- Mercredi 13 avril 2011
- Audition de M. Frédéric Dupuch, directeur de l'Institut national de police scientifique, et de M. Fabrice Besacier, chef de la section « Stupéfiants » du laboratoire de police scientifique de Lyon
- Audition de Mme Béatrice Tajan, secrétaire générale adjointe, et Mme Véronique Roblin, conseillère nationale du Syndicat national des infirmiers éducateurs de santé-UNSA, ainsi que Mme Béatrice Gaultier, secrétaire générale, et M. Christian Allemand, ancien secrétaire général du Syndicat national des infirmier(e)s conseiller(e)s de santé-FSU
Mercredi 13 avril 2011
- Présidence de M. François Pillet, sénateur, coprésident et de M. Serge Blisko, député, coprésident -Audition de M. Frédéric Dupuch, directeur de l'Institut national de police scientifique, et de M. Fabrice Besacier, chef de la section « Stupéfiants » du laboratoire de police scientifique de Lyon
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale. - Messieurs, chacun connaît la réputation nationale et internationale de l'Institut national de police scientifique, qui réalise les analyses scientifiques que lui demandent les autorités judiciaires et les services de police et de gendarmerie. Cet institut est à la croisée des chemins pour détecter la présence de stupéfiants et assurer une mission de veille vis-à-vis des molécules nouvelles. Pouvez-vous nous tracer les grandes lignes de votre action et nous indiquer les principaux enseignements que vous tirez de votre travail ?
M. Frédéric Dupuch, directeur de l'Institut national de police scientifique. - Mesdames et messieurs les parlementaires, M. Fabrice Besacier et moi-même sommes heureux de pouvoir vous parler aujourd'hui du travail qu'accomplissent les cinq laboratoires de l'Institut national de police scientifique qui luttent contre les stupéfiants, en particulier celui de Lyon qui est à la pointe de ce combat depuis plus de vingt-cinq ans.
L'institut est un établissement public de l'État, qui regroupe l'ensemble des laboratoires de culture « policière » : les deux de Paris, dont l'un, le laboratoire de toxicologie, s'occupe de stupéfiants ; celui de Toulouse ; celui de Lille ; celui de Marseille et celui de Lyon, le plus investi et le plus réputé en matière de stupéfiants.
Nous intervenons en tant qu'experts judiciaires, l'institut, en tant que personne morale, étant inscrit sur la liste des experts agréés par la Cour de cassation. Outre ce « label » judiciaire, l'institut bénéficie d'un label qualitatif, nombre de ses activités, dont celles de M. Fabrice Besacier, étant accréditées par le Comité français d'accréditation. L'année dernière, tous laboratoires confondus, les sept cents membres du personnel ont traité à peu près 188 500 dossiers. Le rythme de travail est donc sans commune mesure avec celui des laboratoires de police scientifique qui apparaissent dans certaines séries télévisées, où dix individus travaillent sur le même dossier pendant quinze jours !
L'essentiel de notre activité, soit 90 %, passe aujourd'hui par la biologie génétique. Mais certaines branches très régaliennes nécessitent une observation, un suivi et un investissement complets - je pense en particulier à la balistique et aux stupéfiants, sources de nuisances pour la santé, mais aussi de déstabilisation et donc d'insécurité.
Cinq laboratoires sont concernés par les stupéfiants.
Ce sont trente-quatre personnes qui participent à la lutte contre le trafic de stupéfiants, seize d'entre elles étant habilitées à intervenir en justice au nom de l'institut. Et, à côté de cette lutte contre les trafics, qui passe par l'analyse de stupéfiants et l'aide aux services d'investigation, il y a la lutte contre l'usage de stupéfiants, qui concerne les consommateurs : c'est la partie « toxicologie » de notre activité.
Initialement, il y a cent ans, les analyses toxicologiques étaient réalisées post mortem : on procédait à une analyse des viscères et du sang lors des autopsies. Elles se sont transformées progressivement avec les exigences de la sécurité routière. Aujourd'hui, les sections « toxicologie » de nos laboratoires analysent majoritairement le sang prélevé sur des automobilistes pour la recherche d'alcool, et maintenant, surtout, de stupéfiants.
Contre le trafic de stupéfiants, l'an dernier, mille sept cents dossiers ont été traités, pour cinq mille scellés, ce qui représente une quantité énorme. Un scellé peut contenir un sachet de 50 grammes de substance illicite, mais c'est rare. Par exemple, l'an dernier, le laboratoire de Paris a travaillé sur une affaire concernant 70 kilogrammes de cocaïne, en pains de 500 grammes, et analysé cent quarante scellés ; ses travaux ont porté aussi bien sur les stupéfiants que sur les empreintes papillaires ou les traces génétiques.
Que font les laboratoires en matière de drogue ? Ils répondent aux premières questions qualitatives et quantitatives, pour savoir quel est le produit concerné. Les tests de réactifs réalisés dans les services opérationnels n'ont pas une valeur totalement probante. Il faut donc confirmer la nature exacte du produit qu'ont saisi les forces de l'ordre, puis déterminer la teneur du principe actif présent dans ce produit. Il est très important pour les enquêteurs ou les magistrats de savoir si la personne qu'ils ont en face d'eux possédait de la cocaïne avec un dosage de rue à 34 %, ou un dosage plus proche de celui que l'on trouve dans les aéroports, à 65 % : cela marque le « niveau » du trafic. Il faut enfin savoir si la prise que nous avons entre les mains s'intègre dans une enquête plus large, en faisant des rapprochements entre différentes saisies de drogues. Pour y parvenir, plusieurs outils ont été développés : un outil qui est présent dans les cinq laboratoires, et un outil qui est spécialement développé à Lyon.
L'outil présent dans les cinq laboratoires est un logiciel dénommé STUPS (Système de traitement uniformisé des produits stupéfiants), dont la version informatique a été renouvelée cette année. Il est alimenté par les cinq laboratoires de l'Institut national de police scientifique, ainsi que par l'Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale. Il est consultable par l'Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants et par la brigade des stupéfiants de Paris. Il permet de décrire tout ce qui est d'ordre procédurier : référence du service enquêteur et du magistrat chargé de l'affaire, éléments de procédure, lieu où la marchandise a été saisie, etc. Il donne des compositions chimiques de base : de quel produit s'agit-il ? Quelle est sa teneur en principe actif ? Quels sont les produits de coupage ? Il donne aussi des descriptifs visuels, en particulier pour les pains de cannabis ou les cachets de drogue de synthèse. Ce dernier élément permet d'établir des liens. En effet, le toxicomane est un « client » fidèle : quand il a trouvé un produit qui lui plaît, il a tendance à rechercher le même, et sous la même présentation.
Ce logiciel est alimenté à partir des produits que nous recevons nous-mêmes pour des analyses complètes ou, lorsqu'il y a des prises importantes, à partir des échantillons supplémentaires qui sont envoyés à nos laboratoires, même dans les cas où les analyses initiales ne nous ont pas été confiées. Nos laboratoires publics ne sont pas implantés sur tout le territoire. Les officiers de police judiciaire sont tentés de faire appel à nous, car nos prestations sont gratuites, contrairement aux laboratoires du secteur privé. Mais il se peut que des enquêteurs, dans des endroits où nous n'avons pas d'implantation proche, par exemple le grand Ouest ou le grand Est, s'adressent à un laboratoire privé qui leur fournira une réponse plus rapide. Ensuite, ils nous envoient leurs échantillons pour alimenter le logiciel STUPS.
Un travail encore plus fin est accompli par le laboratoire de police scientifique de Lyon qui est, depuis très longtemps, la « flèche » en matière d'analyse de stupéfiants. Le premier texte faisant référence à une spécialisation du laboratoire de police scientifique de Lyon remonte à 1986. Il portait sur la création d'un fichier national des drogues saisies. Ce fut la première version du fichier STUPS ; nous en sommes maintenant à la seconde version. Le laboratoire de Lyon est en outre réputé sur le plan international pour son savoir-faire dans le domaine du « profilage » des drogues, à partir d'une méthode développée par M. Fabrice Besacier que je suis très fier de compter parmi mes collaborateurs.
Cette méthode est partie du triste point de vue qu'une drogue n'est jamais un produit sain ou naturel. On peut peut-être encore trouver dans les montagnes des Andes ou en Afrique des herbes pures à mâcher, mais dès lors que la drogue arrive sous nos latitudes, elle a été transformée, notamment par l'adjonction de diluants, pour aboutir au produit à commercialiser. Or ces multiples composantes laissent des traces, mêmes infimes, et la juxtaposition de ces traces infimes permet de dresser, à partir d'un calcul mathématique, le « code génétique » initial d'un lot de drogue. Ce code ne changera pas même si la drogue, par la suite, est à nouveau coupée.
Une telle méthode est très intéressante. En effet, pour des services d'enquête dont la finalité est de démanteler des structures, elle permet de faire des liens entre une prise de drogue à un bout de la France, et la même drogue retrouvée à l'autre bout. On peut ainsi prouver que ces prises proviennent du même lot. Cette méthode a été développée pour la cocaïne. Elle est maintenant développée pour l'héroïne, et l'on projette de l'étendre aux drogues de synthèse. On fait même des recherches sur des molécules de cannabis. Cette méthode est surtout utile aux enquêteurs ayant un large champ d'investigation.
