Mardi 9 juin 2015
- Présidence de Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente -La réunion est ouverte à 16 heures 05.
Audition de M. Jean Claude Ameisen, président du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Jean-Claude Ameisen, vous êtes professeur de médecine, et président du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) depuis 2012. Vous en êtes membre depuis 2005 et avez été renouvelé au poste de président en décembre 2014, ce mandat ayant une durée de deux ans renouvelable. Votre nomination est soumise à la procédure de l'article 13 de la Constitution, au terme d'une audition par les commissions des affaires sociales de l'Assemblée nationale et du Sénat. Vous êtes accompagné d'Alain Cordier, vice-président.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Jean-Claude Ameisen et Alain Cordier prêtent serment.
M. Jean-Claude Ameisen, président du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé. - Le CCNE a été créé en 1983 ; c'est le premier comité consultatif national d'éthique de ce type créé au monde. Depuis, tous les pays européens, et une grande partie des pays du monde, ont un comité semblable. L'UNESCO, la Commission européenne, le Conseil de l'Europe et l'OMS essaient, dans les pays qui n'en disposent pas encore, de le mettre en place, ce qui pose parfois des problèmes, ce genre de structure devant être indépendante en plus d'être transdisciplinaire.
Les missions du CCNE, définies par la loi relative à la bioéthique du 6 août 2004, consistent à donner des avis sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevées par les progrès des connaissances dans le domaine de la biologie, de la médecine et de la santé. C'est un champ très large. Le législateur a ajouté que le CCNE peut adjoindre des recommandations à ces avis, s'il le juge utile.
Dans la loi relative à la bioéthique du 7 juillet 2011, le législateur a ajouté qu'en cas de projet de loi portant sur le champ des missions du CCNE, celui-ci devait organiser des états généraux, des conférences de citoyens, et faire un rapport sur l'ensemble du débat public. Ce nouveau rôle, nous l'avons assumé en 2013, lorsque nous avons été saisis par le Président de la République, après la remise du rapport de la commission Sicard sur la fin de vie, le Président de la République ayant par ailleurs indiqué qu'un projet de loi serait élaboré au terme de ce débat.
Nous avons donc rendu un avis sur la fin de vie en juillet 2013, et considéré que ces nouvelles dispositions s'appliquaient. Nous avons organisé une conférence de citoyens, ce qui était nouveau pour le CCNE. Cette conférence a rendu son avis en décembre 2013.
Pour donner à ce débat un caractère plus large d'états généraux, nous avons demandé aux espaces régionaux de réflexion éthique d'organiser, selon les modalités qu'ils souhaitaient, des débats sur la fin de vie. Nous avons remis un rapport en octobre 2014 sur l'ensemble de ce débat, après plus de deux ans de discussions.
Une autre activité du CCNE a vu le jour, le Conseil d'État ayant saisi le CCNE, l'Académie de médecine, le Conseil de l'ordre des médecins et M. Jean Leonetti pour demander des observations générales sur la notion d'obstination déraisonnable, dans le cas où des personnes malade se trouvent, comme Monsieur Vincent Lambert dans un état de conscience minimale ou un état dit « végétatif ». Nous avons émis nos observations en mai 2014, et les avons rendues publiques à partir du moment où le Conseil d'État a publié son avis.
Les modalités de nomination des membres du CCNE n'ont pas changé depuis trente-deux ans. Le président est nommé par le Président de la République pour un mandat de deux ans renouvelables, sans limite. Tous les autres membres sont nommés pour quatre ans, renouvelables une fois. Cinq membres sont nommés par le Président de la République pour leur appartenance aux principales familles philosophiques et spirituelles, dix-neuf membres sont nommés pour leur intérêt ou leurs compétences dans le domaine des questions éthiques, et quinze membres sont nommés du fait de leur appartenance au monde de la recherche. Nous sommes quarante au total.
Une quinzaine d'institutions, de mémoire, participent aux nominations au CCNE, dont le Collège de France, le ministère de la santé, l'INSERM, le CNRS, l'INRA, le Conseil d'État, le président de l'Assemblée nationale, le président du Sénat, ce qui constitue une spécificité par rapport à d'autres comités de l'Union européenne. Nous nous réunissons en comité plénier une fois par mois. Une section technique de douze membres se réunit également une fois par mois.
Le président de la section technique et le président du CCNE nomment deux rapporteurs chaque fois qu'une réflexion est engagée. Un groupe de travail se constitue sur la base du volontariat ; il se réunit autant de fois que nécessaire, et présente l'avancement de ses travaux à la section technique, qui demande des compléments d'information ou décide que le projet peut être présenté au comité plénier. L'élaboration d'un avis peut prendre trois mois selon les sujets, voire, lorsqu'il s'agit une auto-saisine, trois ou quatre ans, l'avis n'étant achevé que lorsque le CCNE pense que sa diffusion rendra service à la société. Plusieurs avis sont élaborés en parallèle pendant l'année.
Le CCNE rencontre également une à deux fois par an l'ensemble des comités de l'Union européenne, et l'ensemble des comités mondiaux une fois tous les deux ans. Pour des raisons historiques, nous tenons une à deux fois par an une réunion trilatérale avec nos collègues anglais et allemands, ce qui nous permet de réfléchir à nos avis sous un éclairage international.
Mis à part le rapport sur le débat sur la fin de vie et les observations écrites au Conseil d'État, le CCNE a rendu cent vingt-trois avis ; ils figurent sur notre site Internet et sont tous traduits en anglais, afin de pouvoir être lus de la manière la plus large.
En ce qui concerne les modalités de fonctionnement, le budget du CCNE est inscrit sur le budget des services généraux du Premier ministre, et dépend de la direction des affaires administratives et financières. Les dépenses de personnel sont de l'ordre de 340 000 euros par an. Quatre personnes travaillent à plein temps pour le CCNE, la secrétaire générale, Marie-Hélène Mouneyrat, un documentaliste, le législateur ayant prévu un service de documentation au sein du CCNE, une secrétaire et un comptable. Depuis plus d'un an, une conseillère de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) qui est en congé spécial du Parlement nous assiste ponctuellement lors des conférences de presse ou de manifestions comme la conférence de citoyens.
Nous avons essayé de réduire le budget de fonctionnement du CCNE. Il s'élevait à 560 000 euros en 2012 ; il est passé à 500 000 euros en 2013, incluant l'organisation de la conférence de citoyens qui, après un appel d'offres limité à 130 000 euros, a représenté une dépense de près de 150 000 euros.
Le budget de fonctionnement est passé à 250 000 euros en 2014, et pour 2015, nous avons prévu 230 000 euros. Nous avons provisionné 500 000 euros pour un colloque international que nous comptons organiser dans le cadre de la COP 21, en novembre, avec nos collègues des différents comités mondiaux, en particulier les pays du sud. Nous rendrons à cette occasion un avis sur les problèmes éthiques posés en matière de santé humaine par l'érosion de la biodiversité, les atteintes à l'environnement et le changement climatique.
Nous travaillons également sur un avis qui porte sur les indications sociétales de l'assistance médicale à la procréation et, d'une manière générale, sur les questions éthiques liées à celle-ci. Nous avons, pour le cas où un projet de loi aurait été déposé sur ce sujet, demandé 150 000 euros, dans l'hypothèse où nous devrions organiser une conférence de citoyens sur ce sujet.
Tous les membres du CCNE exercent leur activité à titre bénévole. En décembre 2008, un arrêté a fixé une indemnité de 1 500 euros par mois pour le président. Quand j'ai pris mes fonctions, en novembre 2012, j'ai décidé de refuser cette indemnité pour avoir le même statut que les autres membres du comité.
Enfin, il me semble que le rôle essentiel du comité dans la réflexion publique n'est pas de se substituer à celle-ci en proposant ce qu'il convient de faire, mais d'aider la société à réfléchir, essayer de montrer la complexité des problèmes, les enjeux implicites ou méconnus et d'aider les pouvoirs publics, le législateur et l'institution judiciaire à réfléchir et à trancher en tout connaissance de cause.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - La parole est au rapporteur.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Je ne crois pas que le débat sur le CCNE sera extrêmement long. Tout d'abord, on peut souligner le sens de l'intérêt général de tous ses membres, puisque le président comme les trente-neuf autres membres assument leurs fonctions de manière bénévole. Ce n'est pas le budget total du CCNE qui va mettre en danger les équilibres fondamentaux de la République !
Cependant, j'aimerais vous poser quatre questions.
Tout d'abord, le statut d'AAI apporte-t-il quelque chose au CCNE ?
Deuxièmement, vos dépenses étant variables d'une année sur l'autre, comment faites-vous pour négocier vos crédits ?
Par ailleurs, en 2014, si mes renseignements sont exacts, vous n'avez rendu qu'un seul avis. Cela correspond-il à une réunion par mois ? Sur les trois dernières années, vous aurez rendu au total six avis. Bien que la qualité des avis ne soit pas dépendante du nombre, un avis sur une question fondamentale pouvant justifier le travail de toute une année, voire davantage, comment ajustez-vous le nombre d'avis et leur financement ?
Enfin, y a-t-il eu des auto-saisines ces trois dernières années ?
M. Jean-Claude Ameisen. - La loi relative à la bioéthique de 2004 ne nous définit pas comme une AAI, mais comme autorité indépendante, même s'il semble que le Conseil d'État et le législateur aient considéré que c'était du même ordre. Cela me semble important concernant le CCNE. En effet, une des difficultés de la mise en place d'un comité d'éthique dans certains pays est précisément d'assurer son indépendance.
Deux conditions sont considérées comme des gages de légitimité indispensables au niveau international pour un comité d'éthique, son indépendance et le fait que son regard est transdisciplinaire et dépasse l'expertise biologique et médicale que l'on peut attendre d'un comité qui examine des questions touchant à la biologie, la médecine, la santé.
Indépendamment des modalités de fonctionnement que cela implique, le fait d'instituer le CCNE comme autorité indépendante donne un gage symbolique indispensable à l'exercice de ses activités.
Notre budget est variable. Nous essayons de le diminuer sensiblement en ce qui concerne les dépenses courantes. Nous avons inscrit la réduction de nos dépenses de fonctionnement dans les perspectives 2015, et provisionné certains événements qui pourraient avoir lieu - conférence des citoyens, colloques.
En ce qui concerne les avis, nous en avons rendu quatre en 2013, un en 2014, mais aussi remis un rapport à l'OPECST sur l'ensemble du débat public, ce qui représente un travail à mon sens identique à celui de l'élaboration d'un avis. Nous avons rendu au Conseil d'État des observations générales qu'il nous avait demandées. C'est un document d'une quarantaine de pages. Nous sommes donc selon moi dans notre rythme de publication, que les documents portent le titre d'avis ou non, soit trois à quatre par an, qui représentent cent vingt-cinq documents depuis trente-deux.
À cela s'ajoute la préparation d'une conférence des citoyens, fin 2013, qui a représenté pour le CCNE un travail significatif. Nous nous sommes fait à l'époque la réflexion que si beaucoup de projets de loi visaient à modifier la loi relative à la bioéthique, l'organisation de conférences de citoyens, l'élaboration d'un rapport sur le débat public et l'animation d'états généraux risqueraient d'empêcher ou de peser sur les autres activités, ce que l'on a vu en 2014.
Il faut donc intégrer ces nouvelles missions du CCNE dans sa mission classique, qui se limitaient à la production d'avis et à l'organisation d'une journée publique.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Quel est le nombre d'auto-saisines ?
M. Jean-Claude Ameisen. - Je pense que nous en aurons deux de plus cette année. Nous avions été saisi par la direction générale de la santé, sur les problèmes éthiques posés par le séquençage complet de l'ADN d'un foetus, à partir d'une goutte de sang d'une femme enceinte de six semaines qui aujourd'hui devient possible, en raison de la baisse des coûts, mais sera également moins cher qu'un test spécifique recherchant un élément particulier, comme une trisomie 21 ou une maladie génétique particulière.
Au moment où nous avons été saisis, nous étions en train de travailler sur une auto-saisine relative à l'implication éthique des nouvelles techniques de séquençage complet de l'ADN. Nous allons rendre, vraisemblablement à l'automne, un avis sur les implications du séquençage complet de l'ADN, à tout âge de la vie, indépendamment de la question spécifique qui touche l'ADN du foetus pendant la grossesse.
Le colloque dont je parlais, et où nous cherchons un regard international parce que ce sont des problèmes internationaux, porte sur un avis que nous sommes en train d'élaborer, qui résulte d'une auto-saisine sur les problèmes éthiques posés par l'érosion de la biodiversité, les changements et les modifications de l'environnement. Ce sont là deux exemples d'auto-saisine sur lesquels nous sommes en train de travailler.
L'avis rendu récemment sur les problèmes éthiques posés par la contre-indication permanente du don du sang pour les hommes ayant eu des relations sexuelles avec un ou d'autres hommes était une saisine de la ministre de la santé. Je vous ai parlé du projet sur la fin de vie, qui est une saisine du Président de la République. Nous avons rendu un avis sur les implications éthiques de la mise à disposition de tests de diagnostic rapide du VIH que l'on pourrait acheter en pharmacie et pratiquer chez soi. Nous avons rendu un avis sur les implications éthiques de ce qu'on appelle la « neuro-amélioration », qui a constitué une auto-saisine, dans le cadre de la mission de veille sur les questions éthiques posées par l'avancée des neurosciences, que le législateur nous a confiées dans la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique.
Nous travaillons en parallèle avec des temps d'élaboration de l'avis différents. Lorsque nous sommes saisis, même si nous ne respectons pas obligatoirement le calendrier, nous essayons de nous y tenir. Dans le cadre d'une auto-saisine, nous rendons un avis au moment où nous pensons que la société peut en avoir besoin.
Selon le législateur, le Gouvernement, le Président de la République, le président de l'Assemblée nationale, le président du Sénat, les établissements d'enseignement public, les établissements publics et les fondations reconnues d'utilité publique qui ont pour activité principale la recherche, le développement technologique et la protection de la santé peuvent nous saisir.
En dehors de ces cas, toute institution, toute personne ou toute association peuvent nous demander de nous autosaisir. Certaines de nos auto-saisines sont donc des demandes ; d'autres viennent des membres mêmes du CCNE. Les deux exemples que j'ai cités sont des auto-saisines nées à l'intérieur du CCNE. Ces trois formes de sollicitation se développent en parallèle, suivant des proportions relatives qui varient au cours du temps.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - J'ai compris que votre instance était une autorité indépendante et non une AAI. La semaine dernière, M. Marc Guillaume, secrétaire général du Gouvernement, nous a dit clairement que les mandats de président des AAI étaient d'une durée assez longue, et n'étaient pas renouvelables. Or, dans le cas du CCNE, votre mandat de président est de deux ans, ce qui est plutôt court, et renouvelable...
M. Jean-Claude Ameisen. - Mais l'ensemble des membres sont élus pour quatre ans, et renouvelables une fois.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - A priori, cela déroge au principe rappelé par le secrétaire général du Gouvernement. Vous êtes plus une autorité indépendante qu'une autorité administrative. Vous ne faites pas de rapport annuel...
M. Jean-Claude Ameisen. - Si, si !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - À qui l'adressez-vous ?
M. Jean-Claude Ameisen. - Au Président de la République. Il s'agit d'un rapport public sur l'ensemble de nos activités.
Dans un souci de réduction des dépenses, ce rapport étant édité par la Documentation française et présentant un coût significatif, nous avons décidé de le publier sur notre site Internet. Il est donc disponible sur le web.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Où vous réunissez-vous ?
M. Jean-Claude Ameisen. - Nos locaux sont situés au 35 rue Saint-Dominique, dans les locaux des services du Premier ministre.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - C'est une mise à disposition ?
M. Jean-Claude Ameisen. - En effet. Depuis 2005, j'ai connu trois localisations différentes. Dans deux ans, nous serons regroupés à Fontenoy-Ségur.
Nous ne planifions pas notre localisation. Elle nous est proposée par les services du Premier ministre, qui gère par ailleurs notre budget, dans le cadre du programme 308 « Protections des droits et des libertés ».
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Discutez-vous vraiment votre budget chaque année ? Est-ce vous qui faites des propositions ?
M. Jean-Claude Ameisen. - On nous demande d'en faire. Nous les discutons. Au moins deux réunions de co-pilotage sont présidées par le secrétaire général du Gouvernement ; nous y sommes présents, comme les autres participants au programme 308.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - La parole est aux commissaires.
M. Philippe Leroy. - Il semble que vous prononcez des avis, sur demande ou par auto-saisine, sur des sujets bien bordés scientifiquement, encore que lorsque vous vous interrogez sur le changement climatique, vos données de base ne sont probablement pas complètement scientifiques.
Pourquoi n'avez-vous pas émis d'avis sur les OGM, par exemple, dont on parle souvent, et qui pourraient présenter un risque pour la santé humaine ou en matière de pollution génétique, ou encore sur les produits pharmaceutiques comme les médicaments génériques, dont on sait qu'ils ne sont pas des copies exactes des médicaments qui ont fait leurs preuves, et ont été l'objet d'expérimentations ? Ceci soulève pourtant de vraies questions dans l'opinion publique.
M. Jean-Claude Ameisen. - Si vous consultez la liste des cent vingt-trois avis, vous vous apercevrez que les sujets sont extrêmement divers. Beaucoup relèvent de ce que l'on considère habituellement comme des questions d'éthique biomédicale. Le premier avis du CCNE, en 1984, portait sur la recherche sur l'embryon, sujet assez en avance sur son temps, et typique de l'éthique biomédicale.
Beaucoup d'avis sont rendus sur la génétique, sur le début de la vie, sur l'embryon, sur l'assistance médicale à la procréation ou sur la fin de vie, questions assez classiques.
