Mardi 8 avril 2014
- Présidence de M. Serge Larcher, président de la délégation -Nomination d'un nouveau membre du bureau
M. Serge Larcher, président. - Nous nous retrouvons après l'interruption des travaux et, avant d'aborder le sujet d'aujourd'hui, je souhaite vous faire part de plusieurs informations.
La première concerne la composition de notre délégation : M. Claude Domeizel a cédé sa place à Mme Marie-Noëlle Lienemann qui entre donc au bureau de la délégation comme vice-présidente. Je tiens à dire combien je suis heureux que Marie-Noëlle Lienemann nous rejoigne, elle qui a présidé notre groupe de travail sur l'impact économique de la défiscalisation outre-mer et s'est totalement investie dans ce dossier stratégique pour nos outre-mer.
La deuxième information concerne le calendrier de nos travaux.
Tout d'abord, notre groupe de travail commun avec la commission de la culture sur la situation universitaire aux Antilles et en Guyane, présidé par Thani Mohamed Soilihi et dont Dominique Gillot, sénatrice de cette commission chargée de l'enseignement supérieur, et notre collègue Michel Magras sont rapporteurs, a décidé d'anticiper le terme de ses travaux pour tenir compte de l'évolution rapide de la situation localement. Le groupe de travail devrait donc tenir sa réunion conclusive le 15 avril au lieu de la mi-mai, et nous tiendrons dans la foulée, le 16 avril, la réunion plénière avec la commission de la culture pour entendre ses conclusions et autoriser la publication du rapport.
Je vous rappelle par ailleurs que notre délégation organise après-demain, jeudi 10 avril, un colloque sur le thème de l'autonomie locale, en partenariat avec le Centre de recherche pour les pouvoirs locaux dans la Caraïbe. Vous avez tous déjà reçu une invitation. Ce colloque se déroulant sur la journée, un déjeuner est organisé à l'attention des intervenants : je remercie ceux d'entre vous qui souhaitent participer à ce déjeuner d'informer notre secrétariat qui gère la réservation auprès du restaurant.
Vous êtes enfin invités à participer à la commémoration de l'abolition de l'esclavage qui aura lieu, comme chaque année, le 10 mai en présence du président de la République, selon une tradition inaugurée par Jacques Chirac.
La zone économique exclusive des outre-mer : quels enjeux ? Examen du rapport d'information
M. Serge Larcher, président. Le moment est venu pour nous de procéder à l'examen du rapport sur les enjeux des zones économiques exclusives des outre-mer.
Nos trois rapporteurs - Jean-Étienne Antoinette, Joël Guerriau et Richard Tuheiava - ont mené une étude approfondie qui propose une synthèse inédite : ce fut un travail de longue haleine qui a nécessité de nombreuses auditions, 31 au total. Le rapport fera date : il a le mérite d'envisager les multiples aspects d'un sujet abordé généralement de façon très parcellaire, comme les enjeux liés à telle ou telle ressource ou les questions géostratégiques dans une région déterminée.
Je vous l'ai indiqué lors des dernières auditions du 4 février, le sujet a connu une riche actualité au cours des derniers mois et même des derniers jours.
M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur.- La planète a connu depuis quelques années une révolution silencieuse : celle du partage des océans.
Si l'on a commencé à parler - sans doute trop tôt - des fameux « nodules polymétalliques » du fond des mers depuis les années 1970, ce n'est en réalité que depuis la convention de Montego Bay, en 1982, que le droit international accorde des droits souverains aux États sur les ressources situées jusqu'à 200 milles des côtes, c'est-à-dire dans la zone économique exclusive, la fameuse ZEE. Cette convention n'est d'ailleurs entrée en vigueur qu'en 1994.
La révolution dont nous parlons est donc très récente. Pourtant, elle constitue d'ores et déjà un changement majeur de la donne géopolitique et économique mondiale, comme en témoignent le progrès très rapide des techniques d'extraction de minerai offshore ou les tensions pour le partage des espaces maritimes, par exemple dans le canal du Mozambique, région dans laquelle la France est très présente grâce aux ZEE liées aux Îles Éparses.
Alors que la planète bleue s'approche des 10 milliards d'habitants et que les ressources terrestres s'amenuisent, la mer attire en effet les convoitises tant elle se révèle être un réservoir de ressources à la fois énergétiques et alimentaires ou, notamment à travers les algues, une source d'innovations considérables, comme dans le domaine médical. Sa biodiversité, à l'origine de cette richesse, doit aussi être préservée car la mer est un milieu fragile. Quoi qu'il en soit, la course au contrôle des ressources marines et sous-marines est lancée, mobilisant notamment les efforts de la Chine, y compris loin de ses propres rivages.
Sur la ligne de départ de cette course, la France bénéficie grâce aux outre-mer d'une position extrêmement favorable. Avec 11 millions de km2, notre ZEE est la deuxième mondiale par son étendue derrière celle des États-Unis. Elle est la plus diversifiée et se trouve répartie aux quatre coins du planisphère. Ceci fait de la France le premier pays maritime au sein des instances onusiennes créées par la convention de Montego Bay, dans la mesure où les États-Unis n'ont pas ratifié ce texte.
Comment la France peut-elle se saisir d'un tel atout ? A-t-elle pris conscience des changements intervenus ces dernières années ? Et si oui, en a-t-elle tiré les conséquences en termes d'actions dans ces territoires nouveaux que beaucoup lui envient ?
Quels sont les enjeux des ZEE ultramarines ? C'est la question dont la délégation nous a confié l'instruction et sur laquelle nous allons vous présenter aujourd'hui nos éléments de réponses.
Richard Tuheiava reviendra sur les ressources des ZEE et Joël Guerriau nous éclairera sur les enjeux pour la France en termes géopolitiques et de gouvernance. Pour ma part, je commencerai par ce qui, nous semble-t-il, est le premier des enjeux intéressant notre délégation. Je veux parler du lien entre les ZEE et les outre-mer français.
Vous ne serez en effet pas surpris que notre rapport commence par cet aspect car 97 % de la zone économique exclusive française se situe dans les outre-mer et ces derniers sont les premiers concernés par la valorisation de ressources extrêmement diverses. Les territoires ont un rôle irremplaçable à jouer dans la valorisation de ces potentiels.
Ces derniers répondent aux souhaits de chacune de nos collectivités, quelle que soit leur situation statutaire, de s'engager dans la voie d'un développement durable et plus autonome, fondé sur les atouts locaux, répondant aux attentes économiques et sociales de nos concitoyens. Le temps n'est plus où l'exploitation de certains intérêts ou de certaines ressources stratégiques aboutissait à l'implantation de poches de compétitivité limitées à un secteur économique ou une zone géographique déterminée, parfois à l'origine d'une économie de rente et, dans tous les cas, échappait à la maîtrise de la société et des acteurs locaux tout en étouffant les ressorts du développement local. Les ZEE offrent une réelle occasion de se dégager du poids du passé en sortant de ce cercle vicieux créé par une relation exclusive et asymétrique avec l'hexagone.
