Mercredi 14 février 2018
- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -
La réunion est ouverte à 09 h 35.
Audition de MM. Jean-Pierre Roger, président, et Guy Delivet, directeur général, du Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP)
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous sommes réunis pour auditionner M. Jean-Pierre Roger, président du Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP), accompagné de M. Guy Delivet, directeur général. Cette audition sera suivie de celle de Mme Élisabeth Flüry-Hérard, présidente de l'Autorité de régulation de la distribution de la presse (ARDP).
Monsieur le président, nous vous remercions d'avoir pu venir devant notre commission ce matin. Nous suivons avec beaucoup d'attention la situation de Presstalis. À l'occasion de son audition il y a quinze jours, sa nouvelle présidente nous a dressé un état des lieux tout à fait préoccupant, avec ce qu'elle décrit comme une société « au bord de la cessation de paiement », un déficit non anticipé de plus de 20 millions d'euros en 2017 et des besoins de 190 millions d'euros jusqu'en 2019. L'avis de la commission de suivi de la situation économique et financière des messageries du CSMP note que les derniers événements lui paraissent, je cite « alarmants, car ils montrent que les mesures prises au cours des cinq dernières années n'ont pas produit les résultats escomptés ».
Comme président du CSMP et éditeur de presse, vous vous trouvez en première ligne. Le CSMP a lancé le 27 janvier deux consultations comportant des mesures très fortes, et déjà contestées.
Notre commission a depuis longtemps souligné la situation très critique du secteur et singulièrement de Presstalis. Je souhaite que cette audition soit pour vous l'occasion de nous en dire plus sur la situation actuelle et de nous indiquer ce que le CSMP envisage pour le futur de la distribution de presse.
M. Jean-Pierre Roger, président du Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP). - Je vous remercie pour votre accueil et vais essayer de vous exposer très rapidement la situation et les fondements de la crise. Nous sommes sous l'empire d'une loi ancienne, la loi « Bichet » dont on a fêté les 70 ans l'année dernière. Il s'agit d'une loi très spéciale - certains appellent à ne « toucher qu'en tremblant » à la loi Bichet - qui est une « icône » du Conseil national de la Résistance et une exception française. Elle prévoit que la liberté d'opinion et de la presse est confiée aux éditeurs et éloignée tant de la puissance publique que des « forces de l'argent ». À l'époque, donc, le législateur a donné le pouvoir aux éditeurs pour constituer un système coopératif qui assure une égalité entre eux et fondé sur un système de mandat qui va de l'éditeur à l'acheteur. Ces principes ont-ils vieilli ? Ils peuvent peut-être sembler désuets mais ils sont fondés sur la solidarité. À partir des années soixante-dix, on a vu arriver la concurrence qui a provoqué un grand bouleversement. Les lois de 2011 et 2015 ont cherché à concilier concurrence et solidarité, ce qui n'est pas facile. Comme vous le savez, ce sont des notions propres à la France. Si en Italie le système est proche, il est très différent en Grande-Bretagne et en Allemagne, où l'éditeur négocie directement pour être distribué, ce qui est très lourd en particulier pour les petits éditeurs.
La situation actuelle est la suivante : le 29 mai dernier, la commission économique et financière du CSMP, qui s'est réunie six fois et suit de très près Presstalis, a indiqué que la situation était beaucoup plus dégradée que ce que l'on pensait. Nous avons été « effarés » par ce qui transparaissait des réunions du conseil d'administration de Presstalis. Il y a eu une crise de gouvernance et les choses se sont aggravées durant l'été car des éditeurs ont souhaité se retirer. En système de duopole, cela signifie une défaillance possible. Le Conseil supérieur avait déjà établi, en 2012, des règles de préavis pour éviter d'accélérer la crise.
