- Mardi 20 mars 2018
- Mercredi 21 mars 2018
- Table ronde d'associations de l'« Entente gendarmerie »
- Table ronde de représentants de syndicats de la police municipale : Association nationale des cadres de la police municipale (ANCPM) ; CFTC-Police municipale ; Syndicat de défense des policiers municipaux (SDPM) ; Syndicat national des policiers municipaux (SNPM) ; Syndicat national de la sécurité publique (SNSP) ; Union syndicale professionnelle des policiers municipaux
Mardi 20 mars 2018
- Présidence de M. Michel Boutant, président -
La réunion est ouverte à 18 h 10.
Audition de M. Ivan Gombert, secrétaire national du syndicat national pénitentiaire Force ouvrière-Direction
M. Michel Boutant, président. - Nous auditionnons M. Ivan Gombert, secrétaire national du Syndicat national pénitentiaire Force Ouvrière-Direction. Les représentants du syndicat SNDP CFDT ont eu un empêchement.
Notre commission d'enquête s'efforce d'analyser les différents aspects du sentiment de malaise qui semble régner au sein des forces de sécurité intérieure, d'en comprendre les causes et de proposer des pistes d'amélioration.
Les auditions des représentants de la police et de la gendarmerie nationale nous ont permis de constater que, malgré les réformes récentes, certaines difficultés persistent au sujet de la répartition des missions entre les forces de l'ordre et les surveillants pénitentiaires. Ces difficultés concernent les transfèrements mais aussi le maintien de l'ordre au sein des établissements ou aux abords de ceux-ci. Il existe en outre un malaise propre au monde pénitentiaire. Vous pourrez aussi évoquer la mise en place du service de renseignement pénitentiaire.
Cette audition est ouverte à la presse. Elle fera l'objet d'un compte rendu publié. Un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Ivan Gombert prête serment.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Notre commission d'enquête a été constituée après la vague de suicides qui a touché la police et, dans une moindre mesure, la gendarmerie, et en réaction à l'expression, hors cadre syndical, d'une certaine colère des forces de police. Des manifestations et des blocages de centres pénitentiaires en janvier ont révélé au grand public le malaise des agents pénitentiaires. Quelles sont les causes profondes de ce malaise ? Quelles sont celles qui sont spécifiques à votre profession ? Quelles sont celles qui sont partagées avec les forces de sécurité intérieure ? Dans votre administration, comment les risques psychosociaux sont-ils détectés et, le cas échéant, pris en compte ? Comment les personnels sont-ils suivis ? Par quels services ? Votre administration éprouve des difficultés de recrutement, dues à la faible attractivité des salaires qu'elle propose, bien connus par l'opinion.
Les forces de sécurité intérieure protestent depuis des années contre les tâches indues, dont elles considèrent que certaines relèvent de l'administration pénitentiaire. Ainsi, le transfèrement des détenus vous a été confié, mais les forces de police et de gendarmerie continuent à être sollicitées pour cette mission. L'administration pénitentiaire manque-t-elle de moyens ou de compétences pour l'accomplir ? Les policiers se disent mobilisés de manière incessante par les centres pénitentiaires. Leur intervention est-elle inévitable ? Faudrait-il créer un corps dédié de police pénitentiaire ? L'administration pénitentiaire peut-elle assumer seul le maintien du droit et de l'ordre républicain dans les centres pénitentiaires et, si oui, à quelles conditions ?
Les forces de l'ordre se plaignent aussi des dysfonctionnements de la chaîne pénale. Vous qui êtes en bout de chaîne - mais qui pouvez aussi solliciter la justice lorsque vous êtes victimes de comportements délictueux de la part des détenus - qu'en pensez-vous ?
Qu'attendez-vous encore des chantiers de la justice ? Vos espoirs sont-ils comblés ?
Nous nous sommes demandé s'il nous fallait entendre des représentants de l'administration pénitentiaire, puisque nous nous focalisons sur les forces de sécurité intérieure. Or vous n'avez été raccrochés qu'à la marge au code de sécurité intérieure. Mais certains problèmes sont communs, et la solution de plusieurs autres passe par vous...
M. Ivan Gombert, secrétaire national du Syndicat national pénitentiaire Force ouvrière-Direction. - L'administration pénitentiaire ne gère les personnes détenues qu'en milieu carcéral, ainsi que pour les extractions hospitalières de courte durée et sans hospitalisation - et les transferts administratifs. Depuis les années 2000, se sont ajoutées les translations judiciaires, au fur et à mesure que nos équipes y ont été formées, en commençant par les plus petits tribunaux. L'an prochain, une nouvelle vague de transferts de charges sera lancée, et nous deviendrons compétents pour les translations judiciaires à Fresnes, Fleury-Mérogis et Villepinte. Certaines prises en charge sont effectuées par la police, car nous n'avons pas la compétence juridique correspondante. Il s'agit des gardes statiques à l'hôpital, à partir du moment où le titre d'hospitalisation est pris par le médecin : cela peut durer très longtemps, et je crois que c'est l'un des points de crispation pour les forces de l'ordre.
M. Michel Boutant, président. - On m'a parlé d'un cas où des gendarmes avaient dû transférer un détenu depuis la maison d'arrêt d'Angoulême jusqu'à Aix-en-Provence, où il devait comparaître. Cela prend du temps !
M. Ivan Gombert. - Il existe de nombreuses petites charges de ce type, comme le contrôle des domaines. Elles sont liées au fait que les surveillants pénitentiaires qui effectuent l'extraction ne sont pas armés.
Lorsque les détenus sont conduits à l'hôpital, ils sont accompagnés par des surveillants pénitentiaires non armés. En région parisienne, on dénombre trois ou quatre translations hospitalières par jour, un détenu étant accompagné de deux surveillants.
M. Michel Boutant, président. - Quel que soit le détenu ?
M. Ivan Gombert. - Les détenus particulièrement signalés, les DPS, au nombre de 350 environ en France, et les écrous terroristes, à partir d'un certain niveau, sont, eux, accompagnés par les forces de sécurité intérieure.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Les personnels sont-ils demandeurs d'une arme, l'administration a-t-elle refusé ? Ou est-ce l'inverse ?
M. Ivan Gombert. - Les textes ont évolué en 2016 pour permettre un élargissement des missions de l'administration pénitentiaire. Des équipes locales de sécurité pénitentiaires, les ELSP, ont été prévues, mais n'ont jamais été mises en oeuvre, dans aucun établissement pénitentiaire, par manque de moyens.
Aujourd'hui, nous disposons des équipes locales d'appui et de contrôle, les ELAC, à ne pas confondre avec les équipes régionales d'intervention et de sécurité, les ERIS, qui interviennent en cas d'incidents graves de nature à porter atteinte à la sécurité de l'ensemble d'un établissement. Les ELAC sont composées de sept agents, opérationnels sept jours sur sept, 365 jours par an, soit trois agents par établissement. Tous les établissements de la région parisienne en sont dotés, ainsi que les gros établissements de province et les maisons centrales.
Le but est de transformer les équipes d'extraction hospitalière et les ELAC et de les armer lors des extractions hospitalières. Cela implique d'augmenter le volume de l'armurerie et de former les agents. C'est compliqué à mettre en oeuvre.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Le fait que les agents ne soient pas armés n'a-t-il jamais posé de problème ?
M. Ivan Gombert. - Si, il y a des évasions, avec des complicités extérieures. Notre objectif est d'identifier les détenus susceptibles d'organiser une évasion à l'occasion d'une extraction hospitalière.
Il était prévu depuis le début 2016 que certains établissements pénitentiaires disposent de mallettes permettant d'analyser le téléphone portable d'un détenu découvert en cellule afin de connaître les contenus de ses échanges, notamment par SMS, avec l'extérieur. Or nous ne les avons toujours pas.
Les IMSI catchers, autorisés par la loi de 2016, permettent de faire de l'écoute tous azimuts, mais c'est une procédure compliquée, soumise à autorisation du Premier ministre.
Les mallettes ne sont pas considérées comme du renseignement au sens strict. Seule l'autorisation du parquet est requise.
M. Michel Boutant, président. - Ce sont des écoutes judiciaires, mais pas administratives ?
M. Ivan Gombert. - La mallette, c'est une procédure administrative nécessitant l'aval du parquet. S'il nous donne l'autorisation, le téléphone est analysé. Sinon, c'est qu'il souhaite judiciariser l'affaire. C'est systématiquement le cas lorsqu'un téléphone est trouvé dans la cellule d'un terroriste.
Cette procédure doit être distinguée de la procédure des IMSI catchers, de l'écoute au parloir ou en cellule, qui requièrent l'avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, la CNCTR.
M. François Grosdidier, rapporteur. - À cet égard, les détenus ont les mêmes garanties que les autres citoyens. Le simple fait d'appeler depuis une prison, alors que c'est interdit, ne permet pas de mettre en oeuvre la procédure des IMSI catchers ?
M. Ivan Gombert. - Non. Chaque demande doit être motivée.
Mme Gisèle Jourda. - Qu'advient-il du téléphone judiciarisé ?
M. Ivan Gombert. - Quand le parquet décide d'ouvrir une enquête, le téléphone est récupéré par la police judiciaire.
Mme Gisèle Jourda. - S'il n'est pas judiciarisé, vous pouvez l'analyser.
M. Ivan Gombert. - On compte une mallette par direction inter-régionale, sachant que la direction de Paris est la plus importante de France. Dans mon établissement, nous l'avons utilisée deux fois, alors que nous avons 900 téléphones à analyser ! En outre, le résultat n'est pas immédiat, alors que le téléphone peut contenir des informations dangereuses, sur d'éventuels risques d'évasion par exemple.
M. Jean Sol. - Quelle est la position des directeurs d'établissement sur la suppression des fouilles au corps ?
M. Ivan Gombert. - L'introduction des téléphones est une question très compliquée. Il n'y a effectivement plus de fouilles au corps dans les parloirs, sauf en cas de suspicion. Cela étant dit, il existe plusieurs sources d'entrée des téléphones portables : les projections, certains personnels, tels les membres d'associations, du service médical, de l'éducation nationale, de partenaires privés.
M. Michel Boutant, président. - Avez-vous les moyens de contrôler les personnels ?
M. Ivan Gombert. - Oui, mais la circulaire, suite à la loi de 2016, n'a pas été publiée.
Mme Isabelle Raimond-Pavero. - L'administration pénitentiaire connaît-elle un problème de recrutement et de fidélisation des personnels, compte tenu des menaces qui pèsent sur eux et sur leurs familles ?
M. Ivan Gombert. - Je n'ai pas de données statistiques, mais les menaces sur les personnels et leurs familles sont récurrentes.
L'administration pénitentiaire est une administration de contact. Les surveillants sont en effet au contact quotidiennement des personnes détenues, ce qui est source de tensions.
Nos difficultés de recrutement sont liées au fait que les profils recrutés ne sont pas toujours adaptés aux besoins du métier. Nous avons besoin de communicants, car un surveillant doit être capable de gérer une crise et de faire baisser la tension, de contrôler ses propos. Or nous recrutons aujourd'hui à des niveaux beaucoup trop faibles.
