Jeudi 24 novembre 2011
- Présidence de M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président, rapporteur -Energies alternatives : gestion de l'intermittence et maturité des technologies
M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Nous abordons aujourd'hui la dernière journée d'auditions de notre mission sur la sécurité nucléaire et l'avenir de la filière nucléaire. Constituée au lendemain de l'accident nucléaire de Fukushima, elle a produit un premier rapport, remis le 30 juin, qui concluait un premier cycle, très complet, d'auditions et de visites sur différents sites nucléaires.
La mission consacre cet automne ses travaux à l'avenir de la filière nucléaire. Nous nous sommes déplacés en France - à Bure dans la Meuse - en Allemagne et au Japon. Nous avons auditionné de nombreux spécialistes, au cours de plusieurs journées de tables rondes : la première, le 27 octobre, a été consacrée aux politiques de l'énergie en Europe ; la deuxième, le 3 novembre, a porté sur l'évolution de la consommation électrique et les possibilités d'économies d'énergie ; la semaine dernière, nous avons abordé les perspectives de la filière nucléaire. Nous terminons par un examen des solutions alternatives au nucléaire. Toute décision concernant l'avenir de l'énergie nucléaire est aussi un choix sur la place des énergies renouvelables. Tout choix relatif à la composition du bouquet énergétique engage la France pour des décennies et représente des flux d'investissement majeurs.
Notre première table ronde portera sur l'intégration des énergies renouvelables au réseau. La seconde, cette après-midi, fera le tour des différentes solutions d'énergies renouvelables pour la production d'électricité en étudiant leur maturité technologique et leur coût.
- Présidence de M. Christian Bataille, député -
L'INTÉGRATION DES ÉNERGIES RENOUVELABLES AU RÉSEAU : « SMART GRIDS » ET STOCKAGE DE L'ÉNERGIE
M. Christian Bataille, député, rapporteur. - L'intermittence caractérise les énergies renouvelables qui présentent le plus grand potentiel de développement à court et moyen terme - énergie éolienne, énergie solaire. La question est nouvelle ; elle ne se posait pas pour les modes de production traditionnels, avec une électricité d'origine fossile ou nucléaire.
La production d'électricité éolienne ou photovoltaïque est extrêmement variable et dépend de facteurs météorologiques sur lesquels l'homme n'a pas de prise. Comment les réseaux électriques absorberont-ils cette production d'électricité ? En Allemagne, les opérateurs arrêtent leurs éoliennes de plus en plus fréquemment, parce que le réseau n'est pas dimensionné pour apporter l'électricité dans les régions industrielles du sud du pays où elle pourrait être consommée. Des investissements considérables seront donc nécessaires : l'Agence internationale de l'énergie (AIE) considère qu'un quart de l'investissement dans les réseaux de transport d'ici à 2035 sera lié à la croissance de la production d'électricité d'origine renouvelable.
Dans un monde idéal, chaque éolienne stockerait l'électricité pour la restituer sur le réseau lorsque les usagers en ont besoin. Le stockage dans des stations de pompage en montagne est une solution ancienne et bien maîtrisée, mais les possibilités de développement sont limitées. Le Danemark stocke l'énergie produite par ses éoliennes dans des barrages norvégiens : hélas, nos montagnes n'y suffiraient pas ! Il existe en revanche une piste dont nous avons déjà parlé : les stations de pompage installées dans la mer. De tels projets, compte tenu de leur coût, peuvent-ils constituer une partie de la solution ? Il faut se poser la question, au moment où la France s'apprête à installer des éoliennes pour une capacité installée de 6 gigawatts (GW) au large des côtes de la Manche et de l'Atlantique. Une autre technologie intéressante est le stockage de l'énergie sous forme de méthane obtenu par synthèse à partir du CO2.
Il faudra aussi injecter de l'intelligence dans les réseaux afin de mieux concilier, de manière dynamique, la demande et l'offre. La France, qui va déployer 35 millions de compteurs communicants dans tous les foyers, doit jouer là un rôle de pionnier.
Les scientifiques apportent aux gestionnaires de réseaux des modèles de prévision de la production en fonction des conditions météorologiques. Il est primordial, en effet, de savoir quelle puissance sera effectivement fournie par les éoliennes et les centrales de production photovoltaïques et de savoir dans quelle mesure la production dans une région, à l'instant t, pourrait compenser l'absence de production dans une autre région.
Mais qu'en est-il d'abord, de la coordination des efforts de recherche français en matière d'énergies renouvelables ? M. Pascal Garin, qui a la semaine dernière fait le point pour nous sur le projet ITER, parlera aujourd'hui en sa qualité de « sherpa » du président de l'Alliance nationale de coordination de la recherche pour l'énergie (Ancre). Comment cette Alliance, mise en place en 2009, s'est-elle organisée pour coordonner la recherche dans le domaine des énergies renouvelables ?
M. Pascal Garin, « sherpa » du président de l'Alliance nationale de coordination de la recherche pour l'énergie (Ancre). - En 2009, les pouvoirs publics ont voulu resserrer les liens entre les instituts de recherche, les universités et les industriels. Le gouvernement a créé l'Alliance nationale, l'Ancre, en lui confiant quatre missions. D'abord, renforcer les partenariats et les synergies. Ensuite, identifier les verrous qui bloquent le développement des énergies renouvelables - le rapport remis à la ministre, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, par M. Christian de Perthuis a contribué à répondre à cette question : « Comment débloquer les verrous scientifiques, économiques, environnementaux et sociaux ? ». L'Ancre a aussi pour mission de proposer des programmes pluriannuels de recherche et développement. L'ANR et l'Ademe réalisent déjà une programmation énergétique ; la compétence de l'Ancre vient quant à elle de la base, c'est-à-dire des instituts de recherche qui travaillent en ce domaine. Quatrième mission : établir les bonnes pratiques dans la maîtrise de l'énergie - car le premier kW utile est celui qui n'est pas consommé.
Les membres fondateurs de l'Ancre sont le CEA, le CNRS, l'Institut français du pétrole-énergies nouvelles (IFPEN) et la Conférence des présidents d'université (CPU). Les ont rejoints 15 membres associés : Andra, BRGM, CDEFI, Cemagref, Cirad, CSTB, Ifremer, Ineris, Inra, IFSTTAR, Inria, IRD, IRSN, LNE et Onera, auxquels s'ajoutent les laboratoires d'université, si bien que tous les groupes de recherche dans le domaine de l'énergie sont représentés. L'Alliance ainsi constituée a d'abord structuré son travail en créant neuf groupes de travail. Cinq sont consacrés aux sources d'énergie : énergies de la biomasse, y compris la troisième génération, énergies fossiles et géothermique, énergie nucléaire, énergie solaire et enfin énergies marine, hydraulique et éolienne. Trois groupes sont consacrés aux usages, dans le transport, le bâtiment, l'industrie et l'agriculture. Un neuvième groupe, transversal, se consacre à la prospective.
La première tâche des groupes a été d'élaborer un programme de travail. Sur les verrous, un gros travail a déjà été accompli, les résultats en seront présentés lors de l'assemblée générale de l'Ancre la semaine prochaine. Améliorer la coordination entre laboratoires est utile car renforcer les liens accroît l'efficacité globale. Un impressionnant tableau des laboratoires a été dressé - véritable état des compétences disponibles dans le pays.
Les industriels sont parties prenantes à ces groupes programmatiques, via les pôles de compétitivité. L'Alliance doit favoriser l'émergence d'un tissu industriel lié à la recherche, ou le renforcer, selon les cas, ce que nous faisons grâce à ces pôles de compétitivité. L'Ancre est dotée d'une présidence tournante, qui, pendant deux ans a été confiée à M. Olivier Appert, président de l'IFPEN. M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA, vient de prendre sa suite, en octobre dernier. Le nouveau président compte renforcer les liens avec l'industrie : le CEA a pour caractéristique de couvrir tout le champ de la recherche, depuis les fondamentaux jusqu'aux applications pratiques.
Parmi les contributions récentes de l'Ancre, je voudrais mentionner les recommandations qu'elle a délivrées à propos des appels à projets « laboratoires d'excellence » (Labex) et des appels à projets « équipements d'excellence » (Equipex), créés dans le cadre des investissements d'avenir et actuellement soumis à l'évaluation de jurys internationaux indépendants.
Deux comités ont été mis en place par les ministres M. Eric Besson et Mme Nathalie Kosciusko-Morizet : « Trajectoires 2020-2050 », animé par M. Christian de Perthuis et « Energie 2050 », animé par M. Jacques Percebois, consacré plus spécialement aux énergies décarbonées. L'Ancre apporte ses idées, indique les thèmes de recherche à privilégier : ce regroupement d'experts crée une force de proposition fort utile. Deux fois par an, nous tenons une assemblée générale : à celle du 1er décembre, M. Claude Birraux viendra exposer, en introduction, les attentes du Parlement.
M. Christian Bataille, rapporteur. - Nous allons maintenant entendre M. Hervé Mignon, directeur du département développement du réseau et perspectives énergétiques chez RTE. L'électricité produite par les éoliennes, voire par les autres énergies renouvelables, pose-t-elle déjà des difficultés au gestionnaire du réseau ? Quelles solutions étudiez-vous pour acheminer, à l'horizon 2020, les 25 000 mégawatts (MW) d'électricité éolienne et les 5.400 MW « crête » d'électricité photovoltaïque affichés comme objectifs en France ?
M. Hervé Mignon, directeur du département Développement du Réseau et Perspectives Énergétiques (RTE). - Avant d'évoquer les actions de RTE pour intégrer les énergies renouvelables intermittentes dans le réseau, je voudrais rappeler le contexte européen. Ce qui existe en Allemagne et en Espagne a, en effet, des interactions sur la scène européenne puisque le système électrique y est interconnecté.
Il est intéressant de superposer deux cartes de l'Europe. La première montre les zones de fort potentiel de développement des éoliennes terrestres (en France, en Espagne, au nord de l'Allemagne,...) et maritimes (en Mer du Nord, dans la Baltique,...) ainsi que les perspectives de future localisation de la production éolienne. La seconde est une photographie par satellite de l'Europe la nuit. On y voit les zones, très éclairées, de forte consommation. Et l'on constate qu'il n'y a pas de cohérence géographique entre les lieux de production des nouvelles énergies intermittentes et les lieux de consommation d'électricité. Les premières sont éloignées des secondes. Comment assurer l'acheminement ? Comment anticiper la construction des parcs d'éoliennes ou de photovoltaïque ? En Allemagne, cet été, jusqu'à 20 GW ont été injectés ponctuellement dans le système - avec des conséquences sur le réseau électrique européen. A horizon de dix ans, la congestion guette, si le réseau n'est pas significativement développé. Pour être prêts à appliquer en 2020 le « paquet énergie » et les feuilles de route nationales, il faudra construire 20 000 kilomètres de nouvelles lignes à très haute tension (THT).
En matière d'éoliennes, les capacités installées représentent 30 GW en Allemagne, plus de 30% du total européen. L'Espagne arrive ensuite avec 25% ; l'Italie est troisième, la France quatrième, avec un parc de plus de 5 GW. En 2010, l'Allemagne a installé 1,5 GW de capacités de production nouvelles, ce qui la place encore à la première place, avant l'Espagne, puis la France - avec 1 GW d'installé. Nous sommes dans le groupe des acteurs dynamiques, comme la Grande-Bretagne, qui poursuit la construction de parcs d'éoliennes, notamment offshore, à un rythme soutenu.
Quant au réseau de transport électrique, le maillage des lignes à 400 000 et à 250 000 volts doit être développé afin de renforcer la sécurité d'approvisionnement et assurer une meilleure gestion des aléas de production ou de consommation. La mise en commun de toutes les ressources disponibles en temps réel crée une respiration européenne, de plus en plus nécessaire. En Allemagne, sur une seule journée de septembre dernier, la production d'énergie photovoltaïque et éolienne a tant varié, avec une si forte amplitude, que l'impact est très net sur le solde d'importation en provenance des pays voisins. Une plus forte intermittence conduit en effet à solliciter de façon plus soutenue toutes les formes de la respiration européenne.
En France, l'évolution de la puissance éolienne installée est en croissance stable, 1 GW terrestre de plus chaque année depuis 2006. Le photovoltaïque est en essor rapide ; le rythme de progression se rapproche de celui de l'Allemagne ou de l'Espagne. Pour prévoir l'acheminement, il faut anticiper la localisation des nouveaux moyens de production, définir les infrastructures à construire pour le raccordement et l'acheminement vers les zones de consommation. Depuis 2007 et le Grenelle de l'environnement, un travail est mené en ce sens. Avec un objectif de 19 GW terrestres, RTE devra investir 1 milliard d'euros sur dix ans en infrastructures de transport.
Le Grenelle a prévu des schémas régionaux « air, énergies, climat » et RTE pilote l'élaboration d'un schéma de raccordement, en lien avec les acteurs de la filière et sous l'égide des préfets. Des postes seront dédiés pendant dix ans à l'accueil des énergies renouvelables. On voit clairement sur une carte, celle de la région Pays-de-Loire par exemple, que les futurs postes et les nouvelles lignes sont situés dans des zones historiquement dépourvues de moyens de transport, parce qu'elles n'étaient des lieux ni de production ni de consommation.
La planification doit déterminer la localisation des futures installations éoliennes ou photovoltaïques. C'est crucial, car les délais de mise en route sont de quatre à cinq ans pour un parc d'éoliennes, deux à trois ans pour le photovoltaïque, mais de dix ans pour de grandes lignes THT, sachant que la procédure d'autorisation prend huit ans et la construction des lignes deux ans. Il est donc préférable d'anticiper la création des nouvelles installations de production.
Les sites de production une fois raccordés, reste le problème de l'intermittence, faute de stockage possible. RTE a mis au point de nouveaux dispositifs dits de « smart grids » ou réseaux intelligents. L' « Insertion de la production éolienne et photovoltaïque dans le système » (Ipes) est un outil de gestion en temps réel : prévision, gestion, transmission de l'information afin que les centres de contrôle - ou dispatchers - aient une vision d'ensemble de la production des heures à venir. Plus de 90% du parc éolien est suivi en temps réel par Ipes. Nous avons relié les éoliennes aux postes par fibre optique. L'enjeu principal est d'assurer à chaque instant l'équilibre entre l'offre et la demande. Et ce n'est pas tant la variabilité de la production qui est gênante, que l'écart entre la prévision et la réalisation. C'est pourquoi nous avons travaillé avec Météo France et avons créé nos propres modèles de prévision météorologique. Plus fine est la prévision, meilleure est la gestion. Les réserves primaires et secondaires, en particulier, sont alors calculées au plus juste pour correspondre aux aléas de l'intermittence. Ipes offre une solution concrète pour gérer les 5 à 6 GW déjà installés en France. L'écart entre la prévision et la réalisation ne dépasse pas 3% à l'échelle du territoire, grâce à l'effet de foisonnement. Mais il peut localement atteindre jusqu'à 15%.
Le photovoltaïque se développe de plus en plus, dans le Sud-Est et le Sud-Ouest, si bien que, dans les années à venir, on ne pourra plus parler d'énergie décentralisée. On passera à une nouvelle forme d'énergie centralisée : songez qu'elle atteint déjà 10 GW en Allemagne !
J'en viens à l'éolien en mer, qui a fait l'objet d'un appel d'offres gouvernemental. Il faut prévoir le raccordement sous-marin au réseau terrestre et renforcer celui-ci pour accueillir ces nouveaux flux. Le raccordement représente 10% de l'investissement total, soit 1 milliard d'euros sur les 10 du projet d'éolien en mer.
