Mardi 21 mai 2013
- Présidence de M. Jean-Pierre Raffarin, président -Débat sur les orientations de la mission et établissement du programme de travail
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Notre mission travaillera jusqu'à la fin de la session et se réunira encore après l'été, pour présenter ses conclusions à la fin du mois de septembre. Nous effectuerons deux déplacements, voire plus. Je propose que nous rendions visite sur le terrain aux présidents de l'Association des Régions de France (ARF) et de l'Assemblée des Départements de France (ADF), en Aquitaine et en Bretagne, mais nous pouvons réfléchir à un ou deux déplacements supplémentaires.
M. Yves Krattinger, rapporteur. - Rencontrer les présidents des grandes associations d'élus me paraît intéressant : pourquoi ne pas y ajouter le président de l'Association des Maires de France (AMF), M. Pélissard, élu de ma région ? D'autant que la Bretagne et l'Aquitaine sont plutôt dynamiques : d'autres profils méritent notre attention et la Franche-Comté lutte contre la disparition de l'emploi industriel, sans bénéficier du tourisme comme secteur économique de substitution.
De même, le sud de la France n'est pas le nord : ses spécificités en matière d'organisation territoriale méritent d'être étudiées.
M. Marc Daunis. - Je m'interdis évidemment tout plaidoyer pro domo, mais il se trouve qu'entre son agriculture classique, de montagne, ses problématiques de reconversion et de développement économique autour des pôles de compétitivité, mon département fournit également un cas intéressant.
Mme Hélène Lipietz. - Intéressons-nous aux déserts français : que signifie être en voie de désertification ? Allons en Lozère, ou dans le coeur de la France.
Et pourquoi ne nous rendrions nous pas à l'étranger, notamment en Europe ? Après tout, le cadre de l'organisation décentralisée de la République est désormais européen. Et nous ne sommes pas les seuls à repenser la place de nos pouvoirs publics locaux.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Rendons-nous dans les régions des présidents de l'AMF, l'ADF et de l'ARF, et choisissons une quatrième région.
Madame Lipietz, nous ne manquons pas d'études comparées, qu'elles émanent du Parlement européen, du Conseil de l'Europe ou des missions parlementaires. Une audition spécifique en matière de droit comparé pourrait être organisée, pour répondre à nos interrogations - mais ne nous interdisons pas d'aller voir sur place, si nécessaire.
Concernant les auditions, nous les souhaitons significatives et originales. La vision globale d'un spécialiste des aspects constitutionnels, juridiques et institutionnels semble indispensable, de même que celle d'un démographe comme Hervé Le Bras dont l'approche, dans les travaux qu'il a réalisés avec Emmanuel Todd, est intéressante. Nous pourrions également inviter le patron ou le rédacteur en chef d'un quotidien régional, Ouest France ou La Dépêche du Midi, ou de France 3. Un banquier du Crédit agricole ou de la Caisse d'épargne a sûrement un angle de vue différent et aurait des choses à dire sur la façon dont se financent les communes. De même, les patrons d'administrations locales, Centres Hospitaliers Universitaires (CHU) ou Pôle emploi, ont une position intéressante. Pour l'étranger, nous pourrions auditionner une personne de la Commission européenne ou du Conseil européen, ou un ambassadeur : l'ambassadrice d'Allemagne ou l'ambassadeur du Canada, deux Etats fédéraux, sont sûrement de fins observateurs de notre organisation territoriale.
Le rapporteur et moi-même souhaitons que la presse ne soit pas présente lors de nos auditions : nous gagnerons en liberté de parole. En revanche, associons-la à nos déplacements sur le terrain.
M. Yves Krattinger, rapporteur. - L'audition d'un représentant de l'Etat doit être envisagée, puisque les relations de l'Etat et des élus sont en question - je vous renvoie aux propos d'Alain Rousset. Que l'on soit d'accord ou pas avec lui, ses réflexions méritent notre intérêt. On est parfois surpris par l'ignorance des cadres de l'Etat, y compris au sein du corps préfectoral : ils connaissent mal les territoires. Discuter avec certains de ces fonctionnaires ne me semble pas inutile. Il n'est pas toujours facile de faire comprendre dans les services de l'Etat que la décentralisation doit progresser.
