Mercredi 28 septembre 2016
- Présidence de M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président -Audition de M. Étienne Pinte, président du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale (CNLE)
La réunion est ouverte à 16 h 50.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Monsieur le Président, merci d'avoir accepté de témoigner au nom du CNLE, le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, devant la mission d'information sur l'intérêt et les modalités d'un revenu de base en France.
La question du revenu de base est bien connue. Il s'agit d'une idée aujourd'hui agitée dans différents milieux, surtout soulevée par des associations très actives, comme le Mouvement français pour un revenu de base (MFRB), l'Association pour l'instauration d'un revenu d'existence (AIRE), ou Génération Libre.
Nous avons auditionné ceux qui soutiennent cette belle idée, mais aussi les syndicats, associations de lutte contre l'exclusion, organismes gestionnaires de prestations, comme la Caisse nationale d'assurances vieillesse ou la Caisse nationale d'allocations familiales - la CNAF.
Nous avons eu également la chance de pouvoir entendre MM. Lionel Stoléru et Martin Hirsch, à l'origine du RMI pour l'un et du RSA pour l'autre. Il ne s'agissait pas encore d'un revenu universel, mais ils étaient destinés à apporter une solution à la grande précarité et à vaincre la pauvreté.
M. Stoléru nous a dit qu'avec le RMI, vaincre la pauvreté constituait une mission essentielle. Il ne se fait pas trop d'illusion sur le revenu de base, qui ne se concrétisera selon lui pas tout de suite, mais il estime qu'il faudra y parvenir dans dix à quinze ans.
Nous n'y sommes pas encore. Que faudrait-il donc faire ? Qu'en pense le CNLE ? Le revenu de base peut-il permettre de vaincre la pauvreté ou l'exclusion ?
Le second objectif - que partage largement notre mission d'information - est aussi de favoriser le retour à l'emploi.
M. Étienne Pinte, président du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale. - Il faut tout d'abord en revenir à la genèse de cette idée de revenu universel ou de revenu de base.
Il y a encore quatre ou cinq ans, on n'en parlait pas. Pourquoi, progressivement, cette idée a-t-elle commencé à traverser nos esprits ? Un certain nombre de pays étrangers, comme la Suisse, la Finlande, ou certains États américains, se sont lancés dans cette idée, la plupart du temps - de façon assez étonnante - initiée par des chefs d'entreprise qui s'étaient investis dans le domaine politique.
Le CNLE a commencé à s'y intéresser à partir des propositions de M. Christophe Sirugue. C'est à partir de là que nous nous sommes saisis de ce problème. J'ai fait partie du groupe de travail de M. Sirugue en tant que représentant du CNLE.
Où en est-on de cette réflexion ? Tout d'abord, il ne faut pas confondre l'idée du revenu universel avec une réforme des minima sociaux, telle que M. Sirugue l'avait prévue. Ce sont deux choses différentes, même si, de fil en aiguille, les uns ou les autres, nous sommes passés de la réforme des minima sociaux à ce que je considère encore aujourd'hui comme une utopie, le revenu universel.
Au CNLE - et j'épouse personnellement l'avis de la majorité des membres du Conseil national qui se sont emparés du sujet - nous sommes très en phase avec le rapport de Christophe Sirugue et les trois propositions que vous connaissez.
La première devrait faire l'objet d'une disposition au sein du projet de loi de finances pour 2017. Il s'agit d'abord et avant tout d'une modification des procédures relatives aux minima sociaux dont bénéficient aujourd'hui nos concitoyens. C'est une première étape de dépoussiérage afin de permettre un meilleur fonctionnement desdits minima sociaux tels qu'ils existent aujourd'hui.
L'idéal est, après la troisième proposition - la fusion des minima sociaux en question - de créer un revenu de base. Bien entendu, M. Sirugue n'a jamais parlé de revenu universel - et ce n'est pas non plus dans son rapport. Les choses doivent être bien claires. Le CNLE est en phase avec cette progression dans le temps de la fusion des différents minima sociaux.
Il est vrai qu'on pourrait rêver d'aller plus vite. Pourquoi ne passe-t-on pas tout de suite à la troisième étape, comme le propose le rapport Sirugue ? Il faut se souvenir qu'il a fallu trois ans pour fusionner la prime pour l'emploi et le RSA. Il s'agissait de deux systèmes totalement différents, et il a fallu beaucoup de constance, de créativité et d'imagination pour y arriver.
Nous avons trouvé que cette démarche très pragmatique devait nous laisser entrevoir de nouvelles étapes tout aussi pragmatiques. Par exemple, le CNLE rêve que la deuxième étape, moins ambitieuse que la troisième proposition du rapport Sirugue, consiste en la fusion de la CMU-C et de l'aide médicale d'État (AME). Nous le réclamons depuis la mise en place du plan quinquennal de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale. Ceci constituait l'une de nos propositions.
Nous n'y sommes pas parvenus pour de multiples raisons, mais nous pensons que la prochaine étape devrait être celle-là, sachant qu'arriver à la troisième proposition du rapport demande beaucoup de travail, de réflexions, de mise en commun, sans perdre de vue l'idée qu'il ne s'agit pas d'un revenu universel.
Dans ces dernières déclarations, le Premier ministre a quelque peu confondu ces deux notions...
M. Jean Desessard. - Absolument !
M. Étienne Pinte. - Ceci n'est pas grave : l'important est de revenir à la réalité, qui serait d'arriver au rapprochement de ces minima sociaux et, au bout d'un certain temps, à fusionner la totalité et créer ce fameux revenu de base.
