Mercredi 29 mai 2013
- Présidence de M. Jacques Mézard, vice-président -Examen du rapport d'information « Les collectivités territoriales et les infrastructures de transport », de MM. Jacques Mézard et Rémy Pointereau
M. Rémy Pointereau, rapporteur. - Mes chers collègues, vous savez que le financement de l'entretien des infrastructures de transport existantes et des projets nouveaux est partagé entre l'Etat et les collectivités territoriales, particulièrement les régions. L'objet de notre rapport est d'abord d'établir un bilan de leur rôle respectif, tel qu'il découle des transferts effectués de l'Etat vers ces collectivités, à partir des années 70, puis d'examiner les priorités à retenir pour éviter toute aggravation de la fracture territoriale existante et pour assurer l'égalité des citoyens dans l'accès à des moyens de transport performants, quel que soit le territoire où ils résident. Nous décrirons les différents modes de financement qui pourraient être mobilisés dans cette perspective.
Notre réflexion, à Jacques Mézard et moi-même, a été amorcée par la publication, à la fin du mois d'octobre 2011, d'un projet de schéma national des infrastructures de transport (SNIT), qui avait vocation à être soumis à discussion parlementaire. Les échéances électorales de l'année 2012 n'ont pas permis que le temps nécessaire à son examen soit trouvé dans notre calendrier. Cependant, le projet de SNIT a été soumis au Conseil économique, social et environnemental (CESE), qui en a publié une synthèse et a formulé un avis, en mars 2012. Cet avis précise que l'élaboration du projet de SNIT « s'inscrit dans les engagements du Grenelle de l'environnement, et qu'il représente un coût important, et n'est donc pas réalisable en totalité dans l'immédiat ». Ce projet, en effet, représentait un coût estimé à 245 milliards d'euros d'investissement à réaliser sur vingt à trente ans, soit 8 milliards d'euros par an. Sur ce total, il était prévu d'affecter 105 milliards à l'optimisation des réseaux existants, et 140 milliards aux projets de développement.
Ce travail de prospective a été jugé utile, mais le Gouvernement issu des élections de mai et juin 2012 a jugé utile d'en revoir les priorités. C'est pourquoi le ministre des Transports, M. Frédéric Cuvillier, a chargé, le 18 octobre 2012, une commission réunissant élus et experts, et présidée par M. Philippe Duron, député du Calvados et président de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF), de « trier, hiérarchiser et mettre en perspective les grandes infrastructures de transport ». Sur la base des propositions de cette commission, dite « Mobilité 21 », qui devraient lui être remises d'ici l'été, le ministre proposera un nouveau schéma national de mobilité durable, qui définira les orientations de la politique des transports du Gouvernement à court, moyen et long termes.
Notre axe de réflexion est fondé sur les importants transferts de compétences en matière de transport opérés, depuis les années 70, de l'Etat vers les collectivités territoriales. Celles-ci ont contribué à rénover le réseau, routier et ferroviaire, ainsi transféré, et à le développer. Mais cet effort ne semble pas avoir été accompagné par une égale implication de l'État en matière d'entretien des réseaux existants et de réalisation de nouveaux tronçons. Pour la route, l'Etat s'est concentré sur le maintien en condition de sécurité du réseau structurant et, pour le rail, il a incité SNCF et RFF à développer des réseaux à grande vitesse, dont l'opportunité n'est pas contestée mais qui doivent être complétés par un axe desservant le centre de la France, qui est actuellement un « désert français » de la grande vitesse. Dans le même temps, les « transports du quotidien » se sont dégradés.
Je m'en tiendrai aux questions ferroviaires, et mon collègue Jacques Mézard vous exposera ses propres réflexions sur l'ensemble des problèmes touchant au réseau routier.
Vous trouverez dans le rapport une description des efforts réalisés par les autorités organisatrices de transport (AOT) pour développer l'offre ferroviaire, particulièrement les transports express régionaux (TER).
Dans le même temps, les multiples sollicitations de court terme auxquelles l'Etat - quel que soit le gouvernement en place - a dû répondre l'ont conduit à ne pas assurer tout le financement requis par la maintenance des réseaux de transport, et particulièrement le réseau ferré. Cependant, il faut relever que le rythme de rénovation des lignes est passé, depuis 2006, de 500 à 1 000 km par an.