RTE est confronté, avec la mutation des sources d'énergie, à trois défis. D'abord, le défi géographique lié à l'éloignement des zones de production des lieux de consommation. L'arrivée massive des nouvelles énergies commande de renforcer le réseau - à la fois la maille européenne et la maille française. Le défi opérationnel ensuite, suscité par une production intermittente et fluctuante, laquelle exige de nouvelles modalités de gestion de la sécurité et des réserves. Ainsi en Espagne, les gestionnaires de réseau ont le droit d'arrêter la production si celle-ci excède les capacités d'absorption du réseau. Le défi temporel enfin, puisque la création de nouvelles lignes de transport se fait en dix ans mais l'installation de parcs éoliens ou photovoltaïques en deux à cinq ans. Notre mission est d'éviter à terme la congestion !
M. Christian Bataille, rapporteur. - Vous avez mentionné les problèmes de stockage : nous y venons. On connaît les stations de pompage en montagne, qui stockent de l'énergie en profitant du différentiel d'altitude entre un bassin inférieur et un bassin supérieur. L'Office s'est déjà fait l'écho en 2009, lors d'une évaluation de la stratégie nationale de recherche en matière d'énergie, des perspectives offertes par les stations de pompage en mer : M. François Lempérière, qui nous avait présenté ce projet, est en train de promouvoir cette idée en Inde en ce moment même. EDF mène également des projets en ce sens. M. Bernard Mahiou, qui êtes directeur en charge des systèmes insulaires chez EDF, pouvez-vous nous indiquer quelles sont les modalités techniques de ces projets ? Sont-ils réservés aux zones insulaires - où le développement du photovoltaïque exige un stockage - ou verrons-nous de telles installations également le long du continent ?
M. Bernard Mahiou, directeur en charge des systèmes insulaires, EDF. - La direction des systèmes insulaires intervient en Corse, dans les DOM et dans les autres collectivités d'outre-mer. Le service public de l'électricité dans ces zones non interconnectées présente de grandes difficultés.
Les stations de transfert d'énergie par pompage (Step) sont essentiellement terrestres. La seule Step marine au monde se situe à Okinawa. Mais un projet de même nature pourrait voir le jour en Guadeloupe. Le fort développement de la production d'énergie intermittente exige de renforcer les capacités de transport de l'électricité, mais aussi les capacités de stockage, terrestre (140 GW aujourd'hui dans le monde) ou marin (1 GW). Si les énergies intermittentes atteignent à terme 20 %, ou 40 % du bouquet énergétique, quel lissage faudra-t-il pour garantir la sécurité du réseau ? En 2040, la demande mondiale de stockage sera comprise entre 500 et 2 000 GW. Il est intéressant d'installer les Step marines près des champs d'éoliennes offshore.
Les systèmes insulaires sont petits et non interconnectés ; ils concentrent toutes les difficultés ! Une disposition a donc été prise pour y limiter le taux de pénétration des énergies intermittentes, qui doivent représenter moins de 30 % de l'offre. Ce taux a été déterminé après expériences menées en Crète ou ailleurs. Si l'on dépasse 30 %, le système peut en effet être en péril. C'est pourquoi le gestionnaire a faculté de déconnecter les installations de production, comme cela est arrivé à dix reprises à Mayotte il y a quelques mois. Le taux d'insertion des énergies intermittentes atteint 29 % à La Réunion. Avant la fin de l'année on y atteindra 30 %, comme en Guyane ou en Guadeloupe ; en Martinique, ce sera l'an prochain, en Corse l'année suivante.
En Europe, si le solaire et l'éolien atteignent en 2020, comme l'envisage la Commission européenne, 50 % des énergies renouvelables, il faudra bien développer le stockage ! En 2010, le stockage par les Step représente 24 GW ; en 2020, déjà 35 GW selon les prévisions - mais j'estime pour ma part que les besoins seront bien supérieurs. Les Step sont des grands projets, lourds, qui exigent des études d'impact. Trouver des sites terrestres n'est pas simple. Alors pourquoi pas des Step marines ? Le prix de revient entre en considération.
En France, la fiscalité locale et le prix du soutirage au réseau RTE représentent 60% du prix de revient de l'électricité. Il y a donc une vraie question économique à régler !
Le projet de stockage en Guadeloupe, au nord-est de l'île de Grande-Terre, consiste à réaliser un dispositif de pompage et de stockage de l'électricité permettant d'améliorer l'insertion des énergies renouvelables existantes, alimenté par de l'eau de mer. La mer en constitue le bassin inférieur et le sommet de la falaise le bassin supérieur.
L'objectif de ce projet, qui répond à un appel à manifestation d'intérêt de l'Ademe, est de favoriser la création d'une filière française des Step marines. Notons qu'il existe un prototype au Japon consistant en une centrale de 30 MW, avec une chute de 150 mètres, qui fonctionne depuis une dizaine d'années à Okinawa, île qui n'est pas interconnectée au réseau national japonais.
Notre projet porte sur la production de 50 MW pour 20 heures de fonctionnement et une capacité de stockage d'électricité d'un gigawatt heure (GWh). Il s'agit d'une technologie nouvelle et qui exige une étude approfondie sur son impact environnemental, de son coût de construction et de son modèle économique.
Un tel dispositif permettrait de lisser les pointes et de réduire la consommation de combustibles fossiles dans les turbines à combustion et ainsi d'éviter l'investissement dans de nouvelles turbines. Il limiterait les arrêts-redémarrages et améliorerait le rendement des centrales thermiques. Il permettrait de remédier aux ruptures de production d'énergie (les périodes sans vent par exemple) par un report sur plusieurs jours. En lissant la production intermittente il permettrait d'aller vers une intégration au réseau supérieure à 30 %, jusqu'à 50 %.
Quant au temps de réponse, il devrait être compris entre 5 et 10 secondes, soit un temps plus court que pour une Step terrestre. Il s'agit de disposer d'une adduction pour le pompage et d'une autre pour le turbinage, l'objectif défini avec Alstom - membre du consortium chargé du projet - étant de concevoir un système à réponse rapide, nécessaire pour les zones non interconnectées. Des machines à vitesse variable - innovation développée par Alstom - permettront de lisser les fluctuations de puissance.
L'usine projetée en Guadeloupe serait soit souterraine, soit préfabriquée et amenée par flottaison, comme c'est déjà le cas pour certaines centrales hydroélectriques américaines, ce schéma pouvant en principe être reproduit sur tous les types de sites.
Quant au calendrier, je rappelle que l'Ademe a lancé son appel à manifestation d'intérêt en avril, que nous avons procédé à des études de reconnaissance que nous lui avons soumises en octobre, l'agence devant en principe nous demander maintenant d'approfondir le projet.
Nous pensons connaître la décision de financement du commissariat général aux investissements au cours de l'été 2012, les grands travaux nécessaires pouvant alors, en cas d'accord, débuter en vue d'une mise en service vers 2017.
Le coût de la centrale est estimé à 250 millions d'euros hors raccordement et nous discutons avec la commission de régulation de l'énergie pour choisir le modèle définitif de valorisation sur ce type d'installation ; 150 millions d'euros peuvent être valorisés au travers de la contribution au service public d'électricité, nous conduisant à demander 100 millions d'euros de subventions, dont 30 venant de l'appel à manifestation d'intérêt (AMI), 20 millions des collectivités territoriales et 50 du Feder.
M. Christain Bataille, rapporteur.- Parallèlement au stockage par énergie potentielle, il existe des possibilités de stockage chimique de masse, par conversion du CO2, ce qui présente le double avantage de fixer l'énergie des sources renouvelables et de créer un nouveau cycle du carbone, réduisant d'autant sa contribution à l'effet de serre.
Par exemple, on est aujourd'hui capable de mettre de l'électricité dans le gaz par un procédé de « méthanation », à ne pas confondre avec la méthanisation qui est un processus de dégradation des matières organiques. M. Alain Bucaille, vous qui êtes conseiller auprès du président du directoire d'Areva, pouvez-vous nous préciser le principe de ce type de technologie ? Quel rendement peut-il offrir et à quelle échelle pourrait-on le développer pour stocker les énergies intermittentes ?
M. Alain Bucaille. - Areva effectue en effet des recherches sur le sujet dans le cadre d'un GIE qui regroupe Eurodia, Air Liquide et GDF Suez.
L'enjeu est de taille, puisque la captation et la séquestration géologique du CO2 étant impossible dans la totalité du Japon, la moitié de la Chine, et très difficile en Inde - qui représentent à eux trois 40 à 50% de la croissance de la consommation mondiale en énergie fossile - la question du recyclage en CO2 se posera rapidement dans les pays d'Asie.
Notre projet porte sur le recyclage à moyen terme du CO2 émis par les cimenteries - en particulier de Chine et d'Inde - grâce à l'électricité. Si l'on prend par exemple pour hypothèse un taux d'intérêt annuel de 4% et les coûts de fonctionnement actuel d'un réacteur EPR susceptible de fournir cette électricité, l'on obtient une production d'essence à moins de 130 dollars le baril, hors coûts de captation du CO2.
Précisons que le CO2 le plus intéressant est celui provenant des cimenteries installées en bord de mer, qui ne contiennent ni minéraux allogènes, ni métaux lourds, réduisant ainsi les problèmes de catalyseur. Le recyclage du CO2 se fera en Chine et en Inde si ces pays décident de traiter cette question du recyclage - ce qui semble inévitable - et si le développement de la filière nucléaire se confirme.
Rappelons d'ailleurs que l'Allemagne utilise déjà l'électricité excédentaire pour fabriquer soit de l'hydrogène, soit du méthane, le transport du gaz étant assuré par les réseaux existants entre les installations de production d'énergies renouvelables, situées au nord, et les lieux de consommation concentrés dans le sud du pays. CO2
Pour notre part, nous sommes ouverts à la participation à ce type de projet avec notre voisin allemand.
Quant aux nombreuses options de type « biomasse to liquid », ou « CO2 to liquid », elles reposent en fait sur le même principe, la seule différence entre elles étant la quantité de catalyseur, c'est à dire d'hydrogène utilisée. L'intérêt essentiel de ces solutions est de nous assurer que le prix des carburants ne dépassera pas un certain plafond.
Mais entendons-nous : en évoquant ces options, l'objet de mon propos n'est pas, loin s'en faut, de contester l'intérêt des solutions de stockage évoqués par les précédents orateurs. Convenons en revanche qu'il existe différents niveaux de stockage : les stockages de petite capacité délocalisés, représentant d'un à 100 kilowatts (kW), les stockages semi-massifs ou régionaux allant du mégawatt au gigawatt et les systèmes massifs, centralisés portant sur des quantités nettement supérieures au gigawatt.
Il me semble important de prendre en compte l'apport possible des différentes sources d'énergie dans la recherche de l'ensemble des solutions dont nous aurons besoin. Des combinaisons sont d'ailleurs possibles entre elles, le nucléaire pouvant par exemple servir à fabriquer des carburants de synthèse pour les véhicules hybrides.
N'opposons pas nucléaire et énergies renouvelables, alors que les deux sources d'énergie peuvent être associées pour compenser leurs faiblesses mutuelles.
Je précise que, pour un excédent d'électricité de 10% pour un mégawatt heure (MWh) produit à 50 euros - coûts de capture, purification et compression du CO2 inclus - les carburants de synthèse reviendraient à 0,9 euro par litre pour le diméthyléther et à 1,4 euro par litre pour l'essence. Cette production de diméthyléther et d'essence de synthèse réduirait respectivement les émissions de CO2 de 6 millions de tonnes et de 12 millions de tonnes, ce dernier chiffre représentant 12 à 15% du CO2 domestique produit en France.
La conversion de CO2 en méthane évite par ailleurs la production de 2,8 tonnes de CO2 pour une tonne de méthanol et de 1,4 tonne de CO2 pour une tonne de diméthyléther.
Quant à la Chine, si elle convertissait tout le CO2 émis par ses cimenteries, elle produirait l'équivalent de 10 millions de baril/jour, soit 10% de la production mondiale !
Toutes ces hypothèses sont à envisager sérieusement dans un avenir proche, surtout si la Chine s'engage plus avant dans les négociations climatiques et qu'elle y joue un rôle majeur.
L'ensemble de ces éléments demeurent pourtant peu diffusés pour deux raisons essentielles. D'une part, il s'agit de ne pas effrayer les pays pétroliers, en leur indiquant qu'il existe un plafond situé à 150 dollars le baril au-delà duquel plusieurs technologies de substitution sont rentables.
D'autre part, cette vision repose sur l'hypothèse d'un taux d'actualisation de 4 %, alors que celui pris en compte dans les modèles économiques de l'industrie pétrolière est de 15%.
M. Christian Bataille, rapporteur. - Le moment est venu d'évoquer les fameux réseaux intelligents, qui sont quelquefois présentés par certains comme « la » solution quasi mystique à l'intermittence des énergies renouvelables. Les smart grids font curieusement partie de l'Evangile des partisans d'une électricité entièrement verte.
Or les réseaux, pour intelligents qu'ils deviennent, ne pourront jamais offrir que ce qu'ils ont, c'est-à-dire une capacité de transport d'électricité.
Le ministre Éric Besson ayant annoncé au début du mois d'octobre le déploiement des compteurs dits Linky, M. Pierre Mallet, vous qui dirigez le département Innovation et Stratégie technique d'ERDF, pouvez-vous nous indiquer ce qu'apportera ce projet en termes de gestion du réseau ? Dans quelle mesure ce nouveau type d'outils peut-il faciliter l'intégration des énergies renouvelables ?
M. Pierre Mallet. - Linky est un très beau projet industriel qui apportera de nouveaux services innovants à nos clients et qui constitue une étape importante vers les réseaux intelligents de l'avenir, ce qui contribuera à consolider la position de l'industrie électrique française dans les premiers rangs au niveau mondial.
Après la présentation du projet, je vous expliquerai comment ERDF prépare l'intégration des énergies renouvelables, la gestion de l'intermittence et, plus généralement, les réseaux et systèmes électriques intelligents de l'avenir.
Le projet Linky vise à installer des compteurs communicants pour l'ensemble des clients domestiques d'ERDF, soit 35 millions de compteurs dans le cadre de l'application d'une directive européenne prévoyant la mise en place de compteurs communicants pour l'ensemble des États avant 2020.
Il s'agit d'un projet de grande ampleur, puisque son coût total s'élève à 4,3 milliards d'euros, le déploiement de l'ensemble des compteurs s'effectuant entre 2013 et 2018, à raison de 35 000 compteurs par jour en régime de croisière. Cinq mille personnes seront employées à cette tâche, le coût du déploiement représentant d'ailleurs environ la moitié de celui du projet.
Les solutions techniques retenues en matière de télécommunication sont le courant porteur en ligne (CPL) sur les réseaux basse tension et le GPRS pour les liaisons entre les postes moyenne tension/basse tension. Avant de lancer un projet d'une telle ampleur, ERDF a lancé une expérimentation dans les régions de Lyon, en zone urbaine, et Tours, en zone rurale. Elle a permis d'installer, depuis maintenant un peu plus d'un an, 250 000 compteurs et 4 700 concentrateurs. Les résultats de l'expérimentation confortent les choix techniques effectués et confirment la faisabilité économique du projet.