Il est préférable de ne pas ouvrir les auditions à la presse, en revanche, informons-la de nos déplacements.
M. Yves Rome. - Je suggère d'intégrer à nos auditions une dimension supplémentaire : la numérisation de la société, qui bouleverse toutes les organisations. Le numérique rend caduque la notion de désertification, même dans les territoires à faible densité de population.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Un représentant régional de France Télécom vous conviendrait-il ?
M. Yves Rome. - Je pensais plutôt à un chercheur, un sociologue, ou même aux représentants d'une association comme celle des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel (Avicca), qui regroupe les collectivités territoriales déployant des réseaux de très haut débit.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Quid de la Caisse des dépôts ?
M. Yves Rome. - Elle travaille en effet sur le sujet.
Mme Hélène Lipietz. - Pourquoi pas M. Verdier, le directeur du service centralisé de mise en ligne des décisions de l'Etat ? Il a beaucoup de mal à convertir les hautes sphères à l'open data... Il faut aussi associer des citoyens qui sont systématiquement hostiles à l'Etat, comme Les Contribuables associés. Patrick Le Lidec, sociologue et enseignant à Sciences-Po, spécialiste des questions relatives au fédéralisme et aux territoires, pourrait également nous éclairer.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Cet aspect est important ; nous devrons traiter également cet aspect d'articulation institutionnelle, de subsidiarité ; enfin, notre organisation territoriale est originale au plan international.
M. Yves Krattinger, rapporteur. - Je me méfie d'une mission qui ne recueillerait que l'avis de personnalités vivant à l'intérieur du périphérique parisien. Nous avons besoin d'entendre des gens qui vivent, travaillent et lancent des initiatives dans les territoires. Je ne suis pas contre les universitaires, mais sur le terrain, ce ne sont pas eux qui prennent des décisions à chaque instant pour faire avancer la France.
Mme Michelle Meunier. - Il faut trouver un juste équilibre entre ceux qui ont l'expérience concrète et ceux qui manient les idées - parfois utopiques et ce n'est pas inutile - dans les universités.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Pour contourner la pensée unique des VIème et VIIème arrondissements de Paris, nous pouvons choisir nos interlocuteurs dans les grandes universités territorialisées. On peut être universel et local !
M. Gérard Larcher. - M. Alain Guengant, grand spécialiste de la péréquation, est professeur à l'université de Rennes, à distance du périphérique...
M. Alain Bertrand. - Je crains l'approche peu pragmatique et non financière des professeurs de faculté. Nous aurions intérêt à définir d'abord les questions auxquelles nous voulons répondre. Qui est confronté à des difficultés ? Que pense le directeur d'un hôpital départemental qui n'est plus rattaché au centre hospitalier universitaire ? Quelles sont les attentes du directeur de la petite antenne universitaire d'un département rural, dont les unités de formation des maîtres et certains cursus disparaissent au profit des grandes universités régionales ? Quels sont les freins aux initiatives des entreprises identifiés par le préfet d'un département rural ? Doit-on faire une différence entre la ruralité et l'hyper ruralité ? La République, c'est Paris mais aussi, et pour 80 %, des départements ruraux. Quelles discriminations positives faut-il introduire ?
Je me méfie des chercheurs : Mme Duflot vient de m'envoyer un rapport de 500 pages, que je lirai en dix ans de retraite...
M. Rachel Mazuir. - L'université décentralisée à Bourg-en-Bresse ou la disparition de l'hôpital de Belley n'intéresse pas les éminents responsables lyonnais : je crains que nous ne perdions notre temps à les écouter. Si nous quittons le VIème arrondissement de Paris pour interroger les responsables des grandes capitales régionales, cela ne changera guère le point de vue.
M. Yves Krattinger, rapporteur. - Je précise que notre mission ne porte pas sur l'aménagement du territoire. Quelle organisation garantit la meilleure efficacité, la plus grande réactivité et la meilleure utilisation des fonds publics ? Comment éviter que le moindre projet d'infrastructure donne lieu à de longues années d'études ? Comment prendre une décision sans demander l'avis de quinze services différents si bien qu'à la fin, le préfet ne sait plus que penser ? Dans les régimes dictatoriaux, les décisions se prennent en six mois, chez nous en six ans !
