Mercredi 1er février 2012
- Présidence de Mme Marie-Christine Blandin, présidente -Audition de M. Guy Cogeval, président du musée d'Orsay
La commission procède à l'audition de MM. Guy Cogeval, président et Thierry Gausseron, administrateur général du musée d'Orsay et du musée de l'Orangerie.
M. Guy Cogeval, président du musée d'Orsay et du musée de l'Orangerie. - Je suis président de l'établissement public du musée d'Orsay et du musée de l'Orangerie. En effet, depuis 2010, ces deux musées ont été fusionnés pour le bien des deux institutions.
Des travaux de rénovation assez importants du musée d'Orsay ont été entrepris. Créé il y a vingt-cinq ans avec le succès que l'on connaît, le musée d'Orsay rassemble la plus grande collection impressionniste du monde, justifiant la visite à Paris d'un grand nombre de touristes.
Dès l'origine, ce musée se voulait interdisciplinaire, et le premier musée s'ouvrant à la philosophie, à l'histoire sociale, à la naissance du cinéma... Hier soir, par exemple, ont été projetés dans la nef du musée d'Orsay les films Fantômas réalisés par Louis Feuillade dans leur version intégrale. Depuis l'origine, les activités du musée sont multiples. Sa création, sous l'égide de Michel Laclotte, avait signé ce grand « boom » des musées en France. Ce contexte a justifié la rénovation du musée du Louvre et du Centre Pompidou, qui sont devenus deux « puissances planétaires ». Le musée d'Orsay est le plus petit des grands musées nationaux.
Le segment historique du musée est assez limité, car il débute avec la révolution de 1848 qui a porté au pouvoir la Seconde République pour s'achever au début de la première guerre mondiale. Ces soixante années sont parmi les plus riches de l'histoire de l'humanité. La dimension historique est sous-jacente à la plupart des actions que nous menons.
Le musée d'Orsay est également responsable de dépôts en région. 5 000 peintures et sculptures sont réparties dans des musées, mais aussi dans des mairies et des préfectures. Nous avons la tâche de remembrer ce patrimoine dispersé. En effet, la loi sur les musées nous a interdit les dépôts d'oeuvres dans les collectivités territoriales.
Le budget du musée est de 50 millions d'euros dont la moitié provient de ressources propres. Le billet d'entrée, fixé à 9 euros, est un des moins chers sur la place de Paris. Nous avons réussi à étendre la gratuité pour les jeunes de 18 à 25 ans à l'ensemble des ressortissants des pays européens et aux expositions, sans mettre en danger nos finances. Nous sommes le seul musée à le faire. Partout en Europe, les expositions sont payantes.
La rénovation du musée d'Orsay devrait se poursuivre dans les années à venir. Sur une base d'un tiers financé par l'État, le musée d'Orsay apporte les deux tiers du coût total des travaux qui s'élèvent à 17 millions d'euros pour la rénovation de la moitié des salles du musée, et en particulier celles consacrées aux impressionnistes, qui ont été radicalement transformées. Nous avons lancé aussi une politique de restauration des peintures et sculptures.
Les peintures et sculptures ont ainsi été placées ensemble dans les salles consacrées aux impressionnistes. Nous présentons les premières fontes de Rodin au milieu d'une salle réservée au peintre Monet. Cette avancée muséographique est intéressante pour les publics scolaires afin qu'ils perçoivent l'art dans sa totalité expressive. Quatre nouveaux étages consacrés aux arts décoratifs ont été créés. Nous avons mis ensemble de grands décors de Bonnard et de Vuillart avec de l'art décoratif et de la sculpture de la dernière période présentée au musée d'Orsay.
Nous avons accru la collection des créateurs de la période 1910-1914 dont le musée d'Orsay n'était pas très riche. S'agissant des acquisitions, il est possible d'y consacrer aujourd'hui 16 % de l'ensemble du prix de vente des billets d'entrée aux deux musées.
La fusion avec le musée d'Orsay a permis à celui de l'Orangerie de passer d'une exposition tous les trois ans à deux par an. L'exposition sur la peinture espagnole au XIXe siècle pour laquelle les musées espagnols et catalans ont été très coopératifs a accueilli 200 000 visiteurs.
