseils sur l'usage des plantes ?
M. Pierre Champy. - La profession d'herboriste est définie en Belgique. En Autriche et en Allemagne, les prérogatives sont plus larges que celles communément admises et en Angleterre, la profession s'apparente davantage aux professions de santé.
La diversité et la richesse de la production outre-mer en font un sujet à part, d'autant que l'instabilité juridique, en particulier à La Réunion, rajoute à la particularité de certaines pratiques locales traditionnelles.
Quant à la réglementation, sa complexité entraîne une insécurité sur ce que peut faire et ne peut pas faire le praticien en herboristerie.
La recherche sur les plantes médicinales bénéficie peu du soutien du ministère de la recherche. La recherche sur les huiles essentielles est encore balbutiante. Globalement, l'évaluation clinique des plantes et produits dérivés existe mais elle manque de légitimité, notamment en termes de méthodologie.
Je connais mal les formations extra-universitaires à destination du grand public. Dans les écoles d'herboristerie, les formations semblent hétérogènes. Les futurs pharmaciens bénéficient quant à eux de formations en phyto-aromathérapie conséquentes, l'offre étant relativement homogène ; l'offre de formation en direction des professionnels de santé déjà installés est par ailleurs très importante.
En revanche, la formation des médecins est très insuffisante sur les compléments alimentaires et leurs éventuelles interactions avec les prescriptions médicamenteuses, qui sont pourtant bien documentées.
La nutri-vigilance en matière de compléments alimentaires est balbutiante en raison notamment d'un faible nombre de déclarations de la part des soignants.
Un herboriste doit avoir un socle minimal de connaissances : il doit pouvoir renvoyer vers un pharmacien ou un médecin si cela est nécessaire, et avoir un regard critique sur la littérature existante ; il lui faut par ailleurs une connaissance minimale de la physiologie, de la pharmacocinétique et de la toxicologie, mais aussi des éléments lui permettant de se positionner dans un réseau de soins, au-delà d'une bonne connaissance de la plante en elle-même dans ses aspects à la fois botaniques et chimiques.
Mme Agnès Le Men. - Les outre-mer recèlent 65 % de la flore française. Le protocole de Nagoya sur l'accès aux ressources génétiques, en voie d'application en France, doit permettre de lutter contre la bio-piraterie et d'assurer un partage équitable des avantages tirés de l'utilisation de ces ressources. Concrètement, à chaque fois que l'industrie voudra utiliser une de ces ressources pour la commercialiser, elle devra reverser un pourcentage du chiffre d'affaires à un fonds de partage international. L'impact de cette disposition est encore mal connu.
S'agissant de l'encadrement des métiers, celui de cueilleur de plante ne fait l'objet d'aucune réglementation, ni fiscale ni juridique, ce qui empêche notamment d'en recenser le nombre et de structurer cette profession, avec à terme un risque d'impact sur la ressource sauvage. Depuis 2011, les cueilleurs ont toutefois commencé à s'organiser en créant l'AFC (Association française des cueilleurs), dont l'objet est notamment d'établir une charte de la cueillette sauvage pour mettre en place une filière d'approvisionnement durable.
Je précise tout de même que la principale menace sur la ressource sauvage ne vient pas des cueilleurs mais plutôt des changements climatiques ou encore de l'urbanisation croissante.
Sur l'offre actuelle de formation, je peux témoigner des demandes croissantes de nos visiteurs pour des stages sur ce thème, mais aussi de la grande hétérogénéité de leurs connaissances.
Mme Ida Bost. - En Europe, la démarcation n'est pas très claire entre ce qui relève du bien-être et de la thérapie. Il existe, selon les pays, des formes de reconnaissance des herboristes, qui n'ont pas tous les mêmes droits. Chaque pays a fait le choix de positionner l'herboristerie entre l'alimentaire, la santé ou encore le bien être.
Les questions liées à la législation dépassent l'herboristerie. Il s'agit notamment de savoir à partir de quand commence l'indication thérapeutique et comment elle se distingue de la simple allégation de santé qui elle est autorisée.
Le décret de 2008 mentionne 148 plantes libérées, ce qui apparait insuffisant. L'utilisation de plantes sous forme de compléments alimentaires permet de dépasser cette restriction, pour vendre des plantes de la liste A de la pharmacopée, mais cela nécessite une présentation par dose. Or, l'avocat Flavien Meunier a expliqué lors du dernier congrès de l'herboristerie qu'il y avait de plus en plus de cas de refus d'inscription de tisanes sous le statut de compléments alimentaires dès lors qu'il est difficile d'en établir la dose.
Un problème est aussi l'absence de possibilité d'inscription à l'ordre des pharmaciens de ceux qui ne souhaitent vendre que des plantes en tant qu'herboristes.
La législation a donc un fort impact sur le métier d'herboriste et leur activité.
En ce qui concerne la formation, on constate une homogénéisation des cursus entre les cinq écoles d'herboristerie qui se sont constituées sous la forme d'une fédération. La formation existe mais est-elle suffisante ? Sans doute non, dans la mesure notamment où les contre-indications ou interactions médicamenteuses en constituent un angle mort, du fait même de la législation puisqu'elles ne relèvent pas de l'herboristerie.
L'État devrait être le garant de la sécurité des pratiques par les formations. En l'absence de reconnaissance de l'herboristerie, et par défaut de l'État, les acteurs eux-mêmes s'organisent et cherchent à s'autoréguler.
