Jeudi 14 janvier 2016
- Présidence de Mme Chantal Jouanno, présidente -Table ronde sur les aspects juridiques de la traite des êtres humains
Mme Chantal Jouanno, présidente. - Nous recevons Mme Véronique Degermann, procureur adjoint en charge de la division antiterroriste et de lutte contre la criminalité organisée au parquet de Paris, Mme Bénédicte Lavaud-Legendre, chargée de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), M. Hervé Henrion-Stoffel, conseiller juridique à la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) et Mme Cécile Riou-Batista, coordinatrice sur la lutte contre la traite et l'exploitation des êtres humains et conseillère pour les questions d'éthique, de société et d'éducation aux droits de l'homme à la CNCDH.
Je précise à votre attention que le travail que notre délégation prépare depuis le mois de septembre sur les femmes victimes de la traite des êtres humains sera présenté par six rapporteures, une par groupe. Cette diversité montre l'intérêt de notre délégation pour ce sujet déterminant en matière de violences faites aux femmes, par-delà nos appartenances politiques.
Cette audition est la dernière que nous consacrons au thème des femmes victimes de la traite des êtres humains. Elle portera sur ses aspects juridiques, qui nous concernent au premier chef.
Mme Degermann, je vous donne sans plus tarder la parole.
Mme Véronique Degermann, procureur adjoint au parquet de Paris en charge de la division antiterroriste et de lutte contre la criminalité organisée. - Mes propos reflèteront mon expérience à Paris. J'appartiens à la section de lutte contre la criminalité organisée qui suit les faits d'exploitation sexuelle et d'exploitation des mineurs. L'exploitation domestique relève d'une autre section ; je ne crois pas qu'elle ait actuellement de dossier en cours sous la qualification de traite.
Il a fallu une dizaine d'années pour que l'incrimination de traite des êtres humains entre dans la culture judiciaire et que les magistrats se l'approprient. L'infraction de proxénétisme leur était plus familière, et les clichés attachés à la « traite des blanches » faisaient qu'on rechignait à parler de traite en l'absence de violence ou de déplacements transfrontaliers.
Je milite depuis longtemps pour que les magistrats du parquet recourent à cette qualification de traite, et des circulaires, des protocoles de travail avec les associations en ont martelé l'intérêt. Depuis quelques années, elle est systématiquement visée au niveau de la Juridiction inter-régionale spécialisée (JIRS) de Paris, où 45 affaires sont en cours d'instruction ou en attente de jugement en matière d'exploitation sexuelle. Nous avons rappelé l'intérêt qu'il y avait à viser cette incrimination en plus de celle de proxénétisme, car elle couvre un champ plus large. Il n'y a pas de difficultés au niveau des juridictions de jugements, qui formulent des condamnations sur les deux chefs. De surcroît cette incrimination facilite la coopération internationale, indispensable dans des affaires qui impliquent presque toujours des étrangers et supposent des demandes d'entraide internationale. Elle permet de gommer les différences de législation avec des pays comme la Suisse ou l'Allemagne, facilitant le recours au mandat d'arrêt européen. Eurojust est très sollicité, avec des interpellations simultanées dans plusieurs pays et des équipes communes d'enquête. Visée à l'article 706-73, l'incrimination de traite des êtres humains donne accès à tous les outils procéduraux dérogatoires : garde à vue prolongée, interceptions téléphoniques...
Le parquet de Paris est attaché depuis longtemps à la prise en charge des victimes. Dès l'institution du délit de racolage en 2003, notre politique pénale a mis l'accent sur le suivi socio-sanitaire des prostituées. Nous disposons à Paris d'un maillage d'associations spécialisées compétentes, avec lesquelles nous avons renforcé notre partenariat dans le cadre des groupes locaux de traitement de la délinquance (GLTD). Les zones de sécurité prioritaires (ZSP), notamment du 18ème arrondissement, sont très touchées par la prostitution nigériane et roumaine. Un protocole de prise en charge des victimes a été mis en place avec les associations, dont nous nous efforçons d'assurer la présence dès le stade de l'interpellation.
Nous souhaitons qu'une psychologue intervienne au sein de la Brigade de répression du proxénétisme (BRP) pour aider les victimes à se percevoir comme telles, ce qui ne va pas toujours de soi dans les affaires d'exploitation de type clanique ou familiale. Une convention rassemblant la Mairie de Paris, la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) et le préfet de Paris est en cours de négociation pour mettre en place un appartement d'accueil pour les victimes de traite pendant la procédure judiciaire, afin d'assurer leur présence - trop rare - à l'audience : la parole des victimes a un impact fort, irremplaçable, sur la sanction prononcée.
L'incrimination de traite des êtres humains a aussi été visée dans des affaires d'exploitation de mineurs, notamment dans le dossier Hamidovic, pour lequel le partenariat avec la Bosnie a été essentiel et où nous avons obtenu des condamnations à plus de huit ans d'emprisonnement. Il y a certes eu des poursuites contre les mineurs auteurs de vols, mais cela n'excluait pas le souci de leur prise en charge, ce qui traduit l'ambivalence de ces situations.
L'incrimination de traite peut sembler complexe mais sa rédaction dans le code pénal, qui couvre un grand nombre de situations, est globalement satisfaisante et les magistrats y sont désormais habitués. Notamment, le fait que le consentement de la victime n'exonère pas l'auteur des faits est bien ancré dans leurs esprits. Certaines circonstances prouvent l'absence de consentement de la victime, d'ailleurs.
L'une des principales difficultés est de repérer les mineurs et, surtout, de prouver leur minorité. Certaines jeunes Nigérianes, qui arrivent désormais par la Lybie et Lampedusa, ont des documents sous des identités de majeures. Les associations essaient de détecter les mineures, et la Brigade de protection des mineurs (BPM) alerte aussitôt le parquet des mineurs. Il faut alors intervenir au plus vite pour pratiquer un examen osseux. Nous avons d'ailleurs récemment détecté des jeunes femmes mineures et mis en place un processus de prise en charge et procédé à l'ouverture d'une enquête sous la qualification d'exploitation de mineur.
Hélas, l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH) manque de moyens et n'intervient guère en région parisienne. Reste la Brigade de répression du proxénétisme (BRP) de la préfecture de police de Paris, qui traite pourtant déjà un nombre important de dossiers et qui mène des enquêtes longues et difficiles. Les effectifs de police judiciaire manquent pour pouvoir être véritablement présents sur tous les fronts que recouvre la traite. De même, aucun office ne travaille spécifiquement sur l'exploitation des mineurs : c'est donc la BPM, pourtant déjà surchargée, qui se charge du phénomène parisien des gangs de jeunes Roumains.
S'agissant de l'exploitation domestique, mes collègues m'ont indiqué qu'ils n'utilisaient pas l'incrimination de traite, car il est plus simple de passer par le travail dissimulé. Les plaintes sont très rares et les auteurs, souvent étrangers, de passage sur le territoire national. Enfin, les services compétents ne se sont pas approprié cette incrimination, et les cas sont traités par les commissariats plus que par la police judiciaire.
Nous travaillons beaucoup sur les victimes, sachant que certaines deviennent à leur tour exploiteuses. Les Nigérianes, par exemple, doivent rembourser une dette de 65 000 euros : la tentation est forte de faire venir et d'exploiter à leur tour une autre jeune femme. Certains cadres des réseaux se livrent eux-mêmes à la prostitution, notamment dans les réseaux roumains. Nous devons donc nous garder de tout angélisme envers les victimes et faire preuve de professionnalisme. Les réseaux s'adaptent, appréhendent très bien nos failles et infiltrent nos systèmes d'aide aux victimes. C'est pourquoi je ne suis pas favorable à une automaticité de la prise en charge. La France doit rester une terre inhospitalière pour les réseaux. Gare aux effets pervers, donc.
Mme Chantal Jouanno, présidente. - C'est un débat que nous avons eu.
Mme Bénédicte Lavaud-Legendre, chargée de recherche au CNRS. - Je cautionne la majorité de ces propos, auxquels j'apporterai toutefois quelques nuances car ils portent surtout sur les pratiques parisiennes. Ailleurs, l'appropriation de l'incrimination de traite des êtres humains par les magistrats est encore en cours. Le cadre normatif est-il suffisant et adapté ? Oui, il est cohérent et adapté, mais son application laisse à désirer, sans doute parce qu'il est trop complexe. Ainsi, un arrêt de la Cour de Cassation du 17 décembre 2015 cite un arrêt de la cour d'appel de Nancy dans lequel les magistrats qualifient de « pratique culturelle » le mariage arrangé d'une jeune fille de treize ans, vendue 120 000 euros pour commettre à terme des cambriolages, et écartent l'incrimination de traite des êtres humains, « pour ne pas la banaliser », arguant ainsi qu'il s'agit d'une affaire familiale. Dans l'esprit des magistrats, la qualification de traite ne concerne que les gros réseaux. Les conséquences sont considérables pour les victimes et sur les procédures de coopération. Cela revient à permettre que les faits continuent en raison de moyens d'investigation insuffisants et d'une protection moindre des victimes. Pourtant, la France avait été condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) dans l'arrêt C.N et V, suite à un arrêt similaire de la cour d'appel de Versailles, preuve que l'infraction de traite est encore mal comprise.
L'infraction n'est pas utilisée non plus pour qualifier des faits d'esclavage domestique. Ainsi, une jeune femme Marocaine ayant contracté un mariage arrangé s'est retrouvée en France à vivre avec sa belle-mère, contrainte d'assurer les soins aux quatre personnes handicapées que celle-ci accueillait pour le compte du conseil général, tout en étant surveillée par une caméra cachée. Elle se rend dans un commissariat, où les faits sont qualifiés de violences simples ! À Bordeaux, une association la prend en charge et dépose une nouvelle plainte. Les faits sont alors qualifiés de traite, mais le parquet classe sans suite. L'appel est actuellement pendant devant la cour d'appel de Paris.
L'absence de qualification de traite a des conséquences déplorables : sans protection, la victime reste dépendante de son groupe d'exploitation, au risque de devenir à son tour exploiteuse, et les mesures répressives sont freinées.
Ce texte est-il suffisamment accessible aux magistrats ? Je me demande s'il ne faudrait pas inclure les faits d'isolement par rapport à la société du pays d'accueil et de dépendance à l'égard du groupe d'exploitation - très forte notamment chez les Nigérianes. Réfléchissons aussi à la notion de contrainte exercée. Parfois, la contrainte préexiste à la traite et ses auteurs en profitent même s'ils ne l'exercent pas directement Dans certains cas, l'auteur va tirer profit de la détresse de sa victime, et cela peut se faire de façon tacite. Ainsi, il peut suffire à un restaurateur d'évoquer le cas d'une personne en situation illégale que la police aurait interpellée pour que celle qui travaille dans son restaurant n'en sorte plus...
L'application du texte est très hétérogène selon les préfectures, qui octroient plus ou moins facilement le titre de séjour prévu à l'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) aux personnes qui déposent plainte. Il s'agit là d'un problème majeur, politique avant d'être juridique. Les personnes qui témoignent sous X devraient avoir droit à un tel titre de séjour, ce qui est loin d'être toujours le cas.
L'hétérogénéité est grande aussi dans les rapports entre structures associatives et autorités de poursuite : certaines associations perçoivent la police et la préfecture comme des ennemis. Les subventions qui leur sont accordées devraient être liées à un cahier des charges qui prévoit une meilleure coopération avec les pouvoirs publics. La protection des victimes ne peut être dissociée de la répression. Par exemple, une Nigériane, si elle n'est pas convenablement accompagnée, n'a d'autre solution que de prendre la place de la tête de réseau tombée sur sa dénonciation. Ces propos ne remettent pas en cause la nécessité d'aider ces femmes, mais soulignent l'intérêt de susciter une véritable réflexion sur ce phénomène.
L'identification des mineurs est très insuffisante, notamment en raison d'un manque de formation des professionnels sur la question de l'emprise. Du coup, nous en sommes à la deuxième génération de mineurs victimes ! Les moyens consacrés à cette question sont autant d'économies pour l'avenir. Dans le dossier Hamidovic, certains mineurs avaient été interpellés plus de dix fois. Comme leur prise en charge était inopérante lorsqu'ils étaient victimes, ils sont devenus à leur tour auteurs d'infractions. Seuls les mineurs victimes de traite dont les auteurs sont impliqués dans des procédures pénales sont protégés. C'est insuffisant : les mineurs doivent être protégés de manière inconditionnelle. Force est de constater que le système de l'aide sociale à l'enfance n'atteint pas son but pour les mineurs victimes de la traite lorsqu'il n'y a pas de procédure pénale parallèle.
Mme Véronique Degermann. - De plus, les structures de prise en charge ne sont pas adaptées : ils y prennent une douche et quittent le foyer dans l'heure ! D'où la convention que le parquet des mineurs de Paris s'apprête à signer pour une structure spécifique de prise en charge.
Mme Cécile Riou-Batista, coordinatrice sur la lutte contre la traite et l'exploitation des êtres humains et conseillère pour les questions d'éthique, de société et d'éducation aux droits de l'homme à la CNCDH. - La CNCDH a été désignée rapporteure nationale sur la traite des êtres humains par le plan d'action national de lutte contre la traite des êtres humains adopté en mai 2014. Aussi avons-nous préparé un rapport évaluant la mise en oeuvre de ce plan, qui paraîtra fin février. Si ce plan révèle une véritable prise de conscience de ce que doit être la lutte contre la traite des êtres humains, cette lutte est encore loin d'être effective et bon nombre des mesures prévues n'ont pas été mises en place. Or la bonne volonté ne saurait suffire ! Seule une application concrète, par les pouvoirs publics, des mesures contenues dans le plan serait opérante. Des moyens financiers supplémentaires sont nécessaires et la lutte contre la traite doit être bien articulée et coordonnée au niveau national. La CNCDH rappelle que toutes les formes de traite doivent retenir la même attention des pouvoirs publics. Pourtant, les victimes de traite à des fins économiques, de mendicité ou d'esclavage domestique, par exemple, sont rarement identifiées comme telles par les instances compétentes.
La CNCDH recommande, pour renforcer l'intelligibilité et l'autorité du dispositif de lutte contre la traite et l'exploitation, de lui conférer un caractère général plutôt que de favoriser une approche spécifique à l'exploitation de la prostitution et à la traite visant la prostitution. Elle recommande donc la création d'une instance interministérielle spécifiquement dédiée à la coordination de la lutte contre la traite et l'exploitation des êtres humains, rattachée au Premier ministre. Certes, la MIPROF fait un travail extraordinaire, mais ses moyens sont dérisoires.
Il faut également mettre en place un financement conséquent, pérenne et transparent. Il s'agit non seulement de doter l'instance de coordination de la lutte contre la traite des moyens financiers et humains nécessaires à son bon fonctionnement, mais aussi d'attribuer aux associations des moyens concrets et durables.
Dans la loi de finances pour 2016, le budget consacré au programme 137 a doublé en apparence - mais il ne s'agit que de réaffectations de crédits et non de nouveaux moyens. Dans l'ensemble, les crédits sont insuffisants.
La proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel prévoit la création d'un fonds pour la prévention de la prostitution et l'accompagnement social et professionnel des personnes prostituées. La CNCDH salue cette création et souhaite que l'ensemble des victimes de traite en bénéficient. Reste que pour l'heure, les ministères concernés rechignent à abonder ce fonds - à l'exception du secrétariat d'État aux droits des femmes. Il est prévu que les revenus issus de la confiscation des biens des personnes et réseaux coupables de traite financent ce fonds : or celui-ci doit être alimenté de manière continue et pérenne alors que ce type de revenu est aléatoire.
La CNCDH recommande au Gouvernement de sensibiliser davantage le grand public aux différents types de traite, en organisant des campagnes d'information et de sensibilisation. Elle suggère au Gouvernement de faire de la lutte contre la traite et l'exploitation des êtres humains une grande cause nationale. Elle invite la MIPROF, les ministères et les organismes concernés à ne pas retarder davantage l'élaboration et la publication de nouveaux outils de formation, harmonisés et mutualisés, prenant en compte l'ensemble des formes d'exploitation visées par la traite. Policiers et gendarmes, magistrats et tous les professionnels susceptibles d'être en contact avec des victimes de traite, comme les inspecteurs du travail, le personnel de la protection de l'enfance ou le personnel hospitalier, doivent être formés à l'identification et à l'accompagnement des victimes dans le cadre de la formation initiale et continue.
Un accompagnement individualisé des victimes doit être mis en place sans discrimination entre les formes de traite. La CNCDH recommande aux pouvoirs publics de mettre effectivement en oeuvre les mesures 7 et 8 du plan, qui prévoient d'augmenter et d'adapter les solutions d'hébergement pour les victimes de la traite, de développer et de faire connaître l'accueil sécurisant prévu dans le cadre du dispositif Ac.Sé (Accueil Sécurité). Grâce aux efforts de la MIPROF, ce dispositif est mieux connu, or les moyens n'ont pas augmenté et il est proche de la saturation.