Nous avons également beaucoup de démissions. À titre d'exemple, l'année dernière, la direction inter-régionale de Paris a comptabilisé 500 démissions, sachant qu'une promotion, c'est 900 agents. Les meilleurs profils passent d'autres concours, de la police ou des douanes, ou les rémunérations sont plus élevées et les contraintes moindres.
Les surveillants peuvent se faire insulter en continu toute la journée. Imaginez ce que cela peut entraîner en termes de risques sociaux. Dans mon établissement, nous avons établi 26 comptes rendus d'incidents en une journée, alors que la commission de discipline ne peut en traiter que 30 en une semaine ! En outre, il est ensuite impossible de juger tout le monde en comparution immédiate.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Vous décrivez un système qui est complétement débordé.
Mme Isabelle Raimond-Pavero. - Existe-t-il des cellules psychologiques de soutien ?
M. Ivan Gombert. - Une psychologue, à compétence régionale, se déplace à la demande, sur rendez-vous, dans les plus brefs délais.
Mme Isabelle Raimond-Pavero. - Les conditions de travail se sont-elles dégradées ces derniers temps en termes de violence ?
M. Ivan Gombert. - Le problème est récurrent. Des surveillants disent que la situation s'est dégradée du fait de l'ouverture de la prison. Autrefois, l'administration pénitentiaire était très cloisonnée, autoritaire, l'état de droit y était très restreint.
L'état de droit, des commissions de discipline, des procédures ont été mises en place. La difficulté, aujourd'hui, c'est le traitement de la masse. Les capacités administratives et judiciaires sont insuffisantes pour traiter l'ensemble des dossiers.
Mme Isabelle Raimond-Pavero. - Y a-t-il de nombreux suicides chez les personnels ?
M. Ivan Gombert. - Une étude publiée il y a quelques années faisait état d'un taux plus élevé de suicides. L'administration peut vous la fournir.
M. Henri Leroy. - Quelles mesures d'urgence doivent être prises selon vous pour améliorer la situation ? Qu'en est-il des violences sexuelles dans les prisons ? La privatisation ne serait-elle pas la solution ?
M. Ivan Gombert. - Les syndicats réclament des états généraux de la prison.
Nous souhaitons une réforme des crédits de réduction de peine pour les profils de détenus les plus violents. La loi octroie aux détenus des réductions de peine par année de détention, ces réductions étant cumulatives. Le juge de l'application des peines, sur signalement du parquet ou à la demande du chef d'établissement, peut réduire ces crédits, à hauteur de trois mois par an. Nous demandons que, dans les cas les plus graves - prise d'otage, assassinat en détention, violences graves sur personnel -, l'intégralité des crédits puisse être supprimée. Cette réforme, vous pouvez la faire en tant que parlementaires.
Il faudrait également revoir le recrutement des surveillants et réformer le métier, mais cela demande une réflexion globale. Le métier de surveillant pénitentiaire est fondamentalement différent en Italie, en Suisse et au Danemark. Dans les pays scandinaves, le surveillant pénitentiaire effectue également des missions de probation. Le niveau de recrutement y est plus élevé. Les profils de surveillants sont différents. Ils sont capables de dialoguer avec les détenus. En situation de crise, il faut maîtriser certaines techniques. À cet égard, la formation de six mois en France est largement insuffisante.
Les prisons peuvent-elles être privatisées ? Imagine-t-on que l'on puisse privatiser la police ?
M. Henri Leroy. - Une délégation de service public ? Cela se fait en Allemagne.
M. Ivan Gombert. - Cela se fait pour la probation dans de nombreux pays européens, en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas. En milieu fermé, cela me paraît plus compliqué. Cela s'est fait en Grande-Bretagne et aux États-Unis, mais cela a été un échec. Aux États-Unis, un juge a été corrompu : il faisait incarcérer des gens pour permettre à la prison privée de gagner de l'argent et d'obtenir des subventions !
La prison est une mission régalienne de l'État.
M. Dominique de Legge. - Quel est l'impact de la lourdeur des procédures dans les causes du malaise des prisons ? Par ailleurs, avez-vous le sentiment que l'administration pénitentiaire et les magistrats ont la même vision de la justice et des problèmes posés ?
M. Ivan Gombert. - La surpopulation carcérale n'est pas nouvelle. Notre parc immobilier a toujours été sous-calibré par rapport à celui de nos voisins européens. Aujourd'hui, on estime qu'il manque 15 000 places de prison en France. Cela étant dit, l'administration ne souffrait pas de la même manière. Aujourd'hui, avec le développement de l'état de droit, on est saturé de procédures écrites. L'administration pénitentiaire fonctionnait beaucoup à l'oral. Aujourd'hui, tout se fait par écrit, tout est plus compliqué, et on perd beaucoup de temps, notamment depuis l'arrêt Marie de 1995 et le développement des procédures disciplinaires.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Les policiers demandent l'oralisation des procédures, car tout est enregistré. Les procédures sont-elles enregistrées dans l'administration pénitentiaire ?
M. Ivan Gombert. - Non. Il me semble difficile de trouver une solution à ce problème. On a voulu faire entrer l'état de droit en prison, c'est normal, il faut maintenant l'assumer.
Aujourd'hui, les caméras en détention n'enregistrent que les images. Notre syndicat avait envisagé d'équiper les surveillants pénitentiaires de caméra enregistrant également le son. Cela permettrait aux détenus de prendre conscience de ce qu'ils disent et de lutter contre les incivilités. En outre, un détenu ne pourrait plus nier avoir insulté un surveillant.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Avez-vous le sentiment, comme les policiers, que la parole des surveillants est mise sur le même pied d'égalité que celle des détenus par les magistrats ?
M. Ivan Gombert. - On ne peut pas dire cela. Cela dépend du magistrat. Certains sont plus pro-pénitentiaire, d'autres plus pro-détenus. C'est très individuel. Il serait très malhonnête de dire que l'institution judiciaire est contre l'administration pénitentiaire. Les magistrats ne remettent pas systématiquement en cause la parole des surveillants.
Il est vrai que le délai de traitement des procédures est parfois un peu long. Pour les agressions physiques, c'est rapide mais pour les insultes, c'est plus long, voire non traité.
Mme Gisèle Jourda. - Vous avez évoqué les difficultés du personnel, conduisant à des démissions. Comment la formation est-elle abordée ? Les jeunes embrassent cette profession avec des ambitions, les aide-t-on à les accomplir ? Les problèmes que vous évoquez se posent-ils dans les mêmes termes pour le personnel féminin ?
M. Ivan Gombert. - Il n'y a aucune différence.
Mme Gisèle Jourda. - Même dans les démissions ?
M. Ivan Gombert. - Même les surveillants transsexuels ne rencontrent aucune difficulté. C'est un non-sujet. La seule différence est que les surveillantes ne peuvent pas effectuer les fouilles au corps et qu'elles sont parfois - parfois - limitées physiquement en cas d'intervention - mais l'existence des équipes de sécurité locales lève cette restriction.
La formation initiale a été réduite de neuf à six mois, ce qui à mon sens est trop court. En effet, l'administration pénitentiaire n'a pas bien anticipé la hausse de ses effectifs : nous ne disposons que d'une seule école, l'ENAP, qui doit former de plus en plus de personnes à de nouvelles missions. Ce n'est qu'à présent que de nouveaux bâtiments y sont construits.
M. François Grosdidier, rapporteur. - La formation initiale des policiers est de sept mois. La formation initiale est-elle aussi complétée, chez vous, par des modules de formation continue, au moins en début de carrière ?
M. Ivan Gombert. - Ce serait idéal mais, dans les gros établissements de Paris, Marseille ou Lyon, où sont affectées les jeunes recrues, les effectifs sont insuffisants pour cela.
M. Michel Boutant, président. - Et les demandes de mutation s'y multiplient...
M. Ivan Gombert. - Une solution pourrait être de généraliser les équipes régionales d'appui à la formation (ERAF), qui ont été expérimentées à Rennes, et sont en fait des équipes de remplacement.
Mme Gisèle Jourda. - Ne croyez-vous pas, surtout, qu'il faudrait insister sur la formation initiale ? La formation continue s'adresse à un personnel déjà fidélisé. Or, à quel moment les déperditions que vous évoquez sont-elles les plus fortes ?
M. Ivan Gombert. - Surtout pendant les deux premières années.
Mme Gisèle Jourda. - C'est bien pourquoi l'effort doit porter sur la formation initiale, qui sécurisera les jeunes recrues.
M. Ivan Gombert. - Les surveillants sont souvent formés dans les établissements pour peine, apaisés, avant d'être affectés dans les établissements parisiens, qui sont les plus difficiles. Ils vivent alors un véritable choc carcéral.
M. François Grosdidier, rapporteur. - C'est comme passer d'un petit commissariat de province à la banlieue parisienne...
M. Ivan Gombert. - Ou de la maison d'arrêt de Saint-Malo à Fleury-Mérogis ! Quant à la formation initiale, nous n'avons qu'une école pour un total 40 000 personnes, contre sept pour la police.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Qui sont aussi saturées ! La solution peut être la formation continue...
M. Ivan Gombert. - Mais envoyer un agent en formation génère automatiquement, pour le remplacer, des heures supplémentaires - donc de l'épuisement professionnel, dans un milieu tendu et stressant, sans parler des difficultés d'ordre personnel.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Nous avons observé la différence entre la police, où règne un esprit de caste, et la gendarmerie, unie par l'esprit de corps. J'ai été choqué de voir que, dans une prison, un mouvement social avait pour première revendication le départ du directeur. Est-ce un cas isolé, ou révèle-t-il une césure entre les personnels de direction et la base ?
M. Ivan Gombert. - C'est un cas isolé et ponctuel.
M. François Grosdidier, rapporteur. - La hiérarchie est donc proche du personnel et le soutient en cas de difficulté ou d'agression.
M. Ivan Gombert. - Oui. Il n'y a pas de défiance envers la direction.
M. Michel Boutant, président. - Comment peut évoluer professionnellement un gardien ?
M. Ivan Gombert. - Il peut aller jusqu'à des postes de directeur, cela s'est vu. L'ancien secrétaire général de FO direction est désormais sous-directeur, alors qu'il était surveillant. L'ascenseur social dans notre administration est très puissant. Elle recrute d'ailleurs beaucoup dans les DOM-COM.
La réunion est close à 19 h 30.
Mercredi 21 mars 2018
- Présidence de M. Michel Boutant, président -
La réunion est ouverte à 14 h 15.
Table ronde d'associations de l'« Entente gendarmerie »
M. Michel Boutant, président. - Notre commission d'enquête poursuit ses travaux avec l'audition de représentants d'associations membres de l'Entente gendarmerie.
Je rappelle que l'Entente gendarmerie a été créée le 31 mars 2016 par le regroupement des Amis de la Gendarmerie et de six autres associations, qui ont décidé de mettre en commun leurs compétences afin de promouvoir et de défendre les valeurs de la gendarmerie nationale et d'oeuvrer, notamment, en faveur des familles et des retraités de l'institution.