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Nos travaux s'organiseront autour de plusieurs grands thèmes de débat. En étudiant le lien entre les collectivités et les citoyens, nous chercherons à répondre à la question de l'efficacité publique, en partant du citoyen. Nous aborderons dans cette phase la notion clé de la responsabilité. Puis, nous nous pencherons sur les relations entre l'Etat et les collectivités, l'autonomie des collectivités, la répartition des compétences et nous reviendrons sur le débat entre l'égalité devant la loi et la décentralisation à la carte.
Nous étudierons ensuite le rapport des collectivités aux territoires. Comment traiter la diversité des territoires ? Les zones rurales, urbaines, rurbaines doivent-elles être traitées de la même façon ? Comment se situent les territoires au sein de l'Europe ?
Enfin, nous étudierons tout ce qui relie les collectivités entre elles, conventionnement, mutualisation, tutelle : il s'agit là de la réflexion sur le management des collectivités territoriales.
M. Yves Krattinger, rapporteur. - Nous devons aborder tontes ces questions en ayant quelques fils directeurs à l'esprit : responsabilité, efficacité, réactivité. Qui est responsable de quoi ? Quelle est l'efficacité de l'action, si largement mise en cause ? Quant à la réactivité, elle a beaucoup reculé.
Lorsque de nouveaux élus assistent pour la première fois à un conseil municipal, ils sont toujours surpris par la lenteur des procédures. Les Chinois décident et font. Nous décidons... et agissons huit ans après.
La responsabilité est très importante : les gens veulent savoir qui est responsable de quoi. Quand le projet est mis en oeuvre longtemps après la décision, c'est plus difficile...
M. Henri de Raincourt. - Les thèmes de débat me conviennent. Ce que nous voulons, ce sont des solutions concrètes, conjuguant la proximité, l'efficacité et la simplification : la complexité de nos procédures est infinie et ne s'atténue pas... Le président de la République a parlé à juste titre d'un « choc de simplification » : apportons notre contribution à cette ambition fondamentale. Cela me semble d'autant plus nécessaire que sur le terrain, le président et le Premier ministre n'ont guère été entendus, en tous cas pas par la direction départementale des territoires (DDT) de mon département. Or, je crois savoir que les instructions sont claires : on demande aux services, hors enjeux de santé et de sécurité, de laisser les gens tranquilles.
La réflexion sur l'organisation territoriale de nos collectivités est indispensable. Dans nos départements, nous nous penchons déjà sur les compétences qui seront prochainement ajoutées ou supprimées dans nos intercommunalités. Mais impossible de changer quoi que ce soit quant aux niveaux de collectivités ou d'intercommunalités ! Notre tentative de simplification et de rapprochement des départements et des régions, sans doute maladroite, a échoué. Je ne suggère pas aujourd'hui de reprendre le projet de conseiller territorial en tant que tel, mais trouvons quelque chose d'autre !
Le futur texte sur le cumul des mandats va changer la donne : les élus locaux prendront une importance encore plus grande. Il n'y aura plus de député-maire ou de sénateur-maire. Soyons imaginatifs. Je souhaite que la simplification soit intégrée à notre réflexion.
M. Marc Daunis. - La réactivité est fondamentale. Nous avons besoin de territoires agiles. Ce qui prenait six mois en 1989 prend aujourd'hui trois ans. Notre mission sur la désindustrialisation, menée par M. Bourquin, a mis en évidence des problèmes de droit, d'urbanisme et de procédures administratives. Un exemple : pour construire une ligne de production pharmaceutique, il faut cinq ans en Rhône-Alpes, trois ans en Allemagne, deux en Pologne. Les contraintes qui existent dans notre pays ne sont pas nées ex nihilo. Elles ont été votées, ont fait l'objet de décrets d'application, de décisions de justice et de jurisprudence. Aujourd'hui, elles sont si nombreuses que l'on trouve toujours un motif pour attaquer un plan local d'urbanisme (PLU) : il n'est rien de plus facile que de retarder une opération de cinq ou dix ans. Il faut le reconnaître : nous n'avons pas fait le travail correctement.