Il existe d'autres avis sur le handicap, sur la situation des enfants et adultes atteints d'autisme en France, ou sur la biométrie, sujet qui peut sembler éloigné de nos préoccupations, pour déterminer en quoi l'utilisation de données biologiques destinées à établir des documents d'identité pose des problèmes éthiques. D'autres avis ont porté sur le thème « santé médecine en prison », sur l'implication éthique des nanosciences et des nanotechnologies, à la fois dans le champ de la médecine, mais aussi dans le champ extra-médical.
Le thème des OGM sera probablement abordé dans un avis touchant à l'érosion de la biodiversité, la question étant de savoir en quoi les OGM contribuent à la biodiversité ou, au contraire, à son érosion.
La question des médicaments génériques, en tant que tels, ont été de mémoire abordés dans des avis du CCNE concernant les relations entre pays du sud et du nord à propos du thème « santé et médecine ». Indépendamment de la réduction des dépenses publiques induite par les médicaments génériques, une discussion internationale a porté sur le fait que les pays ne pouvant payer les droits sur les brevets de retour sur investissement ne pouvaient disposer de médicaments antisida, alors que l'accès aux génériques constituait pour ces pays une question vitale. Cela ne concernait d'ailleurs pas que le sida.
De mémoire, les questions d'utilisation des génériques dans nos pays n'ont pour l'instant pas été abordées, mais le champ est extrêmement large. Notre réflexion est en partie contrainte par les saisines que nous recevons, que nous ne choisissons pas. C'est la contribution que nous apportons à la collectivité. Le nombre de sujets que nous pouvons traiter hors saisine est forcément limitatif. Nous évoquons régulièrement un certain nombre d'entre eux, mais nous n'avons pas le temps de les approfondir pour le moment.
Comme vous le disiez, il existe des données scientifiques. Certes, un comité consultatif d'éthique doit dépasser l'expertise, mais celle-ci est indispensable. Cela soulève aussi des questions juridiques, épistémologiques, éthiques. Quand on approfondit un sujet, celui-ci revêt de multiples dimensions, et il existe un certain nombre de sujets que nous n'avons pas traité jusqu'à présent.
En ce qui concerne les génériques produits dans notre pays, il me semble que la variation porte sur les excipients, et non sur la molécule thérapeutique. Un certain nombre d'interrogations ne concernent donc pas le fait que la molécule active n'est pas la même, mais le fait que les excipients qui l'accompagnent sont différents. Ceux-ci peuvent donc avoir des effets, bénéfiques ou non, indépendamment de la molécule thérapeutique elle-même. La voie d'administration, ce que l'on ajoute au médicament pour faciliter son assimilation, n'est pas forcément identique. C'est une question très générale : dans une molécule active, qui est un médicament, quelle est la part de ce qui n'est pas le médicament ? Cette part est-elle importante ou non ?
M. Philippe Leroy. - Sans s'appesantir sur ce sujet, je n'ai pas la conviction que cela ne porte que sur les excipients et les interactions avec les molécules princeps. Je suis presque convaincu, même si cela reste à démontrer, que la molécule princeps n'est pas obligatoirement la molécule qui a fait l'objet de toutes les recherches. C'est là un détail technique.
Il semble que vous jouissiez en fait d'une grande liberté dans vos auto-saisines. En définitive, le choix de celles-ci semble dépendre des sensibilités scientifiques, éthiques, et philosophiques de vos membres.
M. Jean-Claude Ameisen. - Bien sûr. Les auto-saisines sont les questions éthiques que le CCNE, a tort ou à raison, dans sa formation plénière, considère comme suffisamment importantes pour conduire à l'élaboration d'un avis. C'est donc évidemment contingent de la période et de la composition du comité.
J'ai omis de préciser que le comité est renouvelé par moitié tous les deux ans. Il existe donc toujours une mémoire et un renouvellement constant. Sur la durée, on constate une très grande continuité, non pas tant dans les conclusions que dans la façon d'élaborer le questionnement.
Lorsque nous avions élaboré - nous étions rapporteurs, Alain Cordier et moi-même - un avis sur l'embryon avant la révision de la loi de bioéthique de 2011. C'était, si ma mémoire est bonne, le septième avis du CCNE sur ce sujet. Nous avons trouvé une très grande cohérence, indépendamment des variations, dans la façon de poser les questions et de s'interroger. Ce renouvellement permet donc une certaine diversité, due au fait que les connaissances et l'époque changent, mais aussi au fait qu'une culture s'est instituée dans le CCNE, même si elle est inconsciente, qui fait que nous prenons en compte la manière dont nos prédécesseurs se sont interrogés pour essayer d'apporter quelque chose de nouveau.
Un dernier mot à propos des médicaments génériques. Je pense que ce sont les mêmes que les princeps ; ce n'est pas parce qu'ils sont élaborés par des laboratoires différents, dans des pays différents, que le principe actif n'est pas le même. Seuls les excipients changent. Quant aux produits qui ne sont pas fondés sur une structure chimique bien nette, il existe en effet toute une série de variations.
M. Pierre-Yves Collombat. - Je voudrais revenir sur la notion d'indépendance du CCNE : elle tient tout d'abord à la modestie de son budget, mais je pense aussi à sa composition extrêmement diverse. Je suppose qu'il doit cependant exister des oppositions sur la façon de poser les problèmes : comment les gérez-vous ?
Deuxièmement, comment faites-vous la part des choses entre l'opinion publique et l'avis des spécialistes, sachant que ce qui est possible doit devenir de plus en plus licite ?
Par ailleurs, vous devez être l'objet de pressions de la part de groupes animés par certaines idéologies et également tenir compte des intérêts économiques en jeu. C'est en cela que vos avis représentent une certaine valeur. Comment gérez-vous ces contradictions ? C'est d'ailleurs, selon moi, parce que ces dernières existent que le CCNE peut être indépendant.
M. Jean-Claude Ameisen. - S'agissant de la composition du CCNE, le premier cheminement consiste à élaborer un langage commun. Ce que disent les biologistes et les médecins sur un problème médical est au départ difficilement compréhensible par les juristes, les philosophes, les mathématiciens, ou par d'autres. Ce que disent les juristes à propos d'un problème est difficilement compréhensible par les médecins, les biologistes, les philosophes.
La première étape est donc presque épistémologique : de quoi parlons-nous, à partir de ces points de vue qui viennent de pratiques professionnelles et de cultures différentes ? Il convient donc de poser la question de façon qu'elle soit compréhensible par tous.
En second lieu, nous avons pensé depuis le début qu'être condamné au consensus, c'est être condamné au plus petit dénominateur commun. C'est une situation que l'on rencontre souvent dans d'autres institutions, comme la Cour suprême, aux États-Unis. Si, en arrivant à la fin de l'élaboration de la réflexion ou des recommandations, certains membres considèrent qu'on aurait pu cheminer vers un questionnement différent, établir des recommandations différentes, ils écrivent une opinion minoritaire, qui peut être celle de plusieurs membres ou d'un seul, voire quatre opinions minoritaires différentes.
Depuis la création du CCNE, en moyenne, un tiers de nos avis comporte une ou plusieurs opinions minoritaires, les deux autres tiers qui n'en comportent pas ayant été implicitement approuvés par tous.
Depuis que j'ai accédé à la présidence, nous ne votons plus, mais les opinions minoritaires se déclarent spontanément et sont incluses dans l'avis. Nous ne sommes en effet pas représentatifs : notre force consiste à porter des regards divers.
Il est important, à mon sens, que les opinions minoritaires fassent partie de l'avis et expriment l'idée qu'il y a au moins deux façons d'aborder le problème. C'est un enseignement de plus. Lorsque le CCNE pense, à tort ou à raison, qu'il n'y a qu'une façon de considérer la question, c'est aussi un message, pour autant qu'il soit utile.
L'idée que l'on peut cheminer ensemble jusqu'au bout permet à chacun de participer, sans craindre de se sentir prisonnier, puisqu'on ne sait jamais où va conduire la réflexion transdisciplinaire.
Les avis les plus intéressants élaborés par le CCNE sont ceux où chacun finit par arriver à une opinion différente de celle qu'il avait au départ. Nous avons alors l'impression de faire oeuvre originale, puisqu'il émerge quelque chose de nouveau.
Chaque fois que nous abordons une question, la contradiction est saine, parce qu'elle démontre - au début au moins - que le problème n'est pas univoque et qu'il n'existe pas de solution a priori. Ceci aide à élaborer un avis.
Fort heureusement, tout ce qui est possible n'est pas forcément souhaitable, et notre rôle est de nous interroger sur le souhaitable, dans le souci du respect des droits fondamentaux de chaque personne. Nos réunions avec nos collègues des comités d'éthique d'autres pays nous rappellent en permanence qu'il y a plusieurs façons d'envisager le souhaitable à partir du possible. Lorsque nous nous réunissons, et que nous discutons de la fin de vie ou du début de la vie, de l'assistance médicale à la procréation, de la gestation pour autrui, nous nous apercevons que, suivant la manière de s'interroger, les traditions, la culture, les choses ne sont pas abordées de la même façon.
Vous évoquiez les groupes de pression. Nous sommes indépendants. Nous écoutons, nous réfléchissons, et nous élaborons une réflexion. Nous auditionnons tous les groupes de pression, toutes les personnes qui expriment une vision différente, mais nous ne penchons pas d'un côté ou d'un autre, en fonction de ce qui se dit. Notre but est de rendre service à la société, même lorsqu'elle ne nous écoute pas, non d'être populaires !
Depuis trente-deux ans, beaucoup d'avis du CCNE ont été acceptés par la société et transcrits presque immédiatement dans la loi, ce qui pose parfois problème, car notre mission n'est pas de nous substituer à la réflexion, mais d'aider à son développement. Je pense qu'il est bon qu'il existe un délai entre la délibération consultative et collective et les choix qui sont faits.
Parfois, les avis du CCNE ont entraîné des réponses très négatives, que ce soit de la société ou du législateur et c'est tout à fait normal. Certains avis n'entraînent aucune réaction, au point qu'on pourrait croire que le CCNE n'en a pas produit.
Ainsi, la loi Huriet-Sérusclat du 20 décembre 1988 a imposé, en France, un comité de protection des patients destinés à examiner l'équité des termes de la demande de participation à la recherche, dans le respect des personnes.
Le CCNE a relevé, au début des années 1990, que si c'était le cas pour les recherches menées par les institutions françaises en France, il n'en allait pas de même lorsque la même institution française menait une recherche dans un pays du sud, qui pouvait être dépourvu de comité d'éthique. Bien que le CCNE se soit étonné que le respect de la personne soit à configuration variable, suivant le pays dont la personne était originaire, nous n'avons enregistré aucune réaction !
Quelques années plus tard, début 2000, un nouvel avis a été émis sur le thème « santé et médecine Nord-Sud », et le CCNE a réitéré sa position. Nous n'avons pas eu plus de réactions !
Lors d'une audition, avant la révision de la loi sur la bioéthique de 2011, j'ai souligné que le CCNE estimait intéressant que figure dans la loi au moins un point mentionnant une préoccupation éthique pour les personnes ne résidant pas en France, mais touchées par nos activités. Ceci n'a pas eu plus de traduction que dans les autres cas.
Suivant les cas, les réactions sont très diverses. On nous a demandé, il y a quelques années, d'élaborer des indices de performance - ce qui est complexe, voire étrange pour le CCNE. Il était évident pour nous que le fait que des avis du CCNE soient transcrits dans la loi ou ne soient pas transcrits ne pouvait absolument pas être un indice de performance, notre seul rôle étant d'aider à la réflexion et non de nous préoccuper de savoir si celle-ci était ou non traduite dans les faits.
Nous cherchons à aider la société à réfléchir, non à lui dire ce qu'elle a envie d'entendre. Peut-être ce service est-il encore plus grand lorsque ce que nous apportons n'est pas compris ou attendu.
M. Michel Delebarre. - À vous entendre, le CCNE fonctionne bien - et c'est d'ailleurs une bonne chose. Que pouvez-vous souhaiter de plus ? Avez-vous des envies en tant que président ? Avez-vous un désir quelconque ?
Vous avez par ailleurs évoqué la concertation sur les avis concernant la fin de vie. J'ai cru vous entendre parler d'espaces régionaux de fin de vie : qu'est-ce que c'est ?
M. Jean-Claude Ameisen. - J'ai parlé d'espaces régionaux de réflexion éthique, comme celui qui existe à l'AP-HP depuis 1995, et depuis plus longtemps encore à Marseille. Le CCNE demande depuis de longues années la création d'instances régionales d'éthique qui puissent participer à la réflexion de la région, de façon complémentaire,
M. Michel Delebarre. - Travaillent-elles en liaison avec vous ?
M. Jean-Claude Ameisen. - Oui, de manière totalement informelle. Elles ont été créées très récemment. Actuellement, la plupart des régions possèdent un espace de réflexion éthique.
Lorsque nous avons organisé la conférence des citoyens, la commission Sicard avait déjà tenu des débats citoyens dans une dizaine de villes. Nous avons pensé qu'il fallait y ajouter une dimension d'états généraux, et j'ai donc expliqué aux représentants de ces espaces de réflexion éthique, que j'ai rencontrés au ministère, qu'il serait utile, dans le cadre du débat public, qu'ils animent des réflexions selon les modalités qu'ils souhaitaient. Nous avons inclus ces dernières dans notre rapport sur le débat public. Une des missions de ces espaces de réflexion éthique régionaux est aujourd'hui d'animer la réflexion éthique dans leur région.
Des souhaits, j'en ai beaucoup mais, de façon générale, j'aimerais que les institutions qui nomment les membres du CCNE aient conscience de l'importance de la diversité des regards qui le composent. Je me souviens que, lors de l'audition qui a précédé ma nomination, j'avais dit à l'Assemblée nationale et au Sénat qu'un certain nombre de disciplines comme l'économie me semblaient faire défaut. Il y en a déjà eu dans le passé. L'économie est un élément important de la réflexion éthique. Nous la considérons souvent comme une contrainte externe, parce que nous avons du mal à l'intégrer.
Il faudrait également quelques membres européens francophones, afin que la réflexion éthique, en France, ne soit pas uniquement une affaire française. Ainsi, l'un de nos membres est pour la première fois un psychiatre suisse.
Il conviendrait aussi d'intégrer des personnes appartenant à des associations de malades ou de personnes handicapées. Ce n'est pas dans les critères retenus par le législateur, mais il est bon que certaines institutions admettent que ces éléments font partie de la diversité. L'anthropologie est une discipline importante dans la réflexion du CCNE.
Il est essentiel que les institutions pensent non seulement à la qualité des personnes, qui est essentielle, à leur intérêt pour le questionnement, pour l'écoute réciproque, mais aussi à d'autres contributions. Un artiste, un peintre, un écrivain apporteraient sans doute quelque chose au CCNE sur le plan de la sensibilité. Une des forces qui permet à notre réflexion d'évoluer provient de la diversité. C'est là la qualité majeure du CCNE. Plus les regards sont divers, et plus on peut penser que l'on va élaborer un avis véritablement original.
La conférence des citoyens, sur ce plan, m'a beaucoup éclairé. Le fait que des personnes différentes, tirées au sort, sur des critères qui représentent la diversité française en termes d'âge, de localisation, de profession, de niveau d'étude, réfléchissent ensemble, ont la possibilité de dialoguer avec des personnes que nous leur proposons - puis choisissent elles-mêmes les 10 personnes suivantes -, permet un phénomène d'appropriation qui constitue l' originalité de ces réflexion.
Dans notre société, le débat qui précède les décisions est vu comme un affrontement d'idées préétablies, et puis on choisit. Et le fait que le croisement des regards permette l'émergence d'une nouvelle opinion, n'est pas encore ancré dans notre mode de fonctionnement démocratique.
Par ailleurs, depuis le procès des médecins nazis, à Nuremberg, en 1947, on considère que le fait de dépasser l'expertise et d'avoir un regard transdisciplinaire ouvert est essentiel lorsque la biologie et la médecine ne se soucent pas de procédures techniques, mais du respect des droits de la personne. .
Pourtant la médecine est une activité qui, par vocation, vise le bien de la personne. Même là, ce n'est légitime que si le regard que l'on porte dépasse le regard du médecin et permet d'appréhender l'individu dans son ensemble.
Si on le fait en France dans le domaine de l'éthique biomédicale, pourquoi est-ce que dans d'autres domaines - économie, OGM, nucléaire - considère-t-on que le plus important réside dans l'avis des experts ? Pourquoi ce qui a été considéré comme indispensable en biologie et en médecine ne devrait-il pas l'être dans les autres cas ? Pour quel motif une réunion d'experts ne bénéficierait-elle pas, pour évoquer certaines questions, de la présence de philosophes, d'anthropologues, de juristes, de sociologues ?
Le CCNE n'est-il pas l'exemple de ce qu'il conviendrait d'étendre aux autres domaines ? Doit-il rester une exception ? Notre façon d'animer la réflexion démocratique ne doit pas se limiter au champ de la biomédecine !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Vous l'aviez d'ailleurs dit devant la commission des affaires sociales en décembre dernier. Vous aviez même ajouté que les femmes étaient minoritaires dans le CCNE. Je ne suis pas très féministe, mais quand même !
M. Jean-Claude Ameisen. - Si je le répète ici, c'est parce que je pense que le législateur peut avoir une réflexion importante dans ce domaine.
Concernant la parité, la question sera réglée par l'ordonnance, mais la disparité est moins importante qu'on peut le croire, puisqu'on compte dix-sept femmes et vingt-trois hommes. Si on excepte les personnes nommés pour leur appartenance aux principales familles philosophiques et spirituelles, qui ont tendance à être majoritairement des hommes, on est quasiment à parité.
M. Jean-Louis Tourenne. - Les sollicitations dont vous êtes l'objet émanent d'un certain nombre d'organismes, et je suppose que certaines sont plus impératives que d'autres. Quelles sont les exigences dont vous êtes l'objet ? Quelles sont les commandes que le CCNE doit honorer, et celles que vous avez la faculté d'accepter, de rejeter ou de différer ?
