Jeudi 23 novembre 2017
- Présidence de Mme Annick Billon, présidente -Audition de Laurence Rossignol, ancienne ministre des Familles, de l'Enfance et des Droits des femmes, membre de la délégation, sur les 4ème et 5ème plans de mobilisation et de lutte contre toutes les violences faites aux femmes
Mme Annick Billon, présidente. - Mes chers collègues, ainsi que vous en avez été avisés hier, l'audition de Maudy Piot a été annulée. Nous espérons que la santé de la présidente de Femmes pour le dire, femmes pour agir lui permettra de participer d'ici quelques semaines à une nouvelle audition, conformément à son souhait. Je forme des voeux, en notre nom à tous, pour son rétablissement.
Avant d'entendre notre collègue Laurence Rossignol, ancienne ministre des Familles, de l'Enfance et des Droits des femmes, je propose que nous procédions à la désignation des membres du groupe de travail sur les femmes handicapées victimes de violences.
J'ai reçu les candidatures de :
- Mme Chantal Deseyne (LR) ;
- M. Martin Lévrier (LaREM).
Quels sont les autres membres proposés par les autres groupes à raison d'un sénateur par groupe politique ?
Je prends note de la candidature de M. Roland Courteau (SOCR).
Nous attendons le retour des autres groupes pour poursuivre la désignation des membres de ce groupe de travail.
Par ailleurs, je rappelle que notre collègue Loïc Hervé est membre pour l'UC de notre groupe de travail sur le harcèlement. Si vous en êtes d'accord, je souhaiterais également participer aux travaux de ce groupe en tant que présidente de la délégation, dans la perspective de l'examen du projet de loi annoncé par le Gouvernement. Je vous en remercie.
J'en viens à notre première séquence.
Cette matinée s'inscrit dans les travaux que nous avons décidé d'entreprendre, non seulement sur le harcèlement et plus globalement sur toutes les agressions sexuelles, mais aussi sur les mutilations sexuelles et sur les violences faites aux femmes handicapées, sujet que Laurence Rossignol a qualifié, lors de notre réunion du 9 novembre, d'« angle mort » des politiques de lutte contre les violences faites aux femmes.
Je vous remercie, Madame la ministre, chère collègue, d'avoir accepté d'intervenir devant la délégation deux jours avant la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, pour faire le bilan du 4ème plan interministériel de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes (2014-2016) et pour nous éclairer sur la mise en oeuvre du 5ème plan de mobilisation et de lutte contre toutes les violences faites aux femmes (2017-2019).
Nous connaissons toutes et tous votre engagement dans la lutte contre les violences faites aux femmes qui se trouvent depuis plusieurs semaines dans l'actualité quotidienne, nationale et internationale.
Comme l'ont rappelé nos interlocuteurs de la semaine dernière, vous avez largement contribué à faire progresser la lutte contre les violences faites aux femmes à travers une action ministérielle particulièrement dynamique.
Je vous laisse sans plus tarder la parole, puis nous vous poserons des questions.
Mme Laurence Rossignol. - Merci, Madame la présidente, de m'avoir proposé de partager avec toute la délégation mon expérience sur le sujet des violences faites aux femmes.
Je vais donc exposer l'articulation entre les 4ème et 5ème plans de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes.
Rappelons que le premier plan de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes a été élaboré en 2004 pour la période 2005-2007 et partait du constat qu'il ne suffisait pas d'aggraver les sanctions pénales pour faire diminuer le nombre des violences faites aux femmes. En effet, ces violences s'inscrivent dans un long continuum qui nécessite à la fois des actions de prévention, d'éducation et d'accompagnement.
Les statistiques indiquent, invariablement, qu'une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son compagnon ou de son ex-compagnon. Je suis cependant quasiment certaine que ces chiffres sont en deçà de la réalité car ils n'intègrent pas les données relatives aux suicides consécutifs aux violences psychiques et psychologiques, ni toutes les maladies engendrées par la consommation de psychotropes, tabac et alcool qui vont généralement de pair avec un état psychologique dégradé.
Pour brosser un tableau schématique :
- les meurtres interviennent dans un nombre non négligeable de cas lors des procédures de séparation, les hommes tuant leur compagne ou ex-compagne au nom de ce qu'ils considèrent comme une « extension du droit de propriété ». Les affaires de meurtres commis par des femmes au sein d'un couple, si elles existent aussi, sont de nature très différente ;
- les violences quotidiennes perpétrées contre des femmes, à leur stade ultime, mènent aussi à leur lot de meurtres ; elles sont donc toutes susceptibles de déboucher sur la mort de la victime de ces violences.
Le premier plan a donc été fondé sur l'idée qu'il fallait une politique globale et concertée autour des violences faites aux femmes. Il faut saluer la continuité de l'action des différents gouvernements, par-delà les alternances politiques, entre le premier plan débuté en 2005 et le 5ème plan initié en 2016 : il n'y a pas eu d'interruption dans la succession de ces plans pour continuer à améliorer la politique en matière de lutte contre les violences faites aux femmes.
Le 4ème plan a été évalué en 2016 par le Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes (HCE|fh). Cette évaluation a été effectuée dans le cadre de l'élaboration du plan interministériel suivant. Le HCE|fh a dressé un bilan positif et encourageant de la mise en oeuvre du 4ème plan, considérant qu'un cap qualitatif et quantitatif avait été franchi.
