Mercredi 21 mars 2012

- Présidence de M. Louis Nègre, président -

Audition de M. Jean-Paul Kihl, directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises

M. Louis Nègre, président. - Monsieur le préfet, notre mission d'information s'intéressant aux mécanismes d'alerte, à leur articulation avec l'organisation des secours et à la mobilisation des forces de sécurité sur le terrain, nous aurions souhaité avoir, sur ces sujets, un retour d'expérience des événements survenus dans le Var en novembre 2011 ainsi que, par comparaison, votre analyse des inondations de juin 2010 qui ont touché le même département. Nous nous interrogeons aussi sur l'ensemble des actions de prévention et de préparation engagées en amont des crises et nous souhaiterions aussi savoir si le ministère de l'intérieur assurait des formations à destination des collectivités territoriales et notamment des petites communes.

M. Jean-Paul Kihl, directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises. - Le responsable de la gestion des crises demeurant le préfet, la direction générale de la sécurité civile assure pour sa part une mission de veille, 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24, des signes annonciateurs d'un événement pouvant survenir dans l'ensemble du territoire métropolitain comme outre-mer. Elle agit au travers de son centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC) en relation avec l'ensemble des opérateurs, dont Météo France, qui est l'un de nos partenaires privilégiés, et le SCHAPI (service central d'hydrométéorologie et d'appui à la prévision des inondations), compétent en matière d'inondations et de crues. Nous analysons tous les événements annonciateurs, notamment en matière climatique.

Ainsi dès le 2 novembre 2011, Météo France ayant placé plusieurs départements en vigilance orange puis rouge, un dispositif a été mis en place consistant notamment en deux audioconférences par jour avec l'ensemble des organismes de prévision et les préfectures des zones de défense concernées qui sont nos interlocuteurs privilégiés.

L'objectif était d'anticiper l'événement lui-même, de veiller à la mise en alerte de l'ensemble des territoires concernés, notamment des communes chargées le cas échéant de mettre en oeuvre leur PCS (plan communal de sauvegarde), et de pré-positionner des moyens d'intervention au plus près de l'événement, soit, en l'espèce, de six hélicoptères, de forces de la gendarmerie et de l'armée de terre, les unités d'intervention de la sécurité civile de Nogent-le-Rotrou et Brignoles, plus des moyens de pompage et autres dépendant des établissements de soutien logistique de la direction. Au plan local, toutes les autorités, et notamment notre interlocuteur privilégié qu'est l'état-major de zone, sans oublier l'ensemble des SDIS, ont été mis en alerte de la même manière, ainsi que les maires, pour que les PCS puissent être mis en oeuvre.

Si cette opération a nécessité le déplacement de moyens initialement affectés au G20 de Cannes, l'on peut considérer que les événements de novembre 2011 ont, par comparaison à ceux de juin 2011, fait l'objet d'une bonne anticipation : les travaux que nous menons avec Météo France nous permettent d'opérer des prévisions de plus en plus précises et nous avons pour ainsi dire suivi les nuages, pour intervenir là où nous étions les plus utiles.

M. Louis Nègre, président. - Nous nous interrogions sur l'existence d'une formation à destination des collectivités territoriales, dans le cadre des opérations de prévention.

M. Jean-Paul Kihl. - Il n'y en a pas actuellement. Toutefois, une réflexion est engagée au sein de l'école nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (ENSOSP) d'Aix en Provence, en partenariat avec le CNFPT (centre national de la fonction publique territoriale) afin de proposer des formations pour les élus et les personnels territoriaux concernés. Le but est de proposer assez rapidement un certain nombre de formations.

Parallèlement, dans le cadre de sa mission générale de conseil aux préfets, notre direction assure la formation des membres du corps préfectoral - car ce sont les préfets qui ont la main - et des fonctionnaires des services départementaux de sécurité civile : au sein de notre direction, nous recevons régulièrement les membres du corps préfectoral pour assurer leur formation à la gestion de crise : je le répète, le préfet dirige les opérations de secours, nonobstant les attributions du sous-préfet dans son arrondissement. Pour notre part, si nous conseillons les préfets, si nous prenons part à leur formation, nous n'intervenons pas directement au cours des opérations. En outre, nous travaillons avec l'Association des maires de France à la mise en place d'une documentation, en particulier pour les petites communes.

M. Louis Nègre, président. - Les formations sur lesquelles réfléchit l'ENSOSP devraient-elles bientôt voir le jour ?

M. Jean-Paul Kihl. - Oui, l'école est en train de formuler des propositions, elle a déjà défini les contours d'un certain nombre de modules A mes yeux, il vaut mieux mélanger les différentes catégories de personnes appelées à travailler ensemble en période de crise, plutôt que de spécialiser les formations par types de public. Membres du corps préfectoral, sapeurs-pompiers, personnels chargés de l'ordre public doivent partager des cultures qui sont, de fait, différentes, et qui peuvent s'enrichir les unes les autres, sachant que dans la crise tous les acteurs devront travailler ensemble.

M. Louis Nègre, président. - Ces formations ne devraient-elles donc pas être organisées au niveau départemental ?

M. Jean-Paul Kihl. - Quelques questions pratiques doivent être réglées, comme celles du financement, mais il serait imaginable et judicieux qu'une même session de formation rassemble toutes les personnes qui interviendront ensuite ensemble : plus nous habituerons en amont les divers acteurs appelés à travailler en commun, meilleure sera l'action publique en situation de crise.

M. Louis Nègre, président. - Je retiens donc que vous considérez cette proposition imaginable et judicieuse.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Pourquoi la bonne anticipation observée en novembre 2011 n'a-t-elle pas pu se vérifier aussi lors des inondations de juin 2010, au cours desquelles la moitié des véhicules du SDIS se sont retrouvés pris par l'eau, la mobilisation d'hélicoptères ayant été le fait du préfet du Var lui-même, et non du dispositif que vous nous avez exposé ? Il me semble difficile de comparer les deux inondations ; de fait, l'épisode de 2011 présente l'avantage d'entrer dans les modèles. A ce titre, pouvez-vous nous en dire davantage sur les différences qui séparent les deux événements ?

M. Jean-Paul Kihl. - Je n'étais pas en fonction lors du premier événement, je n'en connais donc que ce que l'on m'en a rapporté, et par comparaison avec 2011. Notre système d'anticipation est un processus en constante évolution. Grâce aux retours d'expérience systématiques, il ne cesse de s'améliorer, le phénomène de vagues-submersion  survenu en Vendée ayant par exemple eu pour conséquence la mise en place en octobre dernier d'un dispositif nouveau répondant à ce type de risque. Systématiquement, nous gardons le réflexe du retour d'expérience, avec l'ensemble des acteurs de terrain, afin que nous puissions réagir de manière plus réactive. Notre doctrine, c'est bien ce souci d'amélioration, ce travail d'anticipation permettant d'informer les populations, les décideurs, et de mieux prépositionner les moyens.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - C'est bien cette philosophie qui m'interpelle : en supposant l'acquisition d'une connaissance exhaustive des différents types d'événement pour en déduire les consignes à appliquer pour l'avenir, nous serons toujours en retard d'un catastrophe !

Certes, il n'est pas nécessaire de mener des études très approfondies pour comprendre qu'il ne faut pas placer les centres de secours en zone inondable, mais la grande catastrophe étant par définition non prévisible, ce système est-il tenable ? C'est la conclusion qu'ont tirée un certain nombre de personnes déjà auditionnées. Certes, votre action de préparation est très utile, mais, par exemple, l'événement de juin 2010 ne pouvant toujours pas être pris en compte dans les modèles de Météo France, n'est-il pas vain de maintenir le système actuel de prévision et de gestion des crises, en espérant que chacun, ensuite, exécute les ordres avec le petit doigt sur la couture du pantalon ?

M. Jean-Paul Kihl. - Il est toujours difficile de prévoir ce qui n'est pas prévisible. Cependant, plus on analyse les événements après coup, plus on les étudie finement, plus on peut améliorer notre dispositif d'anticipation en augmentant de quelques points la fiabilité de nos prévisions, même si nous ne répondrons jamais à 100% des cas. L'existence des traits communs entre les différents événements complète la boîte à outils du décideur, même dans le cas d'événements assez imprévisibles...

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Là est la question. Faut-il vraiment qu'il y ait un seul décideur, c'est-à-dire que le système soit si hiérarchisé et centralisé au niveau du préfet ? Ne devrait-on pas donner plus de latitude aux acteurs de terrain ? Les formations ne devraient-elles d'ailleurs pas consister plutôt qu'à transmettre des consignes, à apprendre les bons comportements dont les événements de juin 2010 ont montré toute l'importance lorsque les événements ne se déroulent pas comme prévu, et que l'on en est réduit au moyens du bord ? Il n'y avait plus de communications, et la sous-préfète, au milieu des eaux, a, seule, coordonné les opérations !

M. Jean-Paul Kihl. - La centralisation ? Je le souligne, les opérations ne nécessitent pas uniquement des moyens locaux. Il faut bien qu'il y ait un décideur dans la mesure où la mobilisation des moyens demande des arbitrages en fonction de la gravité de la situation. Cela n'empêche pas que les décideurs locaux, et tout particulièrement les maires, ont un rôle fondamental à jouer. La question de la formation concerne aussi la population, ne serait-ce que pour que chacun se considère comme le premier acteur de sa sécurité et de celle de sa famille et non comme un consommateur : on appelle et on attend les secours - je relève, au demeurant, que le maillage en centres de secours est fabuleux par rapport à l'ensemble des réseaux de services publics dont dispose notre pays...

Les PCS permettent de préparer la commune aux événements, et prévoient la répartition des moyens en fonction des urgences et de la situation. Si en France, le décideur est le préfet, qui dispose d'une bonne connaissance du territoire et des interlocuteurs locaux, dans un pays tel que l'Italie, cette mission revient à mon homologue, qui prend en charge directement les opérations.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Il est certain que si le décideur se trouvait à Paris, ce serait pire que de la centralisation ! Certes, le préfet a une vision globale de la situation, mais ne peut-on pas trouver une nouvelle articulation entre les préfets et les maires, plutôt que de considérer que les ordres viennent d'en haut et qu'il faut les appliquer ?

Je suis également dubitatif sur les PCS, qui consistent en une liste de consignes à appliquer. Pour moi, la culture du risque ne veut rien dire, la conscience du danger ne pouvant résulter que de l'expérience d'un risque perçu comme proche parce qu'itératif. J'en veux pour preuve que dans le Var, jusqu'à ces dernières années, lorsque vous organisiez une réunion sur les feux de forêts, la population y participait, ce qui n'était pas le cas si vous souhaitiez parler d'inondations.

M. Jean-Paul Kihl. - Sur le plan départemental, nous associons davantage qu'auparavant les collectivités territoriales à nos exercices, qui sont obligatoires, ce qui nous prépare à mieux réagir ensemble le moment venu. Autrefois, nous ne formions que les services de l'Etat. Nous avons fait des progrès ces dernières années, que confirment les directives données aux préfets en 2012 : je le répète, plus nous travaillons ensemble, meilleure seront la confiance et l'efficacité lors des situations de crise.

M. Louis Nègre, président. - De tout cela, je retiens d'abord que, du fait de l'expérience, les choses ne cessent de s'améliorer un peu chaque jour. Mais pourquoi votre mémoire semble-t-elle ne se réduire qu'à quelques mois voire quelques semestres ? Ensuite, s'il faut un décideur - surtout pas deux ! - qui à mon sens doit être le préfet, l'on est toujours démuni face à une nouvelle catastrophe, comme le souligne M. le rapporteur. Bien que l'on ait accumulé les plans sur les étagères, ce sont essentiellement les initiatives personnelles qui comptent le moment venu, d'où la nécessité d'une formation à la culture du risque, même si mon collègue Pierre-Yves Collombat n'y est pas favorable...

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - C'est à l'expression que je ne suis pas favorable.

M. Louis Nègre, président. - Enfin pourquoi, dans les communes soumises à des risques naturels majeurs, ne pas envisager un exercice annuel ? Cela permettrait de diffuser davantage la culture du risque que par des réunions d'information pour lesquelles l'intérêt de la population s'émousse à mesure que l'on s'éloigne de l'événement, comme j'ai pu le remarquer dans ma commune après l'incendie de 2003 : en 2004 j'ai organisé une formation au sein de la mairie, la salle était comble ! L'année suivante, la salle était à moitié vide, à présent il n'y a plus personne. Mais il faut prendre conscience que le risque n'est pas uniquement chez les autres !

Mme Marie-France Beaufils. - Ayant l'expérience d'une commune, celle de Saint-Pierre-des-Corps, soumise à la fois à des risques technologiques et à un risque d'inondation, j'estime que, pour être efficace, la formation doit s'adresser à la fois aux élus, au personnel des collectivités et à la population, en veillant à la renouveler régulièrement de façon à entretenir la connaissance du risque par exemple pour les élus locaux puisqu'ils sont renouvelés par les élections tous les six ans. La formation commence par la connaissance en amont.