En Guyane, la comparaison entre l'installation du centre spatial européen après la perte du site de lancement du Sahara algérien en 1962 et la conduite actuelle du projet d'exploration pétrolière en concertation étroite avec les élus et l'ensemble des parties prenantes atteste d'un changement d'époque. Les acteurs locaux sont les plus à mêmes de saisir les opportunités et les besoins des territoires.
À La Réunion, une société locale (Bioalgostral), l'agence de développement et un producteur d'électricité se sont ainsi unis pour développer un biocarburant de troisième génération à partir des algues marines destiné à alimenter les centrales et ainsi répondre, avec une ressource locale, au handicap de l'île s'agissant des approvisionnements énergétiques. C'est aux acteurs locaux, et en particulier aux collectivités, que revient naturellement la mission d'assurer le dialogue entre les différentes parties prenantes aux projets liés au développement des ZEE.
Vous ne m'en voudrez pas de reprendre l'exemple de la Guyane mais les récentes tensions avec les représentants des pêcheurs à propos de nouvelles demandes de permis de prospection pétrolière offshore montrent à quel point le dialogue est nécessaire pour arbitrer les conflits d'usage de la mer et pour définir des projets de développement durable sur nos territoires, qui profitent à tous. Les acteurs locaux, en première ligne dans leur environnement régional, jouent aussi un rôle d'aiguillon pour les responsables hexagonaux. Lorsque nous apprenons que le gouvernement polynésien, qui dispose de compétences propres en la matière, discute avec des industriels chinois intéressés par les métaux stratégiques - les fameuses terres rares - de la ZEE de Polynésie française, c'est de nature à nous rappeler l'âpreté de la course mondiale aux ressources sous-marines, en particulier dans le Pacifique, qui n'est pas toujours correctement perçue de Paris.
Il n'y aura pas de valorisation des ZEE sans que cela corresponde à un véritable projet pour chacun des territoires. Cela suppose que chacun d'eux soit en capacité de définir sa stratégie. Bien souvent, cela appelle un changement de regard de l'outre-mer sur lui-même, en quelque sorte une prise en main plus affirmée de ses choix économiques, sociaux et environnementaux. Soyons bien conscients qu'il s'agit aussi parfois de revenir sur la façon dont culturellement nous percevons la mer, et en particulier la haute mer. Il ne suffit pas d'être un peuple insulaire pour être un peuple marin. Or, les nouvelles règles posées par la convention de Montego Bay et la limitation des ressources à terre font de nos ZEE de véritables territoires à conquérir. Cette évolution concerne l'ensemble des sociétés ultramarines et chacune dans son identité propre. C'est sur cette analyse que repose notre recommandation n° 4 qui propose de favoriser, dans chaque territoire ultramarin, la mise en place d'un outil de coordination des actions mises en oeuvre localement. Dans les territoires ne disposant pas d'une compétence statutaire propre, cet outil pourra s'incarner dans un comité territorial de la ZEE animé par la collectivité en charge du développement économique.
Dès à présent, l'enjeu des ZEE nous conduit à un changement de regard en outre-mer mais aussi dans l'hexagone et au niveau européen.
Trop souvent encore, la vision des territoires ultramarins est celle des « confettis de l'Empire » alors que la ZEE nous projette dans la compétition en cours pour la maîtrise des ressources de l'avenir et qu'elle donne à la France des espaces représentant près de vingt fois la superficie de l'hexagone.
La France n'exploitera pas ses zones sans la pleine implication des territoires qui y sont liés. C'est l'un des messages qui ressortent de nos travaux et que nous souhaitons porter aujourd'hui. Or, en 2012, lorsque les élus de Wallis-et-Futuna ont souhaité savoir ce que l'Atalante, bateau de l'Ifremer venait faire dans leurs eaux, on n'a pas souhaité leur répondre et ils ont été éconduits par les services de l'État alors qu'ils avaient simplement demandé à monter dans l'embarcation ! Tout cela traduit un état d'esprit, une forme de « rétention » de la part de l'État que l'on retrouve dans notre droit lorsque, plus de treize ans après le vote de la loi du 13 décembre 2000 d'orientation pour l'outre-mer qui prévoit le transfert aux régions d'outre-mer de la compétence de délivrance des titres miniers en mer, les décrets n'ont toujours pas été pris.
De même, si l'on souhaite que les territoires élaborent leurs projets de développement autour de leurs ZEE, il faut les associer aux négociations menées par le ministère des affaires étrangères avec les pays voisins et aux démarches qui affectent les ressources maritimes. Cela vaut notamment pour les accords de délimitation de la ZEE ou d'extension du plateau continental - dont beaucoup restent à finaliser - jusqu'aux accords de pêche. Par son étendue, la ZEE française d'outre-mer constitue un enjeu majeur pour l'insertion des territoires ultramarins dans leur environnement régional. Tel est l'objet de notre recommandation n° 5 relative à une étroite association des collectivités ultramarines aux volets de la coopération régionale relatifs à la gestion des ressources marines.
Notre rapport insiste aussi sur la nécessité d'un nouveau regard de Bruxelles. Dans le rapport de la commission des Affaires économiques du 27 juin 2012, notre président Serge Larcher dénonçait déjà l'insuffisante prise en compte des spécificités ultramarines par la politique communautaire de la pêche. Il mettait ainsi en lumière des incohérences consistant par exemple à brider le développement de la flotte de pêche à La Réunion tout en subventionnant par ailleurs celle des Seychelles au titre de la politique de coopération ! Depuis quelques années, Bruxelles semble toutefois prendre conscience de l'atout des ZEE dans le nouveau contexte géostratégique et économique mondial : en témoigne la communication de septembre 2012 sur la croissance bleue de la Commission européenne qui vient de donner lieu, le 19 mars, au lancement d'une « consultation publique » sur l'exploitation minière sous-marine, dont le terme est fixé à la mi-juin. À plusieurs reprises, cette communication insiste sur la nécessité cruciale pour l'industrie européenne d'assurer son approvisionnement en métaux stratégiques - marché dont on sait qu'il est dominé et régulé - pour ne pas dire plus - par la Chine qui en fait une arme économique redoutable. Or, comme on pouvait le lire dans La Tribune il y a quelques mois, face à la Chine l'Europe possède en la matière deux atouts : la Polynésie française et le Groenland, territoire d'outre-mer danois. Le Danemark peut donc sans doute constituer un allié pour faire bouger l'Europe plus vite et plus fort, même si les deux territoires concernés ne font pas partie stricto sensu du territoire de l'Union européenne. Comme vous le savez en effet, au sens du Traité de Lisbonne, la Polynésie est un PTOM (pays et territoire d'outre-mer) et non une RUP (région ultrapériphérique). Mais, même pour ces dernières, la France doit faire son lobbying à Bruxelles pour que l'Europe investisse aussi sur ces atouts, qu'il s'agisse de la promotion des énergies marines ou de l'inventaire des ressources minérales. Notre recommandation n° 9 vise ainsi à ce que la France promeuve et dynamise le soutien de l'Union européenne à la valorisation des ZEE.