La dégradation des transports du quotidien est due à l'insuffisance des travaux de rénovation et de modernisation. Mais la responsabilité en est partagée entre l'Etat, la SNCF et RFF, et les régions, qui ont reçu la compétence transport, lors de l'acte II de la décentralisation en 2003.
Parmi les acteurs qui réclament plus de décentralisation, certains assument mal les compétences qu'ils possèdent déjà, notamment en matière d'infrastructures de transport. En effet, en privilégiant certains types de dépenses, comme le social ou la communication, ils se privent des budgets nécessaires à l'entretien et au développement de ces infrastructures.
La SNCF n'a pas non plus toujours fait les efforts requis pour la modernisation de son mode de fonctionnement. Je distinguerai, dans les dépenses, celles qui constituent une bonne dette, car constituées d'investissements d'avenir, et celles, au contraire, qui sont de la mauvaise dette, composées de frais de fonctionnement qu'il faut réduire.
L'effort financier important consenti par l'Etat, avec des investissements de renouvellement progressant de 7,3 milliards d'euros de 2006 à 2012, pèse aujourd'hui sur des finances publiques très contraintes. Cela ne doit pas pour autant conduire à réduire à l'excès les projets d'infrastructures nouvelles, puisqu'il s'agit de dettes « saines », d'investissements d'avenir, créateurs de valeur à moyen et long termes. Nous constatons en effet que le bilan des trente dernières années est très contrasté en matière d'infrastructures de transport, notamment en matière ferroviaire : les grandes voies au départ de Paris ont été considérablement améliorées par le développement des TGV, particulièrement sur l'axe Paris-Marseille, mais certaines zones peu peuplées du territoire, situées pour l'essentiel dans les régions Centre, Auvergne et Limousin ont été délaissées.
Or, le désenclavement de l'espace central français est impératif pour assurer l'égal accès de ses habitants à une desserte ferroviaire rapide. Ceci s'impose d'autant plus que la ligne Paris-Lyon est d'ores et déjà saturée, avec de nombreuses conséquences négatives, comme la saturation de l'accès aux gares d'Ile-de-France et à celles de Lyon. Il est, en effet, à craindre que la ligne grande vitesse Paris-Lyon ne soit plus en mesure de répondre à la demande des déplacements nord-sud à l'horizon 2020-2025, en dépit des solutions avancées pour pallier cette saturation, comme l'augmentation de la capacité des TGV par le recours à des rames en duplex, qui serait juste suffisant pour absorber la croissance des prochaines années. Comme le projet de ligne à grande vitesse Lyon-Turin constitue une priorité pour la France et l'Italie, et pourrait bénéficier de fonds européens, une grande partie des voyageurs venant de toute l'Europe et passant par Paris empruntera la future ligne à grande vitesse Paris-Lyon-Turin, ce qui augmentera encore la saturation de cette ligne.
Pour remédier aux goulets d'étranglement ferroviaires situés en Île-de-France et à Lyon, l'itinéraire Paris-Orléans-Clermont-Ferrand s'impose, et doit être réalisé parallèlement à la ligne grande vitesse Lyon-Turin, ce qui permettra d'ailleurs une meilleure rentabilité de cet axe. Le projet de ligne à grande vitesse Paris-Marseille-Nice-Menton devrait également être considéré comme prioritaire, car il permettrait de concurrencer la ligne aérienne, beaucoup plus émettrice de CO2.
Les financements doivent être partagés entre l'Etat, la SNCF, les collectivités territoriales et les usagers. Il est nécessaire que l'Etat maintienne, à son niveau actuel, sa dotation budgétaire à l'AFITF, soit 2 milliards d'euros par an, sans que l'écotaxe sur les poids lourds s'y substitue. L'Europe doit assurer le financement du réseau transeuropéen de transports, qu'elle a défini. Quant à la SNCF, elle doit revoir les fondamentaux de son fonctionnement. Les collectivités territoriales doivent trouver des moyens financiers supplémentaires, avec notamment le recours aux péages urbains et aux partenariats public-privé, et avec une modulation plus importante de la TIPP.