Il convient aussi que l'ensemble des personnes intervenant sur les questions foncières, tels que les notaires ou les agences immobilières, contribuent à diffuser la connaissance du risque. Je relève que ces dernières ont protesté contre les mentions que nous faisons figurer sur les certificats d'urbanisme. Une publicité dans la presse locale a dénoncé une pratique inacceptable.

M. Louis Nègre, président. - L'inscription, sur les certificats d'urbanisme, des informations sur les zones de risque est systématique...

Mme Marie-France Beaufils. - Certes, mais il est indispensable que tous les acteurs prennent leur part de responsabilité, car le maire ne peut pas tout. Il faut également former les agents immobiliers ainsi que les notaires !

L'organisation régulière d'exercices ne suffit pas, comme je le constate quand je demande aux habitants où est leur dossier d'information ! On peut recommencer souvent. En fait, les gens n'ont pas envie que l'on leur parle constamment des risques qui les menacent.

M. Claude Haut. - Au vu de mon expérience d'ancien maire de Vaison-la-Romaine, je peux dire que les choses se sont améliorées depuis vingt ans. Toutefois, les événements différant les uns des autres, si les formations contribuent à cette amélioration, elles ne sauraient donner des résultats absolus, tout simplement parce que cela n'existe pas. Les exercices ont aussi leur utilité : mon successeur à la mairie procède chaque année à une opération d'évacuation d'une école, qui est située dans un lieu à risque.

Quant au DICRIM (document d'information communal sur les risques majeurs), supposé être la base des prévisions, a-t-il bien été établi par toutes les communes concernées ? Même lorsque c'est le cas, il est important de procéder à son actualisation tous les 2 ou 3 ans afin d'éviter qu'il ne finisse oublié dans un placard et en garantissant une meilleure information et une meilleure mobilisation des populations.

M. Louis Nègre, président. - L'exercice annuel que vous évoquiez fonctionne-t-il toujours, ou bien 15 ou 20 ans après la catastrophe, les choses n'ont elles pas tendance à s'effilocher, comme je le constate dans ma commune, à cause des phénomènes de routinisation ?

M. Claude Haut. - Non, c'est une école que l'on évacue inopinément, et tout le monde suit : les enfants montent dans les autobus, après que les sirènes ont retenti. Mais il est vrai que dans l'ensemble de population, on oublie vite.

M. Louis Nègre, président.- Ma commune a été la première des Alpes- Maritimes à se doter d'un DICRIM. Nous en étions très fiers ; mais c'est un document papier, qui, même s'il est très utile, reste tout à fait théorique ! C'est mieux que rien, mais si on ne le met pas en oeuvre régulièrement, on l'oublie.

Puis, nous avons créé une cellule de crise et nous avons constaté que, comme à Draguignan, nous avions prévu de l'implanter en zone inondable, tout simplement parce que DICRIM n'avait pas pris en compte ce critère.

M. Jean-Paul Kihl. - Ce qui a changé depuis une dizaine d'années, c'est que nous disposons d'outils informatiques pour utiliser les informations en superposant différentes couches de données sur une carte. Ainsi, on fait vivre la mémoire des catastrophes passées et on affine les projections possibles. Je vous invite d'ailleurs à vous rendre dans nos locaux pour voir comment fonctionne ce système.

M. Louis Nègre, président.- Oui, ce serait une bonne chose.

M. Jean-Paul Kihl.- Ces systèmes permettent de fournir des informations aux préfets de manière immédiate. La principale difficulté est de faire vivre les plans : un plan de sauvegarde ou d'évacuation, s'il ne vit pas, il tombe en désuétude. Les exercices d'évacuation démontrent eux aussi la nécessité de développer une culture du risque, puisque même au sein de mes services, lorsque les sirènes sonnent, certains estiment que leurs conversations téléphoniques sont plus importantes.... Je m'accorde avec vous, les populations n'ont pas encore intégré cette culture du risque : dès lors que le risque a une occurrence faible, il ne fait, hélas !, plus figure de priorité.

Peut-être devrions-nous diffuser cette culture du risque auprès des enfants, qui s'y montrent généralement plus attentifs. D'autres pays étant plus avancés que nous sur ce sujet, nous y travaillons avec l'Education nationale, les nouvelles technologies pouvant nous aider à faire mieux faire passer nos messages.

Un travail de pédagogie doit encore être accompli dans notre pays car la population est tout à fait en mesure de comprendre ce qu'est le risque. Les populations vivant près de centrales nucléaires ont bien souvent développé une conscience des risques et de la façon de les appréhender sans paniquer pour autant. Il faut poursuivre dans cette voie si l'on veut réduire l'impact des différents événements sur la vie des populations. Ces mesures ne sèmeraient pas la panique pour autant.

M. Jean-Paul Fournier. - Si les membres du corps préfectoral ont reçu une formation, ils ne sont souvent que de passage, alors que les risques diffèrent d'un département à un autre. Celui qui connaît le mieux le terrain demeure le maire.

Parallèlement aux outils modernes qui ont été évoqués, il en est d'autres plus faciles à mettre en place. Maire de Nîmes, ville qui a connu des inondations très importantes en 1988 et en 2002, je connais les chemins et les voies susceptibles d'être envahis par l'eau, ce qui m'a conduit, outre des barrières, à mettre en place de batardeaux. On peut rapidement mettre en place ces petites mesures. Les maires sont naturellement en première ligne, mais certains manquent de formation.

Selon les cas, on peut ou non construire ; parfois, il faut des pilotis. On cite toujours le cas de Nîmes, alors que nous avons fait des travaux et que les habitants veulent être prémunis contre le risque. Certes, le préfet est un acteur primordial, mais il faut également former les élus : de nouveaux élus locaux sont nommés à chaque élection !

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Je reste un peu sur ma faim. De fait, il me semble nécessaire de distinguer deux types de situation ; certains risques - les inondations à Nîmes et les incendies dans le Var - font partie du paysage ; d'autres sont inouïs, la mémoire s'en est presque effacée. On n'avancera pas tant qu'on confondra les deux.

En outre, le mot « formation » peut désigner des notions extrêmement différentes. Habituellement, il désigne une transmission de savoirs, mais il faut aussi développer l'aptitude à réagir face à une situation inconnue. Faire prendre conscience du risque encouru ou associer les populations à la défense de la communauté ? Chez moi, lors des graves incendies que le Var a connus, des habitants sont morts en portant secours à d'autres et, dès que les comités communaux feux de forêts se sont mobilisés, ils ont combattu le feu avant l'arrivée des pompiers. Si ces derniers viennent nous transmettre des consignes, ils ne feront passer qu'une partie du message. Il faut à la fois travailler sur les aspects techniques mais aussi se fonder sur des formations spécialisées, comme les corps de volontaires, qui interviennent souvent sur le terrain.

M. Louis Nègre, président. - Parfois, la colonne de secours arrive du département voisin, sans connaître les lieux.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Diffuser la connaissance technique est nécessaire, mais il ne faut pas négliger l'appropriation des sujets. Il faut, enfin, sortir de la logique suivante : « nous allons déterminer les connaissances parfaites pour avoir les consignes parfaites, puis les populations vont appliquer parfaitement les consignes ! »

M. Jean-Paul Kihl. - La formation peut induire des comportements différents. La distinction entre événements récurrents et totalement nouveaux n'est pas sans pertinence, mais la formation délivrée dès le plus jeune âge porte sur des méthodes.

Soyons modestes, nous ne sommes sûrs de rien ; nul ne peut prétendre être à même de faire le nécessaire en toute situation ; pour autant, nous devons à tout le moins développer une méthodologie et essayer d'obtenir une formation à destination de tous les responsables pour identifier les priorités face à un événement, afin d'organiser l'action publique. C'est notre devoir ! Mais ceux qui proposent des recettes toutes faites ne sont pas très sérieux.

M. Louis Nègre, président. - Si vous aviez une ou deux priorités à exprimer, quelles seraient-elles ?

M. Jean-Paul Kihl. - Si je n'avais qu'un seul message, je vous répondrais ceci : toute réponse sur le terrain est une coproduction d'une multiplicité d'acteurs. La DGSC n'a pas la prétention de tout faire tout seul. Au contraire, nous travaillons avec tout le monde : agréger les connaissances donne une bonne idée d'un événement. Nous partageons cette culture le mieux possible. L'État et les collectivités territoriales ont ici un champ de travail en commun : le préfet doit s'appuyer aussi sur les collectivités territoriales, car les services de l'Etat ne sont que des intervenants. Développons les exercices en commun et la bonne connaissance du territoire pour apporter une réponse adaptée en cas de sinistre.

M. Louis Nègre, président. - Pouvez-vous nous décrire comment le risque est géré chez nos voisins européens, au regard de vos relations avec vos homologues ? Le bench marking est instructif.

M. Jean-Paul Kihl. - À ma connaissance, tous les pays européens développent de la gestion de risque. Le politique doit être en capacité de répondre à un besoin de communication. Cela se fait souvent au niveau gouvernemental. Sur le plan technique, malgré des organisations très variables, tous les pays européens sont à un excellent niveau. La France cumule des services de secours départementaux et un niveau national complémentaire : nous ne substituons pas à l'échelle départementale, nous apportons des moyens supplémentaires. Cette organisation est le fruit de notre histoire.

Cette organisation se retrouve en Allemagne et en Italie. À l'inverse, l'échelon national prédomine en Angleterre : on le voit bien pour les Jeux Olympiques de Londres alors que chez nous, c'est le préfet du Pas-de-Calais qui est concerné. Après le naufrage du Costa Concordia, mon homologue italien a été nommé en conseil des ministres pour gérer la crise, avec la haute main sur tous les services de l'État ; il s'est rendu sur place. En France, le préfet maritime et le préfet territorial auraient été compétents, et partant l'échelon local dans son ensemble. Pour sa part, la DGSC serait en appui.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Quel peut être le rôle de l'armée ?

M. Jean-Paul Kihl. - Notre système est bien formalisé. L'autorité civile sollicite l'armée, qui répond en indiquant les moyens dont elle dispose.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Outre les délais, nul n'a la haute main sur tous les services de l'État, contrairement à l'Italie. Le corps préfectoral est bien positionné, mais quel rôle joue-t-il lorsque les communications sont coupées ? Du reste, pour faire intervenir des moyens extérieurs au département, il n'a pas la main par rapport à la DGSC ?

M. Jean-Paul Kihl. - Notre système n'est pas si mauvais, Le préfet exprime ses besoins en fonction de ses analyses ; à nous de lui fournir ce qu'il lui faut, telle est notre responsabilité. Nous pouvons réagir très vite pour monter en puissance. Nous avons six permanents, un officier supérieur est constamment de permanence. Pour ma part, j'habite tout près du ministère, et si on m'appelle, j'y vais, et je ne suis d'ailleurs pas seul. On double les effectifs dans le quart d'heure, et on peut monter à cinquante personnes dans l'heure.

J'ajoute que notre culture est mélangée : nous avons des sapeurs-pompiers civils, de la BSPP, des sapeurs sauveteurs militaires qui travaillent main dans la main.

M. Louis Nègre, président. - Que se passe-t-il lorsque les communications sont dégradées ? Dans le Var, les communications étaient saturées ou hors d'usage.

M. Jean-Paul Kihl. - Le ministère de l'Intérieur et un certain nombre de partenaires ont développé une infrastructure nationale partagée de transmission, architecture de réseau ouverte à la police, à la gendarmerie, aux sapeurs-pompiers via Antares, aux Samu et à la pénitentiaire. De fait, tous les intervenants peuvent se parler sur la même fréquence, ce qui était impossible il y a quelques années encore. Cet outil fabuleux est un atout considérable. Nous faisons en sorte qu'il soit résilient, qu'il soit durci par rapport au système normal. Des balises satellitaires maintiendront une liaison en toute situation : les préfectures et les SDIS resteront ainsi reliés.

M. Louis Nègre, président. - Est-ce cher ?

M. Jean-Paul Kihl. - Surtout la communication.

M. Louis Nègre, président. - Les maires n'ont pas accès à ce réseau, alors qu'ils connaissent bien le terrain et jouent parfois un rôle primordial durant les crises, et même avant les pompiers. Je songe à l'incendie qui est survenu dans la commune en 2003 : le maire a joué un rôle de pivot, même face aux sapeurs-pompiers qui ne connaissaient pas le terrain...

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - La situation évolue dans le Var, avec le système satellitaire, qui maintiendra les télécommunications quelles que soient les circonstances.

M. Louis Nègre, président. - Oui, si la terre tremble, il restera possible de communiquer. Mais est-il envisageable que les maires utilisent le réseau partagé ?