J'ai déjà évoqué les 5 000 dépôts dans toutes les institutions. Nous prêtons de plus en plus aux musées étrangers mais aussi aux musées de région. Il s'agit d'une nouveauté que nous avons articulée depuis trois à quatre ans. Les musées de région se lancent ainsi dans des expositions assez audacieuses. Le musée de Montpellier qui a une des politiques les plus avancées d'organisation d'expositions a bénéficié pour son exposition Redon du prêt de tout le fonds du musée d'Orsay. Les musées de Marseille s'engagent l'année prochaine dans l'opération « Marseille capitale européenne de la culture ». L'Atelier du Midi sera réparti entre deux lieux, Aix en Provence et Marseille ; à cette occasion, le musée d'Orsay prêtera une grande partie de son fonds, tous les tableaux de l'époque de Van Gogh à Arles, des toiles de Cézanne et quelques Derain, et pour le musée de l'Orangerie toutes ses peintures de Matisse. Par notre présence, nous assurons le succès de l'opération. Cette politique permet d'encourager d'autres prêts, notamment de musées américains.
M. Thierry Gausseron, administrateur général du musée d'Orsay. - La politique d'acquisitions représente 3 à 5 millions d'euros par an, prélevés sur le chiffre d'affaires des billets d'entrée aux collections permanentes. Une partie des acquisitions se fait aussi à titre gracieux auprès des collectionneurs et des héritiers. En janvier 2010, nous avons reçu par donation 25 oeuvres de Bonnard et 25 oeuvres de Vuillard. Les acquisitions gracieuses donnent toutefois lieu à une dépense fiscale. Elles permettent un enrichissement considérable du patrimoine des musées, dans une attitude à l'américaine où le donateur a envie de voir son nom perdurer. Ce sont des opérations que nous essayons de développer. Nous établissons des relations avec des collectionneurs américains qui possèdent des peintres français qui pourraient rejoindre à moindre frais nos collections.
Le musée d'Orsay a ouvert une antenne à Giverny, en partenariat avec le conseil général de l'Eure, sous la forme d'un établissement public de coopération culturelle (EPCC). La fondation américaine Terra qui possédait les murs et assurait l'exploitation n'a gardé que le bâtiment. L'exploitation est désormais financée par le département. La fréquentation de la première exposition réalisée en collaboration avec le musée d'Orsay a été équivalente à celle de toute l'année précédente. Le travail initié à Giverny doit permettre que l'exigence scientifique et son succès soient à la hauteur de la collaboration avec les grands partenaires.
On travaille aussi à des collaborations avec le musée Bonnard du Cannet et le musée d'art et d'industrie de Roubaix. Ces collaborations se font un peu partout même si elles sont moins visibles mais tout aussi efficaces et dynamiques que les politiques d'ouverture d'antenne.
M. Guy Cogeval, président du musée d'Orsay et du musée de l'Orangerie. - Nous avons prêté l'ensemble des sculptures de Degas au musée de Roubaix pour une exposition qui a rencontré un grand succès.
M. Vincent Eblé. - Le département de Seine-et-Marne, dont je préside le conseil général et où se situe le musée de l'école de Barbizon, a tissé des liens étroits avec le musée d'Orsay qui lui a prêté dans le passé un portrait de Stéphane Mallarmé. Je souhaiterais savoir de quelle façon vous établissez des relations avec les musées de province. Poussez-vous la dynamique territoriale au-delà des prêts, par exemple par la contractualisation de conventions ? Très récemment un tableau de Paul Signac prêté à la Mairie de Montreuil a été endommagé, comment s'organisent les relations avec les mairies ? Enfin où en est le projet de localisation, à Cergy, de réserves muséales communes ?
