Jeudi 13 octobre 2016
- Présidence de Mme Élisabeth Lamure, présidente -Compte rendu par Mme Élisabeth Lamure, MM. Olivier Cadic et Guy-Dominique Kennel, du déplacement de la Délégation en Suède et en Allemagne, sur le thème de la simplification des normes, du 28 au 30 septembre 2016
La réunion est ouverte à 8 h 30.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Nous allons vous présenter, avec mes collègues Olivier Cadic et Guy Dominique Kennel, le compte rendu du déplacement de la Délégation aux entreprises en Suède et en Allemagne, sur le thème de la simplification des normes, qui s'est déroulé du 28 au 30 septembre 2016.
Lors de sa réunion en juillet dernier, le Bureau de la Délégation avait décidé de poursuivre le travail engagé par la Délégation sur le sujet de la simplification, sujet qui apparaît comme la première préoccupation des entreprises que nous rencontrons sur le terrain. La proposition de loi constitutionnelle instaurant le principe de compensation de toute nouvelle mesure législative par la suppression d'une mesure en vigueur de charge équivalente - « one in, one out » -, déposée en décembre 2015, n'a pas encore été inscrite à l'ordre du jour. Je ne crois pas qu'elle verra le jour au cours de cette session.
Nous avons pourtant la conviction qu'il faut changer de braquet en termes de simplification. Vous vous souvenez de l'étude de législation comparée que la Délégation a fait réaliser pour connaître la stratégie engagée en ce domaine dans plusieurs pays voisins. Nous en avons discuté avec le Conseil d'État lors d'une matinée d'étude que nous avons organisée en mai dernier et qui a nourri l'étude annuelle que le Conseil d'État vient de publier, sur la simplification et la qualité du droit. Puis, le bureau de la Délégation a décidé de compléter ce travail par des déplacements à l'étranger pour observer comment la simplification y est concrètement menée et en tirer d'éventuels enseignements pour la France.
C'est dans ce cadre que s'inscrit le premier déplacement que nous venons de faire, en Suède et en Allemagne, les trois derniers jours de septembre. Nos collègues Olivier Cadic et Guy-Dominique Kennel m'ont accompagnée et je les en remercie. Je voudrais commencer en rendant compte de notre première journée, passée à Stockholm. Mes deux collègues évoqueront ensuite nos escales à Berlin et Hambourg.
À Stockholm, nous avons pu rencontrer tous les acteurs engagés dans la politique de simplification : les acteurs institutionnels - Gouvernement, Parlement et organe dédié à la simplification - et les acteurs privés - représentants d'entreprises françaises et suédoises.
La Suède figure généralement au top des classements internationaux touchant à l'attractivité, au climat des affaires et à l'innovation. Dans le classement « Doing Business 2016 » de la Banque mondiale, elle occupe, par exemple, le 8ème rang sur les 189 pays étudiés. Pour favoriser un environnement des affaires attractif et maintenir le rang de la Suède dans ce type d'études comparatives internationales, les gouvernements suédois successifs ont tous mis la priorité, depuis près de dix ans, sur la réduction du fardeau administratif pesant sur les entreprises.
Nous avons pu échanger avec plusieurs députés de la Commission des affaires économiques du Parlement - devenu monocaméral il y a 50 ans -, dont Mme Nilsson, présidente de cette commission. Nous avons également rencontré M. Johansson, secrétaire d'État au ministère de l'Économie chargé des questions relatives au développement des entreprises. Ceci nous a permis de mesurer le consensus national autour de la question de la simplification et la détermination durable que manifestent les autorités à ce sujet.
Ceci s'inscrit dans un mouvement de réforme plus large, impulsé en Suède depuis les années 1990 au bénéfice des entreprises, consistant notamment à abaisser et simplifier l'impôt sur les sociétés, à supprimer les niches fiscales, ou encore à supprimer les droits de succession. Ainsi, un objectif de simplification a été fixé en 2006 : réduire de 25 % les charges administratives des entreprises d'ici 2012. 12 ministères et 50 agences nationales ont d'abord identifié, non pas l'ensemble des mesures existantes - leur nombre global reste inconnu -, mais les mesures qui entravaient le plus le développement des entreprises. Ce rapport collectif a été proposé au Gouvernement suédois en 2007-2008. Rejoignant les préconisations de l'OCDE, le Gouvernement s'est parallèlement engagé à « mieux légiférer », ce qui implique une politique de simplification transparente, fondée sur des paramètres mesurables. Ceci a conduit le Gouvernement à créer en 2008 le Conseil de la réglementation (Regelradet) qui a pour mission d'évaluer la qualité des études d'impact qui doivent accompagner toute mesure nouvelle envisagée par le Gouvernement.
La stratégie suédoise de simplification se focalise essentiellement autour de trois axes :
- réduire les délais de traitement des procédures administratives pour les entreprises ;
- alléger les charges administratives pour les entreprises ou, au moins, les stabiliser jusqu'en 2020 ;
- numériser les relations avec l'administration (via un guichet unique notamment).
La mise en oeuvre de cette politique repose sur deux piliers :
- d'une part, l'Agence des politiques de croissance (Tillväxtverket) qui relève du ministère de l'Économie, et qui compte 370 agents et dispose de 9 antennes dans le pays. Sa mission met en oeuvre la politique nationale de croissance et d'innovation et c'est à ce titre qu'elle promeut notamment la simplification des procédures pour les entreprises et l'amélioration de leurs interactions avec l'administration, en grande partie grâce à la numérisation ;
- d'autre part, le Conseil de la réglementation, Regelradet, chargé de contrôler la qualité des études d'impact que doit produire le Gouvernement dès qu'il envisage une nouvelle norme susceptible d'alourdir les charges administratives des entreprises. Il vérifie que ces études d'impact détaillent le but poursuivi, les solutions alternatives, la conformité avec le droit de l'Union européenne et le coût administratif prévisible. Un modèle de calculateur de coûts est mis en ligne à la disposition des administrations. On peut noter que les amendements ne sont pas soumis à étude d'impact.