M. Jean-Paul Kihl. - Dans ce domaine, tout est imaginable ; je ne vois pas d'objection à ce que le maire dispose d'un terminal dans des situations particulières. Il suffirait d'en déterminer les modalités pratiques. L'Etat a assumé tous les investissements de base, pour mettre en place ce système qui compte d'ores et déjà de nombreux utilisateurs, lesquels participent financièrement au prorata de base à son entretien : c'est un réseau ouvert.

M. Louis Nègre, président. - C'est important. Jusqu'à présent, le système intégrait tout le monde, y compris l'armée et de nombreux services, à l'exception des collectivités territoriales. Je pense que nous pourrions retenir l'idée d'une liaison directe entre deux mondes qui se sont trop longtemps ignorés, d'un accès direct entre le maire et le préfet, lequel, en de telles catastrophes, resterait sans doute à la préfecture pour coordonner les opérations.

M. Jean-Paul Kihl. - Nous travaillons à un système d'alerte et d'information des populations qui, début 2013, devrait prendre le relai du réseau national d'alerte, dépassé, conçu à l'époque de la guerre froide et orienté contre les attaques aériennes. Désormais, l'alerte ne sera plus nationale mais par bassins de risque. Pour alerter la population, nous n'avons rien trouvé de mieux que la sirène - dont plus personne ne connaît la signification des modulations - mais on y ajoute des messages envoyés sur les panneaux à message variable et sur les autoroutes.

Ce système permettra d'alerter la population et de l'informer, les maires pouvant déclencher l'opération d'information sur leur commune ; les élus seront donc totalement associés à ce système. L'action sera géographiquement ciblée : une personne de passage recevra un message sur son téléphone portable, par la technique du cell broadcast. Une convention nationale a été passée avec Radio France et le réseau « Radio bleue » pour relayer ces messages en interrompant les émissions en cours.

M. Louis Nègre, président. - Au niveau local, toutes les radios devraient répercuter le message, et non pas uniquement Radio bleue qui est principalement écoutée par les séniors.

M. Jean-Paul Kihl. - Un accord national a été conclu avec Radio-France ; mais, bien entendu, les préfets sont invités à passer des conventions avec les stations locales, et plus généralement à associer les médias à leurs plans.

Mme Marie-France Beaufils - Pour les jeunes, le SMS sur téléphone portable est l'outil le plus adapté.

M. Jean-Paul Kihl. - Et avec cette technique, certes un peu plus chère que la diffusion radiophonique, je souligne qu'il n'y a pas de saturation. Nous assurons la diffusion instantanée du message sur l'ensemble de la zone.

M. Louis Nègre, président. - Cette note positive clôt cette audition, dont nous vous remercions.

Audition de M. Eric Jalon, directeur général des collectivités locales

M. Louis Nègre, président - Notre mission traite d'un sujet sensible, qui s'est révélé dramatique. Nous souhaitons aborder avec vous les problèmes de réparation des dommages et d'assurance des biens des collectivités territoriales. Par ailleurs, comme l'ont encore rappelé nos échanges ce matin avec le préfet Jean Paul Kihl, directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises, il existe des carences en matière d'urbanisme et de droit des sols, ce qui conduit à s'interroger sur la qualité du contrôle de légalité. Enfin, viennent s'ajouter à cela des questions juridiques complexes, qui ont trait en particulier aux règles de domanialité. Les progrès semblent lents sur tous ces sujets.

M. Eric Jalon, directeur général des collectivités locales. - Merci de m'accueillir avec deux de mes collaborateurs, chargés l'un du contrôle de légalité et de la domanialité, l'autre du suivi budgétaire.

Sur votre question relative à la réparation des dommages, je précise que nous nous efforçons de répondre très vite aux difficultés issues des dommages subis par les biens non assurables des collectivités territoriales. Il existe deux dispositifs :

- tout d'abord, les moyens peuvent être prélevés sur les concours financiers de l'État, au sein du programme 122 « Concours spécifiques et administration » à travers le « fonds de solidarité en faveur des collectivités territoriales et de leurs groupements touchés par des catastrophes naturelles », mais seulement dans le cas où les dégâts causés sur les biens non assurables des collectivités territoriales sont d'un montant inférieur à 6 millions d'euros (ce plafond vient d'être relevé, il était auparavant de 4 millions d'euros) ;

- au-delà, c'est le dispositif traditionnel de solidarité nationale qui est appelé. Il s'agit de la « subvention d'équipement aux collectivités locales pour la réparation des dégâts causés par les calamités publiques ». A la différence de l'instrument précédent, aucun crédit n'est inscrit en loi de finances initiale (LFI) dans la mesure où ces aides dépendent de la survenance de catastrophes naturelles : les crédits sont donc ouverts en lois de finances rectificatives (LFR) ou par décret d'avance.

C'est le second mécanisme qui est sollicité pour les événements qui nous intéressent aujourd'hui, à savoir les inondations de juin 2010 et celles de novembre 2011.

Ainsi, 12 millions d'euros d'autorisations d'engagements (AE) ont été utilisés suite aux seuls événements de juin 2010, et cette somme a été complétée en 2011 pour les mêmes évènements de 6 millions d'euros supplémentaires, soit un total d'aides de 18 millions d'euros.

S'agissant des événements de novembre 2011, une mission d'inspection interministérielle a été mise en place après le déplacement de M. Guéant dans l'Hérault et le Var. Le rapport définitif sera remis en avril. Dès réception, nous finaliserons la discussion avec Bercy, soit pour libérer la réserve de précaution, soit par taxation interministérielle, il faudra alors un décret d'avance ou une disposition en LFR. On travaille en effet par étapes : on détermine l'assiette des dégâts, puis le taux de concours, entre 30 et 40 % et enfin le montant des crédits à mobiliser. Pour la plupart, les opérations de juin 2010 sont déjà couvertes par des avances de l'État ou du département du Var. Si les AE dégagées se révèlent insuffisantes, nous n'avons en revanche pas de tension sur les crédits de paiement (CP).

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - J'ai entendu d'autres échos.

M. Eric Jalon. - Pour les inondations de 2010, 18 millions d'euros ont été engagés mais nous pouvons assurer des délégations supplémentaires. Nous examinons ainsi, en sus de ces 18 millions, une éventuelle délégation d'AE supplémentaire de l'ordre de 6 millions d'euros, dans le cadre du paquet de 13 millions d'euros annoncés par le président de la République - les 7 millions d'euros restants n'étant pas consacrés aux collectivités territoriales. Des discussions ont donc lieu avec Bercy pour ajouter ces 6 millions d'AE dans les semaines qui viennent, soit un total de subventions de 24 millions d'euros. Je rappelle que les besoins sont en AE plus qu'en CP mandatés : pour les seuls événements de juin 2010, sur les 18 millions d'euros engagés (12 millions en 2010 et 6 millions en 2011), nous n'avons, à ce stade, payé que 5,5 millions d'euros de CP.

S'agissant des événements de novembre 2011, nous ne disposons que d'un pré-rapport et attendons le rapport définitif pour avril. Un arbitrage du Premier ministre déterminera ensuite l'assiette d'intervention et le taux-cible. En pratique, nous travaillons déjà sur le rapport d'étape ; finaliser le dispositif ne demandera que quelques jours, au pire quelques semaines.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur - Cela fait tout de même six mois...

M. Eric Jalon. - La succession d'événements dans des zones proches complique notre travail.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Serait-il envisageable de mobiliser des crédits en urgence au titre des inondations de 2011 ? Autrement dit, je vous interroge sur la fongibilité des crédits ?

M. Eric Jalon. - Les crédits sont fongibles mais l'on a besoin d'une décision interministérielle, événement par événement. Leur suivi est donc fléché. Nous disposons aujourd'hui de CP suffisants. La préoccupation est plutôt d'obtenir des AE supplémentaires. Pour engager des travaux, il faut le niveau d'AE idoine, sachant que les capacités de redéploiement sont faibles.

M. Louis Nègre, président. - Quel est le taux de subvention ?

M. Eric Jalon. - 30 à 40 %, mais le préfet peut moduler le taux général selon les communes. Il s'agit par exemple d'un taux global de 32 % au titre des inondations de 2010.

M. Louis Nègre, président. - Le département et la région peuvent-ils aider les communes ou s'agit-t-il d'un taux maximum ?

M. Eric Jalon. - Oui, des aides complémentaires du département et de la région allant au-delà du taux de référence sont possibles. Le conseil général du Var a, par exemple, abondé, par ses propres avances, les avances de l'État. En outre, le taux de subvention peut monter à 80 ou 90 % dans certains cas, surtout que la règle de participation minimale du maître d'ouvrage, fixée à 20 %, ne s'applique pas aux dégâts causés par les calamités publiques.

Un autre point a retenu l'attention des élus : le fonds de compensation de la TVA (FCTVA), qui peut rembourser l'année même des travaux, à condition qu'un décret l'autorise. Je vous annonce que le décret relatif aux intempéries de novembre 2011 a été publié ce matin au Journal officiel. Il concerne 92 communes.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Allélulia ! Cela a quand même pris beaucoup de temps.

M. Eric Jalon. - Il faut se demander quand les dépenses des collectivités interviennent effectivement.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Certains travaux demandent beaucoup de temps. Mais d'autres sont immédiats. Et, avec un remboursement plus rapide au titre du FCTVA, les communes auraient subi une charge inférieure. Préfinancer la TVA est parfois problématique : un système plus automatique de remboursement de la TVA dans l'année serait appréciable... Le problème est moins le volume de crédits engagés que leur mobilisation dans un délai raisonnable, notamment en 2011. Les évaluations initiales, parfois réalisées par un malheureux fonctionnaire qui travaille seul, prennent beaucoup de temps. Puis toutes les autorités attendent de savoir ce que font les autres. Tout cela est mystérieux et lent, bien que le résultat soit au final satisfaisant.

M. Eric Jalon. - Sur le FCTVA, huit mois se sont écoulés entre les événements de juin 2010 et la décision, mais quatre mois seulement après les événements de novembre 2011 et le décret qui vient de paraître. Prévoir dans le code une éligibilité immédiate et automatique au FCTVA pour les communes déclarées en état de catastrophe naturelle pourrait être un progrès si la discussion n'était pas quasiment systématique en amont. Budgétairement, c'est une affaire de trésorerie pour l'Etat, mais surtout le calibrage est bien plus complexe en année n qu'en n + 1.

En fait, pour les biens non assurables des collectivités territoriales quand les dégâts sont inférieurs à 6 millions d'euros, le déblocage des fonds peut aller très vite après le chiffrage, puisqu'il s'agit de crédits ouverts en LFI. Paradoxalement, plus les dommages sont graves, plus le délai est long car on mobilise des crédits extraordinaires. Les procédures sont plus lourdes, avec soit le recours à un décret d'avance, soit à un collectif budgétaire. Faut-il pour autant prévoir en loi de finances une enveloppe « catastrophes naturelles » plus ambitieuse ? La réponse n'est pas évidente.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur - Si, la réponse l'est, contrairement à son financement ! La réactivité, via le programme 122 notamment, est bonne. Les travaux d'urgence sont faits. Mais en cas de problèmes très sérieux, on perd un temps précieux en procédures lourdes. Or, sans être Nostradamus, on constate une récurrence des catastrophes naturelles. Un dispositif pérenne serait bienvenu.

M. Louis Nègre, président - Le rapporteur vous tend une perche. Un processus moins complexe vous paraît-il possible ? Certes, des efforts ont été accomplis. Peut-on faire encore mieux ?

M. Eric Jalon. - Les deux pistes ont été évoquées :

- une automaticité du remboursement par le FCTVA dans l'année des travaux si les critères sont réunis ;

- et une inscription chaque année en LFI pour faire face aux calamités publiques, en allant bien au-delà des 6 millions d'euros de subvention prévus par le programme 122. Mesurons la portée de la proposition : elle ne nous exonèrerait pas de la procédure d'inspection interministérielle pour évaluer les dégâts. Seule disparaîtrait la brève phase de négociation des moyens et ressources budgétaires. Cela ne constituerait qu'une petite simplification.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur - Sauf que dans l'immédiat on remet les choses en route : les travaux d'urgence représentent environ un quart des dépenses. On pourrait avoir une avance sur avance, quitte à affiner ensuite les estimations.

M. Eric Jalon. - Après les intempéries qui ont frappé l'Aude, les Hautes-Pyrénées, les Hautes-Alpes, l'Ardèche et la Drôme entre mai et septembre 2008, le décret a été publié en décembre 2008. Pour la tempête Klaus de janvier 2009, le décret a été pris en juillet 2009. Pour les inondations de novembre 2008, le décret est intervenu en juillet 2009. Pour la tempête Xynthia, la disposition était présente dans la LFR adoptée en mai 2010. Dans le Var, les premiers crédits ont été mobilisés en septembre 2010. L'expérience montre donc que le délai entre la catastrophe et l'ouverture des crédits est toujours bref.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur - C'est ensuite que les choses se gâtent, pour faire parvenir les crédits sur le terrain.