Il existe très peu de travaux scientifiques sur l'herboristerie. Je travaille en ce moment sur une étude portant sur les métiers de l'herboristerie et l'activité économique des professionnels du secteur, afin de construire une connaissance sur ce sujet.
M. Daniel Laurent. - Je remercie les intervenants pour leur propos intéressants et inquiétants, qui traduisent un besoin d'encadrement. Nous voyons l'intérêt de cette mission. La gestion de la ressource en plantes médicinales est un sujet important, de même que celui de la sécurité des importations. Si la filière est structurée et dynamique, peut-on fixer un objectif aux producteurs en termes de gestion ou amélioration de la ressource ?
M. Louis-Jean de Nicoläy. - Je partage cette interrogation. Quel est le lien entre agriculture et herboristerie ? La filière relève-t-elle de la PAC ? Existe-t-il des formations agricoles ? Quelles sont les dix principales plantes produites en France ?
M. Bernard Delcros. - Merci pour vos interventions éclairantes et passionnées. Les enjeux sont importants. Je partage votre constat sur l'attente de plus de naturalité, et je pense même qu'il s'agit aujourd'hui d'un besoin. Les progrès des sciences et techniques ont été mis au service d'une société de consommation, avec une utilisation parfois irraisonnée des produits chimiques. Aujourd'hui, les choses s'inversent. Il y a une prise de conscience. Quels sont les points importants sur lesquels légiférer pour développer cette filière et sécuriser les pratiques ?
Mme Élisabeth Lamure. - La vente sur internet de plantes ou produits à base de plantes présente-t-elle des garanties ? Est-elle réglementée ?
Mme Agnès Le Men. - Des projets émergent depuis quelques années pour structurer la filière, mettre en place des filières d'approvisionnement, tels que le projet Sud Aroma Bio. A Milly-la-Forêt, une filière de développement des huiles essentielles se met en place et a suscité un grand intérêt des producteurs ; une quinzaine sont aujourd'hui dans le groupement et ont un projet d'investissement dans une distillerie industrielle. De nombreux céréaliers se diversifient également ailleurs en France. Les investissements assez lourds peuvent être un frein toutefois à la diversification. Créer de la confiance entre les opérateurs, avec des contractualisations respectées, aiderait la filière à se développer. Il s'agit de marchés éphémères et soumis à des effets de mode. Il est compliqué d'accompagner techniquement une ressource qui compte près de 700 plantes. Le conservatoire national élabore des programmes de mise en culture de plantes sauvages pour aider les producteurs à se diversifier, par exemple actuellement sur l'arnica dans le cadre d'un programme collaboratif cofinancé par la région Auvergne Rhône-Alpes.
La lavande, le pavot et le ginkgo entrent dans les principales productions.
Les PPAM sont inscrites à la PAC mais de façon peu détaillée.
Quatre lycées professionnels agricoles dispensent des formations spécialisées sur les PPAM. Il s'agit de formations courtes, d'un an. Il existe un réel besoin de formation, notamment pour des néo-ruraux qui s'installent.
Il serait utile de donner des moyens aux organismes qui cherchent à se structurer, sans forcément légiférer en imposant des contraintes.
M. Pierre Champy. - Les principales plantes cultivées sont le lavandin et le pavot mais l'usage de ce dernier est purement pharmaceutique.
Les ventes sur internet sont bien documentées : la situation est catastrophique avec 30 à 50 % des produits de mauvaise qualité, avec des molécules interdites ou jamais évaluées.
La qualité des importations n'est pas totalement déplorable, en raison des garde-fous qui existent en Europe.
Sur la gestion de la ressource, il existe une littérature au niveau mondial sur la disparition de certaines plantes en raison d'une surexploitation. Pour certaines plantes à la mode, comme la rhodiole ou la gentiane, la ressource s'épuise.
Faut-il plus légiférer ? Pas forcément, mais il est important d'accompagner les acteurs pour que la filière soit de qualité.
Mme Ida Bost. - Le fait de légiférer est parfois associé sur le terrain à des restrictions ou des interdictions. Il s'agit ici d'aller vers de l'accompagnement ou de la construction.
Au vu de ce qui n'a pas fonctionné dans le passé, il faut aujourd'hui bien comprendre le statut de l'herboriste, les limites de ses droits et devoirs. Quels lieux d'exercice ? Quelles relations avec les autres professions comme les diététiciens ou aromathérapeutes ? Quelle formation au regard du statut ? Comment s'assurer des filières d'approvisionnement ?
Les herboristes existent et vont exister, quelle que soit la législation.
Le produit naturel et local est au coeur de leur activité et essentielle à celle-ci.
M. Claude Haut. - Je remercie les intervenants. La réglementation REACH sur les huiles essentielles peut-elle compromettre la filière et le développement de la ressource ?
M. Guillaume Gontard. - Nous percevons bien la richesse du sujet et l'importance de notre mission. Il me semble que 15 % de production en bio n'est pas une proportion si importante pour ce type d'activité. La part du bio est-elle plus élevée s'agissant des nouvelles installations ? Sur la gestion de la ressource et la cueillette, a-t-on déjà des constats en termes de biodiversité ? Qu'en est-il des formations agricoles proposées aux personnes s'installant sur des petites parcelles. Des mises en réseau existent-elles ?