Parallèlement au 4ème plan, des avancées législatives majeures ont permis de renforcer l'arsenal à la disposition des pouvoirs publics et des victimes :
- la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, dite ALUR1(*) a renforcé les obligations des acteurs et actrices départementaux afin de favoriser l'accès au logement social pour les femmes victimes de violences, notamment conjugales. Cette loi réduit en particulier le délai de préavis pour la sortie du logement social partagé avec un conjoint violent ; elle contient par ailleurs de nombreuses dispositions qui permettent de lever les obstacles se dressant devant les femmes qui veulent sortir des situations de violences ;
- la loi du 4 août 20142(*) pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes a intégré la dimension des violences faites aux femmes handicapées à la politique de prévention du handicap même si, à mon sens, des travaux restent à mener sur ce sujet. Elle prévoit aussi un renforcement du dispositif des ordonnances de protection, une formation des professionnels à la prise en charge des femmes victimes de violences sur laquelle je reviendrai, le développement des obligations des chaînes de télévision et de radio afin d'assurer le respect des droits des femmes et de lutter contre les images dégradantes. Comme je l'évoquais tout à l'heure, l'une des spécificités des violences faites aux femmes est ce continuum menant des violences sexistes quotidiennes au meurtre : c'est bien un ensemble de représentations dans lesquelles les violences sexuelles ou psychiques sont banalisées ou qui mettent en scène des femmes dans des situations dégradantes, qui permettent à la « culture du viol » de prospérer ;
- la loi du 17 août 20153(*) relative au dialogue social et à l'emploi a introduit dans le code du travail de la notion d'agissement sexiste, à l'initiative, je le rappelle, de plusieurs membres de la délégation ;
- la loi du 13 avril 20164(*) visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées pose comme postulat que l'achat, la vente ou le trafic de services sexuels sont des violences à l'encontre des personnes prostituées, majoritairement des femmes.
En parallèle, des campagnes de communication ont permis d'améliorer l'accès aux droits pour les victimes, d'interpeller les auteurs de violences et de faire connaître les sanctions pénales qu'ils encourent : je vous rappelle notamment la campagne portant sur le harcèlement dans les transports.
Les outils visant à répondre à l'urgence et à prévenir la réitération des violences se sont étoffés avec la mise en oeuvre du 3919, devenu un numéro de référence, que l'on essaye d'imposer dans le paysage médiatique afin qu'il devienne aussi connu que le 15. De plus, des actions de formation ont été menées au sein des commissariats, gendarmeries et services d'urgence, avec notamment une mesure importante consistant dans la désignation d'un référent-e dans les services d'urgence des hôpitaux. Il s'agit en général d'un médecin ou d'un membre du personnel infirmier, spécialisé et capable d'identifier parmi les femmes qui se présentent aux urgences celles qui n'osent indiquer spontanément que leurs blessures résultent de faits de violences et en dissimulent l'origine sous couvert de douleurs abdominales ou de chutes.
La formation a concerné aussi les personnels éducatifs, la police municipale, les personnels d'animation sportive, culturelle et de loisirs mais aussi ceux de l'OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides), dans un souci d'accompagner les victimes de violences commises contre les femmes réfugiées. À cet égard, j'ai posé pour principe que toute femme réfugiée était présumée avoir été victime de viol pendant son parcours. Ces femmes peuvent par exemple subir des relations sexuelles forcées pour prix de leur acheminement par des passeurs. Les femmes réfugiées seraient donc éligibles à l'ensemble des dispositifs que nous avons mis en place pour l'accompagnement psychologique et physique des victimes de violences ; malheureusement, les résultats à cet égard n'ont pas été à la hauteur de mes espérances.
J'en viens maintenant au 5ème plan. Il s'inscrit dans la continuité du 4ème tout en en renforçant les mesures.
Le chiffre de 400 000 personnes formées annoncé par la MIPROF5(*) a été confirmé lors de son audition du 16 novembre dernier par Mme Ernestine Ronai ; connaissant sa rigueur, ce chiffre m'apparaît représentatif du volume horaire de formation, même si d'aucuns le contestent. Rappelons toutefois que les formations délivrées font beaucoup appel à des outils tels que les MOOC, sans toujours nécessiter la participation physique de l'auditeur aux réunions, lesquelles se déroulent d'ailleurs le plus souvent au plan local dans les services et les structures de terrain, de préférence à des formations organisées à Paris. De même, dans les hôpitaux, le référent forme à son tour les autres personnels hospitaliers.
Le 5ème plan définit plusieurs priorités : assurer l'accès aux droits et sécuriser les dispositifs qui ont fait leur preuve pour améliorer le parcours des victimes, faciliter la libération de la parole, la révélation des violences, mieux mettre à l'abri les victimes et répondre à l'urgence en déterminant qui doit rester au domicile de la famille. À cet égard, diverses réponses sont possibles selon les situations, notamment en présence d'enfants, car il faut alors gérer les changements d'établissements scolaires, trouver des centres d'hébergement accueillant femmes et enfants parfois nombreux, auquel cas leur maintien au domicile est préférable, pour autant que les mesures d'éloignement du conjoint violent soient respectées. En ce qui concerne les ordonnances de protection et le téléphone grave danger (TGD), je m'étais attachée à ce que les procureurs qui disposent de TGD les attribuent en totalité, ce qui n'a pas toujours été le cas.
Le 5ème plan entend également alourdir les condamnations des auteurs de violences, non pas en prononçant des peines plus sévères, mais en augmentant le nombre de poursuites diligentées et de condamnations contre ces auteurs. Enfin, nous avons souhaité prendre en compte les violences dans toute leur étendue, élargir la formation à d'autres professionnels, tels que les pompiers, réfléchir à une extension des délais de prescription et améliorer le dépôt de plaintes.
Par ailleurs, l'une des spécificités du 5ème plan est la connexion entre femmes et enfants. Je rappelle que le fait d'inclure dans le champ des violences faites aux femmes les violences faites aux enfants a fait l'objet de réticences dans le passé, tant était prégnante la crainte qu'une plus grande sensibilité aux violences faites aux enfants ne focalise l'attention sur celles-ci, en dissimulant la compréhension des violences faites aux femmes. Par conséquent, l'appréhension des violences faites aux femmes a infiniment mieux progressé que celle des violences faites aux enfants, qui demeurent un véritable tabou. Certes, les enfants maltraités émeuvent tout le monde mais pas au point de désigner la famille comme étant le premier lieu de la violence qui leur est faite et mettre en oeuvre une vraie politique de lutte contre ces violences, tant nous nous heurtons encore aux représentations protectrices et bienveillantes de la famille. Il faut donc déconstruire ces représentations au préalable.