La prochaine conférence internationale sur le climat, qui doit se tenir à Paris en 2015, devrait être l'occasion d'examiner l'instauration d'une taxe mondiale sur le kérosène, dont l'idée est certes aujourd'hui récusée par certains grands pays émergents, mais qui normaliserait la fiscalité du kérosène, carburant très émetteur de CO2 mais non taxé en conséquence. Le produit de cette taxe pourrait être affecté aux transports peu émetteurs de carbone, comme le rail. S'agissant du réseau ferré français, l'Etat, l'Europe et les régions devraient financer les principaux axes de LGV, les voies d'approche et les gares relevant des départements et des agglomérations.
Voilà, mes chers collègues, les quelques points que je souhaitais souligner pour lancer notre débat.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Mes chers collègues, après les développements de notre collègue sur le ferroviaire, je vais, pour ma part, évoquer les problèmes du secteur routier.
Je vous rappelle que, jusqu'au début des années 70, le réseau routier national comportait environ 80 000 km, dont 40 000 km de voies départementales intégrées au domaine public national en 1930 pour soulager les finances locales. Sur la base d'un schéma directeur établi par la Direction des routes en collaboration avec la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (DATAR), la loi du 29 décembre 1971 a prescrit la décentralisation de 53 500 km. L'action de l'Etat s'est alors concentrée, parallèlement au développement du réseau autoroutier concédé, sur un réseau de 27 500 km assurant les relations entre Paris, les « métropoles d'équilibre » et les agglomérations de plus de 40 000 habitants, ainsi que sur et les itinéraires supportant, en 1965, au moins 2 000 véhicules/jour sur plus de 75 km.
Puis, le réseau national a été marqué par l'augmentation du réseau autoroutier concédé. La loi relative aux libertés et responsabilités locales du 13 août 2004 a fait évoluer le réseau routier national avec un transfert aux départements de 16 947 km en 2006, de 340 km en 2007 et, depuis 2008, le reclassement supplémentaire de 574 km dans la voirie départementale ou communale. Ce transfert important aux départements avait été accompagné de l'engagement public de M. Gilles de Robien, alors ministre des Transports, que l'Etat ne solliciterait pas les collectivités territoriales pour le réseau étatique restant, dénommé PDMI. La réalité a été tout autre, car les demandes de l'Etat ont été multiples et pressantes.
Le réseau routier national comptait donc, au 1er janvier 2013, 20 938 km, dont 12 136 km non concédés et 8 802 km concédés. L'Etat a consacré 433 millions d'euros à l'entretien courant, et il est prévu que l'investissement devrait être de 770 millions d'euros en 2013.
Globalement, le bilan des trente dernières années est très contrasté en matière d'infrastructures routières : alors que les grandes voies au départ de Paris ont été considérablement améliorées par le développement des autoroutes, ou leur équivalent pour l'ouest de la France, certaines zones peu peuplées du territoire, dont le grand Massif Central ont été délaissées. L'équité a été abandonnée au profit de la compétitivité, dans un contexte de renoncement à la politique d'aménagement du territoire « dissoute » dans celle de décentralisation.
Cependant, il n'y a pas de fatalité de déclin pour les territoires à faible densité, pour peu que soient mobilisées à bon escient toutes les possibilités financières disponibles pour renforcer leur desserte par des services de transport diversifiés. Ceux-ci sont d'abord composés d'un indispensable renforcement du réseau routier de proximité. En effet, le maintien en bonne condition du réseau routier et autoroutier est indispensable à l'accessibilité et à la croissance économique, et la modernisation du réseau routier de proximité est une priorité à réaliser à un coût raisonnable.
Les programmes de modernisation des itinéraires routiers (PDMI) ont remplacé, en 2009, les contrats de plan Etat-Régions (CPER). Le ministère de l'Écologie et du Développement durable les présente comme des programmes recouvrant l'ensemble des opérations de modernisation du routier non concédé existant, sans créer de nouvelles fonctionnalités et sans augmenter substantiellement la capacité du réseau, ce qui fige ces infrastructures et constitue l'annonce très claire que le réseau existant ne sera pas développé.