Mme Angèle Préville. - Merci pour vos présentations très éclairantes. Existe-t-il une information précise sur les plantes, notamment à destination des agriculteurs ? Quels peuvent être les incidences sur la santé des compléments alimentaires ? Que peut-on faire ? Sur la formation, je pense qu'il faudrait remettre dans les enseignements des éléments concrets sur les plantes, comme cela a pu être fait dans le passé.
Mme Marie-Pierre Monier. - Je suis sénatrice de la Drôme et ravie que mon département ait été cité deux fois pour les projets conduits par la chambre d'agriculture et les formations du CFPPA de Nyons. La production PPAM bio y représente un quart des surfaces nationales. Où en est-on de la réglementation REACH, qui suscite une réelle inquiétude ? Quelle est la dangerosité des compléments alimentaires ? Qu'en est-il du savoir populaire sur les plantes qui a existé ? Pouvez-vous nous éclairer sur les procès pour exercice illégal de la médecine ou de la pharmacie ?
Mme Agnès Le Men. - Sur la réglementation européenne REACH, l'interprofession des huiles essentielles a pris des initiatives pour fédérer les efforts et les moyens. Quand on produit au moins une tonne pour une espèce, le dossier à monter coûte cher et son protocole est critiqué.
Sur la dangerosité, je trouve étonnant que l'on puisse vendre une huile essentielle étiquetée corrosive en complément alimentaire.
Beaucoup de savoirs de base sur les plantes ont été perdus sur une génération. Il y avait beaucoup de traditions orales. La société elle-même a changé.
Sur le bio, il faudrait en effet faire plus que 15 %. Mais un grand nombre de surfaces de production sont industrielles, ce qui limite la part du bio pour des raisons techniques ou culturelles. Je n'ai pas de chiffres sur la part du bio dans les nouvelles installations, mais, en ressenti, beaucoup se font en bio, dans une démarche éthique globale.
L'arnica est une ressource protégée dans plusieurs régions. Le parc naturel régional des Ballons des Vosges a pris l'initiative d'instaurer un permis de cueillette, mais la ressource est en train de disparaître. Il en est de même pour la gentiane que l'on met trente ans à cueillir.
Le Comité des Plantes à Parfum, Aromatiques et Médicinales (CPPARM) produit un guide d'installation pour les producteurs souhaitant s'installer en PPAM. Des échanges existent également entre jeunes producteurs.
Je n'ai pas connaissance d'un guide aux producteurs sur les plantes à cultiver. C'est d'ailleurs une difficulté pour eux de savoir sur quoi ils peuvent s'installer. Le marché est en partie éphémère, il existe des modes, par exemple en ce moment pour l'immortelle dans des produits cosmétiques. Le conservatoire opère une régulation de fait en ne pouvant répondre à toutes les demandes de semences.
Je suis d'accord pour remettre dans l'enseignement des connaissances concrètes sur les plantes. Il est étonnant qu'il n'y ait pas d'enseignement de botanique dans les écoles d'agronomie.
M. Pierre Champy. - La réglementation REACH s'applique ou non selon le statut du produit. Le terme d'aromathérapie correspond à l'utilisation des huiles essentielles, quelle que soit la voie. Sur la dangerosité des huiles essentielles, l'ANSM a imposé des restrictions, notamment chez le nourrisson et l'enfant ou sur les produits cosmétiques. Une huile essentielle peut avoir un statut de complément alimentaire. Beaucoup de produits sont mal définis dans leur composition et la multiplicité des statuts est aberrante. Les choix de statut se font principalement au regard des contraintes d'étiquetage et de la TVA des produits. La DGCCRF travaille sur une liste positive d'huiles essentielles qui pourraient entrer dans la composition des compléments alimentaires, mais cette liste n'est toujours pas publiée.
Il y a peu de remontées sur la quantité de compléments alimentaires consommée, du fait notamment d'un manque de sensibilisation du corps médical et pharmaceutique sur la déclaration. La plupart des données vient des industriels. Il est difficile d'avoir un bilan réel des incidents. Mais il existe par exemple des compléments alimentaires avec des plantes utilisées comme abortives dans certaines traditions sans mention pour les femmes enceintes, ce qui est un problème. Il y aurait des améliorations nécessaires essentiellement en termes de contrainte et d'étiquetage.
Les procès pour exercice illégal de la pharmacie renvoient à la difficulté à poser une limite entre ce qui relève de l'indication thérapeutique et des allégations de santé. La jurisprudence est intéressante à cet égard et les cas très divers. Par ailleurs, beaucoup de produits sont requalifiés en médicament par l'ANSM.
On constate en effet une perte du savoir populaire, mais il faut considérer la tradition au regard des connaissances scientifiques et du rapport bénéfices-risques des pratiques. Il ne faut pas forcément adopter le savoir populaire de manière brute ou tel que véhiculé dans certains ouvrages.
La menace sur la ressource est à penser au plan international. Il existe beaucoup de travaux sur la surexploitation des plantes en Afrique ou en Chine par exemple.
Mme Ida Bost. - Sur la question des savoirs, l'herboristerie entre dans une forme de patrimonialisation, en s'attachant à récupérer des connaissances anciennes. Ces savoirs se chargent d'attentes très contemporaines. Sans aller jusqu'à dire qu'il s'agit d'une philosophie, l'herboristerie entre dans un univers symbolique fort : c'est une manière de concevoir les choses dans le quotidien, dans le rapport à l'alimentation.