Notre commission d'enquête s'efforce d'analyser les différents aspects de l'actuel sentiment de malaise qui semble prévaloir au sein des forces de sécurité intérieure. Nous souhaiterions en conséquence que vous nous fassiez part de votre analyse sur l'état d'esprit actuel des personnels de la gendarmerie nationale, mais aussi sur les difficultés que rencontrent leurs familles, dans la mesure où ces difficultés peuvent avoir un effet très important sur l'état d'esprit et le moral des militaires.
Cette audition est ouverte à la presse. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié. Enfin, je rappelle, pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-14, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite, chacun d'entre vous, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, les personnes entendues prêtent serment.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Notre commission d'enquête a été constituée après l'expression d'un mouvement de colère dans la police, en dehors du champ syndical. Il ne semble pas y avoir eu de mouvement symétrique dans la gendarmerie. Il fait notamment suite à une série de suicide chez les policiers. La gendarmerie a également été touchée - dans une moindre mesure.
Les causes de ce malaise sont multifactorielles et certaines sont partagées par la police et la gendarmerie : la question du sens de leur action, l'insuffisance des moyens, la question d'une réponse pénale adaptée, les difficultés d'exercice des missions liées à des insuffisances budgétaires sur le long terme.
La gendarmerie possède des spécificités en raison de son appartenance au corps militaire. Peut-être est-ce la raison pour laquelle elle résiste mieux à l'adversité que les policiers dont beaucoup sont victimes de ce que l'on a appelé le syndrome de Magnanville.
En ce qui concerne les suicides, qu'a-t-il été fait pour la prévention des risques psycho-sociaux ? Comment peut-elle être améliorée ? Nous nous intéressons également aux conditions de travail et de vie, qu'il s'agisse de l'armement, de l'informatique, ou du logement des familles.
Comment expliquer qu'il n'y a pas eu d'expression de colère chez les gendarmes, même si par le passé les familles de gendarmes se sont exprimées ? En ce qui concerne les conditions sociales, où en est-on de l'application du protocole social dit « PPCR » signé le 11 avril 2016 ?
Pouvez-vous nous parler des lourdeurs de procédures qui mobilisent aujourd'hui l'essentiel du temps de nos forces de sécurité ? On dit ainsi que les deux tiers du temps sont désormais consacrés à la procédure, contre un tiers au terrain. La gendarmerie aurait fait des propositions dans le cadre de chantiers de la justice. Or seules un dixième d'entre elles auraient été prises en compte. Il faut trouver le moyen de faire revenir le gendarme sur le terrain, ce qui constitue son ADN. Mais, pour cela il est nécessaire de leur dégager du temps.
Y a-t-il par ailleurs une insuffisance de la réponse pénale ?
Enfin, on sait que 2 500 postes devraient être créés dans la gendarmerie. Toutefois, ils ne suffiront pas à faire face aux conséquences de l'application de la directive travail, qui devrait entraîner une diminution de 6 000 ETP.
Général Edmond Buchheit, président du Trèfle. - Le trèfle représente les officiers de gendarmerie. Toutefois, je parlerai ici au nom de mon expérience personnelle. Mais, si j'évoquerai le ressenti actuel, je ne peux pas mettre en face des réalités précises, n'étant plus en service.
En ce qui concerne les suicides, il est difficile de comparer la police nationale et la gendarmerie nationale. En effet, les effectifs et les chiffres sont très différents. En outre, ces derniers ne prennent pas en compte les tentatives de suicide. La gendarmerie nationale a fait un travail important à ce sujet. Des groupes de travail ont été mis en place, en s'inspirant d'initiatives locales, le commandement s'est mobilisé. Ces cellules jouent un rôle fondamental, mais que l'on ne peut traduire en chiffres. En outre, les raisons professionnelles sont rarement la cause principale de suicide, même si cela peut jouer. À mon avis, pour pouvoir évaluer le malaise, il faut s'intéresser aux arrêts maladie. Au constate en effet, dans la gendarmerie, quelques temps avant la survenance de crises, une augmentation des arrêts maladie. Concrètement, le chiffre est aux alentours de 3% et est resté stable, sauf à la veille de la crise de 1989. Cela a également été le cas par exemple en 1993.
L'état d'esprit reste bon dans la gendarmerie nationale, en comparaison de ce qu'il était à la veille de la crise de 2001 où on sentait que cela n'allait pas.
Toutefois, il y a un ressenti de non-compréhension et d'insatisfaction du personnel. Il y a en effet un décalage entre ce qui est demandé au gendarme et les moyens qu'on lui alloue. Beaucoup ont l'impression de faire un travail qui ne suffit pas. Le traitement des petites affaires est également source d'insatisfaction : il y a un manque d'effectifs et de moyens.
Vous avez évoqué le protocole social. Certains personnels ont l'impression d'être moins bien traités que la police nationale. Je donnerai juste un exemple. La clé de répartition des 10 000 effectifs supplémentaires entre 2 500 postes pour la gendarmerie, et 7 500 pour la police n'est pas comprise. Certes il faut augmenter les moyens du renseignement. Mais la gendarmerie fait aussi du renseignement. En outre, on m'a dit qu'il y avait des différences d'exécution du protocole social entre la gendarmerie nationale et la police.
Troisièmement, le personnel est rattrapé par la baisse des effectifs de la RGPP de 2007. Les annonces récentes qui ont été faites ne permettront pas de revenir aux effectifs antérieurs à la RGPP. On a en effet imposé une diminution de 6 200 effectifs à la police et à la gendarmerie nationale, alors que les effectifs totaux de chacun sont très différents.
Quatrièmement, la réserve dispose de moins de moyens qu'auparavant. Cela ne se voit pas au premier abord, mais cela entraîne également un ressenti négatif.
En ce qui concerne la police judiciaire, l'impression d'absence de réponse pénale joue, tout comme la lourdeur des procédures.
Il est important de bien écouter la base, notamment pour des modifications pratiques de la politique pénale. Sinon, le projet de loi risque, en voulant simplifier les procédures, de les complexifier au contraire.
En conclusion, je dirai que l'on sent une tension. Je ne sais pas très bien à quel degré elle se situe, mais je recommande au commandement de bien écouter.
Général Jean Collin, Président des amis de la gendarmerie. - Avant tout, je souhaite indiquer que je n'ai pas la prétention de représenter le commandement. Les amis de la gendarmerie regroupent d'anciens gendarmes, mais aussi des parlementaires, des ouvriers et des ingénieurs.
Pour comprendre la réaction de la gendarmerie nationale, il faut avoir à l'esprit que le gendarme est loyal, en ce sens qu'il va travailler avec le budget donné et exécuter au mieux les missions qui lui sont confiées. Un militaire fait passer la mission avant tout, même si le budget et les effectifs alloués ne sont pas au rendez-vous. Toutefois, il est très attentif à deux choses. La première est la justice : les sacrifices qu'il consent sont-ils justes ? La deuxième est l'équité, par rapport aux autres militaires, mais aussi avec nos collègues de la police nationale.
C'est une remise en cause de ces deux points qui ont conduit aux tensions. Ainsi, en 2001, l'élément déclencheur a été l'équité.
En ce qui concerne le logement et l'immobilier de la gendarmerie, on nous a parlé d'un plan d'urgence immobilier : 100 millions d'euros par an pendant la durée du quinquennat. En entendant cela, j'hésite entre trois rédactions : le rire, les pleurs ou la colère. Afin d'apprécier les besoins, je recommande de discuter avec des bailleurs sociaux ou des sociétés d'immobilier et de leur poser trois questions. Il faut tout d'abord les interroger sur leurs besoins pour l'entretien courant des logements. Il faut compter 10 euros par mètre carré, qu'il faut multiplier par les 12 millions de mètre carré de logements de gendarmerie loués. À cela s'ajoute la maintenance que doit assurer tout propriétaire en prenant en compte la vétusté de notre parc. Ces sociétés estimeraient le coût à 15 à 20 euros le mètre carré, à multiplier par les 6,5 millions de mètres carré de nos casernes. Enfin, il y a la capacité de construction, restructuration ou modélisation de logement. À ces trois points s'ajoute la question de savoir si la gendarmerie à des besoins spécifiques, par exemple des centres opérationnels ou la construction d'une nouvelle école à Dijon. Au final, pour avoir sur la durée un parc satisfaisant, il faut compter un investissement de 250 à 300 millions d'euros par an pendant la durée du mandat - une estimation à mettre en regard des 100 millions d'euros annoncés.
En ce qui concerne l'équité, on m'a dit que le budget de la gendarmerie augmenterait de 101 millions d'euros en 2018, contre 195 millions d'euros pour la police nationale, alors même que cette dernière n'a pas de parc immobilier comparable à entretenir. En effet, seul un quart des policiers sont logés.
Le véhicule est la variable d'ajustement la plus facile. On ne peut pas jouer sur le carburant, car cela remettrait en cause les missions confiées. Dans la construction budgétaire, on n'a pas pris en compte l'augmentation du coût du carburant et notamment du diesel. Cela entraîne un surcoût de 3 millions d'euros. Les unités auront le carburant pour effectuer leur mission, mais du coup le service national gérant les moyens va répercuter cette hausse des coûts sur les équipements, dont les véhicules. Or, les équipements de la gendarmerie souffrent déjà des insuffisances budgétaires précédentes.
Colonel Jean-Pierre Sobol, président de l'association nationale des Réservistes et des Sympathisants de la Gendarmerie. - Je suis un ancien réserviste issu de la société civile. Dans le cadre de mes fonctions, j'ai été amené à être en haut d'une pyramide de 1 365 personnels. J'ai transmis à la commission un certain nombre de chiffres. J'ai également apporté un exemplaire de la revue de notre association, laquelle comporte des témoignages de réservistes opérationnels et des entretiens avec le général en charge des ressources humaines.
Le commandement de la gendarmerie est particulièrement attentif à la question des suicides. Une chaîne d'informations a été mise en place pour prévenir les incidents de ce type.
Les contrats ESR (engagement à servir dans la réserve) représentent 30 000 personnels qui font des permanences sur leur week-end, et leur temps de vacances. Cela représente un million de jours d'activité en 2017. Dans 68% des cas, ils assurent des missions d'ordre et de sécurité publics. Les réservistes ont des états d'âme, motivés par les réductions budgétaires. En 2017, le budget était de 90 millions d'euros. La réserve vient de subir une réduction de 28 millions d'euros. C'est très dur pour nos réservistes qui souhaitent être utiles à l'intérêt général de s'entendre dire en fin d'année qu'ils ne peuvent pas être réemployés l'année suivante par faute de moyens.
Dans le cadre des travaux pour notre revue, nous avons abordé la question de la réponse pénale. Celle-ci est vue comme non adaptée à la délinquance et à la criminalité.