M. Hervé Henrion-Stoffel, conseiller juridique à la CNCDH. - La CNCDH a formulé en mai dernier plusieurs recommandations pour améliorer la rédaction de l'article L. 316-1 du CESEDA. Les victimes de traite ont été oubliées dans la réforme du droit des étrangers : étant donné la longueur des procédures pénales, pourquoi leur refuser un titre de séjour pluriannuel ?
Les praticiens ont du mal à s'approprier l'infraction de traite. D'abord, elle est délicate à prouver, car le texte du code pénal est complexe. D'ailleurs, lorsque nous l'avons analysé, je n'y ai pas vu les mêmes choses que mon collègue ! Sans doute les textes sur le proxénétisme ou le trafic de migrants sont-ils d'un maniement plus commode. Pour définir l'acte de traite, le texte reprend les verbes recruter, transporter, transférer, héberger ou accueillir, qui sont ceux de la directive. Pourtant, il n'est pas toujours facile de distinguer entre héberger et accueillir, entre transporter et transférer. Le terme « accueillir » fait l'objet d'une interprétation très restrictive. Ainsi, l'infraction de traite n'a pas été retenue pour les coiffeuses du boulevard de Strasbourg, puisque ces personnes, qui travaillaient 20 heures sur 24, ne dormaient pas sur place. De plus, les services de police ne sont pas habitués à manipuler l'infraction de traite des êtres humains et connaissent mieux les textes relatifs aux conditions indignes de travail. Le transfert du contrôle - passer par un intermédiaire pour contrôler la victime - n'apparaît pas explicitement dans le texte, il faudrait l'y ajouter.
Sur les circonstances de la traite, l'article 225-4-1 du code pénal vise quatre hypothèses, mais la vulnérabilité sociale ou économique n'est pas envisagée. C'est dommage, car c'est celle qui facilite le plus l'exploitation. La notion d'abus de vulnérabilité pose problème pour établir l'infraction, puisqu'il faudra prouver cumulativement la situation de vulnérabilité, l'abus en lui-même et le lien entre les deux. Mieux vaudrait s'en tenir à la notion de vulnérabilité particulière, sans mentionner l'abus, dans la mesure où cela permettrait plus aisément la poursuite sous le chef de traite.
Les mots « en échange d'une rémunération ou de tout autre avantage ou d'une promesse de rémunération ou d'avantage » peuvent laisser penser que la victime peut consentir à sa situation. Aussi faut-il rappeler de façon plus claire dans les textes l'indifférence du consentement de la victime afin d'éviter tout malentendu dans l'interprétation.
Au titre de l'élément moral, le texte définit un dol spécial : que la volonté de l'auteur porte sur l'acte de traite mais aussi sur le résultat, c'est-à-dire la commission, réalisée ou simplement projetée, d'un fait d'exploitation. Le législateur a choisi de définir l'exploitation par une liste limitative d'infractions. Il faudrait y ajouter l'exploitation d'une personne réduite en esclavage, le commerce d'enfants et peut-être aussi le mariage forcé.
Concernant la répression, le texte prévoit que l'infraction de traite des êtres humains est aggravée lorsqu'elle est commise dans deux des circonstances qu'ils mentionnent. Ces circonstances sont les quatre hypothèses que j'ai évoquées. Or le droit pénal a pour principe de distinguer l'élément constitutif de l'infraction de la circonstance aggravante. Pour l'heure, on ne sait pas combien au juste d'hypothèses doivent être vérifiées pour constituer la circonstance aggravante : deux ou trois ? Il faut améliorer la rédaction. De fait, nous avons tendance à transposer les directives au dernier moment... Rien n'empêche de les expliciter !
Mme Michelle Meunier. - Comment faire pour les mineurs ?
Mme Bénédicte Lavaud-Legendre. - La difficulté est qu'ils sont placés dans des centres d'hébergement de l'aide sociale à l'enfance (ASE) qui ne leur sont pas spécifiques, donc pas adaptés. En effet, ces mineurs sont souvent sous emprise et ne se considèrent pas comme victimes : ils adhèrent bien souvent au système d'exploitation. Il faut avant tout les aider à prendre conscience du caractère illégal et insupportable de ce qu'ils subissent, en leur proposant un autre système de références et de valeurs. Une convention entre l'association Hors la rue, le parquet et l'ASE mettra en place une plate-forme d'accueil et d'orientation à leur intention. Comme toutes les victimes de traite, ces mineurs sont habitués à vivre dans un cadre très protecteur. Le groupe d'exploitation crée la dépendance et l'isolement du reste de la société. Il est dangereux de les sortir d'un tel environnement sans leur fournir un cadre de substitution qui ne soit pas lui-même protecteur. Certes, il ne faut pas leur donner la main en permanence, mais ils doivent pouvoir parler à quelqu'un à toute heure. À cet égard, un hébergement à l'hôtel est la pire solution.
Mme Michelle Meunier. - En effet. Peut-être faut-il aussi des médecins, des psychologues...
Mme Bénédicte Lavaud-Legendre. - En tous cas, il faut de l'humain.
Mme Cécile Riou-Batista. - Cette convention réunit le parquet des mineurs de Paris, le conseil général, Hors la rue et la MIPROF : il s'agit d'une expérimentation, avec un financement pour cinq mineurs dans un premier temps. Hors la rue assure la formation des éducateurs des centres de protection de l'enfance concernés, la Mairie de Paris finance. La MIPROF a eu beaucoup de mal à trouver les financements.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Les Britanniques assignent à chaque mineur un tuteur...
Mme Bénédicte Lavaud-Legendre. - Il faut être prudent, dans la mesure où la prise en charge d'un mineur exploité demande un vrai professionnalisme.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - J'ai été en 2009 rapporteure, à la commission des affaires étrangères, du projet de loi autorisant la ratification de l'accord de coopération entre la France et la Roumanie en vue de la protection des mineurs roumains isolés sur le territoire français ; au sortir des centres, ces enfants sont retrouvés par les exploiteurs. Nommer un référent pourrait contribuer à les protéger.
Mme Bénédicte Lavaud-Legendre. - Tout ce qui crée du lien humain, du lien entre ces mineurs et notre société est bienvenu, sans préjudice de l'encadrement par des professionnels. Car c'est l'isolement et la dépendance qui rendent vulnérable à la traite.
Mme Cécile Riou-Batista. - La CNCDH s'intéresse à l'expérimentation qui sera menée à Paris car elle fait entrer ces mineurs dans le droit commun de la protection de l'enfance tout en leur assurant un accompagnement spécialisé. Cela favorisera leur réintégration sociale.
Mme Corinne Bouchoux. - Merci de votre action et de vos témoignages - et, Mme Lavaud-Legendre, merci de votre diplomatie à notre endroit, qui contraste quelque peu avec la vigueur de vos écrits ! Certains aspects du texte du code pénal sont des atouts pour la communication mais s'appliquent difficilement. Dans mon département rural, j'ai constaté qu'après une grave affaire d'enfants abusés, il a été assez facile d'entamer avec tous les acteurs un travail de lutte contre la traite des êtres humains. Un tel travail ne requiert-il pas une prise de conscience plus large des abus envers les enfants, au niveau local, ainsi que des systèmes et des réseaux mafieux ? Le Parlement offre un cadre approprié pour une réflexion sur ce sujet.
Mme Hélène Conway-Mouret. - La qualification de traite est insuffisamment visée, dites-vous. La formation des forces de l'ordre est-elle adaptée ? L'opinion publique est-elle prête à s'approprier cette problématique ? L'arrivée massive de migrants influera-t-elle en ce sens ou au contraire desservira-t-elle cet enjeu ? Il faut qu'elle fasse pression sur le politique. Cela contraindrait les responsables politiques à consacrer plus de moyens à ce problème.
Mme Laurence Cohen. - Il ressort de vos témoignages qu'à Paris, l'incrimination de traite est bien utilisée, alors qu'en province semble l'être moins. Qu'en penser ? La formation des magistrats et des services de police est-elle suffisante ? L'intervention de psychologues s'impose, aussi. Pourquoi n'y a-t-il pas de service dédié aux mineurs à Paris ? Cela semble invraisemblable ! Certes, les associations ne doivent pas faire preuve d'angélisme. Certaines ne se préoccupent que de protection des victimes, sans doute. Mais elles ne pourraient pas avoir la confiance de victimes si elles donnent l'impression d'être du côté des pouvoirs publics, qui sont forcément répressifs. On ne peut demander aux associations de pallier à elles seules le manque de moyens de l'État.
Enfin, l'attribution de titres de séjour est l'un des éléments de l'oppression des migrants. Il faut lutter contre l'infiltration des réseaux, mais avant tout protéger les victimes.
M. Marc Laménie. - Sujet complexe, en effet. La situation varie entre Paris, les grandes métropoles et les zones rurales - je suis le modeste élu d'un petit département -, mais on n'est à l'abri nulle part. Les gendarmes sont-ils suffisamment formés à la lutte contre ces phénomènes ? Les moyens humains sont prioritaires, mais les associations reposent sur le bénévolat, qui a ses limites. En tant que membre de la commission des finances, j'attirerai l'attention sur les crédits du programme 137.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Pour briser la tolérance sociale envers ces différentes violences, nous devons les traiter de manière connexe, car elles sont liées entre elles, sur fond d'une immense vulnérabilité qui donne lieu à une logique d'exploitation et de domination patriarcale : c'est tout un système, qui ne date pas d'hier ! Il est dommage qu'aucun service ne soit dédié aux mineurs, en effet. Le bénévolat est bienvenu, mais il faut un pilote dans l'avion - que nous devons contrôler. Pourquoi encadrer à ce point l'adoption, si c'est pour ne pas protéger un enfant victime de traite ? Il faut fournir à ces victimes un encadrement adapté à leur âge. La sensibilisation des personnels au repérage des mineurs requiert aussi des moyens. Il faudra repousser les parois de l'enveloppe budgétaire !
Mme Bénédicte Lavaud-Legendre. - La traite des êtres humains doit être abordée comme l'infraction qui prépare les actes d'exploitation, et ceux-ci ne concernent pas que des mineurs ou des femmes.
Je ne jette pas la pierre aux associations, loin de là. Mais je connais beaucoup d'exemples de femmes Nigérianes qui ont été accompagnées par des associations pendant des années, et ont ensuite pris la place de celles qu'elles avaient dénoncées ! Elles ont été condamnées mais leur titre de séjour n'a pas été annulé. Il y a donc un manque de cohérence dans l'action des associations. Le plan d'action prévoit des instances de coordination bienvenues entre parquet, police et associations.
M. Hervé Henrion-Stoffel. - Entre janvier et mai 2015, les services de police et de gendarmerie ont relevé sur le territoire national 45 infractions relevant de la traite des êtres humains, 313 du proxénétisme, 32 du recours à la prostitution et 100 relatifs à des conditions de travail et d'hébergement indigne. Pour 2013, la part des condamnations relatives à la traite des êtres humains s'établit à 9 % (127 condamnations), contre 80 % pour le proxénétisme (1 550 condamnations). Tout se joue autour de l'exploitation car la traite est une infraction formelle, qui peut être constituée même si l'exploitation n'a pas lieu. Elle est donc utilisée de manière résiduelle. Sinon, on se focalise sur l'exploitation et on oublie la traite, considérée comme une sorte de complicité en amont.
Mme Cécile Riou-Batista. - Notre rapport chiffre le coût de l'inaction. Lutter contre la traite des êtres humains coûte cher, mais moins que de ne rien faire !
Mme Chantal Jouanno, présidente. - Je vous remercie pour votre disponibilité et pour l'intérêt de vos témoignages.
L'égalité entre femmes et hommes contre les intégrismes religieux
Mme Chantal Jouanno, présidente. - Bonjour à tous. Nous sommes réunis ce matin pour discuter ensemble de l'importance de l'égalité entre hommes et femmes dans la lutte contre les intégrismes religieux.
L'origine de cette table ronde est antérieure aux attentats de janvier 2015. La délégation avait alors souhaité intégrer à son programme de travail le thème « femmes et laïcité » pour approfondir le lien entre la laïcité telle qu'elle est conçue en France et l'émancipation des femmes.
Les attentats de janvier 2015 ont, c'est évident, donné une importance renouvelée à cette problématique. En mars-avril 2015, la délégation a procédé à une première approche du sujet « femmes et laïcité » en entendant des spécialistes de philosophie, d'histoire et de sciences politiques.
L'actualité nationale et internationale nous a très vite fait prendre conscience que cette réflexion, si elle se limitait à la problématique de la loi de 1905, allait rencontrer ses limites et qu'il nous fallait poser la question, non seulement de la place faite aux femmes par les différentes religions, mais aussi de la signification des revendications féministes portées par différents courants spirituels et religieux.
Nous avons donc été conduits à formuler ainsi le thème de notre réflexion : comment l'égalité entre hommes et femmes peut-elle contribuer à la lutte contre les intégrismes religieux ?
Si cette orientation de nos réflexions était à l'origine inspirée par la barbarie terroriste, et plus particulièrement de Daesh, la question de l'« infériorisation » des femmes dans les religions, notamment par l'interdiction de l'accès au ministère religieux, concerne ou a concerné toutes les religions. Pour la plupart d'entre elles, la mixité ne s'impose pas naturellement.
J'adresse mes sincères remerciements, au nom de toute la délégation, à tous les intervenant-e-s qui ont accepté de venir jusqu'à nous pour nous aider à réfléchir à cette question très complexe.
Mesdames, Monsieur, vous représentez des courants de réflexion spirituelle très divers : religions, libres penseurs, franc-maçonnerie.
Vous êtes très divers aussi par les fonctions que vous exercez : certains d'entre vous appartiennent au monde de la recherche, d'autres sont des militants associatifs, d'autres encore (pasteures, rabbins) exercent un ministère religieux qu'il est plutôt inhabituel de voir confier à des femmes.
Nous accueillons donc, ce matin :
- Frédérique Bedos, journaliste, fondatrice de l'ONG d'information Le Projet Imagine, qui va nous présenter deux extraits de son film Des femmes et des hommes ;
- Delphine Horvilleur, rabbin, rédactrice en chef de la revue Penou'a, auteure de En tenue d'Ève - féminin, pudeur et judaïsme et de Comment les rabbins font les enfants - sexe, transmission et identité dans le judaïsme ;
- Valérie Duval-Poujol, théologienne, docteure en histoire des religions, spécialiste des questions de traduction de la Bible ;
- Anne Soupa, co-fondatrice du Comité de la jupe et de la Conférence des baptisé-e-s francophones, co-auteure de Les pieds dans le bénitier ;
- Hanane Karimi, sociologue, doctorante à l'Université de Strasbourg (Laboratoire des dynamiques européennes), porte-parole du collectif Les femmes dans la mosquée et membre du collectif féministe Musulmanes en mouvement ;
- Sibylle Klumpp, pasteure de l'Église protestante unie de France (EPUF) à Avignon et Anne Faisandier, pasteure de l'EPUF à Marseille ;
- Églantine Jamet-Moreau, maîtresse de conférences à l'Université Paris Ouest, co-fondatrice de l'association Succès égalité mixité, auteure de Le curé est une femme. L'ordination des femmes à la prêtrise dans l'Église d'Angleterre ;
- Nassr Edine Errami, co-fondateur de l'association Musulmans inclusifs de France et formateur « Islam et droits des minorités et droits et des femmes » ;
- Marie-Thérèse Besson, présidente de la Grande Loge féminine de France (GLFF), accompagnée de Guilaine Rochefort, présidente de la commission nationale des droits des femmes de la GLFF ;
- Martine Cerf, secrétaire générale de l'association Égale-Égalité, Laïcité, Europe.
Frédérique Bedos va donc tout d'abord parler de son documentaire, Des femmes et des hommes, résultat d'une enquête sur l'égalité entre les femmes et les hommes qui a conduit Frédérique Bedos à constater que, dans ce domaine, il n'y a pas de progrès spontané vers l'égalité et que la question du rôle des religions dans cette situation se pose tout naturellement. Le passage que nous allons visionner porte spécifiquement sur le rapport entre femmes et religions.
Je voudrais, avant de donner la parole à Frédérique Bedos, saluer la présence à mes côtés de la sénatrice Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture qui, dans sa grande clairvoyance, a reconnu très vite le talent de Frédérique Bedos et qui a attiré mon attention vers son film.
Mme Frédérique Bedos. - Merci de m'avoir associée à cette réunion.
Je suis journaliste et réalisatrice. J'ai créé en 2010 une ONG d'information qui s'appelle le Projet Imagine, dont le but est d'inspirer pour agir. Elle ne fonctionne que grâce aux dons et sa ligne éditoriale consiste à faire du « journalisme avec espérance ». Il s'agit de regarder les problèmes en face, mais avec un esprit constructif et l'envie de donner un coup de projecteur sur les possibilités qui nous sont offertes pour changer le monde.