Les procès pour exercice illégal de la pharmacie, comme ceux qui ont concerné Michel Pierre de l'herboristerie du Palais Royal ou Patrice de Bonneval, lui-même pharmacien, ne sont pas étonnants dans le contexte légal.
M. Pierre Champy. - Cette question de l'exercice illégal pose la question du pharmacien-herboriste ou celle de l'herboriste comme auxiliaire ou adjoint du pharmacien.
M. Joël Labbé, rapporteur. - La question du statut - pour un ou plusieurs métiers - est posée et renvoie à des attentes. Doit-on se satisfaire de la situation actuelle ou faut-il faire évoluer la législation ? Il existe des formations, qui tendent vers une certaine harmonisation, mais faut-il évoluer vers une formation diplômante ?
Mme Agnès Le Men. - A titre personnel, une formation diplômante ou une validation des acquis de l'expérience reconnue permettrait d'officialiser et encadrer une réalité de fait, et de répondre à une demande croissante de la société civile.
M. Pierre Champy. - Des pratiques existent, elles sont très variables. Le besoin de formation est évident. Pour les formations en école d'herboristerie, une homogénéisation et une définition des prérequis, comme cela a été fait pour l'ostéopathie, serait importante.
Mme Ida Bost. - Les acteurs de terrain demandent un diplôme et une reconnaissance de leurs pratiques pour en garantir la sécurité. Le flou n'est bon pour personne.
Mme Corinne Imbert, présidente. - Je remercie nos intervenants pour ce panorama très complet qui montre que d'autres questions que celle du statut se posent.
La réunion est close à 12h53.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
- Présidence de Mme Corine Imbert, présidente -
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Audition de M, président. Claude Chailan, délégué filière Plantes à parfum, aromatiques et médicinales (PPAM), de FranceAgriMer et de Mme Alix Courivaud, chef du pôle marchés à la direction marchés études et prospective de FranceAgriMer
Mme Corinne Imbert, présidente. - Mes chers collègues, notre mission d'information sur le développement de l'herboristerie et des plantes médicinales poursuit ses auditions après la table ronde introductive de ce matin en accueillant M. Claude Chailan, délégué de la filière Plantes à parfum, aromatiques et médicinales de FranceAgriMer et Mme Alix Courivaud, chef du pôle marchés à la direction marchés études et prospective de FranceAgriMer.
Je vous rappelle que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et d'une retransmission sur notre site Internet ; elle a été ouverte à la presse ainsi qu'au public.
Je remercie vivement nos intervenants d'avoir accepté notre invitation. Nous comptons sur eux pour nous dresser, grâce aux données collectées par FranceAgriMer, un panorama général de la filière des plantes à parfum, aromatiques et médicinales - les PPAM - et en particulier des plantes médicinales, afin de bien appréhender ce qu'elle représente en France en termes d'activité et d'emplois ainsi que les enjeux liés à son développement.
Je vous laisse la parole et nous vous écoutons avec beaucoup d'attention.
M. Claude Chailan. - Merci madame la Présidente. Nous allons vous dresser un panorama de la filière plantes à parfum, aromatiques et médicinales (PPAM) en France et dans d'autres pays.
Tout d'abord, FranceAgriMer est issu de la fusion en 2009 des anciens offices agricoles et de l'office de la mer. Il assure trois missions principales : éclairer les filières avec des études, une mission de concertation avec ces professionnels, FranceAgriMer étant administré par onze conseils spécialisés interprofessionnels qui rassemblent producteurs, transformateurs et distributeurs et un conseil d'administration également interprofessionnel, et enfin accompagner les productions agricoles. Pour cette dernière mission, FranceAgriMer a déployé l'année dernière 800 millions d'euros d'aides dont 60 % au titre de fonds européens, de l'OCM (organisation commune du marché) viticole notamment, et 40 % au titre de fonds nationaux.
Le siège de FranceAgriMer est à Montreuil-sous-Bois en Seine-Saint-Denis. Environ 370 agents sont basés dans les régions auprès des directions régionales de l'Alimentation, de l'Agriculture et de la Forêt (DRAAF). S'y ajoutent 3 délégations nationales, basées à Libourne, à la Rochelle et à Volx, à côté de Manosque.
Cette dernière, qui emploie cinq personnes, est dédiée à la filière PPAM sur le territoire métropolitain. Elle dispose d'un budget d'intervention d'environ deux millions d'euros d'aides nationales attribuées pour des programmes d'investissements des producteurs et la première transformation, au soutien de l'organisation technique, notamment le conservatoire national que vous avez entendu ce matin, ou les instituts techniques, et enfin pour les organisations économiques, principalement les coopératives.
Si nous travaillons pour toute la filière, nous sommes spécialisés sur les aspects de production et de première transformation.
Pour en venir à la filière PPAM, il existe en France des bassins de production majeurs, notamment dans le Sud-Est pour la culture du lavandin et des plantes aromatiques, en Champagne-Ardenne, dans le Centre et dans l'Ouest pour la culture des plantes médicinales qui concernent le pavot et les oeillettes pour l'extraction de la morphine ainsi qu'une production de plantes médicinales dans la région angevine. Cette production de plantes médicinales a d'ailleurs la caractéristique d'être assez répandue sur tout le territoire.