Capitaine Renaud Ramillon-Defforges, président de la fédération nationale des réservistes opérationnels et citoyens de la Gendarmerie Nationale. - Le gendarme s'insère dans une réalité territoriale et sociale, à l'heure de la France périphérique, urbaine et périurbaine pour reprendre la classification de Christophe Guilluy. On constate trois grandes tendances : tout d'abord les consommateurs de sécurité, ce que certains appellent les hédonistes sécuritaires. Ensuite, dans beaucoup de territoires, la gendarmerie nationale incarne le lien entre ces derniers et l'État. Enfin, il y a des zones que certains appellent de non-droit, ou plutôt d'un droit appliqué qui n'est pas celui de l'État républicain.
De manière générale, on constate un phénomène de remise en cause de l'autorité de l'État. À titre d'exemple, lors des contrôles routiers, une réaction régulière est de dire : « pourquoi moi, et pas la voiture qui vient de passer » ou encore « pourquoi moi, alors que les délinquants ne sont pas inquiétés ».
La gendarmerie est marquée par la loyauté, mais aussi par l'innovation, venant du terrain. Ainsi, sur proposition d'unités de gendarmerie a été développée la main courante gendarmerie. De même, la brigade NUMA est issue de réflexions de terrain, tout comme l'application MINOTAUR, venant du sud-ouest de la France, qui permet aux réservistes de poser en temps réel leurs disponibilités.
Pour moi, il est important d'avoir une vision globale de la sécurité, et de s'interroger et dialoguer sur la place de la gendarmerie, de la répartition gendarmerie nationale-police nationale, mais aussi avec la police municipale et les sociétés de sécurité privée. Une réflexion doit également être menée avec la justice. Nous organisons le 3 mai prochain une rencontre entre les élus, la gendarmerie nationale et la justice. Dans le cadre d'une réunion de préparation, un officier adjoint de commandement d'un groupement rencontrait pour la première fois le substitut du procureur de son territoire. On constate que les acteurs se connaissent mal.
Enfin, comme pour beaucoup de fonctionnaires, se pose la question du sens de l'action de l'État. Rien n'est pire pour un gendarme que de ne pas pouvoir faire quelque chose car il n'a pas les moyens de le faire. Il faut également réfléchir à la philosophie du code pénal et de procédure pénale. Quel doit être le but de l'allégement de ces codes ? Toute réforme doit réussir à conserver l'équilibre entre d'une part les libertés et d'autre part les outils nécessaires pour retrouver les auteurs des infractions.
Un point important de malaise pour les réservistes de la gendarmerie nationale se situe dans la protection sociale. Le réserviste, une fois qu'il a fini sa mission, redevient un civil comme un autre, et n'est plus protégé par l'armée. Se pose alors la question de la prise en charge d'un réserviste lors d'un accident. La gendarmerie nationale a fait beaucoup de choses, notamment dans le traitement des dossiers. Mais des problèmes demeurent, dans les dossiers traités par les SGAMI, en raison de budgets insuffisants pour payer les indemnités, ou encore de personnels SGAMI insuffisamment formés pour prendre en compte ces situations. Les délais de traitement sont alors très longs.
Enfin pour les équipements, les réservistes sont équipés à partir des dotations en équipement des gendarmeries.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Y-a-t-il un gilet pare-balle pour chaque réserviste ?
Capitaine Renaud Ramillon-Defforges. - Nous utilisons le principe du gilet pare-balle tournant. Cela pose ainsi problème en termes de corpulence, mais aussi entre les hommes et les femmes. Des efforts ont toutefois été faits. Cependant, ce sont les fabricants de ces gilets qui ont du mal à fournir l'ensemble des services, et les délais de livraison s'allongent. Des efforts budgétaires importants ont été consentis après les attentats de 2015, mais il faut rattraper les retards accumulés.
De même, en matière d'armement, nous utilisions il y a encore peu de temps le SP 2022. La décision a été prise de revenir à l'ancienne arme, car, il était nécessaire de faire face à un recrutement important dans la gendarmerie nationale et de pouvoir les armer rapidement. Il y a ainsi eu un moment de flottement. En outre, l'arme que nous réutilisons désormais - le PA MAS G 1 - dispose d'un étui en cuir qui a un temps d'action-riposte plus long de 1 à 2 secondes. Or, ce délai est extrêmement important. Et, à mon avis, le fait de devoir ressortir ces armes, les reconditionner, et reformer l'ensemble des réservistes n'a pas permis de faire les économies espérées.
Nous sommes régis par les mêmes textes que les gendarmes. Nous pouvons ainsi utiliser les mêmes armes qu'eux. Par ailleurs, nous sommes désormais autorisés à utiliser les armes longues.
Le réserviste peut être le multiplicateur keynésien de la sécurité, parce qu'il est recruté dans les territoires. Par sa présence, il doit devenir coproducteur de sécurité, en lien avec les acteurs locaux.
Les relations entre réservistes et employeurs sont toujours problématiques. Si on veut impliquer les réservistes dans les fonctions de contact et les fidéliser, il faut trouver une solution, en se mettant autour de la table avec les partenaires sociaux.
En matière budgétaire, je suis conscient du principe d'annualité, mais il faudrait donner une certaine sécurité budgétaire aux chefs d'unité. Les fortes variations d'une année sur l'autre les empêchent de gérer efficacement ces effectifs. On l'a vu avec la RGPP qui a conduit à limiter les effectifs des réservistes, et a entraîné la perte de personnels bien formés.
M. François Grosdidier, rapporteur. - En 2017, nous étions à 2 800 réservistes par jour. En 2018, il n'y en aura que 1 900 par jour.
Mme Isabelle Raimond-Pavero. - Pouvez-vous nous donner plus de précision sur le statut des réservistes blessés ? Lorsque vous parlez des indemnités, s'agit-il du régime d'invalidité civil ou d'un statut militaire ?
Capitaine Renaud Ramillon-Defforges. - Les fonds sont versés ou bien avec beaucoup de retard, ou ne sont pas versés en raison d'un manque de budget. Quand un réserviste est blessé, cela relève du régime de responsabilité sans faute de l'État car le législateur en 1999 avait vu la difficulté. Pour certains réservistes toutefois, une interruption temporaire de travail même d'une semaine, peut avoir des effets graves sur leurs budgets personnels.
Général Edmond Buchheit. - Il y a également un problème de capacité de traitement des cas individuels, par rapport au traitement des militaires actifs qui est peut-être plus diligent.
Colonel Jean-Pierre Virolet, vice-président de l'Union nationale des personnels et retraités de la gendarmerie (UNPRG). - Monsieur le président, je remercie la commission d'enquête d'avoir invité les associations membres de l'Entente Gendarmerie. Je parlerai au nom de l'Union nationale des personnels et retraités de la gendarmerie (UNPRG), qui représente de 30 000 actifs, retraités et sympathisants sur le territoire métropolitain et outre-mer. Nous publions un journal, L'Essor, que vous devez connaître.
Comme l'a déjà souligné le secrétaire général du Conseil supérieur de la fonction militaire (CFMG) lors de son intervention ici même, il y a trois types de difficultés : les effectifs, le budget et les missions. Je n'interviendrai que sur celles liées aux missions, en particulier en ce qui concerne la police de la sécurité au quotidien (PSQ).
Force est de constater que la gendarmerie a toujours été au contact et à proximité des citoyens selon des valeurs intrinsèques, fortes d'une pratique multiséculaire. Malheureusement, pour des raisons diverses et variées, ces valeurs se sont estompées (réductions d'effectifs, fermetures de brigades, accroissement des tâches, manque de crédits de fonctionnement...).
Le directeur général de la gendarmerie n'a pas attendu le récent discours du ministre de l'intérieur pour prendre des mesures qu'il convient de développer pour reconquérir les territoires abandonnés, en s'appuyant sur les brigades de contact qui constituent de véritables points d'ancrage. Ce dispositif a pour seule mission d'aller au contact de la population. Il doit être développé selon la méthode de la déconcentration et de l'intelligence locale. L'idée est de laisser la main aux unités de base pour trouver des solutions adaptées à chaque territoire.
Les relations entre les actifs et les retraités faisaient partie de nos fondamentaux, mais les choses ont malheureusement changé. Au cours d'un entretien le 12 décembre 2017 avec le DGGN, l'UNPRG a insisté sur le fait qu'il y avait plus de 100 000 retraités de la gendarmerie au niveau national et qu'ils peuvent être utiles pour des missions de renseignement. Il existe déjà des dispositifs : les voisins vigilants, des chartes dans certaines communes... Dans les Ardennes, une charte a ainsi été signée le 3 mars.
Combien de personnes pourront être ainsi mobilisées ? Un tiers des personnes qui sont parties ne reviendront certainement pas. D'autres sont prudents, mais je pense qu'il est possible de compter sur environ 30 000 à 40 000 retraités de la gendarmerie pouvant être utilisés comme agents de renseignement. Un référent d'active doit leur être assigné, ces postes devant être des emplois à temps plein afin de traiter la question correctement.
Des locaux (anciennes brigades, bâtiments communaux...) et du matériel sont aussi nécessaires. Il faut également développer les tablettes numériques : actuellement, un seul véhicule est équipé d'une tablette par unité, les autres gendarmes disposant uniquement de smartphones.
Il faut développer une filière dédiée au renseignement, qui inclue des formations et puisse devenir une dominante de carrière au même titre que le judiciaire. La détection des « signaux faibles » passe aussi par nos campagnes. Je rappelle que le département des Ardennes a été occupé pendant les dernières guerres et qu'il est un point de passage du terrorisme, notamment avec la Belgique ; des affaires récentes l'ont démontré. Il faut aussi recruter des analystes pour le traitement du renseignement.
Des expériences sont actuellement menées et il faudra évaluer la manière dont tout cela fonctionne, en particulier le sort réservé aux fiches de renseignement sécurisées.
M. Jean-Claude Fontaine, président de la Fédération nationale des retraités de la gendarmerie (FNRG). - La Fédération nationale des retraités de la gendarmerie représente environ 12 000 adhérents.
Je vais revenir tout d'abord sur la question
des suicides. Il faut bien se rendre compte que
l'incompréhension, la douleur que suscitent toujours
ces actes autodestructeurs, même au-delà de
l'entourage immédiat du militaire ayant mis fin
à ses jours, amènent aussi
- et c'est
bien compréhensible - beaucoup de doutes, et parfois des mises en
cause sur des dysfonctionnements institutionnels, réels ou
supposés. La nature même du fait, qui touche forcément
à la vie professionnelle et familiale d'un homme ou
d'une femme, donne lieu à une enquête judiciaire
et fait obstacle à toute mise sur la place publique (secret de
l'enquête, mais aussi protection de la vie
privée) et à des explications suffisamment
détaillées, même si elles sont connues, ce qui loin
d'être toujours le cas. À défaut, les
formules génériques lapidaires d'un suicide qui
ne serait pas en rapport avec le cadre professionnel laissent le plus souvent
perplexes ou sceptiques.