Ces compteurs intelligents Linky apportent aux clients de nouveaux services pratiques, à commencer par la possibilité de relever le compteur à distance, alors qu'aujourd'hui 50 % des compteurs gérés par ERDF ne sont pas accessibles car situés à l'intérieur des habitations, ce qui oblige à prendre rendez-vous avec le client pour relever les index.
Avec les compteurs intelligents, il ne sera plus nécessaire de passer chez le client pour la relève, ce qui simplifiera singulièrement la vie de nos clients.
De plus, les factures seront désormais établies sur la base des consommations réelles, alors que le client reçoit aujourd'hui six factures par an, dont quatre sont établies sur la base d'estimations présentant parfois un écart important avec la consommation réelle.
Linky facilitera aussi le fonctionnement du marché de l'électricité, puisque les changements de fournisseurs et de systèmes tarifaires pourront se faire d'une façon à la fois simple et rapide.
Enfin, le compteur Linky constitue aussi un formidable outil au service de la maîtrise de la demande d'énergie, les clients disposant d'informations sur leur consommation d'électricité, et pouvant ainsi ajuster celle-ci au plus près de leurs besoins, pour dégager de substantielles économies d'énergie.
Dans sa communication du 12 avril 2011 sur les réseaux intelligents, la Commission européenne indique d'ailleurs que les consommateurs disposant de compteurs intelligents ont réduit leur consommation d'énergie de 10 % en moyenne.
L'infrastructure mise en place dans le cadre du projet Linky favorisera aussi le développement de nouveaux services à valeur ajoutée. Le gouvernement a ainsi décidé que, dans le cadre du projet Linky, l'ensemble des clients devraient pouvoir consulter gratuitement sur internet leur consommation des deux dernières années et recevoir gratuitement des alertes par SMS en cas de dépassement d'un seuil prédéfini de consommation.
D'autres services avancés peuvent être imaginés, les clients pouvant par exemple comparer leur consommation à celle de clients au profil proche. Des services innovants, inspirés par l'univers Web 2.0, commencent d'ailleurs à émerger et sont appelés à se développer rapidement.
Le comptage intelligent, grâce à l'infrastructure de communication associée, peut aussi servir à moderniser très fortement la gestion du réseau de distribution.
Grâce à Linky, il est en effet possible de suivre la qualité de l'électricité fournie aux clients et d'identifier les clients mal alimentés ; de cibler plus finement les investissements et, en fonction des consommations, de déterminer les ouvrages à renforcer ; de localiser les défauts sur les lignes haute tension A (HTA) et donc d'envoyer les équipes plus rapidement là où elles doivent intervenir et finalement de réduire les temps de coupure ; d'observer le réseau basse tension et, en cas d'incident, de savoir où les clients sont en rupture.
Nous passerons ainsi d'un réseau dans lequel le capteur est le client et le lien de communication le téléphone, à autre type de réseau dans lequel le capteur sera le compteur et le lien de communication l'infrastructure de communication Linky, ce qui constitue pour nous une véritable révolution technique.
Pour en venir plus précisément aux réseaux intelligents de l'avenir, les smart grids, il convient de rappeler que les réseaux de demain subiront quatre événements principaux : le développement de la production décentralisée ; l'introduction de la gestion active de la demande ; l'apparition de moyens de stockage raccordés au réseau de distribution et enfin le développement de nouveaux usages, dont la pompe à chaleur mais aussi surtout les véhicules électriques.
Le distributeur est au coeur de ces transformations dans la mesure où, aujourd'hui, 95% des centrales éoliennes et photovoltaïques en France sont raccordées au réseau de distribution ; 100% des bornes de recharge des véhicules électriques seront évidemment raccordées au réseau de distribution ; et ce sont les distributeurs qui mettent en place et exploitent les infrastructures de comptage intelligent, de même qu'ils gèrent et mettent à disposition des acteurs du marché les masses considérables de données ainsi obtenues.
Le développement de la production décentralisée est certainement le facteur de changement le plus important. Fin septembre 2011, 943 centrales éoliennes et 221 000 installations photovoltaïques étaient raccordées au réseau de distribution géré par ERDF, correspondant respectivement à des puissances installées de 5,9 GW en éolien et 1,9 GW en photovoltaïque.
Ce développement de la production d'électricité à partir de ressources renouvelables modifie en profondeur le fonctionnement du système électrique. L'insertion de ces installations de production sur le réseau de distribution demande en effet d'adapter nos pratiques. Il s'agit de garantir la sécurité des personnes lors de manoeuvres ou d'incidents sur le réseau, notamment en prévenant la formation d'îlots électriques où les dispositifs de protection ne fonctionneraient plus ; d'assurer la sûreté de fonctionnement du système électrique en veillant à ce que ces énergies viennent soutenir le réseau lors d'incidents importants et non s'en retirer comme cela leur était demandé lorsqu'elles étaient marginales ; de maintenir la tension dans les plages prévues et d'éviter l'apparition de surcharges sur les lignes et les transformateurs ; d'optimiser de façon coordonnée les équilibres offre/demande en intégrant les contraintes sur le réseau, au bénéfice de tous les acteurs du marché.
ERDF a déjà mis en place des réponses opérationnelles pour faire face à l'accroissement important du nombre de centrales raccordées ces dernières années ; nous développons de nouvelles solutions pour mieux tenir compte de la multiplication des centrales dans la conduite des réseaux, afin, par exemple, de définir des schémas optimisés de reprise de service après incident en prenant mieux en compte la production, pour améliorer le réglage de la tension ou encore pour établir des modèles de prévision de la production photovoltaïque.
La deuxième évolution importante du système électrique est le développement de la gestion active de la demande, dans le but de faire face aux fluctuations de la production, de reporter la consommation de la pointe vers des heures creuses, où le prix est moins élevé et le contenu carbone du kilowattheure (kWh) est moindre, ou encore de réduire l'énergie consommée.
Pour les clients résidentiels, il est ainsi possible d'agir par exemple sur les chauffe-eau, les radiateurs ou la climatisation, les appareils électroménagers, ces actions relevant soit de l'initiative du client pour réduire sa consommation, soit de son fournisseur dans le cadre de son contrat ou encore pilotées par le gestionnaire de réseau.
Il conviendra d'intégrer au fonctionnement global du système de nouveaux acteurs tels que les agrégateurs et les divers fournisseurs de services ou de conseils.
Là encore, le distributeur, notamment en déployant des systèmes de comptage évolués, joue un rôle clé dans le dispositif. Sa mission doit s'étendre aux étapes successives de certification ex ante, d'activation et d'évaluation ex post des effacements.
La troisième évolution du secteur électrique est constituée par l'apparition possible de moyens de stockage, certains centralisés et d'autres décentralisés grâce à des batteries de tailles diverses. Leur raccordement pourrait de même se faire sur les réseaux de distribution.
Le développement des véhicules électriques constitue un quatrième défi pour le distributeur. Un véhicule électrique constitue en effet une charge mobile que son propriétaire souhaitera connecter au réseau à des endroits variables. Nous n'avons actuellement pas l'habitude de traiter ces situations sur nos réseaux et le coût pourrait être extrêmement élevé.
Des solutions intelligentes de gestion des recharges se révèlent donc indispensables à la maîtrise de l'impact de cette évolution sur le réseau électrique.
Le système électrique de demain sera beaucoup plus complexe, et le distributeur a un rôle central à jouer pour maîtriser cette complexité tout en garantissant la qualité et la continuité de l'alimentation électrique. Son action se situera naturellement à l'articulation entre local et national, dans un ensemble de règles à inventer en concertation avec l'ensemble des parties prenantes.
Ces évolutions nécessiteront notamment des adaptations de l'interface entre les gestionnaires des réseaux de transport et de distribution, les échanges d'informations entre ces acteurs étant appelés à s'amplifier afin de garantir la sécurité du système.
Un important effort de recherche et développement est nécessaire pour concevoir et tester les réseaux intelligents de l'avenir. Dans cette perspective, ERDF accroît de façon importante son effort de recherche et développement et s'est fortement mobilisée pour le montage de projets de démonstration français et européens.
ERDF est ainsi le coordonnateur de plusieurs projets financés par le Commissariat général à l'investissement, tels que « NICEGRID » en PACA, « GreenLys » à Lyon et Grenoble, ou « Venteea » dans l'Est de la France.
ERDF est aussi le leader du projet Grid4EU, qui est le plus important projet européen de recherche et développement en matière de réseaux intelligents, avec 27 partenaires et six démonstrateurs dans autant de pays différents. Il est doté de 50 millions d'euros avec une subvention européenne de 25 millions d'euros. ERDF, en partenariat avec les grandes entreprises du secteur, mais aussi des PME et des centres de recherche, contribue ainsi à positionner «l'équipe de France des réseaux intelligents» dans les premiers rangs au niveau mondial.
En conclusion, je voudrais souligner que les coûts d'acheminement constituent la moitié de la facture d'électricité payée par les clients, avec une répartition d'environ deux tiers pour le réseau de distribution et un tiers pour le réseau de transport.
De plus, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) estime que, dans l'Union européenne, il faudra investir 300 milliards d'euros sur les réseaux de distribution entre 2010 et 2020. Au cours de la même période, les besoins d'investissement sur les réseaux de transport s'élèveront à 100 milliards d'euros.
Face à ces enjeux, il est devenu indispensable de réfléchir à la conception du système électrique futur. On ne peut se contenter de dire «le réseau suivra», comme l'on dit parfois «l'intendance suivra».
M. Christian Bataille, rapporteur.- Je vais maintenant donner la parole à M. George Kariniotakis, chercheur au centre de recherche sur l'énergie et les procédés de Mines Paris Tech qui a étudié la prévisibilité de la production d'énergie intermittente, éolienne ou photovoltaïque. Pouvons-nous prédire les conditions de vent ou d'ensoleillement avec une précision suffisante pour déterminer la production des énergies intermittentes ? Dans quelle mesure pouvons-nous espérer compenser le manque de vent ou de soleil ? Les éoliennes en mer qui seront installées au large des côtes de la Manche ne risquent-elles pas de produire le même effet sur les réseaux que plusieurs EPR qui démarreraient et s'arrêteraient de manière imprévisible ? Telles sont quelques-unes de nos questions.
M. George Kariniotakis. - Rappelons tout d'abord les objectifs européens particulièrement ambitieux fixés pour 2020 en matière d'énergies éolienne et photovoltaïque.
Pour l'énergie éolienne, il s'agit de 230 GW, ce qui permet de couvrir entre 14 % et 18 % de la demande en électricité, alors que nous ne disposons aujourd'hui que d'une capacité installée de 74 GW. En matière d'énergie photovoltaïque, l'objectif proposé par le Conseil européen des énergies renouvelables (EREC) est d'atteindre 150 GW.
Dans ce contexte d'intégration à grande échelle des énergies renouvelables, le caractère fluctuant de la production de ce type d'énergie pose un défi technologique majeur au système électrique traditionnel que nous connaissons et aux acteurs qui le composent.
Dès lors, se pose la question des prévisions de court terme - c'est-à-dire établies quelques heures ou quelques jours à l'avance - nécessaires au bon fonctionnement et à la sécurité du système électrique. Ces prévisions permettent aux gestionnaires du réseau de transport et de distribution de planifier les moyens de production et d'assurer l'équilibre quotidien entre l'offre et la demande mais aussi de gérer les congestions du réseau de distribution, de planifier les échanges avec les réseaux voisins, de maintenir les interconnexions et de gérer les moyens de stockage.
S'agissant plus particulièrement des producteurs indépendants d'énergie renouvelable, ces prévisions sont très importantes pour planifier la maintenance des fermes éoliennes, particulièrement dans le cadre de l'éolien en mer où l'accession au site dépend des conditions météorologiques, et pour participer directement au marché de l'électricité.
En Espagne par exemple, où le système de tarification n'est pas fixe, un producteur éolien peut ainsi proposer de vendre sa production directement sur le marché de l'électricité du jour au lendemain.
En matière d'énergie renouvelable, la prévision de la production est un problème particulièrement complexe en raison tant de la variabilité des conditions météorologiques naturelles que des caractéristiques propres aux machines de production d'énergie éolienne. Sur ce dernier point par exemple, au-delà d'un certain niveau de force du vent, il est nécessaire de suspendre les appareils pour les protéger.
Ainsi, dans une situation où la force du vent atteindrait 26 mètres par seconde, la production serait nulle car la force maximum que l'on peut enregistrer sur ce type d'appareils est de 20 mètres par seconde. Ces situations sont heureusement peu fréquentes et peuvent être limitées grâce à l'effet de lissage que peut offrir l'agrégation de plusieurs fermes éoliennes géographiquement dispersées. Celles-ci permettent donc à la fois de réduire la variabilité et d'augmenter le niveau de prévision de la production.
L'exemple d'une journée type de production d'électricité en Espagne, celle du 11 juin 2011, démontre de façon étonnante que la pénétration de la production d'énergie éolienne dans la demande globale peut monter jusqu'à 60 %, alors qu'il y a deux ans seulement, un communiqué de presse du gestionnaire de réseau espagnol, Red Electrica, annonçait un record de 53 % qui paraissait déjà exceptionnel.
Dans cette perspective, on remarque que la variabilité infra-journalière n'est pas un élément de grande importance et que, sur 24 heures, la contribution de l'énergie éolienne peut, d'une part, parfaitement coexister avec d'autres types d'énergies comme la biomasse, le fioul, le charbon, le cycle combiné gaz ou encore l'énergie nucléaire, et, d'autre part, s'insérer dans les échanges avec les réseaux voisins.
Quant aux prévisions en matière d'énergies éolienne et photovoltaïque, elles reposent sur des modèles informatiques permettant d'agréger les informations du passé, les données en cours sur le terrain disponibles dans les fermes éoliennes ou photovoltaïques et les prévisions météorologiques des organismes spécialisés. Les résultats sont traduits en courbes sur 24 heures ou 48 heures, avec des prévisions heure par heure et par intervalles.
La réalisation de bonnes prévisions dépend essentiellement de la qualité des prévisions météorologiques réalisées par les organismes spécialisés, des progrès ayant été réalisés grâce aux améliorations des modèles et des outils de calcul. Il est évident que les prévisions à court terme sont les plus précises et que les prévisions hivernales sont moins fines, la tâche étant rendue plus difficile par l'existence d'un relief.
La qualité des prévisions dépend aussi du niveau de production d'énergie, la marge d'erreur étant d'autant plus importante que le niveau de production est élevé.
Il convient aussi de prendre en compte le niveau d'agrégation. Plus celui-ci est important, plus la prévision sera efficace. Ainsi, la prévision du niveau de production des fermes éoliennes à l'échelle d'un pays sera plus efficace qu'à l'échelle d'une région seulement.
Les prévisions dépendent enfin des erreurs de phase, dont l'impact pour les gestionnaires de réseau est important, car si ces derniers parviennent à prévoir les événements, ils le font avec une incertitude sur le moment où celui-ci interviendra.
Trois pays utilisent aujourd'hui, et depuis de nombreuses années, les prévisions en matière d'énergie éolienne.
En Espagne, le gestionnaire de réseau, Red Electrica, a développé depuis maintenant dix ans un modèle combinant plusieurs modèles différents. La puissance installée s'y établit à 20 000 MW, plutôt concentrée sur la partie nord du pays, ce qui offre une situation moins avantageuse que la situation française par exemple, où la répartition géographique du secteur éolien repose sur trois grandes régions.
S'agissant des performances de prévision à 24 heures, la marge d'erreur absolue pour l'ensemble de la production à l'échelle de l'Espagne est inférieure à 4 % de la capacité installée. A horizon de 48 heures, le taux de marge d'erreur se situe en revanche entre 1 % et 4,5 % de la capacité installée, le perfectionnement de la modélisation année après année ayant permis des améliorations considérables.