La production des PPAM en France est en nette croissance ces dernières années. L'évolution de la production depuis 2010 marque une croissance supérieure à 40 %, avec une extension très importante des plantes aromatiques et, dans une moindre mesure, des plantes médicinales. Il faut cependant nuancer cette distinction entre plantes aromatiques et plantes médicinales dans la mesure où les plantes ont souvent plusieurs usages.
Pour entrer dans le détail de la répartition de la production, il y a de l'ordre de 120 espèces cultivées en France, ce chiffre s'établissant à près de 300 espèces quand on compte les plantes qui sont simplement cueillies.
Ces plantes sont produites de diverses façons, sont transformées de diverses manières et donnent naissance à des produits différents. L'huile essentielle de lavande n'a par exemple rien à voir avec la fleur de la lavande ! C'est pourquoi les producteurs proposent plus de 1 500 produits, témoignant d'une réelle diversification de l'offre de la filière.
Il est très complexe d'avoir une vision globale de la production française face à la concurrence internationale car le périmètre des PPAM est très large. Il y a des productions exotiques dans certains pays très gros producteurs comme l'Inde ou la Chine qui ne peuvent être produites en France. Toutefois, la France est un producteur important au niveau mondial pour certaines espèces. En regardant les chiffres assez précis des huiles essentielles qui permettent de réaliser une comparaison internationale, la France est par exemple productrice de lavandin, production en forte croissance puisque la dernière récolte a atteint le chiffre record de 1 500 tonnes.
Environ 12 % de la production de PPAM est cultivée en agriculture biologique. Là aussi ce chiffre est en augmentation, suivant l'augmentation globale de la production de la filière. C'est une proportion assez importante si l'on se réfère à d'autres productions agricoles. Il y a toutefois un déficit de production biologique compte tenu de l'état de la demande sur le marché.
Si l'on observe les signes officiels de qualité et de l'origine, il existe un label rouge pour les mélanges d'herbes de Provence, représentant environ 20 tonnes de production. Au niveau organoleptique, je peux vous assurer que cela n'a rien à voir avec ce que l'on peut trouver ailleurs. Il y a également une appellation d'origine protégée sur l'huile essentielle de lavande de Haute-Provence, l'une des rares non-alimentaires d'ailleurs, et depuis cette année, une indication géographique protégée « Thym de Provence ». Des démarches qualité sont également à noter, en particulier la démarche CENSO promouvant la traçabilité et le développement durable, créée par le comité interprofessionnel des huiles essentielles françaises (CIHEF) qui est la seule interprofession reconnue dans le secteur des PPAM.
Quand on parle de filière PPAM, cela n'a pas vraiment de sens puisqu'il n'y a pas une filière mais une multitude de petites filières avec des usages très diversifiés. Il y a d'abord la transformation de plantes sèches dans le but de répondre, in fine, aux usages liés à l'herboristerie ou pour aboutir à des compléments alimentaires. Ces derniers ont connu une diversification de la production très importante ces dernières années. On recense environ 1 000 demandes par mois de nouveaux compléments alimentaires, dont 80 % sont à base de plantes. Il y a aussi toute une partie issue de l'extraction alcoolique pour les teintures mères, les infusions, les extraits végétaux utilisés dans les médicaments homéopathiques ou dans les cosmétiques. Les huiles essentielles peuvent également être retravaillées afin d'en retirer certains composants par déterpénation ou traitement chimique. Elles sont alors utilisées dans les médicaments ou l'aromathérapie dont la demande a également explosé ces dernières années. Le marché des parfums et arômes issus des plantes sont des marchés davantage matures qui n'évoluent plus trop dans les pays occidentaux.
Il y enfin des extractions plus techniques faites avec des solvants notamment pour faire des concrètes, qui sont des pâtes parfumées particulièrement à partir de fleurs comme la rose ou le jasmin, ou, par extraction sélective, pour isoler des molécules pour des médicaments phytothérapeutiques ou des médicaments allopathiques. En résumé, il existe tout un tas de filières avec des usages et des destinations très diversifiés.
Une des spécificités françaises réside dans le fait que, le plus souvent, le producteur fait lui-même la première transformation, alors que dans d'autres pays, la transformation, que ce soit le séchage ou la distillation, est plutôt réalisée par des entreprises distinctes des producteurs.
La deuxième étape de la chaîne, ce sont les grossistes : herboristes pour les plantes séchées, négociants pour les huiles essentielles. Puis une première industrie transformatrice travaille ces matières premières, notamment les fabricants d'extraits végétaux ou de compositions parfumantes. Enfin les industries utilisatrices élaborent les produits finis à destination des consommateurs, qu'elles soient dans l'industrie agroalimentaire ou dans l'industrie cosmétique. Il peut y avoir des intermédiaires, des circuits plus courts avec le producteur qui fabrique lui-même son cosmétique et le vend lui-même ou alimente directement l'industrie transformatrice.
Ainsi, en plus de la diversité des usages, il existe clairement une diversité des flux commerciaux.
Les principales organisations professionnelles, sans les lister toutes, sont souvent syndicales, en se positionnant notamment sur des questions relatives à la réglementation considérées comme le principal frein au développement de la filière. Certaines organisations professionnelles ont également un rôle d'organisation économique.