Le film Des femmes et des hommes s'inscrit parfaitement dans cet esprit. Il a nécessité un an de tournage et les équipes techniques ont accepté de travailler bénévolement, ce qui garantit l'indépendance de notre travail. Ce film observe le problème de l'égalité entre les femmes et les hommes dans sa globalité, à l'échelle mondiale et à travers tous les sujets, que ce soit l'économie, l'histoire, la culture et bien sûr la religion, un sujet absolument incontournable. Je vais vous présenter ce matin un extrait qui aborde la religion et ses conséquences sur la situation et les droits des femmes lorsqu'elle est instrumentalisée. Un second extrait, beaucoup plus bref, évoquera les femmes et leur courage face au terrorisme.
Un premier extrait du film est projeté. On y entend les témoignages suivants :
Delphine Horvilleur, rabbin : « Ne nous demandons pas si les traditions religieuses sont misogynes. Demandons-nous si les traditions religieuses sont misogynes aujourd'hui. [...] Malheureusement, il faut être honnête et admettre que bien souvent, ceux qui parlent au nom de ces traditions, leurs représentants officiels, le sont. [...] Pourquoi la synagogue, la mosquée, l'église, sont-elles les seuls lieux où l'on attendrait que rien ne bouge ? [...] Au nom de la pudeur, on fait des textes une lecture obscène. »
Marwa Shrafeldin, féministe égyptienne, chercheure à l'Université de Londres : « Arrêtez d'utiliser la religion pour priver les femmes de leurs droits ! »
Zainah Anwar, féministe malaisienne, co-fondatrice de Sisters in islam : « Nous voulions découvrir par nous-mêmes si ce que ces mullahs, ces ulémas - des hommes - disent - qu'ils ont le droit de battre et violenter leurs femmes - si tout cela est vraiment dans le Coran. Le résultat a été incroyable. Pour nous, ce fut vraiment l'expérience la plus libératrice que nous ayons vécue ! [...] Est-ce vraiment l'islam, cette religion qui condamne les femmes à l'infériorité et à la soumission ? [...] Comment Dieu peut-il être Dieu s'il n'est pas juste ? »
Mme Frédérique Bedos. - Nous essayons d'aborder le problème en montrant jusqu'où peuvent aller ces interprétations fallacieuses des traditions religieuses. Dans cette démarche constructive, je m'attache à rester audible du public le plus vaste possible. J'ai donc choisi, pour évoquer cette question des religions et de la place qu'elles font aux femmes, de n'interviewer que des femmes de foi, des femmes qui croient en Dieu. Ces femmes, véritablement imprégnées de leur religion, sont scandalisées de constater l'usage qu'en font certains pour priver les femmes de leurs droits et les rendre, en quelque sorte, « invisibles ». Il ne s'agit pas de stigmatiser ou de rejeter la religion. Nous nous inscrivons dans une perspective humaniste.
Le deuxième extrait que nous allons voir dans un instant évoque la question du terrorisme. Scilla Elworthy, docteur en sciences politiques de l'université de Bradford en Angleterre, est une spécialiste de la résolution des conflits, des guerres et de l'arme nucléaire. Activiste pour la paix, elle a créé l'ONG Peace Direct pour repérer et aider les femmes qui militent activement et concrètement pour la paix à travers le monde. Elle nous parle de Gulalai Ismail, une compatriote de la lauréate du Prix Nobel de la paix, Malala Yousafzai - elles se connaissent d'ailleurs bien - et souligne à quel point les femmes font preuve de courage et peuvent jouer un rôle actif et constructif contre le terrorisme.
Un second extrait du film est projeté.
Mme Chantal Jouanno, présidente. - Nous allons maintenant entendre Delphine Horvilleur, l'une des trois femmes rabbins de France. Vous appartenez, Delphine Horvilleur, au Mouvement juif libéral de France et vous êtes l'auteure de deux ouvrages qui concernent directement les questions que nous nous posons ce matin. J'invite chacun et chacune ici à prendre connaissance de ces analyses absolument passionnantes : En tenue d'Ève : féminin, pudeur et judaïsme et Comment les rabbins font les enfants.
Mme Delphine Horvilleur. - Pour aborder le sujet très sérieux qui nous réunit, je commencerai par une courte blague juive qui me permettra de poser le décor et nous ramènera à la genèse de cette histoire d'inégalité entre hommes et femmes.
On raconte qu'un jour, au moment de la création du monde, Dieu a dit à Ève : « Tu sais quoi, Ève ? On va faire croire à Adam qu'il a été créé en premier, on va lui dire que tu as été fabriquée plus tard, à partir de sa côte. Cela va lui faire plaisir, cela va flatter son ego. Cela restera un secret entre nous, un secret entre femmes ».
Cette petite histoire situe bien le problème du féminin dans la pensée religieuse, dans la pensée en général. Le féminin est presque toujours le genre du secret, de la muette. Il représente la parole de la périphérie, en marge de la voix officielle. Il est toujours placé du côté de ce qui se tairait au nom d'un « masculin premier ».
Je parlerai plutôt de féminin et de masculin, plutôt que de femme et d'homme. Schématiquement, dans les pensées religieuses, le masculin se trouve du côté du contrôle et de l'autonomie, le féminin du côté de l'abandon, de l'accueil et de la vulnérabilité.
Or chacun d'entre nous, homme ou femme, fait dans son existence l'expérience de ces différents états et se trouve selon les circonstances en situation d'autonomie ou de vulnérabilité. Pourtant, les pensées religieuses traditionnelles éprouvent les pires difficultés à concevoir la femme autrement que dans l'expérience du féminin, autrement qu'entièrement inscrite dans la sphère de la domesticité, de la vulnérabilité et de la dépendance. Même quand ces pensées semblent encenser les femmes, à travers leur rôle de mère, c'est presque toujours pour les enfermer (élégamment, certes, mais pour les enfermer quand-même) derrière les barreaux du territoire privé. Le féminin est encensé tant qu'il n'est pas trop visible ou audible au-dehors, et tant qu'il n'investit pas le politique - au sens premier du terme.
Investir le politique suppose toujours nécessairement, dans la pensée religieuse, d'accéder au texte, à l'étude et à l'interprétation. Celui qui n'a pas accès au savoir n'a jamais accès au pouvoir. Tant que les femmes seront écartées du texte et de sa connaissance, elles resteront muettes et continueront à croire qu'elles se situent du côté de la « côte », ce qui est en fait une mauvaise traduction de l'hébreu qui n'a jamais parlé de « côte d'Adam », mais, en réalité, du « côté d'Adam ». Tant que les femmes n'auront pas la possibilité de lire et de commenter les textes, il y aura toujours un os dans leur histoire !
On pourrait penser que lutter pour plus d'égalité entre les sexes est un combat pour rééquilibrer les forces en présence et pour rétablir les droits des femmes.
J'ai toutefois la conviction que l'enjeu est bien plus grand que cela. La place des femmes est toujours significative, en effet, de la capacité que possède ou non un système à faire de la place à l'autre. Le féminin constitue « l'autre » le plus évident du système. Mais cette altérité peut prendre bien des visages. Dans la pensée religieuse, cette altérité recouvre à la fois le non-croyant, le converti, le couple mixte, l'homosexuel, le mineur, le handicapé, etc.
L'incapacité d'un système à faire de la place au féminin est toujours révélatrice de son incapacité à faire de la place à « l'autre » en général. Cette problématique est directement liée à l'intégrisme. Dans une pensée intégriste, en effet, la structure se doit d'être intègre ; l'identité se conçoit toujours de façon monolithique, pure de toute contamination étrangère. Toute altérité est perçue comme une menace qui risque de fissurer le système. C'est la raison pour laquelle tous les fanatismes mettent en garde contre l'impureté des croyances, des idées et, surtout, du corps des femmes. L'objectif est toujours de conserver le contrôle intégral - et « intégriste » - des frontières.
Faire évoluer le statut des femmes et leur donner une voix, c'est introduire une porosité dans le système et, potentiellement, l'inviter à entendre tous les « autres » du groupe. C'est en cela que cette question se révèle tellement critique !
Je souhaiterais également introduire dans nos réflexions un élément d'exégèse qu'il faut traiter avec précaution. Lors de l'écriture de mon dernier livre, Comment les rabbins font les enfants, je me suis intéressée aux personnages les plus violents de la Bible, ceux que le texte décrit comme étant incapables de contrôler leurs pulsions. Parmi eux, nous pourrions citer Caïn, Ismaël, Simon, Levy ou Absalom. Ces hommes ont un étrange point commun : ils sont tous fils de femmes mal aimées, abusées, que l'on a forcées à se taire ou dont on a banni la parole...
Loin de moi l'idée de « sociologiser » à outrance le recours à la violence. Mais il est intéressant de s'interroger sur les raisons pour lesquelles les textes religieux lient presque systématiquement la violence des fils et la douleur des mères...
Saurons-nous éteindre la violence des fils si nous ne nous penchons pas sur la douleur des mères ?
Peut-être devrions-nous rechercher la réponse à cette question dans le génie de la littérature arabe des Mille et une nuits, où Shéhérazade, par sa parole et son récit, éteint la soif meurtrière d'un tyran. Ce conte nous rappelle à sa manière cette vérité essentielle : tant que les femmes n'auront pas accès à la parole, à la possibilité de raconter leur histoire, peut-être qu'aucune fureur ne s'apaisera.
Mme Chantal Jouanno, présidente. - Valérie Duval-Poujol, vous êtes docteure en histoire des religions et en théologie. Vous êtes spécialiste des questions de traduction de la Bible et présidente de la commission oecuménique de la Fédération protestante de France.
Mme Valérie Duval-Poujol. - C'est avec gravité que j'aborde ce sujet des femmes contre les intégrismes religieux, car nous savons bien que les femmes sont souvent les premières victimes du fanatisme religieux, notamment celui exercé dans leur quotidien par des personnes ordinaires, qui nourrissent leur intégrisme par une lecture tronquée des textes religieux fondateurs.
J'orienterai mon intervention sur l'exégèse, l'interprétation des textes et je formulerai des pistes pour encourager une lecture moins sexiste. Je montrerai à travers trois exemples comment les traductions de la Bible - le texte religieux de référence pour ma confession, le christianisme - ont nourri une vision sexiste de la femme, alors que les textes, en eux-mêmes, ne sont pas misogynes.
Notre société occidentale a été influencée durant des siècles par la religion chrétienne et on a fini par confondre cette interprétation machiste avec le contenu réel de ces textes. On a de fait imposé une soumission de la femme, justifiant une inégalité entre hommes et femmes non seulement dans la sphère ecclésiale, mais aussi dans le couple, la famille, le monde professionnel, et en général dans la société.
Les textes bibliques sont certes nés dans la culture patriarcale propre au Moyen-Orient ancien, mais ils sont annonciateurs, porteurs de la légitimité de l'égalité. Pour paraphraser Martin Luther, le réformateur, on peut dire que, comme les langes portent le bébé, ces textes patriarcaux portent en filigrane le trésor de l'égalité entre hommes et femmes. Durant des siècles, les traducteurs de la Bible ont été des hommes, exclusivement. Or, sans nécessairement dire que « traduire, c'est trahir », traduire, c'est en tout cas toujours interpréter. Le contexte socioculturel dans lequel sont intervenus ces traducteurs, leur vision du monde empreinte d'a priori sexiste, les amenèrent à réécrire certains textes, ce qui influença la place de la femme dans la société.
J'ai choisi, parmi les très nombreux exemples que j'aurais pu citer ce matin, un passage de la Genèse qui est encore lu régulièrement lors de cérémonies de mariages.
« Le Seigneur Dieu dit : « Il n'est pas bon pour l'homme d'être seul ; je vais lui faire une aide qui lui corresponde ».
La plupart des traductions de la Bible évoquent ici « l'aide » que représente la femme pour l'homme. Mais de quelle « aide » s'agit-il ? En français, il s'agit d'un terme un peu fourre-tout, plutôt dévalorisant, qui souligne une différence de statut. Pourtant, dans la langue originale, en hébreu, le mot « aide » souligne le besoin dans lequel se trouve une personne dont la force se révèle insuffisante. L'idée est donc que c'est l'homme qui a besoin « d'aide ».
Littéralement, cette « aide » est décrite dans la Bible comme « en face de lui », comme « en front à front ». La théologienne France Quéré écrivait que la femme n'est « ni la servante ni l'ennemie de l'homme » ; l'homme et la femme sont deux sujets en position égalitaire. Ce « front à front » va toutefois entraîner par la suite l'idée d'altérité, qui entraînera elle-même des heurts ; des bonheurs ou des malheurs...
L'apôtre Paul, lorsqu'il écrit aux habitants de Rome, leur demande de saluer Andronicus - un homme - et Junia - une femme, qu'il appelle des « apôtres remarquables ». Or les traducteurs ont « transsexué » Junia, en l'appelant Junias. Il s'agit pourtant d'une femme ! C'est bien ainsi que le texte a été compris jusqu'au XIIIème siècle de notre ère. Tous les commentaires, toutes les homélies évoquent une femme. Mais à partir du XIIIème siècle, gênés par le fait qu'une femme soit désignée comme une apôtre, les traducteurs ont masculinisé ce prénom pour transformer Junia en Junias. Cela correspond à l'époque où les femmes sont interdites à l'Université qui commence à prendre le pas sur les monastères en matière d'éducation. C'est aussi l'époque où le Pape oblige les femmes religieuses à ne plus quitter le couvent.
Les traductions contemporaines conservent le prénom masculin (Junias), ou alors elles changent la fin du passage : Junia n'est plus, dans ce cas, une « apôtre remarquable », mais « remarquée par les apôtres » (tournure impossible dans la langue grecque). Vous apprécierez la différence !
Outre les problématiques de traduction, nous nous heurtons à des problématiques d'interprétation qui, dans un sens tout aussi sexiste, déforment et manipulent le texte.
Je citerai un seul exemple. Les Évangiles parlent de Marie de Magdala, « possédée par des esprits ». Ces textes rapportent que le Christ l'en délivre. Elle est aussi le premier témoin de sa résurrection. Je souligne au passage le caractère révolutionnaire du Christ dans ses relations avec les femmes, avec qui il partage des conversations théologiques... C'est pour cela que Marie de Magdala reçoit le titre prestigieux, durant plusieurs siècles, d'« apôtre des apôtres ».
Au VIIème siècle de notre ère néanmoins, nous assistons à une rupture. Le pape Grégoire le Grand décide d'identifier Marie de Magdala à une femme anonyme des Évangiles et à une autre Marie, toutes deux présentées comme des femmes peu fréquentables. La collision de ces trois femmes en une seule a pour effet négatif la disparition de l'« apôtre des apôtres » au profit de « Marie la pécheresse »... Comme le résume un philosophe humaniste du XVIème siècle, « Rien pourtant dans les écritures ne légitimait ce coup de force » !
Ce sont donc bien les traductions et les interprétations des textes bibliques qui ont forgé l'inégalité entre hommes et femmes pour correspondre à la culture ambiante. Malheureusement, toutes les Églises ont nourri une compréhension machiste de textes bibliques qui ne l'étaient pas, en réalité !
Ces exemples confirment le théorème du mathématicien autrichien Gödel, qui considérait que la périphérie influence le centre. Les traducteurs sont aussi les enfants de leur époque. Aujourd'hui, qu'est-ce qui empêche encore une compréhension plus égalitaire de l'homme et de la femme de s'exprimer dans les textes bibliques, alors que la société a changé ? La libération ne se décrète pas de l'extérieur ; elle se construit par les personnes concernées, grâce à des prises de conscience personnelles. C'est cette prise de conscience qu'il faut favoriser désormais.
La République française, grâce à la laïcité qui garantit la liberté de conscience, a permis au protestantisme de développer une conception propre du rapport entre hommes et femmes, notamment dans les sphères pastorales. Il a fallu du temps aux exégètes pour mettre en évidence ce que nos prédécesseurs, avec leurs oeillères culturelles, refusaient de voir. L'évolution est encore en cours, mais de grands progrès ont déjà pu être réalisés, notamment grâce aux recherches bibliques.
Comment faire connaître et diffuser ces traductions porteuses d'égalité ?
Pour permettre aux jeunes générations d'expérimenter cette prise de conscience égalitaire, il me semble important d'agir sur deux niveaux complémentaires. D'un point de vue ponctuel, nous pourrions encourager l'organisation de conférences, colloques sur le thème des textes religieux fondateurs et du sexisme. La rencontre de spécialistes qui n'ont pas l'occasion d'échanger ensemble pourrait en effet favoriser l'émergence de réseaux qui stimuleraient une telle réflexion.