Ainsi, entre 2005 et 2009, le taux d'erreur à horizon de 48 heures a été divisé par deux et la marge d'erreur est aujourd'hui inférieure à 5 %.
Au Danemark, le gestionnaire de réseau Energinet utilise des modèles alternatifs de prévision qui lui permettent d'atteindre, par comparaison sur 24 heures, un taux d'erreur n'excédant pas 4,3 % de la capacité installée, et, à horizon de 48 heures, un taux situé entre 1 % et 6,5 % de la capacité installée. Sur le court terme, à savoir entre 2 heures et 3 heures, le taux d'erreur se situe à 3 % de la capacité installée.
En Allemagne, la prévision à 24 heures pour l'ensemble de cette production offre un taux d'erreur, dite « erreur quadratique normalisée », de 3,7 %. S'agissant plus particulièrement de l'énergie photovoltaïque, le taux atteint 4,17 % pour la production globale.
Au total, il apparait bien que la question de la prévision en matière de production d'énergie renouvelable est complexe. Les recherches en la matière se sont d'ailleurs intensifiées au cours de ces vingt dernières années.
En France, Mines Paris Tech a joué un rôle clef dans la coordination d'un des projets les plus importants dans le domaine de la prévision en matière d'éolien mené entre 2002 et 2005. Ce projet, « Anemos », est considéré comme un véritable succès par la Commission européenne car il a fait évoluer significativement la technologie de la prévision dans ce domaine.
Nous avons ensuite développé un autre projet en partenariat avec des acteurs tels qu'EDF et Météo France, baptisé « Anemos plus », à l'usage des gestionnaires de réseau et des producteurs, tendant à optimiser les prévisions en matière d'estimation des réserves, de gestion des congestions, de coordination du stockage, en vue de la prise de décisions opérationnelles sous incertitude.
Enfin à ce jour, le projet le plus important dans ce domaine est le projet « Safe Wind », coordonné par Mines Paris Tech, qui doit permettre de développer les liens entre la météorologie et la prévision éolienne, afin d'améliorer la prévisibilité en la matière. L'enjeu est de développer de nouveaux outils de prévision et surtout d'alerte en cas de situations extrêmes, afin de prévenir le réseau et de prendre les mesures nécessaires pour y faire face.
Aujourd'hui, cette activité de recherche développée par Mines Paris Tech est un véritable succès avec des utilisateurs jusqu'en Australie ou au Canada.
M. Christian Bataille, rapporteur. - M. Bucaille, l'opérateur allemand E.ON vient d'annoncer qu'il testait l'injection directe, dans le méthane, d'hydrogène obtenu par électrolyse, l'énergie électrique étant fournie par des éoliennes. Un tel mélange n'est-il pas source de difficultés pour les utilisateurs dont la chaudière, conçue pour fonctionner au méthane, brûlerait un mélange de méthane et d'hydrogène ?
M. Alain Bucaille. - À ma connaissance, ce mélange ne présente aucun inconvénient pour les brûleurs de cuisine, mais l'adjonction au méthane de l'hydrogène obtenu par électrolyse fait au mieux économiser 15 % du prix de revient. L'avantage fondamental de cette technique tient à ce qu'elle utilise un réseau de transport qui existe déjà pour valoriser de manière continue l'énergie intermittente.
M. Christian Bataille, rapporteur. - M. Bernard Mahiou, quelle est la hauteur minimum d'une falaise pour rentabiliser le pompage de l'eau marine ? Peut-on envisager le projet guadeloupéen avec les côtes bretonnes, normandes et du Pas-de-Calais ? Un stockage en eau est-il prévu pour les 6 000 MW fournis par les éoliennes le long de nos côtes ? Combien coûte le stockage en Step terrestre et en Step marine ?
M. Bernard Mahiou. - En Guadeloupe, la hauteur de chute est de 50 mètres, contre 150 mètres pour l'installation du Japon. Les Step marines présentent de l'intérêt à la Réunion et en Martinique. Dans cette dernière île, la chute peut atteindre 100 mètres. Si vous multipliez par 2 la hauteur de chute, pour une même puissance, le débit d'eau est divisé par deux par rapport à ce qui se fait en Guadeloupe. Le volume d'eau à stocker est donc divisé par deux.
On peut envisager une usine souterraine en puits pour compenser l'insuffisante hauteur de la chute, ce qui réduit le coût de fonctionnement du site, mais au prix d'un investissement considérable au départ. D'où l'idée d'une usine préfabriquée, accolée à la falaise, bien intégrée au paysage et qui s'affranchirait de toutes les difficultés liées à la hauteur de chute et au terrain.
Nous allons étudier les falaises le long du littoral français, mais nous savons déjà que très peu de sites atteindront 200 mètres, la plupart se situant entre 50 mètres et 100. Le projet guadeloupéen est un précurseur. Je pense que l'on pourrait installer 5 000 MW le long des côtes françaises avec des Step marines, pour un coût très inférieur aux Step terrestres installées jusqu'ici.
M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président. - Quel est le rendement de ces Step ? Avant de récupérer l'énergie d'une chute d'eau, il faut dépenser de l'énergie pour monter cette eau. Les centrales nucléaires produisent une électricité gratuite en dehors des périodes de pointe. En revanche, l'éolien en mer fournit une électricité coûteuse. Quel est l'intérêt des Step ?
M. Bernard Mahiou. - Les Step classiques utilisent 25 % de l'énergie produite pour remonter l'eau. Le rendement de leurs turbines avoisine 98 %. Au total, la technique traditionnelle offre donc un rendement de 75 %, mais Alstom atteint 80 %.
En pratique, le rendement est meilleur lorsque la turbine et la pompe sont séparées, mais l'usine est plus encombrante.
Lorsque la production intermittente dure plus de 30 % du temps, une partie de l'électricité produite est perdue. La Step a pour vertu de la stocker et permettrait d'utiliser l'énergie du vent nocturne, qui, actuellement, ne sert à rien. En tout état de cause, il est intéressant de stocker l'énergie fatale.
M. Bruno Sido. - Pourquoi vous faut-il une subvention de 100 millions d'euros pour conduire à son terme le projet guadeloupéen ?
M. Bernard Mahiou. - C'est le bon sujet.
La péréquation tarifaire impose à EDF de vendre l'électricité en Guadeloupe au tarif de la métropole, malgré un prix de revient quatre fois plus élevé, mais la loi dispose aussi que l'entreprise perçoit une part de la contribution au service public d'électricité (CSPE). En Guadeloupe, le chiffre d'affaires net s'établit à 850 millions d'euros avec un million de clients, la CSPE avoisine 1 200 millions, soit un chiffre supérieur au chiffre d'affaires. Nous discutons avec la commission de régulation de l'électricité (CRE) sur l'éventualité d'une baisse de la contribution.
Pour atteindre le but fixé par le Grenelle de l'environnement, à savoir 50 % d'énergies renouvelables sur ce territoire à l'horizon 2020, il est indispensable d'intégrer les sources intermittentes en plus de la géothermie et la biomasse. En étudiant un projet, la CRE examine son incidence sur la CSPE, qu'elle veut sans cesse réduire. En l'occurrence, la CRE est disposé à verser une subvention de 150 millions d'euros, motivée par l'économie de gazole et la moindre émission de gaz carbonique. Ce premier projet innovant coûte 250 millions d'euros ; nous avons donc besoin d'un financement complémentaire à concurrence de 100 millions. Or, le Commissariat général aux investissements a lancé un appel à manifestation d'intérêt (AMI) dans le cadre des investissements innovants. Nous nous sommes insérés dans ce dispositif qui nous apportera 30 millions d'euros, auxquels s'ajouteront 20 millions payés par la Guadeloupe, le reste provenant du Feder.
M. Hubert Flocard. - M. Kariniotakis, la prévision intéressante porte non sur la moyenne, mais sur les gradients de puissance, qui peuvent être énormes. Un index annuel moyen est trompeur. Lorsqu'on rapproche deux courbes retraçant les prévisions et la production, avec des pentes extrêmement fortes, elles peuvent sembler quasiment confondues malgré d'énormes différences verticales.
Pouvez-vous prévoir l'incidence d'une modification du vent pour le réseau ?
M. George Kariniotakis. - Alors que certains pensaient que la production d'une éolienne était quasiment imprédictible, les progrès accomplis ont permis d'aboutir à une prévision fiable sur l'ensemble de l'année. En fait, les chiffres sont exacts 90 % du temps. Pour le reste, les changements de régime échappent à nos calculs, qu'il s'agisse du timing ou de leur ampleur.
Bien sûr, il reste des marges pour les améliorations futures, c'est pourquoi des doctorats sont en cours à l'Ecole des mines sur ce sujet. Le projet Safe Wind que je vous ai présenté a justement pour objectif d'améliorer la prévision des situations extrêmes, comme l'apparition d'un vent très fort.
M. Christian Bataille, rapporteur. - M. Mignon, quel est le rôle des interconnexions avec les autres pays européens quand il s'agit de faire face aux pointes de consommation électrique, lesquelles se produisent à des heures différentes selon les pays ?
Pensez-vous que nous risquons une panne d'ampleur cet hiver ? Dans quelles conditions climatiques pourrait-elle survenir ?
M. Hervé Mignon. - Élément majeur pour gérer l'intermittence de plusieurs milliers de GW, l'interconnexion est la condition sine qua non pour aboutir à des réseaux intelligents. Nous lui consacrons un tiers des investissements en lignes à très haute tension, ce qui mutualisent les aléas classiques, mais aussi ceux, plus récents, liés au temps ou à l'environnement. N'oublions pas que l'Espagne a connu, il y a quelques jours, un record dans sa production éolienne.
La semaine dernière, RTE a conduit un exercice prévisionnel sur l'hiver à l'échelle ouest-européenne avec son homologue allemand pour déterminer les zones potentielles de tension. La vigilance s'exerce aussi face aux perspectives climatiques.
M. Bruno Sido. - M. Bucaille, pourriez-vous nous en dire plus quant à la technique permettant de produire du méthane pour stocker l'énergie et combattre l'effet de serre ? Je m'interroge notamment sur le prix de revient et la rentabilité de cette technique très intéressante.
M. Alain Bucaille. - Dans ce domaine, je répondrai comme professeur à l'Imperial College de Londres, plus qu'au nom d'Areva. Le premier sujet de discussion à l'Imperial College est le Printemps arabe et ses conséquences : que se passera-t-il pour le prix du pétrole si l'Arabie Saoudite bascule ? La première interrogation est donc géostratégique.
Deuxièmement, tant que l'électricité produite ne dégage pas moins de 200 grammes de gaz carbonique par kWh, tant que les voitures ne produisent pas moins de 80 grammes de CO2 par kilomètre et tant que l'on ne développe pas la captation du carbone, le développement des énergies intermittentes s'accompagnera d'un « boom for gas » ! L'Agence internationale de l'énergie vient de concéder qu'il serait impossible d'éviter un réchauffement d'au moins 3° à 5° si l'on veut que la croissance continue. L'Allemagne ne peut pas éviter de recycler le CO2 pour obtenir de l'hydrogène ou du méthane. En France, les difficultés tiennent à la distribution des rôles entre électriciens et gaziers plus qu'à des obstacles techniques.
Nous ne mettons pas toute l'information sur la table pour ne pas laisser les dirigeants chinois croire qu'en s'équipant de générateurs nucléaires moins sûrs que ceux de génération 3, ils se délivreront de la contrainte énergétique. On manie quand même beaucoup de légèreté dans les discussions sur la sûreté nucléaire en Chine. Avec un baril à 110 dollars et des taux d'intérêt à 4 %, des réacteurs moins sûrs fournissent une électricité 15 % moins chère qu'un EPR. Dans ces conditions, la réflexion du Premier Secrétaire du parti communiste chinois risque de ne pas durer longtemps. C'est une question sérieuse !
Il faudrait dépenser 200 millions d'euros en recherche et développement pour identifier les meilleurs produits énergétiques entre le diméthylether, le méthanol, le méthane et l'essence. Mais on peut aussi mettre le climat au premier plan et se demander comment la France peut faire passer l'énergie non productrice de CO2 de 50 % à 60 % du total. Recycler le CO2 fait partie de la palette des solutions.
L'Imperial College publiera, en juin prochain, une étude sur le coût du passage aux énergies renouvelables à l'échelle de la planète.
La différence entre l'Europe et le monde tient à la démographie et au nombre de voitures. Au niveau de la planète, le processus en cours est irrésistible. Le recyclage du gaz carbonique arrivera plus ou moins vite.
M. Christian Bataille, rapporteur. - M. Pierre Mallet, le stockage décentralisé de l'énergie peut-il avoir des performances comparables au stockage centralisé ? Peut-il apporter une solution à des déséquilibres importants, à l'échelle nationale ou européenne ?
M. Pierre Mallet. - Stockage centralisé et décentralisé n'obéissent pas aux mêmes règles : selon la taille des moyens de stockage, on peut avoir un cycle de recharge par jour, plusieurs en 24 heures ou un par semaine. L'équipement peut prendre la forme d'un panneau solaire placé sur le toit pour alimenter une batterie dans le garage ou d'une petite batterie placée au poste moyenne tension-basse tension. On utilise une petite batterie lithium-ion ou une grande sodium-soufre. Il faut aussi prendre en considération le coût de l'insertion dans le réseau et du raccordement.
Il est très difficile de dire aujourd'hui quelle taille va l'emporter. C'est pourquoi nous allons installer pour quatre ans un démonstrateur dans la région niçoise, avec une batterie au niveau du poste source, une dizaine de batteries au niveau du poste moyenne tension-basse tension et une centaine de batteries individuelles. J'espère que nous pourrons alors être plus précis dans quatre ans.
M. Hubert Flocard. - Nous avons appris que le recours aux lignes à haute tension permettait de réduire les pertes. Qu'en est-il sur les réseaux extrêmement dispersés ? On évoque généralement 6 %.
M. Pierre Mallet. - C'est une question difficile. Les éoliennes décentralisées représentent un cas extrême, puisqu'elles sont branchées sur des départs dédiés.
S'agissant du solaire, tout dépend de son caractère diffus ou concentré. Ainsi, l'appareil de 4 kW posé sur un toit dans un lotissement de vingt maisons ne subit quasiment aucune perte, alors que l'installation systématique de panneaux photovoltaïques produisant 20 kWs provoquera un surplus d'énergie qui remontera dans le transformateur en raison du non-synchronisme entre production (le jour) et consommation (la nuit).
En résumé, la réponse à votre question dépend du type de développement de la production photovoltaïque (réparti ou concentré) et de sa synchronisation ou non avec la consommation.
M. Christian Bataille, rapporteur. - D'après les modèles météorologiques, pouvons-nous espérer avoir toujours du vent ou du soleil en France ? Il semble que l'électricité solaire ou éolienne puisse représenter l'équivalent de 18 EPR lorsque tout fonctionne à plein régime. Mais l'apport peut aussi être égal à zéro !
M. George Kariniotakis. - Peut-on avoir une puissance garantie malgré le foisonnement des techniques ? La filière photovoltaïque ne produit évidemment rien la nuit. Nous avons réalisé une étude sur l'éolien ; l'Ademe aussi, il y a quelques années. Sur ce sujet, il faut raisonner en termes probabilistes. Si ma mémoire est juste, le réseau éolien devrait fournir pendant 90 % du temps au moins 10 % de sa capacité installée. Aucune étude similaire n'a été conduite sur le fonctionnement de panneaux solaires, mais je pense que le chiffre serait meilleur, car la production n'est jamais nulle dans la journée.