Deuxièmement, je sais que cela n'a pas dû se produire, mais que se passerait-il si vous n'étiez pas saisis d'un projet de loi concernant la bioéthique ? Cela remettrait-il en cause la loi elle-même, au motif que la procédure n'a pas été respectée ?
Par ailleurs, que deviennent les avis que vous avez formulés ? Quelles formes prennent-ils lorsque vous les avez exprimés ? Sont-ils suivis d'effet ou non ?
Enfin, il est nécessaire que vos avis conjuguent la maîtrise scientifique, la sociologie - avec toutes les réactions humaines, les dérives et les perversions que cela peut comporter - et la faculté de lire dans le marc de café ou la boule de cristal. Vous êtes sans doute, tous ensemble, capables de maîtriser l'ensemble des connaissances techniques à un moment donné, mais cela devient difficile lorsqu'on essaye d'imaginer l'inimaginable, et ce que la société ou certains vont en faire. Comment procédez-vous pour essayer de pallier les risques éventuels ? Avez-vous des méthodes particulières pour ce faire ?
M. Jean-Claude Ameisen. - Nous essayons de traiter les saisines de la meilleure façon qui soit. Nous espérons qu'un trop grand nombre n'arrivera pas au même moment. Nous le faisons en fonction du calendrier qui nous a été demandé et du temps nécessaire pour arriver à une élaboration qui nous paraisse satisfaisante. Nous ne pouvons rendre dans les temps quelque chose que nous considérons comme inutile. Souvent, nous dépassons même les délais. Le but, c'est d'aider, et pas spécialement de respecter les délais.
Il existe toujours une priorité des saisines sur les auto-saisines, et ce pour une raison simple : si nous sommes saisis, c'est que le Parlement, le Gouvernement, ou une institution estiment qu'il y a urgence. Nous considérons nos auto-saisines comme importantes, mais elles passent après les saisines. Le seul cas où nous pourrions ne pas répondre, c'est si nous considérions que le sujet est hors du champ de compétences du CCNE.
Certains avis ont été suivis d'effet immédiat ou à terme ; d'autres ne l'ont pas été ; certains sont suivis d'effet très longtemps après. Le premier avis du CCNE, en 1984, qui a été suivi de plusieurs autres, recommandait avant la première loi relative à la bioéthique de 1994 une autorisation de recherche sur l'embryon et les cellules embryonnaire en raison d'un raisonnement éthique assez simple : si l'embryon est détruit pour des raisons qui n'ont rien à voir avec la recherche, mais avec la médecine, cela poserait un problème éthique de ne pas tirer de connaissances en termes de recherche à partir d'un acte dont on a décidé qu'il était acceptable.
Ce raisonnement, bien qu'il ait été développé de manière différente, n'a pas changé pendant des années au Comité, mais cela ne fait qu'un an et demi environ que le Parlement a adopté une loi en ce sens. On pourrait considérer que c'est efficace parce que le législateur a pensé que la façon de raisonner du CCNE était bonne. On peut estimer que c'est totalement inefficace puisqu'il a fallu 30 ans, mais ce n'est pas ainsi que l'on peut juger de l'utilité du CCNE. On peut le faire que si l'un de ces avis a permis d'enrichir la réflexion, de faire émerger des questions nouvelles, de s'apercevoir de la complexité de problèmes que l'on n'avait pas cernés, et de trouver une solution qui aurait peut-être été différente s'il n'y avait pas eu d'avis du CCNE.
Le service que nous rendons consiste à apporter des éléments qui aident à la réflexion et à la prise de décision. C'est en cela que je considère que nous sommes utiles.
Vous avez employé le terme de « boule de cristal » ; mais il n'en existe pas. Tout ce que l'on peut faire, c'est s'appuyer sur le passé pour essayer de se projeter dans l'avenir. Le CCNE le fait. Il est frappant - et nous l'avons écrit - que l'on ne considère le problème que lorsqu'il se pose, sans jamais l'anticiper. Dans un avis de 2007, portant sur un test génétique néonatal très particulier, nous avons considéré que les questions dont nous étions saisis seraient bientôt obsolètes du fait du prochain séquençage total du génome et, toutes les dispositions que le législateur a prévues sur le conseil génétique, le consentement libre et informé s'effaceraient, qu'il étant temps de réfléchir à ce qui allait devenir la routine.
Lorsque nous nous sommes penchés sur la question de la recherche sur l'embryon, nous avons pensé qu'il n'était pas utile d'émettre de recommandation, le CCNE ayant déjà rédigé six avis dans lesquels il recommandait les recherches. Nous avons écrit, il y a quatre ou cinq ans, qu'un des problèmes éthiques majeurs, à terme, ne serait pas celui de l'utilisation des cellules embryonnaires pour la recherche, mais de la conception d'un embryon à partir de cellules de la peau. Nous essayons de souligner non seulement les problèmes d'aujourd'hui, mais ce que pourraient être les problèmes de demain, avant qu'ils ne se posent.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Ces échanges nous amènent tous à beaucoup d'humilité.
Vous avez évoqué des recherches sur les cellules souches embryonnaires : celles-ci ont fait l'objet d'une proposition de loi que j'ai déposée, qui a été adoptée à la majorité par le Sénat, puis reprise par mon groupe à l'Assemblée nationale. J'ai le regret de vous dire que vos avis n'y ont été strictement pour rien ! Cela ne signifie pas qu'ils sont inutiles, mais il faut aussi que vous l'entendiez. J'ai déposé ce texte parce que j'étais convaincu que c'était une nécessité, et qu'une loi de bioéthique interdisant la recherche sur les cellules souches embryonnaires n'était guère positive pour notre République. Ce ne sont pas vos avis qui y ont contribué, je vous le dis.
Le législateur reçoit tellement d'avis de comités ou de hautes autorités qu'il lui est difficile de les absorber. Certains ne nous sont d'ailleurs jamais envoyés, et l'on nous dit de les consulter sur un site Internet ! Nous allons auditionner quarante-deux AAI : s'il faut que chaque parlementaire épluche les sites Internet de chacune de ces brillantes instances, cela va être compliqué ! Ce n'est pas pour vous saper le moral que je le dis : c'est une réalité !
Je n'ai aucun doute sur la qualité de celles et ceux qui, depuis Jean Bernard, appartiennent au CCNE, pas plus que je n'aie d'inquiétudes sur votre indépendance, même si vous êtes logé par le Premier ministre et que votre budget en dépend. Toutefois, onze membres du CCNE sont nommés directement par des ministres, et cinq par le Président de la République. Ne convient-il pas d'envisager une évolution ?
Vos avis sont extrêmement intéressants, bien documentés et s'acharnent à faire la part des choses sur l'état des recherches ; encore faut-il que l'on puisse davantage les utiliser dans la vie législative.
Vous avez évoqué les instances éthiques régionales, en relation, à Paris, avec l'AP-HP. Le professeur Capron, président de la commission médicale d'établissement de l'AP-HP est extrêmement chagriné - et je le suis totalement dans ce domaine - par l'utilisation de « thérapies » alternatives au sein de l'AP-HP, et par le fait qu'un certain nombre de diplômes relatifs à ces activités soient délivrés par les facultés de médecine. Considérez-vous qu'il soit de votre ressort d'émettre un avis sur ce sujet ?
M. Jean-Claude Ameisen. - L'espace éthique régional de l'AP-HP a été le premier espace éthique qui a servi de modèle à la proposition d'espaces de réflexion éthique régionaux. Nous n'avons pas de liens privilégiés, pas plus qu'avec les autres espaces de réflexion éthique.
Oui, cela entre dans le champ de nos réflexions. Un des sujets que nous évoquons souvent parmi ceux que nous pensons importants de traiter, c'est celui du médicament et des autres procédés médicaux qui ne sont pas des médicaments. Ce qui est de l'ordre de thérapeutiques alternatives pose des tas de questions, dont celle de leur remboursement par l'assurance maladie, qui constitue une particularité de notre pays. Ce pourrait être un sujet de réflexion parmi d'autres. Encore faut-il que les avis que nous produisons soient lus...
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Pour préciser ma pensée, je souhaite que vos avis soient davantage diffusés, sans que l'on ait à les rechercher !
M. Jean-Claude Ameisen. - Je suis d'accord avec vous. Quand nous pensons que les avis ont une certaine importance, nous donnons une conférence de presse. En général, la presse les mentionne, mais ce qu'elle reprend ne reflète pas toujours ce que nous avons dit...
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Nous avons l'habitude !
M. Pierre-Yves Collombat. - C'est le contraire qui serait étonnant !
M. Jean-Claude Ameisen. - Dans certains domaines, comme la fin de vie, je pense que nous avons été entendus par une grande partie de la société. Les deux nouveaux droits concernant les malades et les personnes en fin de vie, que nous avions demandés dans notre avis 121, sont présents dans la proposition d'Alain Claeys et Jean Leonetti. Comme vous le disiez, c'est peut-être une coïncidence, indépendamment de l'élaboration de notre réflexion.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Alain Claeys est membre de l'OPECST.
M. Jean-Claude Ameisen. - Nous avons également des relations avec l'OPESCT. Discuter devant les différentes commissions du Parlement est pour nous extrêmement utile : c'est une façon de diffuser notre réflexion auprès des assemblées.
M. Pierre-Yves Collombat. - Je voudrais revenir à votre idée d'inclure des économistes dans le CCNE.
J'ai relevé ce que vous avez dit à propos de votre avis concernant l'expérimentation des médicaments dans des pays exotiques : le silence était la réponse de certains milieux économiques. Dès lors qu'il existe des enjeux économiques forts, il vaut mieux ne pas parler de ce qui fâche !
C'est l'un des obstacles à la diffusion et à la prise en compte de vos avis, qui sont ce que l'on peut faire de mieux en la matière. On est cependant loin de l'idée selon laquelle le CCNE peut être une forme accomplie de la démocratie !
M. Jean-Claude Ameisen. - Un des points qui a une dimension économique majeure, qui ne nous a jamais échappé, et sur lequel nous insistons dans chacun de nos avis, c'est le temps nécessaire à la consultation entre le patient et le médecin, qu'il s'agisse de la tarification à l'activité, de la fin de vie, ou de la consultation lors du don du sang. L'un des problèmes majeurs, c'est le manque de temps de dialogue entre le patient et le médecin, et ce temps, c'est de l'argent qui n'est pas comptabilisé, puisque seul l'acte technique est pris en compte. C'est un des exemples où cette dimension économique presque évidente nous apparaît comme un problème éthique rémanent.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Merci beaucoup.
La réunion est suspendue pour un court instant à 17 heures 30.
Audition de M. Jean Gaubert, Médiateur national de l'énergie
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - La commission d'enquête poursuit son travail sur les autorités administratives indépendantes (AAI) en recevant M. Jean Gaubert, Médiateur national de l'Énergie.
Le Médiateur national de l'Énergie a été créé par la loi du 7 décembre 2006 relative au secteur de l'énergie dans la perspective de l'ouverture à la concurrence des marchés du gaz naturel et de l'électricité. Il a pour mission d'informer les consommateurs et de recommander des solutions aux litiges avec les fournisseurs d'électricité ou de gaz naturel et, depuis la loi du 15 avril 2013 également avec les gestionnaires de réseaux de distribution d'électricité ou de gaz naturel.
Votre audition ouverte au public et à la presse fait l'objet d'une captation vidéo et d'un compte rendu publié en version papier et sur le site Internet du Sénat.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean Gaubert prête serment.
M. Jean Gaubert, Médiateur national de l'énergie. - Merci Madame la Présidente. Je ne m'arrêterai pas sur les origines de la création du Médiateur national de l'énergie, intervenue en 2006 alors que se préparait l'ouverture des marchés. Je commencerai mon propos en rappelant plusieurs spécificités du mandat de médiateur de l'énergie. D'une part, ce mandat de six ans est irrévocable et permet à son titulaire de disposer d'une pleine et entière liberté, dont il ne faut bien évidemment pas abuser. J'ai succédé en novembre 2013 à mon collègue ancien député M. Denis Merville, lequel avait remplacé M. Jean-Claude Lenoir qui assume désormais les fonctions de président de votre commission des affaires économiques.
La compétence initiale du médiateur concernait les litiges en matière de contrats de gaz de réseau et d'électricité. Elle a été élargie, par la loi du 15 avril 2013 dite loi Brottes, aux litiges de fourniture et en particulier de réseaux, et concerne désormais les petites et moyennes entreprises, qui font moins de deux millions d'euros de chiffres d'affaire et emploient moins de dix salariés, ainsi que les copropriétés et les collectivités. En outre, le projet de loi de transition énergétique devrait élargir les compétences du médiateur à l'ensemble des litiges de consommation d'énergie et inclure certaines sources qui n'étaient jusque-là pas couvertes par la médiation. Concomitamment, une directive sur la médiation, qui devrait être transcrite par ordonnance en juillet prochain, impose que celle-ci concerne l'ensemble des secteurs de la consommation. Une telle perspective a conduit à l'élargissement de nos compétences plutôt que ne soient créés de nouveaux médiateurs. À cet égard, j'ai pu constater, Monsieur le Rapporteur, que vous vous alarmiez du nombre de médiateurs qui ont été créés au fil du temps.
Trois axes de travail nous guident. L'information des consommateurs tout d'abord en répondant à quelque 1,5 million de consommateurs par an dont les questionnements sont divers. Nous avons ainsi lancé le seul comparateur d'offres qui soit totalement indépendant et sommes joignables par tous les modes de communication.
La médiation ensuite à travers 14.500 sollicitations qui nous ont été adressées l'année dernière et ont abouti à 2.301 recommandations. Toutes les sollicitations ne sont pas évidemment recevables et nous avons ré-adressé une grande partie vers d'autres acteurs, comme le Défenseur des droits. Nous avons d'ailleurs la possibilité d'interroger les opérateurs afin de vérifier qu'ils ont bien été, au préalable, interrogés par les consommateurs qui nous saisissent et qu'ils ne leur ont pas donné satisfaction et ce, avant de réinterroger directement les consommateurs. Une fois cette démarche opérée, nous poursuivons l'instruction d'environ 20% des requêtes qui nous ont été transmises par les consommateurs.
Nous exerçons enfin un rôle d'observatoire de l'efficience du marché qui n'est pas totalement mature et dans lequel se développent des pratiques qui ne sont pas acceptables. Il est de notre rôle de dénoncer de tels agissements, soit en publiant des recommandations génériques destinées à plusieurs opérateurs ou en entrant dans un dialogue direct avec eux, qui ne s'avère pas toujours constructif. L'exemple du recours sur factures est à cet égard éclairant : conformément à la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, celui-ci peut être exercé sur deux ans, mais les lois sur l'énergie imposent à l'opérateur, d'arrêter une facture sur une base annuelle. Nous avons incité, en vain, les opérateurs à se conformer à cette dernière obligation et il nous a fallu, à l'occasion de nos auditions auprès des commissions des finances des deux assemblées, exposer de telles difficultés qui furent réglées par le législateur lequel a arrêté une période de quatorze mois. La périodicité des évaluations, requises pour la fixation des montants perçus, par les opérateurs, par prélèvement automatique, est aussi un problème impliquant également l'intervention du législateur. En outre, les trente et une anomalies figurant dans les contrats des opérateurs d'énergie, que nous avions identifiées, ont également été confirmées par la Commission des clauses abusives. Il nous est ainsi possible de dénoncer certaines pratiques et d'inciter à y mettre fin ! Lorsque j'étais parlementaire, j'ai souvent regretté qu'il faille passer par le Parlement pour régler ce genre de difficultés.
S'agissant de notre rapport au Parlement, nous sommes invités par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale à présenter notre rapport, ce qui ne se fait pas au Sénat ! Je serai totalement disposé à venir présenter ce rapport devant les sénateurs tant il est normal que le législateur soit informé de nos activités.
Notre budget, en réponse à votre questionnaire, s'élève, pour l'année 2014, à 5,8 millions d'euros, qui ont été dépensé à hauteur de 97 %. Ce budget était en baisse par rapport à l'année précédente de 10 %. Cet année, l'effort de baisse qui est le nôtre est de l'ordre de 2 % et je sais gré à mon prédécesseur d'avoir été extrêmement rigoureux. Nous rationalisons nos dépenses au maximum ! Mais nous sommes hébergés sur le même site que la Commission de régulation de l'énergie et, même si nous profitons d'une réelle mutualisation des moyens, nous participons, au prorata des surfaces que nous occupons, aux coûts générés par l'obligation de la sécurité qui est celui de cette autre autorité administrative indépendante. Une implantation distincte dans un quartier plus éloigné nous permettrait sans doute de réaliser d'autres économies, mais nous ferait perdre en mutualisation. C'est à apprécier.
Nos effectifs représentent, pour l'année 2015, 41 équivalents temps plein (ETP). Notre budget est d'ailleurs arrêté par le Ministère du Budget, à l'issue d'une concertation impliquant les ministères en charge de l'écologie et de la consommation.
Enfin, la contribution au service public de l'électricité (CSPE) et la contribution au service public du gaz (CSPG) assurent notre financement. Pour mémoire, le produit de la CSPE s'élève au total à plus de 6 milliards d'euros.
M. Jacques Mézard, Rapporteur. - Je vous remercie, Monsieur le Président. Quel est l'intérêt pour le Médiateur national de l'énergie d'être une autorité administrative indépendante ? Est-ce donc en définitive l'usager qui contribue à votre fonctionnement lequel, je le rappelle, représente un budget de près de six millions d'euros ? Celui-ci a-t-il déjà fait l'objet de contrôle, que ce soit par la Cour des comptes ou par les commissions des finances du Parlement ?
M. Jean Gaubert. - Notre budget est arrêté par Bercy qui en assure, ipso facto, le contrôle. D'ailleurs, la Cour des comptes nous a contrôlé il y a un an et demi et, comme je vous le disais précédemment, l'Assemblée nationale nous auditionne chaque année. Nos comptes sont également certifiés par un commissaire aux comptes ; une telle démarche ne s'imposait pas puisque nous disposions déjà d'un receveur des finances, mais nous avons souhaité tout de même le faire.