En termes d'impacts économiques et sociaux, ce sont des petites filières, surtout quand on les compare aux céréales par exemple. Ceci étant, sur les territoires où elles sont produites, notamment le secteur lavandicole, elles ont des impacts très importants. Nous avions réalisé une étude à l'Office national interprofessionnel des plantes à parfum, aromatiques et médicinales en 2006, que nous sommes en train d'actualiser pour le mois de septembre, sur l'impact en termes d'emplois directs et indirects de ces productions. Cette étude concluait à un rapport de 1 à 10 entre le nombre d'exploitations et les emplois créés par les filières dans le Sud-Est. Le chiffrage est large puisqu'il inclut par exemple les effets du tourisme lavandicole.
Nous en venons aux plantes médicinales et je laisse la parole à Alix Courivaud qui va poursuivre l'exposé.
Mme Alix Courivaud. - Concernant la commercialisation internationale de plantes médicinales, les données ne sont pas très précises. On peut toutefois suivre les importations et exportations de ces plantes.
La France a importé 20 000 tonnes de plantes médicinales en 2016 pour une valeur d'environ 80 millions d'euros, ce qui la place à la 11ème position du classement mondial. Ses principaux pays fournisseurs relèvent de trois catégories : les fournisseurs de plantes qui ne poussent pas en France, comme la Chine et l'Inde ; les fournisseurs de plantes dont les coûts de production sont inférieurs à la France, ce qui est le cas pour un produit comme la verveine ; et enfin les pays négociants comme l'Allemagne, qui n'ont pas spécialement d'activités de production.
La France exporte un volume de 6 000 tonnes de plantes médicinales pour une valeur de 44 millions d'environ, d'où une balance commerciale négative. La France exporte plus en revanche de produits élaborés comme les extraits de plantes ou les huiles essentielles.
Si nous regardons les prix moyens au stade de production des plantes médicinales, ils sont en moyenne stables ou en légère augmentation depuis 2012. Certaines plantes ont toutefois des prix qui augmentent plus rapidement, comme le basilic.
La fourniture de plantes médicinales a souvent recours à la contractualisation. Depuis longtemps pour la filière pharmaceutique, se sont mises en place des filières intégrées avec une production incluse dans l'industrie.
On voit apparaître de plus en plus de commerce équitable Nord/Nord pour une juste rémunération du producteur. Se développe ainsi une contractualisation entre commerçants de PPAM, de tisanes ou d'huiles essentielles. Pour la production particulière de lavandes et lavandins, qui est la production majeure en France, la contractualisation est très fréquente grâce à l'action de l'interprofession.
Toutes ces plantes médicinales sont commercialisées par divers circuits, très différents selon les produits.
Concernant les huiles essentielles, une enquête réalisée pour Biolinéaires donne une idée des voies de commercialisation de la filière. Les magasins de produits biologiques sont le premier distributeur avec 57 % de parts de marché, suivis d'Internet qui occupe une place très importante. Les pharmacies représentent environ 10 % des ventes. Les ventes directes, qui représentent 3 % des ventes, les salons ou les foires sont des pratiques assez minoritaires.
Nous avons réalisé une étude sur les plantes médicinales vendues en pharmacie cette année. Si elle ne concerne que les pharmacies, elle donne une idée de la croissance de ce secteur. Les complexes d'huiles essentielles engendrent le plus gros du chiffre d'affaires devant les huiles essentielles unitaires en petits flacons, les infusions ou les médicaments en phytothérapie. Les infusions sont un tout petit marché, bien inférieur aux autres, mais cela s'explique par le fait que ce sont généralement des produits seulement séchés avec une faible valeur ajoutée par rapport aux autres produits. D'où la part de 4 % de chiffres d'affaires dans les comptes de résultat des pharmacies.
Justement, si on regarde les ventes d'infusions, en termes de tonnage, elles sont assez stables en volume et en valeur entre 2015 et 2017. Leur commercialisation se situe très majoritairement en grandes surfaces avec 3 378 tonnes en 2014, contre 117 tonnes en pharmacies et parapharmacies.
L'aromathérapie connaît en revanche une croissance très vive, le chiffre d'affaires des cinq entreprises françaises les plus importantes ayant connu une croissance de 20 % par an depuis 2009.
Enfin, la vente directe de PPAM est freinée par la règlementation. Les producteurs en vente directe nous ont demandé de réaliser une étude en 2016 qui faisait ressortir ce point. En chiffres cumulés, 60 % des 80 producteurs estimaient que la réglementation était un frein au regard notamment du coût des dossiers par exemple pour être conformes à la réglementation cosmétique. Les allégations écrites et orales constituent un autre frein : les producteurs ne savent pas ce qu'ils ont le droit de dire et d'écrire sur leurs étiquetages.
Ce qui ressort également de l'enquête, c'est que les PPAM vendues sont multi-usages. Pour vous citer un exemple, une huile essentielle de lavande peut être consommée dans un plat, appliquée sur la peau, mise dans un cosmétique pour parfumer une huile. Mais à un usage correspond une réglementation. Comme les consommateurs achètent ces plantes médicinales pour différents usages, il est compliqué pour les producteurs d'étiqueter leurs produits de manière optimale. C'est un point qui est ressorti de l'enquête, tout comme le flou autour des plantes autorisées.
M. Joël Labbé, rapporteur. - Merci pour cet exposé complet. La question des outre-mer n'a pas été abordée, alors que ces territoires présentent une ressource patrimoniale importante : avez-vous des données à nous communiquer à ce sujet ?