Dans le lien de la collectivité au citoyen, n'oublions pas la dimension de l'histoire. Même si d'autres facteurs ont joué, on ne peut pas évacuer ce facteur dans l'échec de la fusion du Haut-Rhin et du Bas-Rhin avec la région Alsace au sein d'une collectivité unique. On pourrait aussi évoquer la Corse, le rattachement du comté de Nice en 1860 au département des Alpes-Maritimes...
Enfin, à côté de l'Etat, des échelons régionaux et départementaux, intéressons-nous à ce niveau infra ou supra étatique que constituent les agences, comme les Agences Régionales de Santé (ARS). Qui représente l'Etat dans ces agences ? Sur certains dossiers, on ne sait plus quel est le rôle du préfet de département ou de région. L'échelon départemental est-il justifié politiquement ? Faut-il un super secrétaire général pour les affaires régionales (SGAR) au niveau régional et une logistique étatique de proximité au niveau départemental ?
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Il nous faut un plan de réflexion globale de grande qualité.
M. Rachel Mazuir. - Je n'entends parler que d'aménagement du territoire ! Etre efficace, aller plus vite... oui, mais avec quelles institutions ? Celles qui existent, celles qui sont en devenir, ou celles que l'on souhaite ? Je suis voisin de la Suisse : je peux vous garantir que les choses y prennent du temps, d'autant que les décisions sont systématiquement attaquées. Comment lutter contre l'excès de normes ? Comment faire mieux et plus vite avec un Etat et des fonctionnaires qui ne veulent rien céder de leurs pouvoirs ?
J'avoue avoir du mal à cerner l'objectif de nos travaux. Nous avons 550 000 élus, dont 530 000 bénévoles. Sont-ils utiles ou non ? Ont-ils leur mot à dire ou pas ? La mission a beaucoup d'ambitions, mais lesquelles ? Le sujet n'en est pas moins fondamental.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Notre approche ne peut être que complexe, à l'image de notre démocratie. Seules les dictatures sont simples.
Etat qui se déconcentre, territoires qui vivent la décentralisation, les deux sujets sont bien distincts. L'aménagement du territoire relève principalement de l'Etat car chacun réclame l'égalité, quelle que soit la région où il vit. J'ai apprécié les contrats de plan créés par Michel Rocard. Quant à nous, aujourd'hui, nous ne réfléchissons pas à un projet pour la Datar mais à un projet d'organisation décentralisée. Et nous sommes conscients que plus un territoire est fragile, moins grande est sa liberté d'initiative. Nous parlerons de l'Etat bien sûr, mais à partir de notre colonne vertébrale, la décentralisation.
M. Yves Krattinger, rapporteur. - Peu importe la complexité de fonctionnement de ma voiture, pourvu qu'elle démarre et roule lorsque j'en ai besoin. La simplification n'est pas une fin en soi : il faut qu'elle serve un objectif identifié, l'efficacité.
M. Daunis met en évidence la schizophrénie des parlementaires, qui veulent, lorsqu'ils sont à Paris, tout préciser dans la loi, et protestent contre cette complexité quand ils sont dans leurs territoires... Un commentateur politique a lancé un défi : une année sans nouvelle loi ! L'exercice serait apaisant pour tous.
M. Marc Daunis. - Il pourrait s'avérer cruel, si finalement cela ne changeait rien !
M. Yves Krattinger, rapporteur. - Divers facteurs expliquent l'échec du référendum en Alsace, mais de nombreux citoyens, notamment ceux du Haut-Rhin, ont craint l'éloignement de la décision, à Strasbourg.
Autre remarque : pour tout le monde, dans les communes, le maire est le représentant de l'Etat. Dans les territoires ruraux, je ne suis pas convaincu qu'une double administration soit nécessaire. Le président du conseil général, peut-être élu différemment, pourrait très bien être le représentant de l'Etat.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Nous ne sommes pas tous égaux devant la simplification. Les grandes structures ont de gros moyens que d'autres n'ont pas.
Mme Mireille Schurch. - Où se situe notre mission par rapport au projet de loi sur la décentralisation : avant ou après ?
Les thèmes du débat sont intéressants, mais il faudrait préciser les questions auxquelles nous entendons apporter des réponses.
Il faut aborder le sujet de la démocratie locale. Nous vivons un divorce total entre les élus et les citoyens. Pourquoi les élus sont-ils ainsi stigmatisés ? Pourquoi une telle méfiance ?