Mon mérite est limité car c'est Édouard Durand, comme toujours lumineux et limpide, qui est l'inspirateur de l'articulation entre la lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants dans le cadre des violences intrafamiliales, à travers la formule : « les enfants témoins de violences sont des enfants victimes ».
Le 5ème plan souligne la nécessité d'assurer la protection des mères et des enfants pendant la séparation, et intègre les violences économiques aux violences faites aux femmes, au nombre desquelles le non-paiement des pensions alimentaires.
L'intitulé de mon ministère, à ma nomination comme ministre des Familles, de l'Enfance et des Droits des femmes a suscité de nombreux commentaires désobligeants. Leurs auteurs y voyaient le signe d'une régression digne du pétainisme ! Pourtant, ce regroupement a bel et bien permis de mieux articuler l'ensemble des violences intrafamiliales pour mobiliser de concert les dispositifs de lutte contre les violences faites aux femmes et celles faites aux enfants ; ainsi, l'inclusion dans mon ministère du champ de la famille m'a permis de créer l'Agence de recouvrement des pensions alimentaires (Aripa) qui réduit les violences économiques résultant du non-paiement de celles-ci.
Le 5ème plan s'intéresse aussi à un « angle mort » des politiques publiques antérieures, celui des jeunes femmes âgées de 18 à 25 ans, installées ou non en couple, et qui, majeures soumises à des violences, ne relèvent plus du traitement des violences faites aux enfants mais ne se reconnaissent pas toujours dans les politiques de lutte contre les violences conjugales, parce qu'elles ne considèrent pas être sous statut conjugal.
Existent ainsi des violences, qui n'en sont pas moins dramatiques, exercées par des garçons au sein de couples non-cohabitants, instables et éphémères. Ces jeunes femmes peuvent aussi souffrir de violences parentales qui perdurent au-delà de leur majorité. Entre 2014 et 2017, nous avons créé 1 500 nouvelles places d'hébergement, mais pas toujours au sein des seuls centres dédiés aux femmes, comme l'auraient souhaité les associations.
Le 5ème plan prévoit la création de 100 solutions d'hébergement spécialisées pour les 18-25 ans. Vous connaissez peut être à Paris l'association FIT « Une femme, un toit », spécialisée dans l'accueil des jeunes femmes victimes de violences et dirigée par Marie Cervetti, aux positions très affirmées, et extrêmement efficace dans son travail.
Des femmes vivant en milieu rural nous ont aussi alertés sur le fait que le monde rural ne bénéficie pas et ne bénéficiera jamais du tissu associatif spécialisé qui existe dans les villes ; aussi, en matière de formation, nous nous sommes appuyés sur l'existant pour mettre en place la formation des intervenants sociaux présents en milieu rural, en convention avec la Mutualité sociale agricole (MSA) et les réseaux associatifs : centres sociaux ruraux, familles rurales, missions locales. Nous avons également prévu la création de permanences d'écoute dans des missions de service public.
Enfin, les violences faites aux femmes ont aussi été incluses dans la campagne « Sexisme, pas notre genre ».
Trois mois après le lancement du 5ème plan de lutte contre les violences faites aux femmes, a été présenté le premier plan de lutte contre les violences faites aux enfants pour 2017-2019, qui formalise l'analyse selon laquelle les enfants sont des co-victimes des violences faites aux femmes.
Constater l'absence de plan interministériel contre les violences faites aux enfants, alors que les plans de lutte contre les violences faites aux femmes en sont déjà à leur 5ème édition, témoigne du retard pris sur ce sujet. Nous l'avons traité sous l'angle des violences sexuelles, de la mémoire traumatique, de l'amnésie post-traumatique et de ses conséquences sur la santé des enfants. Nous avons aussi mené une campagne de sensibilisation « Le signalement n'est pas une délation ». En effet, il est important de dénoncer les faits dont nous sommes témoins de violences à l'encontre d'enfants et de battre en brèche le vieil adage invitant à ne pas se mêler des affaires privées qui se déroulent au sein d'une famille, au motif que les parents sont libres de l'éducation de leurs enfants. L'ouvrage paru dans les années 1970 Crie moins fort, les voisins vont t'entendre est parfaitement révélateur de cet état d'esprit auquel nous devons mettre fin. Les marches blanches en mémoire des victimes ne suffisent pas, il faut éviter que l'irréparable ne soit commis !
J'ai mené campagne pour faire adopter une loi contre les violences éducatives ordinaires, moquée sous la dénomination très réductrice de « loi fessée », à connotation vaguement sexuelle. Or, il faut promouvoir l'éducation non violente des enfants. Cette campagne a suscité des incompréhensions de certains parents quant à l'interdiction qui peut leur être imposée de ne pas frapper leur enfant, notamment de la part d'une frange de la France traditionnelle, comme si l'exercice de violences à portée « éducative » était une des composantes de notre identité ! Cette disposition a été introduite dans le projet de loi « Égalité et citoyenneté » (PLEC), mais a fait l'objet d'un recours devant le Conseil constitutionnel, qui l'a annulée pour des raisons de procédure, en tant que cavalier législatif. Il faudrait donc que cette mesure puisse être de nouveau examinée et adoptée par le biais d'un autre vecteur législatif.