Ces travaux sont réalisés dans la section dirigée par M. Fabrice Besacier. Lorsque nous recevons des saisies de cocaïne ou d'héroïne, que nous les analysons et que nous trouvons des liens entre elles, il arrive régulièrement que même les enquêteurs n'aient pas soupçonné l'existence de tels liens. Notre travail consiste à les retrouver et, lorsque les procédures ne sont pas closes, à fournir aux enquêteurs des éléments leur permettant d'ouvrir le champ de leur investigation et, ainsi, d'approfondir la connaissance du réseau à démanteler.
Pour ce travail, M. Fabrice Besacier a conçu le logiciel OTARIES (Outil de traitement automatisé pour le rapprochement inter-échantillons de stupéfiants). Ce logiciel dispose d'une finalité et d'une finesse dans les approches chimiques dont ne disposait pas le logiciel STUPS. Il ne peut pas intéresser tous les services d'enquête. C'est pour cela que l'on n'envisage pas d'étendre OTARIES à tous les laboratoires, mais seulement au laboratoire de Paris qui pourra ainsi travailler en réseau avec celui de Lyon. Reste que c'est un outil primordial pour la traçabilité de la drogue, la connaissance des réseaux et l'établissement de liens entre les lots saisis.
OTARIES a permis jusqu'à présent d'identifier trois cents lots « initiaux » de cocaïne et cent lots d'héroïne, qui avaient fait l'objet de plusieurs démultiplications dans le pays. C'est à cela que correspond le graphique du dossier que je vous ai remis et qui a pu vous apparaître quelque peu abscons. Il retrace les liens établis entre des prises de drogue en région Rhône-Alpes, lesquels ont permis de découvrir que le travail réalisé d'un côté par des policiers et de l'autre par des gendarmes concernait les mêmes lots de cocaïne, ce que les enquêteurs eux-mêmes ne soupçonnaient pas.
Le deuxième angle sous lequel travaillent les laboratoires de l'institut est celui de la toxicologie appliquée à la sécurité routière et à la recherche de stupéfiants. En l'occurrence, nous accompagnons la montée en puissance de la politique de sécurité routière. Nous sommes passés de la recherche d'alcool, où il y a néanmoins encore de la demande, à la recherche de stupéfiants. L'an dernier, 5 500 dossiers de nature criminalistique ont été traités par les sections de toxicologie ; plus de 3 000 concernaient des détections de stupéfiants. La recherche de stupéfiants chez les automobilistes est donc devenue l'activité majoritaire, au sein de l'activité toxicologique, à côté de la recherche d'alcool et des analyses post mortem.
Dans 68 % des cas dont nous avons été saisis, nous avons effectivement trouvé de la drogue, lorsqu'il y avait suspicion à partir des tests initiaux ou des comportements. Dans 90 % des cas, il s'agissait de cannabis.
Lorsque nous sommes saisis, nous avons une vision claire de ce qui se passe. Mais nous ne faisons pas les prises de sang. Nos laboratoires s'inscrivent non pas dans une démarche médicale, mais dans une démarche criminalistique. En cas de suspicion de consommation de stupéfiants, l'automobiliste est conduit dans un hôpital qui procède à la prise de sang et effectue l'analyse pour établir le dosage. Certes, l'hôpital fait payer ses prestations, alors que nos prestations sur réquisition sont gratuites. Mais il est plus simple de s'adresser à l'hôpital. C'est la raison pour laquelle nous n'avons pas une vision exhaustive du phénomène. Quoi qu'il en soit, nous constatons, lorsque nous sommes saisis, que le cannabis est la drogue la plus souvent consommée par les automobilistes qui font l'objet de contrôles et de détections positives.
Telle est, globalement brossée, l'activité des laboratoires de l'institut s'agissant de la drogue.
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale. - Les laboratoires de l'institut ont donc un rôle d'observateur, un peu différent de celui des personnes que nous avons entendues jusqu'à présent, qu'il s'agisse de représentants de la police, de la justice, de médecins, ou d'associations. Néanmoins, nous leur avons tous posé la même question : avez-vous remarqué, depuis les débuts de votre activité, une évolution dans l'offre de produits stupéfiants en France ?
On nous a dit que le taux de tétrahydrocannabinol (THC) du cannabis n'était plus du tout le même que dans le passé et que, sous ce nom, se cachaient des substances diverses, dont l'action est d'ailleurs de plus en plus nocive. Pouvez-vous nous donner quelques précisions à ce sujet ?
M. Frédéric Dupuch. - Il est très difficile pour nous d'apprécier l'évolution quantitative des produits. Nous agissons sur saisine et nous ne pouvons donc nous prononcer qu'à partir de ce qui nous est envoyé. Prétendre à une connaissance exhaustive de ce qui se passe signifierait que nous recevions tout, ce qui n'est pas le cas.
Si l'on examine aujourd'hui les résultats de l'année 2010 à partir du logiciel STUPS, on trouve dans les produits saisis 40 % de cocaïne, 33 % de cannabis et 16 % d'héroïne. Mais ces résultats dépendent des services enquêteurs qui ont saisi les prises et les ont envoyées aux laboratoires. Je ne pense pas que l'on puisse en déduire une approche quantitative de la majorité des produits qui circulent.
En matière de sécurité routière, nous trouvons en majorité du cannabis. Et lorsque nous analysons les prises, nous nous apercevons que le taux de THC est aujourd'hui de 11 %, ce qui traduit une croissance lente de la teneur en principe actif.
Selon les études documentaires de M. Fabrice Besacier, à la fin des années 1970 et au début des années 1980, le taux de THC du cannabis était de 5 %. Ce taux a relativement peu bougé jusqu'à la fin des années 1990. Il a maintenant doublé. À quoi cela est-il dû ? Au recours à des organismes génétiquement modifiés, à des systèmes de pousses bien alimentées et à un éclairage plus fort. Vous avez entendu parler, il y a un mois, d'une affaire en Seine-Saint-Denis : tout un équipement avait été mis au point, notamment avec de la lumière forcée, pour faire pousser du cannabis. M. Fabrice Besacier, qui a été saisi de prises de différentes feuilles, a vu que le THC de certains plants atteignait 14 %.
La teneur en principe actif des autres produits que nous appréhendons est relativement stable. La pureté moyenne de la cocaïne aux frontières, que nous étudions à partir de Roissy, est de 64 %. Elle est de 34 % pour les prises réalisées sur la voie publique. Le taux de pureté de l'héroïne ne change pas : il est de 13 %. Le cannabis, en revanche, est de plus en plus pur.
Venons-en aux médicaments. C'est un domaine dans lequel nous travaillons main dans la main avec l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies, précisément pour jouer un rôle d'alerte. Vous savez que ne peut être poursuivi pour trafic de drogue que quelqu'un qui vend de la drogue, concept qui obéit à une définition juridique. Les drogues médicamenteuses sont listées dans un texte réglementaire, mis à jour par le ministère de la santé. Si un produit s'en rapproche, mais qu'il ne correspond pas à la définition, il n'est pas considéré comme une drogue illicite et ne peut donc, en tant que tel, donner lieu à des poursuites, alors même qu'il est toujours possible d'incriminer les trafiquants pour des infractions de nature fiscale ou douanière.
Lorsque nous recevons des produits dont les analyses chimiques permettent de dire qu'ils sont proches de tel médicament considéré comme une drogue, mais qui n'en sont pas tout à fait une parce qu'une branche de la molécule a été modifiée lors de la conception chimique, nous faisons remonter cette information à l'observatoire, et celui-ci soumet la question au ministère de la santé pour que la liste des substances illicites soit réévaluée. Tout un réseau européen travaille sur ce sujet afin d'alimenter réciproquement les pays et se tenir à jour.
Un exemple récent est fourni par la méphédrone, un médicament qui est désormais considéré comme une drogue. Un léger déplacement d'une des branches chimiques de la molécule initiale avait permis de ne rien changer aux effets psychotropes de cette drogue. Mais ce n'était plus tout à fait la même molécule. Les douanes ont saisi des quantités énormes de ce nouveau produit, appelé M-4. Elles l'ont bloqué sous couvert d'une infraction douanière, mais on ne pouvait pas poursuivre les trafiquants pour trafic de drogue. La liste des stupéfiants a donc été modifiée et, maintenant, le M-4 est considéré lui aussi comme une drogue.
Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale. - Le Subutex ne figure pas dans le tableau des stupéfiants. Il fait pourtant lui aussi l'objet d'un trafic. Peut-il être intégré à d'autres substances ? Avez-vous à faire des analyses sur ce produit ?
Par ailleurs, vous avez dit que sur 5 500 dossiers de toxicologie, 3 000 portaient sur la détection de stupéfiants. Intervenez-vous à la suite d'accidents ou de contrôles inopinés ? On a encore du mal à apprécier la responsabilité du cannabis, par rapport à celle de l'alcool, dans les accidents routiers. Avez-vous analysé ce produit ?
M. Frédéric Dupuch. - Il y a encore dix-huit mois, avant la distribution des kits salivaires, les contrôles « d'initiative » par les forces de l'ordre, hors accident, pour rechercher des stupéfiants, étaient rarissimes. Il faut dire que conduire quelqu'un à l'hôpital pour de telles recherches et risquer de lui faire perdre quatre heures pour rien n'était pas de nature à améliorer les relations entre la police, la gendarmerie et la population. Les saisines qui aboutissaient étaient toutes « post accident » et, dans 60 % à 70 % des cas, on constatait la présence effective de drogue, très majoritairement de cannabis.
Il en va différemment aujourd'hui, puisque des opérations routières sont menées hors contexte d'accident. Nous y sommes d'ailleurs souvent associés. Les laboratoires sont prévenus d'avance par les parquets et ils mettent en place des dispositifs pour pouvoir procéder aux analyses pendant le week-end.