M. Eric Jalon. - Les crédits sont arrivés les premiers jours d'octobre et le préfet a pu prendre des décisions attributives de subventions et verser des avances. Pour raccourcir davantage les délais, il faudrait se passer de la mission d'inspection, dont le travail est d'évaluer les dégâts et de proposer une indemnisation. Or on a besoin d'une estimation.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur Une intervention très rapide est parfois indispensable. Même s'ils connaissent les chiffres, les maires ne savent pas comment ils vont financer les travaux. Psychologiquement, l'attente et les incertitudes pendant trois mois sont rudes. Une première mobilisation de crédits serait bienvenue.

Mme Marie-France Beaufils - Bref, une avance, sous réserve du travail d'évaluation fait ensuite ? Le minimum apporté par l'État est de 30 % de toute façon...

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur - Non, ce n'est pas ce minimum pour l'Etat, on a vu qu'il peut apporter jusqu'à 80 % du coût des réparations. Il y a plusieurs financeurs, et il se trouve que finalement on a abouti à cette répartition globale.

Mme Marie-France Beaufils. - Les communes ont besoin d'une avance pour démarrer leurs travaux...

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - On ne savait pas qui interviendrait à quelle hauteur : on n'engage pas les mêmes travaux dans ces conditions.

M. Louis Nègre, président. - Le dispositif pourrait-il être plus clair ? Que pensez-vous d'un système d'avance ?

M. Eric Jalon. - Grâce à la levée partielle de la réserve de précaution dans les quinze jours qui ont suivi les événements, le préfet a accordé des avances. La complexité des tours de tables à mener, c'est une autre question ! Le préfet a utilisé toutes les AE disponibles pour couvrir ces avances à hauteur de 15 % et couvrir ensuite les dépenses induites au taux fixé par l'Etat. Voilà pourquoi nous avons aujourd'hui des difficultés pour gérer le droit de tirage en AE ainsi créé. Il est difficile de piloter finement les avances, or elles appellent des AE dans un deuxième temps et, enfin, des CP dans un troisième temps.

M. Louis Nègre, président. - Comment, alors, être plus performant ?

M. Eric Jalon. - Une enveloppe budgétée donnerait plus de sécurité pour des délégations plus immédiates, bien que dans le Var elles ont été faites dans les quinze jours : on voit que ce n'est pas le noeud du problème. Reste la réactivité des préfets pour accorder des avances et en piloter la couverture. En l'occurrence, elles ont été rapides ; mais elles ne doivent pas préjuger du quantum d'aides accordé en définitive par l'État suite aux estimations plus précises qui sont disponibles dans un deuxième temps : si l'avance est systématiquement égale à 15 %, les autorisations d'engagement sont très vite épuisées pour couvrir les 85% restants, et l'on se trouve en tension. Résultat : certaines opérations ont été sous-financées parce que d'autres avaient été d'emblée sur-financées. Discutez de ces questions avec le préfet du Var et son directeur départemental des finances publiques. J'observe ces réalités sans mettre en cause les choix opérés : ils ont été bons.

M. Louis Nègre, président. - Suggérez-vous un pilotage plus fin ?

M. Eric Jalon. - Peut-être faudrait-il plus de souplesse, en prévoyant que l'avance ne préjuge pas du taux ultime de subvention. Ainsi, les autorisations d'engagement ne seront pas bloquées en totalité par les versements initiaux.

M. Louis Nègre, président. - Et les autres financeurs ?

M. Eric Jalon. - Une fois que le préfet a épuisé sa capacité d'avances, le conseil général a pris le relais.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. -Tout le monde était de bonne volonté, ce qui n'a pas empêché une certaine improvisation. Il faudrait savoir plus rapidement qui fera quoi. Sinon, il semble que les différents bailleurs de fonds s'observent prudemment.

M. Eric Jalon. - Comment définir au niveau national des clés de financement quelles que soient les calamités ? Un cadrage n'est envisageable qu'après l'évaluation des dégâts par les missions d'inspection, sur la base d'un retour d'expérience de ces dernières années. Bref, étudions les bonnes pratiques pour recommander des clés de financement. Cela ne dispensera ni de l'étape d'autorisation de la dépense par l'État, ni de la réunion des partenaires pour discuter la répartition des subventions : elles ne pourront pas être évitées ! Mieux vaut donner des repères pour la décision.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Et avec un fonds régional pour les catastrophes naturelles ? Le rapport de retour d'expérience sur les inondations de juin 2010 rappelle ce qui existait autrefois pour le canal de Provence et le travail accompli par la société d'économie mixte. Un dispositif pérenne serait utile.

M. Eric Jalon. - D'une part, on a mis en place un dispositif pour les dommages de moins de 6 millions d'euros, qui traite discrètement et rapidement nombre de petites calamités. Je pourrais vous faire parvenir la liste des décisions relevant de ce dispositif récent, puisqu'il remonte à 2009.

D'autre part, le dispositif de solidarité nationale pourrait-il être plus efficace et plus souple ? Une enveloppe budgétaire, des règles d'engagement des avances par les préfets, la mise en place d'un étage intermédiaire de fonds régionaux, tout cela est envisageable, mais la création d'un fonds régional relève d'un choix des collectivités territoriales elles-mêmes.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Le Conservatoire de la flore méditerranéenne, même s'il ne fonctionne pas vraiment, avait été imaginé sur ce modèle pérenne.

Les travaux, éligibles sont ceux de remise en l'état à l'identique. Or il est parfois préférable de ne pas rétablir exactement l'état antérieur. Il y a aussi le problème des interventions sur le domaine privé, par exemple pour l'entretien des berges. En l'absence d'initiative des propriétaires, que faire ? Il y a là des problèmes juridiques insurmontables. Comment intégrer les travaux réalisés par la collectivité ? Pourrait-on les intégrer dans les dépenses éligibles à une subvention ? Aujourd'hui, les maires sont pénalement responsables lorsqu'ils engagent de telles interventions.

M. Eric Jalon. - Nous avons conscience d'un problème concernant l'appréciation de la remise en l'état. Il convient de revoir les textes applicables. Pourquoi refaire à l'identique un ouvrage qui était fragile ? Cela n'aurait pas de sens. En revanche, sur l'autre problème soulevé, il n'appartient pas aux collectivités territoriales de se substituer aux propriétaires privés. Parfois, il est difficile d'identifier les propriétaires, les nombreux héritiers d'une forêt, par exemple. La collectivité doit pouvoir exécuter les travaux de sécurité publique et se retourner après vers les propriétaires.

M. Yves Cordier, adjoint au sous-directeur Compétences et institutions locales. - Il y a des dispositions en ce sens.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Comment les appliquer ?

Mme Marie-France Beaufils. - Je les mets en oeuvre régulièrement, sur des maisons, des terrains, ainsi que sur un ruisseau, avec un syndicat intercommunal...

M. Louis Nègre, président. - Est-ce à dire que le syndicat fait les travaux, puis sollicite le remboursement par les propriétaires ?

Mme Marie-France Beaufils. - Oui, mais nous ne gagnons pas toujours.

M. Louis Nègre, président. - Allez-vous éventuellement au contentieux ?

Mme Marie-France Beaufils. - Ce serait trop coûteux. Ce que nous faisons va dans le sens de la responsabilisation des habitants.

M. Louis Nègre, président. - Ils ont parfois du mal à le comprendre. Quand on demande aux propriétaires d'entretenir les berges, certains répondent que depuis leur grand-père, la famille ne l'a jamais fait.

M. Jean-Paul Fournier. - La commune n'a qu'à le faire et émettre un titre de recouvrement.

Mme Marie-France Beaufils - Ne pourrait-on envisager la jouissance du bien en cas de non-paiement du propriétaire ?

M. Louis Nègre, président. - Ma commune entretient les berges, car les propriétaires ne le font pas. J'arrive à un compromis.

Mme Marie-France Beaufils. - Mais il n'est pas sécurisé.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Les choses sont claires pour les incendies de forêt. Le nettoyage des berges, c'est une autre affaire. Une association s'est constituée dans la mesure où l'État et les collectivités ne draguent pas les bancs de sable à l'embouchure de l'Argens. Or on ne sait pas trop qui doit agir car cela ne relève pas du domaine public et il y a des riverains. Il faudrait y regarder de plus près pour déterminer les charges et les devoirs des uns et des autres, comme dans le cas des forêts.

M. Eric Jalon. - Nous allons regarder cela.

M. Louis Nègre, président. - La propriété des voies privées ouvertes à la circulation publique dans les ensembles d'habitation peut, après enquête publique, être transférée d'office sans indemnité dans le domaine public communal. Pourrait-on transposer ce mécanisme d'expropriation simplifiée au profit des collectivités territoriales à propos des ouvrages appartenant à des propriétaires privés et concourant à la prévention des inondations ?

Les communes peuvent participer à l'entretien des voies privées ouvertes à la circulation publique alors même qu'elles n'en sont pas propriétaires. Pourrait-on transposer ce raisonnement en autorisant, avec l'accord des propriétaires privés, les collectivités territoriales à entretenir des ouvrages privés tels que les digues ? Je suis très prudent là-dessus. La répartition de la propriété des cours d'eau vous paraît-elle satisfaisante ?

M. Eric Jalon. - Il faut regarder ces questions de très près. Il y a quelques années, j'ai rencontré, en Gironde, sur le bassin d'Arcachon, un écheveau juridique épouvantable. Nous vous fournirons nos réflexions, pour être utiles à votre mission.

Mme Marie-France Beaufils. - Après Xynthia, la question des digues construites par des propriétaires privés s'est posée également. Je crois que les services de l'État ont engagé une mission.

M. Louis Nègre, président. - J'observe que la proposition de loi Retailleau-Anziani présentée suite à la tempête Xynthia traite notamment de la question des digues. Quel est finalement le montant des dégâts suite aux inondations de novembre 2011 ?

M. Eric Jalon. - Je vous le transmettrai.

M. Louis Nègre, président. - Le contrôle de légalité actuel est-il satisfaisant ?

M. Eric Jalon. - Difficile de répondre... Nous nous sommes interrogés et avons apporté une réponse, reprise dans le rapport Anziani-Retailleau et la proposition de loi qui l'a suivi. C'est une chaîne, de la mise à disposition d'une bonne information des communes sur les risques (le porter à connaissance) jusqu'au contrôle des autorisations individuelles. Un maillon sensible, celui de l'articulation entre les PLU et les PPR, a été traité dans la proposition de loi.

Notre souci est que les textes répondent aux enjeux, or ceux-ci ne sont pas toujours suffisamment pris en compte. Le préfet peut rendre opposable les prescriptions inscrites dans les PPR non complètement approuvés. L'existence des permis tacites, cependant, n'a pas trouvé de solution satisfaisante - nous pensons à une modification de l'article R 424-2 du Code de l'urbanisme. Les digues sont un sujet compliqué, même si, après la loi du 12 juillet 2010, dite « Grenelle II », un décret est en discussion au niveau interministériel.

Autre préoccupation, faire en sorte que le contrôle de légalité prenne acte des risques naturels. Depuis 2006, la doctrine du contrôle de légalité a évolué, avec la volonté de définir des stratégies de contrôle et des actes prioritaires à contrôler systématiquement. Une première circulaire en janvier 2006 a demandé aux préfets d'élaborer des plans stratégiques de contrôles de légalité. Puis une circulaire thématique interministérielle, du 1er septembre 2009, a concerné l'urbanisme, retenant comme premier objectif la sécurité des personnes et des biens. Enfin, la circulaire du 25 janvier 2012 recense les actes prioritaires, sachant que les préfets peuvent compléter cette liste en fonction des spécificités et des risques naturels locaux. Sans être impératifs, car la Constitution nous l'interdit, nous donnons des indications plus qu'indicatives aux préfets.

En avril 2010, une circulaire interministérielle a souligné la nécessité d'accélérer l'adoption des PPRN dans les zones de risques sérieux, en rappelant que le préfet pouvait se substituer aux communes défaillantes et que la procédure de projet d'intérêt général pouvait obliger une commune à modifier son PLU. La même circulaire utilisait l'article R.111-2 du code de l'urbanisme pour que les préfets s'opposent à certaines autorisations d'urbanisme dans les zones à fort risque. Une autre circulaire est intervenue le 25 juin 2010, après les événements du Var.

Au moins une fois par an, nous réunissons les cadres préfectoraux chargés du contrôle de légalité. Ainsi, le ministère anime le réseau des préfectures et les sensibilise au respect des règles de droit, dont l'adaptation est incessante.

Le troisième point, crucial, concerne l'effectivité du contrôle. Je sais que le rapport Mézard s'interroge sur les effectifs, nous avons pourtant renforcé l'appui aux préfectures par l'envoi de circulaires et via le pôle interrégional d'appui au contrôle de légalité installé à Lyon : il répond dans les onze ou douze jours aux questions posées par les préfectures.