Entre 2009 et 2014, le Conseil a analysé plus de 1 000 études d'impact ; il a émis des avis positifs sur 38 % d'entre elles. Les avis du Conseil ne sont pas contraignants, mais nos interlocuteurs estiment qu'ils ont un effet positif sur l'allègement des charges administratives pour les entreprises. L'Agence pour la croissance prodigue désormais des formations aux administrations pour améliorer la qualité des études d'impact qu'elles soumettent au Conseil. Depuis 2015, ce Conseil de la réglementation est devenu une direction générale autonome au sein de l'Agence pour la croissance, ce qui lui permet de bénéficier de moyens plus importants.
Quels résultats la Suède obtient-elle en matière de simplification ? L'objectif de 25 % de réduction des coûts administratifs n'a pas été atteint en 2012, mais la Suède a réussi, selon le patronat, à faire économiser aux entreprises 750 millions d'euros de coûts administratifs par an entre 2006 et 2012. Ainsi, les données sont transmises par les entreprises une seule fois à l'administration des impôts qui a créé une base utilisable par toutes les administrations. En outre, l'ensemble des administrations partagent un portail commun d'information en ligne, où les informations sont présentées de manière analogue et comparable. Ce sont déjà des premiers succès, qu'il faut sans doute imputer à deux éléments :
- d'abord, la priorité accordée au « mieux légiférer » au bénéfice des entreprises est partagée par tous les acteurs publics, aussi bien au Gouvernement qu'au Parlement. La prise de décision publique en Suède est assise sur des discussions en amont, qui conduisent ensuite à un consensus permettant une mise en oeuvre déterminée et persévérante ;
- ensuite, a été mise en place une structure administrative unique et indépendante dédiée à la politique de simplification. Au lieu d'aborder la simplification dossier par dossier, elle donne une impulsion d'ensemble à cette politique, que ce soit en matière de délai de traitement des dossiers ou de guichet unique pour les entreprises. Ce sont les administrations fiscales et statistiques qui doivent se coordonner entre elles et s'adapter à ce guichet unique, et non les entreprises. Il en est de même d'ailleurs pour le prélèvement de l'impôt à la source, que pratique déjà la Suède : les entreprises, qui collectent le montant des prélèvements obligatoires sur les salaires et le reversent en un bloc, ne se chargent pas de répartir les prélèvements entre les diverses administrations fiscales ou sociales. La complexité est prise en charge par la sphère publique et non reportée sur les entreprises.
D'indéniables progrès sont constatés. Ils font d'ailleurs l'objet d'un chapitre spécifique dans le cadre du projet de loi de finances suédois. Néanmoins, on peut identifier trois limites à la politique de simplification menée en Suède.
D'abord, nous avons pu toucher du doigt, lors de notre déjeuner à la résidence de l'Ambassade, un sujet délicat : la difficile conciliation entre la numérisation, qui rend accessibles les données personnelles aux différents acteurs publics voire privés (notamment, les banques), et la protection de ces données personnelles. Ce n'est pas un sujet en Suède, où la transparence est admise par tous ; mais c'en est certainement un pour la France.
Nous avons ensuite constaté la persistance de lourdeurs administratives à l'échelon local. La Suède semble peiner à réduire le fardeau administratif local : les règles et normes nécessaires à l'obtention de diverses formes d'autorisations pour les entreprises sont très hétérogènes à travers le pays qui compte 290 communes et 21 régions. Pour y remédier, le Gouvernement vient de mettre en place une collaboration avec la Fédération des collectivités territoriales. Là encore, priorité est donnée au numérique qui est à la fois un moyen d'accélérer le temps de traitement des demandes mais aussi d'uniformiser les règles applicables sur tout le territoire. Une expérimentation est en cours pour simplifier les relations avec les professionnels de la restauration, qui ont besoin d'autorisations relevant à la fois de l'État et des communes. Si cette approche s'avérait concluante, elle pourrait être élargie à d'autres secteurs.
Enfin, nous avons pu ressentir l'insatisfaction persistante des entreprises : les échanges avec M. Berggren, de la Confédération suédoise des entreprises, et M. Femrell, Directeur général de l'office de l'industrie et du commerce pour l'amélioration du cadre réglementaire, nous ont permis de mesurer l'importance que les entreprises suédoises accordent à la simplification administrative, mais aussi de réaliser leur insatisfaction. 70 % des entrepreneurs suédois considèrent que le fardeau administratif ne diminue pas, en dépit des efforts de l'État. Ceci rejoint une étude de la Cour des comptes suédoise de 2012 qui critiquait le fait que la politique de simplification était trop axée sur le volet strictement administratif (à savoir les coûts résultant des règles comptables et du droit des sociétés), et pas assez sur les vrais obstacles à la croissance : pour les entreprises, les procédures en matière de fiscalité, le code du travail et les règles en matière de construction et d'environnement restent en effet les plus importants obstacles à leur développement. Le patronat suédois dénonce aussi la surtransposition des règles européennes. Enfin, il place beaucoup d'espoir dans le projet de traité transatlantique qui, en promouvant des normes communes aux deux rives de l'Atlantique, pourrait faciliter la vie des entreprises. Surtout, il propose de donner au Conseil de la réglementation un droit de veto sur un texte envisagé par le Gouvernement, quand l'étude d'impact qui l'accompagne n'est pas de bonne qualité. Il suggère aussi de confier à un organe indépendant le soin de réexaminer régulièrement les règles en vigueur, au regard de l'objectif visé initialement, pour s'assurer qu'elles y répondent toujours.
Si la Suède donne un avant-goût des bénéfices d'une politique nationale de simplification, l'Allemagne, où nous nous sommes rendus le lendemain, nous a semblé encore plus avancée en ce domaine. Je laisse Olivier Cadic vous en parler.
M. Olivier Cadic. - La journée que nous avons passée à Berlin nous a vivement intéressés. Nous avons eu des échanges avec tous les acteurs concernés par la simplification : Parlement, ministère de l'économie, équivalent allemand de l'INSEE, monde des affaires, syndicats, et enfin, Conseil de contrôle des normes.