Le problème que nous avons rencontré pour la fusion de la prime pour l'emploi et du RSA portait sur l'aspect financier. Un certain nombre d'entre vous, tout comme nous, ainsi que le Gouvernement, ont évalué le nombre de demandeurs à 50 % des bénéficiaires éventuels de la prime d'activité, les choses devant se faire à budget constant, soit 4 milliards d'euros si ma mémoire est bonne.
Or, on en est aujourd'hui au-delà des 4 milliards d'euros. Le Gouvernement nous avait rassurés en disant qu'il s'agissait de crédits évaluatifs et que, dans le cadre de décrets d'avance et d'un projet de loi rectificatif en fin d'année, on allait pouvoir abonder la ligne budgétaire de façon à pouvoir répondre aux besoins.
Cela me rappelle le financement de l'hébergement social et très social. Il s'agissait de crédits prévisionnels mais, en fin d'année, tout était régularisé de façon qu'il n'y ait pas de césure entre la réalité de l'hébergement et les aspects budgétaires. Ici, le terrain est bien balisé.
En ce qui concerne la troisième proposition, qui consiste à regrouper l'ensemble de ces minima sociaux, il est bien évident que pour que personne ne perde en route une partie de ce dont il bénéficie aujourd'hui, l'État devra vraisemblablement y être de sa poche.
Christophe Sirugue parle d'une base de 400 euros par mois pour tout le monde mais, compte tenu des chiffres du RSA socle - 524 euros par mois -, de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) - 800 euros par mois -, ou de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) - 800 euros par mois - il faut que le système évite à chacun de perdre quelque chose par rapport à aujourd'hui. Cela signifie qu'il faudra vraisemblablement, sur le plan budgétaire, compléter la dotation qui sera créée au moment du regroupement de tous ces minima.
Quel est l'objectif du revenu universel ? S'agit-il simplement de regrouper, comme le propose Christophe Sirugue, l'ensemble des minima sociaux ? Cela veut dire que l'on garde les trois parties assurantielles que sont l'assurance chômage, l'assurance maladie et les retraites. On n'a pas véritablement là un revenu universel, l'État devant y être de sa poche.
Autre hypothèse : accorder à tout le monde un revenu plus élevé que la base de 1 000 euros. Il faut être bien conscient que l'on risque progressivement d'être confronté à un problème de financement important.
Le regroupement peut servir à en financer une partie. Il faut ensuite savoir si c'est l'État qui compensera le système assurantiel ou si les bénéficiaires des minima sociaux seront amenés à s'assurer sur le plan privé, pour la maladie, le chômage et la retraite, en fonction du revenu de base qu'ils toucheront.
C'est pour cela que je ne vois pas le revenu universel, tel que certains l'entendent, arriver de sitôt chez nous dans cette configuration.
Je suis plus pragmatique : étape après étape, à la lumière des expériences que nous avons vécues, il faut que nous regroupions un certain nombre de minima sociaux pour arriver, à la fin du processus, à réunir la totalité des minima sociaux. Même si l'on conserve l'aspect assurantiel, si l'on veut lutter contre la pauvreté, il faudra augmenter l'aide de l'État en ce qui concerne le revenu de base.
Il est évident qu'une somme de 400 euros comme revenu de base, pour ceux qui ne travaillent pas en particulier, n'est pas raisonnable. 8 millions à 9,5 millions de nos concitoyens vivent sous le seuil de pauvreté, avec moins de 1 000 euros par mois, et environ 3 millions sous le seuil de grande pauvreté, avec 600 euros par mois environ. Voyez la distance qui existe entre les différentes catégories de personnes vivant sous le seuil de pauvreté !
Notre priorité ne devrait-elle pas être d'abord et avant tout de faire progressivement remonter ceux qui sont sous le seuil de grande pauvreté, pour les rapprocher de ceux qui se trouvent à des niveaux de pauvreté moins élevés ?
Tout cela aura forcément d'une matière ou d'une autre un coût pour l'État, pour le budget et donc pour les contribuables. Il faut donc bien cadrer la manière dont on peut envisager ces réformes. Nous avons l'expérience de la prime d'activité. Celle-ci peut nous servir pour la suite des différentes étapes du regroupement des minima sociaux.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Voilà une position très claire et fermement défendue.
M. Daniel Percheron, rapporteur. - Notre collègue a été très clair : à l'utopie, il a opposé la réalité actuelle de la protection sociale en France.
Je peux anticiper la question que vous allez lui poser, monsieur le président : lui semble-t-il que l'expérimentation d'un revenu de base serait une bonne chose ? Pourrait-elle permettre de maîtriser ce qui semble aujourd'hui impossible à mettre en oeuvre ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - On pourrait poser la même question à propos du troisième scénario de Christophe Sirugue...
M. Étienne Pinte. - J'ai toujours été très partisan de l'expérimentation. Nous avons eu des exemples par le passé, malheureux quelquefois, plus heureux d'autres fois.
En ce qui concerne en particulier le RSA, qui devait être expérimenté sur trois ans dans dix départements, le Gouvernement de l'époque a voulu accélérer les choses. Soyons honnêtes : cela ne s'est pas aussi bien passé qu'on aurait pu l'imaginer.
Est-il normal que le RSA activité n'ait pu bénéficier qu'à 30 % environ de ceux qui étaient susceptibles de pouvoir le toucher ? Cela représente 68 % à 70 % de non-recours. C'est là la preuve de l'échec. On a voulu accélérer le processus : ce fut une erreur.
Aujourd'hui, nous allons mener une expérience dénommée « Territoires zéro chômeur de longue durée ». Je fais partie du conseil d'administration du fonds d'expérimentation présidé par M. Louis Gallois.
Un appel à candidatures a eu lieu. D'ici la fin du mois d'octobre, nous allons récolter les projets qui nous seront présentés. Nous allons les évaluer, en choisir autant que faire se peut dix...