Jusqu'à une date récente, le contrôle de légalité était pris à revers par la jurisprudence administrative : le tribunal administratif de Nantes a ainsi rejeté, en 2001, le recours du préfet de la Vendée contre la création d'un parc résidentiel de loisirs à La-Faute-sur-Mer ; la cour administrative d'appel de Nantes, en 2003, a écarté le moyen présenté par le préfet, la conjonction d'une brèche dans la dune et d'une dans la digue, au motif que ces risques ne s'étaient jamais produits. Les arguments de sécurité des biens et des personnes se heurtaient à l'époque à l'opposition des juges. Le tribunal administratif de Nantes n'a modifié sa jurisprudence qu'à compter de 2005. C'est seulement à partir de cette date qu'il a fait droit à des demandes fondées sur un risque de submersion marine.

Dans un autre département où j'ai servi, les discussions sur le PPRI étaient très difficiles, car nos interlocuteurs estimaient que nous exagérions les risques. Les choses évoluent, car tout le monde voit à la télévision ce qui s'est produit ici ou là.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Il y a aussi une question de moyens : tout le monde constate le manque de personnel dans les préfectures pour le contrôle de légalité. Je ne crois pas à l'interdiction absolue. Je préconise plutôt des obligations à respecter pour construire. Aujourd'hui, on passe trop souvent du laxisme complet à une rigueur inapplicable. Les résistances locales aux PPR viennent du fait qu'il y a déjà des constructions dans les zones déclarées inconstructibles.

M. Eric Jalon. - Je ne pense pas que le contrôle de légalité souffre d'un manque d'effectifs : pour les actes définis comme prioritaires, le taux de contrôle est supérieur à 95 %.

M. Louis Nègre, président. - En tout cas, le manque de personnel ne joue pas là-dessus.

M. Eric Jalon. - L'important est d'intervenir le plus en amont possible : si le bras de fer devant le tribunal administratif pour une autorisation individuelle est parfois indispensable, il traduit bien l'échec des étapes antérieures. Nous progressons en essayant d'éviter le mouvement de balancier entre une action rationnelle et une réaction à un événement. Il reste à savoir quelle est la part acceptable d'aléa dans l'évaluation du risque. La judiciarisation progresse aux dépens des élus, mais aussi du contrôle de légalité.

Mme Marie-France Beaufils. - Face au risque d'inondation, faut-il réfléchir aux normes architecturales pour avoir des territoires résilients, comme on dit aujourd'hui ? Certains veulent bénéficier d'une protection totale, tout en demeurant dans une zone à risques.

M. Eric Jalon. - L'évolution législative sur les digues, plus précisément l'article 220 de la loi du 12 juillet 2010, dite « Grenelle II », est éclairant sur les objectifs poursuivis. Il assure notamment la protection du gestionnaire dont le champ de responsabilité est délimité : sa responsabilité ne peut être engagée à raison des dommages que l'ouvrage n'a pas permis d'éviter si l'exploitation et l'entretien ont été conformes aux règles de l'art et aux exigences de la réglementation. Les nouveaux ouvrages devront répondre aux exigences de protection et de sécurité. Les anciens doivent être mis en conformité dans un certain délai. Protéger les responsables, c'est la logique de la loi Fauchon... Les obligations fixées aux ouvrages sont déterminées en fonction des objectifs de protection et de sûreté. On prend en compte la population derrière la digue et la fréquence des risques. Dans certains cas, la digue sera supprimée, ce qui rendra toute urbanisation impossible.

M. Louis Nègre, président. - Le rapporteur vous consultera sans doute encore, pour bénéficier de votre expertise. Si vous aviez un seul message à nous faire passer, quel serait-il ?

M. Eric Jalon. - Le ministère de l'intérieur a pour marque de fabrique une grande capacité de réaction aux crises. Notre direction s'est efforcée d'être réactive dans la mise à disposition des crédits, mais aussi dans le droit et son application. Entre Xynthia et le Grenelle II, nous avons proposé des évolutions législatives, dont certaines ont été adoptées par la représentation nationale. Tout ce que votre mission proposera sur les plans financier et juridique sera étudié avec la plus grande attention. Si possible, nous y contribuerons. Quant à la gestion du risque, il faut agir le plus en amont possible.

M. Louis Nègre, président. - Je vous remercie.

Audition de M. Xavier Martin, ancien ingénieur général des eaux et forêts, co-auteurs du rapport de retour d'expérience sur les inondations de juin 2010

M. Louis Nègre, président. - Il nous a semblé important d'entendre M. Martin qui a participé à la plupart des missions de retours d'expérience après inondations depuis 1999.

M. Xavier Martin, ingénieur général honoraire des Eaux et forêts, coauteur du rapport de retour d'expérience sur les inondations de juin 2010 - Je voulais commencer mon audition par cette citation d'Émile Gueymard, auteur en 1856 d'un rapport sur les inondations du Drac et de la Romanche : « Il est de notre devoir d'informer les habitants du risque qu'ils ont couru, ceci afin de prévenir les prochaines catastrophes qui ne manqueront pas de survenir. Les habitants ne connaissent l'ennemi que le jour du danger ; le lendemain, comme les marins échappés au naufrage, ils ont oubliés leurs craintes et leurs espoirs de la veille. »

Je suis à la retraite depuis avril 2011, mais mes souvenirs sont assez frais. Le 15 juin 2010, à la suite d'intenses précipitations, la Dracénie a été inondée et 23 personnes sont mortes. Le 25 juin, le ministre de l'intérieur a publié une circulaire sur la prévention des inondations ; le 30 juin, nous étions missionnés pour un retour d'expérience, et le 4 novembre, nous remettions notre rapport définitif.

Les précipitations ont été très fortes ; 2 000 km2 ont subi des précipitations de plus de 200 mm, et 250km2 de plus de 300. De tels événements s'étaient déjà produits et se reproduiront. En 1999, il est tombé 106,6 millimètres en une heure à Lézignan ; j'ai connu le double aux Antilles : la pluie bat si fort qu'on ne sort plus de chez soi ! On n'y voit plus rien.

M. Louis Nègre, président - Je ne suis pas familier des ordres de grandeur. Que représentent  ces chiffres? Quelle est la jauge ?

M. Xavier Martin, ingénieur général honoraire des Eaux et forêts - Vingt millimètres de précipitations journalières, c'est un très gros orage...

Depuis 1930, on a étudié ces phénomènes. Il n'y a rien de très nouveau. Il y eut une très forte inondation en 1827, mais elle est hélas mal connue : une relation d'une société savante publiée dans les années qautre-vingt...

M. Louis Nègre, président. - Pourquoi ?

M. Xavier Martin, ingénieur général honoraire des Eaux et forêts - Les documents manquent. C'est encore plus vrai des crues antérieures. Est-ce parce qu'une partie du littoral méditerranéen n'a été rattachée que récemment à la France ? Mon rapport mentionne cependant les averses les plus importantes du secteur.

L'eau a ruisselé presque intégralement. Ce fut une crue à cinétique rapide avec un effet de vague. Les débits n'ont pu être reconstitués seulement en 2012, car la plupart des appareils ont été emportés par la crue ; je me souviens d'un exemple sur la Nivelles où on n'a retrouvé qu'un hydro-gramme papier mais constamment entretenus. Cette fois-ci, les volumes n'ont été reconstitués que par calcul.

M. Louis Nègre, président. - Y a-t-il eu des murs d'eau dans le Var ?

M. Xavier Martin, ingénieur général honoraire des Eaux et forêts - Sans doute. Le « mur d'eau » est un phénomène classique dans les Alpes ou aux Antilles, mais il fut cette fois d'une ampleur inédite. On possède une seule photo d'une vague torrentielle ; elle a été prise en 1987 dans les Alpes suisses, à Zarvagria. La vague ne se déclenche pas nécessairement à cause de la rupture d'embâcles mais par des effets de concentration, c'est un phénomène physique assez classique qui se déclenche sur des écoulements discontinus par des effets d'entraînement de matériaux (boues) de densités différentes.

Sur l'Argens, le « mur » a probablement été aggravé par la mise en charge de réseaux karstiques et l'amorçage de siphons. Le sol est imperméable, mais comporte des failles : des rivières souterraines se forment et ressurgissent. C'est un phénomène bien étudié dans la région, notamment à Saint-Cassien.

La prévision restait à organiser aussi bien sur la Nartuby que sur l'Argens. Aujourd'hui, le problème est réglé. Mais les modèles de prévision ont leurs limites pour ces crues à cinétique rapide.

Du 14 juin au 16 juin, six alertes fax et quatre alertes SMS ont été lancées ; mais l'alerte n'a pas été comprise, ou n'a pas été prise au sérieux, l'information n'a pas correctement circulé, il y a eu des problèmes également sur les réseaux téléphoniques. Malgré tout, certains établissements publics ont pris leurs précautions, comme la prison. On a évacué préventivement les détenus du rez-de-chaussée, avant que la vague n'arrive : autrement, c'eût été la catastrophe.

M. Louis Nègre, président. - Comment l'eau est-elle entrée dans la prison ?

M. Xavier Martin, ingénieur général honoraire des Eaux et forêts - Par la porte.

M. Louis Nègre, président. - La prison était en zone blanche sur le PPR ?

M. Xavier Martin, ingénieur général honoraire des Eaux et forêts - Oui, mais une zone blanche située au milieu en pleine zone rouge. On a sans doute cru que les murs étaient suffisamment épais...

M. Louis Nègre, président. - Avec une porte suffisamment résistante, l'eau ne serait pas entrée.

M. Xavier Martin, ingénieur général honoraire des Eaux et forêts - Je n'en suis pas sûr, tout dépend de la pression de l'eau. Et deux mètres de hauteur... Cette prison est située en zone d'écoulement.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur - Votre rapport annonce le déplacement probable de la prison. On dit que les murs de la prison ont aggravé la crue dans le quartier environnant.

M. Xavier Martin, ingénieur général honoraire des Eaux et forêts - En effet. Dans ce secteur, des immeubles étaient placés sur une zone d'écoulement. En remblayant une zone inondable, on aggrave les risques en amont. C'est un phénomène très classique.

Il s'agit ici d'un secteur très inondable. Les marécages furent assainis par des moines. Mais dans cette zone karstique, les eaux provenaient probablement du sous-sol. Mais ce n'était pas la seule prison construite en zone inondable. A Tarascon ou à Beaucaire, sur le Rhône, il a fallu évacuer la prison lors des crues de 2002.

Pas moins de 2 450 personnes ont été secourues ; 300 ont évité une mort certaine. Mais les liaisons téléphoniques ont été rompues ; certains services de secours -le Sdis, le centre de secours principal (CSP) de Draguignan- étaient sous l'eau et n'ont donc pu intervenir en post-crise. Il est inacceptable que le Sdis ait été implanté en partie en zone rouge, nous avons demandé sa relocalisation.

M. Louis Nègre, président. - On dit qu'à présent, les communications entre services de l'État sont assurées grâce à une fréquence commune.

M. Xavier Martin, ingénieur général honoraire des Eaux et forêts - Mais lorsque l'émetteur est sous l'eau ? Au Sdis, même le transformateur électrique au rez-de-chaussée était noyé... à chaque catastrophe, on repère de telles aberrations. Parfois, on le sait déjà : en l'occurrence le centre de secours principal de Draguignan est inondée à la moindre goutte d'eau ! Quelle drôle d'idée d'installer le CSP dans un trou !

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur -S'agissant du Sdis, la crue fut exceptionnelle.

M. Xavier Martin, ingénieur général honoraire des Eaux et forêts - Spectaculaire, mais pas exceptionnelle. Les constructions en zone inondable augmentent l'aléa et la vulnérabilité. Le récent rapport du Giec parle, pour expliquer les catastrophes, d'augmentation de la vulnérabilité plus que de changement climatique.

La quantification de l'aléa est problématique, les stations de mesure sont peu nombreuses. La station historique de Brignoles n'est plus opérationnelle depuis les années 70. Faute de moyens, la série des mesures s'arrête ! Une station, c'est un pluviomètre : l'information qu'elle délivre est essentielle. Il en existe un à Gênes, mais ce n'est pas chez nous ! Pour connaître une crue décennale, il faut 30 ans d'observation.

M. Louis Nègre, président - Qui gérait la station de Brignoles ?

M. Xavier Martin, ingénieur général honoraire des Eaux et forêts - Météo France. Les investissements requis sont considérables et peu rentables.

M. Louis Nègre, président - Mais un pluviomètre, c'est basique !

M. Xavier Martin, ingénieur général honoraire des Eaux et forêts - Météo France, qui est climatologue mais pas hydrologue, ce n'était pas de son coeur de compétence. Aux États-Unis, le système est différent.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur - Plusieurs organismes interviennent dans la prévision.