M. Guy Cogeval, président du musée d'Orsay et du musée de l'Orangerie. - Le cas de Giverny est un bon exemple de contrat entre le musée d'Orsay et un département. Nous prévoyons prochainement de signer un contrat avec le Canet et le musée Bonnard pour prêter une exposition sur Misia qui sera auparavant présentée au musée d'Orsay. Nous sommes bien concernés par le projet de grand centre de réserves mutualisées que vous évoquez, mais nous n'en n'avons pas véritablement besoin dans la mesure où nous disposons de nos propres espaces aux portes de Paris et j'estime qu'il est préférable de mener la mission de restauration sur place et non dans un centre situé à quarante kilomètres. En outre, j'ai le sentiment que ce projet est en veille pour des raisons de financement. Enfin, le tableau de Paul Signac auquel vous faites référence est un cas particulier puisqu'il fut offert par la veuve du peintre à la municipalité. Nous attendons de voir avec cette dernière s'il ne serait pas opportun de le déposer au musée d'Orsay et de le remplacer par une copie à la mairie de Montreuil. Les retours d'oeuvres provenant de mairies sont gérés au cas par cas et je peux citer une oeuvre de Geoffroy intitulée « Jour de la visite à l'hôpital », qui avait évidemment toute sa place dans la section naturaliste du musée d'Orsay.
M. Jean-Jacques Pignard. - Pouvez-vous préciser la part de la billetterie ainsi que celle du mécénat dans le budget et le pourcentage dédié aux acquisitions ?
Mme Claudine Lepage. - Le sujet des prêts a retenu toute mon attention puisque lors d'un déplacement en Asie, j'ai cru comprendre que les musées accordaient des prêts à titre onéreux à l'étranger. Pouvez-vous nous en dire plus ?
M. Jacques Legendre. - Je suis heureux que notre commission soit désormais en relation avec le musée d'Orsay, ce qui faisait défaut par le passé. Vous n'avez pas cité le musée du quai Branly parmi les grands musées parisiens. Pourquoi ? La participation du musée d'Orsay avait été évoquée au cours des débats de la commission présidée par M. Valéry Giscard d'Estaing, relatifs au projet de l'Hôtel de la Marine. Êtes-vous aujourd'hui associé ou totalement exclu ? Allez-vous réussir à récupérer certains espaces des bâtiments appartenant aujourd'hui à la Caisse des dépôts et consignations ? Enfin, que vont devenir les bancs japonais installés dans votre musée ?
M. André Gattolin. - Qu'en est-il des annonces du Premier ministre et du Président de la République relatives à l'ouverture d'une antenne du musée d'Orsay en Normandie, qui pourrait constituer une concurrence directe pour les musées financés par les collectivités territoriales ? Le musée d'Orsay mène-t-il une politique particulière en matière de conservation du patrimoine industriel et d'histoire industrielle chère à Madeleine Rebérioux dont j'étais l'élève ?
M. Thierry Gausseron, administrateur général du musée d'Orsay. - La part de la billetterie est de 17 millions d'euros pour un budget de 50 millions d'euros qui se compose de 25 millions de subventions et de 25 millions de ressources propres. Le mécénat ne s'élève qu'à 1 ou 2 millions d'euros par an. Lorsque nous prêtons des oeuvres à l'étranger et qu'il n'y a pas matière à échange, alors, nous prévoyons un mécanisme de rémunération. Le principe de base des prêts en général est celui de la gratuité, mais lorsque le lieu d'accueil ne possède pas de collection susceptible de faire l'objet d'un échange, alors nous demandons une rétribution pour le prêt et le travail scientifique, surtout lorsque de nombreuses oeuvres sont prêtées. C'est ainsi que nous avons créé des liens avec la Corée, Singapour ou l'Australie. Nous développons également des ressources autour de la dynamique de la marque du musée d'Orsay, notamment en vendant des photos. Enfin, nous bénéficions des différentes redevances, de la librairie, de la boutique, ou de l'audio-guide qui nous rapportent 2 millions d'euros. Pour ce qui concerne les acquisitions, le montant du budget alloué est de 2,5 millions d'euros mais les donations sont bien plus élevées puisqu'elles s'établissaient à 21 millions en 2009 et qu'en 2010 nous avons reçu une dation de 5 peintures de la famille Bouguereau. Enfin, nous allons recevoir 50 tableaux de MM Bonnard et Vuillard pour un montant total estimé à 50 millions d'euros.