Grâce à tous ces contacts, nous avons pu mesurer l'efficacité allemande sur le sujet de la simplification du droit. Tout a vraiment commencé il y a onze ans, avec l'inscription de la simplification dans l'accord de coalition, à l'initiative du Parlement. Le gouvernement fédéral avait déjà tenté auparavant de simplifier, mais sans succès : ainsi, il y a trente ans, avait été mise en place la procédure des questions bleues. Se référant à Montesquieu, le Conseil des ministres allemand avait effectivement décidé, en 1984, de passer tout projet de loi au crible de dix questions, telles que : « Faut-il vraiment faire quelque chose ? Faut-il faire une loi ? »... Mais le nombre de lois n'a cessé d'augmenter.
C'est en 2005 que fut créé un service à la Chancellerie chargé de vérifier la qualité des projets de loi. On a alors calculé la valeur cumulée des charges bureaucratiques au niveau fédéral : elle a été estimée à 50 milliards d'euros. L'Allemagne s'est alors fixé comme objectif de réduire ces coûts de 25 %, comme l'a fait la Suède : l'Allemagne, elle, y est parvenue quatre ans plus tard. Si bien que la politique de simplification a permis de dégager 14 milliards d'euros d'économie au terme de la législature. Ce chiffre ne peut laisser indifférent.
Quel est donc le secret de ce succès allemand ?
Tout d'abord, de l'avis unanime, l'efficacité actuelle de la politique de simplification tient d'abord à la création en 2006 du Conseil de contrôle des normes (Normenkontrollrat ou NKR). Cette création est passée par une loi, et non par une décision gouvernementale comme au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas. Cet organe indépendant, placé auprès de la Chancellerie, est composé de dix membres ; chacun est le référent d'un à quatre ministères pour discuter de l'impact des projets de loi. Ses membres sont nommés pour cinq ans par le Gouvernement, après approbation du Bundestag ; le président est CDU, le vice-président SPD. Un secrétariat de 15 personnes assure son fonctionnement.
Nous avons été reçus par le président du NKR, M. Johannes Ludewig, ainsi que par deux autres de ses membres. Le charisme et le dynamisme de M. Ludewig, ancien président de la DeutscheBahn et ancien Secrétaire d'Etat chargé de coordonner la transition de l'Allemagne de l'Est, donc fin connaisseur du monde politique comme du monde économique, donnent un poids politique au NKR qui se pose comme une instance crédible de dialogue avec le Gouvernement. L'existence d'un ministre d'État auprès de la Chancelière, Helge Braun, chargé de coordonner la réduction de la bureaucratie, témoigne de l'importance du sujet pour la chancelière : M. Braun supervise la réalisation du programme de simplification par chaque ministère.
Comme son homologue suédois, le Regelradet, le NKR évalue la qualité de l'étude d'impact fourni par le Gouvernement avec chaque projet de loi, et recourt pour cela au modèle des coûts standards importé des Pays-Bas, qui permet d'objectiver et de chiffrer les frais de la bureaucratie : mais il va plus loin que le Regelradet. En effet, le NKR discute de l'évaluation des coûts avec le référent désigné dans chaque ministère, en amont de la présentation du texte en conseil des ministres. Même s'il ne nie pas les résistances rencontrées, le NKR a conscience qu'une mécanique d'évaluation systématique des coûts bureaucratiques de chaque projet de loi a été enclenchée, l'un de ses membres a parlé d'un véritable « changement de culture ». Cette discussion ne se fait pas dans un esprit d'affrontement mais de collaboration. Ces chiffres font ensuite l'objet de débats en Conseil des ministres et chaque ministre doit alors se justifier de la charge bureaucratique qui résulterait de son projet de loi.
Parallèlement, ont été adoptées, en 2006, 2007 et 2008, trois lois successives pour alléger les charges des PME dans trois domaines : finances, agriculture et économie. Le conseiller du groupe SPD du Bundestag que nous avons rencontré, M. Wolfgang Müller, très renseigné sur notre sujet, a attribué l'initiative de ces lois au Parlement, et plus spécialement à la commission de l'économie du Bundestag, déterminée à faire ainsi pression sur les ministères pour améliorer la compétitivité.
De même, le ministère de l'économie, dont nous avons rencontré des représentants, nous a présenté deux lois récentes qu'il avait portées, l'une adoptée l'an dernier, l'autre en cours d'adoption, pour réduire la bureaucratie au bénéfice des entreprises : il s'agit principalement de simplifier des procédures, dans les domaines fiscal, social et environnemental et de réduire certaines obligations statistiques, notamment pour les TPE. Le ministère nous a aussi présenté les progrès de la facturation électronique qui sera prochainement mise en place : l'innovation consiste en un format électronique nouveau permettant un traitement automatisé des données structurées figurant sur la facture. Il s'est félicité de la coopération franco-allemande sur ce dossier qui devrait permettre l'adoption d'un standard commun, l'an prochain, lequel devrait s'imposer ensuite au niveau européen.
Ainsi, la politique de simplification en Allemagne passe par des initiatives spéciales (lois de simplification) mais elle est aussi devenue une mission constante et un processus, s'appuyant sur le NKR.
Deuxième clef de l'efficacité de la politique allemande de simplification : la mobilisation de tous les acteurs. Ainsi, Destatis, équivalent allemand de l'INSEE, est mobilisé pour calculer au mieux les coûts d'un projet. Il le fait sur la base du modèle des coûts standards, ce qui signifie qu'il ne calcule pas les coûts indirects ni les bénéfices. Il a aussi pour mission de vérifier, deux ans après, que cette première évaluation, ex ante, était juste. Enfin, tous les projets de loi qui engendrent des coûts bureaucratiques de plus d'un million d'euros font l'objet d'une évaluation ex post, entre trois en cinq ans après l'entrée en vigueur de la loi. Ceci doit créer un cercle vertueux : planifier, faire, évaluer et tenir compte de l'évaluation avant de replanifier.
Destatis est en lien avec le référent « débureaucratisation » de chaque ministère et avec le NKR, au moment de leur dialogue en amont du projet de loi. Il est intéressant de noter que le Parlement a envisagé de se doter de capacités autonomes de calcul des coûts mais y a renoncé, faute de moyens.
Les entreprises elles-mêmes collaborent : l'association allemande des chambres de commerce et d'industrie, que nous avons rencontrée, contribue ainsi à identifier les possibilités de réduction de la bureaucratie. Les entreprises répondent aussi aux sondages réguliers mis en place depuis deux ans pour connaître leur expérience administrative dans diverses situations.