M. Xavier Martin, ingénieur général honoraire des Eaux et forêts -À la suite des inondations de 1999, nous avons demandé l'installation d'un service de prévision de crue à Aix-en-Provence. De tels services ont été créés dans toute la France, et Météo France a reçu la gestion de celui d'Aix.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur - Plaidez-vous pour un regroupement des services ?

M. Xavier Martin, ingénieur général honoraire des Eaux et forêts - En matière de prévision, l'éclatement des systèmes d'observation est presque obligatoire Le problème principal est le manque de compétences en hydrologie. Il faut cinq ans pour faire un bon hydrologue !

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur - Êtes-vous partisan d'une séparation des services d'hydrologie et de climatologie ou d'un regroupement au même endroit ?

M. Xavier Martin, ingénieur général honoraire des Eaux et forêts - C'est fait : les services de prévision des crues disposent d'images de radars calibrés pour suivre les différents phénomènes. Une personne bien formée sera capable d'en tirer des enseignements. Grâce aux modèles hydrologiques, en fonction des précipitations, on est capable de prévoir le débit d'une crue -mais pas sa cote. Les maires sont alertés lorsqu'une rivière atteint un certain débit ; en fonction de leur expérience locale, ils décident alors d'activer ou non les plans communaux de sauvegarde. Vous avez également des services privés qui peuvent assister les collectivités de façon assez précises dans ce domaine et les aider à prendre les meilleures décisions, comme les services Predict (service payant de Météo France)

M. Louis Nègre, président - Pourquoi les pompiers ne procéderaient ils pas aux mesures ?

M. Xavier Martin, ingénieur général honoraire des Eaux et forêts - Seuls les radars permettent de calculer l'intensité des précipitations. Ils doivent être calibrés ; pour ce faire, on emploie des pluviographes reliés avec un système de calcul, ce qui permet d'interpréter et de déterminer l'intensité de la pluie. Il existe deux systèmes de calibrage : l'un, employé par Météo France, valable pour toute la France et assez peu précis ; un autre valable pour une image radar précise, calibrée en fonction des pluviographes du secteur. (modèle utilisé dans le Gard, système Calamar).

La marque de laisse de crue de Trans-en-Provence est contestable. Ce qui est sûr, c'est que la mairie est dévastée. À Avignon, sous le Palais des Papes, la marque de laisse de crue est à sa place d'origine, mais dans d'autres cas, elle a été déplacée.

M. Louis Nègre, président - Sur le pilier de la mairie de Passau en Bavière, jumelé avec ma commune, il y a des traits gravés depuis le XVIème siècle, avec des dates : impossible de les déplacer !

M. Xavier Martin, ingénieur général honoraire des Eaux et forêts - Les Tchèques, les Polonais, les Allemands sont plus forts que nous pour le recensement des crues anciennes. En France, on s'intéresse depuis très peu de temps à la reconstitution historique des crues. Depuis les ouvrages de Leroy-Ladurie, on a fait des efforts. Le livre de Maurice Champion Les inondations en France du VIe siècle à nos jours a été réédité...mais il date de 1858 ! Il ya un projet du ministère pour constituer une base de données.

Quant aux Atlas des zones inondables (AZI), c'est incroyable : ils ne sont toujours pas portés à la connaissance des maires, alors qu'ils sont prêts depuis un demi-siècle.

M. Louis Nègre, président - Sont-ils fiables ?

M. Xavier Martin, ingénieur général honoraire des Eaux et forêts - Ils le sont tellement qu'ils dérangent beaucoup de gens...Notamment en raison de l'obligation d'information aux acquéreurs et locataires.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur - La crue centennale est la crue moyenne ?

M. Xavier Martin, ingénieur général honoraire des Eaux et forêts - Pour les Européens, oui, mais pour nous, cela signifie : nous n'en aurons pas d'autres avant 100 ans, donc laissez-nous tranquilles. Depuis 1990, dans les PPR, on prend en compte la crue historique la plus haute connue ou l'aléa centennal s'il est supérieur mais il y a des incertitudes et des débats. La carte des territoires à risques d'inondations (TRI) doit être publiée en 2013.

M. Jean-Paul Fournier - Je disais au préfet du Gard : pourquoi dépenser des millions d'euros pour des travaux d'aménagement, si l'on n'en tient pas compte pour définir les zones inondables en se calant sur l'aléa le plus fort ?

M. Xavier Martin, ingénieur général honoraire des Eaux et forêts - Investir permet de gommer des aléas récurrents : cela vaut la dépense. Mais construire des bassins de rétention ou dériver des cours d'eau ne sert à rien en cas d'événements exceptionnels.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur - - Il faut déplacer Nîmes, ou Draguignan ? Un élu se pose souvent la question, on réalise des investissements pour supprimer la plupart des risques et limiter les dégâts. Que faire de plus ?

M. Xavier Martin, ingénieur général honoraire des Eaux et forêts - Avertir les gens. Si la population ignore ce qui se passera, on construit n'importe comment, on place des constructions voir même des services de secours dans des trous...

On sait dans quelles zones le risque hydraulique est fort. Là, on ne doit pas construire. Les assurances refusent d'ailleurs de payer : à Saint-Nicolas-de-Redon, le supermarché, un grand centre Leclerc, est inondé régulièrement et les assureurs refusent de l'assurer. Il y a une obligation d'assurer : ils se sont groupés à cinq ou six, mais la facture est salée, la franchise aussi. L'aléa de référence, au moins, donne une base sûre pour calculer des cotes et des vitesses.

Le code de l'environnement ne mentionne plus des zones « de danger ». Il n'empêche que dans certains endroits, il ne faut pas construire.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur - Il convient donc de calibrer les exigences et interdictions selon les risques ?

M. Xavier Martin, ingénieur général honoraire des Eaux et forêts - Le calibrage est réglementaire et l'Europe va le durcir. Dès lors, localement, on sait ce qui peut se passer, dans dix ans, 50 ans et il faut agir en conséquence. Mais à chacun de prendre ses responsabilités : par exemple, on ne peut pas interdire à une personne handicapée d'habiter au rez-de-chaussée dans une zone à risques.

M. Jean-Paul Fournier - Nous avons eu affaire, à Nîmes en 1998, à une crue millénaire. Après travaux, les zones les plus touchées seraient protégées : la crue atteindrait 50 centimètres au lieu de deux mètre et demi. Le préfet me demande de construire massivement en raison de l'afflux de population, mais une grande partie du territoire est interdite à la construction.

M. Xavier Martin, ingénieur général honoraire des Eaux et forêts - Je crains que la crue de 1988 ne soit pas milléniale. Par les équipements réalisés, vous êtes protégés des aléas récurrents, mais pas exceptionnels. Seulement, en cas de crue exceptionnelle à l'avenir, vous disposerez de temps pour donner l'alerte et la population évacuée. Grâce à vos travaux, bassins de rétention par exemple, le déclenchement de la crue sera plus tardif.

M. Jean-Paul Fournier - Le préfet nous a accordé vingt hectares sur 100  au Mas des Lombards.

M. Xavier Martin, ingénieur général honoraire des Eaux et forêts - Pour vous faire plaisir !

M. Louis Nègre, président - En cas d'inondations, les familles touchées se retourneront contre M. Fournier !

M. Xavier Martin, ingénieur général honoraire des Eaux et forêts - Contre le préfet. Dans le Gard en 2002, un grand nombre de morts ont été des personnes invalides: le problème est surtout celui de l'alerte et de l'évacuation.

M. Louis Nègre, président - Nos décisions d'urbanisme sont de plus en plus difficiles à prendre.

Audition de M. Joël L'Her, directeur de l'ingénierie au Centre d'études techniques maritimes et fluviales (CETMEF)

M. Louis Nègre, président - M. Joël L'Her est directeur de l'ingénierie au Centre d'études techniques maritimes et fluviales, le Cetmef. Service placé auprès du ministère de l'écologie et dont le siège est situé à Compiègne, le Cetmef dispose de quatre antennes régionales et travaille en collaboration avec Météo France.

M. Joël L'Her, directeur de l'ingénierie au CETMEF - Notre service n'a pas été directement impliqué dans les événements. Il relève du ministère de l'écologie, et il est chargé de recherche développement et d'ingénierie, notamment pour les transports fluviaux et maritimes, le contrôle des ouvrages hydrauliques, en appui des Dreal pour l'élaboration des plans de prévention des risques naturels, etc. Nous sommes impliqués dans le projet Prévimer et sommes le référent national pour la mesure de la houle. Nous élaborons un outil de gestion de crise pour les collectivités.

Nous avons été consultés après les événements du Var pour donner des renseignements sur l'ampleur de la houle. Nous avons répondu aux préfectures de Haute-Corse, du Var et des Alpes-Maritimes. En Corse, nous avions perdu -comme c'est courant en mer- un houlographe et n'avons pu le remplacer. Sur les Alpes-Maritimes, nous avons fourni nos mesures. Le houlographe de Porquerolles a été en panne du 4 au 7 novembre, mais les jours suivants, nous avons mesuré une houle peu significative -elle était plus forte à Nice, correspondant à une valeur décennale, le 6 novembre, au plus fort de la tempête.

Nous contribuons au retour d'expérience Xynthia, nous avons tenu des séminaires, nous participons à la production de normes pour la construction de digues maritimes et fluviales, nous pilotons une base de données sur les ouvrages de protection contre les inondations.

M. Louis Nègre, président - Beaucoup de travail ! Que retenir, comme enseignements, de Xynthia ?

M. Joël L'Her, directeur de l'ingénierie au CETMEF - L'importance de la culture du risque. On avait annoncé la submersion des digues et personne n'avait quitté sa maison... Les gens avaient retenu de la tempête Klaus que la maison était un abri. Le plan submersion rapide doit être mise en oeuvre : maîtrise de l'urbanisation et adaptation du bâti ; meilleure connaissance des risques maritimes et fluviaux ; résilience des populations, information, culture du risque.

M. Louis Nègre, président - Et dans le sud-est ?

M. Joël L'Her, directeur de l'ingénierie au CETMEF - Le message principal est que le phénomène est fréquent en France, essentiellement dû à l'abondance de pluies, la prévention doit donc passer essentiellement par de bons plans communaux de sauvegarde.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur - Opérez-vous un suivi des embouchures de cours d'eau, de la ligne côtière, où les envasements augmentent les risques ?

M. Joël L'Her, directeur de l'ingénierie au CETMEF - Nous intervenons en appui méthodologique des services en charge de ce suivi, Dreal en particulier.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur - Mais si vous constatez un envasement, des sédimentations, à l'embouchure de l'Argens, vous ne dites rien ?

M. Joël L'Her, directeur de l'ingénierie au CETMEF - Ce n'est pas de notre compétence.

M. Patrick Chassé, expert hydraulique au CETMEF - La modélisation peut servir à la prévention, à la prévision, mais aussi à la reproduction et à l'analyse d'événements passés et à l'élaboration d'études d'impact. À l'estuaire d'une rivière, si l'on désenvase, on accélère l'entrée des eaux de mer : la modélisation sert à évaluer les conséquences de travaux envisagés...

Nous modélisons surtout la propagation des inondations. Nous ne faisons guère de modélisation pluie-débits pour calculer des niveaux d'eau. Sur l'Argens, nous interviendrions plutôt dans la partie plate.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur - On nous dit que la modélisation ne peut s'appliquer qu'à de grosses crues récurrentes.

M. Patrick Chassé, expert hydraulique au CETMEF - Les services de prévision des crues modélisent les crues pour prévoir leur déclenchement. Nous nous penchons sur d'autres aspects, les modèles de propagation de la crue vers l'aval. Nous modélisons en 1D ou en 2D pour calculer la hauteur d'eau mais aussi la vitesse dans le plan avec divers partenaires européens. Nous menons des recherches en mathématiques appliquées et nous avons des laboratoires communs pour les recherches appliquées. Un groupement d'intérêt scientifique est en cours de constitution. Nous participons à des projets de recherche européens, comme le projet Theseus dans la vallée de la Gironde.

Dans le sud de la France, les écoulements d'eau ne sont pas seulement fluviaux mais torrentiels. Nous en tenons compte dans notre modélisation. Nos outils vont jusqu'au 3D. Les modèles 1D comportent des profils en travers, les 2D des éléments finis triangulaires.

Nous travaillons à un guide de pilotage des études hydrauliques et un guide maritime. Nous assurons des formations pour apprendre aux agents utilisateurs à se servir de nos outils.

Au titre de l'expertise, nous avons fait des études sur le scénario Xynthia, notamment pour la justice. Nous faisons de l'assistance technique pour l'utilisation de nos modèles et le couplage des modèles 1D-2D.

M. François Hissel, directeur scientifique adjoint du CETMEF - Nous modélisons les inondations urbaines. Nous essayons ainsi de dessiner des cartes du ruissellement dans la France entière, conformément à la directive cadre inondations. Environ 80 % des secteurs inondables sont bien repérés, les 20 % restants sont laissés à l'appréciation des experts régionaux.