M. Stephan Silvestre, professeur affilié à l'Ecole supérieure de gestion. - Quelle est la capacité d'intégration d'énergies renouvelables intermittentes en zone continentale ?
M. Hervé Mignon. - L'interconnexion des réseaux européens permet d'insérer aisément des énergies renouvelables intermittentes. Il n'y a pas de limite à 25 % ou 30 % comme en zone insulaire, en raison du maillage.
À l'évidence, il faudra renforcer la coordination entre gestionnaires des réseaux. De nombreux pays ont retenu l'objectif de « trois fois 20 » en matière d'énergie renouvelable : d'où les progrès importants des filières éoliennes et photovoltaïques.
Il importe de conforter les moyens de secours mutuel, en cas de pics de consommation. Ainsi, la France a une consommation thermosensible, contrairement à d'autres pays aux choix différents. Il importe en outre d'améliorer les prévisions communes, ainsi que les capacités concrètes d'observation, ce que la France fait avec l'IPES.
Le modèle espagnol, qui donne un pouvoir de commande sur les énergies intermittentes aux gestionnaires de réseau, peut-il être généralisé ? Il faut aussi se pencher sur les conséquences de ces nouvelles énergies en termes de sûreté du système électrique, notamment en raison des variations de fréquence.
M. Bernard Mahiou. - L'injection très importante d'énergies renouvelables intermittentes, par exemple en Provence ou en Bretagne, susciterait des difficultés analogues à celles rencontrées en Guadeloupe, à moins que le réseau de distribution interconnecté ne permette tout, ce dont je doute.
Il n'y a pas une forme unique de stockage décentralisé, mais plusieurs, le stockage de masse n'est pas le stockage électrolytique. Une batterie réagit en quelques millisecondes ; une Step terrestre a besoin de 15 minutes ; la réaction d'une Step marine se mesure en une quinzaine de secondes. Au mieux, une batterie fonctionnera pendant une dizaine d'années, contre un siècle pour une Step. Des formes différentes de stockage obéissent à des finalités différentes. Il faut savoir ce que l'on veut.
M. Christian Bataille, rapporteur. - Il me reste à remercier tous les intervenants. -
- Présidence de M. Bruno Sido, sénateur, rapporteur -
LA MATURITÉ TECHNOLOGIQUE ET COÛTS DES ÉNERGIES RENOUVELABLES
M. Bruno Sido, rapporteur. - Nous consacrons notre seconde table ronde aux différentes technologies d'énergies renouvelables, dans une perspective globale : quelle est leur maturité technologique ? Quelles sont les pistes de recherche d'avenir ? Quels en sont les coûts ? Si les énergies renouvelables au potentiel de progression le plus fort ont souvent un coût relativement élevé aujourd'hui, les avancées de la recherche et développement permettent d'améliorer le rendement des processus de production industriels.
M. Pierre-Franck Chevet, directeur général de l'énergie et du climat, nous donnera un point de vue d'ensemble. Dans des filières qui, pour beaucoup, n'ont pas atteint la maturité industrielle, l'administration joue un rôle essentiel de soutien, voire d'impulsion.
S'agissant plus particulièrement de la production d'électricité à partir de l'énergie solaire, les dirigeants de deux grands instituts de recherche français, M. Jean-Pierre Joly pour l'Institut national de l'énergie solaire et M. Daniel Lincot pour l'Institut de recherche et développement sur l'énergie photovoltaïque, nous présenteront un bilan le plus complet possible.
Alors que l'énergie éolienne est déjà largement répandue chez nos voisins allemands, danois ou anglais, l'optimisation des turbines reste un champ de recherche important et l'on annonce régulièrement la sortie de nouvelles unités toujours plus puissantes. M. Robert Gleitz nous indiquera plus précisément ce que nous pouvons attendre dans les années à venir de l'énergie éolienne.
L'Office étudie des techniques moins médiatisées mais qui pourraient représenter un potentiel intéressant à long terme. Ainsi la géothermie profonde peut être utilisée pour la production de chaleur mais aussi d'électricité. MM. Romain Vernier et Guillaume Duval évoqueront le sous-sol et ses ressources.
Enfin, M. Gilles Koléda, économiste, présentera la production d'électricité éolienne et photovoltaïque sous l'angle socio-économique.
M. Pierre-Franck Chevet, la direction générale de l'énergie et du climat a une vision d'ensemble des politiques publiques relatives aux énergies renouvelables. Vous avez publié, il y a deux mois, un rapport sur l'industrie des énergies décarbonées, document de synthèse qui présente l'état des technologies et de la recherche comme le contexte économique et réglementaire, aussi bien pour les filières d'énergies renouvelables que pour l'énergie d'origine nucléaire. Quelles conclusions en tirez-vous concernant la maturité et le coût des technologies d'énergies renouvelables ? Pourriez-vous également évoquer les marémotrices, les hydroliennes, l'énergie de la houle ?
M. Pierre-Franck Chevet, directeur général de l'énergie et du climat. - Les énergies renouvelables sont au coeur de la feuille de route énergétique française. Les objectifs du Grenelle nous obligent ; ils sont en cours de déploiement. Par rapport à d'autres pays, la France a un bon bilan CO2 : sur les énergies renouvelables, nous sommes dans la moyenne européenne, c'est pourquoi il faut aller de l'avant ; pour les autres critères, nous obtenons des résultats corrects, mais il est un domaine où nous devons progresser, c'est l'efficacité énergétique des logements.
Nos énergies renouvelables produisent aujourd'hui 20 millions de tonnes équivalent pétrole (tep). L'objectif est de doubler la production d'ici à 2020, dont 7 millions de tep pour l'électricité, dont on parle tant, 10 millions de tep pour la chaleur, dont on parle peu, mais qui est un grand enjeu, et 3 millions de tep pour les biocarburants.
Le plan d'action national décline les efforts à accomplir d'ici à 2020. Un gros travail est à fournir pour développer les réseaux de chaleur raccordés aux énergies renouvelables. La part des énergies renouvelables doit augmenter de 33 % pour la chaleur, 27 % pour l'électricité et 10 % pour les transports. La trajectoire estimée de développement montre la part des économies d'énergie, la part relativement importante de l'éolien en mer, l'hydroélectricité assumant la plus grande partie, pour des raisons historiques, ce qui explique d'ailleurs la bonne place que nous tenons, en Europe, en matière d'énergie renouvelable.
En termes de puissance à installer, dans la suite du Grenelle, nous avons pris des arrêtés fixant les objectifs suivants pour 2020 : 19 000 MW pour l'éolien terrestre, 6 000 MW pour l'éolien en mer, 5 400 MW pour le solaire (on devrait atteindre 7 000 à 8 000 MW), 2 300 MW pour la biomasse et plus de 3 térawatt-heures (TWh) par an pour l'hydroélectricité, soit un total de 35 000 à 40 000 MW, ou l'équivalent, en puissance, d'une quarantaine de réacteurs nucléaires en dix ans. C'est un effort comparable à celui qui a été fourni pour le nucléaire dans les années soixante-dix et quatre-vingts. Ce développement n'est pas sans limite, au regard de son acceptabilité, et implique un effort d'explication, qui passe par les débats publics locaux.
L'éolien terrestre est une technologie mature, marquée par une forte concurrence internationale, animée par des acteurs industriels forts. La Chine assure le tiers de la production mondiale de machines, mais sa capacité d'exportation est plus limitée que pour d'autres filières, en raison de la taille des objets. L'éolien terrestre représente le quart du déploiement du Grenelle. En 2011, il produit 6 200 MW, l'objectif 2020 implique une augmentation annuelle de 1 000 MW en moyenne. Nous sommes en train de clarifier le régime réglementaire. Les schémas régionaux climat - air -énergie détermineront les zones propres au développement de l'éolien. Ils seront achevés dans six mois environ. Les premiers retours sont encourageants et devraient nous permettre d'aller au-delà de l'objectif du Grenelle. Le principal obstacle au développement, c'est l'acceptabilité. Le cadre réglementaire que nous avons élaboré se rattache à celui des installations classées pour la protection de l'environnement, qui est robuste. La question de l'intermittence se pose davantage à moyen et long terme que dans l'immédiat.
L'objectif de l'éolien en mer représente le tiers de l'objectif de l'éolien à terre, pour un marché un peu moins mature, comportant beaucoup d'innovation. Les éoliennes sont de plus grande taille, elles doivent affronter un milieu particulièrement agressif, d'où les efforts sur la maintenabilité. Le marché européen a un potentiel de 40 GW, ce qui est important. La France fait partie des acteurs qui comptent mais le Royaume-Uni déploie des ambitions plus fortes. Tout un tissu de PME participe aux recherches et au déploiement des éoliennes en mer, ainsi que de grands groupes, comme Areva, Alstom. Nous avons, c'est une chance, une façade maritime relativement propice. Nous disposons de ports et pouvons compter sur les professionnels de la pêche, qui ont la pratique de la mer. Nous avons lancé l'appel d'offres pour la première tranche de 3 000 MW, soit la moitié de l'objectif 2020. Le temps des procédures et de la construction est relativement long, de quatre à cinq ans. La mise en exploitation n'interviendra donc pas avant 2015-2016. Nous travaillons au lancement d'un deuxième appel d'offres.
La question de l'acceptabilité se pose, les conflits d'usage sont importants, comme nous nous en sommes aperçus, lors du premier appel d'offres, en 2004-2005. La procédure n'a pas abouti, faute d'un travail préalable de concertation sur le zonage, essentiel pour permettre l'acceptation de ces projets. Nous en avons tenu compte pour l'appel d'offres que nous avons lancé, dans de bien meilleures conditions après une phase de concertation avec l'ensemble des acteurs de la mer : pêcheurs, associations, élus, responsables des activités touristiques. Nous avons délimité cinq zones : au large de Saint-Nazaire, Saint-Brieuc, Courseulles-sur-mer, Fécamp et Le Tréport. Le zonage est crucial car il est plus intéressant d'installer une puissance maximale dans les zones ainsi définies, que de gaspiller un espace public qui est rare.
La biomasse est une filière mature, dont l'usage le plus efficace est la production de chaleur. L'un des enjeux de son développement réside dans le conflit d'usage sur la ressource : ne créons pas d'installation qui gêne une papeterie voisine ; veillons aux autres usages du bois ; soyons attentifs à la qualité de l'air, puisque ces installations peuvent émettre des particules, à propos desquelles il existe un contentieux ! Nous le voyons à Strasbourg, où nous avons envie de développer la biomasse, à cause du CO2, mais où nous devons faire attention aux particules : il y a des arbitrages à faire. Nous avons demandé aux préfectures de constituer des cellules biomasse, qui se prononceront sur ces questions, lors de chaque appel d'offres, afin d'éviter que soient acceptés des projets qui ne rempliraient pas tous les critères. Notre dispositif à deux étages prévoit un tarif d'achat pour les installations de taille moyenne, un appel d'offres pour les grandes installations.
Le photovoltaïque est une technologie à évolution très rapide, ce qui crée des problèmes de maîtrise et de régulation. Le parc installé en France, à la mi-2011, représente 1 700 MW, dix fois plus qu'en 2009. La puissance installée dans le monde s'élevait à 40 GW fin 2010, dont 30 GW en Europe. Le marché annuel est évalué à 13 GW. La course à la production a entraîné une chute vertigineuse des prix, qui doit se poursuivre. Les subventions, les aides sont là pour créer le marché, les gains de productivité permettant ensuite d'obtenir des conditions de marché. Le photovoltaïque évolue à une telle vitesse que nos dispositifs réglementaires classiques ont parfois du mal à suivre. Nous avons défini une nouvelle régulation aussi vite que possible. Un moratoire a été mis en place entre la fin de l'année dernière et le début de cette année.
Le nouveau dispositif a créé, pour les installations de petite puissance, un mode relativement automatique, qui couvre notamment les installations domestiques. Les tarifs auto-ajustables sont fixés en début de trimestre et sont régulés, en fin de trimestre, en fonction des valeurs constatées. Nous en sommes au troisième trimestre de fonctionnement. Pour les installations de taille intermédiaire, nous organisons un concours de beauté sur le prix. Pour les très grandes installations, qui ont un impact paysager, nous recourons à des appels d'offres. L'on peut retrouver tout cela sur notre site.
Les tarifs ont été adaptés à la baisse des coûts. Il est vrai que la fabrication s'est internationalisée, mais comme la facture d'une installation se répartit par moitié entre les panneaux et la pose, le bilan sur l'emploi et l'économie locale du photovoltaïque est positif.
L'hydroélectricité est une énergie historique en France, implantée depuis longtemps et bien exploitée. Les nouveaux gisements sont donc limités mais ils existent. Nous allons renouveler les concessions qui ont été accordées il y a 70 ans. Cette opération lourde, à forts enjeux, donne à l'Etat les moyens de valoriser son patrimoine, dans le respect des équilibres nécessaires. La gestion de l'espace public peut gagner en efficacité, mais doit tenir compte des conflits d'usage (pêche, protection de l'avifaune notamment). La redevance peut rapporter un peu d'argent, ce qui n'est pas indifférent par les temps qui courent.
Les autres technologies ne font pas partie du plan de développement du Grenelle, ce qui ne signifie pas que nous ne nous en occupons pas.
Les énergies marines liées aux vagues, aux marées, aux courants, au thermique marin, en sont plutôt au stade du prototype. Elles doivent être testées, non pas à grande échelle, mais pas à trop petite échelle non plus. Nous avons ouvert un dossier au titre des investissements d'avenir, qui méritent bien leur nom ; nous n'en sommes pas aux appels d'offres ! Dans quatre à cinq ans, les retours d'expériences d'exploitation dans les conditions marines nous permettront de voir si et dans quelles conditions aller plus loin.
Le solaire thermodynamique est une technologie émergente, plus proche de l'industrialisation que la précédente. Son potentiel national est limité, mais il est très fort à l'export, où les projets de la rive sud de la Méditerranée prennent tout leur sens économique. Il convient d'encourager son développement à l'export, son intérêt étant plus industriel qu'énergétique.
Ces technologies vont se développer d'ici 2020, mais, sauf bonne surprise, leur contribution sera relativement faible. Au-delà du Grenelle, à l'horizon 2030, elles peuvent introduire de changements, mais pas de ruptures. De l'argent y est investi dans cette perspective.
Les filières matures (biomasse, éolien terrestre, hydroélectricité) ont un coût de production plus faible que les filières peu matures (photovoltaïque, géothermie, éolien en mer). Les filières en développement (énergies marines, solaire thermodynamique) ont le coût de production le plus élevé.
La loi prévoit que certaines énergies peuvent être développées, dès lors que l'Etat le souhaite. Les arrêtés que j'ai évoqués, affichant des ambitions quantitatives de puissance, pour chaque technologie concernée, déclenchent un système d'obligations d'achat, assuré par EDF, mais refacturé au client. La loi impose que les tarifs soient fixés de manière à assurer « une juste rémunération du capital ». Il ne doit pas y avoir d'effet d'aubaine, de rentes de situation, comme cela s'est produit dans le photovoltaïque avec un tarif d'achat qui ne bouge pas malgré la chute des coûts. A l'inverse, il ne faut pas que le prix descende en-dessous d'un certain seuil, qui dissuaderait d'y placer de l'argent.