Les équipes de traduction des textes devraient également compter plus de femmes. Nous pouvons nous réjouir de la présence discrète, mais grandissante, de femmes traductrices. Cette évolution reste néanmoins modeste. Je viens d'être nommée cheffe de projet pour piloter la révision de la Bible en français courant et je m'efforce d'intégrer des femmes dans les équipes de traduction. Je constate toutefois combien l'exercice est difficile, tant le nombre de femmes francophones possédant les qualifications universitaires est faible. Ainsi, 10 % seulement des traducteurs pressentis sont des femmes.
Sur le plan pérenne, pour diffuser la connaissance des textes, il faut agir sur les lieux de formation. C'est, dans notre société, par l'école que se transmet la connaissance. Les cours d'histoire pourraient constituer le lieu où l'on enseignerait comment s'est construite au cours des siècles l'idée d'infériorité de la femme, l'histoire du machisme, et comment les textes fondateurs ont été manipulés au nom de cette prétendue infériorité des femmes. Nous pourrions aussi montrer le lien entre l'inégalité entre hommes et femmes et toutes les autres inégalités. Dans les facultés, nous pourrions également créer des départements, des chaires consacrées à l'étude du lien entre sexisme et textes fondateurs. Des bourses d'études pourraient être attribuées aux femmes souhaitant se spécialiser dans la traduction de ces textes.
À l'image de la société, l'Église est restée « hémiplégique » pendant des siècles et a limité la place de la femme. L'Église est en phase de rééducation, mais c'est un processus très lent, très progressif auquel nous souhaitons toutes et tous participer, j'en suis sûre.
Mme Chantal Jouanno, présidente. - Nous allons poursuivre notre réflexion avec Anne Soupa, co-auteure avec Christine Pedotti du livre Les pieds dans le bénitier et co-fondatrice du Comité de la jupe, association qui lutte contre la discrimination à l'égard des femmes dans l'Église catholique.
Mme Anne Soupa. - Christine Pedotti et moi-même avons porté plainte contre le cardinal André Vingt-Trois, qui avait déclaré le 6 novembre 2008 lors d'une interview radiophonique : « Il ne suffit pas d'avoir une jupe, encore faut-il avoir quelque chose dans la tête »1(*). Nous avons été devant les tribunaux ecclésiastiques et Monseigneur Vingt-Trois a en retour présenté des excuses qui nous ont fait retirer notre plainte canonique. C'est à ce moment-là que je me suis rendu compte de l'importance de la militance dans l'Église catholique.
La situation des femmes dans l'Église catholique est profondément en retrait par rapport aux principes profondément égalitaires du christianisme ; le paradoxe actuel est même qu'elle est aujourd'hui moins satisfaisante qu'il y a trente ans.
Le problème est né dans l'Église catholique au moment où s'est posée la question de l'émancipation des femmes. Auparavant, Église et société étaient à peu près au diapason et il n'y avait pas, sur ce point, de grand désaccord entre les deux. Aujourd'hui, l'Église, ayant raté le rendez-vous de l'émancipation des femmes, se trouve dans une position défensive qui l'amène à défendre des points de vue théoriques de plus en plus insoutenables. Ayant choisi le camp du refus, elle durcit aujourd'hui son discours. Nous avons pu, certes, constater quelques avancées. Ainsi, dans certains diocèses, des responsabilités sont confiées aux femmes. Mais ne nous leurrons pas : le plafond de verre est très vite atteint ! Les femmes restent les « petites mains » de l'Église catholique. Depuis cinquante ans, le catholicisme a réussi à générer un « sous-prolétariat » féminin. Cela est difficile à concevoir, mais c'est pourtant la vérité...
La responsabilité essentielle de ce glissement revient à Jean-Paul II, qui a considérablement fait reculer la cause des femmes par une série de prises de positions qui, toutes, ont façonné une sorte de « contre culture » sur la place des femmes dans la société et dans l'Église. Avant même d'être pape, il avait influencé le refus de la contraception dans l'encyclique Humanae vitae. Il a ensuite théorisé la place des femmes sur une base différentialiste. S'appuyant sur la parole de Dieu au chapitre 2 du livre de la Genèse : « Il n'est pas bon que l'homme soit seul, je vais lui faire une aide qui lui soit assortie », il en a déduit que là réside la vocation de la femme.
Mais considérer la femme comme cette « aide », ainsi que Valérie Duval-Poujol l'a rappelé, est une surinterprétation, car au moment où l'« aide » est évoquée, ni l'homme ni la femme n'existent encore. N'existe qu'un « Adam », un être humain indifférencié. Affirmer que la femme a vocation à « aider » constitue une surdétermination. Celui qui a vocation à aider, c'est l'« autre », le « second », celui qui est différent, et non la femme !
À partir de cette fausse exégèse s'est construite la prétendue vocation de la femme pour la maternité. Benoît XVI est allé encore plus loin, en estimant que la femme avait la vocation des choses pratiques, concrètes, et qu'elle devait donc se tenir éloignée des abstractions.
Ce discours différentialiste a des conséquences dramatiques. Ontologiquement, la femme n'est pas par elle-même ; elle est « pour » quelque chose qui est la maternité. L'homme, au contraire, est libre, sans prédétermination. Les femmes sont ainsi placées dans une situation seconde. Cela signifie que la femme est femme avant d'être un être humain.
Ceci explique qu'à la Conférence de Pékin sur les femmes, en 1995, le Vatican soit resté en retrait par rapport à la majorité des pays représentés, rappelant que l'égalité entre hommes et femmes au regard des droits humains universels ne permettait pas d'oublier les différences essentielles entre hommes et femme liées à la maternité et aux devoirs qui en découlent. Or ce statut second fait aux femmes n'est pas un simple débat d'école : il a des conséquences pratiques considérables.
En France, du fait de la présence ancienne d'un courant maurrassien, l'Église catholique est plus que dans les pays voisins (Belgique, Suisse, Allemagne) sous l'emprise d'une idéologie « restauratrice », réactionnaire, obscurantiste à l'occasion. Quand le fondamentalisme et l'intégrisme gagnent, les femmes sont les premières touchées : les modèles proposés sont ceux du passé, patriarcaux, où les femmes sont invisibles.
Nous voyons poindre aujourd'hui dans l'Église catholique le retour d'un fondamentalisme scripturaire. Ce mouvement a été parfaitement visible lors du Synode sur la famille, où les textes fondateurs ont été considérés dans leur sens littéral, sans qu'il soit tenu compte des évolutions survenues au cours des siècles, qui auraient dû modifier leur interprétation.
Les exclusions qui touchent les femmes dans l'Église catholique sont connues. Elles ne peuvent exercer le ministère de prêtre, elles ne peuvent donner aucun sacrement, elles ne peuvent pas être diaconesses, elles ne peuvent même pas prononcer d'homélie. Elles n'ont pas de parole publique liturgique. Elles ne peuvent exercer aucun acte de gouvernement, car ceux-ci sont, depuis la réforme grégorienne de l'an mille, réservés aux prêtres. Leur parole n'existe pas !
Les femmes sont donc structurellement dans l'effacement et, ne nous leurrons pas, les quelques nominations de femmes qui sont intervenues sont cosmétiques ! D'autant qu'à ces exclusions traditionnelles s'ajoutent depuis les années 1990-2000 l'exclusion des fillettes du service des enfants de choeur. La mesure paraît dérisoire, mais elle ne l'est pas, en réalité. Les petites filles à qui l'on refuse cette possibilité éprouveront probablement par la suite des difficultés à exercer leur religion sereinement ou même à la conserver. Parfois, vous pouvez également rencontrer des exclusions phobiques de l'accès au choeur, considéré comme un espace sacré dans lequel les femmes ne doivent pas pénétrer, au motif qu'elles seraient impures... Les pratiques diffèrent selon les diocèses, la décision étant laissée à la discrétion de l'évêque. On trouve donc des situations très différentes.
Enfin, les religieuses sont très mal considérées dans l'Église catholique. Elles sont ignorées, souvent méprisées, leur travail n'est pas reconnu. Tous les honneurs vont aux prêtres et trop rarement aux religieuses, qui mènent pourtant des activités sociales et évangéliques fortement appréciées, notamment des pouvoirs publics.
À ces interdictions canoniques s'ajoutent les mille humiliations qui touchent les femmes. Voilà cinq ans, un ordre religieux féminin a été placé sous la tutelle de la branche masculine, ce qui est à mes yeux une honte ! Aujourd'hui encore, dans l'ordre dominicain, les religieuses contemplatives ne votent pas lors de l'élection du maître de l'ordre.
Conséquence de tout cela, les femmes s'en vont. Ne restent que celles qui cautionnent ces pratiques. De nombreuses femmes ont intériorisé les consignes de soumission et les reprennent à leur compte. Faire dire à celui que l'on a aliéné ce que l'on souhaite qu'il dise constitue, on le sait bien, le nec plus ultra de l'aliénation. Or cela fonctionne très bien dans l'Église catholique.
En tant que femme catholique, je regrette profondément que la République ne fasse pas appliquer ses lois dans la sphère religieuse. Les lois proscrivant la discrimination devraient pouvoir s'appliquer partout et s'imposer aussi dans le cadre religieux. Je regrette que la laïcité actuelle laisse faire sans intervenir, sous prétexte que le religieux relève du domaine privé. La lutte contre les discriminations entre hommes et femmes devrait traverser les différentes sphères de l'espace public et aussi atteindre la sphère religieuse.
Aujourd'hui, l'Église catholique représente une zone de non-droit dans le territoire de la République. La République ferme les yeux sur une discrimination qui affecte profondément la vie des femmes catholiques et entrave les conditions sereines de l'exercice de leur foi. Or la loi sur la laïcité doit garantir à chacun l'exercice libre et serein de son culte.
Ajoutons que des exclusions similaires visent les personnes homosexuelles, que le droit canon exclut de la prêtrise du fait de leur orientation.
Cette situation regrettable affaiblit les chances que le catholicisme puisse évoluer dans un sens ouvert, libéral et éclairé. Elle augmente le risque de se retrouver demain face à une secte, ce qui serait vraiment préjudiciable pour tout le monde. Pour toutes ces raisons, je demande donc instamment votre aide. Nous, femmes catholiques, nous avons besoin de l'aide de la République !
Mme Chantal Jouanno, présidente. - Je donne maintenant la parole à Hanane Karimi, doctorante en sociologie, porte-parole du collectif Les femmes dans la mosquée et membre du collectif féministe des Musulmanes en mouvement.
Mme Hanane Karimi. - Mon intervention s'inscrira totalement dans la continuité des précédentes. Si les Musulmans ne se réfèrent pas directement à la Bible, nous constatons en France un phénomène que je nomme « la christianisation de l'islam » et nous retrouvons en islam les références à la côte évoquées précédemment qui justifierait une prétendue infériorité des femmes.
Dans cette présentation, j'aborderai la question de la place des femmes dans les mosquées, les apports de la laïcité en termes d'émancipation et l'ingérence politique et étrangère dans l'organisation du culte musulman.
Les femmes dans la mosquée est un collectif né en octobre 2013, suite aux prêches de l'imam, qui dénoncent la promiscuité des hommes et des femmes au sortir de la salle de prières et qui accusent les femmes, placées derrière les rideaux qui délimitent l'espace qui leur est réservé, d'être à l'origine de « nuisances sonores ».
Cette relégation s'inscrit dans un long processus de ségrégation des femmes. Nous constatons ce phénomène dans les zones périphériques urbaines, dans les écoles sans mixité sociale comme dans les lieux de culte. La logique reste la même ; elle consiste en la mise à distance de l'indésirable. En l'occurrence, ici, il s'agit des femmes...
En 2013, Les femmes dans la mosquée ont mené une action simple : nous nous sommes placées derrière les hommes pour prier, sans rien pour nous séparer d'eux. Nous nous sommes heurtées à de la résistance et même à de la violence, et pour finir, nous avons été exclues de la mosquée. Après cette action, la Grande Mosquée de Paris, sommée de s'expliquer sur la violence qu'elle a opposée à notre demande d'inclusion, a précisé dans un communiqué de presse que la mosquée appartenait à La société des Habbous et des lieux saints de l'islam, une association loi de 1901 dont le siège est à Alger. À l'époque de l'adoption de cette loi, Alger était une ville coloniale française.
Lorsque nous avons été exclues, l'administrateur de la mosquée s'est justifié en nous expliquant : « Ici, c'est l'Algérie, c'est chez moi ». Dans le prêche de la semaine suivante, nous avons été qualifiées de « fauteuses de troubles ».
La religion s'inscrit toujours dans une culture. Sa transmission en est imprégnée. Lorsque l'imam a estimé qu'il était illicite pour nous de prier dans la mosquée, il ne s'est appuyé sur aucun texte, mais seulement sur sa culture.
Les groupes de femmes qui contestent de telles interprétations de la religion restent impuissants pour l'instant face à ces discours. « L'invisibilisation » des femmes et le manque de connaissance des musulmans de France, qui n'ont qu'un accès limité et biaisé au savoir religieux, n'aident pas !
Pourtant, la présence des femmes dans les mosquées est d'une importance fondamentale. « L'invisibilisation » constitue l'expression de structures mentales matérialisées par des rideaux, des paravents ou des mezzanines. Or ces séparations deviennent des habitudes et portent le message sous-jacent que les femmes peuvent être dangereuses pour la foi.
Le masculin et le féminin doivent être considérés comme constitutifs de l'être humain. Plus les hommes répriment la part féminine qui les constitue, plus ils répriment les femmes comme incarnation de cette partie d'eux-mêmes qu'ils méprisent et rejettent.
En janvier 2015, le Premier ministre a sollicité le Royaume du Maroc pour la formation des imams. Le fait que le Maroc soit sollicité par le Gouvernement français pour former les imams me paraît problématique et préoccupant. Cette décision est dommageable pour l'égalité entre hommes et femmes et pour la cohésion sociale. En outre, cette ingérence du politique dans les affaires religieuses représente, à mon sens, une entorse au principe de laïcité, comme le fut la création du Conseil Français du Culte Musulman (CFCM). L'apprentissage, la transmission de l'islam sont intimement liés à la culture du pays et au contexte sociopolitique.
Au Maroc ou en Algérie, l'argumentaire religieux peut être mobilisé pour justifier des inégalités à l'encontre des femmes. Aujourd'hui, les mosquées en France constituent une zone de non-droit, car les imams sont « importés » et ne sont pas en cohérence avec la culture française.
La laïcité, telle que la loi de 1905 l'a conçue, est garante de l'égalité des cultes vis-à-vis de l'État. Elle a marqué la rupture de l'État avec un religieux puissant. L'État a pris son autonomie par rapport à une morale religieuse qui faisait jusqu'alors office de morale publique. La laïcité implique la liberté et l'égalité des individus. Elle recouvre aussi la liberté de conscience ; l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme sur le pluralisme religieux permet de répondre également à certaines demandes. On trouve toutefois aujourd'hui des résonnances d'anticléricalisme vis-à-vis de l'Islam, qui n'a pourtant jamais tenu en France une position de religion puissante.
La loi de 20042(*), qui redéfinit le principe de laïcité, marquait une nouvelle orientation rompant avec ce que Jean Baubérot appelle les « seuils de laïcisation », qui devait aboutir à l'ancrage d'une laïcité apaisée. Mes recherches sociologiques portent sur le devenir des femmes musulmanes directement concernées par cette loi et qui, voilées, ont donc été exclues de l'enseignement secondaire. L'application de cette loi a infligé des épreuves, de la violence et beaucoup de renoncement et de résignation chez ces femmes. La laïcité n'a pas eu d'impact positif sur leur vie, au contraire.
Ce n'est pas la laïcité qui émancipe les femmes de quelque religion que ce soit, c'est la confrontation des idées, le savoir, les rencontres, l'ouverture, qui permettent l'émergence d'autres vies possibles. L'émancipation ne se fait jamais sous la contrainte, elle constitue un cheminement intérieur qui doit rencontrer les conditions effectives de sa réalisation. Or la façon dont est présentée la laïcité a cloisonné plus qu'elle n'a émancipé les femmes.
À présent, un mot sur le concordat. Tel qu'il est appliqué aujourd'hui en Alsace et en Moselle, il recouvre des situations très disparates. Il n'inclut pas l'islam et il n'a pas été remédié à ce déséquilibre flagrant. Étendre le régime à l'ensemble du territoire national ne résoudrait rien. En Alsace-Moselle, les établissements scolaires proposent des cours pour les enfants de confession juive, catholique ou protestante et pour les laïcs, mais rien n'est proposé aux enfants musulmans. En outre, le régime de subventionnement pratiqué en Alsace-Moselle n'empêche pas le financement étranger de l'islam. Ainsi, la grande mosquée de Strasbourg a été en grande partie financée par des investissements étrangers. Il en sera de même pour la future mosquée turque construite dans cette même ville. Ces financements s'accompagnent d'un contrat d'imamat étranger. Qui dit argent dit pouvoir religieux, et donc influence étrangère dans le culte musulman. Cela n'est pas souhaitable.