Le droit des femmes doit passer de sujet sectoriel à transversal ; en effet, au-delà des discours, qu'il s'agisse de celui que prononcera le 25 novembre le Président de la République ou de ceux qui le seront à l'occasion de la journée du 8 mars, force est de constater que l'égalité femmes-hommes et les violences faites aux femmes demeurent des sujets sectoriels qui n'ont pas encore imprégné l'ensemble des politiques publiques. Or une implication interministérielle est nécessaire pour mobiliser toute la société et les acteurs publics contre les violences faites aux femmes. La question des moyens qui y sont affectés est aussi essentielle : au-delà des déléguées départementales aux droits des femmes, les « véritables » services extérieurs du ministère des Droits des femmes ou du secrétariat d'État à l'Égalité femmes-hommes sont les associations. C'est grâce aux associations que se mettent en place les politiques publiques de l'égalité entre femmes et hommes. Or, les subventions qui leur sont attribuées ne représentent qu'une part infime des moyens qui sont affectés à un service extérieur de l'État. C'est pourquoi je demande le maintien et la création des contrats aidés dans tout le milieu associatif dédié aux droits des femmes, d'autant plus que ces associations sont actuellement encore plus sollicitées pour assister des femmes depuis que leur parole s'est récemment libérée.
Mme Annick Billon. - Merci, chère collègue, pour ce témoignage qui souligne votre force de conviction.
Parmi les aspects que vous avez évoqués, je relève la continuité dans la mise en oeuvre des politiques publiques de lutte contre les violences, même si certains aspects portant sur la question des enfants ou la ruralité doivent être précisés. À cet égard, la délégation, au cours de ses travaux sur le thème des agricultrices, a souligné l'importance de la désignation d'associations de référence pour accueillir les femmes victimes de violences en milieu rural, ces associations étant formées par des structures spécialisées, inégalement présentes dans nos territoires.
Vous avez justement indiqué que les moyens sont fluctuants, notamment les subventions attribuées aux associations dans le cadre départemental, qui peuvent se voir fortement réduites, voire disparaître à la suite d'un changement à la tête de cet exécutif local. Comme le soutien aux femmes victimes de violence n'est assuré que par les associations, il peut en résulter de fortes inégalités territoriales, et c'est très regrettable.
Le magistrat que nous avons auditionné la semaine dernière a été limpide dans son propos quant au lien entre les violences faites aux femmes et celles faites aux enfants, en rappelant, comme vous venez de le mentionner, qu'un enfant témoin est un enfant victime, ce dont on n'a sans doute pas assez conscience. Je suis d'accord avec vous, il y a une réticence à se mêler de ce qui se passe dans l'intimité des familles...
Mme Françoise Cartron. - Merci de nous avoir rappelé les progrès accomplis et le chemin restant à parcourir.
Une formation au signalement doit être menée auprès de différents acteurs ; lors de ma carrière d'enseignante, alors que j'avais constaté que l'un de mes élèves présentait des marques de violences physiques, on m'a fortement dissuadée de le signaler en instillant le doute quant à la réalité des faits, voire en faisant apparaître ma démarche comme irréfléchie ! Il faut être conscient de cette difficulté à laquelle sont confrontés les enseignants.
Par ailleurs, je m'interroge sur les critères de nomination des déléguées départementales aux droits des femmes. Je n'ai pas été convaincue, par exemple, par le travail d'une déléguée, qui d'ailleurs est restée en poste fort longtemps, qui n'abordait que des sujets tels que les femmes cheffes d'entreprises, sans se soucier des violences...
Mme Nassimah Dindar. - Je vous remercie, Madame la ministre, pour votre exposé. Nous vous avons reçue à La Réunion. Vous connaissez bien l'acuité du problème des violences exercées contre les femmes dans les départements d'outre-mer (DOM) et vous avez bien décrit l'ensemble des violences intrafamiliales. Je voudrais saluer le fait que les dispositions du 5ème plan incluent au sein des violences faites aux femmes l'ensemble des violences intrafamiliales comme un sujet indissociable ; lors des rencontres avec des élus locaux, l'aide sociale à l'enfance ne peut être mentionnée sans y associer toute la place donnée aux familles, aux pères parfois absents et à la dégradation des conditions de vie de la mère de famille qui constituent chez nous en outre-mer autant de problèmes cruciaux. Je rappelle à cet égard un chiffre édifiant publié il y a deux semaines : à La Réunion, 80 % des interventions en urgence de la gendarmerie ont pour cause des violences intrafamiliales.
Dans mon territoire, un cofinancement État-département a permis de créer au sein de cinq gendarmeries des postes d'assistants sociaux qui y effectuent un travail remarquable, ce qui démontre la nécessité de disposer de moyens financiers pour assurer une présence physique de l'autorité.
Je vous rejoins sur la politique du logement : elle doit être définie au niveau interministériel et intégrer les problématiques des violences faites aux femmes et aux violences intrafamiliales, afin qu'une convention conclue avec les bailleurs sociaux permette de disposer d'un intervenant dédié dans chaque groupe d'immeubles. Une association a démontré l'efficacité d'un tel référent de proximité au sein d'une barre d'immeubles.
De plus, le sexisme qui accompagne l'image de la femme dans les médias n'est pas le fait de la seule publicité mais vient aussi du parti pris de les valoriser ou de les dévaloriser ; ainsi les femmes et les hommes politiques ne bénéficient pas d'un égal traitement dans les médias.
Sur la question des moyens, bien que les déléguées aux droits des femmes ne disposent que de budgets dérisoires, celle de La Réunion effectue un travail remarquable avec une dotation infime de 50 000 euros ! Il me semble qu'un travail de ventilation budgétaire devrait définir dans chaque département et région les budgets à allouer au vu des actions à y mener. Plus généralement, les associations ne peuvent disposer d'une visibilité sur leurs actions en l'absence de convention de financement pluriannuelle. Il faudrait à cet égard identifier des référent-e-s au niveau national.
Enfin, comme vous l'avez souligné, le problème de société que sont les violences intrafamiliales doit être traité à un niveau interministériel.