Cartino est un projet qui servira à la prochaine phase de modélisation automatique. Il est simpliste mais fonctionne à grande échelle. C'est une modélisation automatique des crues à partir de la topographie.

Depuis les années 2000, avec l'ouverture des financements européens aux recherches plus opérationnelles, nous cherchons à travailler de manière plus systémique, de la prévision à la gestion des conséquences. Nous aidons les communes à élaborer leur plan communal de sauvegarde, grâce au logiciel Osiris, toujours en développement. Il comporte deux modules, le premier concerne la préparation des crises et le plan d'action à mettre en oeuvre selon chaque scénario ; le second concerne la gestion des crises. Nous calculons aussi les dommages potentiels, pour vérifier l'opportunité de travaux de protection.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur - Disposez-vous des données nécessaires ?

M. François Hissel, directeur scientifique adjoint du CETMEF - On évalue les dommages en fonction de la hauteur d'eau. À l'échelle d'une ville, c'est assez fiable. Nous avons créé une plate-forme pour le partage d'informations en cas de crise, expérimentée dans la Meuse en 2011.

Plus récemment, nous avons créé un guide d'aide à l'évacuation de masse. Il en ressort que les points délicats, dans de telles situations, sont la coordination du trafic et l'évacuation des personnes dépendantes.

M. Louis Nègre, président - Concrètement, quel est votre message à destination des élus ? Vous avez informé les préfectures de la houle...

M. Joël L'Her, directeur de l'ingénierie au CETMEF - Météo France est chargée de l'alerte, sur la base de nos mesures. Nous réalisons aussi l'analyse a posteriori. L'important, ce sont les outils de prévention comme les PPR. Il faut éviter de confondre le niveau des pluies ou de la houle et celui de la crue qui en résulte. La culture du risque est cruciale. La faculté d'oubli confine parfois au déni : voyez Xynthia ! Il faut faire preuve de pédagogie : c'est le rôle des élus.

M. Patrick Chassé, expert hydraulique au CETMEF - Certains élus se méfient des techniciens et de leurs calculs. Les outils existants permettent pourtant de mieux connaître les aléas, mais il faut savoir s'en servir. La modélisation simplifie la réalité, mais elle est utile pour la prévention, la prévision et les études d'impact : une digue peut aggraver le risque chez le voisin.

Audition de M. Laurent Michel, directeur général de la prévention des risques et de M. André Bachoc, chef du Service central d'hydrométéorologie et d'appui à la prévision des inondations (Schapi)

M. Louis Nègre, président. - Nous entendons M. Laurent Michel, directeur général de la prévention des risques et M. André Bachoc, responsable du Service central d'hydrométéorologie et de prévision des inondations (Schapi). Je note, monsieur Michel, que vous avez effectué une partie de votre carrière en Languedoc-Roussillon et notamment dans le Gard.

M. Laurent Michel, directeur général de la prévention des risques. - Je ne m'occupais pas d'inondations à l'époque !

M. Louis Nègre, président. - Mais vous connaissez la région ! Notre mission commune d'information ne peut se dispenser de l'étude des modalités de prévisions de crues et d'alertes. Nous nous penchons également sur les moyens de prévenir les crues soudaines -dispositifs de prévention et de protection, capacité à mesurer la résistance des infrastructures, résilience des populations, culture du risque.

Un plan submersions rapides a été décidé au lendemain des catastrophes survenues après le passage de la tempête Xynthia en février 2010 et les inondations dans le Var de juin 2010. À partir du retour d'expériences sur les inondations de novembre 2011 qui ont affecté une région plus vaste, sur une durée plus longue, pourriez-vous nous donner quelques éléments sur la mise en oeuvre de ce plan et ses premiers résultats ?

M. Laurent Michel, directeur général de la prévention des risques - En 2011, l'événement météorologique fut assez classique, mais d'une étendue géographique exceptionnelle à la différence des inondations de juin 2010.

M. André Bachoc, responsable du Schapi - Plus largement que le Var, trois secteurs ont été concernés. Tout a démarré dans les Cévennes, par des crues importantes de tous les cours d'eau cévenols traditionnels, Gardon, Ardèche, l'Hérault amont, Tarn-amont et Tarnon. On a atteint le niveau d'alerte rouge et même frôlé la catastrophe à Florac, où l'accessibilité est réduite, et à Millau où la population est importante. La pluie s'est arrêtée opportunément deux heures avant que l'on bascule dans la catastrophe...

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur - Que se serait-il passé ?

M. André Bachoc, responsable du Schapi - Des secteurs ont été fortement inondés. Ils sont très difficiles d'accès en cas de fermeture des routes. De nuit, les interventions auraient ainsi été plus délicates.

Puis, le sud-est de la région Paca fut touché, notamment autour des rivières du Var et de l'Argens ; c'est l'objet de votre mission commune d'information. Enfin, le piémont pyrénéen a aussi été affecté au niveau de l'Adour et de l'Adour maritime.

Les crues ont causé quatre morts directement, trois indirectement. Près de 6 000 interventions de secours ont eu lieu, dont environ un tiers dans le département du Var. 600 mises en sécurité ont été réalisées. Un grand nombre de personnes a été évacué le long du Reyran, rivière affluente de l'Argens et tristement connue à cause de la catastrophe du barrage de Malpasset. Les dommages matériels sont évalués entre 500 et 800 millions d'euros.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur - Quelles sont les données pour 2010 ?

M. André Bachoc, responsable du Schapi - Les dégâts furent plus importants : de mémoire, ils ont été évalués à 1,2 milliard. Beaucoup d'habitations et de services furent touchés. Le SDIS de Draguignan, avec ses équipements, avait ainsi été touché puisqu'il était installé en zone inondable. Par comparaison, le coût actuellement estimé pour les inondations de novembre 2011 est de l'ordre de 800 millions d'euros.

M. Laurent Michel, directeur général de la prévention des risques - Ces estimations s'affinent quelques mois après, d'autant qu'il y a les dommages indemnisés par les assurances et ceux qui ne le sont pas.

M. André Bachoc, responsable du Schapi - Il existe des seuils théoriques pour déclencher les vigilances de niveau jaune, orange ou rouge. En 2011, en amont de l'Hérault, les crues ont dépassé le niveau de vigilance rouge. Le système « vigicrues » permet d'envoyer des cartes de vigilance aux préfectures et au centre opérationnel de gestion interministérielle de crises, ainsi que des bulletins disponibles aussi sur internet. Les cartes sont réactualisées deux fois par jour, plus si nécessaire, au moins quatre fois le 3 novembre 2011. Face à des crues soudaines, la prévision des pluies très intenses reste un défi, mais nous nous rapprochons autant que possible de l'impossible. Les éléments publiés sont élaborés à partir de données qui sont obtenues depuis moins d'un quart d'heure puis traitées par les modèles ; les informations publiées sont donc rarement plus vieilles qu'une ou deux heures.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur - Dans le sud-est, c'est Météo France qui opère ce travail ?

M. Laurent Michel, directeur général de la prévention des risques - Dans l'extrême sud-est, c'est la direction interrégionale sud-est de Météo France qui couvre essentiellement les fleuves côtiers. Pour le Gard, l'Hérault, la Durance le sud du Rhône, c'est la DDT (direction départementale des territoires) du Gard. Un troisième, basé dans l'Aude, couvre les cours d'eau de ce département et des Pyrénées -Orientales. Il existe 22 services de prévision des crues, répartis selon les bassins hydrographiques. On discute toujours avant de passer au niveau d'alerte supérieur, car la prévision n'est pas une science exacte.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur - La répartition est-elle satisfaisante ? Il y a un lien à établir avec les précipitations.

M. Laurent Michel, directeur général de la prévention des risques - Il existait jadis 52 services. Au début des années 2000, une première réforme a permis de les regrouper en 22 services, sur des secteurs cohérents, avec une taille critique, sans être trop éloignés du terrain. Le Schapi -tête de réseau de l'ensemble- fait en amont un travail méthodologique avec le développement de modèles selon les types de crues et il discute avec tous les services de prévision des crues et Météo France. Il semble impossible d'avoir un seul service central. Il faut anticiper une crue six heures à l'avance pour avoir le temps de faire tourner les modèles. Cela demande une connaissance fine du terrain.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur - Météo France développe-t-elle ses propres modèles ?

M. André Bachoc, responsable du Schapi - Nous travaillons la main dans la main au niveau local - avec le service de prévision des crues Méditerranée Est - comme au niveau central. Les modèles sont développées dans le cadre du réseau des services de prévision des crues avec le SCHAPI.

M. Laurent Michel, directeur général de la prévention des risques - La fusion des services dans les années 2000 s'est appuyée sur les forces existantes. Dans tous les cas sauf un, les centres de prévision sont abrités par des services déconcentrés de l'État, mais nous collaborons étroitement avec Météo France. Cela s'inscrit dans une politique globale qui permet d'harmoniser les niveaux de vigilance.

M. Louis Nègre, président - Il n'y a pas de perte en ligne et vous êtes aussi efficace là qu'ailleurs donc !

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Comment faire travailler ensemble tous ces acteurs ? Depuis que nous nous penchons sur cet univers-là, nous sommes impressionnés par la diversité des acteurs ! Comment traduire les travaux théoriques en modèles pratiques de décisions ? Pour décider, il faut prendre en compte des paramètres très divers : hydrométrie, géologie, facteurs humains comme l'urbanisation... Vos modèles intègrent-ils, au-delà des facteurs naturels, la dimension humaine ?

M. André Bachoc, responsable du Schapi. - À Draguignan, en juin 2010, il y avait à la fois la crue de la Nartuby avec une composante karstique mal maîtrisée et des ruissellements locaux. L'urbanisation joue un rôle significatif lorsque les ruissellements proviennent de pluies intenses. Mais en cas de crue rapide ou soudaine, et au-delà de 200 millimètres, forêt ou béton, la réaction est quasiment la même !

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Que faire des sites urbanisés inondés ? Faut-il fermer des bâtiments ? On nous dit que les obstacles liés à l'urbanisation augmentent les risques...

M. Laurent Michel, directeur général de la prévention des risques. - En cas de pluies très fortes et rapides, l'eau ruisselle de toute façon, quelle que soit la surface. Mais effectivement, si le lit du cours d'eau a été bouché, remblayé par l'urbanisation, les dégâts peuvent être plus graves.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur - Ce qui nous intéresse, c'est ce qui va se passer à partir des pluies, et ce, pour élaborer des outils d'aide à la décision. Il faudrait assurer un suivi ! En 2010 et 2011, les conséquences des pluies furent très différentes.

M. André Bachoc, responsable du Schapi - Entre les inondations de 2010 et de 2011, il y a une différence fondamentale en termes de dynamique des phénomènes. En juin 2010, il est tombé sur un quart du département du Var entre 200 et 300 millimètres en dix heures, alors qu'en 2011, on a constaté le même niveau de précipitations en trois jours sur les départements du Var et des Alpes-Maritimes.

M. Laurent Michel, directeur général de la prévention des risques - La France est un pays assez fortement inondable. Une quinzaine de millions de personnes habitent dans des communes qui sont concernées par le risque d'inondations. Sur 30 ans, c'est donc environ 200 victimes et 20 milliards d'euros de dommages. Le Var, qui avait été moins touché que les départements voisins dans les décennies précédentes, a été durement touché en 2009, 2010 et 2011. Sur le pourtour méditerranéen, il se produit un gros épisode tous les deux ou trois ans : Nîmes, Vaison-la-Romaine, le Gard. Les dommages ont été importants malgré un traitement de la crise efficace.

M. Louis Nègre, président - Je relève que ces dommages ont été importants malgré une gestion de crise efficiente.

M. Laurent Michel, directeur général de la prévention des risques - En novembre 2011, sur le Languedoc-Roussillon, où l'épisode a été classique et anticipable, les dispositifs à la disposition des préfets et des maires ont été bien utilisés, désamorçant l'effet de surprise pour les habitants. En juin 2010, dans le Var, malgré l'annonce de l'évènement météorologique, le caractère soudain des pluies a surpris. La gestion de crise a cependant été efficiente.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur - Efficiente ? Vingt-trois morts en juin 2010, des gens ont été emportés dans leur voiture...

M. André Bachoc, responsable du Schapi - Des centaines de personnes ont tout de même été sauvées par hélitreuillage, grâce aux informations disponibles.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur - Le Sdis était sous l'eau ! Toutes les communications étaient coupées. On a frisé la catastrophe.

M. Laurent Michel, directeur général de la prévention des risques - Cela montre les forces et faiblesses de notre système d'intervention. Les moyens nécessaires ont pu être mobilisés à temps. À une demi-heure près, c'aurait pu être bien pire.

M. André Bachoc, responsable du Schapi - On a vu venir l'événement et pu s'y préparer.

M. Laurent Michel, directeur général de la prévention des risques - Il est très difficile de prévoir les crues dans le Var avec précision, contrairement à celles de Paris. Et en 2000, il n'y avait rien. Il faut donc voir l'évolution depuis dix ans.