Même la fédération allemande des syndicats DGB, inquiète que la simplification diminue les droits des travailleurs et entame leur protection au risque de créer de nouveaux coûts pour l'assurance maladie, a reconnu que ses craintes ne s'étaient pas vérifiées : elle reste réservée à l'égard de cette vision purement comptable, mais Mme Barbara Adamowsky a admis que l'allègement bureaucratique s'était fait sans diminution des droits des travailleurs. Néanmoins les syndicats restent vigilants : ils estiment nécessaire d'ajuster la bureaucratie aux besoins, et sont donc sceptiques à l'idée de la réduire systématiquement.
Finalement, nos échanges à Berlin montrent que le travail de simplification n'est remis en question par aucun parti politique, y compris Die Linke, à l'extrême gauche.
Et tous les acteurs concernés sont réunis autour de la table pour chaque grand projet de simplification. L'Allemagne étudie aussi la possibilité, pour évaluer les textes en vigueur, d'associer les entreprises ou citoyens concernés.
Après avoir dégagé une économie de 14 milliards sur les coûts administratifs, l'Allemagne envisage maintenant une réduction des charges de 2 milliards d'euros. Une coopération avec les CCI a été lancée pour identifier les secteurs où réduire encore la bureaucratie. Le gisement d'économies sur les coûts administratifs s'épuise naturellement : au fil du temps, les simplifications ont tendance à concerner plutôt des questions de détail avec des effets limités. Si bien qu'un nouvel élan a été donné à la politique de simplification l'an dernier : l'Allemagne a élargi le périmètre des charges auquel elle entend s'attaquer.
Dans son viseur, il n'y a plus seulement les coûts strictement bureaucratiques, mais il y aussi, désormais, les coûts de mise en conformité avec la législation. C'est-à-dire non seulement la paperasserie mais aussi ce que l'entreprise devra débourser pour respecter la loi : par exemple, dans le cas de la loi sur le salaire horaire minimum, on calcule non seulement le coût bureaucratique - à savoir la nécessité de décompter maintenant les heures de travail-, mais aussi le coût de mise en conformité pour les entreprises qui se voient obligées de payer chaque heure travaillée parfois plus cher, c'est-à-dire au salaire minimum.
L'objectif de réduction des coûts englobe donc, maintenant, non seulement les coûts strictement administratifs mais aussi ces coûts de mise en conformité, qui ont tendance à s'accroître. Ce document du NKR montre l'augmentation de ces charges de réalisation depuis cinq ans.
C'est dans ce nouveau contexte que l'Allemagne a importé du Royaume-Uni le principe du « one in, one out » : entré en vigueur au 1er juillet 2015, ce principe oblige chaque ministère, quand il crée de nouvelles charges, à en supprimer dans la même proportion. La mise en oeuvre de ce principe, qui est contrôlée par le NKR, a déjà permis, en un an, de dégager un milliard d'économies pour les entreprises.
La politique de simplification allemande connaît toutefois des limites.
D'abord, on pourra objecter qu'on recrée une nouvelle bureaucratie pour lutter contre elle. Il apparaît en fait que les économies nettes dégagées sont d'une telle ampleur que cela justifie la création de nouvelles instances finalement peu coûteuses (le budget du NKR est d'un million d'euros ; ses membres, remplissant leur fonction à titre honorifique, ne perçoivent qu'une indemnité). Pour ce prix, on peut considérer que le NKR a discipliné la politique, pour reprendre les mots de la représentante de la fédération syndicale DGB : en effet, les faits et chiffres fondent maintenant la décision politique. Selon les mots de M. Naundorf, bras droit du ministre Braun à la Chancellerie, qui a publié un article à ce sujet dans la Revue française d'administration publique, « nous ne voulons pas remplacer la politique par les mathématiques mais nous voulons rendre la politique plus efficace grâce aux mathématiques ».
Deuxième limite à la simplification : en Allemagne, pas plus qu'en Suède, les entreprises ne perçoivent la baisse des coûts de la bureaucratie. Sans doute n'en ont-elles jamais assez. Elles sont pourtant fondées à déplorer la responsabilité croissante que l'État leur fait porter, par exemple à l'égard du travail au noir ou des atteintes à l'environnement commis par leurs sous-traitants, ou, pour ce qui est des banques, à l'égard des informations à recueillir sur leurs clients depuis la crise financière. Les entreprises réclament aussi, au-delà de la simplification, une plus grande intelligibilité du droit, citant notamment le code allemand des impôts qu'elles considèrent illisible. Nous ne sommes pas les seuls !
La politique de simplification allemande rencontre en outre une limite fondamentale : l'autonomie des Länder et des communes. Comme en Suède, cela freine le déploiement de l'administration électronique : il est difficile de mettre en réseau les différents échelons, par exemple pour proposer un guichet unique pour les entreprises. Les collectivités territoriales ont généralement des systèmes informatiques différents et on ne peut les contraindre à en changer. Certains Länder avancent toutefois sur le chemin de la simplification : ainsi, la Saxe et la Rhénanie-du-Nord-Westphalie se sont chacune dotées d'un équivalent du NKR. Le NKR nous faisait observer que les Länder étaient toutefois réticents à l'égard d'une transparence des coûts car ils veulent éviter le benchmarking.
Une autre limite importante, que nous avions repérée à Stockholm, tient au fait que 50 % de la législation allemande vient de Bruxelles. En ce domaine, l'Allemagne fait figure de pionnière : elle est en train de modifier sa procédure de participation à l'élaboration du droit européen. Les études d'impact produites par la Commission européenne n'étant pas détaillées pays par pays, le NKR a entrepris d'évaluer les coûts pour l'Allemagne de tout projet de texte européen dont l'impact sur l'ensemble des États membres dépasse 35 millions d'euros. Le président du NKR a d'ailleurs regretté que les études d'impact européennes ne soient pas plus poussées et qu'elles soient produites par un comité dont l'indépendance à l'égard de la Commission européenne lui semble incertaine. Nous en reparlerons à Bruxelles bientôt. L'Allemagne envisage donc d'installer une forme de NKR indépendant de la Commission européenne : il s'agit d'évaluer ainsi les charges en amont de l'adoption des textes européens et de les minimiser au cours de leur élaboration.