Les gendarmes ont-ils le moral ? Il y a beaucoup d'inquiétudes qui sont liées à la crise et à l'impact qu'elle peut avoir sur la pérennité des acquis. Nombre de gendarmes estiment aussi que les difficultés de l'exercice du métier de gendarme sont sous-estimées et que les autorités manquent de volonté devant l'urgence de corriger la carte des implantations des unités.
D'autres personnes sont ébranlées par la fragilisation du métier, notamment en raison du déficit d'attractivité du travail des brigades territoriales et du défaut de reconnaissance des militaires les plus exposés au danger.
Le gendarme est en grande difficulté face à des outils en constante évolution et ne comprend plus les décisions des autorités, dont l'action a fait reculer son efficacité sur le terrain. Il est quotidiennement confronté à sa propre perte d'autorité. Il vit une crise identitaire et craint de voir sa condition, déjà difficile, s'affaiblir davantage.
Les gendarmes sont inquiets de voir leur institution tomber sous son seuil de crédibilité budgétaire ; le manque de marge financière les touche de plus en plus fortement dans leurs activités quotidiennes et entraîne un déficit de sécurité pour leurs missions.
Ils constatent des restrictions opérationnelles, alors que la culture du résultat reste présente, et subissent une dégradation de leurs conditions de logement - ils sont mal entretenus -, ce qui pénalise aussi leurs familles. L'ambiance générale est morose, le moral des militaires continue à se dégrader et cela se traduit par du silence et de la résignation.
En ce qui concerne la gendarmerie mobile, il y a une multiplication des déplacements, ce qui a forcément des conséquences sur la vie de famille.
La chaîne de concertation mise en place n'arrive pas à convaincre tous les gendarmes, qui voient en elle un effet placébo, permettant seulement de tempérer les ardeurs des plus remontés et de « noyer le poisson ». Si les inquiétudes semblent remonter sans distorsion du terrain vers les décideurs, cela n'entraîne aucune mesure concrète visant à faciliter le quotidien des unités, qui ne rechignent pas à la tâche.
En conclusion, pour cet état des forces de sécurité intérieure, il y a beaucoup à dire. Il y a du bon, du moins bon et du très mauvais. Pour ce qui est de la gendarmerie, nous sommes en pointe dans bien des domaines et aussi dans des projets à court et moyen terme. Nous avons de grandes qualités professionnelles. Cette machine, assez exceptionnelle et enviée par bien des pays, donne le meilleur d'elle-même, mais à quoi bon si son action n'est pas relayée comme il se doit, notamment dans le domaine judiciaire avec une magistrature parfois hors-sol et des règles de procédures d'un autre âge.
Le domaine du casernement est une véritable catastrophe et certaines situations sont inadmissibles. Il en est de même pour une bonne partie du matériel courant, comme les véhicules. On nous demande des résultats, alors que le matériel adéquat est très peu disponible. Le ministre de l'intérieur a fait des annonces d'amélioration budgétaire, mais c'est en grande partie en supprimant d'autres lignes ou en les imputant de façon inadmissible. Nous sommes donc repartis dans une spirale, que les anciens ont déjà connue. Il y a des annonces, de l'affichage, mais le terrain souffre et ce n'est pas parce qu'un ministre visite une brigade que le quotidien va mieux.
Colonel Patrice Gras, président, Les ailes de la gendarmerie. - Monsieur le président, notre association Les ailes de la gendarmerie regroupe les anciens et les actifs des formations aériennes de la gendarmerie, seules forces spécialisées en matière de police judiciaire et administrative et de maintien de l'ordre dans la formule de soutien 3D. Ces forces travaillent aussi avec la police nationale et les douanes.
Nous constatons aussi beaucoup d'amertume parmi nos adhérents, qui considèrent qu'ils sont sous-estimés et peu aidés, notamment par rapport aux moyens aériens de la sécurité civile. Le budget 2018 s'élève à seulement 1,5 million d'euros pour l'investissement, alors que 30 millions sont consacrés aux hélicoptères de la sécurité civile sur un programme de huit ans. Pour simplement lancer un programme de rénovation de l'optronique, il faudrait au minimum 3 millions.
Pourtant, les moyens aériens de la gendarmerie ont fait leur preuve pour de grandes manifestations, comme celles liées à Notre-Dame-des-Landes. Ces hélicoptères ont aussi permis de recueillir des renseignements importants dans le cadre d'enquêtes judiciaires.
Je propose d'ailleurs aux membres de la commission d'enquête d'effectuer un déplacement à Villacoublay pour constater les choses.
Le parc des hélicoptères pose aussi un problème : une rénovation a été décidée en 2008, mais 25 appareils n'ont pas pu être intégrés dans ce programme en raison de la crise. Et on ne parle même plus d'en acheter de nouveaux !
Or, les forces aériennes de la gendarmerie réalisent 19 300 heures de vol par an, dont environ 1 000 pour la police nationale et 100 pour les douanes. Il faut aussi savoir que les aéronefs de la gendarmerie ont été les premiers à intervenir et à apporter des secours à Saint-Martin et Saint-Barthélemy lors du cyclone IRMA.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Quel âge ont ces appareils Écureuil ?
Colonel Patrice Gras. - Ils sont nés, si je puis dire, en 1978 et les derniers qui nous ont été affectés datent des années 1990. Les forces aériennes de gendarmerie ont aujourd'hui 15 hélicoptères biturbines EC145, qui sont principalement utilisés en montagne, à La Réunion et en Guyane, et 15 hélicoptères biturbines EC135, utilisés pour le maintien de l'ordre et la police technique. Nous avons dû renoncer à 25 appareils en raison de la crise. En outre, 26 hélicoptères Écureuil n'ont pas de charge suffisante pour emporter les équipements électroniques et optroniques de dernier cri.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Un remplacement des appareils est-il programmé ?
Colonel Patrice Gras. - Non. Certes, il est prévu de renouveler l'optronique et l'électronique, mais le budget est aujourd'hui insuffisant pour cela. Par ailleurs, 4 microdrones NX 110 et 19 microdrones NX 70 sont aussi utilisés.
En conclusion, je dois dire que les personnels sont effectivement amers par rapport aux évolutions en cours.
Mme Isabelle Raimond-Pavero. - Je salue l'esprit de corps et le sens du devoir qui animent la gendarmerie et je souhaite vraiment lui rendre hommage. La population y est très sensible. J'ai bien entendu vos propos : le manque de moyens, les problèmes de logement...
Plusieurs outils, notamment informatiques, ont permis, me semble-t-il, de gagner en disponibilité pour les gendarmes. Le temps ainsi gagné peut-il être mis à profit pour les brigades de sécurité du quotidien ? Ces brigades sont très importantes, elles permettent un lien direct avec les élus et la population et elles contribuent au domaine du renseignement. Manque-t-il des effectifs pour réaliser pleinement ces missions ?
La gendarmerie a toujours été très innovante, on le voit aujourd'hui avec les brigades du numérique et celles qui travaillent sur les questions de cybercriminalité. Ces brigades disposent-elles des moyens pour remplir leurs missions ?
Général Edmond Buchheit. - Il n'est pas encore possible de mesurer tous les effets de ces changements. En ce qui concerne les brigades du numérique, elles vont évidemment être très utiles pour la population, mais ces nouveaux outils ne se traduiront pas forcément par un gain de temps pour les gendarmes. La lutte contre la cybercriminalité est également très importante et la gendarmerie est, là aussi, en pointe, mais le citoyen de base n'en verra pas directement les effets.
J'ajoute que la gendarmerie a toujours été en pointe sur les questions numériques et que les innovations proviennent le plus souvent de la base elle-même.
Général Jean Colin. - En ce qui concerne les effectifs, je note que 10 000 agents supplémentaires arriveront dans les cinq ans qui viennent, mais 7 500 pour la police et 2 500 pour la gendarmerie. Cette décision ne peut être que mal ressentie dans les brigades.
Jean-Pierre Sobol parlait tout à l'heure d'un déficit de 28 millions d'euros sur les réservistes. En fait, en 2018, il manque 43 millions au titre des dépenses de personnel, hors compte d'affectation spéciale. Le choix a été fait notamment de retarder l'incorporation de nouveaux effectifs, ce qui permet de « trouver » 15 millions, et de faire peser l'effort sur les réservistes à hauteur de 28 millions, soit 900 réservistes en moins sur le terrain chaque jour.
Au sujet des véhicules, deux programmes posent un véritable problème : le remplacement des bus de la gendarmerie mobile, environ un millier, n'est toujours pas prévu ; les véhicules blindés sont anciens et ils sont regroupés à Satory, sauf quelques-uns outre-mer, pour permettre d'utiliser les pièces de certains pour réparer les autres... Or, le contexte récent (Notre-Dame-des-Landes, Bure...) montre clairement que nous avons besoin de ce type de véhicules blindés.
Capitaine Renaud Ramillon-Deffarges. - Les prochains recrutements vont constituer un véritable défi, principalement d'un point de vue qualitatif. Aujourd'hui, la force du gendarme réside dans sa polyvalence : il patrouille, initie des procédures... Avec les évolutions technologiques, certains pourraient s'interroger sur cette polyvalence, qui a des conséquences en termes de recrutement et de formation. Personnellement, je crois qu'il faut la conserver.
Général Edmond Buchheit. - En ce qui concerne les véhicules blindés, j'insiste sur le fait que les réparations sont aujourd'hui faites avec des pièces prises sur d'autres véhicules... Malheureusement, cela ne diminue pas, par miracle, l'âge de ces pièces !
M. François Grosdidier, rapporteur. - Est-il prévu de remplacer ces véhicules ?
Général Jean Colin. - Des études ont été menées au milieu des années 2000, mais les projets ont été abandonnés faute de budget.
M. Michel Boutant, président. - Je vous remercie pour les informations et l'éclairage que vous nous avez apporté. Je retiens notamment l'expérience menée dans les Ardennes en termes de renseignement, car plusieurs autres personnes nous en ont déjà parlé.
Table ronde de représentants de syndicats de la police municipale : Association nationale des cadres de la police municipale (ANCPM) ; CFTC-Police municipale ; Syndicat de défense des policiers municipaux (SDPM) ; Syndicat national des policiers municipaux (SNPM) ; Syndicat national de la sécurité publique (SNSP) ; Union syndicale professionnelle des policiers municipaux
M. Michel Boutant, président. - La commission d'enquête poursuit ses travaux avec une table ronde rassemblant les principaux syndicats représentant les policiers municipaux.
Messieurs, notre commission d'enquête s'efforce de comprendre le mal-être des membres des forces de sécurité intérieure, mal-être qui a conduit, à partir de 2016, à des mouvements de colère et de protestation qui ont débordé les canaux d'expression habituels.
Parmi les facteurs à l'origine de cette situation sont souvent cités un manque de moyens matériels, un contact fréquent avec la violence, une difficulté à concilier travail et vie de famille ou encore l'impression d'un manque de considération, que ce soit de la part de la hiérarchie, de la population ou des médias.