L'énergie renouvelable la plus compétitive est l'hydroélectricité, avec un coût de 30 à 40 euros par MWh ; la majorité des installations sont rentables aux conditions du marché classique. Le tarif d'achat de l'éolien terrestre avoisine le prix de marché, de l'ordre de 60 à 70 euros, avec un coût de production d'environ 60 euros, qui double si l'on y inclut tous les coûts jusqu'à la distribution. L'Allemagne a un prix de marché de 70 euros : nous en sommes proches.
La géothermie a un tarif d'achat de 130 euros par MWh, outre-mer. L'éolien en mer et la biomasse se situent entre deux et trois fois le prix du marché, de 150 à 180 euros par MWh et le solaire, de cinq à dix fois le prix du marché, de 200 à 400 euros par MWh.
Le coût des filières d'énergies renouvelables électriques se répercute sur la facture du consommateur, via la contribution au service public de l'électricité (CSPE), indiquée à la dernière ligne de celle-ci. La charge de la cogénération reste à peu près stable, aux alentours de 800 millions d'euros, en revanche, la part des énergies renouvelables, qui était faible en 2008, à 14 millions d'euros, a fortement évolué depuis le Grenelle, atteignant plus d'un milliard et demi d'euros cette année.
Le double objectif de l'Etat est de réduire les coûts des énergies renouvelables et de développer les filières industrielles. La croissance du marché local repose sur les appels d'offres, encadrant certains critères, sur les obligations d'achat et sur l'utilisation de différents outils. Les investissements d'avenir soutiennent la recherche-développement ; sur 35 milliards d'euros autour du Grenelle, de 6 à 8 milliards sont à l'oeuvre pour les énergies renouvelables, certains projets étant à cheval sur le numérique, mais il s'agit de sommes considérables.
Nous accompagnons la structuration de la filière. Vous avez, monsieur le Président, cité mon rapport sur les énergies décarbonées. Le ministère chargé du développement durable a recruté une dream team de dix spécialistes de chaque secteur qui ont accompagné chacune des filières, en repérant avec les industriels les enjeux, tant en matière de réglementation qu'en des domaines plus prosaïques. Par exemple, le développement de la géothermie suppose des professionnels du forage. Le bilan qui est sorti il y a deux ou trois mois a vocation à se reproduire annuellement. C'est la démarche « filières vertes » que nous avons lancée.
La recherche-développement est également soutenue par le fonds démonstrateur européen, créé sous présidence française, dans le cadre du paquet énergie-climat, NER300, doté de 300 millions de quotas d'émissions de CO2 correspondant à une aide de 6 milliards d'euros. Nous faisons remonter au niveau européen certains projets que nous soutenons au titre des investissements d'avenir par ce biais.
M. Bruno Sido, rapporteur. - La technologie photovoltaïque, contrairement aux autres modes de production d'électricité, n'a pas recours à un générateur : cette particularité permet d'imaginer des moyens de production particulièrement légers et originaux, tels que les tuiles ou les vitres photovoltaïques, voire les vêtements photovoltaïques... M. Jean-Pierre Joly, vous présidez l'Institut national de l'énergie solaire (INES) installé en Savoie. Dans un domaine où les solutions techniques sont encore en plein développement, quelle est la maturité des solutions technologiques permettant une gestion intégrée de l'énergie solaire ?
M. Jean-Pierre Joly, directeur général de l'INES. - La forte réduction des coûts que vient d'évoquer M. Chevet est une tendance lourde du photovoltaïque. La pente de la courbe illustrant cette chute est plus marquée que celle de l'éolien. L'ajustement des politiques d'incitation peut être difficile, mais il en résulte que cette énergie, certes encore chère, a une forte capacité de réduction des coûts. La courbe des coûts des écrans plats a suivi la même pente, ce qui n'est pas un hasard, car les technologies sont, au fond, assez proches. On peut encore aller plus loin, car on est encore loin du coût matière, la couche photovoltaïque étant très fine : la baisse des coûts va continuer. Le prix du kWh va descendre à dix centimes d'euros en 2020. Dans dix ans, il sera proche de celui de l'éolien aujourd'hui. Ce marché, poussé jusque là par les incitations, va rapidement, au niveau mondial, devenir autosupporté, en tout cas dans certaines régions. La forte hausse du solaire thermodynamique ouvre des opportunités pour la France à l'export. Là où le taux d'ensoleillement direct est important, il y a beaucoup à faire pour l'industrie française.
A long terme, en 2050, la part du solaire sera de 20 % à 30 %. Dès 2020, le solaire consommera 30 % de la production mondiale de verre, et une part significative des industries du plastique, ou du cuivre, par exemple.
Le silicium cristallin est une filière historique, les couches minces sont plus récentes. Le premier est encore majoritaire, mais ce n'est pas une technologie figée, puisqu'elle permettra beaucoup d'innovation dans les filières dites à haut rendement, sur lesquelles nous mettons l'accent à l'INES. Les opportunités de marché permettront de vendre le kWh plus cher, selon un modèle à haute valeur ajoutée.
Le photovoltaïque au silicium est une industrie où l'investissement et les matières premières reviennent plus cher que la main-d'oeuvre. Les charges de main-d'oeuvre pour les étapes de fabrication - cellules, modules, systèmes annexes - sont faibles : ce n'est pas le nerf de la compétition internationale. Sans négliger le coût caché de la main-d'oeuvre nécessaire pour fournir matériaux et équipements, nous devons progresser sur l'installation, qui présente la plus grande partie du coût de main-d'oeuvre : il faudra faire des progrès de ce côté. Pour la construction des équipements, on a besoin d'une main-d'oeuvre de très haute valeur ajoutée : les Allemands ont choisi ce créneau pour ses importantes opportunités.
La concurrence internationale est rude, en particulier celle des pays d'Asie, au premier rang desquels la Chine et Taïwan. L'Europe cherche à se maintenir, mais elle rencontre des difficultés. La compétition porte sur les coûts de financement plutôt que de main-d'oeuvre : l'industrie chinoise a profité de 30 milliards de dollars de prêts à bon marché.
Toutes les filières cherchent à se doter de procédés et d'équipements de plus en plus productifs (fours de cristallisation de 800 kg au lieu de 400) et d'usines plus automatisées - l'usine Bosch de montage de modules à Vénissieux est impressionnante.
La tendance est donc à la baisse des coûts : en 2020, le coût final de l'électricité produite sera d'environ 1,5 euro par watt. Dans le sud de l'Europe, le coût de génération descendra alors à 10 centimes par kWh. Le rendement des différents types de modules va continuer à progresser, et le stockage passera sous les 15 centimes par kWh, ce qui réglera le problème de l'intermittence. On reproche encore à l'énergie solaire un temps de retour énergétique relativement long, puisqu'il faut de l'énergie pour fabriquer les équipements ; mais de deux à trois ans en France, il devrait passer à moins d'un an.
L'Allemagne et l'Espagne sont confrontées à la question de l'intermittence. Quant la part du solaire augmente, cela peut déséquilibrer le réseau. Mais on le constate en observant le profil de consommation journalier, le photovoltaïque a vocation à effacer le pic journalier. On pourra donc produire 25 GW à l'horizon 2020 sans attaquer la base, et sans concurrencer le nucléaire. Pour aller au-delà, il faudra développer les réseaux intelligents et décaler les charges - véhicules électriques, réfrigération... - ou encore augmenter les capacités de stockage.
Le photovoltaïque est appelé à être une industrie importante, donc la France ne saurait s'exclure. Photowatt, seul fabricant français de cellules, est en crise. Mais nous avons beaucoup de PME qui produisent des matériaux, des équipements, des cellules, avec une capacité de 800 MW crête, et de grands groupes comme Saint-Gobain ou Soitec, lequel procède plutôt par rachats et implantations à l'étranger. Le coût de la main-d'oeuvre comptant peu, comme pour l'éolien, il est possible de développer cette industrie en France. Puisque les modules sont lourds, les charges de transport et de logistique importantes, il est utile d'implanter les usines de montage au plus près du marché, en France si la demande existe. On aperçoit des signes encourageants : un gros investissement de Soitec, la vente d'une usine clé en mains au Kazakhstan, l'ouverture de l'usine Bosch de Vénissieux.
Bref, le coût du solaire ne sera bientôt plus un obstacle, si les efforts de recherche-développement et d'industrialisation se poursuivent. Ne mettons pas tous nos oeufs dans le même panier, mais continuons à développer toutes les filières : silicium, couches minces, photovoltaïque concentré, thermodynamique. Quelle part reviendra finalement au solaire dans le mix ? C'est à voir, mais au moins la part correspondant à l'effacement du pic journalier : 4,4 GW, c'est peu. Enfin, le déplacement de la production en Asie n'est pas inéluctable.
M. Bruno Sido, rapporteur. - M. Lincot, vous dirigez l'Institut de recherche et développement sur l'énergie photovoltaïque (IRDEP), connu pour ses recherches sur les couches minces. Alors que le grand spécialiste industriel français du silicium, Photowatt, est entré en redressement judiciaire, les couches minces et autres technologies offrent-elles une raison d'espérer ? Il s'agit d'une question de rendement et de prix, mais aussi de disponibilité des matières premières telles que l'indium ou le tellurure de cadmium.
M. Daniel Lincot, Institut de recherche et développement sur l'énergie photovoltaïque. - Parmi les technologies photovoltaïques, il faut distinguer d'une part celle, majoritaire, qui est fondée sur le silicium cristallin - plaquettes découpées qui proviennent à l'origine de l'industrie électronique, le rendement des cellules atteignant 25 % et celui des modules entre 13 et 20 % -, d'autre part trois techniques fondées sur les couches minces, donc sur le revêtement au lieu de la découpe : cellules au silicium amorphe, utilisées d'abord pour les calculatrices, et qui connaissent un développement important ; cellules au tellurure de cadmium depuis 2005 ; cellules composées d'un alliage de cuivre, d'indium et de selenium sur lesquelles on travaille actuellement.
La filière connaît une croissance exponentielle, avec un chiffre d'affaires de 100 milliards d'euros en 2010. Les capacités installées sont inférieures à celles du gaz, mais supérieures à celles de l'éolien. En 2020, le photovoltaïque pourrait produire 12 % de l'électricité dans l'Union européenne : c'est dire l'importance de ce secteur.
Les coûts de production baissent : un module revient à 1,2 euro par watt, contre 4,2 en 2000. Il y a eu un léger rebond lorsque la filière s'est affranchie du secteur électronique : le silicium est désormais produit par des usines spécialisées. On produit aujourd'hui 200 000 tonnes de silicium pour le photovoltaïque, 30 000 seulement provenant de l'électronique. Si l'on prend en compte l'ensemble des coûts, on constate là encore une diminution : selon l'Agence internationale de l'énergie (IEA), de 2 à 3 euros par watt en 2009, on devrait passer à 1,5 ou 2 euros en 2020.
Il y a dix fois plus d'installations en Allemagne qu'en France : 7,4 GW contre 700. Cela peut s'expliquer, en partie, par un différentiel de coût des petits comme des grands systèmes : entre 2,6 et 3,2 euros par watt outre-Rhin, entre 4 et 5 euros ici.
Quand le photovoltaïque deviendra-t-il compétitif par rapport aux autres sources d'électricité ? La décennie à venir sera décisive. Après le Moon Shot du président Kennedy en 1962, les Etats-Unis ont lancé le Sun Shot en 2011 : il s'agit de réduire le coût du photovoltaïque jusqu'à 1 dollar par watt en 2020, en jouant sur tous les tableaux. Voilà un objectif très ambitieux, mais l'Europe aussi veut réduire le coût à 1,2 ou 1,5 euro par watt en 2020. Si les Américains réussissent, le coût du kWh ne sera plus que de 4 à 8 cents, ce qui rendra le solaire compétitif par rapport aux énergies fossiles, y compris le charbon. Ils espèrent ainsi pouvoir construire des usines en Chine. En Europe, le projet de l'EPIA (European Photovoltaic Industry Association) est de ramener le coût du kWh entre 8 et 18 centimes d'euros : nous serons donc bientôt à la parité réseau.
Le photovoltaïque emploie 133 000 personnes en Allemagne contre 24 000 en France ; on a dénombré 200 000 installations en France en 2010.
Grâce à la technique du revêtement sur métal ou sur verre, les couches minces permettent de s'affranchir de certaines étapes de la production, qui coûtent cher. On fabrique aujourd'hui des plaquettes de 6 mètres carrés, issues de la technologie des écrans ! Grâce à la technologie CdTe, développée par EDF Energies Nouvelles, on construit à toute vitesse des plaques d'un demi-mètre carré. Les prix diminuent : pour un même volume de production, par exemple 3 MW, le delta est de 2 environ entre couches minces et silicium. Mais si les progrès technologiques favorisent les couches minces, les effets d'échelle et la courbe d'expérience servent la compétitivité du silicium. La technologie du tellurure de cadmium est en plein essor : les coûts de production n'étaient plus que de 0,6 dollar par watt en 2010.
Toutes les filières de couches minces progressent, et il y aura à l'avenir un mix. Leur développement est lié en particulier à la construction de bâtiments à énergie positive. La stratégie consiste à abaisser les coûts jusqu'à 0,15 euro par watt dans toutes les filières. Les couches minces peuvent même être installées sur des supports flexibles : on fait aujourd'hui de la « moquette solaire ». Les couches minces à l'indium, dont le rendement atteint 20 %, peuvent être posées sur du plastique, ce qui laisse espérer des rendements encore plus importants ; parmi les entreprises françaises spécialisées, il y a Nexcis et Avancis, mais aussi des PME. Considéré comme émergent, le photovoltaïque offre des marchés de niche jusqu'à ce qu'il contribue à l'équation énergétique.
La filière connaît donc un développement industriel accéléré et irréversible. Les coûts de production reculent, grâce aux effets d'échelle et aux innovations technologiques. Ce développement sera autosupporté d'ici 2020. L'électricité ainsi produite pourrait à cette date représenter entre 3 et 13 % du mix : l'incertitude est grande. La marge d'innovation est importante, la concurrence internationale intense : les entreprises européennes ne sont pas seules à souffrir. L'on doit anticiper. Le stockage, la connexion aux réseaux, les carburants solaires : autant de problématiques d'avenir. A la Réunion, on va vers l'autonomie énergétique grâce aux batteries sodium-soufre. Il faut créer rapidement une filière française multi-technologies, performante et intégrée, destinée au marché intérieur et à l'exportation.
Un mot enfin sur le programme de 2009 du NEDO japonais (New Energy and Industrial Technology Development Organization). Les Japonais commencent à produire de l'électricité photovoltaïque connectée au réseau avec un plus grand degré d'autonomie ; ils ajoutent à cela des batteries. Vu le dynamisme du secteur, des scénarios accélérés ont été élaborés.
M. Bruno Sido, rapporteur. - Merci de cet intéressant exposé. M. Robert Gleitz, vous êtes vice-président d'Alstom Power, acteur majeur du secteur éolien, qui fabrique des turbines pour les éoliennes aussi bien sur terre qu'en mer. Quelles sont les technologies de turbines les plus prometteuses ? Certaines sociétés parient sur des éoliennes de 10 MW dont les générateurs utiliseraient des supraconducteurs : jusqu'où ira la course au gigantisme ?