Si notre pays ne la fait pas, personne ne le fera à sa place puisque, à l'image de nos outremer, la ZEE française est absolument sans équivalent parmi les autres États membres.
M. Richard Tuheiava, co-rapporteur.- Comme mon collègue Jean-Étienne Antoinette vous l'a annoncé, il me revient de faire le point sur les ressources des ZEE ultramarines dont la grande diversité, l'abondance, et le caractère stratégique pour certaines d'entre elles attisent les convoitises.
Les ressources des ZEE sont à la fois énergétiques, minérales et biologiques.
Pour ce qui est des ressources énergétiques, les présomptions sont très fortes de voir les ZEE françaises receler des gisements d'hydrocarbures. La prospection la plus avancée en la matière concerne la Guyane où, depuis 2012, des opérations d'exploration sont menées par un consortium conduit par Shell France dont nous avons auditionné deux fois le président. Ce dernier évaluait le gisement à 300 millions de barils, même si quatre des cinq forages se sont révélés infructueux, conduisant la compagnie à annoncer en janvier dernier, puis tout récemment, qu'elle renonçait à étendre sa zone de prospection au large et près des côtes pour se concentrer sur celle déjà étudiée, située à 150 kilomètres. Précisons que les résultats plutôt négatifs des derniers forages n'ont rien d'étonnant : dans les années 1960-1970, il avait fallu une vingtaine de forages pour localiser les puits de la mer du nord. L'intérêt pour le gisement guyanais est d'ailleurs confirmé par les demandes de permis d'exploration déposées en janvier 2014 par de nouvelles compagnies.
Dans l'océan Indien, on sait que le ravivement des contestations de la présence française dans le canal du Mozambique, notamment à l'occasion de l'élection présidentielle malgache, est lié à des questions pétrolières. En effet, la ZEE française des Îles Éparses recouvre une large partie du canal où des gisements de pétrole et de gaz sont hautement probables. Les Comores viennent ainsi d'attribuer les premiers lots de prospection, laquelle est estimée pouvoir déboucher sur une production de pétrole effective en 2018.
Ces enjeux ne sont pas non plus étrangers au débat entre la France et le Canada sur le plateau continental autour de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Comme l'a rappelé Jean-Étienne Antoinette, ce mouvement ne concerne pas que les ZEE françaises, comme en atteste notamment dans l'actualité récente du Pacifique les passes d'armes entre la Chine et le Japon à propos des îles Senkaku.
Outre les hydrocarbures, les ZEE apparaissent de plus en plus comme des gisements avérés d'énergies marines renouvelables (EMR).
C'est un sujet stratégique majeur pour des territoires, éloignés des grands centres de production énergétique, en particulier du fait de leur insularité. On sait que l'approvisionnement énergétique est l'un des handicaps traditionnels rencontrés par les territoires ultramarins dans leur développement. Le Grenelle de l'environnement ne s'y est pas trompé, fixant un objectif de 50 % d'énergie renouvelables pour les DOM à l'horizon 2020, contre 22 % pour l'hexagone.
Parmi les nombreuses technologies actuellement envisagées, une mention particulière doit sans doute être faite de l'énergie thermique des mers (ETM). Fondée sur la différence de températures entre les eaux de surface et les eaux profondes dans les mers tropicales, elle présente le grand avantage de ne pas être intermittente et l'on dispose aujourd'hui de solutions permettant d'acheminer l'eau froide du fond. L'un des responsables de DCNS était d'ailleurs venu nous expliquer combien l'invention de tuyaux, assez solides pour résister à de fortes pressions et suffisamment souples pour s'adapter aux courants marins, était un défi technique démontrant à quel point la conquête des mers pouvait stimuler l'innovation, avec de multiples retombées possibles pour nos entreprises. Reste cependant à répondre au défi de l'acheminement à terre de l'énergie produite au large. Les prototypes actuellement développés en Martinique et en Polynésie consistent à faire produire de l'hydrogène par la centrale ETM, celui-ci étant ensuite acheminé par des navires spécialisés. L'objectif est de réaliser des stations produisant plusieurs centaines de mégawatts.
Assez comparable aux ETM, parce qu'ils utilisent les eaux froides du fond des mers tropicales - mais cette fois, situées près des côtes - on peut aussi citer les systèmes de climatisation de type SWAC (Sea Water air conditioning) utilisées à La Réunion ou, en Polynésie française, à l'hôpital de Papeete et dans plusieurs hôtels, à Bora Bora et dernièrement à l'hôtel Brando de Tetiaroa.
Plusieurs technologies sont aujourd'hui à un stade pré-industriel, généralement grâce à l'appui des collectivités. C'est le cas des deux prototypes de station houlomotrice installés à La Réunion, même si l'un d'eux - connu sous le nom de CETO - a été détruit par le cyclone Bejisa il y a trois mois.
Outre les ressources énergétiques, les mers - notamment les mers tropicales - sont d'abondantes sources de biodiversité. Le rapport fait un point sur le potentiel halieutique de nos outremer avec trois conclusions principales sur la façon d'exploiter davantage et mieux les ressources de nos ZEE :
- en structurant les filières de pêche aujourd'hui encore trop artisanales pour valoriser l'ensemble de ce nouveau territoire marin,
- en luttant de façon plus résolue contre la pêche illégale, au besoin dans le cadre d'une coopération internationale comme celle qui se met en place dans l'océan Indien,
- et enfin en diversifiant les activités, notamment par le développement de l'aquaculture pour laquelle les outremer français peuvent faire valoir leurs avantages compétitifs, à commencer par la qualité et la traçabilité des produits.
Autre ressource importante, les algues mériteraient sans doute un rapport à elles seules tant elles s'annoncent comme à l'origine de nouveaux pans entiers de l'économie.
Par leur faculté d'adaptation et de croissance dans des conditions extrêmes, les algues ont développé des propriétés biochimiques inédites que les chercheurs ne cessent de découvrir et que les industriels exploitent. Chimie, pharmacie et nouvelles thérapies, agro-alimentaire, protection de l'environnement, les utilisations sont nombreuses et parfois simultanées. La société française Amadéite, basée dans le Morbihan, a ainsi créé un nouveau matériau composé de feuilles intercalées d'argile et d'algues vertes. Ce matériau a des propriétés multiples : il permet à la fois de renforcer les défenses immunitaires dans le cadre de l'alimentation animale, réduisant ainsi la consommation d'antibiotiques. Ses propriétés mécaniques et physiques en font également un excellent candidat à l'utilisation dans les carrosseries de voitures ou dans l'emballage alimentaire ! La production est par ailleurs saine pour l'environnement, puisqu'elle ne nécessite aucun procédé chimique.