Pour conclure, il me semble qu'un travail reste à mener sur la femme et l'islam de France pour éduquer ces jeunes françaises qui deviendront les parents des futurs musulmans de France.
Mme Victoire Jasmin. - La situation en Guadeloupe est similaire à ce qu'a décrit ma collègue de La Réunion.
En Guadeloupe, les hommes ont longtemps considéré qu'ils étaient propriétaires de leur femme, comme en témoigne l'anecdote suivante : je n'ai appris le prénom de l'une de mes tantes que le jour de ses obsèques car, au cours de sa vie, elle n'était connue que sous la dénomination de « tante Serge », la coutume voulant que la femme prenne le prénom de son époux : Mme Auguste, Mme Gaston... Je pense que c'est une tradition que n'accepteraient plus les jeunes générations.
À cette époque, beaucoup de femmes confrontées à la violence de leur conjoint ne trouvaient nul réconfort auprès de leurs parents et notamment de leur mère, qui les renvoyaient à leur foyer violent.
Même si cela a aussi changé, beaucoup de femmes meurent encore sous les coups en Guadeloupe et en Martinique ; cette violence à l'encontre des femmes existe aussi en France métropolitaine : un policier guadeloupéen y a récemment tué sa femme et plusieurs de ses enfants. Quand les femmes se rebellent contre le joug imposé par leurs hommes, ceux-ci ne l'acceptent pas et peuvent basculer dans une violence extrême.
Par ailleurs, un récent article du Quotidien du médecin mentionne que les femmes en situation précaire négligent souvent leur santé pour s'occuper de leur famille. Il y a là un vrai sujet pour la délégation.
En Guadeloupe, la lutte contre les violences faites aux femmes résiste aux alternances politiques. La déléguée départementale aux droits des femmes est ainsi restée en poste pendant vingt ans et a su décliner sur le terrain les politiques publiques de l'État, avec le concours des associations. Des dispositifs innovants ont été mis en place pour permettre l'expression des femmes dans le cadre de groupes de parole, au sein desquels hommes et femmes conversent pour exprimer leurs non-dits, poser clairement les problèmes sous-jacents à une communication insuffisante entre les sexes et aboutir à un apaisement de relations qui débouchaient auparavant trop souvent sur des violences dont les enfants étaient aussi généralement victimes.
J'ai demandé à la présidente d'une de nos associations locales d'adresser à la présidente de la délégation aux droits des femmes du Sénat une synthèse des actions qui ont été menées en Guadeloupe.
Les personnes handicapées éprouvent notamment des difficultés à accéder aux dispositifs de prévention du cancer du sein et à un suivi gynécologique, car selon leur handicap, elles ne sont pas toujours en capacité de réagir et de signaler leurs maux par elles-mêmes, demeurant alors tributaires de la bonne volonté des personnes qui les assistent.
Nous menons des actions de prévention avec le concours d'associations ou, dans un cadre intercommunal, des CISPD,6(*) au sein desquels certains bailleurs sociaux s'impliquent en nommant des référents dans les immeubles qui peuvent procéder à des signalements de familles rencontrant des difficultés ; néanmoins, des freins subsistent, des femmes restant hésitantes à faire remonter l'ensemble des informations dont elles peuvent disposer.
Souhaitons que les récentes campagnes de libération de la parole des femmes permettent à terme de surmonter ces réticences afin de nous donner les moyens d'agir.
Mme Françoise Laborde. - Même si j'ai éprouvé des réticences à la création de votre ministère, je reconnais cependant que votre action y a été positive.
Notre rapport sur les violences au sein des couples7(*) pointait déjà la problématique de l'ensemble des violences intrafamiliales, qu'elles s'exercent sur les femmes ou sur les enfants.
Ancienne enseignante en maternelle, je corrobore les propos de Françoise Cartron sur la pusillanimité de l'Éducation nationale à procéder à des signalements, les enseignants étant fortement dissuadés de s'y risquer par des intervenants de l'ensemble de sa structure, notamment la médecine scolaire. Une formation au signalement est donc nécessaire, mais il est difficile de faire évoluer les mentalités sur ce point.
J'en suis bien consciente, heureux sont les départements qui disposent d'une déléguée départementale, surtout lorsque celle-ci est efficace, comme c'est le cas en Haute-Garonne !
Comme beaucoup d'autres collègues autour de cette table, j'ai versé une partie de ma dotation parlementaire à des associations ; or, celles qui désormais ne bénéficient plus ni de contrats aidés ni des versements issus de la réserve parlementaire, et doivent se contenter des subsides alloués par l'État ou le département, se trouvent confrontées à de graves difficultés financières.
Certains préfets ont fait le choix de conserver les contrats aidés dans les secteurs de l'éducation, de l'accompagnement ou du social ; cependant, si on leur enjoint de procéder à des mesures d'économie plus drastiques, en réduisant encore le volume global des contrats aidés, rien n'assure que ces secteurs préservés le resteront.
M. Roland Courteau. - Les propos de Laurence Rossignol confirment que la lutte contre les violences au sein des couples est désormais considérée comme une politique publique à part entière, ce qui n'était pas encore le cas en 2005 lorsque la première proposition de loi destinée à lutter contre ce fléau a été présentée.
« Protéger la mère, c'est protéger l'enfant » nous précise Édouard Durand dans son ouvrage ; à cette fin, il me semble nécessaire de recourir plus fréquemment aux mesures d'accompagnement protégé (MAP) qui permettent d'éviter le contact direct entre le père auteur de violences et la mère.
Puisque la reconstruction de la victime passe par la mise à sa disposition d'un logement, subir des violences conjugales devait constituer un motif prioritaire d'attribution d'un logement social selon les dispositions de la loi de 20108(*) ; à ce titre des conventions devaient être signées entre l'Etat et les bailleurs sociaux : qu'en est-il ?