Une nouvelle gouvernance est arrivée. La situation de Presstalis s'est révélée plus préoccupante que prévue, surtout en matière de trésorerie. Un dépôt de bilan de celui-ci est exclu car il aurait également des conséquences sur les Messageries lyonnaises de presse (MLP), qui détiennent des créances sur Presstalis, sur le niveau 2 et sur les diffuseurs. Faute de pouvoir dégager des économies suffisantes rapidement, le Conseil supérieur a pris la décision de faire contribuer les éditeurs. Celui-ci y travaille, sa décision devant être validée par l'Autorité de régulation et de la distribution de la presse (ARDP). Trois mesures sont en cours d'examen :
- un allongement de l'ordre de six mois du préavis afin de consolider la situation ;
- symétriquement, un allongement des délais de règlement aux éditeurs par la messagerie. Comme vous le savez, Presstalis a retenu 25 % des fonds dus aux éditeurs - soit 27 millions d'euros - pour faire face au premier mur de trésorerie. En tant qu'éditeur, je ne pense pas qu'un allongement des délais de paiement soit un problème ;
- la décision centrale est de faire participer les éditeurs au renflouement de la messagerie. L'éditeur est un client mais aussi un actionnaire et depuis 1947, on n'a pas assez pensé à cette dualité. Le CSMP a mené une étude sur ce sujet mais n'a pas eu le temps de l'exploiter. Nous avons ainsi imaginé une contribution qui ne serait pas une hausse des barèmes, mais qui serait ciblée et fléchée pour assurer le retour à l'équilibre de Presstalis. L'État veut bien prêter de l'argent mais, en contrepartie, il demande une contribution de 2,25 % aux éditeurs. Le Conseil supérieur demande également aux clients des MLP de participer, éventuellement en modulant la contribution : 1 % pour les éditeurs des MLP et 2,25 % pour ceux de Presstalis. Cette différence va-t-elle aggraver les différences entre les éditeurs ? Il ne nous semble pas, car les éditeurs qui souhaiteraient quitter une messagerie resteraient redevables de la contribution attachée à leur messagerie d'origine.
Nous avons ouvert une consultation visant à une exit tax pour ceux qui souhaiteraient quitter leur messagerie ; elle prendrait la forme d'une participation aux fonds de Presstalis au titre de la responsabilité d'actionnaire.
Il faut aujourd'hui trouver un accord entre l'État et Presstalis - ce qui n'est pas acquis - et connaître la position de la conciliatrice et de la présidente du tribunal de commerce.
M. Michel Laugier, rapporteur des crédits de la presse. - Nous avons été surpris de découvrir cette situation qui s'aggrave chaque semaine. Comment en est-on arrivés là ? Disposez-vous d'une vision complète de la situation de Presstalis avec des chiffres précis ? Notre commission avait émis des doutes ces dernières années sur la situation de cette entreprise mais rien n'a semble-t-il été fait. Que pensez-vous, à titre personnel, de la décision qui a été prise en janvier de retenir des parts du chiffre d'affaires des éditeurs ? Et que répondez-vous à ceux qui vous reprochent de défendre davantage les grands éditeurs que des petits ? À l'évidence, nous avons atteints la fin d'un cycle concernant la loi Bichet. Comment voyez-vous l'évolution du système coopératif et que se passerait-il si on laissait les choses évoluer sans intervenir ? Une consultation a été organisée entre le 25 janvier et le 7 février 2018. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi une telle précipitation et les décisions qui vont en ressortir ?
M. Jean-Pierre Roger. - Il existe un organe de contrôle au sein du Conseil supérieur des messageries de presse - la commission de suivi économique et financier - mais il a eu du mal à se mettre en place et à fonctionner. Elle est composée d'un membre du Conseil d'État, d'un expert-comptable et du président du Conseil supérieur. Elle intervient après les conseils d'administration. La dégradation est intervenue en six mois. Entre décembre 2016 et juin 2017, nous avons tenu cinq réunions avec Presstalis ; elles laissaient penser que la situation s'améliorait et que l'entreprise était en situation de poursuivre ses projets de diversification. Il est apparu, par la suite, que les coûts étaient mal maîtrisés, notamment compte tenu d'erreurs supposées de calcul de charges sociales et de problèmes concernant la fixation des barèmes. Alors qu'un « mur de trésorerie » était attendu pour mars 2018, le problème est arrivé plus tôt qu'escompté, peut-être à cause d'une multiplication des départs. Par ailleurs, l'automne a été marqué par l'arrivée d'une nouvelle présidente et l'intérim a été assuré par un directeur général alors en partance.
J'ai été très affecté par les mises en cause personnelles, d'autant que je suis un petit éditeur qui utilise les messageries lyonnaises de presse (MLP). Je considère être impartial, objectif et neutre. Je ne tiens pas compte de mes intérêts dans l'exercice de mes fonctions.
M. Guy Delivet, directeur général du Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP). - Je rappellerai que c'est le président qui a mis en place la péréquation sur les magazines et qu'il est dans l'obligation du Conseil supérieur d'être attentif à la situation de Presstalis, compte tenu de son rôle structurant dans le secteur de la presse. 80 % du chiffre d'affaires des éditeurs passe par Presstalis ainsi que 50 % du chiffre d'affaires du niveau 3. Une défaillance de cet acteur serait catastrophique en particulier pour les petits éditeurs qui seraient les premières victimes. La liquidation interviendrait en 15 jours, sans possibilité pour ces derniers de trouver des solutions alternatives. On demande des efforts à la collectivité pour éviter cette catastrophe.