La nomination du médiateur national de l'énergie procède d'une démarche commune aux Ministères de la consommation et du budget, puisqu'il se trouve à la croisée de leurs compétences. Quel est l'intérêt d'être une autorité administrative indépendante ? Je ne connais pas d'autres systèmes pour étayer ma réponse, mais l'indépendance représente un avantage indéniable. D'autres médiateurs existent en France et le débat qui a ponctué la création de cette nouvelle autorité administrative indépendante a été vif, comme en témoignent les réactions du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) de l'époque. L'indépendance permet d'identifier des difficultés et de soulever des problèmes qui n'arrangent pas toujours les opérateurs, lesquels ne nous apprécient pas beaucoup. Mon rôle, comme médiateur national, s'avère distinct de celui des associations de consommateurs, en ce qu'il consiste également à constater les dysfonctionnements des opérateurs. Ainsi, de nouveaux opérateurs sur le marché posent déjà un certain nombre de problèmes, s'agissant notamment du démarchage des clients à domicile, et ce, dans les quartiers populaires. Nous avons d'ailleurs dénoncé publiquement ces pratiques agressives qui s'exercent au détriment des consommateurs.
M. Jacques Mézard, Rapporteur. - Qu'en est-il de vos relations avec les autres autorités administratives indépendantes, comme la Commission de régulation de l'énergie ? Puisqu'une mutualisation des moyens existe déjà, comme vous l'avez indiquée, celle-ci peut-elle conduire à la fusion des autorités elles-mêmes ? Compte tenu de l'état de vos relations avec la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) d'une part, de la Commission des clauses abusives, d'autre part, et enfin du Défenseur des droits auquel vous renvoyez un grand nombre de vos saisines, sur quel fondement comptez-vous défendre la demande d'élargissement de vos compétences que vous exprimiez dans votre rapport annuel de 2013 ? Loin de contribuer à la rationalisation du paysage administratif, une telle demande ne concourt-elle pas plutôt à son foisonnement ?
M. Jean Gaubert. - Je serai précis. Notre position en matière de collectage des données de consommation individuelles diffère de celle de la CNIL.
M. Jacques Mézard, Rapporteur. - Pourquoi une telle divergence de fond sur cette question ? D'ailleurs, la saisine concomitante de plusieurs AAI sur une même question n'améliore guère la lisibilité de l'action administrative. Monsieur le médiateur, vous avez-vous-même été député et vous partagez certainement ce constat !
M. Jean Gaubert. - Notre AAI est un apporteur d'idées pour les autres. Ainsi, nous sommes en mesure de déployer une approche plus technique sur les données que celle de la CNIL et nous ne souhaitons pas demeurer cloitré dans un seul domaine ! Nous sommes d'ailleurs à l'origine des propositions de la Commission des clauses abusives et sans notre travail, jamais cette commission n'aurait été en mesure de publier ses travaux ! Par ailleurs, le Défenseur des droits nous adresse également des dossiers et puisque le législateur a encadré nos compétences, nous préférons envoyer à cette instance les dossiers que nous ne sommes pas en mesure de traiter plutôt qu'au médiateur inter-entreprises ! Nous avons donc un rôle d'aiguillage !
Nos relations avec la CRE sont bonnes. Mais gare à la tentation de rassembler des personnels, issus de divers organes dont on procède à la fusion, au sein d'entités uniques destinées à réaliser des économies de gestion ! Une telle démarche ne rencontre que rarement le succès attendu, à l'instar de ce qui se produit dans les collectivités territoriales. D'ailleurs, la CRE assume des obligations en matière de sécurité et de confidentialité qui ne sont pas les nôtres. L'idée d'une fusion entre la CRE et le Médiateur national de l'énergie a d'ailleurs été examinée par le Doyen Patrice Gélard qui en avait avant tout souligné les inconvénients ! En outre, les compétences de la CRE concernent les relations avec les industriels et demeurent par trop distinctes de nos propres compétences !
De manière plus prosaïque, les salaires versés dans notre autorité administrative indépendante s'avèrent plus bas qu'à la CRE !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, Présidente. - Ceux-ci, en moyenne, sont tout de même de l'ordre de 70.000 euros annuels !
M. Jean Gaubert. - À qualité égale, nos personnels touchent en moyenne mensuelle de 500 à 1.000 euros de moins qu'au sein de la CRE.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, Présidente. - Quel profil ont-ils ?
M. Jean Gaubert. - Ce sont de jeunes juristes qui souvent nous quittent pour recevoir, dans d'autres structures comme les opérateurs de réseaux, un salaire supérieur.
M. Jacques Mézard, Rapporteur. - Trouvent-ils un autre emploi auprès des fournisseurs ?
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, Présidente. - Votre autorité administrative emploie-t-elle de nombreux stagiaires ?
M. Jean Gaubert. - Nous avons accueilli, à titre exceptionnel, un stagiaire pendant une durée de cinq mois. La quasi-totalité des personnels sont employés sur des contrats à durée déterminée, dont la durée va de un à trois ans. Certains bénéficient d'un contrat à durée indéterminée. Nous vous adresserons la liste des salaires versés et vous constaterez, à sa lecture, que la fusion de notre Autorité avec la CRE ne saurait être justifiée par un quelconque avantage financier !
M. Jacques Mézard, Rapporteur.- L'argument financier ne saurait être reconnu comme décisif pour légitimer le regroupement des AAI. Certaines associations de consommateurs justifient le recours au pouvoir régalien de l'État, c'est-à-dire au juge, en soulignant les limites de la médiation !
M. Jean Gaubert. - Les dossiers que nous traitons relèvent du juge pénal, mais leur immense majorité concerne des sommes peu élevées, allant de 1.000 à 5.000 euros, et la médiation permet de décharger la justice ! Cependant, selon certaines de nos recommandations, le consommateur est incité à requérir le juge. Ce sont ainsi une vingtaine de jugements qui ont été rendus l'an passé et qui ont confirmé ce que nous proposions, voire, dans certains cas, sont même allés au-delà de nos préconisations. Nous avons donc une certaine utilité dans ce domaine !
M. Jacques Mézard, Rapporteur. - Vous assumez, nous avez-vous dit, une mission d'information auprès des consommateurs. La facture d'électricité est-elle devenue plus lisible depuis votre création ? Avez-vous fait évoluer les choses de manière probante ?
M. Jean Gaubert. - J'en suis conscient et je lis, comme tous nos concitoyens, ma facture d'électricité ! Mais le Médiateur national de l'énergie n'a pas compétence en la matière ! Nous sommes arrivés après et ce que vous dénoncez comme un symptôme relève du démantèlement du système qui existait auparavant. Nous n'avons d'ailleurs pas de moyens à consacrer à la communication, même si, en 2010, la seule campagne de communication que nous ayons lancée et qui représentait du reste à elle seule l'équivalent de notre budget de fonctionnement, soit cinq millions d'euros, avait pour but de nous faire connaître auprès du grand public ! Nous organisons des « info-consos », lors de la pause méridienne, sur les chaînes locales, mais nous ne disposons pas de moyens supplémentaires pour informer le consommateur. Dès lors, il lui incombe de nous demander des informations, s'agissant notamment de la rédaction de ses factures d'électricité !
M. Jacques Mézard, Rapporteur. - Que pensez-vous de la déclaration de la Secrétaire d'État à la consommation qui s'est exprimée, le 19 mai dernier, en faveur de la généralisation de la médiation à tous les secteurs d'activité ?
M. Jean Gaubert. - Une telle déclaration implique de s'interroger sur les médiations des entreprises elles-mêmes. À ce sujet, le Conseil d'État devra statuer. Que le médiateur national de l'énergie ait un avis différent de celui des entreprises sur cette question me paraît normal. Une convention devrait d'ailleurs être passée quant à la méthode à suivre, mais nous veillerons à ce que les règles en soient respectées.
M. Jacques Mézard, Rapporteur. - Êtes-vous en mesure de répondre aux nouvelles exigences du législateur si la loi sur la transition énergétique étend votre compétence à tous les domaines de l'énergie ? Avez-vous réalisé des projections s'agissant de vos moyens pour répondre à une évolution ?
M. Jean Gaubert. - Il nous faudra innover, surtout si nous demeurons à budget et effectifs constants. L'extension de nos domaines de compétence est possible, si la contribution des opérateurs concernés est redéfinie. Certes, dans les secteurs où l'énergie est prépayée, il n'y aura, au final, que peu de médiation. Mais cette augmentation de la contribution sera, en définitive, moins lourde pour les opérateurs que s'ils devaient, par eux-mêmes, assurer un service analogue au nôtre.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, Présidente. - Pourquoi votre autorité administrative indépendante n'est-elle pas financée sur des crédits budgétaires ?
M. Jean Gaubert. -On estime qu'il incombe au consommateur d'assurer notre financement.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, Présidente. - Ce que vous énoncez ne me paraît nullement un gage d'indépendance. La proposition du Sénat, en première lecture du projet de loi relatif à la transition énergétique était de revenir à un financement budgétaire classique vous concernant !
M. Jean Gaubert. - Le fait que nous soyons sous l'égide de Bercy est le gage d'une gestion rigoureuse ! D'ailleurs, nous avons accepté la baisse de notre budget de 2% cette année ; cette baisse touchant également notre masse salariale !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, Présidente. - Une telle démarche n'est pas logique ! Le financement de votre mission doit dépendre de sa conduite et non de la facturation forfaitaire !
M. Jean Gaubert. - Je m'abstiendrai de répondre !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, Présidente. -- Vous êtes ordonnateur et ne disposez d'aucun contrôle a priori de la dépense !
M. Jean Gaubert. - A l'instar d'une collectivité territoriale ! Notre budget, je vous le rappelle, a été arrêté par le Ministère du Budget.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, Présidente. - Vous êtes ordonnateur et le contrôle de vos dépenses s'effectue a posteriori. Vos recettes proviennent de la facturation et font l'objet d'une décision dans le cadre de crédits budgétaires. Une telle situation s'avère très inconfortable !
M. Jean Gaubert. - Le Ministère du Budget nous a octroyé une part de la CSPE et notre agent vise nos comptes. Une telle démarche contribue à notre sincérité budgétaire !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, Présidente. - La question n'est pas là ! C'est une question de principe !
M. Jean Gaubert. - Que fallait-il faire de plus ? S'il nous fallait bénéficier de crédits budgétaires affectés et ainsi transiter par les arcanes de l'État, aurions-nous gagné en souplesse ? À cet égard, je me souviens d'un débat lorsque je siégeais encore à l'Assemblée nationale et où nous avions voté le transfert de 450 millions d'euros du Fonds d'amortissement des charges d'électrification (FACÉ) à un compte d'affectation spéciale. Au final, aucune collectivité n'a reçu d'argent, du fait des contrôles auxquels un tel transfert avait donné lieu !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, Présidente. - Demeure tout de même le contrôle du Parlement !
M. Jean Gaubert. - Plutôt celui de l'Assemblée nationale, à vrai dire !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, Présidente. - Il s'agit plus, en l'occurrence, d'une présentation de votre rapport annuel d'activités que d'un contrôle à proprement parler !
M. Jacques Mézard, Rapporteur. - Chaque année, vous négociez avec Bercy la part de CSPE qui vous revient et l'issue de cette négociation est essentielle pour le financement de votre fonctionnement. Et vous prétendez être une autorité indépendante, alors que vous êtes, de ce fait, soumis au Ministère du Budget !
M. Jean Gaubert. - Nous n'avons pas éprouvé de pressions particulières de la part du Ministère du Budget. Loin de porter un quelconque jugement sur les solutions alternatives que vous proposez, j'attire cependant votre attention sur la nécessité d'obtenir, dans le fonctionnement des pouvoirs publics, plus de fluidité. Par ailleurs, un financement sur dotation budgétaire poserait des problèmes statutaires aux personnels dont les salaires ne seraient plus assurés.
M. Jacques Mézard, Rapporteur.- Les autres autorités administratives indépendantes, dont les financements sont différents du vôtre, n'éprouvent pas les problèmes que vous venez de décrire !
M. Jean Gaubert. - Je vous livre ma perception des choses, mais ne peut nullement commenter d'autres systèmes que celui dont bénéficie le Médiateur national de l'énergie.
M. Philippe Leroy. - Pourrions-nous obtenir une typologie des 15.000 saisines qui sont les vôtres ? Il s'agit ainsi de mieux comprendre l'utilité de votre AAI dont le travail porte sur des sujets communs à d'autres instances analogues, sans paraître pour autant se croiser !
M. Pierre-Yves Collombat. - Le Médiateur national de l'énergie a été créé pour faire fonctionner un système qu'on estime concurrentiel, mais qui s'avère en fait profondément oligopolistique. Vous me semblez en effet incarner le faire-valoir d'un système critiquable !
M. Jean Gaubert. - Je n'ai pas d'opinion à formuler à ce sujet. Je formulerai cependant quelques remarques. Le système antérieur remplissait ses obligations et avait comme spécificité la présence des opérateurs sur l'ensemble du territoire. À l'époque, le relèvement des compteurs électriques pouvait s'apparenter à une sorte de médiation. Désormais, le système est beaucoup plus complexe, tandis que son bénéfice pour le consommateur demeure incertain. Vous avez, certes, le droit de formuler un jugement politique sur ce système devenu complexe et présentant une diversité d'opérateurs, dont les comportements doivent être canalisés. Les opérateurs ERDF et GRDF ont supprimé leurs propres releveurs de compteurs, dont la formation était reconnue et permettait de détecter rapidement les anomalies, voire les fraudes, en confiant leurs tâches à des industries de main d'oeuvre sans réelle qualification. Bien souvent, les fraudes constatées renvoient, certes à la responsabilité du fraudeur lui-même, mais aussi à celle de l'opérateur qui ne met plus en oeuvre les moyens nécessaires à leur détection en temps et en heure. De tels exemples abondent et reflètent l'évolution du marché.
Nous sommes chargés d'une mission de service public encadrée par la loi et nous rejoignons, en matière de protection du consommateur s'agissant, en ce qui nous concerne, de la conservation des données des compteurs individuels, les préoccupations de la CNIL, dont j'ai rencontré la directrice. Je lui ai proposé des solutions pour renforcer le dispositif de protection dont bénéficie le consommateur.
En ce qui concerne la typologie de nos saisines, nous avons à votre disposition un grand nombre de statistiques. Mais conscient du volume de rapports que vous recevez chaque année, nous avons choisi de vous adresser un résumé d'une quarantaine de pages et de vous permettre, le cas échéant, de télécharger l'intégralité du rapport d'activités, qui sera disponible la semaine prochaine et qui contient déjà une typologie relativement complète.
M. Philippe Leroy. - Ma question était de savoir si votre Autorité administrative indépendante était utile ou pas ! Vous venez d'évoquer le précédent rôle d'EDF qui assurait tout ! Dans le système parcellisé que vous nous avez décrit, ERDF et GRDF semblent avoir externalisé leur service-après-vente et il semble que vous en soyez en partie chargé !
M. Jean Gaubert. - Nous sommes plutôt chargés du contrôle de ce service après-vente !
M. Philippe Leroy.- Pas tout à fait ! Un médiateur fait tout, et point n'est besoin, me semble-t-il d'une autorité administrative indépendante spécifique, pour le remplacer ! D'ailleurs, en admettant que votre AAI soit requise pour résoudre les problèmes d'explication des achats et des ventes, ne faut-il pas laisser, en définitive, au tribunal le soin de régler les litiges ?
M. Jean Gaubert. - Une autorité indépendante me paraît avant tout nécessaire et la médiation indépendante permet d'échapper aux vicissitudes qui caractérisent les médiations d'entreprises. L'indépendance me paraît essentielle !
M. Pierre-Yves Collombat. - Mais ce système n'est nullement concurrentiel !
M. Michel Canevet. - Vous assurez la médiation entre les producteurs et les distributeurs d'énergie. Des dispositifs de médiation similaires existent-ils dans le secteur de l'eau et des télécoms ? Ne faudrait-il pas, en définitive, les regrouper sous l'autorité d'une seule instance médiatrice.
M. Jean Gaubert. - Nous ne sommes pas compétents pour les litiges avec les producteurs, et Dieu sait qu'il y en a beaucoup ! D'ailleurs, les grands opérateurs parrainent les petites entreprises dont la longévité s'avère extrêmement courte et ce, au détriment des consommateurs. J'aurais souhaité que le Parlement rende responsable celui qui, en assurant le parrainage, encaisse les certificats d'économie d'énergie ! Dans le secteur de l'eau, on trouve une médiation inter-entreprises assurée par les sociétés privées. D'ailleurs, cette dernière est plus performante que la simple médiation d'entreprise et s'avère beaucoup plus répandue au Royaume-Uni, avec près de 550 médiateurs contre 41 en France. Je reste, pour ma part, persuadé que les petites structures fonctionnent mieux que celles d'une taille plus imposante.
M. Jacques Mézard, Rapporteur. - Cette audition a eu le mérite de nous faire avancer sur les questions du financement et du regroupement des AAI. Ce débat était important et je remercie notre intervenant pour ses réponses directes.
La réunion est levée à 18 h 48.
Mercredi 10 juin 2015
- Présidence de Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente -La réunion est ouverte à 14 heures 35
Audition de M. Bruno Genevois, président de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Nous recevons M. Bruno Genevois, président de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) depuis le 1er octobre 2010. Notre commission d'enquête procède à l'audition de toutes les autorités administratives indépendantes (AAI) identifiées grâce aux travaux de notre ancien collègue Patrice Gélard. Sept d'entre elles sont des autorités publiques indépendantes (API) dotées de la personnalité morale. C'est le cas de l'AFLD. Quelles sont les spécificités de ce statut et son intérêt ? Je rappelle que cette audition est publique et donnera lieu à enregistrement et à compte-rendu.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Bruno Genevois prête serment.