Enfin, la dernière limite de la politique de simplification est quasi-philosophique : certains s'insurgent contre une appréhension de l'action politique par le seul prisme des coûts. Je crois, pour ma part, que cela ne signifie pas que la réduction des coûts soit le seul objectif de l'action publique. L'Allemagne elle-même en a apporté la preuve : en se dotant d'un salaire minimum, elle a accru les coûts bureaucratiques (déclarations du temps de travail) et les coûts de réalisation (augmentation du salaire horaire). Mais elle l'a fait en toute conscience : ce projet politique a été considéré comme justifiant cette hausse des coûts, assumée et débattue en toute transparence en amont de la décision.
Après cette journée à Berlin, je suis définitivement convaincu que nous n'arriverons à rien en France en matière de simplification, si nous continuons à vider la mer avec une petite cuiller. Nous prenons le problème à l'envers, espérant régler la complexité par des petites mesures. Pour entrer dans une gestion sérieuse de la qualité de la loi, il faut mettre en place des procédures robustes et définir des objectifs clairs, reposant sur des données fiables, avec l'appui de l'institut national de statistique. Il semble qu'un organe indépendant chargé de conseiller le Gouvernement soit un outil nécessaire : instaurer un dialogue de long terme avec les ministères est visiblement la bonne méthode pour les faire évoluer et éviter de les braquer. Revenir sur une législation qu'on a soi-même rédigée n'est pas évident.
Le NKR nous a explicitement lancé un appel pour que Paris crée un organe équivalent : il estime que l'attitude de la France sur les sujets de simplification est décisive, tant notre pays est à l'articulation de l'Europe du Nord et de celle du Sud. Il nous faut aussi trouver le moyen de faire en sorte que chaque ministère teste les nouvelles mesures envisagées avec tous les acteurs concernés, avant de déposer un projet de loi. De même nous devrions développer les évaluations des mesures adoptées, pour vérifier que l'objectif visé a été atteint.
Tout ceci serait nouveau pour notre pays, mais urgent. Je pense que nos prochains déplacements à Bruxelles et aux Pays-Bas nous permettront de mûrir encore notre réflexion sur ces sujets essentiels.
Mme Élisabeth Lamure. - Merci pour le compte rendu de cette deuxième étape, qui permet de comparer la Suède et l'Allemagne, et de réaliser des projections pour notre propre pays. Nous avons profité de notre déplacement, sur l'initiative d'Olivier Cadic, pour nous rendre à Hambourg, qui est une place économique forte, intéressante à visiter. Notre collègue Guy-Dominique Kennel va nous l'exposer.
M. Guy-Dominique Kennel. - Comme en avait en effet décidé le Bureau de la Délégation sur la suggestion d'Olivier Cadic, notre déplacement s'est prolongé à Hambourg, deuxième plus grande ville d'Allemagne après Berlin. Avec la capitale politique, nous avons quitté le sujet de la simplification du droit, pour nous intéresser au dynamisme économique de cette ville d'Allemagne. Ceci nous a sauté aux yeux dès l'arrivée à la gare, qui, comparée à celle de Berlin, grouillait d'activité à une heure pourtant tardive.
Ville hanséatique au statut de Land, Hambourg est riche : le PIB par habitant y est le plus élevé de tous les Länder, et le coût de la vie y est pourtant plus abordable qu'à Münich ou Francfort. 2 % de la population allemande habitent Hambourg, mais la ville produit 4 % de la richesse produite en Allemagne.
Hambourg occupe une position stratégique entre mer du Nord et Europe centrale et entre les villes rhénanes et la Scandinavie, à laquelle elle sera reliée d'ici cinq ans par un tunnel via le Danemark. Son port en eaux profondes est accessible aux bateaux de haute mer : sa situation au fond de l'estuaire de l'Elbe, donc éloignée des mers, présente toutefois l'avantage de permettre son accès quels que soient les aléas de la météo. Le trafic de conteneurs y est en pleine croissance, desservi par un vaste hinterland. Ce port est maintenant le deuxième d'Europe, quasiment à égalité avec Rotterdam.
Le temps nous a manqué pour visiter le port, mais nous avons fait plusieurs rencontres intéressantes : nous avons pu échanger avec plusieurs entrepreneurs français installés à Hambourg. Cet échange a eu lieu dans les locaux de la toute nouvelle agence qu'ouvre à Hambourg le Crédit Mutuel-CIC, signe d'une implication nouvelle des Français sur place. Nous nous sommes ensuite rendus à la chambre de commerce de Hambourg. Nous avons eu la surprise de la découvrir adossée à l'hôtel de ville : cette imbrication architecturale exprime parfaitement la synergie que nous avons ressentie entre le Gouvernement de Hambourg et le milieu économique. Cette impression nous a été confirmée par M. Rolf Bösinger, adjoint du sénateur de la ville chargé de l'économie et des transports, avec lequel nous avons largement échangé à l'occasion du déjeuner. Je précise que le Sénat est le gouvernement de Hambourg, le maire de la ville M. Olaf Scholz étant le président du Sénat. Nous avons enfin pu visiter en fin de journée un espace de coworking, le Betahaus, qui contribue, depuis 2009, à l'éclosion des start-ups du numérique - notamment dans les jeux vidéo -, sur lesquelles la ville mise aussi. Deux conseillers consulaires de la circonscription d'Hambourg nous ont rejoints à ce moment-là.
De ces rencontres fructueuses, je retire essentiellement l'observation suivante : Hambourg gagnerait à être découverte par les entreprises françaises.
Tous nos interlocuteurs français sont unanimes : Hambourg est méconnue des Français et souffre d'un déficit d'image dans notre pays. Seuls 4 à 5 000 de nos concitoyens y résident. La communauté française en Allemagne compte plus de 160 000 personnes, mais elles sont surtout présentes dans le Bade Wurtemberg, frontalier avec la France, où les Français sont regroupés dans et autour des grands pôles industriels.