Jean-Pierre Roger. - La nouvelle loi est dans l'esprit de tout le monde. À l'étranger, les entreprises de distribution sont filiales des grands groupes et la rationalité consisterait à confier la gouvernance aux grands éditeurs. Pour éviter d'en arriver là, il faut tempérer le régime coopératif qui accorde une même voix à chacun, peut être en recourant à un mécanisme de collège. Les fondements de la loi Bichet ne sont pas à l'origine des dysfonctionnements constatés aujourd'hui. Il faut toutefois revoir certains principes et trancher, par exemple, l'opposition qui existe entre les principes de solidarité et de concurrence. La concurrence entre les deux acteurs de la filière ne permet pas de développer des infrastructures communes. La loi de 2015 a par ailleurs confié à la régulation la gestion des barèmes, ce qui peut poser des difficultés puisque les clients souhaitent les baisser. Il y a un conflit d'intérêt pour le Conseil supérieur qui donne son avis sur les barèmes adoptés, qui doit être homologué par l'ARDP.
M. Guy Delivet. - Sur un plan technique, en vertu d'une décision ancienne du Conseil de la concurrence, Presstalis, en tant qu'acteur dominant en dépit de son extrême fragilité, n'est pas en droit de recourir à des dispositions de barème « fidélisantes ». À l'inverse, aux termes du droit de la concurrence, les MLP y sont autorisés et proposent ainsi des conditions tarifaires très attractives pour les grands groupes de presse. Il y a là une véritable difficulté pour la filière : comment marier l'application du droit de la concurrence et le principe de solidarité qui y est en vigueur ? Dans un contexte de concurrence en duopole, par nature très instable, l'acteur le moins efficient est généralement contraint de se réformer ou est condamné à disparaître. Dans le cas de Presstalis, nous sommes face à une entreprise en déclin qui éprouve des difficultés à se réformer mais qui ne peut pas « tomber » ! Nous sommes dans la même situation qu'en 2011 : la liquidation de Presstalis n'est pas imaginable car elle emporterait tout avec elle, y compris les MLP du fait de l'encours permanent proche de 15 millions d'euros qu'elles détiennent chez Presstalis.
M. André Gattolin. - Les différents acteurs du secteur de la distribution ainsi que les instances de régulation ou de contrôle se renvoient la balle face aux difficultés de la filière sans prendre leur part de responsabilité. C'est une façon de fonctionner qui a cours dans d'autres secteurs économiques ou entreprises français - je pense à AREVA - et qui consiste à considérer que l'État joue toujours, au final, le rôle de filet de sécurité en cas de difficultés financières et assume pour les autres.
Au cours des dernières décennies, on a refusé de voir combien la presse avait évolué, notamment à travers l'émergence d'une presse magazine très segmentée qui relève d'une approche principalement commerciale. Or, celle-ci a peu à voir avec la presse d'idées et d'opinion que la loi Bichet a pour but de défendre en garantissant le pluralisme. On a refusé de repenser l'organisation de la distribution de la presse : il faudrait aujourd'hui remettre tout à plat mais je crains que nous soyons amenés à faire - comme toujours - une loi dans l'urgence, sans réévaluer les principes fondamentaux de la loi Bichet.
Mme Marie-Thérèse Bruguière. - Face à la crise que connaît Presstalis, le CSMP a lancé une consultation portant sur « des mesures exceptionnelles pour le redressement du système collectif de distribution de la presse ». Ces mesures incluent, entre autres, une contribution de 2,25 % de tous les éditeurs sur le montant de leurs recettes. Toutefois, il sera permis aux éditeurs qui en auraient les moyens de s'exonérer de cette contribution en fournissant à Presstalis des avances remboursables. Des éditeurs indépendants constitués au sein d'un collectif jugent ces mesures discriminatoires et injustes et réclament la tenue d'États généraux de la presse. Pensez-vous que cela puisse être envisagé afin de trouver d'autres solutions ?
M. David Assouline. - Ce dossier est très technique et je crains parfois que les termes et notions utilisées pour décrire la situation fassent barrage à sa compréhension. Or il s'agit d'un enjeu très important. La gravité de la situation exigerait d'ailleurs la création d'une mission d'information parlementaire pour mieux comprendre ce qu'il s'est passé depuis la réforme de 2012 et éviter de reproduire les mêmes erreurs à l'avenir.