M. Bruno Genevois, président de l'Agence française de lutte contre le dopage - Je suis honoré et heureux d'être auditionné par votre commission d'enquête.
L'AFLD a été créée comme API par la loi du 5 avril 2006 relative à la lutte contre le dopage et à la protection de la santé des sportifs, mais la lutte contre le dopage est antérieure à cette loi, et n'est pas circonscrite à la France. Antérieurement, la loi du 1er juin 1965 a instauré une répression exclusivement pénale du dopage, qui n'a pas donné de bons résultats ; la loi du 28 juin 1989 a introduit des sanctions administratives en sus des éventuelles sanctions pénales ; la loi du 23 mars 1999, enfin, a créé le Conseil de prévention et de lutte contre le dopage auquel a succédé en 2006 l'AFLD.
En parallèle s'est développée une réglementation internationale, qui se caractérise par la coexistence de deux types de normes : une convention internationale classique, élaborée sous l'égide du Conseil de l'Europe, signée le 16 novembre 1989 et ratifiée par 52 États dont la France, et une convention de l'Unesco du 19 octobre 2005, ratifiée par 178 États, qui se réfère aux principes du Code mondial antidopage élaboré par l'Agence mondiale antidopage (AMA), fondation de droit privé suisse née en 1999 et administrée conjointement par les gouvernements et le mouvement sportif. Une troisième version du Code est en cours de transposition dans le droit français, avec la loi adoptée le 30 décembre 2014 qui habilite le gouvernement à procéder à cette transposition par ordonnances.
L'AFLD compte de nombreux atouts dans la lutte antidopage, résultant du rôle joué par les pouvoirs publics pour prolonger et amplifier les efforts du mouvement sportif dans la lutte contre la tricherie. En vertu d'une jurisprudence du Conseil d'État de 1974, l'organisation du sport en France est une mission de service public qui se traduit par un cadre juridique judicieux. Les choix opérés par le législateur avec les lois du 23 mars 1999 et du 5 avril 2006 se sont révélés, à l'usage, bienvenus. L'existence même d'une API en charge de la lutte contre le dopage doit être approuvée car elle n'est pas soumise à l'autorité politique du ministre et est indépendante du mouvement sportif : elle agit dans le cadre défini par la loi.
La composition du collège de l'Agence, conforme aux équilibres choisis par le législateur dès 1999, reflète le caractère pluridisciplinaire de la lutte contre le dopage, avec neufs membres issus de trois catégories - des juristes du Conseil d'État et de la Cour de cassation, des scientifiques et des médecins, des représentants du monde sportif - parfois assistés d'un dixième membre spécialiste du dopage animal.
Le législateur a voulu privilégier la répression administrative - l'interdiction faite au sportif de participer à des compétitions sportives - plutôt que la répression pénale, longue à mettre en oeuvre et réservée à la lutte contre les trafics. Cette compétence disciplinaire a été définie avec soin ; elle est subsidiaire et complémentaire de celles des fédérations sportives agréées. Si le sportif fait l'objet de prélèvements litigieux, il passe devant les instances fédérales qui doivent statuer dans les quatre mois, à peine de dessaisissement au profit de l'AFLD. Celle-ci peut évoquer un dossier si l'instance fédérale est jugée trop clémente ou trop sévère, afin d'harmoniser la répression du dopage quelles que soient les disciplines. Elle est compétente pour les sportifs non licenciés comme pour étendre une sanction fédérale à des fédérations omnisports. Elle rend ses décisions en matière disciplinaire dans un délai raisonnable de quatre mois, et dans le respect des droits de la défense.
L'AFLD est en outre dotée de moyens d'action conséquents. Sur le plan administratif, l'Agence regroupe différentes entités complémentaires : le département des contrôles (sanguins ou urinaires) ; le département des analyses avec le laboratoire de Châtenay-Malabry, un des 33 centres accrédités par l'AMA ; la cellule médicale examinant les demandes d'autorisation d'usage à des fins thérapeutiques ; la section juridique préparant l'activité disciplinaire ; les services horizontaux de coordination.
Nos effectifs ne sont pas pléthoriques car nous avons des relais à l'échelon local, avec trois cents préleveurs agréés et assermentés, et nous nous appuyons sur les services déconcentrés du ministère des sports, via une convention passée à cet effet.
Sur le plan financier, nous disposons d'un budget de 9 millions d'euros, financé à hauteur des neuf dixièmes par une subvention d'origine budgétaire ; en comparaison, le budget de l'AMA se monte seulement à 28 millions de dollars. À la suite des mesures de surgel et de mise en réserve des crédits qui ont affecté quelque peu notre action, nous essayons, dans un contexte budgétaire contraint, de poursuivre nos missions - tout en étant conscients de nos limites.
La lutte actuelle contre le dopage s'inspire des conclusions du très intéressant rapport de la commission d'enquête du Sénat de juillet 2013. Le code du sport privilégie des modes de détection directe du dopage qui peuvent prêter à interprétation ou à interrogation. Il convient donc de prolonger ces modes traditionnels de détection : la mise en évidence, dans le sang ou les urines, d'une substance interdite par la législation antidopage, inscrite sur une liste établie par l'AMA chaque année et avalisée par un décret du président de la République publié au Journal officiel.
Quand le prélèvement débouche sur un rapport d'analyses anormales, il est transmis à l'AFLD, qui agit comme une véritable autorité. Le sportif peut demander un échantillon B ou apporter une justification thérapeutique, que nous examinons avec la plus grande précaution.
Nous observons une tendance à la baisse du nombre de contrôles positifs, ce qui signifie soit que l'action de l'AFLD est plus efficace, soit que les tricheurs utilisent désormais des microdoses très en amont des compétitions sportives et quasiment indétectables.
Nous essayons, avec l'aide des pouvoirs publics, de compléter le dispositif par des possibilités d'intervention complémentaire. Certaines recommandations de la commission d'enquête sénatoriale ont été suivies d'effets : la réorganisation à l'échelon territorial des contrôles, avec des conseillers interrégionaux antidopage ; l'échange de renseignements entre administrations pour mieux cibler les contrôles ; la mise en place effective de commissions régionales de lutte contre les trafics, réorganisées par un décret du 26 juin 2013. Le démarrage fut un peu lent mais nous avons observé un frémissement dans la période récente.
Nous promouvons des modes de détection indirecte, conformément à la demande de l'AMA, à savoir le passeport biologique du sportif - dénommé profil biologique dans la loi française - pour mettre en évidence la prise de substances interdites à partir de plusieurs prélèvements sur un même athlète au cours d'une année et mieux appréhender ses effets. Ainsi, l'augmentation anormale de globules rouges peut sous-entendre la prise d'EPO.
Le collège de l'AFLD a pris des initiatives relayées par le Parlement. Conformément aux recommandations de l'AMA, nous avons préconisé dans une délibération du 27 octobre 2011 l'instauration de ce mode de détection, et bénéficié d'un vecteur législatif avec une proposition de loi, enrichie au Sénat par un amendement du rapporteur Jean-Jacques Lozach, devenue la loi du 12 mars 2012 qui a instauré le profil biologique. Un comité de préfiguration, que je présidais, rassemblant des scientifiques, des parlementaires et le monde du sport, a rendu un rapport en juin 2013. L'Agence a rédigé les avant-projets de décrets d'application, adoptés par son collège le 4 juillet 2013 ; les pouvoirs publics ont repris ces mesures dans les deux décrets du 27 décembre 2013 mettant en place le module hématologique du profil biologique, qui permet de détecter des autotransfusions sanguines ou la prise d'EPO.
À la suite de recommandations de l'AMA, nous avons préparé un autre avant-projet de décret, adopté par le collège le 3 décembre 2014, mettant en oeuvre le module stéroïdien du profil biologique, pour détecter la prise d'anabolisants. Le ministre des sports s'est hâté lentement et a transmis en mars le projet de décret au Conseil d'État, qui a rendu un avis favorable le 19 mai ; nous espérons donc une publication prochaine.
Associé à l'élaboration de l'ordonnance autorisée par la loi du 30 décembre 2014, le collège a rendu un avis circonstancié le 23 avril 2015 sur la base de la saisine du 10 mars, et le Conseil d'État a été saisi le 28 mai.
J'espère vous avoir convaincus qu'il y a une place pour une autorité publique indépendante en matière de lutte contre le dopage, mais qu'elle ne peut prétendre faire cavalier seul : nous devons coordonner notre action, à l'échelle nationale avec le ministre et les fédérations sportives, et au niveau mondial avec les fédérations internationales et l'AMA. « Unissons nos efforts plutôt que de nous critiquer mutuellement », disait le directeur de l'AMA. L'AFLD s'inscrit harmonieusement dans le cadre du statut d'API et d'AAI définie par la proposition de loi du doyen Gélard et du président Sueur, à une ou deux nuances près.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Je vous remercie. Vous avez été secrétaire général du Conseil constitutionnel, président de section du Conseil d'État, vous êtes un éminent représentant de la haute fonction publique. Quel est votre sentiment sur la multiplication des AAI ?
M. Bruno Genevois - De manière générale, il convient d'éviter la multiplication des AAI afin de ne pas vider les administrations traditionnelles de leur substance. Il faut y regarder à deux fois avant d'en créer, mais ensuite jouer pleinement le jeu. C'est le mode de raisonnement adopté il y a plusieurs années par le Conseil d'État pour la création des établissements publics, accusés de démembrer l'État : si l'administration traditionnelle est à même de faire face à cette tâche, inutile de créer un organisme nouveau. Si la création est jugée nécessaire, il faut déterminer un statut et lui donner toutes les chances de réussite.
Ensuite, il convient de raisonner AAI par AAI, au cas par cas, pour savoir si elles répondent à l'attente du législateur qui les a créées. J'ai lu votre proposition de résolution qui juge les AAI insuffisamment contrôlées. Ce n'est pas le cas de l'AFLD : il y a eu la commission d'enquête sénatoriale sur l'efficacité de la lutte contre le dopage et, plus récemment, un contrôle comptable et de gestion de la Cour des comptes, à laquelle nous avons fourni plus de cinq mille pages de documents. En tant que président de l'AFLD, je trouve tout à fait normal de répondre aux sollicitations de la Cour des comptes, qui assiste le Parlement dans sa mission de contrôle, comme de répondre aujourd'hui à vos questions.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Vous n'avez pas tout à fait répondu à ma question. Quelle est votre opinion sur la multiplication des AAI ? On en répertorie 42, soit une chaque année depuis la création de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil).
M. Bruno Genevois - Cela doit être examiné au cas par cas. La Cnil, créée par la loi du 6 janvier 1978, répond à un besoin ; avoir une instance régulatrice de l'audiovisuel indépendante du politique est une bonne chose ; l'Autorité de la concurrence joue un rôle très important dans la mise en oeuvre des politiques de la concurrence. Je comprends l'inquiétude du Parlement sur cette prolifération mais dans le cas d'espèce, l'AFLD répond à l'utilité de la lutte contre le dopage.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Nombre d'AAI comptent dans leur collège des membres du Conseil d'État, de la Cour de cassation, de la Cour des comptes. Nous avons nous-mêmes l'habitude du cumul - même si d'aucuns souhaiteraient le supprimer. Si l'on multiplie encore les AAI, ces grands corps pourront-ils faire face ?
M. Bruno Genevois - Le statut du Conseil d'État prévoit que les fonctions non juridictionnelles peuvent être exercées par des membres du corps en activité ou honoraires, ce qui est mon cas. Je me consacre pleinement à la présidence de l'Agence. Plus généralement, il n'est pas absurde de rechercher des personnes ayant une expérience administrative et une tradition d'indépendance. Si le choix du vice-président du Conseil d'État porte sur un membre du corps s'intéressant au sport depuis longtemps, ce n'est pas plus mal !
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Je vous félicite pour votre habileté.
M. Bruno Genevois - Vous pouvez m'interroger sur le Tour de France, la Coupe du monde, les championnats d'athlétisme : ces domaines ne me sont pas étrangers.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Je n'en doute pas, vous avez des compétences dans de nombreux domaines !
Jusqu'à quel point êtes-vous indépendant, quand votre budget dépend à 90% de l'État ? Comment est discutée cette subvention ? Vous nous avez dit que l'Agence a rédigé les avant-projets de décrets d'application...
M. Bruno Genevois - Oui, pour gagner du temps, car selon une jurisprudence du Conseil d'État datant de 1960 - arrêt Martial de Laboulaye - on est dispensé de la consultation d'un organisme si ce dernier prend l'initiative de la mesure ; et le 11° du I de l'article L. 232-5 du code du sport prévoit que l'AFLD est consultée sur tout projet de loi ou de règlement relatif à la lutte contre le dopage. Présidant le comité de préfiguration institué par l'article 5 de la loi du 12 mars 2012, j'ai veillé à la bonne marche des travaux et, au terme de ceux-ci, j'ai rédigé - je suis membre du Conseil d'État - un avant-projet de décret approuvé par le collège, repris par le ministère des sports, examiné par la Cnil et validé par le Conseil d'État. C'est un supplément d'efficacité, me semble-t-il.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Merci de votre réponse, absolument parfaite. J'entends votre profonde conviction de grand serviteur de l'État, mais vous évoquez là un fonctionnement sur lequel le législateur pourrait s'interroger un jour.
Vous nous avez rappelé la nécessité de créer une AAI dans votre secteur, mais avez repris le laboratoire de Châtenay-Malabry. Qu'apporte une AAI par rapport à ce que peut faire l'État, dont vous dépendez presque totalement budgétairement ?
M. Bruno Genevois - Le Code mondial antidopage cite la notion d'organisation nationale antidopage (ONAD). Une agence comparable à l'AFLD a été créée en Allemagne en 2002 ; ses maîtres mots, répétés à l'envi à l'occasion de son dixième anniversaire, sont Unabhängigkeit (indépendance) et Finanzierung (financement). L'agence britannique a la particularité de disposer de compétences non seulement de contrôle mais aussi de renseignement. Nous développons des liens avec ces agences, avec des échanges de stagiaires, des symposiums, et sommes réunis par le bureau Europe de l'AMA. Grâce à cette unité dans la lutte antidopage, nous diligentons des contrôles lors des compétitions nationales - pour les compétitions internationales, le Code mondial antidopage donne compétence aux fédérations internationales. Nous avons un département des analyses - ce laboratoire accrédité, groupement d'intérêt public devenu établissement public administratif, qui participe à la personnalité morale de l'Agence - et nous supervisons les actions disciplinaires des fédérations sportives, qui restent en première ligne dans la lutte contre le dopage, en harmonisant les sanctions.
Nous devons coopérer avec les autres intervenants. Quand j'ai diligenté le premier rapport d'activité, j'ai utilisé le terme de « coopération loyale », emprunté au vocabulaire de l'Union européenne. J'ai ainsi signé des conventions avec le ministère des sports, l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique dépendant de la gendarmerie nationale et la Direction des douanes. Cette unité d'action permet une plus grande visibilité et une plus grande efficacité de l'action ; je ne suis pas sûr qu'un bureau au sein de la Direction des sports puisse en faire autant.
En revanche, l'Agence doit poursuivre le dialogue. La politique de prévention est davantage l'apanage du ministère des sports, en liaison avec les fédérations agréées via des contrats d'objectifs ; j'ai des relations avec le mouvement sportif et j'organise chaque année des journées sur la lutte antidopage avec la commission médicale du Comité national olympique et sportif français (CNOSF). Je n'ai pas le sentiment de ne pas respecter les termes de la loi du 5 avril 2006.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Quelle différence faites-vous entre API et AAI ? Que vous apporte la personnalité juridique ?
M. Alain Richard. - Pouvez-vous faire l'exercice contraire et nous dire ce qui se passerait si les sanctions administratives de l'Agence étaient directement signées par le ministre des sports et instruites par ses services sous son autorité ? L'autorité et l'impartialité de ses décisions seraient-elles accrues ?
M. Bruno Genevois. - Notre personnalité morale distincte de l'État nous donne des possibilités supplémentaires, comme celle de bénéficier de recettes affectées. Mon prédécesseur, Pierre Bordry, militait pour l'augmentation de la taxe perçue sur les droits de cession des retransmissions des grandes compétitions sportives, dite « taxe Buffet », instaurée par la loi de finances de décembre 1999, et pour l'affectation d'une partie du produit à l'AFLD. Le Conseil d'État avait rendu un avis favorable sur cette disposition, adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale mais ensuite supprimée par un amendement du gouvernement lors de l'examen au Sénat. Certains ont cru y voir une pression du monde du football... Lorsqu'elle était ministre des sports, Mme Chantal Jouanno était favorable à cette idée, mais ses successeurs ne l'ont pas reprise. Le statut d'API offre donc des virtualités, même si elles n'ont pas encore été concrétisées.
Cher Alain Richard, la loi de juillet 1989 n'a reçu quasiment aucune application. Alors que le ministre exerce un pouvoir disciplinaire sur ses agents, l'AFLD dispose d'un pouvoir de sanction plus légitime envers un tiers à l'administration, se substituant quasiment au juge pénal. Il lui faut donc répondre à une exigence d'impartialité. Même si en droit interne, l'AFLD est un organisme administratif, elle est, dans ses fonctions disciplinaires, un tribunal au regard de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme comme un tribunal et doit à ce titre répondre aux conditions d'un procès équitable.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Je suis toujours gêné quand j'entends que l'État pourrait ne pas être impartial... Mon vieux fond jacobin, sans doute !
M. Bruno Genevois. - L'appréciation de la notion d'impartialité est variable, y compris dans la jurisprudence du Conseil d'État et du Conseil constitutionnel.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - ...que je ne citerai pas par coeur. Existe-t-il des recours contre les sanctions ?