Les applications incluant des algues sont en pleine expansion, jusqu'aux biocarburants de troisième génération, les algues ayant un rendement à l'hectare dix fois supérieur à celui des oléagineux. Les eaux tropicales, dont la biodiversité - animale comme végétale - est encore plus riche que celle des eaux tempérées, constituent donc un terrain privilégié de ce que les spécialistes annoncent comme une authentique « nouvelle économie ».
Ce rapide inventaire des ressources des ZEE ne serait évidemment pas complet sans l'évocation des ressources minérales.
L'attention s'est, comme on le sait, focalisée depuis longtemps sur les nodules polymétalliques, riches en fer, en manganèse, en cuivre, en nickel et en cobalt, alors que ceux-ci, situés dans les plaines abyssales des océans, sont les plus difficiles à exploiter et que l'on est encore au stade de l'exploration, dans l'ouest de la Polynésie, comme près de la ZEE française de Clipperton dans une zone internationale où plusieurs pays ont lancé des programmes.
Les opérations d'extraction concernent aujourd'hui d'autres types de minéraux, ceux des sulfures hydrothermaux présents dans des volcans sous-marins actifs ou récents à environ 1 000 mètres de profondeur. La teneur de ces « amas sulfurés » en fer, en cuivre, en mercure et en zinc est supérieure à celle des mines terrestres, et un projet Solwara 1 mené par la société canadienne Nautilius dans la ZEE de Papouasie Nouvelle-Guinée est actuellement en cours à 1 700 mètres de fond. Il a déjà permis de démontrer la faisabilité du ramassage des minerais et devrait être, si tout se passe bien, en phase industrielle l'an prochain.
Pour la France, ce type de formations minérales a été identifié à Wallis-et-Futuna, près des îles Matthew et Hunter en Nouvelle-Calédonie, ce qui n'est sans doute pas pour rien dans la contestation de la souveraineté sur ces îlots français par le Vanuatu. Des amas sulfurés seraient aussi présents autour des îles Saint-Paul et Amsterdam, à Crozet, à Kerguelen, à Mayotte ainsi qu'aux Antilles et en Polynésie.
Outre les nodules et les sulfures hydrothermaux, on cite aussi souvent les encroûtements cobaltifères constitués dans des volcans anciens ou des atolls immergés. C'est le cas dans l'archipel des Tuamotu, à Kerguelen, à Mayotte et dans les îles Éparses. Ils sont surtout riches en oxyde de fer et en manganèse auxquels dont associés des terres rares, notamment le titane, le lanthane ou le cérium, avec des densités particulièrement intéressantes. D'après une étude de l'université de Tokyo qui a eu un fort retentissement dans la presse scientifique mondiale en 2011, les gisements situés autour des Tuamotu constitueraient une part très importante des réserves mondiales de terres rares. Comme l'a rappelé Jean-Étienne Antoinette, tout ceci n'a pas laissé la Chine indifférente. J'ajouterai que les enjeux géopolitiques se posent en des termes particuliers s'agissant de collectivités qui - comme la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie - disposent de larges compétences propres et figurent même sur la liste de l'ONU des « territoires non autonomes ». Je rappelle que cette réinscription de la Polynésie française a été adoptée par l'assemblée générale des Nations unies le 17 mai 2013.
Les stipulations de l'article 73 de la Charte des Nations unies de 1945 dont la France est cosignataire, prévoient en effet le principe de primauté des intérêts des habitants des territoires non-autonomes tel que figurant sur la liste du Comité spécial de décolonisation. Il importe dès lors d'observer cette règle en matière de politique maritime locale et d'exploitation des ZEE calédonienne et polynésienne, de manière à ce que nos intérêts nationaux ne viennent pas méconnaître, comme cela a pu être le cas par le passé, ceux des habitants de ces deux territoires.
Pour la cohérence politique nationale, il serait à mes yeux difficile d'une part, de prendre appui sur des stipulations internationales en vigueur - notamment en bénéficiant des licences d'exploration de l'AIFM pour initier un développement largement fondé sur l'outre-mer - et d'autre part, de se dispenser de reconnaître l'applicabilité de stipulations internationales spécifiques davantage protectrices des intérêts propres des collectivités ultramarines.
Face à des perspectives prometteuses se pose inévitablement la question de l'exploitation des minerais sous-marins et, en particulier, de la rentabilité comparée d'une telle exploitation.
Comme je vous l'annonçais, on peut globalement parler d'une accélération de la maturation des procédés de production et d'exploitation.
Cela vaut pour les énergies marines renouvelables et pour les applications industrielles concernant les algues, mais aussi pour la valorisation des minéraux sous-marins. Certes, on estime que leur coût d'extraction est encore entre 4 et 5 fois supérieur à celui des minerais à terre, mais les auditions auxquelles nous avons procédé ont démontré que les avis divergent quant au moment où les ressources sous-marines seront compétitives, en particulier pour les terres rares dont la pénurie est annoncée.
Ce qui est certain en tous cas, c'est que la course est bel et bien lancée. C'est entre autres l'avis de la Commission européenne qui justifie le lancement de sa consultation publique sur l'exploitation des minéraux sous-marin par le développement rapide des technologies et l'avancement des projets en cours dans tous les océans.
L'opération Solwara devrait donner le coup d'envoi à d'autres projets et l'entrée rapide dans une phase industrielle avec une baisse sensible du coût de production, dès que les équipements seront produits en série. Tout le monde s'y prépare : les industriels chinois qui ont créé un centre d'innovations à une centaine de kilomètres de Pékin où a été mis au point très récemment un véhicule d'exploration des fonds marins rivalisant avec ceux traditionnellement développés par les sociétés françaises DCNS et Technip. De même, dans son programme cadre pour l'innovation « Horizon 2020 », l'Union européenne fixe d'ores et déjà pour objectif la réalisation d'un robot extracteur des minerais des fonds marins. Ce projet devrait aussi être soutenu par le Gouvernement français dans le cadre du « concours mondial d'innovation » mettant en oeuvre les sept priorités stratégiques définies par le récent rapport remis par la commission Lauvergeon au Président de la République.