Quelques grands groupes français (Airbus, Air liquide, la Compagnie générale maritime) sont présents à Hambourg et font ainsi figurer la France au premier rang dans les échanges avec Hambourg. Mais cette situation est trompeuse et seules quelques dizaines d'entreprises françaises sont implantées à Hambourg (German Trade and invest, équivalent de notre Business France, en dénombre 185) : Airbus et l'aéronautique constituent 90 % des flux entre Hambourg et la France si bien que, sans l'aéronautique, la France rétrograde au sixième rang et la Chine prend la première place. Elle est suivie des États-Unis d'Amérique, du Royaume-Uni, des Émirats Arabes unis et des Pays-Bas.
Hambourg est en effet devenu le port et la porte de la Chine en Europe. La ville s'est dotée d'avantages décisifs : infrastructures logistiques et réseau multimodal (fer et route) vers l'intérieur de l'Europe continentale - 200 trains quittent Hambourg chaque jour -, digitalisation qui permet un fonctionnement en flux tendus, rénovation immobilière avec ville nouvelle sur le port - « Hafencity » de 150 hectares et 12 000 habitants - et construction de la Philharmonie sur l'Elbe. Autour du port, s'est développé un tissu de PME spécialisées dans des productions de niche à très haute valeur ajoutée. 500 à 600 hectares devraient encore être aménagés d'ici 2030 pour accueillir de nouvelles entreprises. Nos interlocuteurs français établissent un lien direct entre le développement d'Hambourg et le souci partagé par tous de l'intérêt économique : la logistique n'est pas assimilée par la population à des zones de nuisance, les syndicats ont une autre culture de dialogue, l'administration est, sinon plus simple, au moins plus prévisible. Les entreprises peuvent s'appuyer sur quelques certitudes, éventuellement négociées en amont, et l'administration, parce qu'elle offre des services payants, travaille dans un esprit de service au client. Enfin, les aides ne sont pas des crédits d'impôt mais de vraies subventions, qui profitent donc aussi aux entreprises débutantes.
La Chambre de commerce est au centre du dispositif de soutien aux entreprises. Son directeur de l'international, qui nous a reçus, a présenté les activités de services, de lobbying et de formation que mène la chambre pour ses 150 000 membres, à Hambourg même et dans ses bureaux en Russie, Chine, Inde ou à Dubaï. Elle est l'expert du commerce extérieur de la cité. Elle ne protège plus les marchands hambourgeois contre les pirates, mais son histoire lui donne une légitimité ancestrale. La chambre s'y réfère avec fierté en exposant d'ailleurs, dans le hall, l'énorme bouée en bois datant du dix-septième siècle, qu'on a retrouvée au fond du port et qui marquait, déjà à cette époque reculée, le chenal d'accès au port.
Si le trafic avec l'Europe reste le plus important à Hambourg, le commerce extérieur avec l'Asie va croissant depuis une dizaine d'années et pèse aujourd'hui près de la moitié des échanges avec l'Europe (en valeur). La Chine a retenu Hambourg comme point d'entrée en Europe. On compte ainsi 520 entreprises chinoises à Hambourg, donc bien plus que d'entreprises françaises. Et l'Asie du Sud-Est prend le relai, dans un contexte d'essoufflement de la croissance chinoise. La part de la Russie recule, résultat des sanctions et du choc pétrolier. La chambre place enfin beaucoup d'espoir dans l'Iran et l'Inde.
La chambre de commerce met en avant ses compétences de pilotage et de mise en réseau, qui ont contribué à l'émergence de clusters industriels dans plusieurs domaines : logistique, digital et médias, aéronautique, sciences de la vie et santé, chimie/pétrochimie, énergies renouvelables - ce dernier cluster étant très actif en raison de la proximité des parcs éoliens de Mer du Nord. D'ailleurs, Hambourg consomme depuis 2007 de l'électricité 100 % verte, renouvelable et locale.
Le négoce reste néanmoins au coeur des savoir-faire de la ville : comme le dit la Chambre de commerce, « nous sommes le hub du monde vers le monde ». Les quelque 3 000 entreprises de l'import-export offrent une gamme de services « pour ceux qui ont des produits mais ne savent pas les vendre ». Hambourg se distingue par sa capacité à prendre sur soi le risque commercial de toute nature (monétaire, transports, qualité, etc.), tant pour les grands distributeurs locaux, comme Metro ou Aldi, que pour des partenaires étrangers. Des entreprises chinoises s'installent dorénavant à Hambourg, précisément sur ce marché du négoce.
Dans ce contexte, la France fait pâle figure. Elle est pourtant un partenaire attendu. Hambourg, comme pont entre l'Europe et l'Asie, représente une mine d'opportunités pour nos PME : au lieu de disperser leurs efforts en Asie, elles gagneraient à nouer des contacts avec des clusters bien choisis de Hambourg et à jouer la carte de la Chine par ce biais. Hambourg peut servir ainsi d'instrument pour l'internationalisation des PME françaises. En matière agroalimentaire par exemple, notre réputation est exceptionnelle : nos PME devraient y conduire des opérations promotionnelles, mais non élitistes, pour viser un large public, comme le font les Italiens. Au 13ème siècle déjà, des négociants hambourgeois importaient les crus bordelais.
Cette visite à Hambourg offre donc de belles perspectives que nous devons faire connaître à nos entreprises. L'ouverture d'un bureau du CIC Crédit Mutuel à Hambourg le prouve bien. Et l'établissement à Hambourg du siège administratif du groupe Euler Hermes, n° 1 de l'assurance-crédit, est aussi un signe des temps. Nous avons perçu une volonté politique bien réelle de la part du gouvernement de Hambourg de renforcer ses liens avec la France : M. Bösinger nous a indiqué que M. Scholz, premier maire de Hambourg, était personnellement convaincu qu'il y avait une carte franco-allemande à jouer à Hambourg. Pourtant, Business France est à Düsseldorf, et la chambre de commerce et d'industrie française en Allemagne est à Sarrebruck. En fait, Hambourg est si proche de Berlin que notre présence diplomatique s'y est malheureusement réduite au fil des ans, et le nouveau Consul général qui nous a accueillis travaille quasiment seul. C'est regrettable. Toutefois, la coopération décentralisée progresse : déjà jumelée à Marseille, la ville a noué des relations avec Toulouse et Nantes. La France a intérêt à réorienter son commerce extérieur sur les PME. C'est donc sur l'ensemble de notre territoire que les PME tentées par l'export devraient être soutenues pour nouer des contacts d'affaires à Hambourg et s'ouvrir ainsi vers l'Asie. Je signale que se tiendra les 23 et 24 novembre à Hambourg un sommet : « China meets Europe ». Amenons nos entreprises à profiter de la puissance acquise par Hambourg !