M. Daniel Percheron, rapporteur. - Vingt si vous êtes habiles.
M. Étienne Pinte. - Il faut se méfier de l'habileté par les temps qui courent : on est à moins d'un an des élections !
M. Daniel Percheron, rapporteur. - Vous en avez donc besoin de vingt...
M. Étienne Pinte. - Non, on en a besoin de dix, mais telles que les choses se présentent, nous n'en avons pas dix qui répondent à tous les critères, au budget de l'appel d'offres ou au cahier des charges.
On va examiner les choses fin octobre. J'ose espérer qu'on en aura dix, mais la dernière réunion que nous avons eue il y a quelques jours me laisse craindre qu'on n'arrive pas à en trouver dix qui répondent au cahier des charges - ce qui est un peu inquiétant. Mais l'on aura le résultat à la fin du mois.
Cela étant, si on en a dix, c'est parfait. La crainte que nous avons - je rejoins votre réflexion - c'est qu'il y ait des pressions pour que nous allions au-delà de dix. Il faudra y faire très attention : il existe une règle, il faut la respecter. On y a d'autant plus intérêt qu'il s'agit d'une expérimentation. Il ne faudrait pas que l'on prenne au-delà des candidats qui ne répondraient pas tout à fait au cahier des charges et qui n'iraient pas au bout. Ce serait contre-productif pour l'ensemble de l'expérimentation.
Je crois beaucoup à cette expérimentation. Elle est pleine d'aspects positifs. Le fait que le pilotage se fasse au sein de l'association présidée par Louis Gallois, sans d'éventuelles pressions des uns ou des autres, devrait donner de bons résultats.
M. Daniel Percheron, rapporteur. - Cela nous a impressionnés également.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Nous avons entendu hier un professeur d'économie au sujet de l'expérimentation du RSA. Il nous a bien indiqué les écueils à éviter dans une expérimentation et précisé les bonnes règles, tirées de son expérience en la matière.
M. Jean Desessard. - Merci pour cette présentation, que j'ai véritablement appréciée. Bravo pour vos explications très claires et votre positionnement.
Vous avez dit qu'il faudrait arriver à 1 000 euros au minimum pour chacun. Je suis content que ce ne soit pas un utopiste comme moi qui le dise, mais un homme sérieux comme vous ! Je suis donc doublement satisfait de vous entendre.
Je me pose toutefois une question : arriver à 1 000 euros alors que le SMIC est un peu plus élevé ne présente-t-il pas une difficulté ? Le revenu de base étant donné à tout le monde, il n'y a donc pas de différence pour le SMICard qui touche 100 euros ou 200 euros de plus que celui qui ne travaille pas.
C'est un avantage qui n'a peut-être pas été assez pointé au cours des auditions : le revenu de base évite l'effet de seuil. Je suis personnellement pour le revenu de base, car je pense que l'effet de seuil va créer des problèmes. Le SMICard qui aura 200 euros de plus en travaillant trente-cinq heures dans des métiers difficiles va se demander pourquoi celui qui ne fait rien touche 1 000 euros. Comment éviter cette amertume ?
M. Étienne Pinte. - Que les choses soient bien claires : les 1 000 euros constituent un espoir pour tous ceux qui pourraient en bénéficier dans le cadre d'un revenu universel. Comme je l'ai dit au début de mon propos, on est encore dans l'utopie. Il faut toujours rêver, avoir des objectifs et des projets. L'idéal serait d'arriver à 1 000 euros, mais avant, il y a un bon bout de chemin à parcourir.
Cela étant, même en-deçà des 1 000 euros - 400 euros, 500 euros, 600 euros - on peut se poser la question de savoir si cela ne risque pas de dissuader un certain nombre de personnes de chercher du travail.
Dans cette perspective, plus on s'approchera du niveau du SMIC et plus il faudra le relever, c'est évident. De la même manière, plus on se rapprochera de ces 1 000 euros, plus il faudra qu'un certain nombre d'entreprises qui ont besoin de main-d'oeuvre puissent revaloriser les salaires qu'elles verseront à leurs employés. Il est évident que cela va remettre à plat les politiques salariales.
Même si quelqu'un estime qu'avec 800 euros ou 900 euros il n'a pas besoin de travailler et peut rester chez lui, quitte à faire des petits boulots, les entreprises continueront à avoir besoin de main-d'oeuvre et seront incitées à relever les salaires de façon à pouvoir attirer du personnel qui pourrait bénéficier de revenus salariaux plus importants. C'est donc un problème.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Augmenter les salaires serait en tout cas vertueux.
M. Yannick Vaugrenard. - Merci de vos explications et de ce début d'orientation.
Il existe plusieurs clés d'entrée lorsqu'on parle du revenu de base. Tout d'abord, le premier phénomène auquel nous sommes confrontés aujourd'hui est le phénomène du non-recours, que vous avez évoqué concernant le RSA activité : 70 % pour ce dernier, 50 % pour le RSA socle.
Or, les textes législatifs que nous votons et les décrets d'application qui sont mis en oeuvre font depuis des années économiser à l'État, selon les études, entre 7 et 10 milliards d'euros par an.
C'est une économie qui ne correspond pas aux orientations politiques qui sont globalement les nôtres. Si nous sommes logiques avec nous-mêmes, ces 10 milliards d'euros ne viennent pas en plus, mais correspondent à ce que nous avons collectivement décidé pour le budget de l'État.
Deuxièmement, je ne partage pas le point de vue de Jean Desessard. Considérer que le fait que percevoir 1 000 euros de revenu de base - hypothèse peu envisageable aujourd'hui - découragerait de travailler pour 300 euros de plus constitue un a priori qu'on n'est pas obligé de partager ! Un citoyen préférerait donc renoncer à son utilité sociale plutôt que de travailler pour 300 euros de plus ? Je conteste cette forme d'orientation philosophique. Je pense que le citoyen, quel qu'il soit, peut avoir une utilité dans la société en tant que salarié ou bénévole.