Tout en nous félicitant de cette mobilisation, nous insistons dans notre rapport sur la nécessité de ne pas oublier de poursuivre en parallèle le travail de connaissance de la ressource qui porte à la fois sur sa localisation, sa consistance et son environnement afin de bien mesurer et encadrer les effets de l'exploitation sur les écosystèmes. Or, sur la question de l'inventaire de la ressource, tous les voyants sont au rouge. Comme cela nous avait été indiqué il y a un an et demi, l'unique chercheur permanent de l'Ifremer, spécialiste français des nodules polymétalliques, a pris sa retraite sans avoir pu transmettre son savoir et sans être remplacé. La transmission du capital de connaissances acquises est donc clairement menacée ! La France n'a pas, faute de moyens humains et financiers suffisants, honoré les engagements qu'elle avait souscrits lors de l'obtention de son permis d'exploration dans la zone internationale de Clarion--Clipperton en 2001 alors que celui-ci arrive à échéance dans deux ans ! Quant au travail d'inventaire mené en Polynésie, il a été interrompu. Idem pour celui, pourtant le plus avancé et le plus proche de perspectives d'exploitation, mené à Wallis-et-Futuna.
Voilà des priorités toutes trouvées pour le « programme national d'accès aux ressources marines » annoncé par le Premier ministre à Montpellier le 3 décembre 2013 dernier lors des Assises de l'économie maritime et du littoral. Aussi notre recommandation n° 3 vise-t-elle à inclure dans le plan national annoncé le renforcement des moyens de la recherche sur les ressources minérales dans la ZEE française, ainsi que dans la zone internationale pour les permis attribués à la France.
Pour en revenir au programme d'exploration mené à Wallis-et-Futuna en dépit de ces difficultés liées aux moyens, nous estimons que sa conduite par un consortium mêlant organismes scientifiques et industriels - de l'Ifremer à l'opérateur minier Eramet en passant par Technip - constitue un bon modèle de partenariat entre les différents acteurs. Il devrait pouvoir être étendu à d'autres activités liées à l'exploitation des ressources marines : les énergies renouvelables, l'industrie des algues, voire la pêche afin de contribuer à mieux structurer ces filières. La recommandation n° 7 du rapport propose précisément de promouvoir la structuration des activités marines en filières intégrées, de la recherche jusqu'aux activités marchandes, en prenant en compte l'objectif de valorisation des ZEE ultramarines.
Elle part aussi du constat que les actions déployées, notamment par les deux grands pôles de compétitivité maritimes existants, sont encore trop hexagonales et prennent peu en compte l'enjeu de la valorisation de cet immense territoire que constituent les ZEE ultramarines.
Quant à l'engagement des partenaires industriels dans ce nouveau territoire où les perspectives de retour sur investissement ne sont pas encore parfaitement connues, il suppose d'aménager un cadre normatif et financier attractif, faute de quoi le risque existe toujours de les voir préférer des zones maritimes proches de nos ZEE aux ressources comparables mais plus accueillantes. Notre recommandation n° 6 préconise l'aménagement d'un cadre normatif et financier attractif pour des partenaires privés disposant de l'expertise technique et susceptibles de contribuer à l'exploration et à l'exploitation des ressources des ZEE.
M. Joël Guerriau, co-rapporteur.- Au fur et à mesure que nous réalisions ce travail, j'ai pris la mesure des très grands enjeux pour la France liés aux sujets abordés avec le sentiment d'une multitude de nouvelles questions ouvrant chaque fois sur de nouvelles perspectives. Il en va plus globalement ainsi de la situation de notre pays dans ce nouveau cadre géostratégique caractérisé par « une maritimisation du monde », pour reprendre le titre du récent rapport de la commission des affaires étrangères et de la défense. Or, dans ce contexte, la situation de la France est aujourd'hui faite de paradoxes et de contradictions.
Le premier des paradoxes est que notre pays, doté de 11 millions de km² de ZEE enviés de tous, ne s'est visiblement pas préoccupé de marquer son territoire.
Les lignes de base côtières outre-mer sont loin d`être toutes délimitées ou notifiées au niveau international et elles ne sont donc pas opposables alors que cela dépend de la seule bonne volonté de l'administration française.
La situation est évidement encore plus compliquée s'agissant des délimitations des ZEE nécessitant des accords avec les pays voisins. Hormis le cas de Saint-Pierre-et-Miquelon et de la Polynésie, aucun territoire ultramarin ne dispose aujourd'hui de frontières maritimes officiellement opposables ! Quant aux demandes d'extension du plateau continental, qui permet l'exploitation des ressources du sous-sol, éventuellement jusqu'à 350 milles, la France a pris un tel retard que les derniers dossiers déposés - ceux de Wallis-et-Futuna et de Saint-Pierre-et-Miquelon - ne seront examinés par la commission des limites du plateau continental (CLPC), dépendant de l'ONU, que d'ici... 25 à 30 ans !
La responsabilité de ce calendrier incombe à la CLPC mais aussi à l'État français qui, par manque de moyens et de volonté politique, a laissé passer la date limite du 13 mai 2009 qui permettait de voir ses demandes traitées dans des délais plus raisonnables.
Autre contradiction, celle qui consiste à prétendre exploiter des ressources sans les protéger, à vouloir valoriser les fruits de son domaine sans en assumer les responsabilités.
Hormis en Guyane, les forces militaires outre-mer, dites « de souveraineté », sont partout en repli. S'agissant des moyens maritimes de patrouille et de surveillance, des ruptures capacitaires sont même attendues, en particulier entre 2016 et 2018, du fait du retrait des P400. Et lorsque le Premier ministre indique la livraison de trois bâtiments multi-missions (B2M) - un pour les Antilles, un pour la Polynésie et un pour la Nouvelle-Calédonie - il convient de rappeler que ces équipements ne marquent pas un progrès par rapport aux Batral qu'ils remplacent car ils ne disposent pas de capacités de débarquement amphibie pourtant bien utiles dans les missions logistiques et d'aide aux populations. Bien que ces B2M doivent en principe être financés par plusieurs ministères, au nom de la mutualisation, notre rapport s'intéresse essentiellement aux moyens militaires dans la mesure où ils sont, de fait, les seuls à pouvoir intervenir en haute mer, a fortiori face à des pirates, des trafiquants en tous genre ou des pilleurs de ressources halieutiques disposant d'équipements des plus sophistiqués.
Je précise que la situation n'est guère meilleure s'agissant des moyens aériens et qu'aux insuffisances d'hommes et d'équipement s'ajoutent des difficultés d'organisation. Contrairement aux États-Unis, la France ne dispose pas d'un service de garde-côtes ; cette mission est répartie entre plusieurs administrations : la Marine nationale et les autres forces de souveraineté, les directions des affaires maritimes, la gendarmerie maritime et les douanes. Le Secrétariat général de la Mer, chargé de coordonner ce que l'on appelle la « fonction garde-côtes », ne dispose d'aucun pouvoir en matière d'affectation ou d'utilisation optimale des moyens ! Certes, comme le rappelait le chef d'état-major de la marine, l'ensemble des moyens militaires français ne suffirait pas à la surveillance de la zone. Il n'empêche que notre pays n'envoie pas les bons signaux quant à sa détermination à faire respecter sa présence et ses droits sur son territoire marin.