M. Fabrice Besacier, chef de la section « Stupéfiants » du laboratoire de police scientifique de Lyon. - Nous sommes parfois destinataires de saisies de Subutex, principalement sous forme de poudre. À ce moment-là, les services de police pensent avoir affaire à une drogue, éventuellement à de la cocaïne ; il faut dire que les tests colorimétriques ont tendance à réagir comme s'il s'agissait de cocaïne. Ils nous demandent donc de confirmer qu'il s'agit d'un produit stupéfiant. Le Subutex est toujours vendu sous forme de comprimés. Lorsqu'il est sous forme de poudre, nous pouvons en conclure qu'il s'agit d'un trafic. À chaque fois, nous avons confirmé qu'il s'agissait bien de Subutex. Mais cela représente un très petit nombre de cas par rapport aux autres produits plus « classiques ». Il nous est donc difficile de considérer qu'il y a un trafic important de Subutex.
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. - J'aimerais revenir sur les médicaments inscrits au tableau des stupéfiants. Avez-vous la possibilité de les rechercher ? Est-ce que ce sont ceux-là que vous testez ?
M. Frédéric Dupuch. - Nous testons tout ce qui nous est envoyé. C'est seulement au moment de l'analyse que nous rendons compte si la substance correspond à la définition d'un produit figurant sur la liste des stupéfiants. Mais l'enquêteur, sur le terrain, est encore moins bien placé que nous pour savoir si le comprimé qui a été trouvé figure ou non sur cette liste.
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. - Dans vos 3 000 analyses menées en matière de sécurité routière, le cannabis était-il consommé seul ou associé à d'autres drogues ? Dans la seconde hypothèse, dans quelles proportions ?
M. Frédéric Dupuch. - Nous ne disposons pas de ces informations.
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. - Que recherchez-vous ? Le cannabis ? L'héroïne ?
M. Frédéric Dupuch. - Nous recherchons les quatre composantes.
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. - Vous n'en connaissez pas les proportions ?
M. Frédéric Dupuch. - Non, mais je peux vous dire que sur l'ensemble des produits que nous avons découverts, il y avait 80 % de cannabis et 20 % d'autres produits. Est-ce que ces 20 % sont cumulatifs ou concernent des dossiers distincts ? Je ne le sais pas.
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. - L'analyse statistique n'a-t-elle pas été menée ?
M. Frédéric Dupuch. - Non, mais on va sans doute la faire.
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. - Les normes actuelles de détection du cannabis vous semblent-elles satisfaisantes ? Observe-t-on une élévation des taux ?
M. Frédéric Dupuch. - Le cannabis, comme toutes les drogues, est détectable par les laboratoires, même à dose infinitésimale. Aujourd'hui, le taux moyen de THC est de 11 %.
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. - J'aimerais également savoir comment vous pouvez préciser la date de consommation.
M. Fabrice Besacier. - Dans 80 % des prélèvements réalisés dans le cadre d'opérations de sécurité routière qui nous sont envoyés, nous trouvons du cannabis. Il est très rare que celui-ci soit associé à d'autres drogues. Parfois, il est associé à de l'alcool.
Il convient ensuite de distinguer l'herbe de cannabis de la résine de cannabis. Le taux moyen de 11 % de THC concerne la résine de cannabis, produit qui se présente sous forme de plaquette, comme une plaquette de chocolat. Son dosage est relativement stable ; depuis dix ou quinze ans, on observe que son taux de THC a tendance à augmenter.
L'herbe de cannabis est plus difficile à analyser. Dans l'affaire de Seine-Saint-Denis, les plants en étaient à différentes étapes. Ceux qui nous ont été envoyés étaient très petits, au début de la pousse. Ceux qui étaient à maturité avaient déjà été récoltés. Or le taux de THC d'un petit plant est très faible, autour de 0,5 %, alors que celui du « produit fini » peut atteindre 14 %. Il est donc difficile d'établir une statistique sur l'herbe de cannabis, puisque le taux de THC dépend du prélèvement sur lequel la mesure a été faite.
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. - Vous avez parlé de l'incidence de la lumière sur les plants de cannabis. N'a-t-on pas plutôt recours à des modifications génétiques pour augmenter la teneur en THC ?
M. Fabrice Besacier. - On a tendance à acheter des graines génétiquement modifiées, de manière à obtenir des taux assez élevés de THC. Ensuite, on essaie d'optimiser ce taux par des conditions de culture favorables : lumière, humidité, etc. Dans certaines régions, mieux vaut faire de la culture en intérieur.
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. - Sur vos 3 000 prélèvements positifs, combien se rapportent à la criminalité hors sécurité routière ?
M. Frédéric Dupuch. - Ces 3 000 prélèvements concernent uniquement la sécurité routière. Ils font l'objet d'analyses toxicologiques, à la suite d'opérations de contrôle ou d'opérations « post accident ».
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. - Intervenez-vous en matière de criminalité ?
M. Frédéric Dupuch. - Il ne faut pas oublier que les laboratoires interviennent dans une démarche d'expertise et répondent à une question précise qui leur est posée, par exemple : quelle est la teneur de drogue dans l'échantillon qu'on vous transmet ? À la différence de ce que l'on voit dans les séries télévisées et conformément au droit français, experts et enquêteurs ne sont pas les mêmes personnes. Il en va de leur indépendance. Les laboratoires peuvent même ne pas savoir si l'échantillon a été prélevé à la suite d'un meurtre ou d'une affaire de contravention.
Par ailleurs, monsieur le rapporteur, vous avez posé une question sur l'ancienneté de la consommation. Les experts ont tendance à dire que le sang, c'est la « mémoire courte », et les cheveux, la « mémoire longue ». Cela signifie que lorsque l'on trouve de l'alcool ou de la drogue dans le sang, c'est que leur consommation remonte à peu de temps. Lorsqu'on en trouve dans les cheveux, on peut remonter parfois des mois en arrière.
M. Georges Mothron, député. - Vous avez parlé de la traçabilité des lots. Avez-vous les moyens, par vos analyses, de remonter jusqu'au lieu de culture ? Pouvez-vous affirmer que tel lot de cannabis provient de telle province marocaine ? Il est important de connaître l'origine d'une drogue pour pouvoir faire de la prévention.
M. Fabrice Besacier. - La question de la détermination de l'origine d'une drogue - cannabis, cocaïne ou héroïne - revient assez souvent. Le problème est que, pour déterminer une origine, il faut disposer d'échantillons de référence venant des lieux de production. Si l'on nous fournit des échantillons marocains de différentes régions, nous pouvons les utiliser comme base de référence et, après comparaison, dire que telle saisie est, par exemple, plutôt d'origine marocaine. Mais actuellement, nous ne disposons pas de cette base de données de référence. Voilà pourquoi mon travail consiste essentiellement à faire des rapprochements sur des saisies faites en France, de manière à reconstituer les réseaux de distribution.
M. Daniel Vaillant, député. - On sait que la conduite sous emprise d'alcool est une conduite à risque. On sait déterminer le taux d'alcool d'un conducteur à l'instant t, et apprécier le risque en conséquence. Mais qu'en est-il avec le cannabis ? Peut-on établir la dangerosité du comportement d'un conducteur en fonction de sa prise de cannabis et du moment où il a pris cette substance ?
Par ailleurs, pouvez-vous nous informer de l'évolution des produits et de leur provenance, et surtout de la rapidité avec laquelle les trafiquants conçoivent de nouveaux produits, notamment à partir de molécules de synthèse ? Pouvez-vous anticiper ou aider la police et les autorités à anticiper sur l'intelligence de celles et ceux qui fabriquent chez nous, ou à l'extérieur de notre pays, des produits illicites ?
M. Fabrice Besacier. - Comme l'a rappelé M. Frédéric Dupuch, nous avons un rôle de veille. Nous travaillons sur l'apparition de nouvelles substances, mais aussi sur de nouvelles pratiques s'agissant de substances plutôt « classiques ».
Par exemple, s'agissant de la cocaïne, la difficulté rencontrée par le trafiquant est d'acheminer le produit jusqu'en France. Il doit donc trouver un moyen de dissimulation qui lui permette de passer les frontières. Nous alertons les services opérationnels en leur indiquant que la cocaïne peut être facilement dissoute - jusqu'à un demi-kilogramme dans une bouteille d'un litre de soda - ou incorporée dans le plastique thermoformé d'une valise. Une fois en France, quelques laboratoires clandestins utilisent des produits chimiques du commerce pour récupérer cette cocaïne et la revendre. Telles sont les tendances actuelles.
S'agissant toujours de la cocaïne, dont la consommation a augmenté ces derniers temps, nous avons observé que, contrairement à ce qui se passait il y a dix ou quinze ans, elle arrive en France déjà coupée, que ce soit dans les cargos ou à l'aéroport, notamment à Roissy. Ensuite, à peine arrivée sur le territoire national, un coupage beaucoup plus important est opéré, essentiellement à partir de produits pharmaceutiques détournés, et la pureté de cette cocaïne peut descendre jusqu'à 10 % ou 20 % au niveau de la rue.
Quant aux drogues de synthèse, depuis deux ans environ, nous avons vu apparaître deux nouvelles sortes de produits.