Le discours ambiant vise actuellement à installer l'idée que la loi Bichet n'est plus adaptée parce qu'elle ne permet pas de concilier solidarité et concurrence. Mais cela a été possible jusqu'à présent ! Ce n'est certes pas une entreprise facile, encore plus aujourd'hui dans la mesure où la presse est soumise à de nombreux bouleversements technologiques. Mais pourquoi, au lieu d'envisager son aménagement ou sa modernisation, accuse-t-on la loi Bichet de tous les maux ? On parle d'abrogation ! Il me semblerait paradoxal de vouloir abroger la loi alors que ses principes sont particulièrement utiles dans le contexte actuel de fragilité de nombreux petits éditeurs. Le Sénat a montré, en 2011, qu'il était possible de réviser la loi Bichet de façon consensuelle en préservant ses principes.
Je voudrais poser deux questions. Pourquoi avoir proposé une contribution unique de 2,25 % et non pas progressive en fonction de la capacité financière des éditeurs, allant de 1 % à 3 %, par exemple ? Pensez-vous qu'il faille des États généraux réunissant tous les acteurs du secteur, y compris les petits éditeurs ? Aujourd'hui, nous faisons face à une situation injuste : les aides à la presse sont principalement captées par sept grands groupes - sept milliardaires pourrait-on dire - et échappent aux petits éditeurs. Ceux-ci sont en revanche sollicités à due proportion lorsqu'il s'agit de sauvegarder le système de distribution de la presse dans le cadre d'un plan de redressement qui comporte le risque de leur propre disparition...
M. Pierre Laurent. - Je partage la gravité du constat. Si Presstalis dépose son bilan, c'est l'ensemble de la filière qui s'écroule. Cela remettrait également en cause les principes qui président à la loi Bichet et à l'égalité de distribution. Nous avons besoin d'un plan d'urgence qui appelle une discussion approfondie sur l'avenir du système et de la filière.
Je partage également les remarques sur le caractère dangereux de certaines mesures, en particulier celles qui mettent à contribution de la même manière tous les éditeurs. L'état de fragilité des petits éditeurs nécessite justement d'avoir un système coopératif. On marche sur la tête ! Le plan devrait être amendé pour tenir compte de cette situation. Nous sommes extrêmement attachés aux principes qui ont fondé le système coopératif même si nous sommes d'accord pour le faire évoluer face aux nouveaux défis : le secteur est en crise et n'a pas les moyens d'affronter la transition numérique, qui le touche dans son ensemble. Et cette transition ne peut se faire que dans la solidarité. Quid de la guerre des prix ? Des mesures ont été prises pour la limiter, notamment avec les barèmes. Mais je continue de penser que l'existence de deux messageries, dans un contexte de crise, reste incompréhensible, de même que la prise de mesures de non-concurrence entre ces deux messageries. C'est une aberration économique ! Différentes solutions peuvent être imaginées : un rapprochement, une messagerie unique... Dans la situation de crise dans laquelle nous nous trouvons, nous n'échapperons pas à un processus de remise à plat.
Je suis très attaché au système coopératif et toute évolution nécessitera un engagement fort de l'Etat afin d'affirmer une volonté politique et la garantie de son application. La correction du système actuel devra aussi permettre plus de transparence. Le plan d'urgence doit s'appliquer immédiatement avec des mesures correctrices par rapport à celles annoncées, et proposer, en même temps, un processus qui permette de repenser l'ensemble du système.
M. Laurent Lafon. - Vous avez évoqué la crise chez Presstalis mais je ne vous ai pas entendu évoquer la crise de la distribution de la presse papier. On peut concevoir un plan de sauvetage de Presstalis. Cela s'est déjà fait. Mais on sait qu'une évolution structurelle menace tout le secteur de la presse papier.
Comment dimensionner le réseau des messageries et de la distribution compte tenu de la crise et de la mutation du numérique ? Nous collons des rustines sur un système qui disparait ou, du moins, qui s'étiole et on essaie de lutter contre une évolution structurelle qui nous dépasse.
Quel est le bon dimensionnement à terme de la distribution quand l'usage numérique sera généralisé ?
M. Jean-Pierre Roger. - En réponse aux questions de M. Gattolin, l'existence de deux instances, le Conseil supérieur et l'ARDP, a des raisons historiques. Le Conseil supérieur n'avait aucun pouvoir hormis le consensualisme autour d'une table. Le bicéphalisme a été instauré par la loi de 2011 afin de mettre en place un organisme professionnel qui traite des questions techniques mais sans avoir de pouvoir normatif. Je me rappelle de débats ont eu lieu ici même au Sénat sur le bicéphalisme.
Je partage votre appréciation sur la prééminence de la presse d'information politique générale et du brassage des idées qu'elle apporte.
Le réseau spécialisé traditionnel est une spécificité française. Il est aujourd'hui un peu vieillot et insuffisamment commerçant. Il faut veiller à ne pas le fragiliser davantage. Le Conseil supérieur a toujours voulu préserver ce réseau et le faire fructifier.