Dans ce contexte, rien d'étonnant que la souveraineté française soit défiée et même contestée. Les pillages de ressources halieutiques, hélas devenus traditionnels au large de la Guyane ou de Clipperton, se doublent en effet de remises en cause du rattachement à la France de certains îlots et surtout des ZEE qui leurs sont associées. Ainsi en est-il de Clipperton avec le Mexique, même si un accord a été signé en 2011, des Îles Éparses avec Madagascar, de Tromelin dont la souveraineté française est contestée par l'île Maurice ou encore des îles Matthew et Hunter disputées par le Vanuatu.
Pour ce qui est des territoires véritablement habités, je ne rappellerai évidemment pas la contestation des Comores à propos de Mayotte mais le lancement, en cours, des opérations d'extraction de pétrole dans la ZEE comorienne risque fort de raviver les tensions avec ce pays. D'ailleurs, les trois premiers lots de prospection accordés par la République des Comores fin mars empiètent sur des eaux qui devraient en principe être incluses dans la ZEE de Mayotte !
Autre paradoxe, la façon dont la France se comporte dans les instances mises en place par la convention de Montego Bay qui assure la « gouvernance internationale des océans ».
La France a, sur le papier, tous les atouts pour faire figure de référence en la matière. Par l'importance de sa ZEE, la première parmi les pays membres de ces instances, par la répartition de cette zone sur tous les océans et dans les deux hémisphères ainsi que par son rôle traditionnel au sein des instances onusiennes, notre pays a tout d'un leader naturel. Pourtant, dix ans après la mise en place du nouveau cadre international, elle fait déjà figure de mauvais élève ! Il y a nos retards devant la commission des limites du plateau continental alors que nous aurions dû plutôt user de notre influence pour faire fonctionner cette instance dans de bonnes conditions, mais il y a plus grave, c'est la façon dont la France participe aux travaux de l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM).
Cette institution installée à Kingston en Jamaïque est chargée « pour le compte de l'humanité toute entière » d'assurer la gestion des eaux situées au-delà des ZEE nationales et des fonds marins ne relevant pas d'un plateau continental national. Dans ces eaux internationales communément appelées « la Zone », l'AIFM a pour mission de fixer les règles de protection des milieux et notamment les règles d'exploration et d'exploitation des ressources. Mise en place effectivement il y a moins de dix ans, l'AIFM a, en principe, vocation à élaborer le cadre d'une gouvernance mondiale des océans aujourd'hui balbutiante. Elle a commencé à élaborer des « codes miniers » relatifs aux ressources minérales sous-marines et à délivrer des permis d'exploration de ces matières nouvelles au sein de la Zone. L'AIFM étant dépourvue de moyens et de capacité d'expertise propre, ses travaux s'appuient sur les États membres. Ceci donne de facto un levier d'influence aux pays capables de constituer des références pour l'édiction des normes juridiques, environnementales ou techniques, avec - à la clé - un enjeu de maîtrise de la définition des standards internationaux de gestion des ressources. En plus de ses atouts naturels, la France peut déjà s'appuyer sur l'expertise de ses industriels - au premier rang desquels Technip et DCNS - pour lesquels la définition de ces standards est un réel enjeu. Notre pays bénéficie aussi d'une très forte proximité géographique avec le secteur dans lequel l'AIFM a d'ores et déjà délivré douze permis d'exploration de nodules polymétalliques. Il s'agit de la Zone internationale de Clarion-Clipperton située entre la ZEE de l'îlot français et Hawaï. Non seulement la France n'a pas été en mesure d'apporter une expertise particulière sur les ressources de la région, faute d'avoir exploré sa propre ZEE, mais elle s'est vraiment comporté - j'y reviens - en mauvais élève dans la mise en oeuvre de ses permis internationaux. Pour le premier obtenu en 2001 et qui expire en 2016, l'Ifremer est très loin d'avoir rempli ses obligations. Il n'a travaillé que sur la compréhension des écosystèmes et non sur l'évaluation de la ressource, ce qui était pourtant le but principal du contrat. Pour le second permis concernant la recherche de sulfures polymétalliques dans la dorsale atlantique, seules deux campagnes en 15 ans seraient prévues lorsque les Russes et les Chinois en programment cinq par an ! Faute de moyens, la mission exploratoire effectuée début 2014 avant même la signature du contrat pourrait être considérée comme étant la première de ces trois campagnes françaises. Deux ans après l'obtention de l'accord par l'AIFM, la France n'a d'ailleurs toujours pas signé le contrat. Dans ces conditions, il est difficile de jouer un rôle de référent.
Même problème concernant le cadre réglementaire édicté par l'AIFM. Celui-ci est essentiellement élaboré à partir des législations des États membres. Or, le code minier de notre pays pourtant titulaire de la deuxième ZEE mondiale ne prévoit rien de particulier pour les activités offshore, et ne prend pas en compte les spécificités des ressources minérales sous-marines. Rien non plus sur la délicate question de l'encadrement des actions menées sur le plateau continental français en dessous des eaux internationales. Ce n'est pas ainsi que la France jouera pleinement son rôle dans la mise en place de la gouvernance mondiale des océans qui se dessine. Dans quelques années il sera sans doute trop tard, surtout si les États-Unis ratifient la convention ou si des pays comme la Chine, la Corée du Sud ou la Russie continuent de manifester leur volontarisme au sein de l'AIFM. C'est pour inverser cette tendance que nous demandons, par notre recommandation n° 10, qu'au niveau international, la France joue un rôle moteur dans la mise en place d'une gouvernance internationale encore balbutiante.
Puisque nous évoquions le code minier, force est de constater, à la suite de l'audition de M. Thierry Tuot, président du groupe de travail sur le nouveau code, en février dernier, que le projet oublie tout à la fois les spécificités du offshore, celles des ressources minérales sous-marines et, plus largement, les activités outre-mer ! Des incertitudes demeurent encore sur le calendrier et sur les modalités d'adoption du nouveau code mais, pour notre part, que ces trois lacunes soient comblées. Notre recommandation n° 8 préconise donc d'inscrire dans le futur code minier le cadre normatif nécessaire à la gestion durable et à la valorisation des ressources des ZEE.
Ces lacunes sont d'autant plus préoccupantes qu'elles empêchent, comme nous l'avons déjà évoqué, la France de jouer son rôle naturel de référent international sur ces sujets alors que les réglementations se mettent en place. Outre l'AIFM, compétente pour la Zone internationale, l'Union européenne elle-même est en train de préciser les règles d'étude d'impact applicables aux ZEE communautaires. Le 12 mars dernier, le Parlement européen a en effet adopté en première lecture une révision de la directive n° 2011/92 sur les études d'impact prévoyant deux modifications importantes : d'une part, elle étend aux activités « de recherche et de prospection » de minéraux marins les procédures jusque-là seulement applicables aux opérations d'extraction, d'autre part, parmi les critères pris en compte par les études d'impact, elle ajoute l'effet sur la biodiversité, sujet dont on sait qu'il est particulièrement sensible dans le milieu marin en général et dans les grands fonds en particulier. Je rappelle que la France est quasiment la seule concernée par ces réglementations dans la mesure où, par exemple, les gisements de terres rares du Groënland sont à terre. Pourtant les choses vont se décider au niveau européen, dans un texte très général portant sur un grand nombre d'activités, sans que la France ait pu l'inspirer ou l'éclairer par une législation nationale spécifique aux activités sous-marines et éprouvée.