M. Robert Gleitz, vice-président d'Alstom Power. - L'éolien progresse sur le plan technologique et économique. Si l'on replace cette tendance dans l'histoire de la production électrique, on observe qu'après le développement du nucléaire en France dans les années 1970, le gas boom aux Etats-Unis vers l'an 2000 et plus récemment celui du charbon en Chine, d'autres technologies - éolien, photovoltaïque, biomasse - sont en expansion, sans qu'une seule s'impose comme la recette miracle du point de vue de l'efficacité productive et du respect de l'environnement. Chez Alstom, nous sommes convaincus que seule une combinaison de ces énergies peut répondre aux défis de l'avenir. Dans les prochains temps, les commandes représenteront chaque année 250 GW dans le monde, soit deux fois la puissance installée de la France ; la moitié proviendra de sources d'énergies non émettrices de CO2, mais la base installée de 5 200 GW génère 40 % des émissions mondiales, et il faudra du temps pour la renouveler.
Dans le secteur éolien, les turbines ont beaucoup évolué. La taille des machines a été multipliée par plus de 100, et leur production est passée de 30 kW à 3 MW - et je ne parle pas des rotors. Tout cela a demandé du sang et des larmes, mais le secteur est arrivé à maturité. Les plus grandes machines atteignent 100 mètres, et fonctionnent à 13 ou 14 tours-minute. Notre dernière éolienne marine produit 6 MW avec un rotor de 150 mètres.
Chaque éolienne est une petite centrale, qui requiert des compétences en mécanique, en électricité, en électronique. Dans cette industrie, les employés sont plutôt jeunes, ce qui contribue à son dynamisme. Il serait facile de la développer davantage en France.
Pendant des années, les boîtes de vitesse devaient causer la faillite de l'éolien, mais le socle technologique du secteur est aujourd'hui solide. Les coûts ne diminuent pas aussi vite que dans le photovoltaïque, mais ils baissent tout de même de 7 % à chaque doublement de la base installée. De 1984 à 2011, le prix des machines a reculé de moitié. Le facteur d'utilisation - c'est-à-dire la relation entre l'énergie générée par une machine et celle qu'elle produirait si elle était utilisée à 100 % pendant toute l'année - a progressé de 13 points en 27 ans. Les coûts de maintenance ont été divisés par 5 et celui de cette énergie l'a été par 4 en 30 ans.
A l'avenir, on espère l'augmentation du productible, grâce à l'agrandissement des rotors et à la hausse de leur capacity factor. Notre machine de 3 MW était à l'origine dotée d'un rotor de 100 mètres et conçue pour la classe 2, c'est-à-dire pour des vents soufflant en moyenne à 8,5 mètres/seconde. Mais nous nous sommes rapidement aperçus que, sans agrandir les machines, nous pouvions changer de classe, ce qui a naturellement augmenté leur capacity factor. Plusieurs rotors ont été installés sur une même machine, avec des résultats spectaculaires. Grâce à ces progrès technologiques, pour une même surface au sol, on peut installer moins de turbines et produire plus d'électricité. L'heure n'est plus à la multiplication de toutes petites machines.
Nous nous adaptons aussi à l'offshore, en suivant trois principes : robustesse des machines, simplicité et efficacité. Les technologies existantes ont été développées : pour un rotor de 150 mètres, la pale atteint 73,5 mètres. Nous travaillons à rendre les machines plus aérodynamiques, donc plus efficaces et moins bruyantes, et nous voulons les structures les plus légères et les plus rentables possibles. Tirant profit de notre expérience dans l'éolien terrestre, nous avons cherché à ce que la ligne d'arbre ne transmette pas de mauvais efforts, et nous avons installé un alternateur qui tourne à la même vitesse que le rotor. Le prototype est en train de devenir réalité, la plupart des composants ayant été fabriqués en France. Pour développer l'industrie française de l'éolien et créer des emplois, encore une fois, il suffit d'appuyer sur le bouton ! Il faut mener à bien le programme des 6 GW. Cette technologie off shore devrait être rapidement validée. Je suggère au législateur de tenir compte du besoin de disposer de petites centrales pour tester les machines, avant un développement plus important.
L'intégration dans le mix ne pose pas problème : les machines sont aujourd'hui conformes aux codes réseaux les plus stricts et peuvent rester connectées, même en cas de perturbation. D'ailleurs, une éolienne reste une petite machine, et en cas de problème l'impact sur le réseau est moins important que, par exemple, lors du déclenchement d'une centrale au charbon.
L'intégration à l'environnement s'est améliorée. Les éoliennes sont moins bruyantes qu'avant, grâce à leur meilleur aérodynamisme, au gouvernement par machine ou par ferme, et à l'adaptation de la vitesse des rotors. A 500 mètres, le bruit est de 35 dBA, pas davantage qu'une conversation chuchotée, et il est couvert par le bruit du vent.
L'éolienne du futur produira 10 à 15 MW et son rotor dépassera 170 mètres. La taille constitue un vrai défi technologique : contrairement aux turbines à gaz, il n'y a pas de problème lié aux hautes températures ou aux hautes vitesses, mais il faut travailler sur les structures (pale, ligne d'arbre, tour, fondations) et sur l'électronique (contrôle des machines, anticipation des variations du vent, électronique de puissance pour l'intégration au réseau, prévision de la production). Il faut se souvenir que l'investissement initial représente 80 % du coût de l'électricité éolienne : chaque baisse des coûts se répercutera dans le prix de l'énergie produite.
Quand l'on compare les coûts de production des différentes sources d'électricité, on constate que l'éolien terrestre est compétitif, même s'il y faut des ressources naturelles : il n'est pas question d'implanter des éoliennes partout. Sur l'éolien marin, il y a encore des progrès à faire : M. Chevet espérait un prix de 150 à 180 euros par mégawatheure, j'espère qu'il aura de bonnes surprises en janvier.
Alstom produit aussi de l'électricité solaire thermique : nous avons investi dans les tours solaires, où des miroirs reflètent des rayons dans une chaudière, transformant l'eau en vapeur, celle-ci actionnant une turbine qui produit de l'électricité. Mais en France les conditions ne sont pas favorables. Quant au solaire photovoltaïque, ses coûts de production sont en baisse constante.
Il faut d'ailleurs tenir compte des variations de coûts : si le cours du combustible d'une centrale classique peut évoluer, dans le domaine des énergies renouvelables les variations sont maîtrisables et connues pour toute la durée de vie d'une centrale. L'éolien est techniquement et économiquement crédible, au sein d'un mix respectueux de l'environnement.
M. Bruno Sido, rapporteur. - Je vous remercie. La géothermie profonde, contrairement aux énergies renouvelables que nous venons de considérer, ne dépend pas des conditions atmosphériques. M. Romain Vernier, qui dirige le département Géothermie du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), pourra nous en présenter les avantages et les inconvénients, notamment pour la production d'électricité : je pense à certaines zones non connectées au réseau d'électricité du continent, comme la Guadeloupe qui est dotée d'une unité de géothermie profonde à Bouillante. Un projet est également conduit à Soultz-sous-Forêts en Alsace, dans des granites fracturés : M. Guillaume Duval, directeur de l'innovation à Électricité de Strasbourg, vient nous en présenter le fonctionnement et, je l'espère, les résultats.
M. Romain Vernier (BRGM). - Le BRGM, établissement public de référence dans les sciences de la terre, est en pointe depuis le début des années 1980 dans le développement de la géothermie, technique qui consiste à exploiter la chaleur du sous-sol pour produire de la chaleur, du froid ou de l'électricité. A faible profondeur, la température n'est pas très élevée, et l'on se limite à la production de chaleur grâce à des pompes : c'est un des moyens de diminuer la consommation d'énergies polluantes, car, en France, une bonne partie de l'électricité sert au chauffage des bâtiments. Il y a également une géothermie profonde, dont on a l'expérience en Ile-de-France : l'eau du Dogger, à 1 700 mètres de profondeur, est à 80°C et permet de produire de la chaleur, mais pas de l'électricité. Pour cela, il faut atteindre des aquifères plus profonds, ou les toits de socle, plus fracturés. La température étant comprise entre 120 et 160°C, l'on combine production d'électricité et exploitation de la chaleur résiduelle à très faible coût pour que l'entreprise soit rentable. Dans les zones volcaniques, la source de chaleur est plus proche de la surface : on atteint rapidement 200 °C. Enfin, il existe une technologie EGS (Enhanced Geothermal System) à très grande profondeur, où l'eau est à 200 °C mais rare : l'on doit donc en augmenter la quantité pour obtenir une puissance suffisante.
Les atouts de la géothermie en tant que source d'électricité sont nombreux : c'est une énergie renouvelable, et de base puisque le taux de disponibilité est de 85 %, avec 8 000 heures d'exploitation par an. Par conséquent, les besoins de stockage sont faibles. Le potentiel de production est important, l'occupation foncière faible, l'impact environnemental limité. C'est une énergie locale, ce qui peut être un inconvénient, mais aussi une source de compétitivité territoriale, puisque les entreprises qui s'implantent autour des centrales bénéficient d'électricité à bas prix, comme on le voit très bien en Islande. Les coûts de fonctionnement sont réduits. En revanche, l'investissement initial est lourd, et les risques géologiques nécessitent une couverture du risque. Enfin les délais de réalisation des projets sont longs.
Si l'on observe les capacités installées jusqu'ici dans le monde, on constate que la France est distancée, mais c'est parce que jusqu'ici on a surtout construit des centrales sur des terrains volcaniques : elles sont concentrées sur la fameuse ceinture de feu du Pacifique, en Amérique - des Rocheuses jusqu'à la Cordillère des Andes - et en Asie du sud-est. En Europe, c'est en Islande et en Italie que les capacités sont les plus importantes.
Toutes ces capacités installées représentent 10 GW ; les coûts évoluent selon les technologies, de 50 à plus de 300 dollars le MWh. Mais il n'y a pas de stockage à prévoir. L'investissement est de 3 millions d'euros par mégawatt, soit 3 euros le watt. Les unités sont plutôt de dix MW ou de plusieurs dizaines de MW.
Incitatif, le tarif français a été réévalué à 130 euros le MWh dans les DOM, 200 en métropole. Les installations avaient été conçues pour une durée de vie de 15 à 20 ans, elles sont en marche depuis plus de 30 ans. Leur coût de fonctionnement étant limité, elles fournissent une énergie bon marché. Le développement s'accélère, mais moins que celui d'autres énergies renouvelables, en raison des exigences capitalistiques. Il convient de multiplier les démonstrateurs et les retours d'expérience à l'échelle mondiale. La géothermie haute température est la plus courante, mais multiplier les expériences dans les autres catégories, dans des environnements géologiques variés, nous permettra d'obtenir un large portefeuille de stratégies possibles, et réduira la part de risque. La dynamique est enclenchée et dans le cadre des investissements d'avenir, les démonstrateurs y compris à une taille industrielle, ont fait l'objet d'une manifestation d'intérêt, car il reste à lever des verrous scientifiques - forage, accès à la ressource, augmentation du rendement des centrales, gestion durable de la ressource, baisse des coûts de rendement, etc.
Il n'y a pas de limite au potentiel naturel : plus on fore profond, plus on trouve d'énergie. Mais l'accès à la ressource doit faire l'objet d'une optimisation technico-économique. La France a connu une expérience de géothermie haute température : la centrale de Bouillante, d'une capacité de 15 MW, satisfait 6% de la demande totale de la Guadeloupe. La géothermie vient là en substitution de l'énergie fossile - les groupes diesel - le coût de revient est élevé, entre 270 et 200 euros le MWh et il y a l'impact sur l'environnement et le réchauffement climatique. Le potentiel de géothermie haute température est limité à la Guadeloupe, la Martinique, La Réunion, ainsi qu'à la Dominique voisine, de laquelle nous pourrions importer via des câbles sous-marins. Mais la filière française peut proposer des applications dans toutes les régions volcaniques.
M. Guillaume Duval, président d'ES-Géothermie. - ES-Géothermie est une filiale d'Electricité de Strasbourg, elle-même filiale d'EDF. Il existe une anomalie thermique en Alsace : le gradient naturel est généralement de 3 degrés pour 100 mètres, mais dans le bassin d'effondrement autour de la plaine du Rhin, on s'est aperçu, à l'occasion de forages pétroliers au milieu du siècle dernier, que le gradient atteignait 10 degrés à l'hectomètre, sur les premiers hectomètres. Sur le site de Soultz-sous-Forêts, à quelques kilomètres de la frontière, au nord de l'Allemagne, cinq puits ont été forés ; il s'agissait à l'origine d'un projet de démonstrateur, non de centrale industrielle. C'était un laboratoire, un site de tests à l'échelle européenne. Ensuite, à partir de 2001, de nombreux industriels, notamment EDF et Electricité de Strasbourg, se sont engagés afin de voir quel est le potentiel de cette énergie. A 200 degrés, il est possible de produire de l'électricité, via la circulation de l'eau dans les failles, qui constituent des circuits de convexion. Cette géothermie est non conventionnelle, en ce sens que l'on exploite les failles existantes, nettoyées pour rendre la circulation plus efficace. En 2008 a ainsi été ouverte la première centrale géothermique, avec un cycle de Rankine, qui produit aujourd'hui 1,5 MW. Le tarif de rachat de 20 centimes par kW existe depuis le 23 juillet 2010. La centrale est raccordée au réseau depuis le 1er janvier 2011 mais à l'heure actuelle, la chaleur résiduelle n'est pas utilisée.
Lieu de recherche, de test des différentes technologies, Soultz offre une vitrine internationale. Nombre d'articles ont été publiés dans les revues scientifiques. On expérimente par exemple l'EGS, système géothermal amélioré : dans les failles, les sédiments se collent aux parois et les obstruent, mais une stimulation hydraulique ou chimique améliore la circulation de l'eau chaude. Il n'y a plus besoin de forer à 5 000 mètres, les économies sont substantielles. Les moyens de pompage ont été améliorés : ils sont aujourd'hui les mêmes que ceux utilisés par l'industrie pétrolière. On sait aussi désormais que le potentiel par centrale, en métropole, est limité : dans les dix à vingt ans, ce sont des puissances de 3 MW électriques nets qui seraient raccordées au réseau. L'avantage est que l'on a un productible tout au long de l'année, sans besoin de stockage. Des projets sont envisagés pour fiabiliser les techniques de forage et exploiter industriellement la chaleur résiduelle.
Quel est le potentiel de la géothermie ? En métropole, l'Alsace est la zone principale et EDF s'y est engagée avec Electricité de Strasbourg afin d'exploiter la chaleur géothermique. Le potentiel de production est limité, un puits de forage et un puits d'injection (les deux sont nécessaires pour chaque centrale) produisent 30 MW thermiques, soit 3 MW électriques nets. D'ici 2025 en Alsace, on pourrait construire une vingtaine de centrales, un peu plus à horizon 2050. Les autres régions françaises envisageables sont la Limagne, dans le Massif central, ainsi que le Bassin rhodanien. Dans les DOM, on a mentionné Bouillante. La Dominique possède un sous-sol volcanique avec une eau beaucoup plus chaude à une profondeur bien moindre.
En métropole, la géothermie est surtout adaptée pour la production de chaleur, comme cela se fait en Ile-de-France depuis longtemps. Dans certaines limites, la production d'électricité est possible, de même que certains procédés industriels, tels que le séchage des algues. Mais le potentiel réside surtout dans les réseaux de chaleur, la valorisation de la chaleur résiduelle, la cogénération. Le savoir-faire développé par les groupes français est exportable, là où les conditions géothermiques s'y prêtent : Hongrie, Turquie, Kenya, Indonésie. Les autorités locales sont demandeuses.