Nous sommes partis de 2,25 % pour tout le monde pour assurer la couverture du plan Presstalis en accord avec ce dernier et l'Etat. Il fallait éviter la fuite des éditeurs et élargir ce montant à l'ensemble de la profession. C'est ainsi devenu un problème du Conseil supérieur. La concertation que nous avons mise en place a fait apparaître la nécessité de proportionnalité avec les MLP.
Nous considérons les choses par rapport à la messagerie porteuse. Je comprends parfaitement que certains petits éditeurs qui se trouvent chez Presstalis voudront résister.
Je ne suis pas opposé à des États généraux : c'est un bon exutoire. Mais nous sommes face à une urgence car une audition devant le tribunal de commerce doit avoir lieu le 5 mars prochain. La consultation publique a ainsi dû être ramenée de 30 à 14 jours afin que l'ARDP puisse homologuer cette décision dans les délais.
Dans l'état actuel du droit, concilier solidarité et concurrence passerait par la création d'une société commune d'infrastructure mais les deux messageries n'ont pas réussi à trouver un accord. J'entends aussi qu'Amazon pourrait assurer directement la distribution de la presse, mais cela ne me paraît pas d'actualité.
Le numérique ne fait pas partie des attributions du CSMP. Le groupe que je dirige emploie une cinquantaine de personnes, édite une douzaine de revues et représente un chiffre d'affaires de six millions d'euros de chiffre d'affaires. Un million d'euros provient des activités numériques. La transition numérique est inéluctable mais il est difficile d'aller plus vite sauf à obtenir des crédits supplémentaires. À mon sens, il ne faut surtout pas abandonner l'édition papier. Certains éditeurs indépendants, parmi ceux qu'évoquait Mme Bruguière, ont d'ailleurs pour stratégie de revaloriser le support papier, en misant davantage sur des articles de fond et de réflexion. L'information immédiate devrait en revanche être réservée à la diffusion sur internet.
M. Guy Delivet. - Je souhaiterais revenir sur les petits éditeurs et sur la décision relative aux conditions de règlement des messageries, question très technique. Le seuil que nous avons placé à un million d'euros permet d'adoucir la mesure pour 89 % des éditeurs des MLP et pour 79 % des éditeurs Presstalis. Au total, 760 éditeurs sur environ 900 distribués par les deux messageries obtiendront des conditions de règlement plus favorables. Nous avons décidé que l'ensemble des avances en compte courant seraient remboursables, qu'elles soient en compte courant initial ou à travers un prélèvement mensuel. Il n'y a donc pas de discrimination des éditeurs sur ce plan.
Audition de Mme Élisabeth Flüry-Hérard, présidente de l'Autorité de régulation et de la distribution de la presse (ARDP)
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous passons maintenant à l'audition de Mme Élisabeth Flüry-Hérard, présidente de l'Autorité de régulation de la distribution de la presse (ARDP), accompagnée de M. Yannick Faure, secrétaire général.
Madame la présidente, nous vous remercions sincèrement d'avoir pu prendre le temps de venir devant notre commission ce matin. Nous venons d'entendre le président et le directeur général du CSMP. Je rappelle que l'ARDP, créée par la loi du 20 juillet 2011 relative à la régulation du système de distribution de la presse et renforcée par celle du 17 avril 2015 tendant à la modernisation du secteur de la presse, est chargée avec le CSMP de faire respecter les grands principes de la loi « Bichet ». Dans le cas, extrêmement préoccupant, de Presstalis, nous sommes donc très désireux de profiter de votre point de vue sur la situation, et de mieux comprendre les principes qui guideront l'action de l'ARDP dans les semaines qui viennent. Pour autant, nous n'ignorons pas la position un peu délicate qui est la vôtre, puisque l'ARDP n'a pas encore eu à se prononcer sur des décisions du CSMP encore en cours d'élaboration.
Nous serons enfin très heureux de connaitre votre appréciation sur l'efficacité du mode de régulation de la distribution de la presse en France, un cas je crois unique de régulation « bicéphale », et de vous entendre sur les perspectives de réforme de la loi « Bichet ».
Mme Élisabeth Flüry-Hérard, présidente de l'Autorité de régulation et de la distribution de la presse (ARDP). - Je vous remercie pour cette invitation à venir m'exprimer devant vous, étant présidente de l'ARDP depuis seulement deux mois. Dans le cadre de mes nouvelles fonctions, je me suis particulièrement appuyée sur les travaux de votre commission, notamment sur le rapport de M. Laugier qui m'a fourni des indications précieuses, en particulier sur le système de distribution de la presse.