À l'issue du comité interministériel de décembre dernier, le Premier ministre a annoncé le lancement du programme national de recherches sur l'accès aux ressources marines et l'acquisition des B2M déjà évoqués, ainsi qu'une mise en ordre de notre droit s'agissant de la délimitation des espaces maritimes. Faut-il en déduire que, face à une accumulation de paradoxes, de rendez-vous manqués et de contradictions la chance que représentent les ZEE a enfin été comprise ? Peut-être que la succession des rapports a fini par porter ses fruits, les derniers en date étant celui du Conseil économique, social et environnemental, celui de la commission Innovation 2030 présidée par Anne Lauvergeon ou les études de la Commission européenne et du commissariat à la prospective sur les métaux stratégiques ?
Nous voulons le croire. Mais en préparant ce travail nous nous sommes livrés à un petit exercice : nous avons fait un tableau comparatif des conclusions des différents CIMER depuis 2003 que nous avons mis en annexe du rapport : nous y avons retrouvé les mêmes bonnes résolutions répétées à chaque fois, presque dans les mêmes termes !
Comme cela ressort je crois de nos trois interventions : pendant les dix dernières années, au cours desquelles la convention de Montego Bay s'est mise en place, le monde a changé et les ZEE ont quitté leur statut de projet d'avenir plus ou moins lointain pour devenir une réelle opportunité du présent. Les mesures annoncées doivent désormais être suivies d'effets. C'est la raison pour laquelle la recommandation n° 2 consiste en la création, auprès du ministre délégué à la mer, d'un comité national de suivi de la mise en oeuvre des mesures relatives aux ZEE annoncées par le Premier ministre le 3 décembre 2013, associant l'ensemble des partenaires concernés.
Mais un comité de plus ne changera rien s'il n'y a toujours personne pour piloter une stratégie nationale de valorisation des ZEE. En effet, aujourd'hui, les questions relatives aux ZEE sont, comme l'ensemble de la politique maritime, traitées de façon parcellaire et éclatée par les administrations de très nombreux ministères et divers organismes publics chargé de la recherche, de la protection de l'environnement ou du financement. Quant à la coordination interministérielle, elle repose sur le CIMER qui ne se réunit en moyenne que tous les 3 ou 4 ans et sur le secrétariat général de la mer (SGMer) placé auprès du Premier ministre chargé, pour l'essentiel, de la préparation du suivi des décisions du comité.
Faisant lui-même le constat de la faiblesse de cette organisation, le Gouvernement a annoncé le 3 décembre 2013 la création d'une délégation à la mer et au littoral au sein du ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie (MEDDE) chargée de coordonner l'action des différentes entités du ministère dans le domaine maritime. Si cette création a le mérite de consacrer le rôle du ministère délégué chargé des transports et de la mer auquel elle sera rattachée, cette délégation interne au MEDDE ne répond en rien à la question de l'animation interministérielle. Il faut une instance disposant de la légitimité nécessaire pour engager une politique volontariste, entraîner les ministères et opérer des arbitrages. Une telle capacité d'impulsion et d'arbitrage interministériel relève d'une autorité politique, d'un ministre et non d'un haut fonctionnaire. Notre recommandation n° 1 est donc d'instituer auprès du Premier ministre un ministre délégué à la mer, proposition qui s'inscrit dans le cadre de mise en place d'une véritable politique maritime intégrée, déjà engagée au niveau européen.
Nous avons mûrement réfléchi cette proposition qui peut étonner au moment où certains s'interrogent sur le nombre de ministres. Mais cela nous paraît le seul moyen d'affirmer efficacement notre priorité à l'heure où la distribution des cartes s'accélère sur tous les océans et où la France doit se donner les moyens de faire la course en tête en valorisant ses atouts. Nos auditions n'ont cessé de confirmer qu'il s'agit d'un enjeu absolument essentiel pour le pays.
Comme l'indique le titre de notre rapport, c'est le moment de vérité. Dans cinq ou dix ans, il sera sans doute trop tard.
M. Jeanny Lorgeoux.- Merci pour cet excellent travail qui a élargi les perspectives ouvertes dans le domaine géopolitique de notre rapport sur la maritimisation de la France. Vous abordez l'enjeu politique des relations entre l'outre-mer et une métropole, devenue en quelque sorte le gros confetti de son ex-empire, et la question, véritablement majeure, des retombées financières pour les territoires concernés. Le rapport propose aussi une évaluation détaillée des richesses des ZEE, préalable indispensable à toute politique de valorisation. Enfin, vous rappelez les réalités de la géostratégie marine et ultramarine trop souvent oubliées vues d'ici, alors même qu'il s'agit d'une chance historique pour la France à un moment où nous sommes frappés par la désindustrialisation et où nos concitoyens sont anxieux pour l'avenir. Que pourrions-nous faire, tous ensemble, pour convaincre l'exécutif de l'ardente obligation d'exploiter ces formidables gisements de richesses ?
M. Serge Larcher, président.- Nous pourrions remettre le rapport au Premier ministre et au ministre des outre-mer.
M. Jeanny Lorgeoux.- S'agissant d'un sujet géostratégique, nous pourrions aussi le remettre à l'Élysée.
Mme Odette Herviaux.- Le travail que vous avez réalisé confirme l'idée selon laquelle la France ne s'est pas donné les moyens de mettre en oeuvre une politique maritime intégrée. Effectivement, tant que nous n'aurons pas de ministre de la mer, nous ne pourrons pas avancer. Il y a là une belle opportunité d'associer les régions maritimes et l'outre-mer dans un combat commun. L'institution d'un ministère et non d'un secrétariat d'État auprès du ministre de l'environnement est d'autant plus nécessaire que la politique de préservation de la biodiversité qui se met en place risque d'affaiblir le poids du politique. L'agence des aires maritimes protégées, qui permettait aux partenaires de se rencontrer, devrait ainsi disparaître dans une grande agence de la biodiversité dont la mer sera le parent pauvre. Des arbitrages ont déjà été rendus contre la pêche en eaux profondes et l'on peut craindre que ce type de décisions se poursuive. Oui à la biodiversité, mais cela ne doit pas empêcher de faire des recherches sérieuses sur les potentiels des fonds marins.