D'une part, les « spice », qui sont vendus dans certains pays européens sous la dénomination de « sels de bain ». Il s'agit de cannabinomimétiques dont les effets sont proches de ceux du cannabis et qui sont fabriqués essentiellement en Asie. Ces molécules sont très connues parce qu'elles ont été développées, pour la plupart, par des universitaires dans le cadre d'études sur les comportements liés à la prise de cannabis. Elles ont ensuite été détournées et vendues pour être consommées.
En France, nous avons classé certains de ces produits depuis peu de temps. Mais les cas sont rares et les saisies sont peu nombreuses. Dans les autres pays européens et aux États-Unis, le nombre de cas est en revanche très élevé. Une nouvelle molécule arrive toutes les semaines sur le marché, ce qui pose le problème de la législation et de la réglementation applicables à ces produits. Les États-Unis, le Royaume-Uni et d'autres pays ont choisi d'établir une classification par analogies : ils ne classent pas une molécule, mais une famille de molécules structurellement proches, par rapport à un ensemble chimique.
En dehors des « spice », il faut mentionner une deuxième catégorie de molécules dont a parlé M. Frédéric Dupuch : les methcathinones, dont la 4-MEC, et la méphédrone. Ce sont de nouvelles familles de drogues de synthèse qui ont des effets proches de l'ecstasy.
Là encore, il s'agit de molécules apparentées, dont les structures chimiques sont extrêmement proches même si elles ont été modifiées. La méphédrone a été classée comme stupéfiant. Depuis lors, nous n'avons quasiment pas de saisies. En revanche, d'autres produits sont apparus, qui sont proches mais qui peuvent ne pas être classés comme stupéfiants.
M. Frédéric Dupuch. - En matière de prévention, les maîtres mots sont diffusion et coopération. À l'institut, ils s'appliquent à la drogue et à d'autres domaines. Nous avons la chance de faire partie d'un organisme européen, le réseau européen des laboratoires publics de criminalistique (European network of forensic science institutes), qui comporte, entre autres, un groupe « Stupéfiants » à l'intérieur duquel se trouve le groupe « Profilage » présidé par M. Fabrice Besacier. Les spécialistes gouvernementaux de toute l'Europe - au sens géographique du terme - y échangent tout ce qu'ils trouvent et toutes leurs pistes au cours de réunions et par voie de courriels. Ainsi, chacun peut prévenir les autres dès qu'il détecte quelque chose d'anormal sur son territoire. Par ailleurs, sur le plan national, nous sommes en relation étroite avec l'Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants et l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies et nous leur communiquons les éléments qui nous paraissent suspects.
Le deuxième axe est celui de la coopération internationale. Il est évident que pour bien anticiper, nous devons travailler davantage avec les pays étrangers. Cette coopération s'est accélérée avec le Brésil, qui est le pays d'Amérique du Sud avec lequel nous collaborons le plus étroitement. Plusieurs missions ont été conduites au laboratoire de Brasilia pour y enseigner nos méthodes de test, d'analyse et de discrimination des drogues. L'année prochaine, un scientifique du laboratoire de Brasilia viendra chez nous pendant un an s'imprégner de nos méthodes de travail. Nous espérons, à partir de cette plateforme brésilienne, avoir une bonne connaissance de toute la cocaïne d'origine, et une meilleure capacité d'analyse.
Nous coopérons aussi avec d'autres pays. L'an dernier, nous avons reçu le directeur du laboratoire de police de Rabat, au Maroc. Nous souhaitons en effet régler, avec des pays sources, dans d'autres domaines que celui de la cocaïne, le problème énorme de l'acheminement d'échantillons.
Nous avons engagé une démarche avec l'Afghanistan pour couvrir le Triangle d'or. Nous y avons investi de l'argent en matériel et en missions sur place, mais, pour l'instant, nous n'avons pas encore réussi à obtenir les échantillons locaux qui nous permettraient de croiser les sources d'origine. Cela ne marche pas à tous les coups, mais ce n'est pas une raison pour ne pas insister. La coopération internationale est un autre moyen d'anticiper sur ce que font les trafiquants.
Mme Fabienne Labrette-Ménager, députée. - N'aurait-on pas intérêt à instituer un classement international des stupéfiants ? Cela nous permettrait d'être plus réactifs et de ne pas devoir, lorsqu'un produit apparaît en France, attendre un an ou deux pour le classer comme drogue.
Par ailleurs, les drogues évoluent : taux de THC plus élevé, modifications génétiques, mélanges, etc. Les consommateurs en sont-ils conscients ? Ne faudrait-il pas les informer, pour leur montrer que ce qu'ils consomment aujourd'hui n'a rien à voir avec ce que leurs parents ou leurs grands-parents consommaient ?
M. Frédéric Dupuch. - Les drogues de synthèse posent un énorme problème en Europe du Nord, mais pas en France, où l'on consomme surtout du cannabis et de la cocaïne. Cela explique que la Suède ait mis en place le programme European drugs profiling system, qui porte sur ces drogues. En 2010, on a recensé sur la totalité de l'Europe vingt-quatre adaptations créant de nouvelles drogues. La communication s'est faite et les pays ont adapté leurs réglementations respectives.
Nous sommes rarement associés à l'information des consommateurs. En revanche, au sein des services de police et de gendarmerie, des policiers ou des gendarmes formateurs antidrogue interviennent auprès des jeunes. Dans l'environnement scolaire, les représentants des forces de l'ordre, seuls ou avec du matériel médical, mènent de nombreuses actions. Nous intervenons parfois nous-mêmes à l'occasion des journées « Police scientifique ». Les actions des forces de l'ordre, en particulier celles de la police parisienne, qui est très assidue, visent davantage la population des collèges : avant c'est trop tôt, après c'est trop tard. Elles délivrent notamment, et depuis longtemps, un message sur le cannabis : le taux en THC du cannabis des années 1960 n'a rien à voir avec celui d'aujourd'hui, dont la dangerosité et le degré d'accoutumance sont bien supérieurs.
M. Philippe Goujon, député. - Monsieur Frédéric Dupuch, vous avez comparé les séries télévisées et votre réalité quotidienne. Les moyens qui vous sont alloués vous permettent-ils de mener de façon satisfaisante et dans des délais raisonnables le travail que vous venez de décrire ? Comment vos laboratoires coopèrent-ils avec les autres services de police ou les ministères ? Enfin, pourriez-vous nous donner une idée du coût des expertises ?
M. Frédéric Dupuch. - L'institut, conformément à la loi du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne qui l'a créé et au décret du 9 novembre 2004 qui l'encadre, est ouvert à tous ceux qui participent au processus de l'enquête pénale. Il est accessible à la justice, à la police et à la gendarmerie. Aujourd'hui, sur cent saisines, 90 % sont des réquisitions - deux tiers de la police et un tiers de la gendarmerie - et 10 % des commissions d'experts.
Conformément à la loi et au décret qui le régissent, l'institut ne fait pas payer son activité sur réquisition, alors que les prestations directement demandées par des magistrats sont facturées sur la base d'une grille de tarifs qui est votée par le conseil d'administration et est accessible sur le site internet de la Cour de cassation. Les tarifs sont néanmoins beaucoup moins élevés que ceux des laboratoires privés. Notre but n'est pas de faire du profit, mais d'amortir le coût des consommables.
J'insiste sur cet aspect de la gratuité des réquisitions. Nous sommes financés sur le programme 176 « Police nationale » de la mission « Sécurité », ce qui n'est pas sans faire grogner parfois le directeur général de la police nationale : le personnel est payé par la police nationale, la subvention de fonctionnement est versée sur le budget « Police nationale », mais un tiers des réquisitions sont effectuées au bénéfice de la gendarmerie nationale qui ne verse pas un centime. Ce léger déséquilibre d'encadrement financier du fonctionnement de l'institut entraîne de temps en temps des discussions très vivantes...
La vision cinématographique ou télévisuelle qui est donnée de l'expertise date un peu : les experts s'y occupent uniquement d'affaires criminelles et travaillent « à l'ancienne », sur un mode néo-artisanal. Si vous veniez au laboratoire de Lyon, vous pourriez constater que les installations sont de nature industrielle. On ne voit quasiment plus de scientifique travailler avec un pipetage individuel sur un dossier. En toxicologie et en génétique, le personnel utilise des plateformes automatisées qui permettent de traiter des lots de 48 ou 96 « puits ». Le régime de travail permet de répondre à la demande en quantité et en rapidité - autant que faire se peut.
Globalement, les laboratoires n'ont pas à se plaindre de leurs moyens, malgré la révision générale des politiques publiques qui s'applique également aux forces de sécurité. L'an dernier, nos effectifs se sont accrus de 8 % et le budget de fonctionnement dont nous disposons n'a pas été revu à la baisse depuis trois ans. J'ajoute que lorsque nous demandons un peu plus, en particulier pour moderniser nos équipements, nous l'obtenons. Nous sommes donc un peu des « enfants gâtés ». Malgré tout, nous tentons de réduire nos coûts, par exemple en revoyant nos procédures analytiques, afin d'augmenter notre production - nous en sommes à 25 % d'augmentation.
Enfin, nous arrivons maintenant, en matière de stupéfiants, à répondre toujours dans un délai d'un mois au maximum. Mais en cas de nécessité, nous pouvons être plus rapides. Par exemple, en cas de garde à vue, nous répondons dans le temps de la garde à vue.
M. François Pillet, coprésident pour le Sénat. - Nous avons appris que la teneur en principe actif de certains plants de cannabis avait augmenté, qu'on faisait des modifications génétiques, que de nouvelles molécules étaient apparues et qu'on savait incorporer de la cocaïne dans des valises de plastique thermoformé. La technicité croissante des méthodes utilisées par les trafiquants suppose des compétences et des infrastructures, et lutter contre ce type de criminalité très organisée suppose de nouveaux moyens d'investigation. Y avez-vous pensé ? Comment combattre un tel « professionnalisme » ?