Vous avez rappelé que nous avons actuellement en place un système de régulation original. Il s'agit d'un système bicéphale, à deux étages. Il y a d'un côté l'expertise professionnelle sous forme d'une « auto-régulation » que représente le CSMP, créé en 1947. Lorsque ce schéma n'a plus correspondu à l'évolution de la doctrine et aux nécessités économiques, une seconde instance a été créée sous forme d'un contrôle de légalité sur les décisions de l'instance. Il s'agit d'une séparation de l'expertise sectorielle et de l'expertise juridique. Ceci est très étonnant dans le paysage actuel. Par exemple, au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), sont associés des producteurs audiovisuels, des juristes, des économistes et des ingénieurs. Une culture commune se crée.
L'autorité comprend quatre membres travaillant à temps extrêmement partiel puisque je suis, par ailleurs, vice-présidente de l'Autorité de la concurrence, entourée d'une conseillère d'État, présidente adjointe de la section de l'intérieur du Conseil, d'un membre de la Cour des comptes, président de section et d'un membre de la Cour de cassation. Il s'agit donc d'un collège doté d'une forte expertise juridique, mais exercé à temps très partiel. Nous sommes heureusement appuyés par M. Faure, secrétaire général, par ailleurs maître des requêtes à plein temps.
Il s'agit d'une régulation solidaire entre le CSMP et l'ARDP, avec un seul et même objectif qui est que cette régulation fonctionne. Cette solidarité s'exprime cependant sous la forme d'une complémentarité, et non d'un alignement.
L'ARDP est sidérée par la situation actuelle de Presstalis. Il y a un an, ses perspectives n'étaient pas si négatives. Y faire face incombe à la direction, aux pouvoirs publics et à la mission Rameix / Schwartz. L'ARDP, quant à elle, n'a pas à intervenir dans ces négociations. Notre rôle est d'exercer notre mission de régulateur, en homologuant ou en réformant ce que propose le CSMP, en liaison étroite avec la mission Schwartz. Nous ne sommes pas encore saisis des sujets définitifs du CSMP et, par conséquent, nous n'en avons pas encore délibéré. Nous ferons un examen sur la base des outils dont nous disposons habituellement, c'est-à-dire le cadre que nous devons faire respecter, à savoir la loi, la jurisprudence de la Cour d'appel et les principes qui s'en dégageant, de telle sorte que nous arrivions à homologuer des décisions dont la régularité ne soit pas contestable. En effet, si les recours devant la Cour d'appel ne sont pas suspensifs, il est toujours possible à une partie concernée de demander un sursis à exécution de ces mesures, ce qui serait extrêmement dommageable pour Presstalis, dans la situation d'extrême urgence où elle se trouve.
La mission de l'ARDP devra être remplie dans des conditions de délais parfaitement inusités, au-delà du délai habituel de six semaines. Nous devrions recevoir les décisions du CSMP le 22 février prochain. Nous devrons en terminer l'examen le 2 mars, tout devant être prêt pour l'audition au tribunal de commerce le 5 mars dans l'après-midi. Nous disposons de moins de huit jours pour examiner la situation précise de Presstalis, délais que nous sommes néanmoins fermement décidés à tenir sauf imprévu majeur.
Pour ce qui est de la réforme de la loi Bichet, nous nous réjouissons de cette occasion de revoir une loi qui a été, à l'évidence, fondatrice pour la distribution de la presse en France, de 1947 jusqu'à 2011. Aujourd'hui, les bouleversements que l'on observe, aussi bien sur le plan commercial que sur le plan de la logistique ou de l'organisation industrielle, nous imposent, à l'évidence, un réexamen de cette loi.
M. Michel Laugier, rapporteur. - Je vous remercie pour l'exposé très clair de votre organisation. Vous êtes en place depuis très peu de temps mais quel est votre sentiment sur la crise financière chez Presstalis ? Comment cette situation a pu arriver à un tel niveau et ce, aussi, malgré les alertes que nous avons données au sein de notre commission ? Par ailleurs, pensez-vous disposer de tous les moyens humains et juridiques pour exercer votre mission ? Vous nous avez parlé de la consultation du CSMP. Sans en attendre le retour officiel, pouvez-vous nous dire quelle appréciation portez-vous aux annonces qui ont été faites ? Aujourd'hui, les petits éditeurs se manifestent beaucoup. Par le passé, des décisions de l'ARDP leur permettaient de passer d'une messagerie à l'autre. Cette possibilité a ensuite été refusée - cf. une décision du 10 janvier 2012. Aujourd'hui il semblerait que cela soit de nouveau possible dans le cadre des propositions du CSMP. Pouvez-vous nous éclairer ? Par ailleurs, pouvez-vous nous préciser la date à laquelle vous ferez valoir votre position officielle ? Enfin, dans le cadre de l'évolution de la loi Bichet, quelles seraient vos premières remarques et réflexions ? Ne pourrait-on pas simplifier et permettre à l'autorité de la concurrence d'agir en lieu et place des différentes instances qui se chevauchent actuellement ?