Les orientations de l'Etat en matière d'entretien, de modernisation et de développement des réseaux portent, dans cet ordre, sur la réduction des impacts environnementaux et de la consommation des espaces agricoles et naturels, et, enfin, les aides apportées aux collectivités territoriales pour le développement de leurs propres réseaux.
Les nouvelles priorités dégagées en matière de modernisation du réseau routier consistent donc à améliorer la qualité environnementale des infrastructures et le cadre de vie des riverains (quand ils existent !), à optimiser leur fonctionnement en améliorant la fiabilité des temps de parcours pour les usagers, et la sécurité routière, le renforcement de l'accessibilité des territoires n'étant qu'un impératif secondaire.
Ce programme avait deux objectifs essentiels : remédier au « mitage » des itinéraires en les achevant, et réduire la congestion dans les zones périurbaines. Mais rien n'était prévu, concrètement, pour prévenir l'aggravation de la fracture territoriale. La question est de savoir quels financements mobiliser dans la période actuelle de tension des finances publiques. En effet, de fortes tensions sur les finances publiques, qu'il s'agisse des budgets de l'Etat ou des collectivités territoriales, poussent à envisager pour les transports publics des moyens de financement alternatifs.
Plusieurs réflexions ont été menées en la matière, portant sur un rééquilibrage des contributions respectives des usagers et des contribuables, les avantages procurés par la mise en place de péages urbains, les possibilités offertes par une prolongation de quelques années des concessions autoroutières - le débat est d'ailleurs en cours avec les sociétés concessionnaires sur le contenu des travaux qu'elles s'engageraient alors à effectuer. L'extension du versement transport (VT) acquitté par les entreprises est également étudié, mais le secteur productif est déjà très taxé. Le recours aux partenariats public-privé (PPP), qui sont complexes à utiliser correctement, et les financements européens sont également à envisager. Le financement public de l'AFITF, qui contribue puissamment à la rénovation du réseau routier, doit être pérennisé, car le produit de l'écotaxe poids lourds est incertain. La piste de la prolongation des concessions autoroutières me semble intéressante, à condition que les sociétés d'autoroutes s'attachent à améliorer les connexions entre ce réseau et les routes secondaires.
Les partenariats public-privé peuvent également être explorés. Du fait de leur spécificité, ces contrats doivent être réservés à des opérations coûteuses et complexes, pour lesquelles la concession de travaux publics n'est pas adaptée. Pour en avoir mal mesuré les risques, certains acteurs publics y ont eu recours de façon inappropriée, ce qui a conduit à des désillusions dont l'actualité s'est fait l'écho. En tout état de cause, les PPP ne sont pas une solution pour financer des tronçons routiers à faible rendement.
Nous nous félicitons que le Président de la République ait annoncé le 16 mai dernier, que la France lancerait en juin 2013 « un grand plan d'investissement sur dix ans, portant sur quatre grandes filières : numérique, transition énergétique, santé et grandes infrastructures de transport ». Ainsi, des crédits publics viendront appuyer les projets qu'il est nécessaire de réaliser dans l'amélioration des transports publics existants et le lancement de nouveaux axes prioritaires. Cette nécessité est ainsi reconnue au plus haut niveau de l'Etat.
M. Pierre Jarlier. - Je suis tout à fait d'accord avec ce rapport et les propositions qui sont faites. Je considère qu'il arrive à point, au moment où une réflexion va être engagée sur les nouvelles planifications en matière de réseaux. Vous avez d'ailleurs déployé une approche territoriale similaire de la planification à long terme des infrastructures de transport, ce dont je me félicite. Il me semble aujourd'hui indispensable de mettre l'accent sur la modernisation du domaine routier : le désenclavement des zones les plus enclavées, en particulier, doit constituer une priorité, en suivant une logique d'aménagement du territoire.