Les problèmes rencontrés par les policiers municipaux présentent aussi certaines spécificités que vous pourrez nous décrire, en insistant notamment sur les difficultés que vous pouvez rencontrer au quotidien dans vos relations avec les autres acteurs de la sécurité publique ou privée.
Cette audition est ouverte à la presse. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié. Enfin, je rappelle, pour la forme, qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, les personnes présentes prêtent serment.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Cette commission d'enquête a été créée pour établir un état des lieux et faire des préconisations après le malaise qui s'est exprimé, hors champ syndical, dans la police nationale. Nous ne pouvons évidemment pas faire abstraction de la troisième force de sécurité intérieure, à savoir les polices municipales. Les conditions matérielles de la police sont très difficiles, les vôtres sont variables selon votre collectivité de rattachement.
Les polices municipales peuvent rencontrer des problèmes spécifiques, comme la reconnaissance ou les conditions statutaires. Par ailleurs, la police et la gendarmerie dénoncent parfois des charges indues, qui pourraient être prises en charge, dans certains cas, par la police municipale.
Les policiers municipaux ressentent-ils eux aussi une forme de malaise ? Quelles en sont les éventuelles spécificités ? Une réponse pénale absente ou inadaptée est souvent citée ; est-ce aussi le cas pour vous ?
Quels sont vos rapports avec les magistrats, la hiérarchie, la presse et la population ? Certaines catégories de la population posent-elles des problèmes particuliers ? Vous sentez-vous soutenus en cas de difficultés ? Estimez-vous que votre formation, initiale et continue, est suffisante et satisfaisante ? Le projet de police de sécurité du quotidien annoncé par le Gouvernement répond-il à vos attentes ?
M. Patrice Papail, délégué départemental d'Indre-et-Loire du syndicat national de la sécurité publique (SNSP). - Pour nous, le manque de reconnaissance est évident, que ce soit de la part du politique, des magistrats, de la presse ou de la population, mais aussi de la part de notre hiérarchie. Les policiers municipaux ressentent donc, en effet, un mal-être.
M. Cédric Michel, président du syndicat de défense des policiers municipaux (SDPM). - Pour répondre à vos questions, il faut d'abord se reporter à la réalité du métier des policiers municipaux. Tous les jours, la presse locale fait état de leur travail quotidien partout en France : découvertes de cannabis, agressions de policiers municipaux sur la voie publique ou par des chauffards, interpellations de personnes menaçantes ou de trafiquants de drogues...
Ces exemples démontrent sans doute possible que les policiers municipaux constituent plus que jamais les primo-intervenants sur tout type de situation et avec tous les risques que cela comporte.
Oui, il existe un sentiment de malaise dans la profession. Il est dû à plusieurs facteurs. En l'absence de fichier centralisant nos interventions, celles-ci ne sont pas valorisées et sont mises au crédit de la police nationale ou de la gendarmerie. Il en est de même pour les risques encourus et pour les risques psychosociaux, par exemple les suicides ; il n'existe pas de chiffre à ce sujet.
Les policiers municipaux ne croient plus au dialogue social : les syndicats et les associations représentatives ne sont pas entendus et les agents ne voient aucune avancée significative.
Sur le plan matériel, nous réclamons un armement généralisé. Sur le plan social, il faut savoir qu'un policier municipal part à la retraite avec 900 ou 1 000 euros par mois, soit à peine le seuil de pauvreté. Ce sont donc des agents de la fonction publique qui sont officiellement pauvres !
Le mal-être est important au sein de la profession et les questions en suspens sont très nombreuses.
M. Jean-Michel Loubaney, président de l'association des cadres de la police municipale (ACPM). - Merci de votre invitation. Nous ne sommes pas un syndicat mais une association de cadres. Nous ne sommes nullement dans une démarche revendicative, ce qui ne nous empêche pas de partager nombre des analyses mentionnées. Notre préoccupation première est le fonctionnement des services et le conseil aux élus. Notre position d'interface avec les services de l'État, et notamment les forces de sécurité intérieure, nous place en première ligne.
Le mot-clef, pour nous, est lisibilité. Alors que la police municipale est la troisième force de sécurité en France, nous sommes loin du compte en la matière. J'en veux pour preuve ses grades et intitulés ; l'échelle des rémunérations, qui est loin de correspondre aux responsabilités assumées - et à celles qu'on exige que nous prenions ; ou encore, l'absence de toute doctrine d'emploi, faute de proximité avec le pouvoir central. Nous serions favorables à la définition d'une telle doctrine, sans toucher au principe de libre administration des collectivités territoriales, mais en veillant à ce qu'elle puisse être déclinée en fonction des spécificités de chaque territoire.
Pour l'heure, les policiers et les gendarmes ne nous connaissent pas ; ils n'entendent à aucun moment parler de nous au cours de leur formation initiale. Du coup, ils nous prennent tantôt pour des officiers de police judiciaire (OPJ), tantôt pour des agents sans aucune qualification judiciaire. Et nous devons quotidiennement leur expliquer notre profession et leur décrire nos prérogatives. Les conventions de coordination de 1999 et 2012 ont introduit la notion de diagnostic. Nous souhaitons qu'un tel diagnostic soit porté, car les statistiques de la police ne peuvent suffire. En termes opérationnels, l'interopérabilité radio est toujours balbutiante. Il serait bon d'avoir un référent police locale au ministère de l'Intérieur. La situation est parfois absurde : à Toulouse, par exemple, 75 % des ivresses publiques et manifestes sont relevées par les policiers municipaux, qui ne sont pourtant pas compétents pour les contraventions de deuxième classe.
M. Benjamin Debreu, directeur du contentieux à l'Union syndicale professionnelle des policiers municipaux. - Oui, la police municipale souffre d'un manque de considération, de la part des autorités communales, de la fonction publique territoriale comme du législateur lui-même, qui tarde à faire évoluer notre cadre d'emploi, tant sur le plan social qu'en matière d'armement. Nous devons beaucoup trop souvent agir dans le contentieux administratif alors que ce n'est parfois pas nécessaire.
M. David Meseray, président de CFTC-Police municipale. - La délinquance actuelle - souvent de groupe - se développe sur le territoire national. Le législateur a permis aux forces de sécurité intérieure d'évoluer pour y faire face. Il est temps d'adapter aussi le statut des policiers municipaux en fixant un cadre à leur formation comme à leurs missions, tout en prenant en compte les spécificités locales. Par exemple, il y a un vide juridique sur l'usage des armes, limité à la légitime défense, alors que les policiers municipaux sont exposés exactement comme les policiers nationaux ou les gendarmes - et qu'ils sont souvent les primo-intervenants. Notre profession doit être revalorisée : il arrive actuellement que des policiers municipaux suivent une formation de vigile privé... On nous dit que nous sommes la troisième force de sécurité publique de la France mais, le 14 Juillet, nous ne défilons pas sur les Champs-Élysées. Pour accéder aux fichiers des véhicules volés ou des permis de conduire, nous devons passer par la police nationale et, si les policiers ne sont pas disponibles, nous adresser à Speedy !
M. François Grosdidier, rapporteur. - La loi est votée, on attend le décret depuis déjà deux ans...
M. David Meseray. - Ce serait un signal fort - tout comme la revalorisation de nos retraites.
M. Yves Bergerat, président du syndicat national de la police municipale. - Nous avons les mêmes problèmes que la police et la gendarmerie, mais nous souffrons d'un manque de considération. Je suis entré dans la police municipale il y a 32 ans : on parlait déjà, à l'époque, de l'intégration des primes. Désespérant !
M. François Grosdidier, rapporteur. - Il s'agit de l'intégration des primes dans le calcul de la retraite. En général, les primes ne sont pas prises en compte dans ce calcul. Lorsqu'elles le sont, l'impact sur le montant de la retraite est sensible. Les réticences, sur ce point, viennent à la fois de l'État et des élus locaux, qui craignent la contagion aux autres fonctionnaires territoriaux. Mais il me semble que la police municipale est une filière très particulière, qui s'apparente davantage aux autres forces de l'ordre qu'à la fonction publique territoriale. La police nationale, les gendarmes, les douaniers, les pompiers et les membres de l'administration pénitentiaire voient leurs primes intégrées dans le calcul de leur retraite.
M. Yves Bergerat. - Et pas nous ! On parle des polices municipales mais, pour nous, il n'y en a qu'une, et elle était il n'y a pas si longtemps la première police de France.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Sous la Troisième République !
M. Yves Bergerat. - Aujourd'hui nous avons une police municipale à plusieurs vitesses, dont les agents peuvent être armés aussi bien d'un pistolet automatique que d'une simple matraque ou d'une bombe lacrymogène, en passant par un taser.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Ou ne pas être armés du tout...
M. Yves Bergerat. - Pourtant, ces agents font le même travail, parfois de nuit, parfois de contrôle routier... Et ils n'ont pas le même armement. Pourrait-on demander la même chose à des gendarmes ou à des policiers ?
M. François Grosdidier, rapporteur. - Vous touchez la question de fond. Il y a des polices municipales. S'il n'y en avait qu'une, y aurait-il encore des policiers municipaux ? La police de proximité, et la PSQ, ont beaucoup de mal à s'adapter à chaque territoire. Les réponses que chaque commune souhaite apporter varient. Si la déontologie doit être la même partout, la doctrine d'emploi peut et doit différer entre, par exemple, une commune rurale et une station balnéaire. Vouloir une police municipale uniforme, c'est tuer la police municipale.
M. Yves Bergerat. - La police nationale elle-même présente des aspects différents entre villes petites et grandes.
M. François Grosdidier, rapporteur. - La progression de la qualification judiciaire des agents a été refusée par le Conseil constitutionnel à l'occasion de la seconde loi de sécurité intérieure. Nous devons relancer le processus en cherchant un point d'équilibre.
M. Yves Bergerat. - Cela crée un risque que l'État décharge la police nationale d'un certain nombre de tâches en les confiant à la police municipale. Si le policier municipal obtient l'APJ 20, quelle différence avec la police nationale ? Au moins, que le traitement et la retraite soient ajustés en proportion...
M. François Grosdidier, rapporteur. - Avez-vous été associé par le ministère de l'Intérieur à la concertation sur la PSQ ?
M. Yves Bergerat. - Très peu.
M. Patrick Mateos, secrétaire de l'ANCPM. - Nous avons été consultés parfois sur le plan local.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Et au niveau national ?
M. Cédric Michel. - Peu de syndicats ont été consultés. Nous avons été reçus en septembre par le ministère de l'Intérieur, et lui avons remis une note détaillée. La qualification d'agent de police judiciaire doit être encadrée avec précision, sinon l'État sera tenté de se décharger sur la police municipale, et sortira les policiers municipaux de la rue pour en faire des administratifs.
En matière de coopération, le continuum de sécurité succède à la coproduction de sécurité. Nous n'avons aucune relation avec l'institution judiciaire. En principe, le commandant de brigade de gendarmerie et le chef de la sécurité publique doivent échanger des informations avec le maire, mais cela reste la plupart du temps théorique. Souvent, les prérogatives de la police municipale sont méconnues. Il faudrait que chaque département dispose d'un référent formé à la coproduction de sécurité, qui veillerait à sa bonne mise en oeuvre sur le terrain.