Mme Élisabeth Flüry-Hérard. - Comme je l'ai dit, l'ARDP a été sidérée de découvrir la situation réelle de Presstalis. Jusqu'au printemps, nous pensions que le plan de 2012 avait été mené à bien, malgré quelques fragilités. En juin nous avons été très surpris d'apprendre que la situation n'était absolument pas positive, et que non seulement l'exercice 2016 s'était soldé par des pertes mais que les perspectives étaient très alarmantes. Nous ne sommes pas les mieux placés pour faire une analyse financière. C'est le CSMP, par la loi, qui est chargé de cette évaluation comptable des messageries au travers de sa commission de suivi économique et financier. Notre rôle consiste à de vérifier que les diligences nécessaires ont bien été remplies. Nous avons suivi l'évolution des avis de la commission, ainsi que les travaux de la mission Rameix / Schwartz, avec une forte inquiétude. Nous avons eu connaissance de dysfonctionnements du logiciel comptable. Par ailleurs, la vacance de gouvernance à partir de la fin du printemps n'a vraisemblablement pas aidé à la maitrise de la situation. Mais nous ne pouvons porter une parole d'expert sur cette situation.
Quant à savoir si nos moyens humains et juridiques sont suffisants, tout dépend de l'objet de notre mission. Si elle consiste à faire un contrôle de légalité par temps calme sur les décisions de l'instance en charge de la régulation sectorielle, qu'est le CSMP, au vu de mes deux premières années de participation au collège, avant d'en devenir présidente, l'institution ne me paraissait pas sous-dimensionnée. Mais l'accroissement des missions lié à la mise en place de la loi de 2015 est un vrai sujet, notamment s'agissant de l'homologation des barèmes qui nécessite une expertise très poussée.
L'Autorité de la concurrence, dans le cadre de mon activité contentieuse ou consultative, examine régulièrement la constitution d'un système de prix par rapport à un système de coût. Elle a été ainsi amenée à se prononcer sur les prix réglementés évalués par la commission d'évaluation de l'énergie (CRE). Mais il s'agit d'un travail très important. Pour le contrôle des barèmes, l'ARDP dispose, en pratique, de 15 jours pour soit homologuer le barème, soit le refuser. Si la coopérative refuse de changer de barème, nous devons reconstruire le barème. Il s'agit d'une tâche pour laquelle nous ne sommes pas assez équipés, si l'on souhaite tenir les standards de la Cour d'appel. À partir du moment où le type de régulation implique nécessairement une véritable expertise professionnelle, ceci est un vrai sujet.
Vous m'interrogez sur les consultations lancées par le CSMP, dont une nouvelle a été lancée hier soir. Sur les autres, comme vous le savez, des projets ont été envoyés aux membres de l'assemblée générale du CSMP convoqués pour le 20 février prochain. Nous ne connaissons pas le texte sur lequel nous serons saisis. Il m'est donc impossible de donner un avis sur le fond, d'autant qu'en tant que présidente, il serait peu pertinent de ma part de me prononcer avant toute délibération des membres.
Nous examinerons les décisions du CSMP en fonction de leurs conséquences sur la liberté contractuelle, sur la liberté d'entreprendre, qui représentent des intérêts majeurs que la loi préserve. Mais il est dans notre mission, en cas d'intérêt général majeur et identifié, de prendre ce genre de mesures. Notre rôle sera d'identifier cet intérêt général, de vérifier que les mesures proposées correspondent bien à cet objectif, qu'elles sont proportionnées aux difficultés qui ont été mises en évidence et de vérifier qu'elles sont correctement encadrées et ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire. Il nous faut nous assurer de la viabilité de ces mesures, en amont de la Cour d'appel et selon ses critères, et vérifier qu'ils sont bien remplis.
S'agissant des délais de préavis, en 2012, le CSMP avait souhaité geler les transferts. L'ARDP avait, dans un premier temps, jugé que c'était une restriction trop forte mais avait finalement validé un système de préavis, possible et modulable en fonction de l'ancienneté des relations commerciales et des volumes, comme c'est le cas en droit commercial. Une proposition du CSMP consiste à rallonger les préavis de six mois. Elle sera examinée au regard du principe de proportionnalité face aux difficultés de la filière.