M. Frédéric Dupuch. - L'exemple très significatif du plastique ou des bouteilles de rhum dans lesquelles on met de cocaïne vient de prises frontalières, majoritairement de l'aéroport de Roissy qui est le lieu de transit où l'on fait les plus grosses prises et où l'on trouve les drogues les « mieux » dosées. Qui dit aéroport dit origine lointaine, et qui dit origine lointaine dit coopération internationale.
Le travail « de fourmi », qui consiste à faire de multiples allers et retours dans les pays limitrophes où transite la drogue, relève davantage du maillage territorial traditionnel - investigations, infiltrations, etc. Mais pour lutter contre les entrées de grosses quantités, nous devrons travailler avec les pays sources.
Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale. - Si j'ai bien compris, vous avez un rôle de veille et d'alerte. Mais qui a accès à vos informations ?
M. Frédéric Dupuch. - Nous avons essentiellement un rôle d'expertise judiciaire : nous sommes au service de l'investigation pénale. Accessoirement, en marge de cette mission, nous transmettons les découvertes que nous sommes amenés à faire au cours de nos analyses, par exemple à l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies - pour les nouveaux produits - et aux autres laboratoires qui s'inscrivent également dans une démarche de criminalistique. Notre mission d'investigation va d'ailleurs de pair avec la protection du secret de l'enquête et du secret de l'instruction.
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale. - Êtes-vous lié à l'Institut médico-légal de Paris, place Mazas ?
M. Frédéric Dupuch. - L'Institut médico-légal occupe, côté morgue, le rez-de-chaussée et les quatre étages du bâtiment de la place Mazas dans le douzième arrondissement. Le laboratoire scientifique de Paris, avec ses activités « stupéfiants » et « toxicologie », occupe la partie en rez-de-jardin, le dernier étage ainsi que les préfabriqués « provisoires » construits depuis trente ans sur le toit.
M. Daniel Vaillant, député. - Certains sont prêts à aller loin pour des raisons de rentabilité. Pourriez-vous nous parler des billes de verre qui avaient été rajoutées à des plants de cannabis ?
M. Fabrice Besacier. - Les consommateurs pensent que l'herbe de cannabis est un produit plus fiable parce que c'est un produit naturel, une herbe qui est fumée telle quelle. Or, dans tous les pays d'Europe, notamment en 2008 jusqu'au début 2009, des micro-billes de verre, de l'ordre de 50 micromètres, ont été insérées dans la plante, dans ses sommités fleuries. L'intérêt pour le trafiquant était qu'elles faisaient briller le produit, qui semblait davantage dosé en THC, et qu'elles pouvaient en augmenter la masse jusqu'à 30 %. Mais quand les gens le fumaient, les micro-billes pouvaient se casser et provoquer une atteinte pulmonaire ; ce fut le sujet d'un bulletin de la Société française de pneumologie en 2008. Un tel lot d'herbes a circulé en Europe pendant environ un an. Cela prouve qu'un produit relativement connu peut faire l'objet d'ajouts qui en augmentent encore la dangerosité.
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale. - Merci pour cette audition, qui était passionnante.
Audition de Mme Béatrice Tajan, secrétaire générale adjointe, et Mme Véronique Roblin, conseillère nationale du Syndicat national des infirmiers éducateurs de santé-UNSA, ainsi que Mme Béatrice Gaultier, secrétaire générale, et M. Christian Allemand, ancien secrétaire général du Syndicat national des infirmier(e)s conseiller(e)s de santé-FSU
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale. - Mesdames, monsieur, nous allons aborder avec vous la question essentielle des toxicomanies chez les jeunes. Nous sommes en effet très préoccupés par leur extension, que de nombreux intervenants nous ont confirmée. Comment les prévenir ? Quel rôle les infirmières et les infirmiers scolaires peuvent-ils jouer en la matière ?
Mme Béatrice Tajan, secrétaire nationale adjointe du Syndicat national des infirmiers éducateurs de santé-UNSA. - Les infirmières scolaires peuvent être affectées sur trois types de postes : les postes en résidence, à 100 % sur un même établissement ; les postes mixtes, sur un collège et les écoles du bassin de recrutement du collège, ce qui permet de suivre les enfants de la grande section de maternelle jusqu'à la troisième, durant toute la scolarité obligatoire, et favorise donc la prévention ; enfin les postes liés, par exemple sur deux établissements du second degré.
Les infirmières scolaires sont recrutées par concours ou par détachement. Elles ont le même diplôme que les autres infirmières. Elles sont un des premiers acteurs de santé de la communauté scolaire et universitaire, le référent « santé » et le conseiller en santé de l'équipe éducative.
Pour notre syndicat, la toxicomanie est la rencontre de trois facteurs : une personne, un produit et une situation. Elle concerne un adolescent ou un jeune adulte, à l'âge des expérimentations, des transgressions et des transformations, mais à un âge vulnérable, source de mal-être et d'angoisses, donc propice à l'utilisation de produits qui pourraient masquer, dissiper, atténuer, voire soulager ces angoisses.
Il existe des produits licites et illicites. Mais pour nous, l'essentiel est de transmettre aux jeunes la volonté de dire « non » aux produits par le développement de l'estime de soi et du bien-être.
Nous avons ressorti quelques statistiques provenant d'études, que vous pourrez retrouver dans les documents que nous vous avons préparés.
Je l'ai dit, les infirmières de l'Éducation nationale sont un des premiers acteurs de santé de proximité. Par leurs missions et leur place au sein des établissements, elles interviennent aussi bien de façon individuelle que collective dans la prévention, l'information et la mise en place d'une prise en charge auprès des intervenants, internes ou externes. Elles doivent développer l'estime de soi, prévenir le mal-être des élèves et organiser des actions de prévention. Elles doivent aussi recevoir le personnel, dispenser une information régulière sur les produits et les nouveaux modes de consommation pour mieux répondre à cette problématique, et mieux repérer les prises de risque.
Pour notre syndicat, une politique de santé nationale doit être définie et déclinée au niveau académique, départemental et local, et s'adapter à la population scolaire de l'établissement.
L'infirmière de l'Éducation nationale effectue un suivi individuel qui impose une consultation infirmière pour un niveau de classe, pour les élèves nouveaux arrivants ou présentant des besoins spécifiques.
L'infirmière rencontre l'enfant ou sa famille, au moment de sa scolarisation obligatoire, c'est-à-dire à la grande section de maternelle, ce qui permet de nouer un premier lien de confiance. Pour la famille, le personnel de santé est repéré, et c'est l'occasion d'évoquer d'éventuelles difficultés sociales, scolaires, familiales et éducatives. L'infirmière en poste mixte suit l'enfant et sa fratrie tout au long de sa scolarité obligatoire, et plus particulièrement au moment du passage entre le CM2 et la classe de sixième, passage parfois angoissant et déstabilisant. Voilà pourquoi nous insistons pour que soient renforcés les postes mixtes qui favorisent l'établissement d'un climat de confiance entre le jeune, la famille et la fratrie.
L'infirmerie est un espace de parole où les jeunes peuvent se faire soigner, parler, voir « exploser », un lieu neutre exempt de tout jugement, où les maux peuvent s'exprimer en mots - les infirmières sont tenues au secret professionnel. C'est souvent à l'occasion de petits soins qu'elles repèrent des éléments qui relèvent d'un mal-être et, éventuellement, abordent la relation d'un élève avec un produit, qu'il soit licite ou illicite, ce qui leur permet d'évaluer s'il y a ou non un début de conduite addictive.
Pour cela, il faut que les locaux infirmiers offrent les conditions matérielles indispensables à un accueil respectueux, permettant écoute, soin et repos et assurant la confidentialité. Malheureusement, il est parfois difficile de disposer d'une pièce repérée, repérable, et garantissant cette confidentialité. Mais il faut aussi instituer des lieux et des temps de parole pour les élèves, les parents et les personnels, et il importe que ces temps de parole soient inscrits dans l'emploi du temps de l'enseignement.
Pour développer le bien-être du jeune dans son établissement, il nous semble évident qu'il faut respecter ses besoins physiologiques : sommeil, repos et jeux pendant le premier degré, mais aussi après ; éviter l'esprit de compétitivité dans la réussite scolaire ; favoriser enfin l'entraide et le tutorat. Tout cela contribue à l'estime de soi.
Mais le jeune a aussi besoin d'un accompagnement éducatif en dehors des heures d'enseignement pour s'investir et se réaliser dans d'autres domaines comme la culture, les sports ou les arts, plus particulièrement en groupe. Le développement de l'estime de soi doit être favorisé par des mises en situation de réussite, de création et de sollicitation des différentes intelligences.
Enfin, les évaluations doivent être positives, ce qui n'est malheureusement pas souvent le cas en France. Il faudrait s'inspirer des modèles de l'Europe du Nord, qui sont pertinents.
Dans beaucoup d'établissements, des réunions de concertation hebdomadaires sont organisées entre les différents membres des équipes éducatives, dont le chef d'établissement, les conseillers d'éducation, l'infirmière et l'assistante sociale pour apprécier l'absentéisme des élèves et y apporter une réponse adaptée. Ce genre d'initiative mériterait d'être encouragé. Malheureusement, ces réunions dépendent souvent du bon vouloir du chef d'établissement et des disponibilités des personnels de l'équipe éducative. Pourtant, la consommation de produits peut être dépistée en cas d'absences « perlées », par exemple en début de matinée ou après la cantine. C'est le moyen de repérer sinon un début de conduite addictive, tout au moins un mal-être chez certains élèves.