Je partage également les deux aspects que vous avez évoqués : la question de l'équité et celle de la compétitivité, qui me paraissent indissociables. Aujourd'hui, malheureusement, chaque fois que l'on prône la modernisation d'un réseau, on vous explique que rien n'est possible sans la prise en compte de sa compétitivité. Je pense qu'il faut changer de logique et de culture : la culture de l'aménagement du territoire doit être prioritaire. A l'inverse, la logique actuelle, qui définit des priorités dans les projets sous condition de capacité est dangereuse, car elle maintient à l'écart de projets d'aménagement les collectivités qui, justement, n'ont pas les capacités suffisantes.
C'est pourquoi, selon moi, ce rapport est très opportun aujourd'hui.
Je souhaite revenir sur les partenariats public-privé (PPP). Ils apparaissent effectivement comme une solution facile lorsque l'on recherche des financements alternatifs, et ce, jusqu'au jour où les charges afférentes à ces partenariats public-privé devront être intégrées dans les dettes des collectivités, car il y aura des réveils douloureux à ce moment. Nous savons que certaines seront plombées financièrement pendant des dizaines d'années par des contrats dont les termes auront été initialement mal rédigés.
Nous devons donc veiller, si nous développons ces partenariats, à ce qu'ils ne présentent pas de coûts supplémentaires trop importants, et surtout à ce qu'ils soient transparents. Il est urgent de faire attention, car les partenariats public-privé peuvent constituer une bonne formule si, à l'avenir, on en maîtrise bien les coûts et les incidences, et surtout la transparence.
M. Yannick Botrel. - A mon tour je tiens à saluer le travail des rapporteurs. Ce rapport ouvre des perspectives très intéressantes. En ce qui concerne les partenariats public-privé, ma réaction sera la même que celle de notre collègue Pierre Jarlier : je reste réservé à ce sujet. Pour moi, leur utilisation mérite d'être attentivement étudiée pour éviter qu'ils ne soient un « miroir aux alouettes », si vous me permettez cette expression.
Je ferai également deux remarques. Concernant le financement des axes principaux de TGV, certaines régions orientent déjà les fonds affectés par l'Union européenne à ces projets. C'est le cas pour ma région, qui en a fait une priorité d'investissement dans le cadre du financement de l'axe Le Mans-Rennes. Il faut donc juste étendre un principe qui existe déjà.
Concernant le point évoqué par notre collègue Jacques Mézard, sur le transport routier, celui-ci devrait prospérer ou continuer à fonctionner durant les prochaines décennies, car sur le fond, il paraît difficile de s'en passer. Vous n'avez toutefois pas ou peu évoqué la complémentarité « rail-route », en particulier les plateformes multimodales. Edmond Hervé pourra d'ailleurs confirmer que ce sujet est régulièrement évoqué dans une région périphérique comme la nôtre, la Bretagne. Les collectivités réfléchissent à la mise en place de plateformes multimodales, sans mésestimer les difficultés d'acceptation sociétale suscitées par le choix des lieux d'implantation. Malgré les réticences et les oppositions pouvant exister à la mise en place de ces structures, un certain nombre d'entre elles sont de nature à être réalisées. C'est en tout cas un élément intéressant, nonobstant la question de la convergence des réseaux routiers vers Paris. En effet, il faut aujourd'hui prendre en considération l'Europe dans son ensemble, et nous devons donc optimiser, ensemble, les moyens de communication avec le centre de l'Europe.
M. Edmond Hervé. - Je m'inscris bien évidemment dans le droit fil des propos de nos collègues Pierre Jarlier et Yannick Botrel, sur un sujet excellemment traité par nos rapporteurs, qui démontrent, s'il en était besoin, que nous sommes là au coeur de la problématique des compétences partagées.
Et puisque nous évoquons les domaines au coeur des relations entre l'État et les collectivités territoriales, voilà précisément un sujet important qui mériterait d'être intégré au pacte de responsabilité et de solidarité entre l'État et les collectivités territoriales. Lorsque j'évoque ce pacte, je ne me fais aucune illusion sur les dates fixées, car l'important n'est pas de correspondre à des échéanciers prédéterminés, mais de fixer et de suivre des orientations avec une certaine fidélité. C'est pourquoi je me permets d'insister sur ce qui vient d'être dit par nos collègues concernant nos grands équilibres budgétaires. J'estime, en effet, que nous ne sommes pas dans une transparence totale, car quantité de déficits et de dettes restent en dehors du calcul et ne sont pas pris en compte au sens de la dette et du déficit maastrichtiens. Or, la dette de RFF et de la SNCF est extrêmement lourde. Quant aux réveils douloureux que nous sommes susceptibles de connaître sur les partenariats public-privé, nous en convenons tous.