M. Bruno Genevois. - Un recours de pleine juridiction devant le Conseil d'État est possible, c'est une garantie pour les sportifs, mais le taux de recours relativement faible prouve que les décisions sont en général bien acceptées. Le Conseil d'État a pu annuler certaines décisions pour vices de procédure, comme un délai insuffisant de communication du dossier par rapport à la date de réunion du collège, mais la Cour des comptes a jugé que le fonctionnement disciplinaire était satisfaisant. Je dirai pour ma part : très satisfaisant !
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Des décisions ont-elles été annulées depuis que vous êtes président ?
M. Bruno Genevois. - Oui, sur l'inscription de sportifs dans le groupe cible. Nous avions interprété les textes comme conférant cette compétence au directeur des contrôles, alors que le Conseil d'État a déduit d'une ordonnance du 14 avril 2010 modifiant l'article L 232-15 du code du sport que cette compétence devait être exercée par le collège, et nous a censuré par son arrêt Belhomme du 10 octobre 2012.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Bien sûr !
M. Jean-Léonce Dupont. - Je ne reviens pas sur le problème de la monoculture de ces AAI - qui ne remet nullement en cause la qualité des personnes - même si cela reste pour nous un sujet d'interrogation.
Derrière l'indépendance se posent des questions de financement, et derrière la personnalité juridique existent des capacités de contrôle différentes. Vous avez été contrôlé au travers d'une commission d'enquête parlementaire, dites-vous, mais celles-ci ne sont pas régulières. La vraie question est celle du contrôle régulier des AAI et API, notamment par le législateur. Un statut de service à compétence nationale (SCN), permettant un contrôle plus facile et plus répétitif du Parlement, n'aurait-il pas été plus approprié ?
M. Gérard Cornu. - Des manifestations sportives se tiennent dans tous les pays du monde, or tous n'ont pas une agence nationale antidopage. Comment les choses se passent-elles dans ce cas ?
Quels sont les rapports de l'AFLD avec l'AMA ? Une agence nationale n'est-elle pas trop étriquée ? Pourquoi ne pas créer une agence européenne ?
M. Pierre-Yves Collombat. - Je suis toujours étonné que l'État soit tenu comme plus partial que ceux qu'il nomme. Ma question est un peu naïve - vous savez, je suis churchillien en matière de sport : « no sport ». Vous avez justifié le rôle de l'AFLD par la mission de service public que remplit le sport. Vu de l'extérieur, on a le sentiment que coexistent deux univers sportifs : celui des vrais amateurs, et celui de l'usine à fric du sport spectacle de plus ou moins bonne qualité avec des enjeux financiers considérables. Que venons-nous faire dans cette affaire ? S'agit-il de tenter de faire croire que ces compétitions sont des modèles d'honnêteté et de probité, histoire que le sport-spectacle ne perde pas trop de sa valeur ? Compte tenu des volumes financiers en jeu, la question est importante.
M. Bruno Genevois. - Ces questions sont toutes très intéressantes. N'ayant pas réfléchi spécialement aux services à compétence nationale, je peux difficilement répondre à cette interrogation.
Chaque année, dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances, le secrétaire général de l'Agence et moi-même rencontrons le rapporteur spécial de la mission dont relèvent nos crédits, ainsi que le rapporteur pour avis de la commission compétente. C'est l'occasion d'échanger sur les activités de l'Agence. Mme Marie-George Buffet, rapporteure pour avis de l'Assemblée nationale pour la mission Sport, le fait avec bonheur. Je suis ouvert au débat et ai souvent été auditionné. Je conçois parfaitement que le Parlement veuille exercer son droit de regard. Nous élaborons chaque année un rapport d'activité, qui est remis au Parlement.
Dans d'autres pays, les apparences sont parfois flatteuses : la convention de l'Unesco relative à la lutte contre le dopage rassemble 178 États représentant 96% de la population mondiale, mais les efforts accomplis sont très inégaux selon les pays et les disciplines. Parmi les 32 ou 33 laboratoires d'analyses accrédités par l'AMA, 18 se trouvent en Europe, 2 en Afrique... La lutte contre le dopage suppose de lutter contre le trafic de substances illicites, or seuls 70 États répriment pénalement ce type de trafic... Raison supplémentaire pour une agence nationale de donner le bon exemple, et de prendre le monde du sport au mot. Lorsqu'il n'y a pas d'agence nationale, ce sont les fédérations sportives qui font leur propre police, mais parfois dans des conditions peu satisfaisantes.
Lors de la Coupe du monde de football en Afrique du Sud, 100 000 dollars ont été dépensés pour 256 contrôles avant la compétition, et une somme équivalente pour autant de contrôles pendant la compétition : ce n'est pas à la mesure de l'évènement. Nous devons rappeler à l'AMA et au mouvement sportif qu'ils doivent être non seulement croyants en matière de lutte antidopage, mais aussi pratiquants !
L'AMA a cette grande vertu de pouvoir coordonner les efforts en matière de recherche ou de rassembler les savoir-faire. Les avant-projets de décret sur le profil biologique du sportif s'inspirent de ses lignes directrices.
Une agence européenne ? En référence à la convention du 16 novembre 1989, nous essayons, au sein du Conseil de l'Europe, de dégager des vues communes pour peser davantage auprès de l'AMA ; c'est Mme Valérie Fourneyron qui représente le Conseil de l'Europe au sein de son comité exécutif.
La notion d'impartialité répond à la neutralité du service public, mais l'impartialité exigée d'un juge ou d'un organisme doté d'un pouvoir de répression est d'un niveau plus exigeant, car on raisonne en fonction d'éléments objectifs mais aussi subjectifs : voyez l'évolution de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Il y a donc des degrés, même si, comme vous, je suis très attaché à la continuité, la neutralité et l'impartialité de l'État.
Vous m'avez également interrogé sur la mission de service public liée à l'hétérogénéité des sports. Cette objection avait été formulée en 1974 devant le Conseil d'État par un membre de la juridiction - à l'époque nommé improprement commissaire du gouvernement - qui avait estimé qu'il n'était pas possible de reconnaître le caractère de service public de l'organisation du sport du fait de son hétérogénéité, opposant les professionnels aux amateurs. L'avantage, à mes yeux, est que cela permet un droit de regard de l'État, y compris lorsque l'argent est présent. Je dois pouvoir dialoguer avec la Fédération française de football mais aussi avec la Ligue. Je vais d'ailleurs recevoir des représentants des groupements professionnels pour débattre de la lutte antidopage.
M. Pierre-Yves Collombat. - J'en viens à me demander si vous n'êtes pas indispensable pour faire croire à la fiction des compétitions, alors qu'il ne s'agit que de spectacles qui rapportent beaucoup d'argent ?
M. Bruno Genevois. - Il faut prendre en compte deux aspects dans la lutte contre le dopage : d'abord, l'impératif de santé publique, tant lors des compétitions qu'à l'entraînement. En second lieu, il faut défendre l'éthique du sport et donc éviter que la compétition entre athlètes devienne une lutte entre laboratoires fabriquant des substances permettant l'amélioration artificielle de performances.
Nous nous appuyons sur la loi française et contrôlons aussi bien les compétitions amateurs que professionnelles. Nous avons ainsi contrôlé les joueurs de la dernière finale de la Coupe de la Ligue l'an passé et de la Coupe de France cette année. Aucun domaine n'est à l'abri des contrôles, quels que soient les moyens et les enjeux financiers. Une agence indépendante n'a pas peur d'intervenir.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - À quelle fréquence se réunit le collège ?
M. Bruno Genevois. - Les membres sont nommés pour une durée de six ans et sont renouvelés par tiers tous les deux ans. Deux mandats successifs sont possibles, la proposition de loi prévoyant qu'un membre remplaçant un autre pour un mandat de moins de deux ans peut être nommé pour un nouveau mandat. En ce qui me concerne, je cesserai mes fonctions à l'expiration de mon mandat.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Lorsque je remets les coupes de la course des As, j'attends le résultat des contrôles antidopage - qui n'ont pas lieu tous les ans. Qui en décide ?
M. Bruno Genevois. - Le collège de l'Agence définit chaque année un programme de contrôles, en respectant l'équilibre entre sports individuels et collectifs. Dans ce cadre, le directeur du département des contrôles détermine la stratégie des contrôles, de façon bien évidemment confidentielle. En outre, nous laissons un quota de contrôles aux échelons régionaux et interrégionaux. Les commissions régionales permettent un échange d'information entre les diverses administrations de l'État pour mieux cibler les contrôles.
M. Jean-Louis Tourenne. - Le nombre de contrôles positifs régresse, avez-vous dit, parce que les tricheurs disposent de techniques de plus en plus difficilement détectables. Vous avez ajouté qu'il convenait de mener des contrôles indirects, plus en amont. Mais les tricheurs continueront à tricher, car qui dit compétition dit argent : comment l'Agence peut-elle anticiper sur la recherche médicale ?
Vous avez laissé entendre que les sanctions administrées par l'Agence sont justes parce qu'elles sont acceptées. Cette relation de cause à effet ne me semble pas évidente : l'acceptation d'une sanction peut simplement signifier qu'elle est jugée modérée. L'Agence n'est-elle pas trop indulgente ?
M. Bruno Genevois. - Le dopage organisé est en recul et nous rendons la tâche toujours plus difficile aux tricheurs. L'AMA, en liaison avec le ministère des sports, a organisé à l'Assemblée nationale le 12 novembre 2012 un colloque regroupant les grands laboratoires pharmaceutiques et les acteurs de la lutte antidopage afin d'inciter les premiers à faire connaître aux laboratoires accrédités par l'AMA les médicaments en cours d'élaboration contenant des substances considérées comme dopantes, afin que ceux-ci puissent élaborer des méthodes de détection. Ce travail repose sur le volontariat : les laboratoires peuvent toutefois y avoir intérêt pour lutter contre le marché noir. Je regrette que le laboratoire de Châtenay-Malabry n'ait eu à connaître que de deux substances.
Les sanctions sont-elles justes ? Les décisions du collège sont jugées légales par le Conseil d'État. J'agis dans le cadre de la loi, ce qui ne signifie pas que le collège soit laxiste. D'ailleurs, un certain nombre de sportifs contestent nos conclusions, mais leurs requêtes sont écartées. Le 5 mai dernier, un sportif contrôlé à l'EPO et évincé des Jeux olympiques de Londres a vu sa requête rejetée par le Conseil d'État. Nous nous référons aux critères du Code mondial antidopage mais il n'y a pas d'automatisme absolu des condamnations, car ce serait contraire au droit français : nous tenons compte des circonstances.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Faut-il créer une AAI pour lutter contre le travail dissimulé, avec un collège composé de représentants de la haute fonction publique, du Medef et de la CGT ?
M. Bruno Genevois. - En matière de travail dissimulé, nous disposons des conventions de l'OIT qui confèrent une totale indépendance aux inspecteurs du travail, reconnue d'ailleurs par l'arrêt du 4 novembre 1966 du Conseil d'État statuant au contentieux. A priori, misons sur l'inspection du travail et augmentons ses effectifs. Je ne recommanderai donc pas en l'état de créer une AAI dans ce domaine puisque l'indépendance est déjà assurée.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Je vous remercie pour cette réponse qui ne me satisfait pas totalement.
Nous avons en mémoire l'annonce, tardive, du dopage de grands seigneurs du Tour de France. Avez-vous agi ? Dans certains sports, en dépit des efforts, le dopage semble être une constante...
M. Bruno Genevois. - Le Tour de France est une manifestation internationale qui, d'après l'article 15 du Code mondial antidopage, relève de la fédération internationale. Cette dernière peut agir seule mais aussi, par voie de convention, avec une agence nationale. Celle-ci peut en outre demander à effectuer des contrôles supplémentaires, même pour une compétition internationale. Si la fédération internationale n'est pas d'accord, on sollicite l'arbitrage de l'AMA. Depuis que je suis président, l'Agence a recherché un accord avec l'Union cycliste internationale, conformément aux préconisations faites le 6 novembre 2010 par les experts de l'AMA qui avaient supervisé le Tour de France 2010. Nous l'avons perfectionné d'année en année : ainsi les contrôles n'ont pas lieu seulement pendant le Tour mais aussi en amont, grâce à la localisation des sportifs et à l'échange d'informations entre l'Agence nationale et la fédération internationale sur le profil biologique des sportifs. Nous prévoyons des contrôles aussi inopinés que possible pendant le Tour. Nous avons également demandé à la Fondation antidopage dans le cyclisme, qui relève de l'Union cycliste internationale, d'annoncer la conservation des échantillons prélevés pour des analyses ultérieures afin qu'elles bénéficient des progrès de la technique, sur le modèle de ce que fait le Comité international olympique. Nous sommes en cours de discussion sur les mêmes bases avec l'UEFA dans la perspective de l'Eurofoot qui se tiendra en France l'année prochaine.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Merci d'avoir répondu précisément à toutes nos questions.
Audition de Mme Nathalie Morin, chef du service France Domaine
Puis, la commission auditionne Mme Nathalie Morin, chef du service France Domaine.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Nous recevons Mme Nathalie Morin, chef du service France Domaine, accompagnée de M. Stanislas de Champroux, chargé de mission au sein de la mission Opérations immobilières des administrations centrales et autorités administratives indépendantes. France Domaine est un service de la direction générale des finances publiques rattaché directement au directeur général dont les missions sont définies par l'article 2 du décret du 3 avril 2008. Il représente l'État propriétaire tant dans les relations internes à l'État - entre administrations ou avec les opérateurs de l'État - qu'externes, avec les occupants du domaine de l'État, les candidats à l'acquisition de biens de l'État et les prestataires de toute nature. Il a notamment en charge le suivi du plan de cession, la gestion et l'entretien des immeubles domaniaux et, plus largement, la valorisation du patrimoine immobilier de l'État. Vous avez donc en charge le suivi des AAI, mais jusqu'où porte votre contrôle ?
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Nathalie Morin et M. Stanislas de Champroux prêtent serment.
Mme Nathalie Morin, chef du service France Domaine. - Il n'y a aucune incompatibilité de fond entre les statuts des AAI et le respect par ces autorités des orientations stratégiques de la politique immobilière de l'État. Les AAI sont des autorités indépendantes, c'est-à-dire qu'elles ne sont pas soumises à l'autorité hiérarchique d'un ministre, mais, exception faite des API qui ont une personnalité juridique et des ressources propres, les AAI dépendent pour leur budget d'un ministère. L'immobilier est une fonction support ; sa gestion rationnelle et économe est pertinente pour tous. Il y a d'autant moins atteinte à l'indépendance de ces autorités que la politique immobilière de l'État intègre dans ses critères la réponse aux besoins exprimés par les occupants. Le caractère fonctionnel d'une solution immobilière est examiné de très près et est au coeur des avis que nous délivrons. Les AAI ont ainsi généralement besoin de grandes salles de réunion et, pour celles qui prononcent des sanctions, de salles d'audience. Elles sont composées de personnalités qualifiées venant d'horizons divers et l'accessibilité de leurs locaux est essentielle. Pour autant, le respect des ratios d'occupation pour le personnel et les plafonds de loyers doivent s'appliquer.
Dans la pratique, les relations entre France Domaine et les AAI sont compliquées car mal assises juridiquement. Pour ce qui est de la soumission des AAI à l'avis domanial, il faut distinguer deux cas de figure. La situation des AAI dépourvues de personnalité juridique n'est pas explicitement tranchée dans le code général de la propriété des personnes publiques (CG3P). D'après France Domaine, le CG3P et le décret de 1986 conduisent à penser que les AAI sont soumises à l'avis domanial. Celui-ci prévoit en effet que sont soumis à cet avis tous les services qui perçoivent des financements de l'État et qui font l'objet d'un contrôle budgétaire permanent de la part d'une autorité nommée par l'État. Mais ce raisonnement est fragile, car il repose sur une assimilation et le support juridique est réglementaire et non législatif.
Pour les API, la situation est plus simple : ne sont soumises à l'avis domanial que celles pour lesquelles les textes constitutifs le prévoient expressément. C'est le cas de l'Autorité des marchés financiers (AMF), de la Haute autorité de santé (HAS) ou du Haut conseil du commissariat aux comptes (H3C). Nous avions tenté en 2010, lors de l'examen d'un projet de loi portant simplification domaniale, d'étendre aux autres API la soumission à l'avis domanial, mais cette proposition n'a pas prospéré car elle risquait d'être qualifiée de cavalier législatif. Nous parlons ici d'un avis domanial simple, avant la mise en oeuvre de la politique immobilière de l'État. Cet avis ne porte que sur la conformité au prix du marché des valeurs locatives. La conformité de l'opération aux orientations stratégiques de la politique immobilière de l'État découle des circulaires de 2009, non du CG3P, et ne semble pas applicable aux AAI.
J'en viens à l'obligation de produire un schéma pluriannuel de stratégie immobilière (SPSI). Un courrier d'octobre 2011 de la ministre chargée du domaine a demandé à chaque président d'AAI de produire un SPSI. Si la portée symbolique d'un tel courrier est forte, sa portée normative l'est beaucoup moins. Sur les 38 AAI sollicitées, seules 13 ont produit un SPSI, dont certains sont très succincts.
La relation entre France Domaine et les AAI dépend donc essentiellement de la bonne volonté des présidents de ces AAI : certains ont joué le jeu, d'autres, moins. Sous l'impulsion du Parlement, des progrès significatifs ont été réalisés depuis 2010. Le rapport de Nicole Bricq sur les loyers de l'État a fait ressortir des marges de progrès pour les AAI, tant du point de vue des ratios d'occupation que des prix locatifs au mètre carré. Ces données sont actualisées tous les ans dans le cadre des questions que les parlementaires adressent à l'administration pour la préparation de l'examen du projet de loi de finances. Toutefois, ces données sont déclaratives, et France Domaine n'a aucun moyen de s'assurer de leur fiabilité.