Un certain nombre d'économistes considèrent aujourd'hui que les évolutions technologiques de cette révolution numérique formidable n'ont rien à voir avec les précédentes révolutions industrielles. Ils estiment que, de ce fait, il y aura, dans les années à venir, moins d'emplois salariés que depuis quelques années.
Il faut donc réfléchir non plus en termes d'emploi salarié ou administratif mais d'utilité sociale. C'est dans ce prolongement que l'on peut parler de revenu de base.
Par ailleurs, dès que lors que l'on considère que la pauvreté est un sujet majeur, dont on parle probablement trop peu, on ne peut croire que cela n'a pas de conséquences sur les choix budgétaires, politiques et en termes de redistribution des revenus. Il arrivera un moment, selon moi, où les choses devront être mises sur la table, au-delà du principe du revenu de base. Quand 10 % de la population possède 90 % du patrimoine, cela pose problème. Cette question devra être également abordée, car on ne pourra en faire l'impasse.
Je partage entièrement votre point de vue quant au fait de dire qu'il faut procéder par étape, en réalisant des expérimentations et des évaluations pour déterminer ce qui fonctionne et rechercher ensuite la solution idéale.
Le rapport Sirugue préconise de faciliter les démarches administratives et de regrouper les différentes aides sociales qui existent. Commençons par là et le phénomène du non-recours sera moins important. Il sera ensuite temps de franchir une nouvelle étape. Pourquoi ne pas le faire en fonction de l'engagement des territoires ? Il me semble que c'est dans cette direction que nous pourrions aller.
M. Étienne Pinte. - Regrouper les minima sociaux, faciliter la modification des règles d'octroi devrait constitue un début de lutte contre la pauvreté et éviter les effets de seuil et les non-recours. Il n'est en effet pas normal qu'un certain nombre de nos concitoyens ne bénéficient pas de ce à quoi ils auraient droit.
C'est pourquoi la prime d'activité devrait permettre d'arriver progressivement à 90 % ou 95 % des bénéficiaires potentiels d'y accéder relativement facilement. On est sur la bonne trajectoire, et c'est dans cet esprit qu'il faut promouvoir cette idée progressivement. Les non-recours touchent nombre de domaines : allocations logement, prestations sociales, etc. Si l'on parvenait à déterminer le nombre de personnes qui pourraient bénéficier de certaines prestations, on arriverait à mieux lutter contre la pauvreté et la grande pauvreté.
Vous avez évoqué les travaux d'utilité sociale. Il est d'évident qu'offrir un revenu de base à tous dès l'âge 18 ans permettrait d'en faire bénéficier des personnes qui exercent aujourd'hui des travaux d'utilité sociale sans être rémunérées. Je pense aux mères de famille ou à beaucoup d'autres catégories. Dès lors que ce revenu est inconditionnel, cela devrait leur permettre d'entrer dans le circuit social, économique, financier, fiscal, etc.
Mme Anne-Catherine Loisier. - Si ce revenu de base s'adresse à certaines catégories, comme les mères au foyer, ce n'est pas inconditionnel. Il existe une notion de contrepartie.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Oui, de facto.
Mme Anne-Catherine Loisier. - On veut que ce revenu de base soit inconditionnel, mais on cherche cependant des critères. Ne faut-il pas reconnaître toutes ces fonctions et dire qu'elles ont un rôle social et justifient un revenu de base, donc une contrepartie ? Il serait peut-être plus valorisant pour ces personnes que cette utilité sociale soit reconnue comme un travail, même s'il ne s'agit pas d'un statut salarié.
M. Étienne Pinte. - Le revenu de base - ou revenu universel - est la contrepartie de l'exercice d'un métier à caractère social.
M. Jean Desessard. - J'ai cru comprendre que les personnes qui ont déjà un travail d'utilité sociale vont bénéficier du revenu de base. Il existe donc de fait une contrepartie à un travail qui n'est pas valorisé par un revenu.
M. Yannick Vaugrenard. - À partir du moment où on est citoyen d'un pays, il est normal qu'on bénéficie d'un minimum de soutien, du fait même de sa citoyenneté.
Par ailleurs, on peut de plus être utile à la société sans pour autant être salarié ou fonctionnaire. Il faut bien l'intégrer compte tenu des évolutions technologiques auxquelles nous sommes confrontés.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Pour les partisans du revenu de base, c'est la justification première. En fait, tout le monde, en tant que citoyen, concourt à faire fonctionner la société. Chacun mérite donc de ce fait une rémunération.
M. Jean-Pierre Grand. - J'ai expérimenté ce genre de choses quand j'ai créé dans ma commune l'allocation différentielle de revenu minimal, avant que le RMI n'existe. C'est l'avantage des mandats longs. J'ai par ailleurs déposé une proposition de loi sur ce sujet à l'Assemblée nationale.
L'allocation que j'ai créée prenait en compte les revenus. On avait fixé une allocation de base qui représentait à l'époque 4 000 francs. On déduisait tous les revenus, et la commune donnait la différence chaque mois.
J'avais demandé que les personnes concernées exercent une activité compensatrice, mais c'était très compliqué. Si la personne ne remplissait pas la petite mission qu'on lui confiait, devait-on mettre un terme à sa mission ou suspendre son allocation ? Il est plus facile de licencier quelqu'un qui touchera une indemnité de chômage...
Je me suis par ailleurs très vite rendu compte que, dès lors qu'il existerait une allocation nationale, celle-ci obligerait la personne à compenser. C'est l'objet du texte que j'ai déposé. L'être humain est l'être humain et, dès lors que vous n'êtes pas l'employeur, vous n'avez pas autorité sur les personnes.