L'aspect fondamental reste donc la fiscalité. Or la fiscalité des collectivités territoriales est très en retard. Si je prends l'exemple de la région - directement concernée par les transports puisqu'il s'agit d'une compétence régionale -, il est absolument nécessaire que nous disposions d'un système fiscal dont l'assiette soit en rapport avec la nature de ses compétences. J'avais, à une époque, émis l'idée de faire bénéficier la région de l'équivalent d'un versement transport (VT), mais je ne sais pas si en pratique cette solution est la meilleure aujourd'hui car le versement transport est en quelque sorte la « propriété » des grandes agglomérations, qui investissent beaucoup. C'est pourquoi je pense qu'il convient de réfléchir à une fiscalité régionale assise sur les communications au sens large, à savoir le transport, mais aussi toutes les nouvelles techniques de communication, y compris le très haut débit.
Enfin, je souhaiterais vous poser une question car il m'a été dit que le principe des surtaxes locales n'était pas euro-compatible. C'est pourtant une manière de faire participer financièrement les usagers, qui bénéficient d'investissements de qualité, et de garantir le respect du principe d'égalité.
M. Georges Labazée. - Je ferai quatre observations sur le rapport.
Tout d'abord, j'aurais une préconisation à faire : il faut que l'État arrête cette mécanique infernale qu'est le cofinancement. Je prends l'exemple de la ligne en construction Tours-Bordeaux, qui trouve son prolongement naturel vers Toulouse, capitale d'Airbus, et vers l'Espagne en fonction d'un protocole international. Lorsque l'on observe la mécanique mise en oeuvre, ce sont 59 collectivités territoriales qui ont été appelées au financement de la ligne Tours-Bordeaux pour préfigurer ensuite le financement de la ligne Bordeaux-Toulouse ou Bordeaux-Espagne. C'est d'ailleurs un point épineux dans la préparation du rapport Duron, puisque l'on a pu constater que sur ces 59 collectivités, certaines avaient abandonné en cours de route, souvent pour raisons budgétaires. Je me demande donc de quelle façon, dans ces conditions, RFF, qui est maître d'ouvrage, procède pour réaliser ses équilibres financiers. Lorsque l'on fait examiner par des experts, des avocats et d'autres spécialistes les montages de RFF, on aboutit au constat que ceux-ci surévaluent le montant des financements. De la sorte, dans le cas où des collectivités ne paient pas leur quote-part RFF bénéficie malgré tout d'un niveau de ressources suffisant. Comme le financement des LGV ne va pas s'interrompre, même si nous savons qu'il est voué à diminuer en raison de la situation financière, il est nécessaire d'apporter une clarification.
J'en viens aux grandes infrastructures routières. Si l'on doit traiter un grand itinéraire à partir de 2017-2018 avec une fin programmée pour 2022-2023, la population comprendra et acceptera ce projet d'ampleur. Cependant, des grands itinéraires dont les travaux ont débuté il y a quinze ans ne sont toujours pas achevés ce qui, de toute évidence, nourrit l'exaspération. C'est le cas de la route nationale 134, qui traverse la Vallée d'Aspe et rejoint l'Espagne. Quand on discute des projections avec le ministère de l'Équipement, on ne sait jamais à quelle date les projets doivent prendre fin. Le principe d'équité doit prévaloir jusqu'au bout, ce qui signifie que lorsque l'on commence un itinéraire, on se doit de le mener jusqu'à son terme.
Ma dernière observation concerne le dispositif des infrastructures : 2014 sera une année cruciale car le Premier ministre a annoncé le 28 mai 2013, par un communiqué de presse, que l'État s'engageait dans un mécanisme de contractualisation État-région via le futur CPER. J'avais eu l'honneur de réaliser au nom de notre délégation un rapport sur les CPER ancienne manière, dans lequel j'avais constaté que la part des infrastructures était importante dans les enveloppes conclues entre l'État et les régions, si ce n'est que certains avaient davantage investi dans le rail, d'autres dans le domaine routier. Lors de la préparation des futurs contrats, et au moment où l'on va en tracer le cadre général, il est important que notre délégation puisse donner des indications pour définir des lignes directrices concernant la mise en oeuvre des infrastructures.