Je fais partie des rares femmes musulmanes en France qui essaient aujourd'hui de proposer l'inclusion et l'autonomie. Nous sommes néanmoins trop peu nombreuses à tenter de contrebalancer les discriminations auxquelles nous sommes sujettes au sein de la société, d'autant que le terrorisme accroît le manque de discernement dont les musulmans sont sujets et aggrave l'islamophobie. Lorsque nous avons mené notre action dans la mosquée, nous étions démunies sur le plan juridique. Il ne devrait pas exister de territoire dans la République où les citoyens ne peuvent pas saisir la justice pour défendre leurs droits.
Mme Chantal Jouanno, présidente. - Je donne maintenant la parole à Sibylle Klumpp, pasteure de l'Église protestante unie de France. Vous exercez votre ministère à Avignon. Vous êtes accompagnée de Anne Faisandier, elle aussi pasteure de l'Église protestante unie de France qui exerce à Marseille.
Mme Sibylle Klumpp. - Vous avez devant vous deux femmes pasteures qui disposent des mêmes droits et des mêmes possibilités que les hommes pasteurs. Dans le monde protestant, il existe différentes Églises. Nous sommes pasteures de l'Église protestante unie, c'est-à-dire l'Union de l'Église luthérienne et réformée. La place des femmes diffère toutefois selon les Églises. Certaines Églises ne permettent pas aux femmes de devenir pasteures. Dans notre Église, nous fêtons cette année les cinquante ans du droit des femmes d'être ordonnées au ministère du culte comme les hommes.
Quatre points me semblent essentiels lorsque l'on questionne la place des femmes dans la religion : le rapport à l'écriture, la question du corps, la formation et l'accès au ministère.
S'agissant des écritures, nous partageons les propos de Valérie Duval-Poujol. Lorsque le protestantisme, dans sa tradition luthérienne réformée, a commencé une exégèse de textes et les a resitués dans leur contexte d'origine, ces textes n'ont plus constitué un obstacle pour les femmes, mais un appui.
Les réformateurs ont très tôt mis l'accent sur la formation et l'éducation des femmes. Dès le XVIIème siècle, les femmes protestantes ont appris à lire et à écrire. Elles étaient bien plus formées que les autres femmes de cette époque. Elles jouissaient d'une vraie liberté de pensée, même si leur rôle restait confiné à celui de la mère gérant sa famille. C'est bien la formation qui a donné aux femmes, au sein du protestantisme, une autre place que celle qui leur était faite dans la société de l'époque. Toutes les actions sociales menées dans notre mouvement au XIXème siècle, que ce soit dans le domaine diaconal ou éducatif, leur ont toujours accordé une place fondamentale.
Je m'appesantirai davantage sur la question de l'accès des femmes à l'ordination, car il ne faut pas croire que cela se soit fait très facilement. Les premières facultés d'État de théologie de Strasbourg et de Genève, dans les années 1920, ont permis aux femmes de se former et d'acquérir le même niveau de connaissance que les hommes, même si elles ne disposaient pas encore des mêmes droits par rapport à l'accès au ministère. Une première femme baptiste, Madeleine Blocher-Saillens et une réformée en Alsace, Berthe Betsch ont été ordonnées en 1930. La France n'a pas joué un rôle précurseur dans ce domaine, contrairement aux pays nordiques ou à l'Allemagne.
Lorsque les femmes ont été ordonnées, des conditions leur ont été imposées. Elles n'avaient pas le droit de se marier, elles percevaient un salaire inférieur (70 % de celui des hommes) et ne pouvaient pas accéder à un poste à responsabilité. Quelles étaient les raisons de ce statut différent ? On les disait trop fragiles, on alléguait le fait qu'elles ne parlent pas assez fort, qu'elles ne savent pas organiser, qu'elles manquent d'autorité... Les femmes venaient donc seulement en complément, pour exercer les rôles dans lesquels, soi-disant, elles excellent : le social ou les personnes âgées. Le ministère féminin occupait ainsi un rang inférieur à celui des hommes.
A l'occasion des guerres, les femmes ont pris la place des hommes, absents ou morts au combat. Elles se sont mises à célébrer des mariages et à assumer le culte du dimanche. Elles ont pris des responsabilités beaucoup plus grandes. Après-guerre, lorsque les hommes ont souhaité reprendre leur place, il y a eu un nouveau recul de la place des femmes. Puis, dans les années 1960, les femmes protestantes ont milité pour l'émancipation de la femme et ont été engagées dans des mouvements comme le Planning familial. Il faut le souligner, la tradition protestante réformée se situe dans la société dans laquelle elle vit.
La question de l'égalité entre hommes et femmes s'est posée dès 1965. Lors du Synode, le collège des pasteurs ne comptait quasiment que des hommes. Les opposants à l'égalité ont avancé - arguments traditionnels ! - la fragilité et l'incapacité des femmes. Leur position ne l'a emporté qu'à la faveur d'un vice de forme. Un an après, en 1966, le Synode a finalement validé l'ordination des femmes. Nous devons aujourd'hui être reconnaissants à l'égard de cette génération de pionnières, car elles nous ont permis d'obtenir cette place sans avoir à lutter.
Puis, en 1968, nouveau progrès : le célibat a cessé d'être imposé aux femmes (il faut noter qu'il ne l'avait jamais été aux hommes...). Aujourd'hui, le corps pastoral de notre Église compte 33,5 % de femmes, et ce taux augmente. La moitié de nos étudiants sont des femmes, et elles sont même plus nombreuses que les hommes en dernière année. Néanmoins, dans les instances hiérarchiques, les postes à responsabilité sont occupés dans leur grande majorité par des hommes. Sur les neuf présidents de région, deux sont des femmes ; les femmes restent rares à présider des Églises.
Généralement, nos fidèles réagissent de manière très positive en voyant une femme officier. Dans le dialogue interreligieux, cependant, les représentants des autres religions éprouvent des difficultés à échanger avec des femmes. La présence des femmes représente un enrichissement, une chance pour notre Église. L'égalité n'est cependant pas un acquis, elle constitue encore un véritable défi.
Mme Anne Faisandier. - Le protestant représente toujours « l'autre » du christianisme, en France en particulier. La femme protestante constitue donc « l'autre de l'autre ». Comme le soulignait Delphine Horvilleur, la femme occupe la place de « l'autre ».
Lorsqu'il n'existe pas de place pour les femmes, il n'existe pas de place pour les autres. L'histoire du protestantisme suit exactement ce parallélisme. Le durcissement vis-à-vis de l'oecuménisme et des relations avec les protestants suit exactement le durcissement vis-à-vis des femmes.
Mme Chantal Jouanno, présidente. - Vous m'offrez une très belle transition pour présenter Églantine Jamet-Moreau, universitaire, dont l'ouvrage sur l'ordination des femmes dans l'Église d'Angleterre raconte l'histoire d'une vocation longtemps interdite et met en évidence combien les religions, en excluant les femmes du sacré, se privent des richesses qu'apporte la mixité.
Mme Églantine Jamet-Moreau. - J'orienterai mon intervention sur la question du lien entre le discours religieux et les inégalités entre femmes et hommes dans la société. Le film que vous nous avez projeté montre bien à quel point les enjeux sont graves. Le discours religieux et la perception de la différence des sexes dans le religieux imprègnent encore grandement notre société. Les monothéismes n'ont pas inventé le patriarcat et la domination masculine, mais les religions ont justifié, légitimé et sacralisé ce système hiérarchique fondé sur la supériorité des hommes.
Les intervenantes précédentes ont déjà évoqué les origines religieuses de la construction d'un système hiérarchique où le masculin domine le féminin. Je m'intéresserai donc plutôt à l'androcentrisme et à l'essentialisme, extrêmement présents dans ce discours. Si le féminin constitue cet « autre » qui n'est jamais placé au centre du système, c'est que ce système a été créé par les hommes, pour les hommes. Ce paradigme explique le blocage auquel se heurte l'égalité. Il ne suffit pas de replacer les femmes « à côté » des hommes, comme nous y invite la traduction de la Genèse précédemment évoquée ; il faut repenser les notions mêmes de masculin et de féminin.
L'essentialisation des femmes est commune aux trois religions monothéistes. La croyance en une différence ontologique entre masculin et féminin, qui impliquerait des natures extrêmement différentes des hommes et des femmes, sous-tend la répartition des rôles, non seulement dans la religion, mais également dans la société. Pour conforter ce discours, on glorifie la complémentarité des natures masculine et féminine. On ne définit toutefois que l'essence féminine : inutile, en effet, de définir l'essence masculine, puisqu'elle recouvre tout ! La glorification d'une prétendue complémentarité entre les deux sexes est nécessaire pour assurer la permanence de cet ordre présenté comme naturel, voulu par Dieu. Elle permet aussi, il faut le relever, de garantir la permanence de l'ordre hétérosexuel.
Lors du débat sur le mariage pour tous, des alliances inédites se sont nouées entre Benoît XVI et le grand rabbin de l'époque, Gilles Bernheim, ou entre certaines mouvances catholiques traditionalistes et des associations musulmanes. Tous se sont unis pour nous enjoindre à ne pas brouiller les « genres » et souligner qu'hommes et femmes ont leur place dans une définition très précise de leur nature et de leur rôle. Or dans cette anthropologie essentialiste, c'est surtout la nature féminine que l'on délimite.
Le masculin se confond avec l'humain en général. La nature féminine, quant à elle, est toujours directement liée au corps et à la fonction reproductive. Avoir un corps qui peut produire des enfants aurait pu être considéré comme un privilège, mais c'est finalement devenu un handicap3(*), puisque c'est ce qui définit le corps des femmes. Les femmes se retrouvent donc cantonnées à la maternité.
Pourtant, de manière très ironique, le pouvoir de donner la vie est quand même réinventé au masculin dans la sphère religieuse : c'est Dieu le père qui crée, la femme est créée à partir d'un corps masculin et ce sont les prêtres - des hommes - qui donnent la vie spirituelle à travers les sacrements.
Les auteurs du Déni4(*), Maud Amandier et Alice Chablis, l'ont très bien résumé en avançant l'idée que les hommes sont « au pouvoir » et les femmes « au service ». L'Église catholique a même développé un véritable « marketing » du service. Elle attribue un rôle inférieur aux femmes, en leur expliquant en même temps que c'est le plus beau rôle qui existe, car le service des autres représente la vraie vocation du chrétien.
Pour sortir de cette logique, il faut changer de paradigme et arrêter de limiter les femmes à leur corps, sortir de cette logique binaire selon laquelle une nature qui serait définie par le sexe de chacun-e impliquerait forcément des qualités particulières. Non, les femmes ne sont pas nécessairement, de naissance, plus douces, plus enclines à l'écoute, au sacrifice, à l'empathie. Il n'existe pas de gène de la vaisselle, du shopping ou de l'accueil ! Cependant, l'éducation et la socialisation différenciée des filles et des garçons entraînent une stimulation de qualités différentes chez les unes et chez les autres. Ainsi, un fait construit vient justifier l'idée d'une nature différente. Il faut rappeler encore et encore que « la » femme n'existe pas. Beaucoup ne l'ont toujours pas compris, même le pape François qui entend élaborer une nouvelle « théologie de la femme ». Comme Anne Soupa l'a très bien montré, les qualités féminines dans lesquelles sont enfermées les femmes, que ce soit la douceur, l'empathie, l'accueil ou le sacrifice constituent des qualités christiques dans les Évangiles. Pourtant, on nous dit bien que Jésus était un homme. C'est même l'un des principaux arguments qui justifie l'exclusion des femmes de la prêtrise !
Le pendant de cet essentialisme qui cantonne les femmes à la sphère de la maternité et de la domesticité réside dans le deuxième visage que peut prendre le féminin. Dans un système androcentré où les femmes sont placées sous le contrôle des hommes, elles sont également stigmatisées comme objet de désir masculin. Ce désir incontrôlable des hommes exigerait des femmes qu'elles se couvrent et restent recluses afin de ne pas les faire succomber à la tentation. On voit ainsi que la dichotomie entre la « maman » et la « putain » se retrouve dans les figures de Marie et Ève, qui constituent les deux visages essentialisés du féminin.
Dans la société civile aussi, ce message reste extrêmement ancré. Ainsi, la mairesse de Cologne, après les agressions sexuelles survenues durant la nuit du 31 décembre, faisait valoir que les femmes devraient peut-être adapter leur tenue pour éviter d'être agressées, puisque le désir masculin est incontrôlable. In fine, qu'elles soient mères ou tentatrices, les femmes n'existent qu'à travers leur corps. Elles sont donc considérées comme des êtres reliés, qui n'existent pas de manière autonome. Il faut autant se méfier du discours qui glorifie le féminin maternel que de celui qui condamne le féminin tentateur. Dans les deux cas, en effet, les femmes sont réduites au biologique. Leur humanité est reniée.
Au lieu d'avoir peur de la notion de « genre », les religions devraient être le cadre d'une réflexion sur ce sujet. Les institutions religieuses devraient saisir la richesse qui découle de l'être humain dans sa globalité. Les femmes représentent plus de la moitié de l'humanité et leurs expériences de vie restent bien souvent différentes de celles des hommes, ce qui implique qu'elles portent un regard différent sur beaucoup de choses. C'est de cette diversité que naissent la richesse, le renouvellement et le rayonnement d'une société. Il faudrait réussir à sortir de ce système androcentré pour parvenir à une réelle égalité, où chacun-e pourrait trouver sa place selon ses envies, ses aptitudes, ses qualités, sa beauté d'être humain, et non seulement selon son sexe. L'éducation constitue la clé de cette évolution. Nous devons repenser tout le système pour intégrer l'égalité et les richesses de l'humanité.
Pour terminer, je vous inviterai à une certaine vigilance par rapport au discours qui tendrait à dire que les femmes seraient moins enclines à la violence que les hommes. Ne serait-ce pas l'éducation des garçons, plus qu'une tendance naturelle, qui les inciterait à la violence ? Tant que nous ne sortirons pas de ces clichés, nous ne parviendrons pas à éviter la violence.
Mme Chantal Jouanno, présidente. - Nassr Edine Errami, vous êtes co-fondateur de l'association Musulmans inclusifs de France. Vous nous expliquerez ce que recouvre cette notion, et en quoi consistent les formations aux droits des minorités et aux droits des femmes que vous dispensez.
M. Nassr Edine Errami. - Je me réjouis d'être présent dans cet espace entièrement dédié au féminin. Je suis plutôt favorable à ce renversement du pouvoir.
Pour nous, le concept d'inclusivité doit être considéré dans un contexte de lutte pour la libération (ce que l'on pourrait appeler « self-libération » de la norme), comme une sorte de « décolonisation » vis-à-vis des lectures théologiques hétérocentristes et hétérogenrées5(*) et par rapport à l'idée que l'hétérosexualité patriarcale constituerait le dogme fondateur de l'islam.
Nous retrouvons dans les commentaires classiques exégétiques islamiques la même histoire présente dans le judaïsme et le christianisme autour de la création d'Ève à partir de la côte d'Adam, et cette vision d'un Dieu ayant les attributs masculins, « barbu assis sur un trône6(*) ». Dans l'interprétation qui s'est développée au fil du temps, les textes se sont masculinisés7(*), entraînant une évolution de l'essence égalitaire de l'islam pour impacter la capacité juridique, le droit à l'héritage, le droit des successions, le mariage, le divorce et l'autonomie des femmes.
Mais au-delà de ces débats théologiques ancestraux internes, un des problèmes auxquels est confronté l'islam en France réside dans le manque de visibilité, de mobilisation et de structuration des mouvements féministes islamiques appelant à l'égalité dans les lieux de culte, dans les fonctions institutionnelles, « cléricales ». Le seul mouvement actif, Femmes dans la mosquée, n'a pas été largement soutenu dans les communautés musulmanes, ni mêmes dans les sphères médiatiques ou politiques.
L'absence d'études francophones sur le genre et les religions est un obstacle majeur. Je regrette d'ailleurs qu'il n'existe pas de chaire sur le genre qui aborderait aussi la diversité religieuse. La formation d'académicien-ne-s traitant des sujets d'égalité aurait un effet de levier donnant une tribune, au moins universitaire, à des initiatives appelant à réformer les pratiques musulmanes, s'agissant du leadership religieux au féminin. Dans les pays anglo-saxons, on voit se développer des mouvements progressistes, inclusifs et une féminisation du leadership, liée aussi à une certaine tradition d'affirmation de soi, naturelle pour les femmes dans ces pays.
En France, au contraire, c'est une vision culturaliste de l'islam qui se déploie. Plusieurs raisons l'expliquent. La représentativité du culte musulman en est une, tout comme la formation des imams. À la Mosquée de Paris, par exemple, la formation des imams est ouverte aux femmes. Cependant, au terme de leur formation, les femmes se voient certes délivrer un certificat, mais elles ne sont pas admises à officier dans les mosquées. Le fait que la France laisse faire cette discrimination est en contradiction avec le principe d'égalité entre hommes et femmes8(*). Cela dit, loin de moi l'idée de me présenter comme l'« imam » libérateur des femmes.