M. Charles Revet.- Ayant travaillé sur les nodules polymétalliques il y a une trentaine d'années, je ne puis que me réjouir de cet excellent rapport. En même temps qu'elle dispose d'atouts, la France a une grande responsabilité car la mer, c'est l'avenir. On peut certes remettre notre rapport aux ministères mais nous savons bien ce qu'il en est des rapports parlementaires comme de la place du Parlement en général. On nous transmet des projets de loi de plus en plus longs et de plus en plus complexes et l'on nous demande, de surcroît, bien souvent de renoncer à nos prérogatives pour confier à l'exécutif le soin de légiférer par ordonnances. Si nous voulons vraiment affirmer l'importance de ce rapport, nous pourrions peut-être en débattre en séance publique sous une forme à préciser. Au vu des enjeux, il serait dommage de se contenter d'une publication et d'une transmission du rapport.
M. Thani Mohamed Soilihi. - L'examen de ce rapport est l'occasion d'apprécier tout l'intérêt que présente notre délégation. Nous y travaillons avec des collègues hexagonaux qui pourront porter certains messages auprès des pouvoirs publics là où, à force de nous répéter, nous finissons pour notre part par devenir inaudibles. Oui, nous sommes à un moment de vérité et il met en évidence la façon dont l'outre-mer est traitée d'une façon générale. Vos recommandations vont dans le bon sens. À titre personnel, j'y ajouterai la suppression du ministère de l'outre-mer qui n'est pas doté des moyens nécessaires pour agir efficacement. Je précise que cette proposition de suppression correspond à une position de principe et n'est pas dirigée contre la nouvelle ministre qui, à la fois originaire de l'outre-mer et élue de Paris, évite le risque d'être juge et partie.
M. Michel Magras. - J'espère moi aussi que ce rapport ne restera pas lettre morte. Je rejoins Charles Revet sur la question des ordonnances ; je ne cesse d'être choqué de voir les dispositions applicables à l'outre-mer des différentes lois être renvoyées à des ordonnances. Si la France dispose d'un immense potentiel au titre des ZEE, c'est à l'outre-mer qu'elle le doit. Si, en principe, la délimitation de ces zones est simple grâce aux coordonnées GPS, la réalité est plus complexe. Saint-Barthélemy, notre territoire de 21 km2, devrait avoir sa ZEE mais, dans une zone archipélagique, il est très difficile pour les pêcheurs de savoir s'ils se trouvent dans la ZEE française, dans celle d'Antigua ou dans celle de la partie néerlandaise de Saint-Martin. La synthèse entre tout cela ne pourrait être effectuée qu'au niveau européen et l'Europe devrait fixer un cadre de règles stabilisées indiquant précisément ce que chacun peut ou ne peut pas faire, notamment en matière de ressources biologiques.
Enfin, je ne suis pas convaincu par le point de vue de notre collègue Thani Mohamed Soilihi relative à la disparition du ministère de l'outre-mer.
M. Serge Larcher, président. - C'est un autre débat sur lequel je vous renvoie au rapport de la mission commune d'information sur la situation des DOM de 2009.
Concernant l'établissement des délimitations maritimes, je rappelle que les procédures sont longues et coûteuses et que beaucoup de petits États n'en ont pas les moyens.
M. Jeanny Lorgeoux. - La France a pris un retard incroyable !
M. Félix Desplan. - La mer est l'avenir du monde et l'on ne peut donc que regretter que la France, bénéficiaire de la deuxième ZEE mondiale, n'en ait pas pris conscience. Je crains qu'à l'inverse, d'autres États ne l'ai déjà bien compris et nous prennent de vitesse en matière de délimitations. Nous ne pourrons ensuite nous en prendre qu'à nous. Le rapport apporte des réponses à un moment où nos concitoyens s'interrogent sur l'avenir économique de la France. Quelles suites peut-on envisager de lui donner pour qu'il soit effectivement pris en compte ?
M. Serge Larcher, président.- La question des délimitations est un premier point, mais encore faut-il être capable de faire respecter sa souveraineté.
M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur.- Comment donner davantage de relief à notre rapport ? Par un débat en séance ? Par une transmission au Gouvernement ? La trentaine d'auditions que nous avons réalisées a mis en lumière que la France et l'Europe n'avaient pas de stratégie. Un peu à l'image du discours du Premier ministre que nous avons entendu cet après-midi, on procède surtout à des ajustements sans véritable stratégie pour une dynamique de croissance.
Il faut rappeler au Gouvernement que la mise en valeur des ZEE est une des réponses à la crise. L'une des conclusions du rapport est aussi la nécessité d'inverser le regard porté sur les outre-mer. Ces derniers sont trop souvent exclusivement perçus comme des bénéficiaires de subventions alors que l'exploitation des ZEE ne sera valable que si ces territoires en sont les fers de lance. C'est à partir d'eux que la France partira à la conquête des océans.
M. Joël Guerriau, co-rapporteur.- Je pense, comme Charles Revet, qu'il ne faut pas en rester à l'adoption du rapport. C'est un sujet immense pour lequel beaucoup reste à faire. Certaines de nos recommandations pourraient déboucher sur des travaux plus approfondis, en particulier en matière de recherche ou de mise en place d'un cadre juridique et financier favorable aux nouvelles activités. Je crains hélas que les gouvernements ne répondent qu'à ce que les Français attendent à court terme, or pour ces derniers, les enjeux maritimes sont lointains. Il faudrait au contraire inverser la pyramide des priorités et placer au sommet la mise en valeur des 11 millions de km2 de notre ZEE.
M. Richard Tuheiava, co-rapporteur.- Le rapport rappelle que l'absence de conscience des enjeux maritimes dans l'hexagone a, par une sorte d'effet miroir, gagné les territoires ultramarins. Or, il en va pour ces derniers de leurs perspectives de développement. Le risque de voir nos travaux tomber aux oubliettes existe mais je fais confiance à notre président et à mes collègues rapporteurs pour que nous voyions ensemble comment porter notre message plus loin.
D'autres sujets mériteraient aussi qu'on y porte attention tels que l'installation de câbles de fibre optique sous-marins - ils ne sont pas moins de 16 à traverser le Pacifique - ou encore l'utilisation des espaces aériens. L'un des objectifs de ce rapport était de dénoncer les blocages. Il pointe aussi la situation très particulière de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française, inscrits par l'ONU sur la liste des territoires à décoloniser.
M. Serge Larcher, président.- Nous avions choisi le thème des ZEE comme une réplique à l'idée très souvent entendue selon laquelle l'outre-mer coûterait cher. L'objectif était de montrer que les outre-mer constituent un atout pour l'avenir. Ses ressources apportent des réponses aux défis économiques, écologiques, géopolitiques ou encore scientifiques et médicaux qui se posent à l'unanimité. Sur la base de ce rapport, à nous d'aller porter ce message auprès du Gouvernement mais aussi de nos collègues qui ne sont pas tous encore sensibles à ces sujets.
La délégation sénatoriale à l'outre-mer a adopté le rapport à l'unanimité.