M. Bruno Sido, rapporteur. - M. Gilles Koléda, vous avez conduit en 2009 avec M. Michel Didier, président de COE-Rexecode, une évaluation socio-économique du programme de production d'électricité éolienne et photovoltaïque. A quelles conditions le développement de ces énergies renouvelables est-il soutenable, selon vous ? L'environnement a bien sûr évolué depuis 2009 : je pense en particulier aux évolutions heurtées du régime réglementaire de l'électricité photovoltaïque...
M. Gilles Koléda, COE-Rexécode. - L'étude date de 2009 : elle me paraît déjà obsolète ! Il faut tenir compte des tarifs d'achat d'alors et des technologies existantes. En 2010, la consommation d'électricité en France a atteint 507 térawatts (TW) contre 495 en 2008, et 535 estimés en 2020. Le mix actuel est composé à 75 % par l'énergie nucléaire, un peu plus de 10 % par les barrages hydroélectriques, un peu plus de 10 % par les centrales thermiques, charbon, fuel ou gaz. L'éolien se situe à 2 % ; le photovoltaïque, lui, demeure encore dans l'épaisseur du trait.
Les centrales thermiques ont des coûts modérés et sont utilisées avec souplesse en fonction de la demande ; mais elles émettent du CO2. Les centrales nucléaires, si elles fournissent une électricité bon marché, doivent fonctionner en continu. Quant à l'éolien et au photovoltaïque, qui n'émettent pas de CO2, ils comportent des aléas de production et ont encore un prix de revient élevé.
Le comité opérationnel n°10 du Grenelle a fixé un objectif de 59 TWh à l'éolien terrestre en 2020 et de 5,3 TWh au photovoltaïque. Mais compte tenu de la consommation prévue à cette date, plus importante que ce qui avait été antérieurement envisagé, il faudra mordre sur le mix actuel.
Pour atteindre les objectifs fixés par le Grenelle, nous estimions qu'il faudrait 36 milliards d'euros d'investissement dans l'éolien maritime et terrestre, 19 milliards dans le photovoltaïque. Mais les hypothèses sur la répartition se sont révélées fausses, puisque l'éolien maritime a pris beaucoup de retard. Pour le reste, nous recommandions de développer en premier les fermes photovoltaïques, afin d'aboutir à un coût final plus faible pour la société. Pour analyser le rapport coût-bénéfice, nous avions retenu un scénario de référence sur l'évolution du prix de l'électricité. Nous prévoyions un prix élevé du baril de pétrole, 150 euros en 2020...
M. Bruno Sido, rapporteur. - On nous a dit ce matin que le prix ne dépasserait pas 150 euros.
M. Gilles Koléda. - ... soit un prix de l'électricité qui tendrait vers 85 euros le MWh. Nous avions un scénario bas, avec un prix du MWh à 55 euros ; et un scénario catastrophe, avec un prix de 125 euros, pour un baril à 250 euros. Le coût de production fait obstacle au développement des énergies. Pour le photovoltaïque, nous avions prévu une décroissance des coûts de production, mais dans tous les cas ils demeuraient supérieurs aux prix de marché. Le développement repose donc sur l'obligation d'achat, à un prix qui compense les coûts de développement et de production. Le surcoût net lié au développement de l'éolien ou du photovoltaïque correspond à la différence entre coût moyen de développement et prix de gros. En fonction de l'évolution du prix de l'électricité, qui lui-même dépend du prix du pétrole, le surcoût net augmente ou s'affaiblit.
Le bénéfice des énergies renouvelables, ne l'oublions pas, n'est pas seulement économique mais aussi social : les économies d'émission de CO2 représenteront tout de même 5 millions de tonnes en 2020, soit 15% des émissions actuelles du secteur de l'électricité. Nous pondérions ces économies d'émission par la valeur tutélaire du carbone - la tonne de CO2 coûte aujourd'hui 30 euros, mais montera à 100 euros dans l'avenir.
Pour un baril de pétrole à 150 euros en 2020, l'éolien terrestre était rentable et dégageait un avantage environnemental de 2,8 milliards d'euros sur la période 2007-2040. L'éolien maritime était rentable avec un baril au-dessus de 200 euros. Pour le photovoltaïque, quelle que soit l'hypothèse, et même avec un baril à 250 euros, il restait un surcoût important, non compensé par l'économie d'émission de CO2.
Le développement des capacités de production impose donc un surcoût pour les consommateurs, qui se traduit par une hausse de la CSPE. Plus le prix du pétrole est élevé, moins le surcoût des énergies l'est. On peut donc concevoir l'essor des énergies renouvelables comme une prime d'assurance contre un choc pétrolier. L'impact sur l'emploi dépendra de la capacité à créer des filières industrielles sur le sol national, pour capter une partie du surcoût.
Voilà ce que nous disions en 2009. Depuis lors, le développement s'est poursuivi à un rythme proche de celui fixé par le Grenelle, en ce qui concerne l'éolien, malgré les péripéties réglementaires. En revanche, le photovoltaïque prend un essor tel que l'on se trouve très en avance sur l'objectif. La ruée sur les installations fin 2009 et début 2010 a coûté cher en raison de l'obligation d'achat au prix de gros : 100 millions d'euros en 2007 mais 1,2 milliard à présent ! La CSPE, qui a augmenté de 3 euros en janvier 2010, ne compense pas le poids des achats par EDF. La CSPE devra être à nouveau augmentée. Les obligations d'achat ont permis le développement de ces nouveaux créneaux, mais à présent il convient d'adapter rapidement les tarifs d'achat, pour éviter d'autres dérapages dans l'avenir. Le surcoût est finalement absorbé par une ponction sur le pouvoir d'achat des ménages : n'est-il pas dangereux de l'accroître, dans la conjoncture actuelle ?
M. Bruno Sido, rapporteur. - Je vous remercie. Je voudrais interroger M. Guillaume Duval sur la fracturation des roches, dans la géothermie profonde. Quelle différence avec la fracturation dans l'exploitation du gaz et de l'huile de schiste ?
M. Guillaume Duval. - L'expérience de Soultz nous a appris beaucoup. Nous avions envisagé d'employer la technique du hot dry rock, qui revient à créer un réservoir artificiel, réchauffé par la température de la roche. Mais il n'y en a pas besoin, en raison de la présence de failles naturelles, qu'il suffit de nettoyer par injection d'eau : la pression est bien moindre que pour le schiste, cependant, et n'entraîne pas de problèmes.
Nous avons enregistré un incident sismique en 2003, de 2,9 sur l'échelle de Richter. Nous en avons tiré les enseignements, éliminant toute projection à plus de 90 bars contre 150 bars auparavant. Nous n'avons plus connu d'événement sismique supérieur à 1 sur l'échelle de Richter, niveau qui n'est pas perceptible pour la population locale, très sensibilisée, vous l'imaginez, sur ces questions.
M. Bruno Sido, rapporteur. - Aviez-vous provoqué celui-là ?
M. Guillaume Duval. - Le site était à l'époque géré par un GIE européen, avec une gérance franco-allemande. Nous avons repris la gérance entière en 2003, puisque nous sommes situés sur le territoire français ; et nous avons à partir de ce moment pris beaucoup mieux en compte l'environnement.
M. Bruno Sido, rapporteur. - Les éoliennes flottantes sont-elles une vue de l'esprit ?
M. Robert Gleitz. - Elles ne sont pas encore d'actualité et nous n'en proposons pas pour le prochain appel d'offres : la technique n'est pas au point. Aujourd'hui on installe des éoliennes sur des fonds marins de soixante mètres de profondeur. Les fondations flottantes auraient un sens à plus de cent mètres de fond. Mais elles sont bien sûr un axe de recherche et de développement. La fenêtre temporelle est plutôt d'une dizaine d'années. Il convient d'optimiser les coûts en équilibrant les éoliennes.
M. Bruno Sido, rapporteur. - L'Office s'est intéressé également aux stratégies quant aux matériaux utilisés : le néodyme existe-t-il en quantités suffisantes pour satisfaire des besoins en croissance rapide ? Y a-t-il des possibilités de substitution ?
M. Daniel Lincot. - Il y a aussi le tellure ou l'indium gallium... D'autres éléments rares peuvent avoir un rôle critique dans le photovoltaïque, comme le germanium ou l'argent, qu'il est possible d'utiliser en couche mince. En fait, la démarche en matière de métaux rares consiste soit en une substitution, soit en une réduction de la quantité utilisée. On produit dans le monde 300 tonnes d'indium par an. Ce métal est utilisé dans les écrans plats, le photovoltaïque, etc. Aujourd'hui il faut environ 30 tonnes d'indium pour un GW de modules CIS (disélenium de cuivre indium). Or l'indium subit une pression de la demande. Quand on mettra en place des installations de plusieurs dizaines de TWh, que se passera-t-il ?
Une incertitude plane, d'autant que le Bureau géologique américain a cessé de quantifier les ressources d'indium disponibles, la qualité variant trop d'un producteur à l'autre. Il est donc judicieux de chercher à réduire au moins la quantité utilisée, ce qui est possible grâce à l'évolution des technologies. Le programme ultra-six vise précisément à réduire de dix à vingt fois la quantité actuelle, 3 grammes au mètre carré, par le recours au procédé dit de couche mince. On peut aussi utiliser des cellules qui fonctionnent sous concentration : au lieu d'utiliser une pleine plaque, on porte la lumière sur une petite cellule et l'on réalise des économies de cent à mille. Quant à la substitution, elle ouvre des marges d'innovation. Les modules solaires CIS emploient à présent un mélange de cuivre, soufre, zinc et étain, les deux derniers venant en substitution de l'indium. Or cette formule est dans le top 5 ou 10 ! Ainsi se prépare la nouvelle génération des composants, et cela est vrai pour le tellure ou l'argent comme pour l'indium.
M. Jean-Pierre Joly. - Pour l'argent, l'évolution est à plus long terme. La logique de substitution est plus compliquée, mais nous sommes confiants. Pour des raisons économiques, nous cherchons à utiliser moins de matières nobles ou nécessitant une purification coûteuse. C'est une logique vertueuse. Souvent aussi, on a le choix entre plusieurs matériaux, qui tous donnent des résultats corrects.
M. Bruno Sido, rapporteur. - Un décret doit définir en 2012 les modalités du marché de capacité, qui imposera des obligations de production ou d'effacement des producteurs à échéance 2015-2016, afin de franchir les pointes de consommation. Ce marché contribuera-t-il à la valorisation des énergies renouvelables ?
M. Nicolas Barber, chef du bureau des énergies renouvelables. - Le marché de capacité se conçoit plutôt comme un complément à « la loi Nome » et à l'accès au prix de base nucléaire. Le groupe de travail sur la gestion de la pointe électrique avait conclu à la nécessité de répartir l'effort d'investissement des moyens de production de pointe et d'investir dans les moyens de production mais aussi d'effacement. Dans les investissements de production et d'effacement, comment intégrer les énergies renouvelables ? Il faut des puissances garanties, négociées avec RTE, responsable de la sécurité d'approvisionnement sur le territoire, afin que chaque fournisseur sache de quelle garantie il dispose et quelles capacités de pointe il doit acquérir sur le marché de capacité.
Mais le marché de capacité ne sera pas un élément de valorisation de l'éolien ou du photovoltaïque, il apportera plutôt un complément pour les moyens de production des énergies renouvelables de base. Le mécanisme n'a rien à voir avec les mesures de soutien telles que les obligations d'achat ou les appels d'offre de la CRE.
M. Robert Gleitz. - Un élément est de nature à favoriser le développement des énergies renouvelables, il s'agit des Step, dont nous avons parlé ce matin et qui, grâce au stockage, améliorent le revenu donc le rendement des installations.
M. Bruno Sido, rapporteur. - Pourquoi estimez-vous nécessaires des parcs de petite taille ? Le Grenelle II recommandait qu'ils soient supérieurs à 50 unités.
M. Robert Gleitz. - Les 3 premiers GW mis en concurrence correspondent à des sites de 400 à 500 MW. Il y aura quelques centaines de machines. Je pense utile d'avoir des pré-séries, des petites fermes de 20 ou 30 MW, dans le cadre d'un programme rapide, destiné à s'intégrer dans le tissu industriel français, favoriser ce développement technologique en France, car les éoliennes marines ne sont pas totalement au point. Quelques turbines tournent mais nous sommes loin de l'optimum et, si nous voulons être compétitifs, il serait temps de passer à la nouvelle génération de machines, comme Alstom le propose.
M. Stéphan Silvestre. - Sur le néodyme, il n'y a pas eu de réponse : l'approvisionnement connaît-il des tensions ?
M. Robert Gleitz. - Les éoliennes ne consomment du néodyme que si elles sont dotées d'alternateur à aimant permanent. Ce dernier a l'avantage de simplifier la machine, de réduire le nombre de ses composants, d'améliorer l'efficacité, mais il n'est pas indispensable...
M. Philippe Saint Raymond, ancien DGA de l'ASN, vice-président du « groupe d'experts réacteurs ». - Je ne comprends pas la logique du propos de M. Duval : si Soultz fonctionne grâce à une anomalie géologique, comment pourrait-on généraliser la production géothermique ?
M. Guillaume Duval. - La généralisation est limitée sur le territoire français. La production d'électricité géothermique exige une eau à 150 ou 160 degrés, à une profondeur acceptable, entre 2 000 et 4 000 mètres. Cette configuration - un réseau fracturé, dans un bassin d'effondrement - se retrouve en trois endroits seulement dans notre pays. Mais cette anomalie géologique ne se rencontre pas uniquement en France !
M. Philippe Saint Raymond. - Soultz est une anomalie même à l'échelle de l'Alsace !
M. Guillaume Duval. - Des projets sont en cours. D'ici dix ans, il y aura 10 à 20 centrales, ce qui reste limité, mais tout de même...
M. Romain Vernier. - Dans le fossé rhénan, en Alsace et en Allemagne, il y a des circulations profondes et des remontées d'eaux chaudes. Cette configuration existe ailleurs dans le monde.
M. Bruno Sido, rapporteur. - Mais tant qu'elle ne sert pas à la production d'électricité, elle est hors de notre sujet.
M. Jean Dhers, Académie des technologies. - Sur le néodyme, je voudrais ajouter que le cobalt fonctionne bien également.
Un peu au sud de Soultz, à Bâle, il y a eu une expérience qui s'est mal passée et qui a causé un tremblement de terre de 3,5 sur l'échelle de Richter. On ne peut faire n'importe quoi en Alsace !
M. Guillaume Duval. - Après le séisme de juin 2003 en Alsace, nous avons demandé à certaines personnes de partir, et ce sont elles qui sont allées à Bâle causer ce tremblement de terre. Il y avait un désaccord entre Français, Suisses et Allemands sur les méthodes...
M. Daniel Lincot. - Dans le cas du photovoltaïque, le développement excède de loin les objectifs fixés. On a souvent parlé de bulle. Et si c'était un phénomène de fond ? Peut-être faudrait-il prendre en compte cette hypothèse dans les analyses...
M. Bruno Sido, rapporteur. - Je vois là un mouvement de fond !
M. Daniel Lincot. - Les Allemands disposent de capacités de 7 GW par an et investissent pour exporter leur technologie. Il serait temps de recalibrer nos politiques à l'export. Evitons aussi les raisonnements trop compartimentés sur les sources d'énergie. Enfin, je souligne que les nouvelles énergies électriques font concurrence aux anciennes dans divers créneaux, notamment celui des transports : c'est le cas avec la voiture électrique.
M. Bruno Sido , rapporteur. - Merci à tous.