In fine, l'indépendance des cultes et la non-intervention de l'État masquent en réalité l'institutionnalisation de la ségrégation. Presque toutes les mosquées en France agissent de manière non conforme à la loi de la République, puisqu'elles pratiquent systématiquement la ségrégation de l'espace et des fonctions. Cette séparation des hommes et des femmes nous est imposée par les pays qui « exportent » leurs imams vers la France9(*). Ces contradictions nous interpellent sur l'incompatibilité actuelle entre l'organisation de l'islam en France et le désir d'émancipation. Il faut trouver une sortie théologique et législative courageuse à ce quiproquo pour que les jeunes filles puissent sortir de l'omerta un jour10(*).
Malheureusement, le législateur n'a pas été selon nous à la hauteur du défi sur ces questions, et on a hérité de lois incomplètes dont l'application est laissée à la discrétion des établissements. En l'occurrence, la loi de 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, a eu pour effet d'exclure de fait les filles de l'enseignement. Elle a délégué à leurs parents le pouvoir absolu. Et si nous nous positionnons en faveur d'une loi contre les signes religieux, nous demandons que cette loi soit appliquée de façon intégrale, en ne laissant aucune ambiguïté interprétative.
Sans vouloir me prononcer sur le voile (ou le foulard), je résume en disant que c'est une décision qui appartient aux femmes qui le portent, dans un processus d'appropriation alternative et autonome11(*). Il est important de souligner tout de même que l'accès à cette éducation et à l'entrepreneuriat pour les filles et les femmes voilées devront être garantis.
De surcroît, si on vise le bien-être et l'autonomisation des jeunes filles par l'éducation et la citoyenneté, il faudrait qu'on s'affranchisse de l'approche purement prohibitionniste et réfléchir aux conséquences de cette loi sur l'apprentissage et l'indépendance, sur le rôle de l'autorité familiale et sur la construction identitaire de ces jeunes Françaises en marge. Sans caricaturer, même si l'exercice est difficile au regard de la tendance actuelle, les seuls endroits où l'on apprend les enseignements religieux sont des foyers de perpétuation des traditions. On aide des jeunes filles à intégrer ce mécanisme d'infériorité spirituelle et juridique, à assimiler cette conception de la pudeur qui se transforme en autocensure et, à terme, en processus d'auto-invisibilisation12(*).
L'an dernier, des extraits de conférences d'associations musulmanes diffusés sur les réseaux sociaux défendaient l'idée que la femme qui hausse la voix serait « maudite par les anges ». Certains imams considèrent également que la mixité est totalement interdite dans l'islam et que les femmes qui seraient tentées par la mixité seraient maudites par Dieu. La montée en puissance de cette pensée dogmatique doit être combattue, car elle déforme la construction spirituelle et identitaire des femmes musulmanes13(*). À force d'entendre ces discours, les femmes admettent leur oppression et intériorisent leur statut d'être inférieur, comme en témoigne le peu d'engagement dont elles font preuve pour développer des réseaux de résistance.
Je ne suis pas favorable à une tutelle complète de l'État sur l'organisation du culte, mais il existe aujourd'hui une sorte de hiatus entre la loi de la République et la loi prônée par des leaders religieux. Délivrer des permis de construire pour des projets qui relèguent les femmes dans les sous-sols revient à trahir les lois de la République14(*), et la valeur de l'égalité entre hommes et femmes qui les sous-tendent, en contradiction avec les convictions des musulman-es défendant une lecture exégétique égalitaire.
La Mosquée de Strasbourg a été financée en partie par l'Arabie Saoudite15(*). Nous sommes aujourd'hui pris en étau entre l'interprétation que font certains politiques de la laïcité, qui peut nous sembler agressive, et la surpuissance du dogme néo-salafiste.
Dans le Coran, la Bible et la Torah, certains versets feront toujours débat. Nous ne pourrons pas combattre le dogme en ne nous intéressant qu'à la question « théo-idéologique ». Nous devrions aider de manière concrète les femmes qui veulent agir.
J'ose espérer qu'en France, une génération de femmes musulmanes ira à la reconquête de ses droits dans les institutions et les lieux de culte. Il est crucial à ce moment de l'histoire d'interpeller la communauté musulmane sur l'importance de l'éducation à l'égalité dans la foi et d'alerter la société contre la montée des intégrismes. D'ailleurs, nous travaillons toujours sur le projet de la « mosquée pour les femmes » pour favoriser le changement des mentalités et nous espérons être accompagnés par toutes les bonnes volontés. Ce projet sera un signe d'espoir fort pour les femmes, en France et à l'échelle internationale. Après le lancement du concept de la « mosquée pour tous », nous espérons insuffler une autre dynamique au service de l'égalité16(*).
Au sein de l'association Musulmans inclusifs de France, j'accompagne des femmes musulmanes qui souhaitent épouser des non-musulmans et je regrette que les mosquées refusent les mariages interreligieux. Actuellement, seul un certificat de conversion de l'époux permet à la femme musulmane de l'épouser. Dans ma modeste expérience de l'accompagnement des couples mixtes, j'ai perçu une réelle « auto-infériorisation » de la femme. Même les plus émancipées dans leur cadre professionnel éprouvent les pires difficultés à s'affranchir de la tutelle familiale et religieuse pour décider elles-mêmes de de leurs choix de vie. Ces femmes ne sont qu'à mi-chemin de l'émancipation. Nous devons donc parvenir à créer, grâce à nos initiatives « théo-militantes », une indépendance vis-à-vis du culte musulman de France tel qu'il a été organisé par l'État.
Il existe dans l'interprétation coranique majoritaire ce que l'on peut qualifier une « masculinisation » de la foi et une volonté de faire des femmes des êtres inférieurs. Les femmes s'autocensurent dans leur prise de parole et dans leur questionnement du dogme, de l'organisation du culte musulman en France ou de la formation des imams. Des imams qui, pour une grande majorité d'entre eux, ont été formés en Arabie Saoudite, au Qatar ou au Koweït...
En conclusion, la République me semble faire preuve d'incohérence en souhaitant lutter contre l'intégrisme religieux et la radicalisation des jeunes, tout en permettant aux imams d'exprimer avec tant de liberté des valeurs qui ne correspondent pas à celles de la France. Il faut créer des brèches dans la façon dont l'islam est pratiqué, organisé et financé en France. Cela peut d'ailleurs concerner toutes les religions, notamment en Alsace-Moselle17(*).
Mme Chantal Jouanno, présidente. - J'observe une convergence de points de vue sur les relations entre la République et les religions que l'on n'a pas l'habitude d'entendre dans nos débats politiques. Je donne maintenant la parole à Marie-Thérèse Besson, présidente de la Grande Loge féminine de France (GLFF). Vous êtes accompagnée de Guilaine Richefort, présidente de la commission nationale des droits des femmes de la GLFF.
Mme Marie-Thérèse Besson. - La Grande Loge féminine de France est une association de femmes regroupant 14 000 membres, réparties en 435 loges dans le monde entier. Elle constitue un grand rassemblement de femmes dans une organisation adogmatique, indépendante et souveraine. Elle représente, pour chacune de nous, un puissant levier pour la construction de notre identité et notre émancipation. Notre engagement consiste à combattre la haine et la violence qui sous-tendent toutes les formes d'atteinte à nos valeurs. Nous défendons la liberté absolue de conscience, la laïcité et la promotion de l'égalité des femmes et des hommes.
Plutôt que parler d'égalité, ne vaudrait-il pas mieux d'ailleurs parler de parité ? Un long chemin a été parcouru depuis l'ordonnance du 21 avril 1944 qui a donné aux femmes l'accès à la citoyenneté jusqu'à l'apparition de la parité, avec la révision constitutionnelle du 8 juillet 1999. Depuis plus de trente ans, les lois se succèdent pour abolir les inégalités entre les femmes et les hommes. La Constitution a été complétée à deux reprises (en 1999 puis en 2008) pour proclamer solennellement que « La loi favorise l'égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et aux fonctions électives, ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et sociales. »18(*)
La loi de la République ne peut donc a priori qu'être porteuse d'égalité. Néanmoins, dans un contexte de tensions économiques, sociales et culturelles, des revendications identitaires se font jour. Portés par les mouvements les plus radicaux, certains ne se définissent plus par leur appartenance à la République, mais par leur appartenance à telle ou telle religion. Ces positions modifient donc le rapport du religieux à la laïcité. Pour ces groupes intégristes, la loi religieuse est parfois supérieure à la loi de la République et le principe de laïcité est bafoué.
Le rempart contre l'intégrisme religieux ne serait-il pas la laïcité ? Depuis la loi de 1905 et jusqu'à ces dernières années, le principe de laïcité avait été plus ou moins intégré par les Églises, mais la situation évolue. La laïcité constitue une valeur fondatrice et un principe essentiel de la République. Elle ne représente peut-être pas le support unique de l'émancipation des femmes, mais elle y contribue, car elle fait obstacle aux pressions du religieux. La laïcité est la condition d'existence d'une diversité des options religieuses et philosophiques. Elle ne se désintéresse pas de la question fondamentale, du sens que chacun donne à sa vie ; elle favorise les engagements de chacun et crée les conditions d'un rassemblement pour que soit vécue une liberté individuelle compatible avec les libertés de tous.
Peut-être faudrait-il alors poser le thème de notre réflexion de ce matin autrement ? Ne pourrait-on se demander en quoi l'intégrisme religieux favorise l'inégalité entre hommes et femmes, plutôt que de poser la question de l'« égalité entre hommes et femmes contre les intégrismes religieux » ?
Les traditions religieuses, quelles qu'elles soient, entérinent toujours la subordination généralisée des femmes. Les textes religieux fondateurs ont toujours ménagé une place prépondérante aux hommes, mais nous pouvons en faire diverses interprétations. Tous ont été écrits par des hommes inspirés par leurs traditions et coutumes. Il faudrait donc revisiter ces textes.
Ce sont les hommes qui détiennent le pouvoir. Le Vatican est le règne des hommes. L'homme est toujours la référence. La femme ne peut exister, selon cette tradition, que dans la complémentarité. Dieu est père et fils ; Ève naît de la côte d'Adam. En Europe, l'avancée des droits des femmes au XXème siècle a coïncidé avec le recul du religieux dans l'espace public. À de très rares exceptions, les religions se font largement le relais de la plus ancienne et intolérable des discriminations, celle qui frappe les femmes.
La philosophe Catherine Kintzler, parlant des femmes, nous dit : « Elles sont particulièrement visées par tous les intégristes parce que, s'agissant des femmes, l'intégrisme exerce une uniformisation en rabattant l'ensemble de la vie et des moeurs sur leur assignation à la fonction d'épouse et de mère ». Dans les religions, seule la fonction de procréation des femmes est reconnue ; il n'existe pas de choix à la libre disposition du corps et la notion de plaisir n'existe pas.
Dans la franc-maçonnerie aussi, à une certaine époque, les femmes figuraient entre les esclaves et les fous : c'est le cas dans les constitutions d'Anderson de 1723. Dans la vie profane, des femmes furent brûlées comme sorcières au Moyen-Âge ; elles furent exclues de la Révolution française : souvenons-nous d'Olympe de Gouges ! Elles ont été stigmatisées comme hystériques au XIXème siècle et maltraitées par la psychanalyse au XXème siècle. Ce n'était pas tant les capacités intellectuelles qui leur étaient déniées, mais le fait qu'elles aient une âme, cette âme qui permet d'accéder à la forme la plus achevée de l'esprit qu'est la spiritualité.
Dans toutes les religions, la femme était déclarée impure, donc inférieure. Ainsi, l'ordre naturel associé à la volonté divine a légitimé le projet divin. Il impose que l'homme ait le pouvoir à l'extérieur du foyer, et que la femme soit neutralisée à l'intérieur de celui-ci pour s'occuper des enfants, cantonnée à sa fonction de reproductrice. Obéissance à Dieu et au mari, mutilations génitales pour la priver du droit au plaisir, lapidation des femmes adultères, répudiation et polygamie pour la soumettre étaient donc, dans cette logique, justifiées.
Selon les croyances religieuses, c'est Dieu qui donne la vie par le corps des femmes. Le droit à la contraception et à l'interruption volontaire de grossesse ne leur est donc toujours pas reconnu partout. Il est remis en cause dès que les forces religieuses reprennent de l'influence. L'intégrisme religieux favorise donc bien l'inégalité entre les femmes et les hommes.
Gisèle Halimi soulignait que « les sociétés, même officiellement laïques, sont consciemment ou inconsciemment construites dans leurs fondements antiféministes les plus importants par le substrat de la règle religieuse. L'histoire religieuse a nourri le patriarcat occidental de son idéologie antiféministe ». Nous, franc-maçonnes, nous nous revendiquons représentantes d'une laïcité militante et combative, car nous pensons que la laïcité permet l'exercice de la citoyenneté en conciliant la liberté de chacun avec l'égalité, la solidarité et la fraternité entre tous, dans le souci de l'intérêt général. Nous pensons que la laïcité constitue un ciment social indispensable. Courage politique, éducation et pédagogie sont nécessaires à sa mise en oeuvre. Nous avons pour ambition de fonder un espace social apaisé, reposant sur la confiance en soi et dans les autres. La franc-maçonnerie représente une institution adogmatique qui dégage un espace laïc créant les conditions favorables pour la mise en oeuvre de l'égalité homme femme.
Mme Chantal Jouanno, présidente. - Notre dernière intervenante est Martine Cerf, secrétaire générale de l'association Égale-Égalité, Laïcité, Europe. Nous avons fêté, en décembre dernier, les 110 ans de la loi de 1905 ; la Charte de la laïcité est au coeur de la refondation de l'école depuis 2013.
Mme Martine Cerf. - Je vous remercie de votre invitation qui va me permettre d'exprimer la vision laïque de l'égalité entre hommes et femmes que nous défendons dans l'association Égale-Égalité, Laïcité, Europe. J'avoue que les témoignages précédents ont renforcé mes convictions anticléricales, c'est-à-dire hostiles au pouvoir politique des clercs.
Les traditions religieuses monothéistes ont toutes établi des règles strictes concernant les femmes. La seule place qui leur est reconnue est celle d'épouse et de mère. Elles ont un statut de mineures, soumises à l'autorité d'un homme, que ce soit un père, un époux, un frère... Ces lois, que nous trouvons généralement d'un autre temps, sont encore invoquées par des responsables religieux qui cantonneraient volontiers les femmes à leur foyer, quand ce n'est pas sous un voile intégral qui les extrait de toute vie sociale extérieure à leur famille.
L'égalité légale entre femmes et hommes s'est construite pierre à pierre. Nous sommes loin, en France, d'être toujours exemplaires : que l'on pense à la reconnaissance tardive du droit de vote, au droit de gérer ses biens, d'avoir un chéquier (1965), ou à l'exercice de l'autorité parentale (1971).
Cependant, cette égalité portée par la loi peine à se traduire dans la réalité, tant les préceptes hérités des religions monothéistes restent prégnants dans les esprits. On peut citer comme exemple la différence persistante des niveaux de salaires entre hommes et femmes, même à travail égal, et plus généralement les effets du fameux « plafond de verre » dans la vie professionnelle, politique et associative. Le fait que la loi promulguée en août 2014 s'intitule « loi pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes » est significatif.
L'Église comme le judaïsme continuent de valoriser l'épouse et la mère. La première revendication des fondamentalistes musulmans est de voiler les femmes pour qu'elles reçoivent, selon l'ordre patriarcal, protection - très souvent théorique - en échange de leur soumission.
Le corps des femmes est toujours un enjeu, il obsède les autorités religieuses : leurs préceptes conduisent les femmes à avoir honte de leur corps et de leurs pulsions sexuelles, jamais reconnues comme naturelles. Je voudrais vous lire à cet égard un extrait d'une lettre écrite par une femme Saoudienne de 39 ans, adressée à l'écrivain Joumana Haddad, Libanaise et femme libre.
« ... Je m'adresse à vous simplement pour vous raconter ma réaction, la première fois que j'ai lu vos écrits. Ce jour-là, une amie m'avait clandestinement prêté l'un de vos livres [...]. Me retrouvant seule dans ma chambre, je décidai de le feuilleter. Aussitôt, une peur indescriptible m'envahit, une peur qui allait au-delà du choc de découvrir vos idées et votre façon de voir le monde. C'était la terreur de voir exprimées, rédigées, publiées, et donc accessibles à tout le monde, des choses que je n'osais même pas penser. Des choses qu'on m'avait toujours décrites comme mauvaises, honteuses et coupables, des choses à réprimer... à taire absolument... Moi qui étais seule à ce moment, sans aucun risque que quelqu'un vienne me surprendre en flagrant délit, j'ai tiré une couverture sur ma tête et j'ai continué ma lecture ainsi, à la lumière d'une lampe électrique, cachée aux yeux de moi-même. »
Cette lettre témoigne des dégâts que peuvent causer au psychisme d'une femme, pourtant manifestement instruite, une éducation et une vie sous extrême contrainte.