Le suivi des victimes de violences conjugales, femmes et enfants, notamment dans ses composantes psycho-traumatiques est insuffisant, le nombre d'établissements de soins spécialisés ne pouvant aujourd'hui répondre à une demande de soins souvent lourds, et qui doivent être prodigués pendant des années, voire une vie entière.
L'incrimination des violences psychologiques, non retenue dans la loi de 20069(*), a été reprise dans celle de 2010. Mais qu'en est-il des condamnations prononcées à ce titre ? Elles semblent rarissimes, alors même que la violence psychologique exercée par un agresseur habile détruit lentement un être sans laisser de traces visibles, cette absence de preuves tangibles permettant difficilement de sanctionner leur auteur. Faudrait-il sensibiliser les magistrats à ces violences psychologiques ou en adopter une définition plus large ?
Si notre arsenal législatif est suffisant pour permettre de lutter contre le fléau des violences conjugales, il faudra cependant traiter au plus vite les stéréotypes sexistes dont l'influence est forte dès la prime enfance. Ces stéréotypes sont un ferment des inégalités et ont une responsabilité dans les violences ultérieures envers les femmes.
Mme Laurence Rossignol. - Monsieur Courteau, l'articulation entre les violences faites aux femmes et les stéréotypes a bien été prise en compte dans le 5ème plan, qui s'intitule « le sexisme tue aussi », et qui inscrit la mobilisation contre les violences faites aux femmes au sein d'une mobilisation globale contre le sexisme. Plusieurs études s'intéressent au respect du consentement dans le secteur cinématographique : de nombreux films mettent en scène un homme qui passe outre le consentement d'une femme. Pourquoi s'en priverait-il ? Pour autant qu'il soit suffisamment insistant, la femme se laisse convaincre et finalement elle a l'air très contente ! Je vous invite à revoir les films de James Bond, typiques de cette approche...
Mme Céline Boulay-Espéronnier. - Cela évoque aussi l'affaire Weinstein !
Mme Laurence Rossignol. - En matière de signalement des violences, ce n'est pas l'Éducation nationale qui est pas la plus à blâmer, mais plutôt les médecins généralistes, dont le taux de signalement est le plus bas parmi l'ensemble des acteurs qui rencontrent des enfants victimes de violences. Pourtant, ils ne sont pas passibles de poursuites pour dénonciation calomnieuse. En effet, des dispositions législatives les protègent : une proposition de loi déposée il y a dix-huit mois et adoptée au Sénat exonère les médecins de toute poursuite en matière de diffamation en cas de signalement de violences. Bien qu'elle soit redondante avec les textes existants, je l'ai soutenue pour rassurer les médecins sur ce point en leur rappelant la règle.
La culture interne de l'Éducation nationale a aussi évolué positivement sur la question du signalement, si l'on veut bien se rappeler qu'il y a encore quelques années, les enseignants pédophiles étaient simplement déplacés d'une académie à une autre !
Les enseignants, inquiets pour leurs élèves, procèdent plus fréquemment à des signalements les veilles de week-end et de vacances scolaires, périodes pendant lesquelles l'enfant sera seul avec ses parents. Les enseignants souffrent cependant de l'absence de retour sur le traitement de leur signalement. Il leur semble que celui-ci est vain : cela les dissuade de faire cette démarche. Les cellules de recueil des informations préoccupantes (CRIP) devraient être associées à des travaux pour que les services d'inspection des rectorats informent l'équipe éducative qui a procédé au signalement ; dans le cas contraire, le découragement guette les enseignants.
À l'issue de chaque intervention sur les droits de l'enfant dans une classe, on constate qu'au moins un enfant se présente à l'intervenant pour décrire ce qu'il vit dans sa famille ; promouvoir les droits de l'enfant à l'école est donc fondamental ! Cela permet de révéler et de faire comprendre aux enfants que des situations qu'ils pensaient jusqu'ici normales, car sous l'autorité de leurs parents, ne le sont aucunement.
Je suis bien d'accord avec nos collègues ultramarines, l'ampleur des violences dans les DOM justifierait que des moyens supplémentaires y soient affectés, notamment pour former l'ensemble des acteurs.
Les déléguées départementales sont choisies par une commission départementale aux droits des femmes sur proposition des préfets, après audition des fonctionnaires qui demandent une mutation sur ce poste ou de contractuels. Les déléguées départementales sont très diverses, comme d'ailleurs tous les personnels de la fonction publique. Elles effectuent leur travail plutôt en solitaire, même si elles rendent compte aux délégations régionales aux droits des femmes.
J'en suis bien consciente, les budgets attribués à la politique de lutte contre les violences faites aux femmes sont dérisoires au regard des besoins, et la retenue dans l'expression des personnes oeuvrant en ce domaine, qui préfèrent la discussion calme aux débordements et autres blocages routiers, à l'inverse de ce que peuvent faire certains groupes catégoriels, n'est pas de nature à faire pression sur le Gouvernement. On peut espérer que la récente libération de la parole des femmes inversera ce rapport de force et soulignera l'ampleur des besoins.
Françoise Laborde est dans le vrai, la suppression de la réserve parlementaire représente une baisse discrète mais réelle des ressources des associations.
Le nombre insuffisant de praticiens formés pour traiter les épisodes psycho-traumatiques est apparu patent après les récents attentats de masse. Un groupe de travail du ministère de la Santé travaille sur cette question et doit faire des propositions à l'assurance maladie pour examiner l'extension de la prise en charge à 100 % à vie au profit de l'ensemble des adultes victimes de violences sexuelles, comme cela existe pour les enfants victimes de violences sexuelles, pris en charge dans le cadre d'ALD (Affection de longue durée) pour les pathologies relevant du traitement des violences sexuelles qu'ils ont subies.