Des créneaux horaires de concertation pour toute l'équipe éducative devraient être institutionnalisés.
Enfin, dans les situations difficiles, des psychothérapeutes de l'institution - mais il n'y en pas beaucoup - ou de l'extérieur devraient pouvoir intervenir. Cela dit, nous avons beaucoup de mal à obtenir des ressources relais pour assurer des traitements psychothérapiques, par exemple en centre médico-psycho-pédagogique ; le délai est souvent de deux ou trois mois, voire plus. Or, quand le jeune - ou sa famille - a accepté une prise en charge, le fait de devoir attendre trois ou quatre mois peut tout remettre en cause.
Nous travaillons en réseau et en relais avec les professionnels de l'institution, le médecin, l'assistance sociale, le conseiller principal d'éducation, les conseillers d'orientation psychologues ou avec des professionnels extérieurs. Mais il faut reconnaître que l'on manque de service public.
Pour notre syndicat, il importe d'assurer une information et une formation sur les rôles et les missions de chacun afin que les partenaires se connaissent bien. Il faut aussi développer les coopérations verticales et horizontales au sein des établissements, concernant les partenaires internes et les partenaires extérieurs qui interviennent dans la prévention et la prise en charge des toxicomanies. Il est également souhaitable de favoriser les établissements de petite taille, plus conviviaux et moins anonymes.
Les actions de prévention et d'éducation à la santé et à la citoyenneté sont indispensables. Les infirmières de l'Éducation nationale sont tenues de participer aux comités d'éducation à la santé et à la citoyenneté, au sein desquels sont définis des projets qui seront développés avec les partenaires de l'équipe éducative ou des partenaires extérieurs.
Nous considérons que les actions de ces comités devraient porter davantage sur l'apprentissage à communiquer, le savoir-être, la bien-traitance, la formation des élèves délégués dont le rôle mériterait d'être mis en avant, le développement de l'estime de soi dans les champs didactiques et non didactiques, la valorisation des jeunes qui ont une attitude positive, le développement de formations de secourisme, la solidarité, l'entraide et les projets coopératifs.
L'éducation à la santé et à la citoyenneté, selon nous, devrait bénéficier d'heures intégrées dans le socle commun des connaissances et d'un budget. En effet, il est difficile de s'assurer de la disponibilité des élèves et des équipes pédagogiques et, une fois que le projet est mis en place, de dégager des créneaux horaires. Par ailleurs, l'utilisation des nombreux outils pédagogiques qui existent et le recours à des associations extérieures se heurtent souvent à des questions budgétaires.
Ces heures d'éducation seraient bénéfiques dès le premier degré. À six ou sept ans, les enfants intègrent facilement les bonnes attitudes et les messages de prévention. À partir de l'adolescence, il faut utiliser d'autres outils et travailler différemment.
M. Christian Allemand, ancien secrétaire général du Syndicat national des infirmier(e)s conseiller(e)s de santé-FSU. - Les toxicomanies interpellent l'équipe éducative qui comprend les parents, l'équipe pédagogique et les élèves, mais ce constat ne suffit pas : tous les milieux sont touchés et tous les collèges connaissent le problème. Même si, au cours de la phase de latence, c'est-à-dire dans le premier degré, les enfants ont acquis des modes de comportement qui semblaient adaptés, quelque chose change entre la classe de sixième et la classe de cinquième, de sorte que la réponse doit s'adresser tant à l'individu qu'au groupe, au sens large, lequel comprend non seulement la communauté éducative et pédagogique, y compris l'équipe de direction, mais aussi tout l'environnement immédiat. Les premiers interlocuteurs d'un élève sont non les adultes, mais les autres élèves. De ce fait, avant d'être perçue dans l'établissement ou la famille, la toxicomanie commence par poser problème à une partie de la classe.
L'enfant tenté par des conduites déviantes n'est pas facile à identifier. Quand des indicateurs se mettent au « rouge », en termes de réussite scolaire, de comportement dans le groupe ou de consommation de soins infirmiers, il faut réunir les informations, réfléchir aux moyens de travailler ensemble et définir un projet. Certaines solutions misent sur le collectif, par exemple sur le rôle du comité d'éducation à la santé et à la citoyenneté ou sur la formation d'équipes pluricatégorielles, auxquelles l'Éducation nationale et l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé ont consacré une brochure. Mais il est peu probable qu'elles résolvent le problème individuel de l'adolescent qui exprime rarement ses difficultés lors d'une séquence d'information sur la santé. Méfions-nous de ces fausses solutions ! Même si le comité d'éducation à la santé et à la citoyenneté et le chef d'établissement se réjouissent de faire face à leurs obligations légales, les partenaires, de rencontrer les enfants ou de percevoir une rétribution et les parents, les enseignants ou la direction d'organiser une action collective, la porte risque de leur « revenir en pleine figure » : quand l'enfant rechute, la culpabilisation des adultes est très forte.
Sur le plan collectif, l'UNSA a raison : il est important de formaliser les équipes qui doivent prendre en charge les projets d'éducation à la santé et de lutte contre la toxicomanie en partant des besoins spécifiques de l'établissement. Mais rien n'avancera si l'on ne propose pas, sur le plan individuel, une réponse durable centrée autour de l'élève et une prise en charge qui suppose des partenariats. La formation qui doit être proposée par l'Éducation nationale ne peut remplacer celle des personnels qui ont chacun leur champ de compétence. De leur propre chef, 15 millions d'enfants passent dans les infirmeries des collèges et des lycées. Il faut analyser cette information et mettre en place un suivi, accompagné d'une orientation. Une présence au collège d'une journée et demie par semaine ne suffit pas pour qu'un infirmier identifie l'enfant qui a des problèmes et que celui-ci les lui révèle. Cela dit, si l'on travaille en équipe autour de l'élève, on agit sur le groupe qui l'entoure. C'est pourquoi, au lieu de choisir ou l'une ou l'autre, il convient de mener en parallèle l'approche collective et l'approche individuelle.
Cependant, restons conscients des limites de la prise en charge par les infirmiers et la communauté scolaire. Les champs de compétence des différentes professions et administrations doivent être clairement identifiés, ce qui n'est pas le cas actuellement. Définir les espaces de recouvrement permet de travailler ensemble, mais les conditions d'un partenariat de proximité ne sont pas réunies. Dans bien des établissements, tout le monde essaie de faire tout, ce qui mène à l'échec.
On ne peut s'abstenir d'une réflexion sur le temps de présence des infirmiers dans l'établissement. Leurs moyens réglementaires et leurs compétences ne leur serviront à rien s'ils n'ont pas les moyens d'offrir une réponse aux élèves pendant le temps scolaire. Seules leur présence sur place et leur identification à l'équipe éducative permettent de résoudre le problème du jeune. À travers lui, la réponse s'adresse au groupe qu'il fréquente et aide les enseignants qui en sont chargés.
M. François Pillet, coprésident pour le Sénat. - À partir de quel âge les enfants doivent-ils faire l'objet d'actions de prévention ?
Mme Béatrice Tajan. - Dès le premier degré, c'est-à-dire à partir du moment où l'école est obligatoire. C'est ce qui explique notre intérêt pour les postes mixtes à l'intérieur d'un bassin de recrutement : ils permettent de suivre l'élève et de connaître sa famille et sa fratrie. On crée ainsi un climat de confiance qui facilite l'éducation à la santé. Hélas ! Les moyens manquent pour mettre en oeuvre cette possibilité prévue par les textes.
M. Christian Allemand. - L'éducation à la santé dépend autant du milieu que du degré de développement de l'enfant. Au cours de la phase de latence, celui-ci intègre facilement les messages de prévention, par exemple sur le tabac, qu'il répercute volontiers au sein de sa famille. Ce n'est plus le cas quand il entre au collège où il ne reste plus toute la journée sous le regard du même enseignant. C'est pourquoi l'infirmier ne doit pas se contenter de rester un jour et demi par semaine au collège. On pourrait même imaginer un suivi jusqu'au lycée ou à l'université, sachant qu'à partir de la classe de première, l'adolescent réacquiert la capacité de mettre des mots sur ce qu'il vit.
L'éducation à la santé et l'action contre la toxicomanie doivent être transversales, mais le contexte sociologique a son importance. On ne doit pas aborder le problème de la même manière dans un établissement urbain et dans un petit collège rural. Il ne peut donc y avoir de recette nationale ou globale.
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale. - Votre expérience vous a-t-elle conduits à constater une évolution quantitative ou qualitative du phénomène des toxicomanies ?
Mme Véronique Roblin, conseillère nationale du Syndicat national des infirmiers éducateurs de santé-UNSA. - Pour avoir travaillé en lycée professionnel dans deux régions différentes, j'ai constaté que les élèves des Pyrénées boivent moins d'alcool que ceux de Bretagne, peut-être parce qu'ils pratiquent plus d'activités sportives et culturelles. Dans l'Ouest, l'absorption d'alcool est banalisée, mais la consommation d'autres substances est dissimulée.