Avons-nous besoin de 36 000 communes et de 550 000 élus, dont 530 000 bénévoles ? Pour ma part, j'estime qu'ils rendent des services extraordinaires à la population. Je ne suis pas de ceux qui admirent l'Allemagne parce qu'elle fait autrement : toutes ces communes fournissent de précieux services de proximité.
En effet, le Haut-Rhin se méfie de Strasbourg, et c'est partout la même chose. Dans les grandes communes, on reforme des conseils de quartier... La réforme à venir inquiète beaucoup les petites communes, qui se sentent méprisées. Leurs compétences s'évaporent. La Haute Assemblée se prononcera-t-elle sur la volonté de conserver nos 36 000 communes, avec les délégations nécessaires aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ?
Enfin, les régions rurales ont besoin d'une présence accrue de l'Etat, les grandes collectivités, non. Ne craignons pas la diversité des réponses : l'Allier n'est pas Lyon !
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - L'objectif de notre mission est de structurer la pensée du Sénat à l'horizon 2020. Nous avons besoin d'une ligne d'horizon, et c'est l'objet de notre mission, qui est donc indépendante de l'acte III de la décentralisation. Le Sénat doit être pilote en la matière.
Ce que je retiens de mon expérience à Matignon, c'est le rôle majeur des 550 000 élus. Croyez-moi, quand une catastrophe survient, ils sont en première ligne, ce sont eux qui vont voir les familles. Ils sont la force publique la moins coûteuse !
Mme Mireille Schurch. - Absolument.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - La complexité doit être envisagée dans un souci d'efficacité et en prenant en compte la qualité du service. Ce que vous dites sur la démocratie locale est très important : plus l'élu est proche, plus il est respecté - en dehors du cas particulier du président de la République...
M. Alain Bertrand. - Je rappelle que le sujet n'est pas l'organisation décentralisée de la République mais son avenir. Si la décentralisation continue dans la même veine - prendre à Paris pour donner à Toulouse, Marseille, Lille ou Nantes - cela n'intéresse pas l'élu rural que je suis. Cessons de susciter de nouveaux déserts, faisons évoluer autrement la décentralisation.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Nous essaierons de vous redonner confiance en la décentralisation. En quoi le processus a-t-il induit certaines disparités ? Sans être hostiles bien sûr au rayonnement des villes, élaborons une nouvelle vision de la décentralisation. Bordeaux, Lyon, Lille se sont embellies : tant mieux. En revanche, il est de plus en plus difficile de faire venir un ingénieur à Angoulême... Le désert français a changé de visage.
M. Yves Krattinger, rapporteur. - Depuis une quinzaine d'années, la puissance publique s'est mise à la remorque des évolutions de la mondialisation. Il n'y a plus de planification, la contractualisation est en voie de disparition. Nous apposons pansement sur pansement... C'est exact, les ingénieurs, les chercheurs préfèrent Bordeaux à Angoulême, Vesoul à Besançon, Lyon à Besançon... Entre Lyon et Paris, ils hésitent.
Naguère, l'élaboration des contrats de plan région-département contraignait des élus de sensibilité différente à se mettre d'accord pour prendre en compte la ruralité, dans le respect des territoires. On décidait de donner plus à la Haute-Saône et au Jura qu'au Doubs, plus urbain. Aujourd'hui, ce genre d'initiatives a totalement disparu : la région ne planifie plus son action publique en tenant compte de la diversité des territoires.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Oui ! Michel Rocard parlait « d'inégalités d'avantages ». Nous étions tenus, au niveau régional, d'élaborer notre propre contrat de plan et nous discutions des deux contrats avec le préfet. L'initiative locale s'ajoutait ainsi à la cohérence globale donnée par l'Etat. Ironie, c'est un grand gaulliste, M. de Villepin, qui a supprimé le Commissariat au plan et la Datar. Or, pour faire venir des usines dans des territoires difficiles, il y a besoin d'une vision de moyen terme. Partager l'avenir est fondamental !
M. Marc Daunis. - Distinguons entre un bloc de stratégie et un bloc de proximité. La forme d'organisation et les enjeux ne sont pas identiques en Rhône-Alpes et en Limousin. De même, notre nouvelle métropole dans les Alpes-Maritimes s'étend jusqu'au Mercantour et comprend des zones très rurales : le rôle du département va en être transformé, c'est la métropole qui constituera l'essentiel du bloc de proximité.