Mme Laurence Cohen. - Je reconnais l'ensemble du travail accompli par Laurence Rossignol, féministe convaincue de longue date, même si je suis restée critique sur la dénomination qui avait été retenue pour son ministère et les budgets qui lui avaient été affectés.
Quel que soit le gouvernement, les moyens financiers consacrés aux droits des femmes sont indigents alors même que les violences faites aux femmes non prises en charge induisent des dépenses très importantes pour la société, comme l'a indiqué un rapport du HCE|fh.
Que pourrait-on faire de plus pour alerter et parvenir à débloquer des crédits supplémentaires ? Je salue à cet égard l'amendement adopté par la commission des affaires sociales visant à augmenter les crédits de la lutte contre la prostitution.
Pourrait-on disposer d'une cartographie de la répartition territoriale des déléguées aux droits des femmes, les postes n'étant pas pourvus dans certains départements ?
Mme Laurence Rossignol. - C'est une demande qu'il faudrait formuler auprès de Mme Schiappa.
Mme Laurence Cohen. - Si l'ensemble de la délégation partage le constat que les inégalités salariales entre les hommes et les femmes constituent une violence économique, je constate cependant que cette unanimité n'est plus de mise quand il s'agit de faire adopter des dispositions visant à pénaliser davantage les entreprises...
La prise en charge des psycho-traumas des femmes victimes de violences devrait l'être à 100 %, comme c'est le cas pour les victimes des attentats. La psychiatre Muriel Salmona demande qu'un centre de santé spécialisé dans la prise en charge de ces pathologies soit créé dans chaque bassin de vie pour assurer un suivi des victimes dans le cadre du tiers payant.
Soyons d'autre part attentifs à toujours associer le mot femmes aux expressions « violences intrafamiliales », « sexistes » ou « sexuelles » car ce sont bien les femmes qui en sont principalement victimes !
Mme Christine Prunaud. - Madame la Ministre, je salue votre engagement pour les droits des femmes. Élue des Côtes-d'Armor, je suis originaire d'une ville en milieu rural et je déplore que depuis plus d'un an, le poste de chargée de mission aux droits des femmes y soit vacant, ce qui n'est pas sans conséquence sur l'organisation de la coordination de la prévention des violences faites aux femmes. Chaque préfecture doit disposer d'un référent dédié aux droits des femmes, c'est une question d'égalité territoriale ! Je déplore que des courriers adressés à Mme Schiappa sur ce sujet soient restés sans réponse.
Notre délégation est unanime pour demander que lui soit adressé un état des lieux de la répartition territoriale de ces chargées de mission aux droits des femmes.
Le rapport de force doit évoluer et des négociations plus fermes s'engager avec les ministères et les préfets pour exiger des moyens pérennes de financement de la prévention des violences faites aux femmes qui ne repose actuellement que sur des associations, lesquelles se trouvent dans une situation financière extrêmement précaire.
Mme Céline Boulay-Espéronnier. - Dispose-t-on de statistiques sur les signalements des violences faites aux enfants selon que l'on se trouve en zone d'habitat urbain ou périurbain ?
Des cas dramatiques de violence sur enfants exercées au sein du foyer familial ont mis en exergue le rôle joué par les mères qui en sont témoins, sans que l'on sache précisément si elles étaient simplement passives, victimes elles-mêmes de violences ou bien consentantes ; l'arsenal juridique est-il suffisant pour prendre en compte ces situations ?
La dénonciation des violences verbales et psychologiques, qui mènent souvent à des violences physiques doit par ailleurs, selon moi, être encouragée.
M. Martin Lévrier. - Vice-président d'un organisme de logements sociaux, j'ai eu à traiter des cas dramatiques d'anciennes épouses de militaires qui se trouvaient du jour au lendemain sans domicile du fait d'une séparation.
En effet, au prononcé du divorce entre un militaire et un civil, le conjoint civil doit immédiatement quitter le logement de fonction attribué par l'autorité militaire, faute de quoi il est expulsé ! Cette pratique est d'une incroyable violence ! Ces faits se sont déroulés à Versailles et à Satory au sein de la gendarmerie.
Je propose de mener des actions de prévention systématiques sous couvert d'une formation à la famille, par exemple à l'occasion des entretiens précédant les mariages, en y exposant le respect entre conjoints et en informant sur les moyens d'alerte existants, dont le numéro national 3919.
Mme Noëlle Rauscent. - Beaucoup de femmes ne reçoivent pas la pension alimentaire qui leur est due, pourtant nécessaire à l'équilibre de leur budget et à l'éducation des enfants dont elles ont la charge, sans oser en réclamer le versement par crainte des violences que pourraient exercer leur ex-conjoint à leur encontre. Comment peut-on y remédier ?
En milieu rural, le signalement des violences sur enfants serait accru en améliorant la communication, encore inégale, entre les établissements scolaires et les municipalités ; en tant que maire, j'ai ainsi pu faire avancer le traitement d'un dossier de violences en réunissant les informations issues de l'école et des services de la mairie.
Certes, le parti LaREM dont je suis représentante est favorable à la suppression de la réserve parlementaire ; cependant, Jacques Mézard, ministre de la Cohésion des territoires, a indiqué lors de son audition d'hier qu'une enveloppe de 200 millions d'euros était disponible pour des quartiers urbains en difficultés, ainsi qu'en milieu rural ; les demandes de crédits peuvent donc s'inscrire dans ce cadre.
Mme Chantal Deseyne. - Madame la Ministre, je salue votre engagement et votre combat pour la cause des femmes.
Nos modèles éducatifs ne sont pas adaptés à la nécessaire prévention des violences faites aux femmes et aux enfants ; aussi, comment faudrait-il associer l'Éducation nationale, le corps médical ainsi que les élus au sein d'une instance qui affirmerait avec force que femmes et petites filles ne sont pas soumises à leur père ou à leur compagnon ?