M. Guy Cogeval, président du musée d'Orsay et du musée de l'Orangerie. - Je vais essayer de répondre à l'ensemble de vos interrogations :
- nous avons de bonnes relations avec le musée du Quai Branly, et quand je parle des trois principaux musées que sont le Louvre, le musée national d'art moderne-Centre Pompidou et le musée d'Orsay, c'est parce que nous signons tous trois les passeports des tableaux ;
- l'Hôtel de la Marine, qui n'a pas intéressé la Caisse des dépôts et consignations, ne pouvait accueillir le musée d'Orsay, son décor étant plus adapté aux collections du Louvre. Nous ne sommes pas consultés pour les expositions à venir. Enfin, les bancs japonais devraient pouvoir être déposés pour 5 ans, si nous trouvons les moyens de le faire, chaque banc coûtant environ 200 000 euros ;
- en ce qui concerne l'idée d'une antenne en Normandie, nous avons rencontré le maire du Havre mais n'avons pas de projet ficelé. Je pense que le musée d'Orsay n'a pas les reins assez solides pour créer une nouvelle structure depuis Paris et je crois davantage en la défense des institutions qui existent déjà, ce que nous faisons avec des partenariats comme celui de Giverny ;
- j'ai regretté en arrivant au musée d'Orsay que la place de l'histoire ait été gommée, mais la salle Daumier va être transformée et dédiée à l'histoire. Les expositions seront davantage orientées vers la sociologie et les sciences sociales. Le succès de l'exposition « Crime et châtiment » en liaison avec Robert Badinter a montré l'intérêt du public pour des expositions sur des sujets plus philosophiques et pas limités à l'histoire de l'art.
Mme Sophie Primas. - J'aimerais connaître le nombre de visiteurs, la proportion des étrangers ainsi que la proportion des visiteurs payants.
M. Thierry Gausseron, administrateur général du musée d'Orsay. - Le musée d'Orsay a accueilli 3,2 millions de visiteurs en 2011. Lors de son ouverture, l'objectif de 1,5 million de visiteurs a été plus qu'atteint la première année.
Aujourd'hui, nous sommes parvenus à notre capacité maximum si l'on conserve les horaires actuels. Depuis la rénovation du musée, beaucoup de visiteurs de région sont revenus. La part des visiteurs français s'est considérablement accrue, passant de 30 % à 57 %. Quant à la part de visiteurs payants, elle s'équilibre avec celle des visiteurs gratuits.
M. Pierre Bordier. - J'ai juste une frustration à vous communiquer. A chaque fois que je me suis présenté pour visiter le musée, la file d'attente impressionnante m'a fait fuir.
M. Thierry Gausseron, administrateur général du musée d'Orsay. - Il n'y a en effet qu'une seule entrée qui est vite saturée. C'est plus calme le mercredi et le jeudi soir pendant la nocturne.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - La commission sera ravie de venir visiter le musée d'Orsay comme elle le fait régulièrement dans les autres établissements muséaux.
M. Guy Cogeval, président du musée d'Orsay et du musée de l'Orangerie. - Vous serez les bienvenus.
M. Michel Le Scouarnec. - Connaissez-vous l'impact de la gratuité sur la fréquentation des jeunes ? C'est un public difficile à accrocher.
M. Thierry Gausseron, administrateur général du musée d'Orsay. - Nous avons observé un effet d'aubaine chez les 18-30 ans. La gratuité incite très certainement les jeunes à fréquenter les musées, mais ce n'est pas la seule motivation. Il faut mettre en place des opérations spécifiques, une programmation et de la publicité. Certains sont encore intimidés par leur propre ignorance.
M. Alex Türk. - En cas de crue exceptionnelle, êtes-vous prêt à l'affronter ?
M. Thierry Gausseron, administrateur général du musée d'Orsay. - Il existe bien entendu un plan de prévention « crue ». Nous sommes prêts à faire face. Il n'y a aucun objet d'art au rez-de-chaussée. Tout est facilité pour bouger rapidement les oeuvres d'art et les protéger. Nos réserves souterraines seraient très certainement touchées, mais nous avons également des réserves extérieures.
Tout le personnel sait qu'il participera à la sauvegarde des oeuvres. Pour l'instant le processus de vigilance et d'alerte fonctionne bien. Il est vrai que nous sommes plus habitués à gérer des objets suspects ou des incendies.
Mme Dominique Gillot. - A l'issue d'une consultation longue et coûteuse, le site de Cergy-Pontoise avait été retenu pour construire une réserve à l'abri d'une crue centenaire. Seulement, le processus n'a pas été à son terme et l'on attend toujours la décision finale du ministère de la culture et de la communication.