Mme Élisabeth Lamure. - Notre déplacement à Hambourg nous invite donc à abandonner nos stéréotypes sur cette ville, et à retenir que la France a tout intérêt à être plus présente dans cette place économique forte.
Mme Annick Billon. - Merci pour ces différents rapports. Je crois comprendre que la Suède et l'Allemagne ont adopté deux types d'organisation fondamentalement différents au service de la simplification. Quels outils permettent au système allemand de garantir l'impartialité des membres du NKR nommés par rapport au Gouvernement ?
Au sujet des données chiffrées, les économies réalisées en termes de milliards sont-elles évaluées par l'administration ou réellement constatées ? Comment les Allemands ont-ils réussi à faire accepter ces mesures par l'administration en général, et les syndicats en particulier ?
Mme Élisabeth Lamure. - Nous avons pu constater que le système allemand semblait plus efficace que le système suédois. S'agissant de l'impartialité des membres du Conseil, ces derniers examinent les études d'impact avant le projet de loi sous un angle technique plus que politique, afin d'en assurer la qualité.
Quant aux économies réalisées, celles-ci ont été estimées à 14 milliards d'euros sur quatre ans. Ce chiffre, qui paraît important à première vue, s'avère assez faible une fois ramené à l'échelle d'une entreprise. C'est pour cela que, dans les deux pays visités, la majorité des entreprises estiment ne pas voir de différence.
M. Guy-Dominique Kennel. - J'aimerais ajouter des éléments au sujet du NKR et de son autonomie. Tout d'abord, les études d'impact sont réalisées par les ministères et non par le NKR. Son travail, qui consiste à évaluer les études d'impact, est toutefois intéressant car il modifie complètement la pratique. Sachant leurs propositions passées au crible, les ministères évitent d'alourdir la charge de l'étude d'impact. Les avis du NKR étant rendus publics, le ministre en charge de proposer une nouvelle loi ne veut pas être désigné comme celui qui alourdit la charge des entreprises. Donc, au-delà des économies dégagées, qui tendent à s'épuiser, s'est amorcé un changement de culture qui limite l'alourdissement normatif.
Enfin, le président du NKR a manifesté son souhait de voir la France rejoindre les pays nordiques pour monter en qualité en matière d'études d'impact à l'échelle européenne. Cela exigerait notamment de réaliser une étude d'impact pays par pays avant toute nouvelle mesure. Ce système est vertueux car chaque acteur sait qu'il peut être désapprouvé publiquement.
Il est à noter que ce système est né d'une volonté législative il y a près de dix ans. Bien sûr, les entreprises ne sont jamais satisfaites car elles estiment qu'il y a toujours trop d'administration. Les représentants des salariés, qui craignaient au départ la disparition de 400 000 emplois, ont constaté qu'il n'en a rien été, mais restent inquiets. Il nous semble donc important de rejoindre les allemands dans ce domaine et de faire pression ensemble sur le système européen, qui est à la source de près de 50 % de nos normes internes.
Mme Élisabeth Lamure. - En effet, le président du NKR a beaucoup insisté sur ce point : la présence française à Bruxelles devrait permettre de peser en amont des futures normes européennes, qui représentent plus de la moitié de notre législation.
J'aimerais préciser que le NKR s'occupe également de vérifier désormais le respect du principe « one in, one out ». Il n'est pas question de couper totalement court à la production normative, mais de compenser la création de nouvelles normes par la suppression de normes existantes représentant une charge financière équivalente.
M. Olivier Cadic. - L'équipe du NKR est composée de représentants politiques, de scientifiques, de hauts fonctionnaires et d'économistes, donc de profils complémentaires. La création de cette institution en Allemagne ressemble à la mise en place d'un service qualité dans une entreprise. Lorsqu'une entreprise se dote d'un service qualité, elle corrige en premier lieu les plus gros problèmes, et affine ses résultats par la suite. Il en a été de même avec la législation allemande : les gros champs de réduction ont été mobilisés lors des cinq premières années, et ont permis de réaliser 14 milliards d'euros d'économies. La législature suivante a permis d'entrer dans les détails et de faire 2 milliards d'euros d'économies. Cela ne signifie pas une moindre performance lors de cette deuxième étape, mais au contraire une amélioration constante. De nouvelles lois ont été créées pendant la troisième législature, mais d'autres ont été supprimées en vertu du principe du « one in, one out » : cela représente déjà un milliard d'euros d'économies en Allemagne.
De la même façon qu'il est impossible de faire de la qualité dans une entreprise sans la collaboration des clients et des fournisseurs, l'Allemagne n'a pu améliorer la qualité de sa production normative qu'en portant l'effort sur la production législative applicable dans les Länder, et sur la production normative européenne. C'est pour cette raison que l'Allemagne réclame le soutien de la France au niveau européen.
Mme Nicole Bricq. - Regrettant de n'avoir pu venir, j'ai deux questions relatives à la simplification, et une relative à votre visite à Hambourg. Sauf erreur de ma part, il me semble que vous seriez favorables à la création d'un organisme indépendant. Or les pays qui disposent d'un tel organisme sont également dotés d'une culture forte. Nous pourrons le constater durant notre séjour à La Haye, où des organismes complètement indépendants donnent leur avis sur les prévisions macroéconomiques. Ce système existe depuis la fin de la guerre, et bien que financés par le ministère du budget, ces organismes sont totalement indépendants et leurs prévisions incontestées. Nous sommes loin du système français, où la culture est très différente. Ma question est donc la suivante : faut-il créer une autorité indépendante dans le contexte français ?