Le parc est désormais beaucoup mieux connu grâce à l'enquête de 2011 et aux actualisations. Des actions efficaces ont été conduites sur les loyers. En 2012, France Domaine a renégocié systématiquement les baux franciliens supérieurs à 100 000 euros. Ainsi, le bail du Conseil supérieur de l'audiovisuel est passé de 575 euros le mètre carré à 431 euros. Certaines AAI ont spontanément demandé à France Domaine de les assister dans des renégociations de baux. Ainsi, le Défenseur des droits, autorité pourtant constitutionnellement indépendante, s'est rapproché de nous lors de sa création en 2012 par fusion de quatre entités : il a été décidé d'abandonner deux sites et de renégocier les baux des deux autres. En 2014, les baux du Défenseur des droits et de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) ont été renégociés par France Domaine pour aligner leur durée sur l'arrivée de ces deux autorités sur le site de Fontenoy fin 2016. Cela a permis une économie annuelle de 900 000 euros.
Même si elles ne passent pas par France Domaine, certaines AAI appliquent les orientations stratégiques de la politique immobilière de l'État : c'est le cas de l'AMF, qui a négocié seule son loyer en 2013, obtenant une diminution de 30 %. La HAS, qui est déjà sur une localisation très vertueuse, à Saint-Denis, en a fait de même en 2012. L'exigence d'économies se diffuse donc, et France Domaine se rapproche des AAI lorsqu'approche l'échéance du bail.
Des opérations de relocalisation ont été conduites : la Commission nationale des comptes de campagne est passée de l'avenue de Wagram, à 523 euros le mètre carré, à la rue du Louvre, à 400 euros. L'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), particulièrement exemplaire, a quitté Paris pour Montrouge et Fontenay-aux-Roses. Le projet Fontenoy regroupera sept AAI à la fin 2016.
Certaines AAI ne se sont pas relocalisées, non par mauvaise volonté, mais parce que les circonstances ne le permettaient pas : l'Autorité de la concurrence occupe ainsi deux immeubles locatifs dont les loyers sont très faibles et un immeuble domanial qui ne leur coûte rien. La Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) n'a pas non plus déménagé car son avenir n'étant pas assuré, il n'est pas opportun de lancer des négociations.
Les AAI qui se créent se rapprochent spontanément de nous : ce fut le cas de la Haute autorité pour la transparence de la vie politique (HATVP), que nous avons localisée rue de Richelieu, dans un immeuble déjà pris à bail par l'État où des locaux étaient vacants.
Ainsi, même si les relations ne sont pas institutionnellement cadrées, France Domaine a noué des contacts avec diverses AAI depuis 2010 pour renégocier des baux ou changer de localisation.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Les AAI sont de plus en plus vertueuses, ce qui signifie qu'elles ne l'ont pas toujours été et que certaines ne le sont toujours pas. Vous souhaitez une clarification des relations entre les AAI et France Domaine, pour mettre fin au flou juridique actuel. Pourrions-nous disposer d'un tableau de la situation foncière de chacune de ces AAI, comprenant les surfaces, les emplacements, les loyers, les ratios d'occupation ? Pourriez-vous nous parler des mauvais élèves ?
Mme Nathalie Morin. - Ce tableau existe : il a été fourni à la commission des finances de l'Assemblée nationale dans le cadre du questionnaire sur le projet de loi de finances pour 2015. Mais France Domaine ne peut garantir la fiabilité des informations...
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Ainsi, certaines informations ne correspondraient pas à la réalité ?
Mme Nathalie Morin. - Je dis simplement que nous n'avons pas été en mesure de nous assurer de la véracité de ces données. Les postes de travail des AAI sont globalement en augmentation : est-ce le reflet de la réalité ou est-ce afin de modifier le ratio d'occupation ?
Ce tableau a le mérite d'exister et de faire ressortir les loyers supérieurs aux normes acceptées par France Domaine à Paris, à savoir 400 euros le mètre carré.
J'en viens aux AAI que vous avez qualifiées de mauvais élèves. Nous avons assez peu de contacts avec l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (Araf) qui n'a pas transmis de SPSI et qui a pris à bail 750 mètres carrés dans Paris sans nous consulter, ni en amont, ni en aval. Certes, le prix au mètre carré est inférieur au plafond, mais les charges sont extrêmement élevées de sorte que le prix total est important.
L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), quant à elle, loue 27 000 mètres carrés et a refusé de transmettre un SPSI, considérant qu'elle relève de la Banque de France. Elle est locataire en centre d'affaires, solution extrêmement coûteuse, avec des loyers, charges comprises, entre 640 et 700 euros le mètre carré. Ces solutions sont habituellement réservées à de plus petites surfaces. L'enjeu est donc très important.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - L'Araf ne devait-elle pas être déconcentrée au Mans ?
Mme Nathalie Morin. - Elle a une implantation au Mans, à 130 euros le mètre carré, et une autre à Paris.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Et que dire de l'ACPR avec ses 27 000 mètres carrés !
Mme Nathalie Morin. - Je vous adresserai le tableau récapitulatif. L'ACPR dispose de deux locations, l'une au 61, rue Taitbout, d'une surface de 17 293 mètres carrés et l'autre au 53, rue de Châteaudun, de 10 549 mètres carrés.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Cela me paraît extravagant.
Mme Nathalie Morin. - On nous annonce 650 postes de travail pour la première location et 471 pour la seconde. La norme est de 12 mètres carrés de surface utile nette par poste de travail.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Ils en ont le double...
Mme Nathalie Morin. - En 2011, l'ACPR a fait répondre à la ministre par le gouverneur de la Banque de France qu'elle se considérait en dehors du champ.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - En avez-vous référé au secrétariat général du Gouvernement ?
Mme Nathalie Morin. - Non, car le gouverneur nous a dit qu'un SPSI nous serait adressé ultérieurement. Mais rien n'est venu.
Les débats ont été assez longs avec le Défenseur des droits car il voulait soit intégrer Fontenoy de façon très anticipée, fin 2014, soit prendre seul une location afin de tenir compte de l'échéance première des baux. Le directeur de cabinet du Premier ministre a tranché : le Défenseur des droits rejoindra Fontenoy dès la fin 2016, dans les conditions initiales. Nous avons donc renégocié son bail.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Fontenoy, est-ce une bonne idée ?
Mme Nathalie Morin. - Tout à fait. Les sept AAI qui y seront logées pourront mutualiser un certain nombre de fonctions supports. Ce sera une maison des libertés publiques, regroupant le Défenseur des droits, la Cnil, la Commission d'accès aux documents administratifs (Cada)...
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Les collèges des AAI se réunissent en moyenne une fois par mois. Ne pourrait-on mutualiser davantage les locaux, pour réaliser des économies ?
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Il faudrait une maison des AAI ! Plus sérieusement, prenez-vous en compte les économies d'énergie ?
Mme Nathalie Morin. - Compte tenu de notre association souvent tardive et limitée dans la négociation d'un bail, nous n'avons jamais eu à intervenir sur l'optimisation énergétique d'un bien.
M. Stanislas de Champroux, chargé de mission à la mission des opérations immobilières des administrations centrales. - Comme le Défenseur des droits reste dans ses anciens locaux durant deux années supplémentaires, nous avons demandé au bailleur de prendre à sa charge la réfection des ascenseurs et le réaménagement de certains locaux.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Des AAI ont-elles accepté des loyers largement supérieurs à la norme ?
Mme Nathalie Morin. - Ce fut le cas de l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Aeres), futur Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hceres), mais une renégociation est en cours. C'est aussi le cas de l'ACPR, de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), du Défenseur des droits - mais la situation est transitoire -, du H3C. Deux ans avant l'échéance des baux, nous signalons aux AAI qu'il conviendrait de renégocier ou de chercher une autre localisation.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Vous représentez l'État propriétaire mais ne disposez pas des outils juridiques pour imposer aux AAI votre intervention.
Mme Nathalie Morin. - En effet. Nous proposons notre assistance, mais nous ne sommes pas fondés à intervenir en opportunité, comme nous le faisons pour les services de l'État.
M. Pierre-Yves Collombat. - Les localisations sont concentrées à Paris, et même dans certains quartiers. Comment le justifie-t-on ? Il semble que les animateurs d'AAI soient issus d'un vivier assez restreint, résidant à l'intérieur d'un périmètre limité...
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Des membres du Conseil d'État, par exemple ! Les AAI n'en sont souvent pas très éloignées.
Mme Nathalie Morin. - Cette concentration est réelle. Mais même avec une assise juridique plus solide, il serait difficile à l'État propriétaire de contester la localisation d'une AAI. Il faudrait bien évaluer ses besoins, et cela risquerait d'entrer en conflit avec le principe d'indépendance de l'AAI.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - C'est au moment de la création de l'AAI qu'il faut y penser. Du reste, la diversité des AAI est totale, qu'il s'agisse du statut des membres, de la durée de leur mandat, qui peut être renouvelable ou non... Or c'est l'État qui paie, par des crédits budgétaires ou en mettant des ressources à disposition. La plupart des AAI étant créées par une loi, c'est aussi au législateur à se pencher sur la question.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Y a-t-il des AAI qui sont hors du champ de la location ?
Mme Nathalie Morin. - Certaines sont dans du domanial, c'est-à-dire qu'elles occupent des immeubles appartenant à l'État. C'est le cas de l'une des trois implantations de l'Autorité de la concurrence, de l'ASN à Fontenay-aux-Roses, de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, de la Commission nationale du débat public, de la Commission nationale d'aménagement commercial, de la Commission paritaire des publications et agences de presse et de la Commission de la sécurité des consommateurs. Le coût est alors indirect : c'est celui du coût d'opportunité de la détention par l'État d'un immeuble qui ne dégage pas de loyer.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Il s'agit de mises à disposition à titre gratuit.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Y a-t-il des AAI qui ont acheté les locaux ?
Mme Nathalie Morin. - Non, aucune n'est propriétaire de son bien.
M. Stanislas de Champroux. - Le Médiateur du cinéma est logé au sein du Centre national de la cinématographie, qui est propriétaire des murs. Il va d'ailleurs être déplacé.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Êtes-vous immédiatement informés de la création d'une AAI ?
Mme Nathalie Morin. - Par la presse ! Nous sommes vigilants. Nous avons ainsi bien noté la naissance de la HATVP, dont les critères d'implantation souples ont permis une installation peu onéreuse pour l'État et, à ce titre, exemplaire.
M. Jean-Louis Tourenne. - Le principe d'autonomie des AAI va-t-il jusqu'à leur laisser toute latitude pour choisir leur lieu d'implantation ? Elles ne décident pas de leur budget, par exemple. Leur indépendance n'est donc pas absolue, et je ne vois pas pourquoi l'État ne pourrait pas les déplacer. En quoi une AAI implantée à Bordeaux, Clermont-Ferrand, Lyon ou ailleurs serait-elle moins efficace ?
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Et moins indépendante ?
Mme Nathalie Morin. - J'ai simplement voulu dire que France Domaine n'est pas légitime pour contester les arguments d'une AAI qui fait valoir qu'elle doit être proche des juridictions parisiennes, des gares...
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Les tarifs de location ne sont pas les mêmes selon les villes, selon les arrondissements...
M. Jean-Léonce Dupont. - Selon les corps d'origine !
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Exactement. Si le fonctionnement des AAI est marqué par une grande diversité, le recrutement y est assez uniforme, et elles sont regroupées dans des lieux que certains qualifieraient de privilégiés.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - C'est au secrétaire général du Gouvernement, M. Marc Guillaume, que nous avons auditionné, qu'il revient d'intervenir. Votre rôle est plutôt celui d'un expert.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Certaines AAI vous demandent des conseils. Les suivent-elles ?
Mme Nathalie Morin. - Elles demandent conseil lorsque leur projet correspond aux critères, et qu'elles savent donc que nous le validerons, ou lorsqu'elles ont effectivement l'intention de suivre notre conseil.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - La dernière AAI à avoir été créée est le Médiateur du livre. Comment êtes-vous intervenus ?
Mme Nathalie Morin. - J'avoue que j'ignorais son existence.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Quelle est la dernière AAI dont vous ayez eu connaissance ?
Mme Nathalie Morin. - La HATVP.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - A-t-elle été transparente ?
Mme Nathalie Morin. - Absolument !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Le Médiateur du livre est un membre de la Cour des comptes. Il y est donc sans doute installé. Nous l'auditionnerons.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Douze mètres carrés devraient suffire !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Tous les membres de la Cour des comptes n'ont pas un bureau.
Mme Nathalie Morin. - En effet, les magistrats de la Cour des comptes respectent les ratios d'occupation.
M. Pierre-Yves Collombat. - J'ai été brièvement membre de la Cada. À l'époque, elle ne disposait pas de locaux en propre mais se réunissait au Conseil d'État.
Mme Nathalie Morin. - La Cada est désormais installée au 35, rue Saint-Dominique à Paris. Elle dispose de 274 mètres carrés, qu'elle partage avec d'autres AAI dépendant du Premier ministre. Toutes seront déplacées à Fontenoy, le bien sera donc bientôt complétement libéré.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Merci pour ces informations, qui nous montrent bien la diversité des AAI, dont certaines ont de leur indépendance une idée qui pose problème. Nous formulerons des préconisations.
Mme Nathalie Morin. - Tous les services et opérateurs de l'État sont régulièrement auditionnés par le Conseil pour l'immobilier de l'État (CIE) sur la mise en oeuvre de leurs schémas de stratégie immobilière. Le CIE, composé de parlementaires et de personnalités qualifiées, pourrait auditionner aussi les AAI.
M. Jean-Léonce Dupont. - Pensez-vous que des AAI pourraient avoir le statut de service à compétence nationale ?
Mme Nathalie Morin. - Je ne suis pas certaine que la définition d'un service à compétence nationale s'applique bien à leurs activités. Et cela ne changerait rien à notre problématique immobilière.
M. Jean-Léonce Dupont. - Cela renforcerait les possibilités de contrôle.
Mme Nathalie Morin. - La capacité de contrôle de France Domaine sur les implantations immobilières serait mieux renforcée par des dispositions législatives imposant de soumettre un SPSI et de recueillir un avis domanial enrichi que par un changement de statut des AAI. L'avis domanial enrichi permet en effet de se prononcer non seulement sur la conformité du loyer aux prix du marché mais aussi sur celle de l'implantation aux orientations stratégiques de la politique immobilière de l'État.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Nous créons des AAI sans nous soucier de leur encadrement. Nous devons combler cette lacune législative.
La réunion est levée à 16 heures 50.
Jeudi 11 juin 2015
- Présidence de Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente -La réunion est ouverte à 10 h 05
Audition de M. Didier Houssin, président du Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - La commission d'enquête poursuit son travail sur les autorités administratives indépendantes (AAI) en recevant M. Didier Houssin, président depuis mai 2011 de l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Aeres), devenue le Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hceres) le 17 novembre 2014. Il est aussi président du conseil d'administration de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) depuis décembre 2013.
Le rôle du Hceres est d'évaluer les établissements et organismes de recherche et leurs équipes. Cette audition a pour but de mieux en apprécier la fonction, l'organigramme et les missions, ainsi que les raisons du passage de l'Aeres au Hceres, s'il est effectif, et les différences entre ces deux entités.
M. Didier Houssin est accompagné de Mme Laurence Pinson, secrétaire générale du Hceres.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Didier Houssin et Mme Laurence Pinson prêtent serment.
M. Didier Houssin, président du Hceres. - Un mot, d'abord, de la généalogie du Hceres dont je suis le président en exercice. En 2006, l'Aeres est née du regroupement de plusieurs entités, dont le Comité national d'évaluation, créé en 1984, la Mission scientifique, technique et pédagogique (MSTP) et divers comités d'évaluation, afin de répondre aux attentes des chercheurs sur l'égalité de traitement dans l'évaluation, de donner confiance à nos partenaires européens dans le cadre du processus de Bologne, et de garantir la qualité de l'enseignement supérieur français.
Indépendante - le statut d'AAI est le plus indépendant qui soit -, cette agence est elle-même évaluée. J'en étais depuis mai le troisième président lorsqu'elle est devenue par la loi du 22 juillet 2013 le Hceres, doté du même statut et des mêmes missions. Cette transformation a été rendue effective par le décret du 14 novembre 2014, mais le conseil du Hceres n'est pas encore en place.
Le travail du Hceres est rendu public. Il porte sur mille programmes de formation et de recherche, six cents entités de recherche et cinquante établissements supérieurs par an. Le jugement qu'il rend ayant des conséquences sur l'existence et le financement des organismes évalués, il est essentiel qu'il soit impartial, ce que renforce le statut d'AAI, puisque ses membres ne sont pas révocables ni placés sous l'autorité du ministre.
Le président de l'Aeres puis du Hceres cosigne les rapports. En huit ans, l'impartialité des évaluations n'a jamais été critiquée. Aucun ministre ni directeur d'administration n'a jamais demandé la modification du rapport et la seule tentative venant d'un directeur d'établissement a été rapidement découragée. Le degré d'indépendance suffit à assurer ce respect, même si une commission des plaintes a été mise en place en 2009 pour corriger d'éventuelles erreurs.
Une première limite de l'indépendance du Hceres est qu'une AAI étant créée par la loi, elle peut être supprimée par la loi, comme cela a été le cas de l'Aeres - c'est le jeu de la démocratie. Une deuxième tient à ce que le Hceres s'appuie beaucoup sur le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. Une AAI à laquelle l'État coupe les vivres est entravée, mais son président irait s'en plaindre au Parlement si une telle mesure revêtait un caractère punitif.
Le Hceres est un vecteur important de la qualité de la recherche française. Capital pour montrer les liens étroits entre enseignement supérieur et recherche, ce regard commun confère un avantage à la France sur la scène européenne. Nous recevons beaucoup de sollicitations d'évaluation de l'étranger, du Liban, du Vietnam, d'Arménie, des Émirats arabes unis et d'Arabie saoudite. De nombreux pays demandent aussi de l'aide pour mettre en place leur propre organisme d'évaluation, tels que le Liban, l'Algérie, le Mali, le Cameroun et l'Angola. Revenir à l'entre-soi comme le souhaitent certains serait une erreur stratégique.