M. André Bachoc, responsable du Schapi - Le préfet a été averti entre 16 heures et 16 h 30 que les pluies en cours risquaient de donner un évènement exceptionnel. La catastrophe s'est abattue sur Draguignan et Trans-en-Provence entre 17 heures et 18 heures.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur - Mais que pouvait faire ce pauvre homme ?

M. André Bachoc, responsable du Schapi - Une demi-heure, cela compte et le préfet a pris des mesures, mobilisé tous les hélicoptères par exemple.

M. Laurent Michel, directeur général de la prévention des risques - Sur le pourtour méditerranéen, l'alerte est donnée quatre ou cinq fois par an. Mais on ne peut pas prévoir toutes les conséquences. Nous essayons de passer de la prévision à l'avertissement en temps réel.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur - Il faudrait des archives suffisamment anciennes pour faires des comparaisons.

M. Laurent Michel, directeur général de la prévention des risques - Lois et règlements encadrent la prévision et la prévention des inondations. La loi Grenelle II a transposé la directive 2007/60/CE de 2007 qui impose, pour chaque type d'inondations, d'évaluer les risques, de déterminer les territoires à risques importants (TRI) et de mettre en place, au niveau des bassins, un plan de gestion des risques d'inondations (PGRI).

M. Louis Nègre, président - La directive est de 2007 et la loi de 2010 ?

M. Laurent Michel, directeur général de la prévention des risques - Nous n'avions que six mois de retard dans la transposition. La première étape est d'identifier les TRI d'ici septembre 2012. Les PGRI doivent être prêts pour fin 2015.

Le but est de jouer sur tous les leviers : connaître les risques, réduire la vulnérabilité des personnes et des biens, surveiller et prévoir, préparer la gestion de crise avec les plans communaux de sauvegarde et les retours d'expérience.

La politique française repose sur les trois P, prévention, protection, prévision.

Nos outils opérationnels consistent dans les aménagements et la prévention via les Scot, les PLU, les PPR, qui peuvent comporter des conditions de construction, des interdictions, des prescriptions de renforcement des bâtiments existants....

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur - S'il fallait choisir, quelle serait la meilleure utilisation des crédits disponibles : améliorer les moyens d'alerte, réaliser des aménagements ou des travaux ?

M. Laurent Michel, directeur général de la prévention des risques - Il convient d'optimiser la protection des populations mais aussi de réduire les dommages, à l'agriculture par exemple. L'outil qui existe depuis plusieurs années est le plan d'action de prévention des inondations (Papi) : c'est un contrat entre l'État et plusieurs collectivités territoriales avec un plan global sur les bassins versants, zones d'expansion de crues comme en Île-de-France, etc.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur - Mais si l'on fait des prescriptions exhaustives, rien n'avancera. Sur quoi faire porter l'effort ?

M. Laurent Michel, directeur général de la prévention des risques - Les piliers urbanisme et risques sont essentiels. Évitons de construire en zone inondable. Le système de protection contre les crues lentes peut être amélioré. En ce sens, le projet de la Bassée pour la Seine va être soumis au débat public.

La protection par les digues passe par la réhabilitation d'ouvrages devenus fragiles, les compléments de digues, les rehaussements... Les systèmes d'alerte des 22 services peuvent être complétés par des systèmes État-collectivités locales.

Plusieurs Papi ont été signés lors des appels à projets entre 2002 et 2006. Une nouvelle campagne a été lancée après Xynthia en février 2011 pour une enveloppe de 350 millions d'euros. Dorénavant, un outil est utilisé pour choisir des variantes : l'analyse coût-bénéfice. Cette méthode discrédite certains ouvrages recommandés dans les projets. Dans la vallée du Vidourle, le premier Papi prévoyait une cinquantaine de bassins de rétention, dont une dizaine se sont avérés peu efficaces.

M. Louis Nègre, président - Qui fait cette analyse ?

M. Laurent Michel, directeur général de la prévention des risques - Le maître d'ouvrage, généralement l'État et les collectivités, avec l'appui des bureaux d'études.

Les systèmes de diffusion de l'alerte sont également compris dans les Papi car il est obligatoire de mettre en oeuvre à travers ces Papi tous les aspects, aussi bien travaux que volets peu coûteux...Les Papi qui fonctionnent bien sont généralement portés par un acteur, parfois par un syndicat intercommunal, qui fédère les acteurs.

Mme Isabelle Leleu, chef de service adjointe au Schapi - Il n'y a pas deux territoires ni deux crues identiques. Les Papi servent à moduler la protection en fonction des cas. Dans ce cadre, l'information de la population est importante... encore faut-il que les gens y croient.

M. Laurent Michel, directeur général de la prévention des risques - On a redécouvert des choses avec Xynthia et les évènements du Var. Le plan « submersions rapides » a été concerté puis validé par le Premier ministre avec une dotation de 500 millions d'euros, notamment consacrés à l'appel à projets Papi qui reste l'outil privilégié.

La prévision des crues sur les cours d'eau du Var devait entrer en vigueur en septembre 2010 : les crues ont emporté le matériel, mais l'investissement a repris. En outre, douze PPR inondations ont été approuvés par anticipation par le préfet du Var. Un Papi sur l'Argens devrait émerger.

Dans le Gard, on a l'habitude de ces événements et de nombreux contrats, finançant des projets collectifs, ont abouti, malgré les dissensions entre les différents acteurs. Depuis le lancement de la seconde campagne de Papi, la commission mixte inondations, coprésidée par M. Doligé et M. Flageolet et réunissant pour l'essentiel des élus, s'est réunie cinq fois. Cette commission labellise les Papi, sélectionne les projets du plan submersions rapides et décide des choix stratégiques en application.

Le fonds « Barnier » de prévention des risques naturels majeurs sert à financer, en parallèle du budget de l'État, les plans et les expropriations pour risques naturels majeurs, ainsi que le plan « séismes-Antilles ». En une année, 103 millions d'euros ont été débloqués.

M. Louis Nègre, président - 170 millions d'euros sont recueillis chaque année par ce fonds ; les Papi sont néanmoins signés pour cinq ans. Quelle est donc la pérennité du financement à long terme ?

M. Laurent Michel, directeur général de la prévention des risques - Le mécanisme de mobilisation des crédits est stable et leur montant légèrement croissant. Nous disposons de 170 millions d'euros par an, quasiment garantis.

M. Louis Nègre, président - Pour quelles dépenses en face ?

M. Laurent Michel, directeur général de la prévention des risques - En gros, 90 millions d'euros peuvent être affectés aux Papi et aux renforcements de digues, soit, avec les financements des autres acteurs, environs 250 millions d'euros de travaux sur le terrain.

Si le fonds est ruiné pour avoir financé des bons projets, ce sera un succès.

Mme Isabelle Leleu, chef de service adjointe au Schapi - Il faut mettre ces sommes en regard des coûts des inondations pour la société.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur - Oui, mais selon les cas, ce ne seront pas les mêmes qui financent ; le problème est là.

M. Louis Nègre, président - L'important est d'assurer la pérennité de l'action.

M. Laurent Michel, directeur général de la prévention des risques - Le Parlement peut certes décider de modifier les montants du fonds Barnier... On verra dans deux ou trois ans où on en est. D'ici là, il n'y aura pas de rupture de financement.

M. Louis Nègre, président - Peut-on prolonger un Papi dans le cas où l'on ne dispose pas d'une trésorerie suffisante ?

M. Laurent Michel, directeur général de la prévention des risques - Oui, si l'on a réalisé une part suffisante du programme et si la prolongation en vaut la peine. Le Papi est préfigurateur de l'esprit des obligations imposées par la directive. La stratégie souhaitée par le législateur lors de la transposition de la directive est en cours d'élaboration.

Les 22 SCP forment un réseau chapeauté par le Schapi, surveillant 22 000 kilomètres de cours d'eau. À partir de la capitalisation des informations et des connaissances sur les bassins versants, les services produisent des analyses quotidiennes avec l'indication d'un niveau de vigilance adressé aux préfectures et aux collectivités territoriales.

Les cartes de vigilance crues sont disponibles sur internet, sur le site vigicrues.gouv.fr, mais doivent aussi être « poussées » vers les décideurs. Le préfet doit alerter les maires qui doivent activer les plans communaux de sauvegarde s'ils existent. Nous disposons pour les mesures de 1 400 stations hydrométriques, 570 pluviométriques, ainsi que de radars et mesures de Météo France. Depuis décembre 2011, en liaison avec Météo France, l'Apic, système d'avertissement sur les pluies intenses en temps réel, est mis en place pour lancer immédiatement une alerte. Une nouvelle génération de radars est actuellement déployée, nous essayons d'en renouveler quatre par an grâce à des crédits du budget de l'État. Les nouveaux radars sont très performants. On gagne quelques centaines de kilomètres de cours d'eau couverts. On remonte ainsi la Durance, le Coulon-Calavon, etc.

M. Louis Nègre, président - Rien dans les Alpes-maritimes ?

M. Laurent Michel, directeur général de la prévention des risques - Le fleuve Var est déjà surveillé. Les gains deviennent de plus en plus difficiles et coûteux ; alors on se concentre sur l'amélioration de l'alerte.

Outre la prévision, nous nous efforçons de renforcer les études de probabilité de crue. Nous coopérons avec des collectivités, Nîmes, Saint-Etienne, qui ont accès aux données pour mettre en oeuvre un système d'alerte plus localisé ; ce sont des communes sur des bassins versants visées par les ruissellements, et qui se dotent de systèmes spécifiques d'alerte. Ces initiatives peuvent être financées par les Papi.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur - Et le déplacement d'entreprises menacées par des inondations récurrentes peut-il être financé par les Papi ?

Mme Anne-Marie Levrault, chef du service des risques naturels et hydrologiques - Nous subventionnons les travaux de prévention si une collectivité territoriale endosse la maîtrise d'ouvrage de l'opération. Ainsi, une zone industrielle située dans le lit d'une rivière en Bretagne a été déplacée grâce au rachat de terrains par des collectivités territoriales que nous avons partiellement subventionnées.

M. Laurent Michel, directeur général de la prévention des risques - Le volet réduction de la vulnérabilité du Papi peut être sollicité dans ce cas. Pour assurer la légalité de ces aides, mieux vaut se concentrer sur des secteurs qui concernent plutôt des PME que des grandes entreprises.

M. André Bachoc, responsable du Schapi - Pour les commerces, c'est plus difficile à cause du mécanisme des baux commerciaux.

M. Laurent Michel, directeur général de la prévention des risques - On crée aussi des mini-services de prévention des crues, appelés cellules de veille hydrologique, comme à la Réunion, en Corse, en Guyane. Le problème n'est pas de payer des radars en bande X, mais d'avoir des techniciens pour analyser les données.

M. Louis Nègre, président - Les images ne peuvent-elles être analysées ailleurs ?

M. Laurent Michel, directeur général de la prévention des risques - Difficilement car il faut connaître le terrain. Bref, nous avons une dynamique qui peut donner l'impression d'un foisonnement ; le Schapi a pour but, avec Météo France et le BRGM, de rassembler la force scientifique et ce, depuis les années 2000.

M. Louis Nègre, président - Depuis dix ans, les progrès sont constants, mais les techniques les plus récentes sont encore en voie de développement. Je serai intéressé par des données de benchmarking. Sommes-nous bons ?

M. Laurent Michel, directeur général de la prévention des risques - Au Japon, en novembre 2011, nous avons beaucoup parlé du tsunami ; mais les Japonais ont aussi des pluies de type méditerranéen, avec des dégâts importants aussi -il tombe jusqu'à un mètre d'eau. Nous nous posons les mêmes questions, mais eux développent les radars en bande X et ils ont deux ans d'avance sur nous.

La directive inondations va justement permettre des retours d'information sur l'ensemble de l'Union européenne.

Mme Isabelle Leleu, chef de service adjointe au Schapi - La Grande-Bretagne s'est déjà dotée de sa stratégie nationale.

M. André Bachoc, responsable du Schapi - En s'inspirant de notre organisation.

M. Louis Nègre, président - Les Japonais sont en avance, mais c'est aussi qu'on y trouve des phénomènes du type méditerranéen accentué, si je vous comprends bien ! Concrètement, comment informer les élus locaux, les maires ? Et si vous aviez un message à faire passer à ces derniers, quel serait-il ?

M. Laurent Michel, directeur général de la prévention des risques - Le sujet est parfois conflictuel, notamment lors de l'élaboration des PPR. Cependant, avec les outils à notre disposition, nous avons l'occasion de réfléchir ensemble en jouant sur tous les leviers et en dépassant les conflits. À chacun de faire un bout du chemin. Vision stratégique et action collective, tels sont les maîtres-mots. L'État doit parfois jouer son mauvais rôle régalien...

M. Louis Nègre, président - Je vous remercie.