M. Rémy Pointereau. - En ce qui concerne l'intervention de M. Pierre Jarlier, il est vrai que l'aménagement du territoire doit être également une priorité pour la commission Duron. Dans notre rapport, c'en est une : il est primordial de tendre vers l'égalité des territoires. On dispose d'un ministère de l'Égalité du territoire, il faut désormais que ce principe se mette en oeuvre. Qui plus est, on ne peut pas avoir deux catégories de citoyens : d'une part, les citoyens qui ont accès à tous les moyens modernes de mobilité et, d'autre part, ceux qui sont à l'écart de l'autoroute, qui n'ont pas de TGV et qui sont localisés en général dans des territoires déjà en désertification. Il y a un réel besoin de promouvoir l'égalité des territoires.
Les PPP ne constituent pas nécessairement une solution adéquate à tous les problèmes, spécialement dans une période où les taux d'intérêt sont faibles, fixés à 1,5 voire 2 %. Finalement, les PPP intéressent surtout les projets de grande envergure, pour lesquels il est souvent difficile de trouver les financements et les emprunts nécessaires.
En matière de fret, le rapport comprend un volet fret que nous pouvons éventuellement renforcer. En ce qui concerne les plateformes multimodales, on s'aperçoit qu'il s'agit d'une activité difficile à rentabiliser si l'on n'a pas une distance suffisante entre le point de mise en plateforme et le point d'arrivée. L'investissement est rentable pour des distances de 500 ou 600 km au moins. Par ailleurs, la majorité des personnes que nous avons auditionnées dans le cadre de ce rapport ont estimé que la SNCF devait revenir à ses fondamentaux. Elle investissait autrefois beaucoup dans le fret. De ce fait, compte tenu de ses compétences, je pense qu'il est nécessaire que la SNCF revienne sur les possibilités de faire du ferroutage, de mettre en place des plateformes multimodales dans un certain nombre de secteurs pour créer de la transversalité. On peut citer à titre d'exemple la trajectoire Nantes-Vierzon-Lyon. Si, à terme, le projet de ligne Lyon-Turin voit le jour, je pense que l'on pourrait envisager de créer ou d'améliorer, entre le port de Nantes et l'Italie, des plateformes multimodales et le ferroutage. Mais, encore une fois, il faut de grandes distances pour mener à bien la réalisation de ces infrastructures.
Sur le plan de la fiscalité écologique, pour répondre à M. Edmond Hervé, nous disposons d'un certain nombre d'outils, qui se mettent progressivement en place. Les produits de cette fiscalité auront tendance à diminuer car l'objectif est de réduire les effets de la pollution ; par conséquent, il ne s'agit pas, à terme, d'une recette stable.
Le très haut débit peut être une solution. J'évoquais précédemment le kérosène, je pense que cela peut être une solution, mais qui nécessiterait un accord international. Quant à l'euro-compatibilité, nous ne possédons pas d'éléments sur ce sujet, qu'il faudra toutefois traiter.
Enfin, en ce qui concerne les remarques de M. Georges Labazée, je ne vois pas comment nous pourrions nous passer de cofinancements des régions et des autres collectivités sur les grands projets. C'est pour cette raison que j'ai cité le financement des lignes principales par l'État et les régions en ajoutant qu'il serait nécessaire de faire en sorte que l'Europe revienne à ses fondamentaux. En effet, elle a financé énormément d'infrastructures, par exemple à Burgos, au nord de l'Espagne. On dénombre aujourd'hui dans cette région une multitude d'autoroutes quasiment désertes. Relevons toutefois le côté positif : des infrastructures ont pu être réalisées grâce à l'Europe. Celle-ci aurait dû investir moins massivement en certains endroits tout en maintenant globalement une politique des transports ambitieuse.
Le rapport est adopté