Nous réclamons l'accès au fichier des personnes recherchées. Vous verrez qu'un jour, un terroriste ou un forcené aura été contrôlé par la police municipale avant d'avoir commis son forfait. La population sera scandalisée.
Dans certains endroits, près de 70 % de notre travail est lié à la consommation de cannabis. Forfaitiser le relevé de l'infraction, pourquoi pas ? Mais les policiers municipaux ne sont pas compétents pour la relever. La forfaitisation les priverait de tout moyen coercitif pour lutter contre les rassemblements dans les halls d'immeubles, par exemple. Nous ne pouvons même pas relever les identités ! Accroître la coproduction de sécurité requerrait d'améliorer la formation des personnels de l'État et des magistrats sur les compétences des policiers municipaux.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Il n'est pas question, en effet, de transformer par la qualification d'APJ les policiers municipaux en auxiliaires des policiers nationaux, qui croulent eux-mêmes sous les piles de documents. Mais quand les policiers municipaux infligent une amende forfaitaire, ils devraient pouvoir procéder eux-mêmes à l'audition. Quant au continuum de sécurité, cela dépend des secteurs. Quand il fonctionne bien, c'est parfait. Espérons que la PSQ le généralisera - c'est pourquoi il aurait été préférable que vous soyez plus largement consultés. Pour l'accès aux fichiers, nous sommes bloqués depuis deux ans. Le Parlement a décidé, mais le décret est bloqué entre la CNIL, le Conseil d'État et la place Beauvau. Pourtant, il est souhaitable que les policiers municipaux puissent consulter le fichier des personnes recherchées et celui des véhicules volés, y compris en amont d'un contrôle, pour évaluer le risque de l'opération. Cela se fait depuis longtemps à l'étranger. Les forces de sécurité nationales commencent tout juste à se mettre à la page. J'ignorais ce que vous nous dites à propos du cannabis. La forfaitisation doit être l'occasion de mettre fin à ces aberrations.
M. Cédric Michel. - Le décret sur l'accès au fichier n'est certes pas bloqué par le responsable du dossier place Beauvau, qui relance régulièrement ses interlocuteurs.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Mais il n'est pas seul...
M. Cédric Michel. - L'objectif est surtout d'aller plus vite.
M. Serge Correia, membre de l'ANCPM. - Avec la seconde loi de sécurité intérieure, si nous constatons une conduite en état d'ivresse, il nous faut appeler un OPJ pour obtenir l'autorisation de faire un dépistage.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Déjà que les OPJ ne sont pas assez nombreux...
M. Serge Correia. - Si aucun n'est disponible, nous n'avons plus qu'à laisser partir l'automobiliste en état d'ébriété en priant pour qu'il ne fasse pas d'accident. C'est absurde, car on peut donner les compétences par blocs. Par exemple, on peut être APJ code de la route.
M. François Grosdidier, rapporteur. - En effet.
M. Serge Correia. - C'est le maire qui
délivre les autorisations de vente sur le domaine public. Mais la police
municipale ne peut réprimer les infractions correspondantes
- et la police nationale n'a pas le temps. Aussi en venons-nous
à dire à nos agents de détourner les yeux... Il n'y aurait
pourtant pas besoin d'OPJ ou d'APJ : il suffirait de nous donner les
compétences par blocs. Et, si le contrôle est positif, nous
contactons un OPJ.
M. Patrice Debois, vice-président de l'ANCPM. - Nous sommes tenus par le code de procédure pénale (CPP) d'aviser un OPJ pour toute infraction constatée. En pratique, personne ne le fait. Pour la vente à la sauvette, ce n'est qu'au fil des années que la compétence a, petit à petit, été donnée à la police municipale. Mais le doute subsiste toujours et, entre les différents textes, l'agent de police municipale se demande toujours s'il est compétent - question qui ne se pose jamais à la police nationale ou chez les gendarmes.
M. Patrick Mateos. - Le contrôle et la vérification d'identité ne nous ont pas été conférés par la seconde loi de sécurité intérieure. Lorsqu'il constate une infraction, l'agent de police municipale se demande toujours s'il doit la relever par procès-verbal ou par rapport. L'article 78-6 du CPP modifié par la loi de janvier 2017 ne va pas jusqu'au bout, et ne nous donne pas la faculté de procéder à un relevé d'identité pour toute contravention. Nous demandons à être compétents pour relever tout contravention, et pour relever l'identité à ces occasions.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Pourrez-vous nous transmettre une note argumentée sur la question ?
M. Patrick Mateos. - Quant à l'armement, c'est le maire qui choisit. Nous proposons d'inverser la démarche, c'est-à-dire de prévoir que, par défaut, la police municipale doit être armée. Un module sur l'usage des armes doit être inclus dans la formation initiale, car lorsqu'on doit le suivre en formation continue, cela désorganise les services. Et, si le maire décide que sa police ne doit pas être armée, il devra passer par le conseil municipal.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Déjà, le préfet ne peut plus refuser la demande d'un maire qui souhaite armer sa police, sauf raison objective.
Mme Éliane Assassi. - Le malaise semble très profond au sein de la police municipale. J'y suis d'autant plus sensible que, sénatrice membre du parti communiste français, je me suis longtemps opposée à sa création. Puis, l'expérience m'a montré qu'elle était nécessaire, à condition que sa mission de service public soit bien définie. La contradiction est profonde entre les attentes et vos moyens. Et l'équilibre entre les missions de la police nationale et les ambitions de la police municipale est difficile à préserver... Comment faire pour que chaque force se trouve à l'aise dans ses missions propres ? Comment appréhendez-vous la création de la PSQ ? Elle pourrait empiéter sur certaines de vos missions de proximité.
M. Cédric Michel. - Dans son rapport de 2013, la Cour des Comptes montrait que seuls 5 000 fonctionnaires de la police et de la gendarmerie étaient présents à un moment donné sur la voie publique - sur un total de quelques 200 000 personnes.
M. François Grosdidier, rapporteur. - De jour ou de nuit ? De jour, sans doute, car de nuit il n'y a personne...
M. Cédric Michel. - Alain Bauer, lui, évaluait ce chiffre à 4 000 personnes. Alors que quelque 20 000 policiers municipaux sont exclusivement sur la voie publique. Avec la PSQ, on ne s'achemine pas vers un retour des forces de l'État sur la voie publique. Le ministre de l'Intérieur a d'ailleurs laissé la porte ouverte au recours, par les collectivités territoriales, aux compagnies de sécurité privée sur l'espace public. Pourtant, le même rapport de la Cour des Comptes montrait bien que le Conseil national des activités privées de sécurité n'apportait aucune garantie de moralité à ces agents, dont plusieurs sont des repris de justice ou, même, sont fichés S.
M. Bertrand Calas, vice-président du syndicat national des policiers municipaux (SNPM). - Un fonctionnaire de catégorie A ne devrait pas être APJ 21, ce n'est pas cohérent. Un agent administratif, ce n'est pas un adjoint, qui lui-même n'est pas un attaché. Les directeurs et chefs de service ne devraient pas avoir la qualification judiciaire. Quant aux contrôles routiers qui ont été évoqués : nous ne pouvons réaliser un contrôle que si nous constatons une infraction au code de la route.
Il y a un problème général de confiance envers nous. Il y a moins d'un an, un texte a été voté qui, du point de vue de la légitime défense, différencie l'usage des armes entre police municipale et police nationale ou gendarmerie. Mais qui écrit ces textes ? Nous sommes tous sur la même voie publique ! Contre un tueur de masse, la police municipale ne peut pas tirer. On ne nous fait pas confiance. De plus, les policiers nationaux et les gendarmes peuvent transporter leur arme en dehors du service. Pas nous. Pourquoi ? Cela fait beaucoup de différences. Pourtant, nous sommes des agents de terrain, confrontés aux mêmes difficultés que la police nationale et la gendarmerie. Le résultat de ces mesures est que l'agent de police municipale a peur de se servir de son arme. Et quand on a peur, on va vers l'accident.
M. François Grosdidier, rapporteur. - C'est moi qui ai été rapporteur de la loi sur la sécurité publique. Nous avons réfléchi à un régime commun pour la police nationale et la gendarmerie. La gendarmerie était régie par un décret de 1903 devenu obsolète, qui autorisait notamment l'usage de l'arme après sommation même après un simple outrage ! Le Sénat a fait son maximum pour associer à ce régime la police municipale. L'usage de l'arme y a été autorisé dans trois cas. D'abord, en cas de légitime défense, pour protéger soi-même et ses concitoyens d'un danger imminent - car, si le particulier a toujours la ressource de la fuite, on attend protection d'un représentant des forces de l'ordre. Puis, pour un tir après sommation afin d'arrêter quelqu'un, soit en cas de danger imminent, ce qui nous ramène au premier cas, soit dans plusieurs cas particuliers qui ne concernent guère la police municipale. Enfin, pour interrompre un péril mortel, c'est-à-dire pour stopper un terroriste ou un forcené. Dans ce dernier cas, le tir est sans sommation. Cela implique que l'agent autorisé à tirer soit complètement inséré dans le circuit d'information, pour éviter les bavures. C'est pourquoi le ministre de l'Intérieur n'a pas souhaité étendre ce régime à la police municipale. Cela dit, vous relevez désormais du code de sécurité intérieure, et non plus du code pénal. Et il y a eu des progrès : par exemple, le ministre de l'Intérieur a déclaré que les préfets ne devraient plus refuser les demandes de port d'armes. Sur ce point, c'est l'Association des maires de France (AMF) qui, divisée, bloque toute évolution. Sa position serait plutôt de généraliser les conventions de coopération, avec les conséquences correspondantes en matière d'équipement et d'armement.
Une première solution pourrait être, en l'absence d'une telle convention, de mettre en place un indicateur national qui garantirait un équipement et un armement adapté à chaque type de mission.
M. Bertrand Calas. - Je rappelle tout de même qu'aujourd'hui, nous pouvons sortir entre vingt-trois heures et six heures du matin équipés d'une simple bombe lacrymogène !
M. François Grosdidier, rapporteur. - Une convention de coopération permet de rendre obligatoire le port du gilet pare-balles et de l'équipement et de l'armement adapté, ce qui n'est pas toujours le cas aujourd'hui.
M. Olivier Allesandrini, secrétaire général du syndicat de défense des policiers municipaux. - L'efficience des polices municipales passe par l'accès aux fonctions et à la formation de base. Pour professionnaliser le métier, il suffit de développer des écoles de police municipale portant un programme identique sur tout le territoire.
Aujourd'hui, les centres nationaux de la fonction publique territoriale (CNFPT) partagent un programme unique, mais les contenus des enseignements diffèrent considérablement. J'ai assisté un stagiaire à Nîmes la semaine dernière ; dans sa formation, 90 % des stagiaires correspondaient à des emplois réservés, des détachés, des bénéficiaires de passerelles, y compris des agents de surveillance de la voie publique, des ASVP. Le constat est simple : les formations initiales et continues diffèrent d'un CNFPT à l'autre.