Il faut également évaluer le coût de l'encadrement. Je suis, comme Étienne Pinte, très favorable aux expérimentations, mais elles ne peuvent selon moi être territorialisées. Si tel est le cas, il risque d'y avoir des appels d'air. L'expérience devrait plutôt être menée sur 200 000 personnes et sur l'ensemble du territoire, l'échantillon territorial pouvant avoir des effets pervers.
Lancer aujourd'hui l'idée d'un salaire minimal n'est pas populaire. Il n'y a que nous pour y penser. Nous le faisons parce que nous avons parfaitement conscience que la situation est inacceptable et qu'il faut y remédier. La somme de 1 000 euros est un tout petit peu au-dessus du seuil de pauvreté.
Une chose est certaine : il faut travailler sur un échantillon et déconnecter l'expérimentation des périodes électorales.
Il faut également calculer ce que cela rapporte, car tout cet argent sera remis dans le circuit - TVA, créations d'emploi, etc. Il y a donc là une véritable valeur ajoutée en termes de mission sociale, mais aussi d'utilité économique. Il faut absolument évaluer ce point.
Cela a aussi une incidence fiscale et territoriale, même si les projections sur un échantillon national sont moins faciles à réaliser sur le plan territorial.
C'est un sujet auquel je suis extrêmement attentif - et un très beau sujet. Nous avons beaucoup de difficultés, dans nos propres communes à accepter ce que nous voyons. Je pense que les problèmes sont les mêmes au Nord comme au Sud. Les gens du Nord descendent dans le Sud parce qu'ils pensent qu'ils y seront plus heureux. Ils sont encore plus malheureux et l'on n'y arrive plus. Il faut donc trouver des solutions. On arrive à leur proposer des logements parce qu'on les construit, mais ils n'ont rien pour remplir leur réfrigérateur, et c'est dramatique. Cela ne peut pas durer. On va à la catastrophe. On va le constater très certainement sur le plan électoral. Ce ne sera que la première marche de l'escabeau. On arrive en général très vite en haut et, lorsqu'on y parvient, on est mort !
Je pense qu'il faudra vendre cela au prochain Président de République, quel qu'il soit, mais il faudra bien travailler le sujet et surtout l'évaluer en totalité, car beaucoup de paramètres sont très intéressants dans ce dossier.
M. Étienne Pinte. - En ce qui concerne l'expérimentation territoriale, on pourra, le moment venu, s'inspirer de ce qui va être fait à l'occasion de l'opération « Territoires zéro chômeur de longue durée ». Si la méthode est bonne, on pourra s'en prévaloir. Il n'y a pas d'effet d'aubaine. Tout est balisé dès le départ.
Le jour où l'on parviendra à un éventuel revenu universel, on pourra éviter les effets de seuils et les non-recours, ainsi que la critique portant sur la notion d'assistanat. À partir du moment où tout le monde bénéficiera d'un socle, on ne pourra considérer que certaines catégories ont quelque chose que d'autres n'ont pas. Cela peut faire évoluer psychologiquement nos concitoyens.
M. Jean Desessard. - C'est ce que je voulais dire à propos de la question précédente.
M. Étienne Pinte. - Il sera très intéressant de voir comment les assemblées vont prendre en compte les premières propositions du rapport Sirugue dans le prochain projet de loi de finances pour 2017. C'est un premier pas psychologiquement important. S'il se passe bien, on pourra envisager l'avenir moins difficilement.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - C'est assez indolore. Cela devrait normalement biens se passer - mais on est en phase préélectorale.
Merci de cette intéressante contribution.
Audition de M. Philippe Vasseur, commissaire spécial pour la revitalisation industrielle de la région Hauts-de-France
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Nous accueillons à présent M. Philippe Vasseur, Commissaire spécial pour la revitalisation de la Région des Hauts-de-France. Il assume également la présidence du Forum Réseau Alliances et du World Forum Lille. Nous nous connaissons d'ailleurs de très longue date puisque nous sommes, tous les trois, avec notre collègue M. Daniel Percheron, issus de la même région !
Nous sommes ainsi très heureux de votre intérêt pour le revenu de base sur lequel nous nous sommes penchés depuis un certain temps. Notre mission rassemble vingt-sept sénateurs et a conduit ses travaux pendant plusieurs mois, en auditionnant un large panel d'intervenants aux diverses opinions sur la question, qui a suscité de nombreux travaux.
Nous essayons quant à nous de clarifier les données et de comparer les expériences étrangères, comme celles conduites en Finlande ou aux Pays-Bas, sur ce sujet dont l'actualité semble également s'être emparé. Nous recherchons ainsi le chemin critique pour acclimater en France un revenu universel. Pour ce faire, il nous faut répondre à la question de sa finalité. En outre, la question de l'expérimentation de ce revenu universel doit être posée, à l'aune des précédentes démarches comme celle qui a conduit à l'adoption du revenu de solidarité active (RSA). Voilà, rapidement résumés, les travaux que nous avons conduits au sein de notre mission. Je vous cède à présent la parole.
M. Philippe Vasseur, Commissaire spécial à la revitalisation et à la ré-industrialisation des Hauts-de-France. - Je vous remercie de m'avoir invité. A titre liminaire, je souhaite expliquer pourquoi l'instauration d'un revenu de base me paraît inéluctable, bien que la France ne soit pas encore mûre pour une démarche de cette nature.