S'agissant du développement de nouveaux produits ou marchés, outre les huiles essentielles dont vous avez parlé, des innovations sont-elles à relever ?
Plus généralement, quelles évolutions réglementaires ou législatives seraient selon vous utiles pour le développement de la filière et des métiers liés à l'herboristerie ? Vous avez notamment abordé la question des allégations écrites ou orales.
M. Claude Chailan. - Une première spécificité tient au fait que ces filières sont pilotées par l'aval, où s'opère l'essentiel de l'innovation de produit. Il existe cependant aussi une part d'innovation dans les process et la modernisation de l'outil de production.
Le poids de la règlementation s'applique aux producteurs comme aux autres maillons de la chaîne - transformateurs, cosméticiens, etc. Les entreprises consacrent désormais 10 % de leurs effectifs aux questions règlementaires. Il s'agit d'une évolution très claire ces dernières années, liée notamment au règlement REACH qui impacte la profession. Les distillateurs de Provence, travaillant sur des installations rustiques fonctionnant quinze jours par an, ont été soumis aux mêmes contraintes que l'industrie chimique.
Le développement des filières dépend donc beaucoup de la question règlementaire. En termes d'accès à l'information, nous sommes en train d'établir un panorama complet de l'ensemble des règlementations qui s'appliquent, dans l'objectif d'aider les producteurs à s'y retrouver.
En ce qui concerne les outre-mer, la focale de notre exposé était volontairement restreinte au champ métropolitain, car c'est l'Office de développement de l'économie agricole des départements d'outre-mer (ODEADOM) qui étudie spécifiquement les productions ultramarines. On trouve dans les outre-mer des productions de petite taille mais avec des plantes spécifiques : géranium, vanille, bois de santal ou encore ylang-ylang à Mayotte par exemple.
Mme Marie-Pierre Monier. - Je vous remercie pour votre exposé. Vous avez parlé d'IGP/AOP pour le thym et les herbes de Provence : d'autres plantes postulent-elles à ce label ? Sur la taille des exploitations, avez-vous des données à nous fournir ? En tant que membre de la délégation aux droits des femmes, je suis curieuse de connaître les statistiques relatives au nombre d'exploitations tenues par des femmes. En termes de territoires, quels sont les départements qui comptent le plus de productions en PPAM ?
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Merci pour votre présentation. J'ai l'impression que vous vous sentez un peu seuls, dans la mesure où le chiffre d'affaires de la filière progresse de manière rapide et qu'il faut, dans le même temps, donner aux producteurs les moyens d'organiser cette croissance. J'imagine cela dit que des groupements se sont développés, sur le modèle de ce qui existe dans le domaine de la viticulture entre autres. Je serais donc intéressé de savoir quel type de structuration se met en place pour répondre à la dynamique en cours. Je voudrais aussi revenir sur la question de la contractualisation : s'effectue-t-elle à la demande de l'exploitant et comment est-elle organisée ?
M. Claude Chailan. - De petites productions, à l'instar du safran de Provence, essayent d'obtenir une IGP. Les plantes de Grasse - rose, jasmin, violette, fleur d'oranger - ont déposé un dossier auprès de l'UNESCO en vue d'une inscription au patrimoine mondial de l'humanité. La valorisation d'un signe officiel de qualité est plus facile s'agissant des plantes alimentaires, contrairement aux filières longues. La lavande, qui bénéficie d'une appellation d'origine depuis 1981, illustre bien cette difficulté à s'imposer dans les circuits classiques de parfum.
Il est compliqué de donner un chiffre global en ce qui concerne la taille moyenne des exploitations, eu égard à la diversité des espèces. Certaines productions sont réalisées de façon industrielle, alors qu'a contrario d'autres nécessitent un travail à la main, comme le safran. Par ailleurs, le hors sol représente une part très faible de la production, à la différence de l'horticulture.
Mme Alix Courivaud. - Une précision au sujet de la vente directe : ce sont souvent de petits producteurs qui possèdent moins d'un hectare.
M. Claude Chailan. - Toutes productions confondues, le premier département est la Drôme (lavande, lavandins et plantes aromatiques). Le Vaucluse et les Alpes de Haute-Provence ont également des surfaces de production importantes.
L'organisation économique est bien structurée et comporte treize coopératives : ces organisations de producteurs interviennent de la cueillette jusqu'au stade de la commercialisation. Il existe également des contrats entre producteurs et transformateurs, ou entre coopératives et industriels. La croissance actuelle de la filière n'est pas forcément un facteur d'amélioration de son organisation économique : comme le marché est demandeur, les producteurs se tournent surtout vers la coopérative lorsqu'ils rencontrent des problèmes. Dans le secteur lavandicole, l'organisation économique s'est principalement développée lors des phases de crise.
Dans un contexte de concurrence accrue, du fait des importations et d'un coût de la main d'oeuvre inférieur à l'étranger, les services associés à la qualité du produit sont désormais un critère à part entière : la teneur en principes actifs de la plante, la qualité bactériologique, la présentation du produit et sa traçabilité entrent davantage en ligne de compte. C'est donc un effet positif de la règlementation, qui conduit les sociétés utilisatrices à revenir vers la production française afin de respecter un cahier des charges plus strict qu'auparavant, intégrant notamment la RSE.