Régulièrement, des imams se permettent de faire des prêches dans lesquels ils justifient le fait, pour un homme, de battre sa femme. Ou alors, certains tiennent des propos que l'on pourrait comprendre comme des incitations au viol. Face à cela, l'État reste d'une passivité qui ne peut qu'encourager ces excès. Par exemple, en 2012, l'imam Houdeyfa de Brest avait publié sur Internet une vidéo où il enjoignait aux « femmes musulmanes de porter le voile «islamique» sous peine d'encourir les feux de l'Enfer dans l'au-delà et des agressions sexuelles en ce bas-monde. » Le procureur de la République auprès du Tribunal de grande instance de Brest a estimé que « les propos que tient publiquement Rachid Abou Houdeyfa lors de ses prêches ne sont pas pénalement condamnables. » 19(*). D'autres juristes contestent vigoureusement cette interprétation, mais il y a là cette tendance naturelle à minimiser les atteintes aux droits et à la dignité des femmes. L'exemple des événements récents de Cologne montre aussi cette volonté de minimisation de délits, dès lors que ce sont des femmes qui en sont victimes.
Les intégrismes religieux nient que les femmes soient propriétaires de leur propre corps et seules décideuses de leur vie. Deux exemples : l'Église catholique combat toujours la possibilité d'avorter, sans jamais s'émouvoir de la quantité de femmes qui meurent dans les pays où l'avortement est interdit. Elle admet des exceptions quand la mère court un risque grave, comme en Irlande, mais la réalité du risque doit être attestée par des autorités extérieures, médecins ou psychologues, mais en aucun cas par la femme elle-même. Tout cela pèse évidemment sur les mentalités.
Les principales avancées ont été faites en matière de droits des femmes depuis la séparation des Églises et de l'État. Toutes les conquêtes récentes pour les femmes ont rencontré l'opposition d'autorités religieuses : on peut citer la légalisation de la contraception, la légalisation de l'IVG et le mariage pour deux personnes de même sexe... Sans la séparation de 1905, nous ne serions sans doute pas arrivés à faire voter ces lois. C'est par le jeu démocratique et l'expression des citoyens et de leurs élus que les libertés et la réduction des inégalités peuvent avancer et, peut-être, faire évoluer les responsables religieux, sous la pression de leurs fidèles.
Le débat concernant le contenu des règles et pratiques religieuses doit cependant rester interne aux religions ; il ne concerne pas l'État laïque. Celui-ci ne doit pas sortir de la neutralité qui lui incombe. Mais il lui revient de faire respecter ses lois et de ne jamais accepter d'y déroger sous des prétextes religieux. Les représentants de l'État ne doivent pas confondre la garantie de liberté des cultes qui leur incombe avec des accommodements avec la loi commune, dans l'espoir vain de préserver la paix sociale. En réalité, ces accommodements affaiblissent la loi et renforcent l'intégrisme et les pressions sur les femmes.
Indéniablement, la laïcité est un facteur d'émancipation pour les femmes, car elle affirme la suprématie de la loi civile sur toute loi religieuse. Il reste cependant que l'école ne suffit pas à émanciper des femmes soumises à un ordre patriarcal ou à des menaces et des intimidations de la part de leurs proches ou de leurs voisins. Il faut rappeler que les premiers actes des mouvements djihadistes, quand ils investissent de nouveaux lieux, sont de voiler les filles et de les retirer de l'école. L'exemple le plus éclatant est celui de Boko Haram (qui signifie « l'éducation est sacrilège » !) qui convertit les filles, les voile, les enferme, les viole ou les revend aux combattants comme esclaves sexuelles. Symboliquement, cela en dit long.
C'est pourquoi nous nous sommes toujours élevés contre des interprétations erronées de la loi de 2004 encadrant le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les collèges et lycées, selon lesquelles « on prive les filles de l'école », ou « c'est une loi raciste ». Tout montre, au contraire, que cette loi a apaisé l'école dans un moment où, à partir d'affirmations identitaires, on aboutissait à la contestation de cours, à des refus de participer aux activités de la classe, à la volonté de se diviser plutôt que de s'unir...
À propos du subventionnement des cultes, je voudrais ajouter les éléments suivants. Selon la loi du 9 décembre 1905, ce sont les fidèles qui doivent subventionner les cultes. Tous l'ont fait et, pour ce qui concerne l'islam, on peut écouter Anouar Kbibech, actuel président du Conseil français du culte musulman (CFCM), lorsqu'il dit qu'une taxe sur les produits hallal réglerait la question du financement des mosquées manquantes. Des aides existent, comme les baux emphytéotiques, les garanties d'emprunt, la défiscalisation des dons pour les associations cultuelles de 1905... Ce sont des pistes qu'il ne faut pas ignorer, même si, pour notre part, nous souhaiterions une absence de financement rigoureuse. Les investissements étrangers, en particulier ceux du Qatar et de l'Arabie Saoudite, présentent un réel danger pour l'équilibre de nos sociétés, car ils financent l'installation d'un islam wahhabite ou salafiste qui déclare notre civilisation et nos moeurs impures. Ces investissements devraient être rigoureusement interdits, au même titre qu'on interdirait à un pays de financer des mouvements séditieux dans notre pays.
Pensons-nous que les régimes des cultes d'Alsace-Moselle et de Guyane seraient préférables ? Vous ne serez sans doute pas étonnés d'entendre que nous ne sommes pas de cet avis. Pour ce qui concerne la Guyane, seuls les ministres du culte catholique sont payés par le département. Pour l'Alsace-Moselle, ce sont trois cultes qui émargent au budget de l'État. Dans les deux cas, ces régimes sont discriminatoires pour les cultes non subventionnés et la France court le risque d'être condamnée pour cela par la Cour européenne des droits de l'homme. Ces dépenses sont parfois insoutenables (c'est le cas pour le département de Guyane), ou faites au détriment d'investissements utiles à tous, comme l'enseignement et la réduction des inégalités à l'école. En ces temps de disette budgétaire, il nous paraît plus important de faire des arbitrages dans le sens de l'intérêt général.
L'accès à la connaissance des femmes est évidemment une condition de leur émancipation. Je crois qu'il est souhaitable de définir ce que nous entendons par émancipation. On pourrait comprendre qu'il s'agit de s'émanciper de sa religion d'origine. Ce n'est pas notre propos ni celui de la laïcité constitutionnelle. Il faut rappeler qu'on peut être un croyant convaincu et un laïc convaincu. L'émancipation dont nous parlons est l'utilisation des connaissances acquises pour pouvoir, dans sa vie d'homme et de femme, faire ses propres choix de vie, en connaissance de cause. Cela n'implique nullement de renoncer à ce qu'on a reçu en héritage, mais cela rend possible l'affirmation sereine de ce que l'on est, parce que c'est le résultat d'un choix délibéré et non pas celui d'une soumission à un ordre imposé par le hasard de la naissance. C'est bien là que réside la liberté individuelle conquise par la laïcité. C'est pourquoi il faut respecter la loi de 1905 et cesser de vouloir la contourner de mille manières, ce qui conduirait, de fait, à mettre fin à la séparation des Églises et de l'État.
Mme Chantal Jouanno, présidente. - Je vous remercie et je vous propose de passer au débat.
Nous avons mis en ligne les comptes rendus des auditions que nous avions menées en 2015 sur la notion de laïcité, sa signification philosophique, son évolution historique et législative. Notre propos, dans cette délégation, n'est pas de défendre l'idée que les droits des femmes se sont développés grâce au recul des religions. De la même manière, nous ne portons pas l'idée qu'il existerait un lien nécessaire entre religion et pouvoir patriarcal. Le pouvoir religieux actuel peut s'avérer patriarcal, mais la religion ne suppose pas nécessairement cette vision patriarcale. Ce qui m'a frappée, pour ma part, dans vos interventions, c'est la volonté que certains d'entre vous ont exprimée de voir la loi de la République s'appliquer dans les lieux de culte pour respecter l'égalité entre hommes et femmes. Nous n'avions jamais osé aller jusque-là...
Mme Hélène Conway-Mouret. - Vos présentations nous ont fait du bien. Vous développez une parole forte, claire, profonde, empreinte, de surcroît, de traits d'humour ! J'ai assisté la semaine dernière à une réunion qui ne comptait que des hommes, représentants des cultes et des loges maçonniques, pour débattre sur la définition de la laïcité en 2016, une définition qui a évolué dans la société française. Pensez-vous que le débat national aborde suffisamment aujourd'hui ce sujet fondamental de la laïcité et des religions ? Le fait de vivre dans un État laïque ne conduit-t-il pas, en France, à éluder le débat sur la place des religions ?
Mme Michelle Meunier. - Je tenais à vous remercier pour ce moment exceptionnel que nous avons vécu en vous écoutant. Il est rare en effet que les cultes et les représentants du monde laïc, dans toutes leurs différences, se retrouvent réunis sur un tel sujet. J'ai relevé dans vos propos des sujets de préoccupation que nous partageons avec vous : l'émancipation, l'éducation, le vivre ensemble. Quelles ont été les réactions des institutions que vous représentez, de votre entourage, quand vous leur avez fait part de votre participation à notre table ronde ?
Mme Laurence Cohen. - Nous passons avec vous une matinée passionnante. Cette occasion de voir sur un même plateau s'exprimer, avec courtoisie, sens de l'écoute et conviction, des femmes sur les religions et sur la place qui y est faite aux femmes reste rare. Dans la période extrêmement difficile que nous vivons en France et dans le monde, nous devons essayer d'offrir un tel espace de réflexion au plus grand nombre. En tant que féministe, vous entendre déconstruire l'interprétation des textes sacrés m'a particulièrement intéressée. Souvent, dans un souci de simplification, nous contestons ces textes, mais pas leur interprétation. Comment pourrions-nous renouveler cette expérience de ce matin, selon vous ? Je pense que nous devons absolument poursuivre ces échanges. Ils sont d'une richesse incroyable !
Monsieur Errami, vous avez évoqué le projet d'une mosquée dédiée aux femmes, construite pour les femmes. Or nous pensons plutôt qu'un lieu de culte devrait rester mixte. Pour porter l'égalité, il faut prier ensemble. Nous ne devons pas, à mon sens, exiger des lieux de non-mixité.
Enfin, il est vrai qu'en tant que politiques, nous ne nous serions pas permis de formuler comme vous l'avez fait chacun à votre façon un besoin de République, y compris dans les lieux dédiés au culte. Cet appel doit nous amener à réfléchir.
Mme Françoise Laborde. - Il est très important que des femmes témoignent de leur engagement religieux et de leur aspiration à l'égalité. La qualité et la profondeur de vos interventions sous-tend à la fois une étude approfondie des textes sacrés et une humanité exceptionnelle. J'ai entendu vos propos sur les contraintes, la violence que subissent les femmes, leur enfermement dans leur destin de mère, l'influence sur la vie future des enfants et, comme le soulignait Delphine Horvilleur, le thème de la violence qui se perpétue de mère en fils à travers certains textes sacrés. La question de l'espace dévolu aux femmes dans les lieux de culte m'a également interpellée. Sans aller aussi loin que l'intervention de l'État demandée par certains d'entre vous, nous pourrions au moins faire respecter la loi de la République par rapport aux prêches diffusés sur internet, puisqu'ils sont sortis de la sphère privée pour être diffusés sur la place publique. À cet égard, je suis scandalisée par le positionnement du procureur de la République de Brest dont parlait Martine Cerf.
Lorsque le Premier ministre évoque la question de la formation des imams, y a-t-il ingérence de l'État ? Le financement des lieux de culte constitue, lui aussi, une vraie problématique. Les imams estiment que la loi française n'a pas à interférer avec le contenu de leurs discours : ils sont chez eux, selon eux. Or ce n'est pas le cas ; ils sont en France. Nous atteignons ici les limites de la loi et de l'ingérence. Quant au concordat, je fais partie des législateurs qui rêvent de le remettre en cause. J'ai pris position, au sein de l'Observatoire national de la laïcité, à l'occasion des débats sur l'enseignement moral et religieux. J'ai manifesté un point de vue différent. Ne prenons pas exemple sur le concordat, car à mon avis il pratique la discrimination.
Mme Corinne Bouchoux. - Je tiens à vous remercier pour la richesse de votre propos, pour l'analyse fine que vous nous avez fait partager et pour l'écoute et le respect mutuels qui se sont manifestés ce matin. Vos présentations nous intéressent, car nous aussi, en tant que législateur, nous produisons des textes. À notre manière, nous essayons de modifier le réel et nous pensons tous qu'en changeant les règles, la société va forcément évoluer dans le bon sens. Vous nous ramenez à la réalité en démontrant la distance entre les textes et le contexte dans lequel ils s'appliquent.
Dans un régime démocratique, il importe que puissent vivre en bonne entente des personnes qui n'affichent pas les mêmes idées politiques, les mêmes convictions, qui croient ou ne croient pas, qui pratiquent une religion ou pas, etc. Or paradoxalement, nous pouvons constater que nos voisins, la Belgique ou l'Allemagne, sans avoir une loi comparable à la loi de 1905 et sans être des États laïques, connaissent aujourd'hui les mêmes problèmes de vivre ensemble. Pourquoi, avec des histoires nationales aussi différentes, des rapports au spirituel aussi différents, rencontrons-nous les mêmes difficultés ? Le fil conducteur reste toujours le même : l'égalité homme femme existe en théorie, mais elle est de plus en plus mise à mal en pratique. Vous l'avez en effet bien montré : nous avons reculé dans ce domaine depuis trente ans et nous n'y changerons rien si nous n'arrivons pas à dénouer les relations entre les hommes et les femmes en développant - c'est bien le coeur du sujet - un autre rapport à l'altérité.
M. Jean-Léonce Dupont. - Je suis très sensible aux arguments que vous avez défendus, notamment l'idée qu'il ne faut pas opposer laïcité et spiritualité, car il existe aussi des « extrémistes de la laïcité » qui pourraient nous inciter à des prises de position extrêmes dans les lois qui sont soumises à nos votes. Je suis sensible aussi à ce que nous a dit Églantine Jamet-Moreau sur les stéréotypes de « douceur » ou d'« empathie » associés aux femmes et à l'absence de « gène de la vaisselle ou du shopping ». J'entends aussi ses arguments sur l'importance de la formation et de l'éducation dans la construction d'une personnalité, que l'on soit homme ou femme. Les dispositions légales sur la laïcité forment un environnement favorable à l'égalité, mais je reste convaincu que la situation ne progressera véritablement qu'en évoluant de l'intérieur. J'aimerais savoir, par ailleurs, quelle est la nature de vos activités au sein des institutions que vous représentez. Vos réflexions correspondent-elles à des actions qui demeurent encore, à ce stade, individuelles, ou vous êtes-vous déjà organisés ?
M. Marc Laménie. - Nous vous sommes reconnaissants pour vos différents témoignages. Par la force et la diversité de vos convictions et de votre engagement, vous avez soulevé les questions du respect et de la tolérance de chacun. Avec beaucoup de passion, mais aussi avec un langage de vérité, vous avez dégagé les problématiques essentielles du combat que vous menez. Madame Besson, vous avez également mentionné la parité. Nous ne pouvons que regretter avec vous que les femmes restent aussi peu représentées dans les entreprises comme dans le monde politique. Certains d'entre vous ont évoqué la loi de 1905. Nous devons rester très humbles sur le sujet, car il s'agit d'un combat collectif. Aujourd'hui, le mérite vous revient d'avoir su poser des questions que l'on n'avait jamais entendues dans une institution comme la nôtre.
Mme Frédérique Bedos. - Vos remarques soulignent la nécessité de rendre ces questions visibles. Or, par mon film, mon ambition est bien d'atteindre le grand public. Les sujets que nous avons abordés ce matin sont complexes. Nous y avons consacré une matinée, mais nous n'avons abordé que la surface des choses ! Il faut un peu de temps pour ne pas tomber dans une caricature qui fait mal, oppose et inspire la violence. Nous avons besoin de subtilité pour créer un espace de dialogue. Mon film s'intitule Des femmes et des hommes. Si nous voulons changer la réalité, il faut embarquer les hommes dans ce mouvement, car ils seront aussi moteurs, à nos côtés, de ce changement auquel nous aspirons. Ce film a été diffusé à l'ONU, à Genève et à New York, il a été diffusé sur TV5 Monde. J'ai conçu un outil pour le grand public. Or s'il est reconnu à l'international pour sa qualité, il n'a jamais été présenté en France sur une chaîne publique. Nous restons ainsi en cercle fermé... Or le changement vient d'abord de la base du tissu social. Les chaînes hésitent à montrer ce film, car ce sujet crée un malaise. C'est en travaillant dans la subtilité que nous allons désamorcer cette poudrière de la violence et de l'intolérance dont les femmes sont les premières victimes.