Il faut en effet, sur cette question, distinguer le court terme de ce que j'appellerai le moins court terme, car il me semble impossible désormais de parler de long terme. Sur le court terme, un ensemble de dispositifs et d'aides existe déjà pour lutter contre la pauvreté et la précarité, mais son résultat d'ensemble ne me paraît pas d'une grande efficacité et ce, quel que soit le gouvernement qui en est à l'origine. Depuis le poste qui est le mien, j'observe que nous vivons actuellement une mutation si profonde et si accélérée qu'il nous est impossible de maintenir nos modèles existants. Les évolutions technologiques induisent en effet des changements de systèmes économiques et sociaux, comme l'émergence de nouvelles formes de travail impliquant une nouvelle réflexion sur l'emploi et les conséquences de son évolution sur la société. L'emploi éparpillé - sous la forme de télétravail, fût-ce à temps partiel, ou dans des tiers lieux - ou encore le travail à la carte ou à la tâche, via le réseau internet, illustrent ce point. J'ai d'ailleurs eu récemment recours à l'internet pour trouver un graphiste pour une mission de vingt-quatre heures. Si ce genre de travail est aujourd'hui encore balbutiant, il devrait connaître un développement massif.
Mon deuxième constat - et j'ai le sentiment de rappeler un fait connu de tous -porte sur le développement continu de la robotique et de l'intelligence artificielle dont on ne mesure pas totalement l'ampleur. La dernière couverture de l'hebdomadaire « Le Point » insiste, à cet égard, sur le fait que nous sommes gouvernés par des algorithmes. J'ai des exemples corroborant un tel constat, s'agissant notamment de la presse que je connais bien. En effet, les journalistes sont aujourd'hui confrontés à la concurrence des robots. Les commentaires des dernières élections régionales et départementales ont ainsi été rédigés par des robots dans le supplément dédié à cet événement du journal « Le Monde » ! Les chroniques boursières du magazine américain « Forbes » sont également rédigées par des robots. Au niveau bancaire, autre secteur que je connais, la robotique est en mesure de se substituer aux conseillers de placement.
Ce sont là deux exemples qui démontrent qu'aucun emploi n'est épargné par la robotique qui touche désormais les cols blancs après avoir concerné le secteur industriel. Certes, certains sceptiques doutent toujours de cette évolution, mais au cours de ma vie professionnelle, j'ai pu constater les évolutions marquantes depuis les vingt-cinq ans qui marquent l'entrée en service du réseau internet.
Nous allons vers une société qui va connaître des séismes. Selon certaines études, entre 40 et 50 % des emplois existants seront, dans un avenir n'excédant pas les dix prochaines années, occupés par des machines. Il y aura certes des emplois qui viendront se créer en compensation, mais le principe de Schumpeter de la destruction créatrice ne trouve plus à s'appliquer. Nous sommes aujourd'hui dans un système où les machines se réparent elles-mêmes, s'interconnectent sans que l'homme n'ait plus à intervenir. Ce n'est pas là de la science-fiction, mais notre quotidien. Il y aura toujours des emplois et les personnes les plus imaginatives conserveront leur place, mais certains métiers traditionnels vont disparaître, sans que les personnes qui les occupaient, en nombre, n'en trouvent d'autres. Ce que l'homme était amené à faire hier, les machines vont le faire demain à sa place.
C'est peut-être une chance, comme l'écrivait John Maynard Keynes dans ses perspectives économiques pour nos petits-enfants, en dépeignant une société d'abondance, dans laquelle l'homme n'aurait à travailler que quelques heures et disposerait alors du temps nécessaire pour se consacrer notamment à la vie citoyenne. Nous ne prenons pas vraiment le chemin d'une société aussi idyllique, mais la question d'autres types d'activités se pose. A cet égard, je fais intervenir le président directeur général de Roland Berger, M. Charles-Edouard Bouée, qui imagine l'évolution du Quaternaire qui vient s'ajouter à la trilogie des secteurs primaire, secondaire et tertiaire, pour désigner l'époque nouvelle dans laquelle nous entrons.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - On parlait déjà de ce Quaternaire il y a trente ans ! Mais sa définition était différente !
M. Philippe Vasseur. - En effet, la définition en était réellement distincte. Aussi, l'économie de partage, qui est l'un des phénomènes connexes de ce quaternaire en devenir, devrait être une répartition égale entre tous, mais elle aboutit en fait à une très forte concentration capitalistique : pour preuve, la valorisation d'Uber, qui atteint aujourd'hui cinquante milliards de dollars. Dès lors, la richesse qui se crée devient une véritable rente qui revient aux plus riches et favorisés : 0.004 % de la population mondiale possède 12 % de la richesse du monde, ce qui me paraît dangereux.
Je ne suis pas marxiste. D'ailleurs, le premier qui a parlé de ce revenu universel est Thomas More avant que cette idée ne soit reprise au XVIIIe siècle par Thomas Paine et relayée au XXe siècle par Milton Friedman, économiste ultralibéral qui estime que la responsabilité sociétale d'une entreprise est de faire du profit ! Même à Davos, on reconnaît que les inégalités sont dangereuses. A une certaine époque, nous débattions, avec votre collègue rapporteur, en tant que socio-démocrates, sur le système d'économie de marché qui devait permettre à chacun de créer de la richesse et de favoriser l'émergence des classes moyennes. Ce système était vertueux car il permettait à chacun de s'enrichir. Désormais, la classe moyenne connaît des difficultés, du fait notamment d'une dépossession d'un certain nombre de métiers.