Mme Corinne Imbert, présidente. - Vous avez évoqué à plusieurs reprises la question de la règlementation, en disant qu'elle constituait d'un côté un frein et en même temps un aspect positif à travers la traçabilité, qui garantit une qualité globale des productions. S'agissant des points forts et des points faibles de la règlementation, pouvez-vous nous indiquer quels sont selon vous les plus marquants ?
M. Claude Chailan. - La règlementation impose des contraintes, ceux qui arrivent à s'y adapter ont un avantage. Pour compléter ma réponse sur la contractualisation : la haute traçabilité peut représenter un frein pour l'organisation économique des producteurs, puisque les industriels veulent avoir le producteur en direct. Actuellement, c'est d'ailleurs plutôt l'acheteur qui offre le contrat, car il souhaite assurer son approvisionnement.
Quant aux aspects négatifs de la règlementation, la pesanteur administrative n'est pas négligeable. Un producteur qui vend sur le bord de la route un flacon d'huiles essentielles est soumis à des obligations lourdes. Pour l'herboristerie, la vente directe a pris une place importante et les flux professionnels se sont organisés différemment, en réaction à une situation qui apparaît un peu bloquée en France.
Mme Angèle Préville. - Je vous remercie pour votre présentation. Je vais poser une question qui dérange : sur les labels de qualité dont bénéficie le thym de Provence, une recherche sur la radioactivité éventuelle fait-elle partie du cahier des charges ?
M. Claude Chailan. - Pas à ma connaissance. Il faut savoir que 80 % du thym de Provence acheté provient de Pologne.
Mme Angèle Préville. - Connaissant les besoins en herboristerie, existe-t-il une vision prospective sur l'évolution des cultures, le nombre d'hectares et les perspectives de croissance des marchés ? Peut-on développer des labels pour se protéger et favoriser les circuits courts ?
M. Claude Chailan. - Nous n'avons pas de données chiffrées, y compris pour les produits les mieux connus, sur l'évolution possible des marchés. Dans les années 1950, la production d'huile essentielle de lavande et de lavandin s'établissait à 1 000 tonnes, alors qu'elle est de nos jours de 1 400 tonnes. Il est difficile de prédire toutefois quelle sera l'évolution de cette production au cours des prochaines années. La concurrence de la chimie de synthèse est également une donnée à prendre en compte sur ce marché.
Mme Angèle Préville. - Lorsqu'on achète un produit qui comporte des molécules fabriquées à partir de la chimie de synthèse, ce n'est généralement pas précisé. Faudrait-il un étiquetage plus complet ?
M. Claude Chailan. - En principe, quand c'est naturel, cela est marqué.
Mme Claudine Lepage. - Une question très concrète : n'existe-t-il pas un problème de main d'oeuvre dans la filière des PPAM ? J'ai longtemps vécu en Allemagne et le tilleul était un produit extrêmement rare disponible uniquement en pharmacie, car personne ne voulait le cueillir. Cette difficulté se rencontre-t-elle en France ?
M. Claude Chailan. - En France, la question du coût n'est en effet pas négligeable : désherber du thym revient plus cher dans la Drôme qu'à la frontière polonaise avec l'emploi d'ouvriers ukrainiens. Trouver de la main d'oeuvre n'est pas non plus toujours évident, notamment pour certaines productions : la récolte du jasmin, très pénible, est presque compromise pour cette raison.
M. Joël Labbé, rapporteur. - Qu'en est-il de possibles évolutions législatives ou règlementaires ?
M. Claude Chailan. - Du côté de la vente directe, la question du multi usages me semble importante à traiter, en allant dans le sens de l'allègement des contraintes. La filière des parfums n'est pas exempte de problèmes règlementaires, avec l'an passé le cas des alcaloïdes pyrrolizidiniques, qui sont des mauvaises herbes poussant dans les parcelles. Les Allemands ont fixé une norme très sévère en la matière : pour des productions n'utilisant pas de produits herbicides, cette faible tolérance rend le travail particulièrement difficile.
M. Joël Labbé, rapporteur. - Pouvez-vous nous donner quelques éléments sur la production de pavot pour l'extraction de morphine à destination des laboratoires ?
M. Claude Chailan. - Il s'agit d'une filière totalement intégrée, avec une filiale de Sanofi, Francopia, qui gère tout le processus, de la sélection variétale des plantes jusqu'à l'extraction. La production de pavot est la première en termes de plantes médicinales, avec 13 000 hectares en France.
M. Joël Labbé, rapporteur. - Et pour la production du chanvre ?
M. Claude Chailan. - La France est un des principaux producteurs de chanvre textile en Europe. On s'est aperçu qu'en plus du tétrahydrocannabinol (THC), il y avait d'autres alcaloïdes non psychotropes dans le chanvre - le CBD -, qui possèdent des propriétés très intéressantes pour traiter des pathologies graves. D'où un problème de règlementation : pour une production de chanvre totalement autorisée, une extraction de CBD entraîne un effet de concentration et un dépassement du seuil autorisé de THC dans les produits intermédiaires. Des dérogations sont parfois accordées dans pareil cas, mais il existe un vrai sujet règlementaire au regard des perspectives intéressantes de développement que pourrait constituer l'usage du CBD.
Mme Corinne Imbert, présidente. - Il me reste à vous remercier pour votre intervention. Nous poursuivons nos travaux la semaine prochaine.
La réunion est close à 17 h 40.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.