Mme Béatrice Gaultier, secrétaire générale du Syndicat national des infirmier(e)s conseiller(e)s de santé-FSU. - Pendant plus de dix ans, j'ai travaillé moi aussi en Bretagne, dans un établissement accueillant des classes préparatoires. La toxicomanie étant liée au stress, j'ai observé chez certains élèves des conduites addictives, comme la prise d'alcool ou de cannabis. Certaines souffrances somatiques qui s'expriment auprès de l'infirmier sont l'indice d'un malaise profond qui demande qu'on engage un travail individuel en toute confidentialité. Grâce à l'action de l'équipe éducative, une prise en charge peut sauver une scolarité. Notre qualification nous permet de comprendre certaines difficultés révélées par le manque de sommeil ou des maux de ventre ou de tête. Nous savons qu'un adolescent ne verbalise pas d'emblée ses difficultés.
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. - La transgression d'un interdit vous semble-t-elle fondamentale dans la prise de cannabis ? Pensez-vous que l'intervention de la police et de la gendarmerie en milieu scolaire soit bénéfique ? Comment est-elle ressentie par le personnel infirmier et scolaire ? Établissez-vous une « hiérarchie » entre les vendeurs, les consommateurs irréguliers et les usagers habituels de produits illicites ?
Mme Véronique Roblin. - Les jeunes d'aujourd'hui appartiennent à la seconde génération de consommateurs. Parce qu'ils suivent les traces de leurs parents, ils n'ont pas le sentiment de commettre une transgression et ne se cachent pas pour consommer de la drogue. Ils nous en parlent d'autant plus facilement que nous sommes soumis au secret professionnel, mais ils peuvent aussi se confier aux surveillants.
La marge s'est considérablement réduite entre le bien et le mal, le légal et l'illégal. Il en va de même pour l'alcool et le tabac : pourquoi se restreindre quand les parents consomment eux aussi ? En termes de droit comme de santé publique, il n'est pas facile de faire passer un message de prévention.
M. Christian Allemand. - La connaissance de l'interdit existe, tant dans la famille que chez l'enfant. Mais la prise de risque - on le voit dans le refus des motocyclistes de porter un casque - est inhérente à la construction de l'adolescent, tout comme le désir d'appartenir à un groupe. Fumer un « pétard » ou boire une cannette de bière permet de partager quelque chose avec d'autres. Si, au cours du soin, l'infirmier doit rappeler la notion d'interdit, sa formation lui permet d'analyser le ressort de la consommation occasionnelle, stimulée par le désir d'appartenance à un groupe. Il faut distinguer les deux problèmes pour proposer deux éléments de suivi et de prise en charge.
Dès lors, on mesure l'importance d'une collaboration. Quelles que soient les parties en présence, les partenariats imposés de l'extérieur sont le plus souvent des coups d'épée dans l'eau. Dans le collège où je travaille, au sein du pays de Sault, près du Mont Ventoux, un partenariat s'est organisé avec la gendarmerie qui jouxte l'établissement. S'il fonctionne, c'est parce qu'il procède d'un désir de collaborer dans un cadre plus vaste que celui de la lutte contre les toxicomanies. La volonté de travailler ensemble est essentielle quand il s'agit non de se donner bonne conscience, mais d'obtenir des résultats.
Hiérarchiser les consommateurs ou les petits trafiquants nous importe moins que d'identifier, dans le parcours d'un élève, le risque qu'il court ou fait courir aux autres. Fondé sur l'écoute, la relation d'aide et l'éducation individuelle à la santé, le soin infirmier suppose patience et disponibilité, car on ne peut jamais prévoir à quel moment l'élève nous sollicitera. Il exige une longue préparation : aucun jeune n'avoue le premier jour qu'il fume deux « pétards » le matin avant d'aller en cours, un à la récréation de dix heures, deux à midi en se cachant, deux en sortant de cours et d'autres, dehors, le soir, en buvant de la bière. C'est pourtant la vie de certains élèves. Face à un tel cas, il existe plusieurs réponses : celle de l'infirmier ne sera pas celle du conseiller principal d'éducation, du chef d'établissement ou de l'enseignant. Dès lors que l'intéressé ne se manifeste pas de lui-même, notre oeil doit être attiré par certains indicateurs qui permettent d'agir au plus tôt.
Mme Béatrice Tajan. - Puisque nous vivons dans une République qui a des lois, il importe que le jeune les connaisse et les respecte. Mais plus que le caractère licite ou illicite d'un produit, l'important est le lien que le jeune entretient avec lui.
Le développement du bien-être et de l'estime de soi est important dans l'établissement scolaire ou la famille. Quand l'infirmier occupe un poste mixte, il peut suivre le jeune de la grande section de maternelle au collège, et établir un lien de confiance avec lui. De ce fait, il est plus attentif aux « clignotants » qui s'allument quand le jeune ne va pas bien - retards, absences, maladies à répétition, chute des résultats -, et il peut travailler avec lui.
M. Christian Allemand l'a souligné : les solutions « parachutées » ne donnent rien, alors qu'une collaboration avec des partenaires locaux ou des relais extérieurs à l'établissement peut donner lieu à des échanges véritables. Parce qu'on parle au personnel soignant sans craindre de sanction, des relais doivent être créés en interne pour que le personnel de santé, les professions sociales et les responsables de la vie scolaire adressent le jeune à l'infirmier. Le travail d'équipe est essentiel. Souvent, c'est à l'occasion d'un petit soin ou de l'expression somatique d'un mal-être qu'on discute avec le jeune, ce qui permet, une fois établi le diagnostic infirmier, de mettre en place un suivi, d'organiser une prise en charge ou des partenariats internes ou externes.
M. Georges Mothron, député. - Quelles évolutions avez-vous remarquées depuis cinq ou quinze ans, notamment en ce qui concerne l'âge des consommateurs et les substances qu'ils absorbent ?
Mme Béatrice Tajan. - Nous vous avons transmis des données chiffrées établies par différents services en matière de consommation d'alcool, de tabac et cannabis.
Mme Béatrice Gaultier. - Notre syndicat regrette que le ministère de l'éducation nationale ait renoncé à analyser les statistiques du « cahier de l'infirmier », qui signale, outre le passage des élèves à l'infirmerie, l'accueil ou le soin qu'ils reçoivent et l'action éducative ou l'orientation qui leur est proposée. Mise en place par une circulaire de 2003, cette source de renseignements serait très utile pour comprendre l'état de santé et le comportement des élèves.
En 2006, nous avons demandé à nos collègues de retourner au syndicat les statistiques anonymes, afin de les analyser et de les diffuser. Nous le ferons de nouveau cette année pour aider le ministère à définir la politique de santé. Les bilans doivent être analysés à différents échelons. En fin d'année, les infirmiers, dont la profession est réglementée, doivent rendre compte de leur travail dans l'établissement lors du conseil d'administration, et leur bilan doit être porté à la connaissance du recteur, puis du ministère. Nous vous transmettrons l'analyse que nous avions menée en 2006.
M. Christian Allemand. - Même si la conduite addictive dépend d'une démarche personnelle, la perception des différents produits évolue dans une société et dans un groupe. Tandis qu'on tolère moins bien l'alcool et le tabac qu'il y a vingt ans, nous sommes à la deuxième ou troisième génération de consommateurs de cannabis, ce qui modifie la norme de tolérance. Désormais, on trouve partout de l'herbe et de la résine de cannabis à un prix réduit et il est quasiment admis d'en fumer en groupe. La polyaddiction et la polyconsommation ont augmenté. Les cahiers de l'infirmier montrent qu'au collège, 63 % des besoins exprimés par les élèves tournent autour de l'écoute et de la relation d'aide. Ce taux n'était pas aussi élevé il y a quelques années. La direction générale de l'enseignement scolaire, qui se réfugie derrière les indicateurs définis en application de la loi organique relative aux lois de finances - temps consacré à la vie associative, nombre de diplômes de secourisme délivrés et quantité de Norlevo distribuée - néglige des indicateurs que recherche le ministère de la santé et qui pourraient être utilisés pour effectuer un suivi de l'école au lycée.
Mme Béatrice Tajan. - Les infirmiers utilisent le logiciel national SAGESSE. Traiter les données que réclame le ministère de la santé serait donc aisé.
Les critères d'évaluation définis en application de la loi organique relative aux lois de finances ne reflètent pas la réalité de notre action. Ils ignorent notamment le travail à long terme, lequel, en augmentant l'autonomie des jeunes, par exemple à l'égard des produits alimentaires, diminuera le coût de la santé.
Le premier lieu d'alcoolisation reste la famille, et c'est la même chose pour le cannabis.
Dès le premier degré, le mal-être a considérablement augmenté. Beaucoup d'enfants vont à l'école en ayant mal au ventre parce qu'on ne prend pas en compte leurs besoins physiologiques ou qu'on ne leur a pas donné envie d'apprendre.
Notre système fondé sur la compétition, le souci d'atteindre des objectifs et les évaluations à répétition ignore leur existence.
Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale. - Il est incroyable que les données informatisées dont vous parlez ne soient pas exploitées. A-t-on si peur de ce qu'on pourrait trouver ? Le mal-être a-t-il des causes sociales ou sociétales ? A-t-il augmenté ? Le stress de l'enfant vient-il de l'école, de la qualité de vie ou de la situation de la famille, parfois monoparentale ou recomposée ? L'équipe éducative est-elle formée pour repérer les jeunes en difficulté ? Faut-il prévoir des mesures spécifiques au niveau des académies ? Faut-il imposer une limite au secret professionnel, notamment pour informer les familles ? À quoi bon identifier un problème si l'on ne peut en parler à personne ?