Le contexte est tout à fait nouveau et nous sommes dans un changement d'époque. Si l'on y croit, alors il faut suivre une approche nouvelle. Même si l'on en parle depuis trois cent ans, le revenu de base demeure une approche révolutionnaire et est abordé par la Finlande. Je vous rappelle que 20 % des Suisses étaient d'ailleurs d'accord, malgré la barre qui était placée si haut, sur cette approche. Je ne m'interroge pas sur les modalités qui peuvent donner lieu à des solutions alternatives. Il ne s'agit pas non plus de discuter du montant de ce revenu de base qui relève davantage d'une perspective de court terme. On ne peut écarter d'un revers de main ce principe et le débat n'est pas pour maintenant, mais il devrait être conduit dans les prochaines années, d'ici cinq à dix ans. Des initiatives en ce sens existent en Allemagne, en Inde et en Finlande. Nous allons, comme l'indiquent les travaux de l'Organisation internationale du travail (OIT), connaître un chômage lourd et structurel, et nous ne pourrons résoudre ces problèmes qu'avec un changement de paradigme. C'est d'ailleurs ce que vous êtes en train de faire, mais si je reconnais la difficulté d'obtenir le vote unanime d'un rapport sur un tel sujet.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Merci pour cet exposé brillant et concis. Nous sommes convaincus de vivre un changement d'ère et de métamorphoses, dans un contexte de transition fulgurante, comme le souligne l'actuel président-recteur de la Faculté catholique de Lille. Nous sommes également dans un contexte pré-électoral et nous avons essayé de clarifier les bases. Nous nous interrogeons aujourd'hui sur l'opportunité d'une expérimentation. Faut-il le faire pour tous ou pour une catégorie spécifique ? A cet égard, notre démarche est limitée car il me paraît peu probable que nous obtenions l'autorisation de mettre en oeuvre une fiscalité réduite. Nous ne sommes pas dans les conditions de l'impôt négatif, mais nous pensons plutôt à une allocation directe versée aux 18-25 ans qui connaissent le taux de chômage le plus fort en Europe. D'ailleurs, celle-ci ne pourrait-elle pas se saisir de ce problème et redevenir populaire en s'intéressant à l'avenir de sa jeunesse ? Ce sera d'ailleurs une question qu'il nous faudra évoquer dans notre rapport.
M. Jean Desessard. - e suis favorable au revenu de base universel. Le précédent intervenant nous a indiqué que la mise en place d'un tel revenu était d'une grande complication. En outre, même dans l'actuel système social, l'introduction du revenu de base présente trois avantages : d'une part, il permet aux gens de gagner davantage en travaillant. D'autre part, il évite les non-recours puisque les personnes n'auraient pas alors à s'inscrire ; ce non-recours s'élevant à quelque 30 % des personnes pour le seul Revenu de solidarité active (RSA). Enfin, sa mise en oeuvre permettrait d'éviter l'assistanat, puisque la société ne stigmatiserait plus les personnes en difficulté.
Votre très intéressante intervention s'avère complémentaire de ce qui vient d'être dit, puisque ce principe est corrélatif du changement de civilisation et de société marqué par le remplacement par les robots du travail humain et qui implique de repenser la redistribution ou l'attribution de moyens de vie à chacun. Il faut s'y préparer comme l'ont montré les exemples très précis que vous nous avez donnés. La redistribution n'est plus un vieux combat conduit par les socio-démocrates !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - En effet, comment se préparer à ces grandes mutations ; telle est en effet la question.
M. Philippe Vasseur. - Cette réflexion doit être conduite, mais elle est très difficile. En effet, on est pris par le temps. Nous avons devant nous une mutation de l'organisation de la société. Nos petits enfants n'ont plus la même conception de la société que la nôtre et ils donnent également une nouvelle définition de la répartition de la valeur créée, qui va bien au-delà de la simple richesse matérielle. La dimension universelle est importante : ce revenu va aux riches comme aux pauvres, puisque la fiscalité jouera son rôle correctif.
M. Dominique de Legge. - Pour arriver à ce dispositif de revenu universel consistant à donner à tous la même somme quel que soit le niveau de ressources, ne faut-il pas débuter par la reconnaissance d'un minimum garanti résultant de la fusion de l'ensemble des minima sociaux ?
M. Philippe Vasseur. - Je ne suis pas concerné par les minima sociaux, donc je suis exclu du revenu universel. Cette démarche est donc distincte de celle du revenu universel. Les attributaires ne sont pas les mêmes que les bénéficiaires du revenu universel. Je préférerais qu'une expérimentation soit conduite, en dépit de sa complexité. Quelle va être la démarche finlandaise ? Au-delà, comment organiserons-nous la société de demain ? La notion de travail est une notion récente dans l'histoire humaine ; ni les citoyens grecs, ni les nobles du Moyen-Age ne travaillaient pas, laissant les tâches aux serfs. Demain, nous aurons la chance d'avoir des machines qui produiront de la richesse à notre place. Est-ce en soi une catastrophe mettant fin à la notion de travail ? Je comprends que les syndicats soient contre, comme la CFDT. Demain, où trouveront-ils leurs adhérents ? Je vous renvoie à la l'intervention de M. Charles-Edouard Bouée, qui aura lieu à Paris le 14 octobre prochain, qui nous parlera de son ouvrage « Confucius et les automates » qu'il a co-écrit avec M. François Roche. C'est une allégorie qui démontre notre besoin de nous remettre en question.
Mme Christine Prunaud. - Je suis très heureuse de vous entendre parler de la sorte du revenu universel. C'est là une belle idée et une véritable philosophie qui demeure difficilement applicable pour tous et quel que soit le revenu de chacun. On va ainsi écarter de notre réflexion l'idée d'une sorte de regroupement des allocations existantes puisqu'il s'agit d'une autre démarche. Il nous faudra beaucoup de temps et de réflexion. La solution pour commencer à travailler sur cette idée, malgré les contextes international et national, me semble résider dans l'expérimentation qui permettrait d'obtenir un premier résultat et de nourrir notre réflexion sur l'assistanat notamment. Il faudrait garder l'idée du même revenu pour un public ciblé, quel que soit le revenu de ces personnes, un peu à la manière des allocations familiales.