Nous avons eu l'occasion de nous exprimer en ce qui concerne l'évolution de la loi Bichet, notamment en réponse à l'insertion de suivi de la Cour des comptes dans son rapport public annuel consacré aux aides à la presse. Mon analyse était que la régulation issue de la loi de 1947 était remarquablement adaptée à la situation de l'époque. Hachette a « miraculeusement » échappé à la nationalisation après la guerre et fait échouer quasiment toutes les tentatives de créer une vraie concurrence. La réponse à cet opérateur dominant a été intelligente, en conservant le groupe Hachette mais en limitant son pouvoir par le système des coopératives et la création du CSMP, qui représente un réel contre-pouvoir. Ce système a fonctionné pendant très longtemps. Le point de retournement s'est produit quand Hachette n'a plus été un opérateur puissant. À partir de ce moment, le système a été intégralement tenu par des coopératives dont les actionnaires sont également les clients, ce qui constitue une situation dangereuse. En effet, le métier d'éditeur et celui de la messagerie sont très différents. Il est, dans ce contexte, très compliqué de responsabiliser de nombreux éditeurs. La nécessité de faire évoluer la loi est réelle. Nous suggérons de réétudier la structure de gouvernance et les fonctionnalités entre les trois niveaux. Sur ce point particulier, certaines situations sont difficiles à comprendre, en particulier celles des boutiques spécialisées qui ne peuvent pas vendre des magazines en lien avec leur activité ou bien l'absence de possibilité pour les dépositaires de distribuer d'autres produits que la presse.
En ce qui concerne le système de régulation, il est important de savoir ce qu'il faut réguler et les raisons qui poussent à le faire. On doit réguler pour préserver une externalité positive, au cas présent, la diffusion de la presse quotidienne d'information politique et générale. Les autres motifs qui peuvent conduire à réguler le secteur, à savoir l'existence d'infrastructures essentielles non duplicables ou la nécessité d'une régulation externe, comme dans le cas de l'État et de la Poste, ne sont ici pas rassemblées. Il faut s'interroger sur la nécessité d'une régulation avec des idées claires sur son fondement et sur les règles qu'elle est tenue de faire respecter. Une fois des réponses apportées à ces questions, se posera la question de l'identité de ce régulateur.
Mme Marie-Thérèse Bruguière. - Je souhaiterais évoquer la question des vendeurs colporteurs qui jouent un rôle essentiel. Un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) de 1994 soulignait leurs conditions de travail très difficiles et dénonçait la modestie de leurs droits sociaux. L'ARDP a-t-elle un projet pour améliorer leur situation ?
M. André Gattolin. - Je vous remercie pour votre exposé qui montre bien les limites de vos moyens. L'absence de comptabilité analytique est très choquante dans tous ces secteurs. Nous avons des inquiétudes à avoir sur l'avenir de la presse. En effet, elle supporte des coûts incompressibles très importants, ce qui, combiné à une baisse des tirages, conduit à augmenter très fortement le coût marginal de chaque exemplaire. Il y a de graves problèmes à attendre de cette situation difficilement tenable.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je souscris totalement à votre analyse, madame la présidente. Il y a plus d'une décennie, la musique a été le premier secteur confronté à la mutation numérique. C'est désormais aussi le cas de la presse et notre commission suit cette question depuis longtemps. Nous voyons bien que les difficultés sont anciennes et que le modèle est à bout de souffle. On ne sait pas très bien ce que sera le secteur dans cinq ans mais on ne peut pas faire abstraction d'une réflexion sur les transformations à venir liées au numérique. De plus, l'écosystème est à la merci de grands groupes extra-européens qui disposent de beaucoup de moyens.
Mme Élisabeth Flüry-Hérard. - Madame la présidente, vous évoquez la musique et ce n'est pas un hasard. Le déclic s'est produit en 2005-2006 avec l'apparition des offres « triple play ». Ce que vous évoquez est un cas d'espèce. Avec le streaming, la musique semble avoir trouvé un équilibre mais entre les mains d'un très petit nombre d'acteurs, qui sont tous bien connus et en situation de constituer des positions dominantes. Le kiosque numérique est une solution très appréciable et utile mais ne règle pas la question du papier. Il existe des éléments d'espoir. Des exemples étrangers montrent qu'un passage tout numérique peut très bien réussir. Il est cependant complexe à mettre en place.
En réponse à Mme Bruguière, les vendeurs colporteurs ne sont pas de la compétence de l'ARDP. L'autorité accorde cependant une grande attention à la situation des marchands de presse qui exercent une profession particulièrement pénible.
Il est important de noter que la presse est un marché d'offre. Le système repose sur l'attractivité économique et donc la rémunération du métier de vendeur.
La séance est close à 12 h 10.