Et faut-il une décision législative pour que les décisions prises par l'autorité indépendante ne soient pas contestées ? En France, le rôle du politique et de l'administration centrale est en effet déterminant : c'est l'État qui a construit la nation. Nous pouvons constater les difficultés rencontrées par le Conseil de simplification des entreprises face à l'inertie de l'administration centrale. Avez-vous des éléments sur ce point en Allemagne ? Il peut être intéressant d'installer une autorité indépendante en France, mais il faut se pencher sur les conditions de son acceptation. Une décision de cette nature sera difficile à voter pour le Parlement, qui la considérera comme une dépossession.
Concernant Hambourg, vous n'avez pas parlé des banques, dont le rôle est pourtant essentiel dans un Etat fédéral comme l'Allemagne. Nous avons en France une façade maritime très importante, mais les investissements sont insuffisants et la multimodalité trop peu développée. Or les clés de la réussite sont le multimodal - infrastructures matérielles -, le digital - infrastructures immatérielles -, le commerce et la banque. Le Crédit mutuel et Euler Hermes - qui fait de la réassurance - ne souhaitent pas s'installer à Hambourg par hasard. Or vous n'avez pas évoqué ce point, qui permettrait d'aborder notamment les difficultés des banques allemandes par rapport aux banques françaises.
Mme Élisabeth Lamure. - S'agissant de l'autorité indépendante, nos investigations ne sont pas terminées : nous ne pourrons réaliser les comparaisons nécessaires qu'après notre séjour à La Haye. Nous pouvons cependant déjà tirer certains enseignements de notre visite en Allemagne. Pourquoi se priver d'une autorité indépendante si cela fonctionne à l'étranger ? Nous recherchons avant tout l'efficacité afin de diminuer le poids administratif qui pèse sur les entreprises. Le NKR examine les études d'impact en amont des projets de loi afin d'en évaluer les conséquences pour les entreprises. Un vrai dialogue s'est noué entre ce Conseil et les ministères. Ce dialogue a mis un certain temps avant d'entrer dans les moeurs, mais cela semble bien fonctionner à présent. De plus, ce Conseil est très performant avec seulement dix membres et moins d'une vingtaine de collaborateurs. Il faut souligner par ailleurs notre trop faible présence à Bruxelles, ainsi que l'appel des allemands à peser davantage sur la Commission européenne et à discuter ses études d'impact.
Notre prochain déplacement à Bruxelles nous permettra de constater les avancées au niveau européen. L'Allemagne a prévu, dans son accord de coalition, de limiter la sur-transposition des directives européennes. Elle souhaite désormais aller plus loin afin de diminuer la production normative européenne.
M. Guy-Dominique Kennel. - La tradition de coalition allemande est politiquement plus simple que la nôtre : tous les partis politiques sont en accord sur ce sujet, y compris Die Linke. Il n'y a donc eu ni blocage ni opposition. L'administration a néanmoins été bousculée puisque, encore une fois, tous les avis du Conseil sont rendus publics, et le numérique joue un rôle extrêmement important.
Concernant les banques, le temps nous a manqué pour rencontrer les membres et représentants de ce secteur. Nous avons toutefois pu nous entretenir avec le Crédit mutuel, qui venait de s'installer pour profiter de la dynamique économique du territoire. Un représentant du Crédit mutuel a d'ailleurs indiqué que les faiblesses du système bancaire allemand constituaient pour eux une formidable opportunité. Ceci étant, cela ne semble pas être un problème pour les chefs d'entreprise implantés à Hambourg depuis vingt ans, qui ont déclaré bénéficier de facilités pour les entreprises, et d'une qualité de vie importante pour les salariés et leurs familles.
Mme Élisabeth Lamure. - Nous devons surtout regretter la quasi-absence des entreprises françaises. La chambre de commerce compte moins d'une centaine d'entreprises françaises pour 150 000 adhérents. Cela est sans doute dû à la méconnaissance de cette place forte économique.
M. Michel Vaspart. - Le déplacement effectué sur ce sujet important de la simplification a été particulièrement intéressant. Dans toutes nos auditions, quelle que soit la thématique, nous entendons des plaintes à propos de l'instabilité et de la trop grande complexité des lois. Même si les chefs d'entreprises sont exigeants et rarement satisfaits, il y a néanmoins des difficultés réelles à ce sujet dans notre pays.
Malgré les structures chargées de simplifier, rien ne change pour les collectivités locales ou les entreprises. Il convient donc de se demander pourquoi. Il y a certes une culture et un poids de la haute administration française, mais ce n'est pas le seul problème. Nous devons également nous interroger sur nos manières de travailler et sur la responsabilité de l'institution parlementaire.
Les textes faisant l'objet d'une évaluation sont ceux issus des ministères, mais entre ces derniers et leur version définitive, une multitude d'amendements génèrent des articles supplémentaires qui demeureront sans évaluation. Tant que le Parlement ne modifiera pas son organisation, nous continuerons à produire de la complexité sous couvert de produire de la simplification, même en instaurant une structure comme le Conseil de contrôle des normes allemand.
Mme Élisabeth Lamure. - Nous partageons ce constat. Trop d'amendements ne font l'objet d'aucune évaluation. Ces derniers partent souvent d'une bonne idée, mais les conséquences s'avèrent parfois désastreuses. Nous devons nous en préoccuper et essayer de légiférer autrement en incluant ce paramètre à nos réflexions dans un futur proche.
Mme Nicole Bricq. - Certains textes ne devraient pas être examinés en séance et relever du seul ressort des commissions. Ces textes encombrent la vie parlementaire alors que les membres spécialisés des commissions seraient capables de les traiter seuls. Sans régler le problème de la co-construction des textes avec l'exécutif, cela constituerait une avancée certaine. Les parlementaires considèrent aujourd'hui que leur valeur ajoutée réside dans le droit d'amendement, alors qu'elle tient davantage à leurs prérogatives de contrôle.
Mme Élisabeth Lamure. - Nous en avons terminé. Nous ferons un rapport final prochainement quand nous serons en mesure de mettre en perspective les enseignements de tous nos déplacements. Nous arrivons au bout de notre période législative, et avons encore quelques mois pour travailler de façon approfondie sur le sujet.
La réunion est close à 9 h 30.