M. Philippe Vasseur. - J'ai toutefois précisé que la correction des inégalités de situation face à l'obtention du revenu universel se faisait a posteriori par la fiscalité.
Mme Christine Prunaud. - En effet, mais nous avons pour le moment arrêté un consensus sur cette idée d'expérimentation.
M. Philippe Vasseur. - Je pense que les esprits ne sont pas prêts à cette idée. C'est une perspective, mais lorsque j'en parle à des dirigeants d'entreprises, ceux-ci me rappellent qu'ils ne parviennent pas à trouver des collaborateurs motivés. Selon eux, comment serait-il possible de motiver les personnels si les individus étaient payés à ne rien faire ? Le problème est plus complexe et c'est là que la détermination du montant est ici importante, car avec un revenu universel de base, son bénéficiaire peut bénéficier de conditions de vie et de rémunérations supérieures en travaillant. Si on ne le fait pas, que faire alors, dans ce contexte de mutation de l'emploi et d'accroissement des inégalités ?
M. Alain Vasselle. - La création de ce revenu universel entrainerait-elle la disparition ipso facto des minima sociaux accordés en fonction non du revenu mais du statut des personnes ? Cette création devrait-elle nous entraîner à mettre en place une fiscalité pour tous, y compris pour les bénéficiaires de ce revenu de base et également des cotisations sociales pour assurer la couverture de leurs droits sociaux ? En outre, comment serait mise en oeuvre cette expérimentation ? Enfin, pas plus tard que la semaine dernière, j'ai visité, avec l'association des maires de mon ancien canton rural, quatre entreprises et deux micro-entreprises, dont une sellerie où une jeune fille, en travaillant à temps plein comme artisan sur toute une année, parvenait seulement à dégager un revenu de 500 euros par mois, une fois acquittées les différentes charges et impositions. Bien que travaillant à temps plein, cette personne se trouvait ainsi à la limite du RSA ! Une autre personne, bénéficiant du régime d'auto-entrepreneur, m'a d'ailleurs indiqué que sur les 1 000 euros qu'elle percevait, il ne lui restait également que 500 euros à la fin de chaque mois. De telles réalités impliquent inévitablement de s'interroger sur la pertinence du revenu de solidarité universelle qui permettrait à ces personnes d'obtenir une somme mensuelle suffisante en y ajoutant le fruit de leur travail. Enfin, ma dernière question sera plus personnelle. Est-ce que notre intervenant se trouve désormais plus libre pour exprimer son point de vue sur ces questions, que lorsqu'il était membre de la Représentation nationale ?
M. Philippe Vasseur. - Il est vrai qu'il m'a parfois fallu, dans le cadre de mes mandats, obéir à une forme de discipline électorale sur certaines questions, comme celle du principe de précaution, auquel j'adhère mais dans certaines conditions. Je me sens en effet beaucoup plus libre lorsque je tiens notamment mes propos dans un milieu entrepreneurial.
S'agissant des personnes qui parviennent à dégager 500 euros par mois, le revenu universel de base leur permettrait de mieux vivre. Ce type de problème est posé aujourd'hui. Lorsqu'on évoque le plein emploi aux Etats-Unis, il faut voir quelle est la précarité de l'emploi qui s'y fait jour et qui concerne tous les âges. Le fait de pouvoir garantir un revenu de base permet aussi l'épanouissement de certaines personnes dans des emplois utiles à la société sans être pour autant productifs. Il faut faire un choix. On ne peut maintenir les droits sociaux tels qu'ils existent aujourd'hui avec le revenu universel de base. La fiscalité doit-elle être la même pour tous ? C'est là un vieux débat. On n'a jamais osé dire que tout le monde devait payer l'impôt sur le revenu, mais, par l'acquittement de la contribution sociale généralisée et la taxe sur la valeur ajoutée, c'est manifestement le cas. Le côté « Je suis citoyen, je paie de l'impôt » est une vraie question.
Je demeure réservé quant à l'expérimentation, puisque réserver ce revenu à une certaine catégorie revient à en dénaturer le dispositif, en faussant son universalité. Le réserver à un territoire engendre également de nombreuses difficultés, comme l'effet d'appel. Si la France créée un revenu universel de base, la pression migratoire va s'intensifier. Il ne faut pas ignorer ces questions et la réflexion sur ce sujet est nécessaire. On dénigre le politique comme trop axé sur le court terme. Le Sénat est une assemblée, notamment sur les questions agricoles, où la réflexion est beaucoup plus riche et donne plus matière à un débat de qualité qu'à l'Assemblée nationale. La réflexion sur le revenu universel de base se doit d'être transpartisane afin de démontrer que le politique est capable de s'emparer d'un sujet tel que celui-ci. Je suis d'ailleurs heureux que le rapporteur de votre mission, M. Daniel Percheron, vienne s'exprimer dans notre symposium du 10 octobre prochain. Mais c'est d'ores et déjà prévu. Le sujet évolue, même si nous n'en avons pas encore les solutions. Si vous parvenez à dégager des solutions et à proposer des expérimentations, je veillerai à ce que la région à laquelle j'appartiens se porte candidate.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Nous nous interrogeons tout de même sur la façon de procéder car celle-ci n'est nullement évidente ! Nous recevons à ce sujet des informations et des conseils contradictoires. Nous allons regarder cela attentivement.
M. Jean Desessard. - S'agissant de la fiscalité, il est également préconisé de prendre en compte le revenu individuel pour s'adapter au mieux à la société d'aujourd'hui. Cela implique bien sûr de modifier l'approche du quotient familial. La question est posée.
M. Philippe Vasseur. - Il est important en effet de se poser la question. Je lirai votre rapport avec passion et grand intérêt.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Je vous remercie de votre intervention, Monsieur le Commissaire spécial.
La réunion est levée à 19 h 50.