Le liant, dans cette diversité, ce sont les projets de territoire et la contractualisation. Et c'est en négociant concrètement sur des projets que l'emboîtement va apparaître, que le rôle de chacun va se définir. Le projet sera porté là par le département, ailleurs par la région ou la métropole.
Sortons le lance-flammes contre les doublons, qui tuent l'intelligence et incitent à agir contre plutôt qu'ensemble. Voyez les services déconcentrés qui rivalisent entre eux.
M. Jean-Claude Peyronnet. - Les communes ont perdu leurs compétences depuis la loi de 1992 ; elles s'en sont dessaisies volontairement. Henri de Raincourt estime que le rôle des élus locaux va s'accroître. C'est aussi mon avis et j'ajoute que le rôle local de l'élu national va disparaître avec le cumul des mandats. Aucun député ou sénateur ne siège à ce titre au conseil d'administration d'un hôpital ou d'un collège. Nous allons changer de régime et le scrutin uninominal pourrait aussi bien disparaître...
Aujourd'hui, il n'existe plus d'aménagement du territoire. La Datar a joué un grand rôle dans les décennies soixante et soixante-dix. Puis elle a fait semblant de continuer à le jouer. Je me souviens d'un colloque à Toulouse, sur l'exode rural vers la ville rose, qui vidait les zones rurales alentour : les représentants de la Datar ne trouvaient rien de négatif à cela.
Les villes, les zones rurbaines et la ruralité profonde ont des besoins différents, qui devraient être gérés différemment. Le département peut confier ses compétences à une métropole, mais il est irremplaçable en zone rurale.
M. Yves Krattinger, rapporteur. - Je suis élu local depuis 1971. Dans les années quatre-vingt dix, souvenez-vous que les communes étaient membres souvent d'une dizaine de syndicats ! Ce n'est pas la loi qui a créé l'intercommunalité, mais le besoin. Et disons-le, lorsqu'une nouvelle compétence est transférée au bloc communal, les maires s'empressent d'estimer que c'est à l'intercommunalité de l'exercer tout en se plaignant de perdre leurs compétences.
Pour moi, l'intercommunalité est la grande révolution des dernières décennies. Tout ce qui était impossible avant est devenu possible après ! Nous avons aujourd'hui des communes qui ont une certaine assise fiscale, donc qui peuvent agir ; nous sommes même peut-être en avance de ce point de vue sur l'Italie et l'Allemagne.
M. Rachel Mazuir. - Notre président a évoqué les « contrats Rocard » : dans ma région, nous avons les « contrats de développement Rhône-Alpes » qui permettent à la région d'aider des projets locaux émanant des intercommunalités, des groupements, voire des pays. Rien n'interdit de les utiliser.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Il faut que la région soit beaucoup plus puissante que le département.
M. Rachel Mazuir. - Bien sûr ! C'est pour cela que je préférerais une dizaine de régions...
Une question me taraude : j'ai l'impression que pour beaucoup, notre architecture territoriale constitue un handicap. Cet a priori se situe implicitement - voire explicitement, comme chez Gérard Collomb -, à l'arrière-plan de certains discours. Selon moi, il n'en est rien : au cours des Trente glorieuses, cette territorialité a permis de grandes réalisations ; elle n'a pas gêné de grands hommes politiques comme de Gaulle ou Mitterrand. Pourquoi remettre en cause une organisation qui fonctionne ? Mieux vaudrait s'efforcer de donner des réponses différentes aux problèmes urbains, rurbains, péri-urbains et ruraux, qui sont différents.
Mme Mireille Schurch. - Je suis de ceux qui regrettent l'absence d'un ministère du Plan dans ce gouvernement. Nous devons travailler pour l'horizon 2020 ? Très bien, mais nous devons regarder le territoire national dans sa globalité. Une carte des métropoles laisse un grand creux au centre de la France : de Tours à Montpellier, de Lyon à Bordeaux, il n'y a pas de métropole !
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Lors de notre prochaine réunion, nous aborderons les questions démographiques et les flux. D'ici là, nous allons clarifier et ordonner les belles idées qui ont été proposées.