Mme Chantal Jouanno, présidente. - Vous avez raison, le service public devrait se saisir de ce débat.
Mme Anne Soupa. - En ce qui concerne l'utilité du débat public sur les religions, il me semble important de poursuivre et amplifier le travail de Régis Debray sur l'enseignement des religions20(*).
Il faut effectivement, comme vous le dites, monsieur le sénateur, travailler de l'intérieur pour que les choses changent. Je tenais à saisir l'occasion de notre débat pour proposer de lancer tous ensemble une plateforme de réflexion et de lutte concrète sur le machisme dans les religions. Le Comité de la jupe essaie d'engager cette réflexion depuis un an, mais nous ne possédons pas suffisamment de force pour cela. Pour autant, travailler de l'intérieur ne suffira pas. Vous n'imaginez pas à quel point la petite association que je co-préside est marginalisée dans la grande Église catholique. Nous avons besoin de la loi. La loi doit être appliquée dans la sphère catholique où nous voyons se développer des dérives intégristes. Ne laissons pas se développer ces phénomènes préjudiciables à tous ! Nous avons besoin d'une parole éclairée et ouverte. L'Église catholique, largement ancrée en France, pourrait jouer un rôle majeur dans ce processus. Si nous la laissons dériver vers un fonctionnement sectaire, nous pourrions tous subir les graves conséquences d'une telle évolution.
Mme Chantal Jouanno, présidente. - Nous ne pouvons probablement pas prendre l'initiative de créer cette plateforme qui vous appartient, mais nous pourrions peut-être organiser un colloque au Sénat sur cette question.
Mme Guilaine Richefort. - Nous organisons, le 12 mars prochain, dans le cadre des 70 ans de la Franc-Maçonnerie, un colloque ouvert au public sur le thème « Contenu théologique et droit des femmes : un conflit inévitable ? ». Parmi les personnes que nous avons invitées à y participer, je citerai Maud Amandier et Alice Chablis, les auteures du livre Le déni21(*), Floriane Chinsky, rabbin, et Catherine Trautmann.
Mme Anne Faisandier. - J'insisterai sur l'importance de donner une place aux religions dans le débat, car les religions représentent une composante qu'il est impossible de contourner de la société française. Ne confondons pas religion et obscurantisme ! Cette confusion ne nous aide pas, en interne, à combattre les préjugés et l'intolérance. Si nous avons besoin d'un soutien, c'est de celui-là. Ce n'est pas parce que nous sommes croyants que nous ne sommes pas républicains, laïcs, citoyens.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Je pense que combattre l'ignorance revient à combattre l'intégrisme. Aujourd'hui, les jeunes méconnaissent la laïcité ; les religions sont évoquées sous forme d'images, qui font toujours appel à l'émotionnel, notamment parce que les religions sont liées à des faits de violences.
Mme Anne Faisandier. - Les obscurantismes s'expriment dans certains discours religieux. Nous ne pourrons donc pas les combattre sans développer d'autres discours religieux.
Mme Églantine Jamet-Moreau. - J'ai le sentiment que la laïcité est noble et doit être préservée, mais peut-être faut-il en clarifier davantage la définition. Dans l'espace politico-médiatique, elle est devenue un terme fourre-tout, utilisé par les politiques dès qu'ils ont peur de s'exprimer. Le pouvoir politique est décrédibilisé et l'utilisation excessive de certains termes dont on se sert comme d'un paravent - la laïcité en fait partie - y contribue.
J'insisterai aussi une nouvelle fois sur l'importance de l'éducation. Les inégalités entre femmes et hommes sont présentes partout. Il n'existe rien de plus important qu'une réelle éducation à l'égalité. Il faut changer les qualités que l'éducation des petites filles et des petits garçons stimule. Je souhaiterais faire passer l'idée que le sexisme doit être combattu de la même manière, de sa forme la plus anodine en apparence jusqu'au crime d'honneur, car il témoigne d'une façon d'envisager les hommes et les femmes comme des êtres de valeurs différentes. Pour changer ce sentiment, la formation des enseignants et un travail de fond dans la société sont nécessaires.
Mme Catherine Génisson. - Il faut également que les femmes s'approprient cette démarche.
Mme Martine Cerf. - Le fait que les pays européens, malgré une organisation différente, soient confrontés aux mêmes problèmes prouve que l'organisation elle-même n'est en rien responsable de la montée des fondamentalismes. En revanche, l'organisation peut élever des barrières pour empêcher les responsables religieux de gagner un pouvoir politique. Cette logique de séparation empêche les lois religieuses d'entrer dans le champ politique et de nous gouverner. En cela, la laïcité constitue un bon rempart. En revanche, elle n'interdit personne de vivre sa spiritualité, tout au contraire, elle assure le respect de toutes les croyances et convictions.
Mme Chantal Jouanno, présidente. - Je vous invite à relire les comptes rendus des auditions auxquelles nous avons procédé l'an dernier sur le thème « femmes et laïcité ». Ces interventions (d'une philosophe, d'une historienne, d'un spécialiste de sciences politiques) montrent qu'il n'existe pas une interprétation unique et univoque de la laïcité.
M. Nassr Edine Errami. - Je me suis peut-être mal exprimé sur le projet de mosquées pour les femmes que j'évoquais tout à l'heure. L'une de ses conséquences positives serait de développer le leadership féminin dans les mosquées. Nous avions lancé fin 2012 des mosquées « inclusives », dans lesquelles les homosexuels et les incroyants étaient les bienvenus. Nous revendiquons un droit au blasphème et nous pensons que les minorités, en s'exprimant, peuvent faire réfléchir la majorité.
Quant au concordat, la France reste le dernier pays au monde où le Président de la République nomme un évêque. Autre anomalie de ce régime, le concordat finance le judaïsme consistorial, mais pas le judaïsme libéral.
Mme Hanane Karimi. - Si l'on ne veut pas dire que la loi de 2004 était une loi raciste, elle constitue en tout cas une loi sexiste, car elle vise exclusivement, dans les faits, les filles. Ces jeunes filles voilées sont renvoyées, si elles ne peuvent pas fréquenter l'école, vers les espaces domestiques dans lesquels elles sont supposées subir une autorité machiste. Le machisme n'implique pas nécessairement le voile. Or en France, à chaque fois que nous évoquons la laïcité, nous avons l'impression qu'une religion civile s'oppose en fait à une autre religion : l'islam. Les violences faites aux femmes ne sont pourtant pas l'apanage d'une seule religion, elles découlent de structures mentales que nos sociétés permettent.
Je travaille sur le terrain. Sociologue et musulmane, très impliquée dans cette question d'égalité entre hommes et femmes, je suis invitée à témoigner partout où des conservateurs font valoir leur pouvoir. Les femmes peuvent comprendre mon discours, mais ce n'est pas en leur opposant une laïcité intransigeante qui vient d'en haut que nous changerons la société. Le changement doit venir de l'intérieur. Comment une femme peut-elle concevoir de sortir d'une structure qui l'opprime si elle n'a pas d'autonomie financière, si elle est renvoyée chez elle sans diplôme ? C'est la raison pour laquelle je condamne la loi de 2004 ainsi que la proposition de loi qui visait les nounous de confession musulmane22(*).
Mme Valérie Duval-Poujol. - Pour conclure, je reviendrai à l'altérité que nous avons évoquée au début de cette table ronde. Je citerai le philosophe juif Martin Buber : « Par la grâce du « toi », le « je » advient ». Je vous remercie pour cette belle expérience d'altérité que nous venons de vivre.
Mme Chantal Jouanno, présidente. - Très belle conclusion. J'espère que notre rencontre d'aujourd'hui, très riche, pourra se poursuivre dans un avenir proche, dans un contexte qui permette à un public plus large de s'enrichir au contact des idées que nous avons échangées ce matin.
* 1 Mgr Vingt-Trois répondait à une question sur la possibilité d'ouvrir aux femmes le « ministère » de la lecture des textes sacrés pendant la messe (note du secrétariat de la délégation aux droits des femmes).
* 2 Loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics.
* 3 Voir les travaux de Françoise Héritier. Cette idée est développée notamment dans Masculin/Féminin II - Dissoudre la hiérarchie, Paris, Odile Jacob, 2002, p. 202 : « Ainsi, le privilège confisqué est devenu un handicap. Pour que la confiscation soit irréversible, les femmes ont partout été cantonnées dans un rôle de procréatrices domestiques, exclues de l'usage de la raison, exclues du symbolique. » (note d'É. Jamet-Moreau).
* 4 Maud Amandier et Alice Chablis, Le déni - Enquête sur l'Église et l'égalité des sexes, Paris, Bayard, 2014.
* 5 Note complémentaire de M. Nassr Edine Errami : ces lectures centralisent le pouvoir aux mains de « pater familias » détenant des « patria potestas » sur des possessions objectifiées, dont sa (ses) femme(s). Il s'agit pour nous de redonner la voix aux femmes et aux minorités « queer » notamment. Ce travail a un effet d'entraînement sur la conscientisation des jeunes générations et l'invalidation des pratiques religieuses traditionalistes ayant intronisé l'inégalité entre citoyen-ne-s/croyant-e-s
* 6 Note complémentaire de M. Nassr Edine Errami : cette vision est immortalisée dans les pensées salafistes-wahabites et autres courants.
* 7 Note complémentaire de M. Nassr Edine Errami : il existe dans l'exégèse coranique « mainline », majoritaire, une masculinisation de la foi et une volonté d'infrahumaniser les femmes. La jurisprudence islamique (Fiqh) s'est même substituée au divin dans son élan d'invisibilisation des femmes. Le remplacement du Fiqh (construction jurisprudentielle) par le terme Sharia (Orientation divine du message coranique, notamment son souci d'égalité et de bien-être) a été d'une grande nocivité dans la conception de la foi et sa pratique. Les jurisconsultes et théologiens ont insufflé cet amalgame pour s'arroger un pouvoir céleste. Leurs lois allaient devenir la gouvernance divine indiscutable. Mais en sus du détournement sémantique du texte, il existe un machisme plus sournois, une supériorisation de l'homme dans la tradition et le droit coutumier et les constructions socio-culturelles identitaires. Ce machisme culturel se légitime, en France, par une incursion agressive de la misogynie théologique et une libération de cette parole inégalitaire en matière spirituelle et civile. Je fais référence notamment à toutes les organisations religieuses qui prônent ce discours « viral » dans les écoles religieuses, dans les mosquées et associations qui leurs sont affiliées.
* 8 Note complémentaire de M. Nassr Edine Errami : nous pensons qu'il y a collision entre l'idéologie d'un clergé, institutionnalisé par l'organisation étatique du culte, qui disqualifie les femmes en instaurant cette discrimination incompréhensible, et le principe d'égalité entre hommes et femmes garanti par la laïcité et la foi (selon les mouvements musulmans réformateurs - inclusifs).
* 9 Note de M. Nassr Edine Errami : ces pays détiennent bizarrement un quota de « Mourshidates (Théologiennes, conseillères auprès des femmes) mais autorisent encore la polygamie, pour citer l'exemple du Maroc.
* 10 Note de M. Nassr Edine Errami : nous demandons un peu plus de volontarisme politique sur ces questions, par prévention et par anticipation, contre les incursions agressives consécutives des idéologies fondamentalistes. La loi devrait agir contre ces prêches publics sur les réseaux sociaux, ces rassemblements néo-salafistes en plein jour brandissant des traditions religieuses rétrogrades que nous ne pouvons accepter en tant que musulman-e-s profondément laïques, conscient-e-s des ravages de tels propos sur l'équilibre psycho-social des femmes et des personnes « Queer »-LGBT.
* 11 Note de M. Nassr Edine Errami : L'approche complémentaire serait de désacraliser cette tradition (imposée de façon discriminatoire depuis le deuxième calife Omar) au niveau théologique et d'accompagner les filles dans cette pédagogie. Il faut, en parallèle, lutter contre un signe devenu l'expression d'un repli, d'une frustration et d'une rébellion politique contre les acquis sociétaux pour l'égalité d'un côté et des lois stigmatisantes de l'autre. Je parle notamment de la circulaire Châtel sur les mères voilées s'agissant des sorties scolaires, puis des récentes tentations laïcistes sur le voile à l'université. On assiste de temps à autre à un braquage sémantique laissant le libre arbitre à des sensibilités et des syncrétismes éducatifs qui peuvent être stigmatisants et contraires selon moi à l'esprit de la laïcité.
* 12 Note de M. Nassr Edine Errami : l'an dernier, des extraits de conférences d'associations musulmanes diffusés sur les réseaux sociaux défendaient l'idée que la femme qui hausse la voix soit « maudite par les anges ». Certains imams considèrent également que la mixité est totalement interdite dans l'islam et que les femmes qui seraient tentées par la mixité seraient maudites par Dieu. La montée en puissance de cette pensée dogmatique doit être combattue, car elle déforme la construction spirituelle-identitaire des musulmanes et des femmes des autres religions, notamment au sein de l'église catholique et du judaïsme orthodoxe. À force d'entendre ces discours, les femmes musulmanes admettent leur oppression et intériorisent leur statut d'être inférieur, comme en témoigne le peu d'engagement dont elles font preuve pour développer des réseaux de résistance.
* 13 Note de M. Nassr Edine Errami : ce point peut concerner les femmes des autres religions, notamment au sein du judaïsme orthodoxe et du catholicisme.
* 14 Note de M. Nassr Edine Errami : comme c'est le cas quand, dans certains lieux de culte, des imams marient des couples religieusement sans contrat de mariage civil. Bien des jeunes filles sont les victimes de ces pratiques d'un autre âge que nous ne pouvons tolérer.
* 15 Note de M. Nassr Edine Errami : le régime concordataire présente des anomalies en termes d'égalité entre les cultes et il présente en l'occurrence ce danger lié aux financements provenant des pays exportateurs d'idéologies radicales comme l'Arabie saoudite, ce qui est en conflit avec les valeurs laïques inclusives que nous défendons.
* 16 L'accompagnement, la promotion de l'imamat féminin et l'accès aux femmes à la direction des communautés religieuses est un projet ambitieux, connaissant l'état des mentalités actuelles. C'est un travail délicat, certes de longue haleine, mais ô combien nécessaire.
* 17 Note de M. Nassr Edine Errami : l'islam est, en effet, encore exclu du concordat, malgré le dernier avis du Conseil constitutionnel sur la validité de celui-ci, ce que je regrette fortement. Le culte juif libéral n'est pas financé non plus, contrairement aux fonctionnaires du judaïsme consistorial majoritaire et plutôt conservateur. Finalement, le Président de la République française est le dernier chef d'État au monde à nommer des évêques catholiques. Je passe sur les questions liées au blasphème, encore pénalisé, et le financement des mouvances catholiques intégristes. Ces constats sont pour le moins labyrinthiques s'agissant d'une République qui se veut et se doit défenderesse d'une laïcité inclusive et égalitaire. Il est important de se ressaisir de ces questions et d'être force de proposition législative sans ambages pour canaliser l'expression cultuelle publique quand il s'agit de paroles et discriminations. Dans un climat de tensions géopolitiques et religieuses en gestation qui nous exporte ses influences, il est vital de responsabiliser les dirigeants politiques et religieux quant au respect des valeurs qui constituent le socle de notre société.
* 18 La loi constitutionnelle du 8 juillet 1999 a complété l'article 3 de la Constitution par un alinéa ainsi rédigé : « La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives ». La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 a supprimé cet alinéa et l'a ajouté à l'article 1er, dans la rédaction suivante : « La loi favorise l'égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et aux fonctions électives, ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et sociales. » (note du secrétariat de la délégation aux droits des femmes).
* 19 Déclaration citée par Ouest France et reprise par l'Obs avec Rue89. Voir l'article de Maître Demetz sur le site village-justice.com (note de Muriel Cerf).
* 20 Régis Debray, L'enseignement du fait religieux dans l'école laïque. Rapport au ministre de l'Éducation nationale, février 2002.
* 21 Maud Amandier et Alice Chablis, Le déni, enquête sur l'Église et l'inégalité des sexes, Préf. de Joseph Moingt, Bayard, 2014.
* 22 Il s'agit de la Proposition de loi visant à étendre l'obligation de neutralité aux structures privées en charge de la petite enfance et à assurer le respect du principe de laïcité (n° 26 rect., 2011-2012, de Mme Françoise Laborde et plusieurs de ses collègues). À l'Assemblée nationale, une proposition de loi d'objet comparable, de M. Roger-Gérard Schwartzenberg et plusieurs de ses collègues, déposée le 16 janvier 2013, était intitulée Proposition de loi visant à étendre l'obligation de neutralité à certaines personnes ou structures privées accueillant des mineurs et à assurer le respect du principe de laïcité (note du secrétariat de la délégation aux droits des femmes).