De plus, le CNFPT délivre une attestation de fin de stage et non une certification. Beaucoup de candidats détachés, issus des passerelles ou des emplois réservés finissent le stage avec des réserves exprimées par les formateurs sur certains modules, mais ils sont tout de même titularisés, armés, et placés sur la voie publique. Cela peut également concerner des policiers ou des gendarmes, c'est-à-dire des agents de catégorie A, qui se retrouvent à la tête de brigades alors que des réserves avaient été émises par leurs formateurs.
Cette attestation de stage doit être remplacée par une véritable certification afin que, le cas échéant, ces agents puissent être renvoyés à leur structure d'origine.
M. Cédric Michel. - Je souhaite revenir sur la notion de « périple meurtrier ». Nous avions défendu la possibilité de faire usage de notre arme dans ce cas.
Il y a quelques jours, nous avons vécu le triste anniversaire de l'affaire Merah. Aujourd'hui, qui monte la garde devant les écoles ? Les policiers municipaux. Depuis trois ans, les circulaires préfectorales demandent aux maires de renforcer la surveillance des sites sensibles, en particulier les écoles et les lieux de culte. De ce point de vue, c'est une erreur de ne pas avoir associé la police municipale à cette disposition.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Un cas comme celui de Mohamed Merah entre plutôt dans le cadre du premier alinéa, qui vous concerne déjà. Le périple meurtrier, c'est autre chose. Quoi qu'il en soit, ma réponse est qu'il faudrait pouvoir mettre les polices municipales dans la boucle de l'information pour lever ces obstacles.
M. Cédric Michel. - L'État a placé les policiers municipaux en première ligne.
M. Jean-Michel Loubaney. - Sur les cinq volets relatifs à la police de sécurité du quotidien (PSQ), seul le cinquième concerne le partenariat entre la police nationale et les élus et les polices municipales. Nous ne sommes pas sereins quant à la capacité des forces de sécurité de l'État à occuper le terrain. Nous savons, comme professionnels de la voie publique, que l'action que mène la police municipale nécessitera dix fois plus de moyens pour être prise en charge par l'État. Quelques milliers de gendarmes et de policiers en plus, dont certains remplaceront des départs en retraite, ne suffiront pas.
La PSQ ne remet pas en cause la place et la mission de la police municipale. Ce qui nous pose problème, c'est plutôt la sécurité privée. Le Conseil national des activités de sécurité privée, le CNAPS, nous a fait part de la volonté affichée par les institutions de rattraper notre retard sur le monde anglo-saxon à ce sujet. Cela pose des difficultés, dès lors qu'il s'agit d'une activité économique et non plus d'un service public.
Va-t-on positionner 160 000 agents de sécurité privée face à 240 000 agents de la force publique ? Il faut revenir à une situation cohérente avec notre histoire et nos convictions.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Aucun déploiement de ce genre de sécurité privée n'est envisagé sur la voie publique. La sécurité privée recouvre trois filières principales : les convoyeurs de fonds, les vigiles fixes qui surveillent les magasins, les ministères non régaliens ou les préfectures, et les gardes du corps de personnalités sensibles, qui sont moins développés. Nous ne sommes pas dans une situation comparable au monde anglo-saxon.
Avez-vous eu vent de projets plus importants ? Le seul déploiement que je peux anticiper est lié au contrôle du stationnement prévu par la loi MAPTAM.
M. Jean-Michel Loubaney. - Je pense par exemple aux périmètres de sécurité.
M. François Grosdidier, rapporteur. - En effet, cela peut concerner des manifestations culturelles ou publiques. Dans l'Est, les maires ont demandé aux associations de commerçants de faire appel à la sécurité privée sur des places publiques durant les marchés de Noël. C'est peut-être un premier glissement, mais nous sommes loin du monde anglo-saxon.
M. Jean-Michel Loubaney. - On sollicite de plus en plus des sociétés privées pour accompagner les grands rassemblements de personnes. Les moyens alloués et les armements risquent d'évoluer également.
Sur la qualification judiciaire, je soutiens ce qui a été dit sur le fait que les directeurs ou les chefs de service aient qualité d'agents de police judiciaire adjoints (APJA), avec un bloc de compétences identique à celui des agents de terrain pose question sur leur rôle de conseiller technique et de relais du maire, officier de police judiciaire.
Sur l'armement, certaines personnes, comme les réservistes en gendarmerie issus de la société civile, par exemple, n'ont jamais suivi de formation spécifique au port d'armes.
Sur la formation, il est exact que le référentiel en matière d'encadrement et d'agents a été refait par le CNFPT et qu'une attestation est fournie au procureur et au préfet, relative aux éventuels signalements réalisés, mais l'employeur reste libre d'entériner une formation malgré des signalements inquiétants.
Sur l'uniformisation des formations, nous sommes tous formateurs, et en effet, nous avons des différences d'approche sur la manière de présenter le contenu et sur les objectifs pédagogiques. Ce sont des difficultés réelles.
M. Cédric Michel. - M. Loubaney a raison, il n'est pas fumeux de penser que la volonté de l'État est de permettre aux communes de faire appel à la sécurité privée sur la voie publique. En 2010, j'ai fait condamner la commune de Cluses devant le tribunal administratif de Grenoble pour avoir eu recours à Sécuritas. En 2011, le Conseil constitutionnel a retoqué la Loppsi - la loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure - avec les arguments que j'avais utilisés.
En 2015, le maire de Biarritz a fait appel à une entreprise de sécurité privée dans l'espace public. J'ai interpellé le préfet, qui a mis un terme à l'expérience. Durant le dernier congrès des maires, le maire de Biarritz a interpellé le ministère de l'intérieur quant au flou juridique qui préside au recours à la sécurité privée pour des missions itinérantes. Le ministère a répondu qu'il étudiait la possibilité d'une ouverture du marché aux sociétés privées. Cela a été confirmé devant les Assises de la sécurité privée par le ministère, qui a affirmé y réfléchir, sans pour autant souhaiter leur conférer une compétence générale. Les députés Jean-Michel Fauvergue et Alice Thourot ont été chargés d'étudier la question.
M. Jean-Michel Loubaney. - Les référents du CNAPS avec qui j'ai échangé étaient très précis sur les équipements en termes d'armement et sur les conditions évoquées dans la loi pour être équipés d'armes de catégorie B, c'est-à-dire d'armes à feu. La possibilité de porter des armes de catégorie D a été très largement évoquée.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Si un vigile privé est chargé d'une mission statique de surveillance d'une préfecture ou du ministère des affaires sociales, je ne trouve pas choquant qu'il puisse être armé, mais sur la voie publique, c'est différent.
M. David Meseray. - La sécurité privée pose problème, en effet, mais quid des ASVP ? Dans certaines collectivités, ils sont utilisés comme des policiers municipaux : ils mènent des contrôles radar, ils conduisent des véhicules sérigraphiés, ils délogent les jeunes dans les halls, armés parfois pour cela de matraques télescopiques et de gazeuses, ils effectuent les mises en fourrière ou les restitutions. Il faut régler ce problème en s'attaquant à leur statut.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Il ne faudrait pas mettre en place une passerelle trop facile, alors que le but est d'améliorer le niveau de la police municipale. Le même problème va se poser avec les agents privés chargés du contrôle du stationnement dans la loi Maptam. Les maires seront tentés de transformer leurs ASVP en policiers municipaux !
M. David Meseray. - Je ne pensais pas à une passerelle !
Un des problèmes qui se posent est que les maires manquent souvent de formation sur la police municipale et en délèguent la gestion à des adjoints. Ces confusions sont un danger pour notre profession : on a même vu des ASVP intervenir dans des bureaux de vote. C'est du grand n'importe quoi !
Madame la sénatrice, la PSQ répond à une volonté du Gouvernement qui fait suite aux événements de Seine-Saint-Denis. Pourtant, dans ce territoire où j'exerce, la PSQ existe déjà : c'est la police municipale ! Cela fait longtemps qu'elle a repris les quartiers, qu'elle connaît le tissu local des collectivités. Malheureusement, nous n'avons pas été associés aux discussions, sinon nous aurions fait valoir la nécessité de revaloriser nos métiers plutôt que de créer cette nouvelle force.
M. Patrick Léger, vice-président du SNPM. - Les policiers municipaux sont les primo-intervenants devant les écoles. Beaucoup d'entre eux ne sont pas armés ; quelle protection offrent-ils ?
Il est en effet nécessaire que les maires se forment, parce que, malheureusement, ils ne connaissent pas le statut du policier municipal ni de l'administration en général. Ainsi des ASVP se retrouvent affectés sur la voie publique, ou des maires décident de changer complètement le statut des policiers municipaux.
M. Olivier Allesandrini. - Il faut mettre un terme à certaines injustices : la carrière de policier municipal est limitée à deux grades en catégorie C. Beaucoup de nos collègues brigadiers-chefs principaux obtiennent un examen, mais sont soumis à des quotas, contrairement aux détachés ou aux emplois réservés. Or il faut permettre aux policiers municipaux qui souhaitent évoluer après huit ans de carrière d'obtenir satisfaction et d'être nommés en catégorie B. Nous souhaitons donc inverser le système des quotas pour les imposer aux détachés et aux emplois réservés. Plus de quarante ans de carrière en catégorie C sur seulement deux grades, c'est long !
De plus, la police municipale a été reconnue comme la troisième force de l'ordre, mais il nous a été refusé de défiler le 14 juillet.
Nous portons également des revendications sociales, telles que la revalorisation des grilles en catégorie B ou l'intégration des primes dans les retraites.
Enfin, la médaille d'honneur de la police française a été requalifiée en médaille d'honneur de la police nationale, ce qui en écarte de fait les policiers municipaux. Nous souhaitons que cela change.
S'agissant de la PSQ, le continuum de la sécurité sera illusoire sans l'aide de la police municipale, qui détient une place importante en matière de police de proximité.
M. Patrick Mateos. - Nous avons qualité d'agent de la force publique selon le code de la santé publique en matière de contrôle des débits de boisson, mais le parquet nous incite à la prudence dans la recherche et le constat d'infractions dans ce domaine.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Nous lirons avec intérêt une note à ce sujet.
M. Guillaume Many, délégué régional d'Île-de-France de l'Union syndicale professionnelle des policiers municipaux. - Le député Fauvergue n'avait pas connaissance de nos grilles indiciaires : nous commençons à 1 537 euros bruts, quand un élève stagiaire de la police nationale commence à 1 760 euros bruts. De plus, les primes sont intégrées dans le calcul de leur retraite, ce qui n'est pas le cas pour nous.
M. Benjamin Debreu. - Un dernier point plombe le moral des cadres : certains maires font appel à des fonctionnaires territoriaux pour prendre la tête de directions de la prévention et de la sécurité, qui sont les vrais responsables de la police municipale. Il faut interdire cela et, au contraire, valoriser notre catégorie A.
La réunion est close à 17 h 45.