L'enseignement supérieur et la recherche sont évalués dans un contexte d'AAI depuis trente ans. Cette impartialité est un vecteur de confiance.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Nous ne contestons pas la qualité de votre travail, nous dressons un bilan de la situation des quarante-deux AAI. Vos réponses à notre questionnaire nous faciliteront les choses.
Vous avez rappelé les limites de l'indépendance en citant le risque de suppression. Qu'il n'existe pas poserait problème... Le statut d'AAI est-il pertinent ? Les services de l'État ne pouvaient-ils pas conduire votre mission ? Le caractère renouvelable du mandat du président d'une AAI ne le rend pas totalement indépendant.
Autre problème, votre fonctionnement est toujours transitoire six mois après le décret instituant le Haut conseil. Pourquoi ce retard et qui en est responsable ? Est-ce l'État ? J'ai noté qu'il y avait eu seulement cinq réunions en 2014. Ancien membre du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche, je me demande s'il est possible d'évaluer l'enseignement et la recherche en cinq réunions, d'autant que la liste des membres du conseil n'est pas complète.
Vos choix immobiliers, ensuite, grèvent de plus de trois millions d'euros un budget de quinze à dix-sept millions d'euros, soit un ratio très supérieur aux préconisations de France Domaine. Les dépenses de communication ont en revanche diminué entre 2013 et 2014. Elles ne sont pas excessives, ce qui explique pourquoi nombre de concitoyens ignorent l'existence de votre Haut conseil.
Comment menez-vous vos évaluations ? Des réactions justifiées d'universitaires se font entendre sur la pertinence de certains diplômes universitaires. J'ai sous les yeux une lettre du professeur Capron, président de la commission médicale d'établissement de l'AP-HP, mettant en cause l'existence de diplômes universitaires pour le moins étranges. Que faites-vous dans ces cas-là ? De quel pouvoir disposez-vous pour les repérer et les faire disparaître ?
M. Didier Houssin. - Le statut d'AAI est pertinent dans la mesure où le regard porté sur le degré d'impartialité de l'évaluateur sera plus dubitatif sans indépendance de celui-ci vis-à-vis du ministre. En Allemagne, l'évaluation a été confiée au secteur privé. Dans notre culture, on pense au contraire que le privé ne peut être indépendant. Le non-renouvellement du mandat du président accentuerait en effet son indépendance.
Je suis incapable de répondre au sujet de notre situation transitoire. Tout dépend du gouvernement ; rien n'empêche la ministre de nommer les nouveaux membres du conseil.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - On revient à la question de l'indépendance.
M. Didier Houssin. - La nomination relève de l'autorité politique.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Je ne vous le fais pas dire.
M. Didier Houssin. - La suppression de l'Aeres par la loi de 2013 a eu un effet déstabilisateur. Nous sommes, depuis, dans une situation rendant difficile les projets à long terme. Nous avons néanmoins assuré notre mission d'évaluation.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Quel objectif poursuivait-on en supprimant l'Aeres ?
M. Didier Houssin. - J'ai tenté de défendre l'Aeres en soulignant que les améliorations à apporter (simplification du dossier ou notation) ne nécessitaient pas sa suppression. Le gouvernement ne souhaitait pas céder sur le fond et l'Aeres, qui avait été critiquée, représentait un objet facile pour répondre aux mécontentements.
Le statut et les missions du Hceres et de l'Aeres sont globalement les mêmes. Des améliorations importantes ont été apportées sur l'évaluation du regroupement des universités et des accréditations, mais le périmètre des missions n'a pas changé de façon importante.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Le nom a changé, mais pas les missions ni les personnes.
M. Didier Houssin. - « Il faut que tout change pour que rien ne change », disait Lampedusa. Ou, selon un proverbe vietnamien, rien n'a changé, et rien ne sera plus jamais comme avant...
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Vous dites que ce changement a été motivé par des raisons politiques - le mot « politique » n'est pas sale. Lesquelles ?
M. Didier Houssin. - J'ai tenté d'établir la liste des arguments. Ma perception est qu'un petit courant s'opposait purement au concept d'évaluation ; qu'un autre le considérait néo-libéral et condamnait le new public management ; que des organisations comme la FSU pensaient que l'évaluation doit s'appuyer sur des élus syndicaux ; qu'un mouvement est né au sein de grands organismes tels que le CNRS et l'Inserm, voire l'Académie des sciences pour que l'évaluation revienne dans leur giron, comme avant 2006. En mélangeant toutes ces raisons dans un contexte politique nouveau, on rend possible une modification.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Vous êtes indépendants jusqu'à un certain point.
M. Didier Houssin. - C'est normal.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - On en arrive à changer le système tout en se disant qu'il n'est pas si mauvais que ça. Finalement, on le toilette.
M. Didier Houssin. - Une analyse newtonienne, monsieur le Rapporteur. Dans un contexte de fragilisation, nous avons maintenu le rythme des réunions en 2013. En 2014, certains mandats ayant expiré, le conseil a été divisé de moitié et des membres, éprouvant quelque lassitude, n'ont plus voulu venir qu'aux réunions vraiment nécessaires, ce qui explique ce ralentissement.
Pour ce qui est de l'immobilier, je regrette beaucoup que l'Aeres ait été, dans l'urgence, implantée dans les beaux quartiers en 2006. Le bail a été signé pour neuf ans par France Domaine. Après le rapport Dosière, j'ai essayé de négocier avec le bailleur, mais il n'a rien voulu entendre. Le bail prend fin en mars 2016 et nous avons lancé une procédure pour déménager. Nous avons soumis le dossier à France Domaine, qui le trouve dans les clous.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Irez-vous dans un autre quartier ?
M. Didier Houssin. - Évidemment : nous changerons pour le 11e ou le 19e arrondissement.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Pourquoi ne pas aller en province ?
M. Didier Houssin. - Nous accueillons de nombreux experts étrangers et avons besoin d'une grande plateforme aéroportuaire. Marseille, Nice ou Lyon en ont aussi, en effet.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Je ne vous propose pas Aurillac... Comment les membres du conseil sont-ils désignés ?
M. Didier Houssin. - Par une décision ministérielle prise par décret. La composition du conseil est bien décrite par catégorie : les institutions, les instances, les enseignants, les étudiants, en respectant la parité.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Est-ce compliqué ?
M. Didier Houssin. - C'est au ministre de s'en charger.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Si on veut illustrer ce qu'est l'absurdité, on peut se référer à cet excellent décret. Comment les cases sont-elles remplies ?
M. Didier Houssin. - Des consultations sont organisées par le ministre, qui demande des propositions, parfois précédées d'un vote. Récemment, la ministre a dû recevoir une vingtaine de noms pour la catégorie des enseignants-chercheurs.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Il y a des propositions, puis la décision appartient au ministre.
M. Didier Houssin. - Oui, sauf pour les élus du Parlement.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - On n'en est pas encore là. Cela ne vous pose pas de problème ?
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Vous évoquez les anciens membres ?
M. Didier Houssin. - Je ne sais pas ce qu'il en sera pour les nouveaux. Le renouvellement se fait par tiers. Mais les membres du conseil n'interviennent pas dans l'évaluation proprement dite. Ils en définissent la politique.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Comment se déroule le processus d'évaluation ?
M. Didier Houssin. - Suivant un mécanisme organisé par vagues et par régions, le ministère passe tous les cinq ans avec chaque université un contrat d'objectifs et de moyens. Pour que celui-ci soit établi de façon satisfaisante, il est précédé d'une évaluation. La vague d'évaluation est lancée en janvier. Nous demandons aux entités un dossier avec un ensemble d'éléments, dont la liste des programmes. Pendant ce temps, nous préparons les comités d'évaluation, réunissant chacun entre cinq et dix personnes choisies par une centaine de délégués scientifiques. Nous nous appuyons sur leurs compétences et prenons en compte les risques de conflit d'intérêt et l'absence d'antagonisme. L'entité évaluée donne son avis sur la composition du comité. Les évaluations se déroulent entre octobre et mars ou avril. Un autre comité évalue ensuite les établissements. Cette évaluation collégiale par les pairs est surtout qualitative. Le rapport est adressé à l'entité évaluée, qui formule des observations rendues publiques. Puis l'ensemble est envoyé aux tutelles pour préparer la contractualisation. Les conséquences sont importantes.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Quelle est la rémunération des experts ?
Mme Laurence Pinson, secrétaire générale du Hceres. - Encadrée par des textes, elle est de 600 euros.
M. Didier Houssin. - Les délégués scientifiques jouent un rôle important. Ces universitaires ou chercheurs expérimentés sont mis à disposition, à temps partiel pendant un à trois ans, par de grands établissements. Ceux-ci reçoivent une compensation modeste qu'ils ont voulu voir augmenter. Le problème est que nous n'avons pas le budget. Contrairement à d'autres pays, nous ne facturons pas l'évaluation aux universités.
Mme Laurence Pinson. - La compensation représente un montant de 650 000 euros.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Avez-vous des délégués dans chaque région ? Correspondent-ils aux nouvelles régions ?
M. Didier Houssin. - Pas encore, la ministre ne nous l'a pas demandé.
M. Pierre-Yves Collombat. - Le contrôle nécessaire à l'évaluation se fait-il sur dossier ou allez-vous sur place ?
M. Didier Houssin. - Le délégué scientifique compose le comité qui se rend sur place pour évaluer les formations. Nous organisons une visite sur site de trois à six jours. Des rencontres s'ajoutent au travail sur dossier, pour que les experts puissent se faire la meilleure idée possible de la qualité.
M. Pierre-Yves Collombat. - L'université française travaille avec des enseignants-chercheurs qui sont peut-être chercheurs, mais pas vraiment enseignants. L'enseignement est le grand oublié de notre institution. Allez-vous dans les classes ? C'est le fond du débat.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Le résultat des expertises sert-il à établir un classement européen ? Le monde économique est-il présent ? Avez-vous un contact avec le monde réel après les expertises ?
M. Didier Houssin. - Le Hceres évalue mille programmes de formation.
M. Pierre-Yves Collombat. - Et la réalité ?
M. Didier Houssin. - Aucune visite n'a lieu pendant un cours, ce n'est pas une inspection comme en primaire, où l'inspecteur se tient au fond de la salle de classe. Il s'agit plutôt d'évaluer la manière dont fonctionne le programme de formation. Nous souhaitons organiser beaucoup de visites, sur place, mais nous nous heurtons à la question des moyens.
Pour l'évaluation des licences professionnelles, nous faisons appel à des interlocuteurs du monde économique. Ce n'est pas facile et nous devrions améliorer notre repérage. Nous avons établi des liens avec le Medef et les chambres de commerce. Le résultat est inégal selon les branches. Les professionnels ne sont pas toujours très disponibles.
Nous ne participons pas aux classements, notre activité étant asynchrone. L'Angleterre, elle, pratique le big bang : tout est évalué, tous les six ou sept ans. Le budget de communication du Hceres est faible. Sa baisse entre 2013 et 2014 est notamment liée à l'abandon de notre colloque annuel en raison des incertitudes pesant sur l'avenir de l'institution.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - La hausse de la masse salariale est importante : 8,1 millions d'euros en 2010 ; 7,8 millions en 2011 ; 5,7 millions en 2012 ; 7,2 millions en 2013, 7,3 millions en 2014 ; et 10,1 millions en 2015.
M. Didier Houssin. - Le décret de 2014 a intégré au Hceres l'Observatoire scientifique et technique (OST), composé d'une trentaine de personnes. Son budget s'est additionné au nôtre dès début 2015.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Quel était cet organisme ?
M. Didier Houssin. - L'OST était un groupement d'intérêt public produisant des indicateurs bibliométriques, pour savoir notamment comment évolue la production de brevets évolue. Il a été dissous au 31 décembre 2014.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Produiront-ils plus chez vous ?
M. Didier Houssin. - Cette intégration va davantage connecter l'OST avec nos experts. Nous aurons plus de matière grise pour analyser les indicateurs. Pour le Hceres, c'est un avantage car nos rapports ne sont pas quantitatifs. L'inconvénient est que nous ne voulons pas que l'évaluation du Hceres apparaisse comme une évaluation quantitative pure.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Le personnel est-il à temps plein en CDI ? L'évaluation est-elle faite par des vacataires ? Quelle est votre base salariale ?
Mme Laurence Pinson. - Le personnel de l'OST est sous contrat de droit public à durée indéterminée, sauf deux personnes. Une part importante du personnel permanent du Hceres est composé de titulaires et de contractuels. Nous avons recours à des vacataires pendant les pics d'activité, entre octobre et mars lors des évaluations. Les experts sont, eux, rémunérés en indemnités.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Revenons à ma question sur la situation décrite par le professeur Capron.
M. Didier Houssin. - Le Hceres évalue ce qui s'inscrit dans le cadre du dispositif d'études européen « Licence, master et doctorat » (LMD), pas les diplômes universitaires (DU), propres à une université. Quand j'étais directeur général de la santé, mon attention avait été appelée sur un diplôme universitaire en médecine esthétique qui paraissait bizarre. Il a été supprimé. Il existe beaucoup de diplômes universitaires. On pourrait y prêter attention. Les universités pourraient s'en charger.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - La multiplication des diplômes universitaires s'explique notamment par des raisons financières. Certains relèvent presque de la plaisanterie, ou ne sont pas raisonnables : des pseudo-enseignements dans des secteurs à risque... Cela pose problème que votre Haut conseil ne s'en préoccupe pas. La dernière lettre du professeur Capron, écrite en mars, a également été signée par le président de la Ligue de l'enseignement, la présidente de la Ligue contre le cancer et d'autres éminentes personnalités dont un prix Nobel de chimie - ils n'ont pas eu de réponse.
M. Didier Houssin. - Je prends bonne note. Nous allons inscrire dans l'évaluation la question de l'attention apportée à la qualité de l'enseignement organisé dans le cadre des diplômes universitaires. La justification financière ne vaut pas.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Tout se terminera par un diplôme universitaire de charlatanisme ! Évaluez-vous aussi l'Ecole normale ou l'ENA ?
M. Didier Houssin. - Nous évaluons l'Ecole normale, mais pas l'ENA.
Mme Laurence Pinson. - L'ENA ne délivre pas de diplôme, ne fait pas de recherche. Elle est une école différente, de ce point de vue. En revanche, nous évaluons Sciences-Po Paris...
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Et Polytechnique ?
Mme Laurence Pinson. - Et Polytechnique.
M. Didier Houssin. - Nous évaluons tout ce qui bouge dans le champ universitaire, y compris le CNRS.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - N'évaluez-vous pas les écoles de commerce ?
M. Didier Houssin. - Nous n'évaluons pas les établissements purement privés comme HEC. Pour une raison de statut, nous n'évaluons pas non plus l'Académie des sciences, qui reçoit des financements publics.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Ne faites-vous plus l'objet de critiques aujourd'hui, comme en 2012 ?
M. Didier Houssin. - Lors d'un phénomène de bouc émissaire, quand la bête est morte, une renaissance s'opère. Les critiques se sont beaucoup atténuées. La suppression des notes, qui constitue la principale évolution, a dû plaire à certains.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Vous estimez qu'il s'agit de la principale évolution.
M. Didier Houssin. - La suppression définitive de la notation a été prise par décret. Il faudra en tirer un bilan dans deux ou trois ans, le risque étant que l'évaluation devienne peu discriminante, qu'elle soit un robinet d'eau tiède.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Quelle est votre opinion personnelle ?
M. Didier Houssin. - Nous aurions dû rester sur une notation multicritères, le système était affiné. L'évaluation influe sur l'allocation de moyens. Ceux qui la réalisent ont besoin de s'appuyer sur des critères, qui seront plus obscurs.
M. Pierre-Yves Collombat. - Vous n'en êtes pas aux couleurs, comme en maternelle ?
M. Pierre-Yves Collombat. - Je suis étonné que la préoccupation porte si peu sur l'enseignement pour se focaliser sur les thèses et les publications. Cet aspect de l'université est en déshérence, or c'est l'un de ses objectifs essentiels. On ne va pas voir ce qui se passe réellement. Certaines universités sont en tête du classement de Shanghai, mais quand on voit comment elles fonctionnent...
M. Didier Houssin. - Vous mettez le doigt sur le fait que l'enseignement est très important à l'université. On ne peut pas dire que le Haut conseil ne porte pas son attention sur la qualité de l'enseignement, alors que 50% de l'évaluation concerne la stratégie de formation et son contenu.
M. Pierre-Yves Collombat. - Et le coeur du métier ?
M. Didier Houssin. - Je vous enverrai des documents vous montrant nos actions sur la qualité de la formation et vous invite à rencontrer les personnes concernées.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Quelle est la différence entre la composition du conseil de l'Aeres et de celui du Hceres ?
M. Didier Houssin. - Le nombre de membres est passé de 25 à 30, dont des étudiants, comme nous l'avions demandé.
Mme Laurence Pinson. - Des représentants d'universités étrangères font partie des personnalités qualifiées.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - J'ai bien compris la façon dont vous avez vécu cet épisode difficile. Le but du Hceres est de tirer l'enseignement supérieur vers le haut. A-t-il été atteint ? Si la suppression de la notation transforme l'évaluation en robinet d'eau tiède, le Hceres n'aura plus aucun intérêt.
M. Didier Houssin. - L'action de l'Aeres et du Hceres a incontestablement tiré les universités vers le haut. Les améliorations sont-elles dues à l'évaluation ? Il s'agit d'un processus réflexif. Il est sûr que nous les avons accompagnées, encouragées. Le fait que l'évaluation soit centrée sur la dimension universitaire place l'université au coeur de l'enseignement et de la recherche et s'oppose à un retour à la situation antérieure. On ne peut nier qu'un coup de frein a été donné en 2012. Mais si l'absence de notation instaure un climat plus serein, c'est positif.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Nous avons encore eu un bel exemple de la mosaïque juridique que sont les AAI.
La réunion est levée à 11 heures 20.