M. Christian Allemand. - L'informatisation des cahiers de l'infirmier est récente, mais ceux-ci ont toujours existé. Ils retiennent des paramètres suffisamment larges pour qu'on puisse les traiter facilement.
Les informations sur la prise en charge et le soin, dont un infirmier a besoin, sont très différentes de celles qui intéressent un professeur. Il faut donc repenser et actualiser les formations collectives, actuellement inopérantes, afin qu'elles répondent aux besoins spécifiques de chacun. Pour l'heure, elles entretiennent la confusion et peuvent même créer des doublons : quand un professeur joue les assistantes sociales ou les infirmiers, il se trompe. Mieux vaut constituer des équipes dans les établissements. Il importe de favoriser le « travailler ensemble ».
La loi nous impose le secret professionnel mais, même si les limites sont clairement définies, les réponses passent par la formation de tous. Lorsqu'un infirmier perçoit certaines dérives, par exemple dans le domaine sexuel, il doit les signaler. Si l'on travaille ensemble en identifiant les champs de compétence, la prise en charge peut intervenir en amont. Le secret professionnel n'empêche pas la collaboration, à condition que l'action soit non « parachutée » mais accompagnée.
Mme Béatrice Tajan. - Avant même le problème du stress lié à l'école ou aux recompositions familiales, on rencontre celui du manque de communication et de temps pour parler. C'est vrai dans les établissements comme dans les familles. D'ailleurs, écoles et collèges sont des miroirs de la société, de même que les enfants absorbent et restituent tout ce qui se passe au-dehors. Notre rôle est de les aider à exprimer leurs maux avec des mots.
J'identifie moi aussi le besoin de formations collectives, qui existent sous la forme de stages d'établissement. Ceux-ci doivent être bornés pour que chacun comprenne et respecte les compétences des autres : tout le monde n'est pas apte à jouer le rôle d'assistant social. Notre syndicat réfléchit au problème. Notre formation initiale ne nous permet pas de répondre à tous les besoins, et la formation supplémentaire qu'offre le ministère de l'éducation nationale lors du recrutement n'est ni égale sur tout le territoire, ni suffisante. C'est pourquoi nous réclamons une spécialisation des infirmiers scolaires et universitaires grâce à la création d'un master spécifique comprenant des modules communs à d'autres partenaires intervenant dans le champ de la protection de l'enfance et de l'adolescence. Le projet figure dans le dossier que nous vous avons transmis.
Si nous sommes tenus au secret professionnel, nous dépendons du dispositif de l'enfance en danger qui nous impose de renoncer à la confidentialité quand le jeune est en péril. Nous agissons pour la prévention et l'accompagnement dès qu'un jeune reconnaît consommer certains produits. Après avoir évalué sa relation avec ceux-ci, nous faisons tout pour qu'il arrive à en parler au sein de sa famille, mais nous n'intervenons pas à sa place, ce qui ne servirait à rien. Au niveau de l'établissement, nous l'aidons éventuellement à se tourner vers un membre de l'équipe éducative. En somme, nous accompagnons sa prise en charge.
Mme Béatrice Gaultier. - Si l'infirmier a une place privilégiée auprès du jeune, c'est en raison du secret professionnel qui permet la confidence, cette dernière permettant le soin. C'est pourquoi nous tenons à la confidentialité. La situation de l'infirmier est très différente à l'éducation nationale et dans le milieu hospitalier. Il doit savoir appeler l'attention de l'équipe sur la difficulté du jeune sans pour autant trahir ses confidences. Il doit aussi mettre en place un suivi, ce qui exige écoute et disponibilité. S'il veut aider le jeune à résoudre une difficulté, il doit respecter le secret et se montrer attentif. Parfois, le jeune doit parler à ses parents, mais cela ne se produit pas toujours car l'adolescence est un temps d'individuation, et il arrive qu'il se tourne vers ses professeurs. Notre singularité au sein de l'Éducation nationale tient à ce que nous recueillons la parole dans le cadre du soin.
Mme Béatrice Tajan. - Quand nous nous présentons aux élèves, en début d'année, nous annonçons d'emblée que nous sommes soumis au secret professionnel, dont la violation nous exposerait à des sanctions pénales. Ainsi, ils comprennent que notre rôle est bien différent de celui du proviseur ou du conseiller principal d'éducation. Quand nous détectons chez un jeune un mal-être sous-jacent, nous devons le « ferrer », comme un poisson. C'est essentiel pour que nous puissions faire notre travail qui est d'organiser un accompagnement et un suivi. Mais il faut aussi que des structures soient disponibles à l'extérieur, quand le jeune est prêt. Tout est compromis quand on lui annonce qu'il devra attendre trois mois avant d'y être admis.
En poste dans un lycée de 1 300 élèves de la région parisienne, j'ai entrepris, sans succès, d'inviter les responsables d'un centre assez éloigné qui travaille sur l'évaluation de l'addiction. De telles visites se pratiquent dans d'autres régions, où elles donnent des résultats car si l'établissement scolaire ne doit pas devenir un lieu de soin, il est souvent le lieu du premier contact avec la structure de soin.
Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale. - Seriez-vous favorables à la mise en place d'une visite médicale systématique afin de détecter les problèmes physiques et psychiques des adolescents ? Je l'avais proposé dans le cadre de l'examen du projet de loi portant réforme de l'hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires, mais la rédaction définitive ne prévoit qu'une visite facultative.
M. Christian Allemand. - En tant qu'infirmier, il m'est difficile de me prononcer sur la pertinence d'une visite médicale, mais je ne pense pas qu'un jeune exprime ses difficultés quand on le convoque. Dans le premier degré où les enfants sont suivis par les médecins de famille ou le service de protection maternelle et infantile, les visites ne permettent pas de détecter les problèmes liés au mal-être ou à l'évolution de la famille. De même, au collège, ce n'est jamais à la faveur d'une convocation qu'un enfant fait part d'une difficulté.
Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale. - Une visite systématique permettrait du moins de pratiquer un test salivaire.
M. Christian Allemand. - Ce n'est pas une manière appropriée d'appréhender les problèmes d'un individu, surtout si l'on veut les traiter de manière non stigmatisante et mettre en place un accompagnement. Dépister pour dépister, en n'organisant aucun suivi, ne sert à rien ! Mieux vaut essayer de travailler ensemble, croiser les indicateurs, repérer et échanger à l'intérieur de l'établissement, si l'on veut éviter que certains enfants passent à travers les mailles du filet.
Mme Béatrice Tajan. - Notre syndicat plaide lui aussi pour la prévention, dans les conditions que nous avons définies. Selon les départements, des bilans infirmiers sont mis en place, généralement en cours préparatoire. Un bilan médical est effectué à six ans, le plus souvent en grande section de maternelle. L'infirmier revoit les enfants qui en ont besoin au cours du cours préparatoire. Un bilan infirmier est ensuite effectué en CM1, en CM2 ou en classe de sixième. Il permet à l'infirmier, qui connaît les enfants, de les revoir au début de l'adolescence, quand ils changent d'établissement scolaire.
Notre syndicat a beaucoup travaillé sur la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance. Nous avons proposé des bilans de santé réguliers, mais la rédaction définitive prévoit des bilans médicaux qui ne sont donc pas effectués par les infirmiers. Du fait de la pénurie de médecins scolaires, ces bilans seront assurés par les médecins de famille. C'est dommage car, compte tenu des relations que ceux-ci entretiennent avec les parents, ils passent parfois sous silence certaines situations, comme la maltraitance.
Si nous sommes tout à fait opposés à des tests salivaires, nous considérons que des bilans réguliers aident à maintenir le lien et la confiance indispensables si le jeune veut un jour parler de son mal-être. C'est à titre, je le rappelle, que nous demandons une définition nationale des postes mixtes, avec un partage du temps égal entre le collège et les écoles de rattachement.
M. Christian Allemand. - Vous avez compris ce que nous pensons d'une présence intermittente des infirmiers dans les collèges, position partagée par 64 % de nos collèges, qui ont voté pour nous.
Par ailleurs, il ressort de la consultation d'une vingtaine de collèges de l'académie d'Aix-Marseille représentatifs de différents types d'établissements que, là où il travaille, l'infirmier a la capacité d'identifier des besoins ciblés, ce qui paraît plus efficace qu'une action systématique.
Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale. - Je regrette que la disparition du service militaire ait entraîné celle d'un suivi sanitaire.
Mme Béatrice Gaultier. - En général, les jeunes qui ont des conduites addictives consultent beaucoup au niveau médical, mais la consultation en elle-même ne résout pas le problème s'il n'y a pas de prise en charge. On ne peut pas faire l'économie d'un suivi éducatif dans les lycées, lequel réclame beaucoup de patience.
Mme Béatrice Tajan. - Le temps de soins dont le jeune a besoin n'a rien à voir avec le temps institutionnel, qui évalue les établissements en fonction du nombre de redoublements ou du taux de réussite aux examens. Quand on remarque une pathologie psychiatrique ou une addiction, il faut souvent attendre un an pour qu'un accompagnement se mette en place. Dans mon établissement, qui est assez important, la direction nous laisse travailler, quitte à accorder aux jeunes un certain « lissage » par rapport à la sanction du conseil de classe, mais ce n'est pas le cas partout.
Je crains que les critères retenus pour évaluer collèges et lycées ne favorisent pas ce type de pratique. Même quand un élève a des possibilités, trois ans, c'est peu pour aller jusqu'au baccalauréat si l'on dérape au cours de la première année.
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale. - Mesdames, monsieur, nous vous remercions.