Comment accompagner les femmes dépendantes économiquement après une séparation et faciliter le recouvrement d'une pension alimentaire impayée ou sous-évaluée ?
Mme Claudine Lepage. - Des femmes françaises avec enfants vivant en Italie, mariées à des conjoints violents, divorcées, ou ayant engagé une procédure de divorce, m'ont indiqué que celles dont le jugement de divorce a été prononcé par un juge italien sont contraintes de rester dans ce pays à proximité du conjoint violent ; la situation devient dramatique lorsque (c'est le cas pour l'une de ces femmes) l'ex-conjoint violent appartient à la mafia. Qu'adviendra-t-il lorsqu'elle reviendra dans sa famille en France ? Comment la protéger ?
Mme Annick Billon. - Je remercie Martin Lévrier d'avoir souligné le drame que vivent les femmes de militaires divorcées qui doivent immédiatement quitter l'ex-domicile conjugal, parfois avec leurs enfants.
Mme Laurence Rossignol. - Sur cette question du logement des militaires, je suggère de nous rapprocher du haut fonctionnaire chargé de l'égalité femmes-hommes qui existe au sein du ministère de la Défense comme dans chaque administration centrale, pour mettre en place des dispositifs transitoires, d'autant que ce ministère a montré qu'il est plutôt réceptif sur les questions relatives à l'égalité femmes-hommes.
Un ministère des droits des femmes, même de plein exercice, demeure de facto un « ghetto » dans la mesure où les moyens et les outils dépendent des autres ministères ; j'avais en charge la famille au sein de mon ministère et donc la tutelle de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), ce qui m'a permis de disposer de l'outil de la politique familiale au service des droits des femmes, sans avoir besoin de solliciter d'autres ministères pour disposer des leviers nécessaires.
Pour faire évoluer le monde judiciaire sur les droits des femmes, un grand ministère en charge des Droits des femmes et de la Justice serait une bonne formule à mon avis.
Concernant les violences sur les enfants, le ministère de la Justice ne peut fournir que peu d'éléments, et encore ceux-ci diffèrent-ils des chiffres du ministère de l'Intérieur...
L'Observatoire national de la protection de l'Enfance (ONPE), assisté par les Observatoires départementaux de protection de l'enfance (OPDE), réalise les enquêtes statistiques sur les violences exercées à l'encontre des enfants. Nous ne disposons cependant que de rares données, notamment sur la répartition territoriale de ces violences, et des outils sont en cours de construction. Là encore, des moyens financiers suffisants sont nécessaires.
On note une recrudescence des violences faites aux enfants par les beaux-pères, les femmes étant probablement sous emprise, je veux bien l'admettre dans certains cas. Cependant, ce concept d'emprise, encore récent en droit français, ne doit pas permettre d'exonérer les mères elles-mêmes auteurs, complices ou témoins ! L'incrimination pénale de non dénonciation de maltraitance sur enfant est applicable à ces mères témoins et j'ai proposé dans une proposition de loi de faire débuter le délai de prescription de cette infraction aux 18 ans de l'enfant au lieu de six ans après la commission des faits, ce qui est le cas actuellement.
La question du décloisonnement des politiques sociales, même si cela s'avèrerait coûteux sur le plan humain et budgétaire, est centrale. Elle constitue à mon avis un véritable enjeu de modernisation de l'État.
Concernant la question de Noëlle Rauscent, le mariage est protecteur pour les femmes car son dénouement donne lieu à une procédure judiciaire qui fixe les modalités de calcul et de versement de la pension alimentaire, ce qui n'est pas le cas pour les autres couples qui se séparent. Par ailleurs, je constate que les femmes qui gagnent bien leur vie n'en font pas un sujet. Nous avons mis en place la garantie de pension alimentaire relayée par l'Agence de recouvrement des pensions alimentaires (Aripa) qui permet aux femmes victimes de violences d'utiliser l'écran de cette agence pour faire procéder aux versements de pension. Cette agence fait aussi une avance pour tous les enfants, sans critères de ressources. C'est important pour les mères.
Réserver une enveloppe de 200 millions pour les quartiers urbains et ruraux fragiles, c'est une bonne chose ! Encore faut-il préserver la capacité d'agir des associations têtes de réseaux. En effet, si ces dernières sont exsangues, le tissu associatif présent sur le terrain en sera affecté.
L'affaire dont nous fait part Claudine Lepage relève à mon sens des dispositifs de protection des témoins, comme cela existe dans les affaires judiciaires pour protéger les prostituées qui dénoncent des réseaux ; il existe aussi des mécanismes de mise à l'abri pour les femmes qui subissent des violences. Le cas complexe qui nous est exposé relève toutefois de conventions bilatérales, et il reste à déterminer quel sera l'interlocuteur qui prendra en charge ce dossier : Affaires étrangères, Intérieur, Justice...
Mme Annick Billon. - Je vous remercie de votre intervention et d'avoir défendu la cause des femmes pendant ces années à la tête du ministère des Droits des femmes.
Chers collègues, je vous remercie de votre participation active à nos travaux. J'observe qu'une belle dynamique se créée au sein de notre délégation.
* 1 Loi n° 2014-366 du 24 mars 2014.
* 2 Loi n° 2014-873 du 4 août 2014.
* 3 Loi n° 2015-994 du 17 août 2015.
* 4 Loi n° 2016-444 du 13 avril 2016.
* 5 Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains.
* 6 Conseil intercommunal de sécurité et de prévention de la délinquance.
* 7 2006-2016 : un combat inachevé contre les violences conjugales, rapport de Corinne Bouchoux, Laurence Cohen, Roland Couteau, Chantal Jouanno, Christiane Kammermann et Françoise Laborde fait au nom de la délégation aux droits des femmes, n° 425, 2015-2016.
* 8 Loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants.
* 9 Loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs.