Mardi 8 mars 2011
- Présidence de M. Serge Lagauche, président -Audition des représentants syndicaux de l'éducation nationale
La mission commune d'information procède à l'audition de :
- Mme Fabienne Bellin, secrétaire nationale du Syndicat national des enseignants du second degré (SNES FSU), en charge des questions de politique scolaire
- M. Christian Chevalier, secrétaire général du Syndicat des enseignants (SE UNSA)
- M. Michel Gonnet, secrétaire général du Syndicat national des personnels d'inspections (SNPI FSU)
- M. Christian Lage, secrétaire général du Syndicat national de l'enseignement technique Action autonome (SNETAA)
- M. Jean-Marie Le Boiteux, secrétaire général du Syndicat national de l'enseignement technique agricole public (SNETAP)
- M. Jean-François Le Borgne, président sortant du Syndicat national des inspecteurs d'académie - Inspecteurs pédagogiques régionaux (SNIA IPR)
- M. Albert Jean Mougin, vice-président du Syndicat national des lycées et collèges (SNALC)
- M. Philippe Péchoux, secrétaire national du Syndicat Educ'Action CGT, Fédération de l'éducation, de la recherche et de la culture (FERC CGT)
- M. Patrick Roumagnac, secrétaire général du Syndicat de l'inspection de l'éducation nationale (SIEN)
- M. Sébastien Sihr, secrétaire général du Syndicat national unitaire des instituteurs professeurs des écoles et Pegc (SNUipp FSU)
- MM. Philippe Tournier, secrétaire général, et Patrick Cambier, secrétaire permanent, Syndicat national des personnels de direction de l'éducation nationale (SNPDEN)
- Mme Corinne Vaillant, secrétaire générale du Syndicat national des médecins scolaires et universitaires (SNMSU UNSA), et Mme Jocelyne Grousset, médecin de l'éducation nationale, membre du bureau national du SNMSU
- Mme Anne-Marie Martin, secrétaire général du Syndicat général de l'éducation nationale (Sgen CFDT).
M. Serge Lagauche, président. - Le Sénat a constitué en décembre 2010 une mission commune d'information relative à l'organisation territoriale du système scolaire et à l'évaluation des expérimentations locales en matière d'éducation. Afin de nourrir sa réflexion, la mission a déjà procédé à 16 auditions de responsables, d'experts et d'acteurs de terrain. Elle s'est rendue dans l'Académie de Créteil, aux Pays-Bas et en Belgique.
A ce stade des investigations, il apparaît aux membres de la mission que la mise en oeuvre collective d'un projet pédagogique partagé au sein de l'établissement est un facteur-clé de la réussite de nos élèves. C'est pourquoi la mission a souhaité réunir aujourd'hui des représentants et des acteurs de la vie des établissements scolaires.
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - Estimez-vous que les expérimentations constituent une méthode pertinente de réforme du système scolaire ?
Mme Fabienne Bellin, secrétaire nationale du Syndicat national des enseignants du second degré (SNES FSU), en charge des questions de politique scolaire. - Nous estimons naturellement que l'expérimentation a toute sa place dans le système éducatif. On ne peut pas défendre que le métier d'enseignant est un métier de concepteur sans approuver l'expérimentation. Néanmoins, l'expérimentation a sa place dans le système éducatif à certaines conditions : elle doit s'inscrire dans des cadres nationaux, strictement définis et transparents, avec une évaluation reposant sur des outils construits en concertation, une réelle initiative, un volontariat des équipes et disposer de moyens spécifiques.
Il peut exister différents types d'expérimentation. Il existe des expérimentations limitées au traitement de difficultés spécifiques. Ainsi, un lycée de Grenoble se préoccupe des élèves en décrochage scolaire. Certaines expérimentations sont organisées à plus grande échelle, dans le cadre de la mise en oeuvre de nouveaux programmes, de nouveaux référentiels ou encore de nouvelles épreuves d'examens.
Nous observons néanmoins que l'expérimentation mise en oeuvre au cours des dernières années au nom de l'autonomie sert le plus souvent à contourner localement ce que la profession a refusé à déréglementer « tous azimuts » en s'affranchissant des règles nationales, dans tous les domaines, et à imposer des dispositifs pour lesquels les chefs d'établissement étaient peut-être volontaires dans un certain nombre de cas mais les conseils d'administration, le plus souvent, n'ont pas pu donner leur avis, ou ont vu leur avis être contourné.
De surcroît, souvent, ces expérimentations n'ont jamais fait l'objet d'une évaluation avant leur extension ou leur modification.
Tout cela conduit à décrédibiliser la notion même d'expérimentation aux yeux des personnels d'enseignement et d'éducation, ce qui nous paraît extrêmement préjudiciable pour les évolutions nécessaires du système éducatif.
M. Christian Chevalier, secrétaire général du Syndicat des enseignants (SE UNSA). - L'UNSA estime que l'expérimentation peut constituer une méthode pertinente de réforme du système scolaire. Nous observons néanmoins malheureusement que tenter des expérimentations et les faire aboutir n'est pas le fort de notre système éducatif. Il n'existe pas de réelle méthodologie dans l'expérimentation. On lance aujourd'hui beaucoup d'expérimentations ici et là et, lorsque le ministre quitte ses fonctions, son successeur ne s'en préoccupe plus.
Réussir une expérimentation nécessite un certain nombre de conditions préalables. L'une des premières conditions est que cette expérimentation doit recueillir l'adhésion de l'équipe qui la mettra en oeuvre. Trop souvent, l'expérimentation est imposée d'en haut : il s'agit là, sans doute, du meilleur moyen de courir à l'échec. L'expérimentation fonctionne uniquement si les équipes pédagogiques et les équipes de direction se l'approprient et entrent de façon volontaire dans le dispositif. Il faut donc disposer d'un cadre et d'un projet d'expérimentation, mais aussi d'un protocole pour mener cette expérimentation. La volonté du terrain est indispensable, bien que le cadre puisse être fixé - et non imposé - au niveau national. Un protocole doit fixer les conditions de cette évaluation, sa durée, les moyens qui y sont consacrés et l'objectif fixé. L'évaluation de l'expérimentation fait toujours défaut : les très nombreuses expérimentations lancées ne sont jamais évaluées. Parfois même, les expérimentations sont généralisées six mois à peine après leur lancement. On se moque du monde ! Nous en voyons aujourd'hui la démonstration avec le dispositif CLAIR (collèges et lycées pour l'ambition, l'innovation et la réussite) qui devait être expérimenté et est d'ores et déjà généralisé, y compris aux écoles du premier degré.
L'expérimentation est, pour l'UNSA, une bonne méthode. En matière éducative, il n'existe pas de méthode idéale. Il existe différents processus, différents territoires et différentes populations : l'on ne peut pas appliquer de façon identique le même schéma partout. L'expérimentation a du sens à condition qu'elle soit une véritable expérimentation, dans le cadre d'un protocole qui s'inscrit dans la durée et est évalué avant sa généralisation.
M. Michel Gonnet, secrétaire général du Syndicat des inspecteurs de l'éducation nationale, affilié à la FSU. - En premier lieu, nous estimons que la façon dont sont posées les questions ne facilite pas notre réponse.
En second lieu, les mots « expérimentation », « autonomie » et « pilotage » sont multiples et peuvent recouvrir à la fois des représentations et des significations différentes.
Nous estimons que les expérimentations constituent une méthode pertinente de réforme du système scolaire, à condition qu'elles ne soient pas uniquement imposées par le haut et qu'elles soient pensées en termes de changement ouvert et non pas simplement comme une forme de gouvernance. L'on peut d'ailleurs regretter que des expérimentations n'aient pas eu lieu préalablement aux réformes mises en oeuvre récemment.
Au niveau d'un établissement, à partir du moment où les expérimentations ne sont pas pilotées par le haut mais par les équipes, ces expérimentations sont autorisées par l'article 34 de la loi d'orientation pour l'avenir de l'école. La mise en place de ces expérimentations nécessite un certain nombre de moyens :
- un temps de concertation rémunéré pour les équipes ;
- des moyens propres affectés à l'expérimentation, garantis sur un temps suffisamment long (au moins trois ans), arrêtés par le recteur ;
- un accompagnement institutionnel ouvert et facilitateur de la part du chef d'établissement et des corps d'inspection ;
- l'apport d'une expertise extérieure telle que celle que peuvent offrir des institutions comme l'IUFM ou l'université. A cet égard, nous observons avec une certaine inquiétude la désintégration actuelle du lien entre les établissements scolaires et les Instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM).
- une plateforme de communication et de valorisation des expérimentations ;
- l'évaluation des expérimentations ;
- un protocole de sortie d'expérimentation défini et connu avant la mise en place du dispositif.
M. Christian Lage, secrétaire général du Syndicat national de l'enseignement technique Action autonome (SNETAA). - Nous représentons la part méconnue du système éducatif, à savoir l'enseignement professionnel.
Les lycées professionnels souffrent d'une image de dévalorisation et d'orientation par l'échec. Pourtant, la voie professionnelle s'est toujours astreinte à la réussite des élèves. S'il y a aujourd'hui des travaux personnels encadrés (TPE) dans les lycées ou un accompagnement individualisé, tout ceci provient de la pédagogie des lycées professionnels. Nous savons parfaitement ce qu'expérimenter signifie, mais ceci ne se décrète pas. Vous sous-entendez, dans votre question, que l'éducation nationale n'est pas réformable. Nous estimons que cela est inexact. Nous venons de subir une rénovation de la voie professionnelle. Cette réforme, initiée il y a deux ans, a mis en place un parcours individualisé pour les jeunes. Or nous nous apercevons aujourd'hui que cette réforme n'est pas applicable car l'autonomie des établissements est remise totalement en cause par la suppression des postes et des moyens. C'est en effet dans l'enseignement professionnel que l'on peut regrouper les classes et les sections le plus aisément pour retrouver des moyens.
Si l'expérimentation est l'orchestration de la déréglementation et de la dérégulation et un moyen pour contourner le statut des personnels, nous ne pouvons pas y être favorables. La question que vous posez signifie que nous serions d'accord avec les experts de l'OCDE qui sous-entendent qu'un système complexe comme celui de la France mériterait que l'on se rapproche du local et de l'autonomie. Cela signifie que nous nous interrogeons pour savoir si la Nation que vous représentez a véritablement une volonté politique de s'intéresser au système éducatif, de le connaître et de se demander ce qui est bon pour nos jeunes.
L'école vit avec des stéréotypes. L'école ne connaîtrait pas l'entreprise. C'est extraordinaire ! Nous formons donc des chômeurs ! Dans la voie professionnelle, il existe dans les programmes d'enseignement général des référentiels d'enseignement professionnel élaborés par des commissions paritaires professionnelles, membres de l'éducation nationale. Les professionnels nous disent par ailleurs que l'école ne connaît pas l'entreprise ! Nous savons tous que cela est faux. Évacuons un certain nombre de stéréotypes et interrogeons nous véritablement sur les besoins des jeunes par rapport à leur situation et à la logique d'insertion professionnelle. Il s'agit d'élever la qualification et de limiter les sorties du système scolaire sans qualification. Expérimenter peut être intéressant si les équipes peuvent expérimenter. Il ne faut pas se tromper sur l'innovation pédagogique et sur l'expérimentation structurelle. Si cette dernière vise à réduire le nombre de fonctionnaires titulaires, vous ne rencontrerez pas notre adhésion. Nous sommes prêts à discuter afin d'avancer sur ces sujets.
M. Jean-Marie Le Boiteux, secrétaire général du Syndicat national de l'enseignement technique agricole public (SNETAP). - On a souvent qualifié l'enseignement agricole comme étant le laboratoire du système scolaire. Nous avons souvent été des précurseurs. En tant qu'enseignement scientifique, nous sommes évidemment conscients que l'expérimentation est nécessaire pour faire évoluer un système. Il ne faut néanmoins pas se tromper de méthode. Expérimenter doit permettre de valider ou non des hypothèses. Il ne s'agit pas de partir d'un postulat ferme, avec la conviction que cela fonctionnera. C'est pourtant ainsi que l'on expérimente aujourd'hui, en particulier dans le domaine agricole. Ainsi, le contrôle en cours de formation (CCF) a été imposé dans le monde agricole en partant du postulat qu'il était pertinent. Il a ainsi fallu attendre plus de 20 ans pour qu'un premier travail d'évaluation soit mené, et le CCF avait entre-temps été généralisé.
Pour le SNETAP, il est possible d'expérimenter, à petite échelle, sur une durée limitée dans le temps. A l'issue de cette expérimentation, il convient de faire évaluer son résultat par une autorité indépendante. Si l'hypothèse initiale s'avère positive, une généralisation peut ensuite être envisagée.
Depuis quelques années, l'expérimentation ne fonctionne pas de la sorte. Ainsi, le Gouvernement est parti du postulat qu'imposer le bac professionnel en trois ans était pertinent et l'a généralisé. L'expérimentation n'a jamais eu lieu dans le monde agricole : le bac professionnel en trois ans a été imposé du jour au lendemain, sans tenir compte des représentants des personnels et des usagers de l'enseignement agricole public.
M. Jean-François Le Borgne, président sortant du Syndicat national des inspecteurs d'académie Inspecteurs pédagogiques régionaux (SNPI IPR). - Notre syndicat est souvent le représentant de ceux qui mettent en oeuvre les expérimentations. Nous sommes en effet au coeur de l'action, parfois volontaires, d'autres fois contraints. Dans certains cas, les expérimentations peuvent apporter des solutions aux problèmes de mise en oeuvre des réformes pédagogiques, à condition - et tel est rarement le cas - qu'elles soient bien expliquées par des pédagogues chevronnés et ouverts à la diversité des approches.
Les expérimentations doivent être systématiquement menées dans divers établissements scolaires, reflétant les réalités d'apprentissage de nos villes et de nos campagnes. En effet, trop souvent, les expérimentations sont le fait de lieux imposés et reconnus comme positifs a priori par l'institution scolaire, ou le fait d'équipes aguerries et toujours volontaires. Le danger est là. Les résultats sont le reflet de ceux qui savaient déjà « faire » avant de commencer - délit d'initié, dirons-nous ! Au moment de passer à la généralisation, presque tous les établissements ne savent pas « faire », car ils sont réputés comme « moyens faibles » ou « incapables ». Dans ces conditions, avant de généraliser, il nous apparaît absolument essentiel de consulter tous les établissements pour les informer des réussites, mais surtout des difficultés et des échecs. Ceci est loin d'être le cas. De trop nombreuses expérimentations ont été menées depuis une vingtaine d'années dans l'éducation nationale, sans que l'on sache ni pourquoi, ni comment, et surtout sans que l'on en tire des conclusions.
Enfin, il faudrait contrôler les expérimentations durant leur mise en oeuvre, sans attendre des bilans où ne subsistent, malheureusement, que les bons éléments. Dans ces conditions, il est évident depuis le mois de novembre 2010 que la dernière expérimentation pour les lycées, à savoir l'accompagnement personnalisé, sera faussée. Il est nécessaire de se montrer plus attentifs au suivi des expérimentations, à la clarification des projets et à une définition meilleure de ce que voudrait bien faire le Gouvernement concernant ces expérimentations. Trop de lycées et collèges en France ne sont pas du tout concernés par ce débat.
Mme Anne-Marie Martin, secrétaire fédérale du Syndicat général de l'éducation nationale (SGEN CFDT). - Je rappelle que SGEN signifie Syndicat général de l'éducation nationale et couvre ainsi également les lycées professionnels, l'enseignement agricole, etc.
Pour expérimenter, il faut que les personnels aient conscience que les changements peuvent apporter du positif. Une méthode qui ne tient pas compte des personnels n'est pas pertinente. Mes collègues ont rappelé que certaines expérimentations sont menées sans ce travail préparatoire nécessaire à la réussite d'une expérience.
Depuis fort longtemps, des établissements expérimentaux fonctionnent, mettent en oeuvre et ont des réussites. Néanmoins, ces réussites ne sont pas capitalisées par l'institution. Ces collèges et lycées rencontrent des difficultés de fonctionnement car on ne se soucie pas d'eux. En outre, en 2002, un Conseil national de l'innovation pour la réussite des élèves, qui avait pour projet d'évaluer les innovations dans les établissements, avait été mis en place. Ce conseil a eu le temps de rédiger un seul rapport avant de disparaître.
Une expérimentation qui a réussi à un endroit n'est pas transposable ailleurs. En effet, une appropriation de cette expérimentation par les équipes du dispositif est impérative.
Une expérimentation suppose un protocole, des objectifs, un calendrier de mise en oeuvre, une évaluation du dispositif, etc. Il convient de se fixer, à l'avance, des critères d'évaluation de la réussite d'une expérimentation.
Ces expérimentations nécessitent une remise en cause de nos collègues. Changer, c'est accepter d'être déstabilisés. De réelles conditions de sécurité sont nécessaires pour que nos collègues se sentent accompagnés. Tel n'est pas le cas aujourd'hui. Nos collègues seraient rassurés de savoir qu'ils coopèrent à un grand projet éducatif. Mais la seule volonté de notre ministère, aujourd'hui, est de supprimer des postes. La réforme devait permettre de récupérer des moyens pour l'innovation. Or ces moyens sont confisqués : on demande aux chefs d'établissement de les rendre ! Innover à moyens constants est déjà difficile. Demander aux établissements d'innover sans moyens, c'est placer la barre très haut.
Il existe une grande lassitude des personnels. Certaines expérimentations anciennes (travaux pratiques encadrés (TPE), itinéraires de découverte (IDD)), qui commençaient à convaincre, ont été supprimées. Nous avons le sentiment de travailler pour une institution sans mémoire. Nous ne pouvons pas repartir sans arrêt de zéro. Le rapport Thélot a été enterré sitôt rendu. L'éducation nationale a pour objectif la réussite de tous les élèves. Le baromètre sur le rapport à l'école des enfants du milieu populaire est extrêmement instructif. Nous disposons de tous les éléments nécessaires à l'établissement d'un diagnostic et à l'élaboration d'une politique éducative. Il manque néanmoins une volonté politique forte. Il faut tenir compte des débats, ouvrir les possibilités d'expérimenter dans un cadre permettant une évaluation, avoir un projet, etc.
La formation des maîtres est essentielle pour transformer le système au moment où la génération du baby boom part à la retraite. Cette formation initiale et continue doit être professionnalisante. Enseigner ne relève pas d'un don. C'est un métier qui s'apprend.
M. Albert Jean Mougin, vice-président du Syndicat national des lycées et collèges (SNALC). - J'ouvrirai mon propos sur le thème même de cette organisation territoriale du système éducatif. Nous pourrions nous amuser à réaliser une lecture maligne du questionnaire qui nous est soumis : pour parvenir à une organisation territoriale du système scolaire, il faut trouver certains leviers, parmi lesquels l'expérimentation, l'autonomie des établissements, le pilotage des établissements par leurs chefs et la modification des obligations des enseignants. Telle n'est cependant pas notre lecture. Mon syndicat est farouchement attaché à une tradition nationale de cadrage de l'enseignement et à la volonté de représenter l'ensemble des établissements scolaires et des types de formations, afin de donner aux établissements de tout le territoire national la même possibilité d'enseignement, en fonction des aptitudes de chaque élève.
Nous avons le sentiment, comme d'autres, que nous nous dirigeons aujourd'hui vers un glissement régional, déjà amorcé.
Je reviens à la question de l'expérimentation, présente dans les établissements et dans les préoccupations de l'école. A mon sens, il faut peu d'expérimentation. Nos collègues et les élèves ont besoin de stabilité. L'école, en France, souffre d'un recours permanent et excessif aux changements, qui ne sont jamais évalués.
S'il y a des expérimentations, il n'y a jamais de sanctions de celles-ci par un bilan. L'expérimentation ne doit être entendue que comme un moyen parfaitement encadré de constater l'évolution de certains paramètres préalablement et clairement définis. Or, trop souvent, elle n'est présentée que comme un moyen d'imposer de nouvelles pédagogies, sans véritable évaluation.
Il est essentiel d'assurer une stabilité de l'école, dans laquelle la question que vous posez est subsidiaire. L'expérimentation ne peut exister que dans un cadrage précis, au bénéfice des enseignants et des élèves.
M. Philippe Péchoux, membre du bureau du Syndicat Educ'Action CGT, Fédération de l'éducation, de la recherche et de la culture (FERC CGT). - Je serais tenté de répondre à votre question par une autre question : à quelles conditions l'expérimentation pourrait-elle constituer une méthode de réforme du système scolaire ?
Il est essentiel de partir d'une démarche scientifique. Le protocole d'expérimentation est en effet une démarche nécessaire qui permet de fixer des objectifs, des moyens, des délais, des acteurs (enseignants, parents, élèves, etc.) ... Il est essentiel de donner la parole à l'ensemble des composantes du comité éducatif. Les élus et représentants locaux doivent également être pris en compte. Une fois l'ensemble de ces paramètres fixés, il est possible de lancer une expérimentation qui aura du sens et mobilisera les équipes. Elles sauront vers quoi elles se dirigent et avec quels objectifs.
La question de l'évaluation par l'institution est essentielle. Cette évaluation doit prendre en compte l'ensemble des points de vue, y compris ceux qui ne vont pas dans le sens attendu. Il s'agit de recueillir les réponses possibles et non seulement la réponse possible. Une double évaluation, par l'institution elle-même mais aussi extérieure, universitaire, me semblerait utile. Il est important d'avoir cette double lecture, sans quoi nous risquons un scénario dans lequel la réponse sera déjà dans la question.
M. Patrick Roumagnac, secrétaire général du Syndicat de l'Inspection de l'éducation nationale (SIEN). - En référence à la polysémie évoquée par mon camarade, je me concentrerai sur un aspect particulier de la notion d'expérimentation, à savoir l'expérimentation telle qu'elle est utilisée dans les textes réglementaires relatifs au fonctionnement du système scolaire. L'article 34 de la loi d'orientation et de programme de 2005 sur l'avenir de l'école précise clairement les conditions dans lesquelles un établissement scolaire du premier ou du second degré est en mesure de proposer une expérimentation. Il rattache explicitement cette démarche à la dynamique du projet d'établissement, imposant, de facto, le principe de fixation d'objectifs et d'évaluation des actions mises en place. Cet article précise également que la réalisation de ces expérimentations doit faire l'objet d'un accord préalable des autorités académiques.
La démarche d'expérimentation constitue en elle-même une réforme du système scolaire plutôt qu'un moyen de réformer ce dernier. En effet, c'est dans la prise en compte des caractéristiques particulières d'un établissement que l'expérimentation prend son sens. Il ne nous suffit pas, cependant, de dresser un simple constat des besoins : il convient également d'anticiper soigneusement sur les ressources disponibles. A cet égard, l'engagement des équipes pédagogiques constitue un préalable indispensable à l'entrée dans une démarche expérimentale. De la même manière, la disponibilité et les attentes des usagers doivent être pris en compte. Ajoutons à cela l'indispensable mobilisation des collectivités territoriales. Enfin, nous ne pouvons pas négliger les conditions matérielles, composante incontournable pour la mise en oeuvre raisonnée d'une expérimentation. Il ne faut toutefois par perdre de vue que le droit à l'expérimentation ne constitue qu'un des aspects de cet article 34, lequel est prioritairement centré sur le rôle du projet d'établissement. C'est donc bien ce dernier qui apparaît comme un puissant organisateur du système scolaire, puisqu'il concerne tous les établissements, du premier et du second degré, que ceux-ci fonctionnent en réseau ou de manière autonome. Les inspecteurs, à quelque niveau qu'ils interviennent, s'attachent à aider les équipes dans l'élaboration et le suivi des projets d'établissement. A rebours d'une représentation plus souvent affirmée de manière dogmatique qu'étayée par des observations fiables, les inspecteurs s'efforcent de faire émerger ces initiatives locales et les accompagnent en recentrant systématiquement les acteurs impliqués vers l'analyse objective des résultats obtenus par les élèves. Il doit cependant rester clair que les seules données quantitatives immédiates ne peuvent suffire à rendre compte de l'impact d'un projet, lequel nécessite simultanément une analyse qualitative qui n'a de sens que si elle est partagée. Cette dernière remarque démontre à quel point il serait difficile, voire illusoire, d'envisager la généralisation d'une expérimentation sur la seule base de son apparente efficacité sur un territoire donné. Le recueil de bonnes pratiques fait partie du quotidien des inspecteurs et de nombreuses pistes d'évolution ont pu être dégagées sur ces bases. Reste à constater que ces pratiques ne sont pas bonnes par nature, mais grâce à l'engagement d'équipes pédagogiques qui savent les adapter au contexte particulier dans lequel elles se trouvent. Imposer une méthode, une pratique ou une organisation entraîne inévitablement des résistances, voire des oppositions. Cette démarche serait totalement incompatible avec la dynamique même des expérimentations, qui constituent un mode de fonctionnement susceptible de contribuer efficacement à la mobilisation des acteurs et donc, in fine, à l'amélioration des résultats des élèves, pourvu que soient réellement exploitées les perspectives offertes par l'article 34 de la loi d'orientation de 2005.
M. Pierre Garnier, secrétaire national du Syndicat national unitaire des instituteurs professeurs des écoles et professeurs d'enseignement général de collèges (SNUipp FSU). - J'apporterai un éclairage « premier degré » sur cette question.
Se poser la question telle que vous l'avez formulée, c'est s'interroger sur la capacité de notre système scolaire à se réformer pour faire progresser les élèves, notamment ceux qui en ont le plus besoin et qui restent « au bord de la route ». Les enquêtes PISA (programme international pour le suivi des acquis des élèves) sorties récemment témoignent de l'importance de ce besoin. Le SNUipp est partisan de réelles transformations de notre système. Néanmoins, réformer concrètement et durablement, c'est avant tout s'en donner les moyens budgétaires et professionnels, avec des objectifs éducatifs partagés : il s'agit bien de faire réussir tous les élèves. Dans cette logique, nous pensons que les expérimentations peuvent effectivement constituer une voie pour « faire mieux l'école ». Les enseignants et praticiens de terrain doivent en percevoir le sens, les perspectives et les changements possibles. Pour se placer dans une telle dynamique, en premier lieu, le contexte politique doit offrir un terreau favorable aux transformations. Il est impossible de faire descendre sur le terrain de nouvelles organisations, pratiques et formes de travail, si les enseignants eux-mêmes ne sont pas associés et convaincus du bien-fondé des évolutions souhaitées. Cela ne peut donc avoir lieu dans un contexte de suppressions massives de postes et de remise en cause du métier d'enseignant tel que celui que nous connaissons actuellement, comme nous le constatons avec la réforme calamiteuse de la formation des maîtres.
L'expérimentation ne peut servir de paravent à une politique éducative qui privilégierait l'immobilisme et le préférerait à l'imagination. A chaque problème, rien ne change sur le fond et rien ne s'améliore pour les élèves. A ce titre, nous regrettons que beaucoup d'expérimentations menées ici et là aient été rapidement remisées au placard. Tel a été le cas des expérimentations sur les nouvelles organisations pédagogiques entre 2001 et 2003, qui ont vu des maîtres surnuméraires travailler en école maternelle et en école primaire : nous avions pourtant constaté que ces expérimentations ouvraient de multiples pistes de prise en charge des élèves, de travail enseignant, de décloisonnement, d'organisation de l'activité éducative, etc. Nous regrettons que ces expérimentations aient été vite classées sans suite. Ces exemples démontrent que trop d'expérimentations sans bilan ou trop de mauvaises expérimentations tuent l'expérimentation et donc la possibilité de réforme du système.
Quelles sont les conditions pour que les expérimentations permises par l'article 34 de la loi de 2005 portent leurs fruits ?
Il faut tout d'abord que les objectifs soient clairs, lisibles et partagés. Ils ne doivent pas être prétextes à récupérer des postes ou à déréglementer les fonctionnements. Nous ne voulons pas non plus, pour le premier degré, de recrutement des enseignants par les directeurs d'école.
Ces expérimentations doivent en outre être préparées avec les acteurs de terrain.
Par ailleurs, elles doivent bénéficier d'un accompagnement institutionnel et de moyens, par arrêté du recteur, inscrits au budget opérationnel de programme, mais aussi de moyens en temps, afin que les équipes puissent s'en emparer.
Ces expérimentations doivent faire l'objet d'un suivi de la recherche. L'Institut national de recherche pédagogique (INRP) aurait pu jouer un rôle moteur sur cette question. Elles doivent également faire l'objet d'une évaluation sérieuse et concertée.
Enfin, il doit être possible, pour les équipes, de sortir du dispositif.
M. Philippe Tournier, secrétaire général, Syndicat national des personnels de direction de l'éducation nationale (SNPDEN). - Votre question fait partie de celles auxquelles l'on ne peut que répondre « oui ». Je ne manquerai donc pas de répondre de la sorte à cette question. Je souhaite néanmoins interroger les mots. Ce qu'on appelle couramment l'expérimentation devrait plutôt être intitulé de la préfiguration ou de la communication. En effet, un cycle d'expérimentations recouvre une année n-1, deux années de mise en oeuvre et une année d'évaluation, soit un ensemble minimal de quatre ans. Or, depuis 20 ans, la durée moyenne de vie d'un ministre, est d'un an et neuf mois. Le hiatus entre ces deux temps explique pourquoi les expérimentations sont rarement poursuivies jusqu'à leur terme. Sur les dix dernières années, je ne connais qu'une expérimentation pour laquelle l'ensemble du cycle a été respecté.
Ces expérimentations, telles qu'elles sont conçues, entrent dans un cadre organisationnel dans lequel les « lumières » sont en haut : l'exercice consiste ainsi à charger quelques esprits éclairés de forcer les autres à suivre les nouvelles consignes.
L'article 34 de la loi de 2005 s'inscrivait dans une tout autre logique : les expérimentations y étaient définies comme des expériences conduites là où se trouvent les élèves, c'est-à-dire dans les établissements scolaires. Ces expérimentations peuvent être conduites à condition que l'on assure la sécurité des usagers et des établissements. Aujourd'hui, les académies, qui n'arrivent pas à tenir leur budget, prennent des moyens sur ceux pourtant garantis aux établissements par des arrêtés. Il faut en outre que ces expérimentations soient menées en lien avec la recherche. Le Haut Conseil de l'évaluation de l'école (HCéé), que nous regrettons, avait de nombreuses fois insisté sur ce point dans ses différents avis. Enfin, ces expérimentations doivent s'appuyer sur des mécanismes de diffusion des bonnes pratiques qui ne se limitent pas à de la propagande.
Mme Corinne Vaillant, secrétaire générale du Syndicat national des médecins scolaires et universitaires (SNMSU UNSA). - Je ne reprendrai pas les généralités évoquées par mes collègues, que je partage totalement, sur l'importance de la méthodologie de l'expérimentation, qui suppose une hypothèse, un consensus autour de cette hypothèse, la recherche d'expériences positives, l'évaluation et, si l'hypothèse n'est pas confirmée, la reconnaissance de l'échec de cette expérience, qui n'empêche pas de formuler de nouvelles hypothèses. Il importe d'être capable de rebondir et d'admettre que, lorsqu'on expérimente, avant de généraliser, il convient de bien identifier les conditions nécessaires pour cela.
Dans le cadre de l'analyse de ces expérimentations, et dans un objectif d'observation des leviers d'évolution du système, je souhaite évoquer des expérimentations menées dans le cadre de l'éducation nationale et des collectivités territoriales qui ont fait leurs preuves et ont été validées, bien souvent parce qu'elles étaient portées par les équipes et parfois initiées à haut niveau.
Je pense notamment aux expérimentations concernant les enfants en situation de handicap, en articulation avec les collectivités territoriales et les conseils généraux. Le Sénat mène actuellement une réflexion sur la mise en place d'une loi pour améliorer le fonctionnement des Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). Il sera très important que le Sénat puisse également entendre sur ce sujet l'éducation nationale, dont les médecins sont très impliqués dans le fonctionnement des MDPH. Cette organisation est cependant relativement confuse, tant pour l'éducation nationale que pour les conseils généraux.
Les expérimentations concernant l'éducation à la santé, menée par l'éducation nationale en partenariat avec les conseils généraux, les communes, voire les régions, et les professionnels de santé ont également été très pertinentes.
De nombreuses réflexions portent aujourd'hui sur la sexualité, les problématiques de grossesses non désirées, etc. L'éducation nationale a un rôle fondamental à jouer dans l'éducation à la santé. Ce levier devra être travaillé.
Enfin, des bilans de santé sont imposés par la loi à 6, 9, 12 et 15 ans. Tous ne sont pas mis en place, faute de moyens. Il n'y a pas d'expérimentation sur ce sujet. En revanche, nous avons un certain recul sur l'examen réalisé à l'âge de 6 ans. Il serait intéressant d'évaluer la pratique professionnelle qui articule collectivités territoriales et éducation nationale dans les projets menés par les médecins et les infirmières au niveau du bilan de santé des 4-6 ans.
Sur la protection de l'enfance, enfin, il conviendrait d'articuler de façon plus poussée les travaux qui ont été menés.
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation.
Le principe de l'expérimentation est inscrit dans la Constitution française. La condition de mise en place et de réussite de l'expérimentation est qu'elle soit partagée par l'équipe qui la mènera. Il faut en outre se donner du temps pour pouvoir expérimenter. Enfin, il faut que cette expérimentation soit évaluée.
Il convient d'associer à l'expérimentation tous les partenaires de la communauté éducative. L'expérimentation doit émaner plutôt du contrat passé entre ces partenaires que de la loi ou d'une circulaire.
M. Jean-Marie Le Boiteux. - Nous ne partageons pas l'idée selon laquelle l'expérimentation doive partir d'en bas. Il importe certes qu'elle soit approuvée par ceux qui doivent la mettre en oeuvre. Néanmoins, nous sommes fortement attachés à ce qu'il existe un cadrage national et à ce que l'enseignement, même dans le cadre d'une expérimentation, soit appliqué justement et également sur tout le territoire. Cela n'empêche pas que les acteurs volontaires pour mettre en oeuvre cette expérimentation partagent le projet.
M. Albert Jean Mougin. - Aller trop dans le sens d'une initiative locale nécessaire et permanente souligne le fait que nous manquerions de volonté à l'échelle nationale et donne le sentiment que nous ne savons plus conduire cette école et nous en remettons, alors, au terrain. Il est certes essentiel de laisser la liberté aux praticiens de faire au mieux, mais dans l'application des programmes et du cadrage qui expriment une volonté nationale.
On a inventé, il y a un peu plus de deux siècles, le découpage territorial, car l'on avait la conviction qu'il existait une unité. Cette unité doit provenir d'en haut. Il s'agit, à notre sens, d'un enjeu très fort.
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - Comment concilier l'autonomie souhaitée des établissements et le renforcement constaté des rectorats ?
Mme Anne-Marie Martin. - Le SGEN revendique l'autonomie des établissements. Néanmoins, l'autonomie n'est pas l'indépendance.
Pour le SGEN, on ne parle pas de chef ou de sous-chef, mais d'une équipe de direction.
Un cadrage national est certes nécessaire, mais sur des objectifs clairs et partagés. La lettre de mission est adressée au chef d'établissement et n'est pas publique. Il existe en outre des contrats d'objectifs et un projet d'établissement. Cet empilement risque de nuire.
L'autonomie de l'établissement n'est pas non plus l'autonomie du chef d'établissement. Le projet doit être élaboré au sein du conseil pédagogique, instance qui doit vivre de façon démocratique. Il faut créer des conditions pour que les personnels et toute la communauté éducative se sentent parties prenantes de la vie de l'établissement. Il est plus intéressant de construire ensemble que de subir. Nous souhaitons la création d'un Conseil de la vie collégienne afin que les élèves disposent d'espaces de parole et de propositions et qu'il existe dans les établissements un fonctionnement démocratique dans lequel chacun aurait sa place et se sentirait reconnu. Il ne faudrait pas que le chef d'établissement se retrouve dans une situation impossible d'injonctions paradoxales entre mener son projet d'établissement et supprimer les moyens qui permettraient cette réussite. Il existe, à notre sens, une pression très forte sur le chef d'établissement.
M. Jean-François Le Borgne. - Nous sommes favorables à une autonomie de mise en oeuvre avec des moyens locaux, des personnels adéquats, etc., mais à condition qu'il existe un contrôle du respect des programmes et des démarches pour avancer avec des résultats intangibles au point de vue national. Il faut conserver cela en tête, car votre question supposait une autonomie locale face à des rectorats eux aussi locaux.
L'autonomie suppose un projet conforme à une charte ou à un objectif national de réussite des élèves plutôt qu'à une grille froide d'indicateurs. Nous avons été très longtemps guidés vers l'autonomie à la suite de la mise en place de la LOLF (loi organique relative aux lois de finances). Ses indicateurs ne permettent pas véritablement d'assurer l'autonomie. Ils rappellent très fortement l'Union soviétique et la mise en place d'indicateurs non pertinents, tels que la production de 7 millions de paires de chaussures, uniquement de pied gauche. Nous ne voulons pas de l'autonomie dans ces conditions.
Les chefs d'établissement sont à même de réaliser ces projets de réussite à condition toutefois d'être formés dans le même état d'esprit. Le rectorat ne doit pas être seulement un organe de contrôle a posteriori, mais un outil d'induction et de mise en conformité. L'échelle locale est insuffisante pour comprendre ces choix individuels et les établissements liés de fait par une politique nationale conjuguée à l'échelle régionale. Il existe un débat sur l'autonomie face à la région, cette dernière s'inscrivant plus ou moins dans la politique nationale. En effet, les crédits accordés par la région peuvent modifier considérablement l'exercice des pratiques professionnelles.
La région et les rectorats permettent cette nécessaire économie d'échelle mais un regard distant sur l'école, ce qui conduit à un manque de cohérence et à des rivalités non légitimes. Il semble qu'un échelon intermédiaire a été oublié : l'échelon régional est certes un élément pertinent, mais à condition qu'il existe un regard national sur les pratiques, les moyens, etc. Les récentes suppressions de postes ne permettent plus d'assurer la cohésion de l'enseignement au niveau régional.
M. Jean-Marie Le Boiteux. - Il nous a semblé difficile de déterminer comment répondre à votre question. Il faut en effet savoir de quelle autonomie nous parlons.
Si nous parlons d'autonomie pédagogique, dans le cadre de moyens alloués pour que l'établissement puisse mettre en oeuvre un enseignement adapté à son contexte, nous répondons favorablement à votre question. Prenons l'exemple du bac S dans l'enseignement agricole. Le module Environnement, agronomie, territoire et citoyenneté (EATC) représentait une vraie autonomie pédagogique. Les moyens étaient alloués et ciblés par discipline. Il revenait à l'établissement de déterminer quel support local utiliser sur le terrain. Or, aujourd'hui, l'autonomie est guidée par la consigne d'utiliser les moyens alloués et de ne pas les dépasser. L'établissement choisit aujourd'hui quelles disciplines peuvent entrer dans ce cadre.
Nous sommes véritablement opposés à l'autonomie administrative et financière des établissements. Comme l'a rappelé ma collègue du SGEN, il ne faut pas confondre autonomie et indépendance. Alors qu'on diminue les moyens alloués aux établissements en leur demandant de se débrouiller avec les moyens dont ils disposent, en termes d'organisation administrative, les chefs d'établissement font le choix de ce qu'ils doivent « sabrer », des diminutions d'horaires, etc. Il existe, dans l'enseignement agricole, outre la mission d'enseignement, cinq autres missions, que nous n'avons pas les moyens de mener à bien. Les chefs d'établissement deviennent de véritables chefs d'entreprise, qui doivent rechercher des financements pour mettre en oeuvre leurs missions. Nous constatons une explosion de la précarité car le nombre de personnels recrutés sur les budgets de l'établissement explose lui aussi du fait du décalage entre les moyens alloués et les missions assignées à l'enseignement agricole public.
M. Christian Lage. - L'autonomie existe : nous l'avons rencontrée en 1985 sur les Etablissements publics locaux d'enseignement (EPLE). Il existe une tendance à entasser les choses plutôt qu'à les faire vivre. Nous en sommes aujourd'hui à la 35e réforme de l'éducation nationale depuis 70 ans.
La première question que nous nous posons est la suivante : de quelle autonomie parlons-nous ? S'agit-il de l'autonomie du chef d'établissement ou de l'autonomie de la communauté éducative ? Le débat n'est pas le même. Qui fait le choix de « sabrer » telle ou telle section ? Je vous informe que chaque établissement est supposé avoir un projet d'établissement. Qui l'a écrit ? Qui l'a fait évoluer ? Qui est partie prenante de ce projet ? Souvent, je peux vous le dire d'expérience, ce projet d'établissement a été élaboré sur un coin de table, car il fallait rendre une copie. Or nous sommes aujourd'hui dans une logique qui lie chaque établissement au rectorat par un contrat d'objectifs, qui n'est pas connu dans les établissements car il est inscrit dans la lettre de mission du chef d'établissement qui lui-même rédige la lettre de mission de ses deux adjoints. Quel est le contrat d'objectif qui lie le rectorat et la centrale ? Le rectorat discute en effet de ses moyens par contrat d'objectifs avec le ministère. Le rectorat reçoit des moyens globaux à mettre en oeuvre par rapport à tous les ordres de l'enseignement. C'est ainsi que nous nous sommes aperçus, au détour d'un rapport d'une députée, qu'une partie des moyens de l'enseignement professionnel était redirigée ailleurs : on déshabille Paul pour habiller Pierre ! Cette autonomie nous inquiète fortement car nous sommes favorables au maintien d'un cadre national, avec des règles nationales, qui respectent les statuts de tous les personnels.
Les chefs d'établissements préviennent le tribunal administratif si les programmes ne sont pas respectés car ce sont eux qui reçoivent les dotations globales en horaires bien qu'ils n'aient aucun pouvoir sur cette dotation qui leur est accordée par le rectorat. On nous dit partout que les heures ne sont pas abondées. Qui est responsable ? L'un des maillons du système est certainement responsable, mais les moyens nécessaires ne lui sont pas octroyés. Attention ! L'enseignement professionnel se trouve déjà sous une double tutelle de la région et de l'État. Cela ne fonctionne pas : nous assistons au jeu extraordinaire de la patate chaude que la région renvoie à l'État et réciproquement. Savez-vous que l'on ouvre aujourd'hui une section sans en informer la région ? Il conviendrait de mettre fin à ce type de pratiques. A chaque fois, ce sont les personnels de l'éducation nationale que l'on prend en otages.
L'autonomie pose la question de la responsabilité. Qui est bon ? Qui n'est pas bon ? Comment cela est-il évalué ? Au mérite ? Subjectivement ? Je peux définir vos mérites : ils sont à l'aulne de ceux qui vous réélisent ou pas. Le mérite d'un enseignant se définit-il au non-redoublement de ses élèves ? Il me suffit pour cela de disposer d'un tampon et de tamponner chaque bulletin du mot « Reçu » ! Est-ce notre objectif ?
La pire des publicités qui nous est faite est le classement des lycées chaque année par la presse. Ce classement met en effet les établissements en concurrence les uns par rapport aux autres. Les personnels en souffrent.
La rénovation que j'ai évoquée précédemment a prévu une certaine part d'autonomie. Nous avons souhaité qu'elle soit cadrée. 13,5 % des horaires doivent être définis par les établissements scolaires. Or aujourd'hui, aucun établissement scolaire n'en a les moyens. Il ne s'agit pas de nous faire dire que tout est question de moyens. La véritable question est de définir quels sont les besoins des établissements. Or on ne pose pas cette question. Les régions sont en train de refaçonner, dans leur contrat régional, le plan pour les formations, d'ici à juin 2011. Qui a été associé à ces travaux ? Quelle carte des formations prévoit-on ? Les rectorats, les établissements, ont-ils été associés à ces travaux pour déterminer les fermetures et ouvertures de section ? Sur quels critères ?
L'autonomie des établissements ne peut s'envisager que si une modification réelle advient, c'est-à-dire si les personnels de la communauté éducative sont tous parties prenantes du même jeu en fonction de règles clairement définies.
M. Michel Gonnet. - Vous demandez si une autonomie est souhaitable. Dans quel domaine ? Il existe déjà une certaine forme d'autonomie dans les établissements, permise par la loi de 2005 et complétée par le décret de 2010. Ainsi l'autonomie peut actuellement toucher aussi bien l'organisation de l'établissement dans ses structures pédagogiques, le nombre de classes, les soutiens, l'organisation du temps scolaire, etc.
Depuis 2007, l'exercice de l'autonomie pédagogique est largement conditionné par la réduction des moyens des établissements. L'autonomie est actuellement surtout utilisée comme variable d'ajustement à la réduction de moyens alors qu'elle devrait être la possibilité d'inventer, d'explorer, voire de déroger aux us et coutumes scolaires afin d'y apporter de l'efficacité, c'est-à-dire un enseignement efficace qui permette véritablement aux élèves les plus démunis de progresser. Pour sa part, le syndicat des personnels d'inspection est attaché à ce que l'autonomie s'exerce dans un cadrage national fort, en respectant le principe de l'équité de traitement quant à la répartition des moyens attribués. A cet égard, nous notons que les collectivités interviennent pour une part importante et grandissante dans le financement de certains projets, parfois sans se soucier même de la validation par les services compétents de l'État. A notre connaissance, hormis le rapport PISA, il n'existe pas de recherches universitaires démontrant une corrélation entre l'autonomie et son effet sur l'établissement.
S'agissant du renforcement du rôle des recteurs, l'existence de contrats d'objectifs et de lettres de missions adressés aux chefs d'établissement conduit peu à peu à développer la contractualisation entre individus, ce qui exonère totalement les responsables politiques au plus haut niveau : tout repose sur l'agent qui a contracté, en fonction des moyens qui lui sont donnés, dans le cadres de contrats d'objectifs de réussite pourtant bien supérieurs aux moyens qui lui sont octroyés. Il convient de dénoncer ce piège de l'autonomie. Le syndicat des inspecteurs de l'éducation nationale déplore cette dérive vers une relation privilégiant les valeurs comptables et économiques en matière d'éducation. L'intelligence, la culture, l'instruction et l'éducation ne pourront jamais se résumer à des indicateurs comptables.
M. Christian Chevalier. - La question de l'autonomie est évidemment importante. L'autonomie qui conduirait à un « caractère propre » des établissements et les mettrait en concurrence, très clairement, n'est pas acceptable. Elle ne peut pas être une conception de l'école de la République, qui n'est pas l'école de la concurrence entre les établissements, mais l'école de l'harmonie entre les établissements. L'autonomie qui conduit à une offre éducative adaptée aux territoires et aux populations qui vivent sur ces territoires a du sens. Les établissements ne se ressemblent pas. Ils sont très différents. Il faut donc apporter des réponses différenciées en termes d'offre éducative fournie aux élèves, dans un cadre national fort, avec cette part d'autonomie - y compris en termes de moyens - laissée aux établissements pour répondre de façon adaptée à des situations locales particulières. On ne traitera pas, dans le cadre du projet pédagogique, la situation dans un établissement sensible de la banlieue parisienne comme on la traitera dans un établissement d'une banlieue plus aisée ou en milieu rural.
Nous sommes prêts à travailler sur cette question de l'autonomie, qui doit être encadrée avec pour objectif commun la réussite du plus grand nombre des élèves. Je vous renvoie à la dernière enquête PISA, dont je m'étonne que personne ne se soit saisi au plan politique pour se poser les questions qui s'imposent. Les inégalités scolaires sont parallèles aux inégalités sociales, et s'accroissent. Ce constat est passé inaperçu, sans que l'on se soit saisi de cette question au plus haut niveau de l'État et au niveau du ministère de l'éducation nationale. Je suis relativement inquiet. Cette enquête avait pointé du doigt certaines des difficultés rencontrées par l'Allemagne qui, elle, a su redresser la barre et mettre en oeuvre un certain nombre de dispositifs, notamment budgétaires. L'enquête PISA a représenté, pour l'Allemagne, un véritable électrochoc. Ses constats auraient dû avoir le même effet sur les orientations politiques françaises. Nous devrons apporter des réponses adaptées à cette problématique.
S'agissant du renforcement des rectorats, le poids de la régionalisation est incontestable. Ce n'est pas forcément un mal en soi. Néanmoins, nous craignons que le renforcement des rectorats conduise à une sorte d'autonomie, voire à des recteurs s'estimant libres de tout engagement national : nous verrions alors apparaître des « potentats locaux », dans lesquels les recteurs pourraient s'asseoir sur la réglementation nationale et agir comme bon leur semblerait. Il s'agit là de la limite de l'autonomie et de ce type de fonctionnement : le cadre de l'État doit être présent alors que nous observons une sorte de délitement et que le cadrage national tend à disparaître au profit, parfois, de lubies rectorales inquiétantes.
Mme Fabienne Bellin. - Votre question demande elle-même à être interrogée. L'autonomie peut avoir des sens absolument différents. Elle peut renvoyer, par exemple, à la possibilité pour les équipes pédagogiques, de construire des initiatives : cette autonomie est tout à fait souhaitée par les équipes. Elle peut cependant aussi être comprise comme une perversion de l'autonomie des équipes et renvoyer à une logique administrative au service du désengagement de l'État.
L'autonomie existe depuis 1985 dans un certain cadre. L'établissement dispose aujourd'hui, de par la loi, d'une certaine autonomie détenue par son conseil d'administration, le chef d'établissement représentant l'exécutif. Renforcer l'autonomie, c'est renforcer, d'une certaine façon, le champ d'action du conseil d'administration. Pour autant, dans cette loi, l'État a conservé des prérogatives importantes, dont certaines sont exercées par le chef d'établissement en tant que représentant de l'État. Renforcer l'autonomie dans ce domaine revient à renforcer le pouvoir du chef d'établissement et non celui des professeurs.
Si le pouvoir du chef d'établissement est renforcé, à notre sens, le conseil pédagogique n'est pas qualifié pour être un appui pour cette fonction car ses membres sont désignés par le chef d'établissement lui-même. Ceux qui prônent aujourd'hui le développement de l'autonomie des établissements le font sur la base de l'idée que la concurrence serait la clé pour résoudre les problèmes de l'éducation et rendre les établissements plus performants, en mettant en cause deux principes essentiels de la loi de 2005, à savoir le fonctionnement démocratique de l'établissement, avec le conseil d'administration, et la limitation du champ de l'autonomie à des domaines qui ne remettent pas en cause le principe d'égalité (les horaires, les contenus, etc.).
Une autonomie qui augmenterait la concurrence entre les établissements n'est pas souhaitée par la profession. Le Snes n'est pas défavorable à l'autonomie, mais celle-ci doit s'exercer dans un cadre bien défini, avec un respect des règles nationales, tant en ce qui concerne les statuts des personnels que les programmes, etc. Sans ces garde-fous, l'ensemble du système scolaire serait menacé.
M. Albert Jean Mougin. - Nous observons avec intérêt que les discours ont évolué au cours de l'histoire récente sur cette question de l'autonomie. Il fut, en effet, un temps où l'État menait une autonomisation ardente et exigeante.
Notre inquiétude majeure est l'émergence ou le renforcement d'inégalités par un procédé mal choisi et mal conduit d'autonomie des établissements. Je ne reviendrai pas sur les différents types d'autonomie souhaités. Je rappellerai simplement qu'il importe que l'on laisse au mieux les praticiens de l'éducation exercer leur métier sans carcans excessifs, y compris dans la gestion de leur établissement. Perdre le lien entre un schéma d'ensemble, qui doit relever du national, et la réalité du terrain est d'autant plus grave que nous sommes aujourd'hui dans un moment de l'histoire où les territoires se font. J'estime singulier que ce terme de « territoires » apparaisse en lieu et place du terme « régions ». Je vous renvoie, à ce sujet, à l'excellent essai intitulé « Les territoires perdus de la République » : on ne peut plus, aujourd'hui, rendre les mêmes services sur tous les territoires à la population. Nous devons tâcher de définir un système qui permette de donner les mêmes droits et avantages (enseignement, santé, sécurité, etc.) à l'ensemble de nos concitoyens.
L'autonomie est-elle réellement souhaitée ? Le renforcement des rectorats est-il blâmable ? Il existe un jeu de balancier entre un retour au central et une nécessité d'harmoniser les pratiques de plus en plus apparente. Nous appelons tous, aujourd'hui, à un cadrage nouveau.
La gestion ne relève pas des établissements. L'État donne des consignes au recteur, qui lui-même donne des consignes au chef d'établissement. Si nous ne revenons pas à un principe de validation, nous reviendrons à de « petites féodalités » et à l'abandon du droit commun au bénéfice de la contractualisation entre les individus. Il est véritablement important de donner à tous les établissements scolaires les moyens d'un enseignement qui réfléchisse sur ce qu'est notre pays. Cela n'est possible qu'avec un principe fort de régulation nationale.
M. Philippe Péchoux. - On peut difficilement être défavorable à l'autonomie, mais on peut aussi difficilement être favorable à l'autonomie dans les conditions dans lesquelles elle s'instaure aujourd'hui. Si l'autonomie, c'est partir des besoins exprimés au niveau de la proximité, elle aura du sens et répondra aux besoins existants en termes de missions de service public. Comment répondre à l'objectif de la réussite de tous avec des moyens appropriés ? Si les besoins sont exprimés dans le cadre du conseil d'administration, démocratiquement désigné et ayant des objectifs fixés en termes de réussite, l'autonomie prend du sens : elle part d'en bas et monte vers les sommets. Aujourd'hui, pourtant, nous constatons une division des moyens à partir d'en haut : il ne reste plus que des miettes pour l'établissement. L'autonomie, c'est aussi penser le fonctionnement du conseil d'administration des EPLE. La réforme de 2009, qui autorise à une seconde lecture de la dotation horaire globale si elle est rejetée par le conseil d'administration, afin que le chef d'établissement puisse l'imposer, est mauvaise. Pour qu'un conseil d'administration ait du sens, il faut que les parents, personnels, élus, personnalités qualifiées qui y siègent, aient le sentiment que leur vote a du sens. Nous devons nous diriger vers l'autonomie des établissements et non celle des chefs d'établissement. Il conviendra de redonner du sens au projet d'établissement, qui nécessite des moyens spécifiques fléchés. Aujourd'hui, les moyens affectés aux projets d'établissements sont extrêmement faibles et annualisés. Il n'existe plus de visibilité sur leur durée d'affectation. Ils n'augmentent pas aussi rapidement que les effectifs.
L'autonomie demande à être définie. A notre sens, il ne faut pas forcément plus d'autonomie, mais une meilleure autonomie. Si nous devions citer un ouvrage, nous citerions « La Carte et le Territoire » de Michel Houellebecq : je suis favorable à une carte scolaire qui définisse un territoire mieux pensé.
M. Patrick Roumagnac. - Votre question contient à la fois un souhait et un constat.
En quoi l'autonomie des établissements peut-elle être souhaitée ? Elle peut être souhaitée en ce qu'elle doit permettre une plus grande responsabilisation des équipes pédagogiques par rapport à l'amélioration des résultats scolaires. Elle doit également faciliter l'ouverture de l'établissement aux parents, ces derniers apparaissant comme des partenaires incontournables pour la promotion d'une véritable politique de réussite éducative. Cette dynamique, enfin, suppose des échanges renforcés avec les collectivités territoriales impliquées aux différents niveaux du système éducatif.
Le renforcement des capacités décisionnelles des établissements en matière de répartition des ressources et d'organisation des enseignements apparaît donc comme une stratégie tout à fait pertinente, pour autant que tous les acteurs concernés se sentent effectivement engagés dans le projet arrêté collectivement. Or, au-delà des intentions initiales, il existe toujours des contraintes internes ou externes qui constituent autant d'obstacles sur la voie de la mise en oeuvre des orientations. Dans ce contexte, le rectorat et les services académiques déconcentrés doivent constituer des aides ou des ressources pour les équipes s'efforçant de donner corps à un projet. Ce soutien peut se situer aussi bien dans la phase initiale de conception que dans le cadre du suivi des actions mises en place. A chaque étape, l'intérêt des élèves doit constituer le fil rouge du dispositif. Il ne faut pas oublier par ailleurs, dans quelque situation que ce soit, qu'il est de la responsabilité des corps d'inspections de rappeler le cadre institutionnel et les limites qu'il impose nécessairement. Toutefois ces contraintes ne doivent pas devenir des freins aux équipes, lesquelles peuvent toujours être aidées pour trouver une solution permettant une mise en oeuvre sereine et efficace des intentions initiales. Dans ces deux démarches complémentaires, les inspecteurs et les services rectoraux doivent se montrer disponibles et réactifs. Les normes administratives encadrant la gestion du système administratif n'ont d'autre finalité que de garantir la cohésion du système et ne doivent en aucun cas apparaître comme des mesures inutiles qui complexifient la tâche des acteurs de terrain. Or aujourd'hui, ce mode de fonctionnement apparaît plus souvent comme un idéal à atteindre que comme une pratique courante. Malgré cette réserve, ou peut-être à cause d'elle, le renforcement des rectorats apparaît non seulement comme compatible, mais aussi comme indispensable à la mise en oeuvre efficace de l'autonomie des établissements. Pour que cette autonomie soit productive, elle ne doit pas dériver vers un sentiment d'abandon, fréquemment redouté, ou même dénoncé par les enseignants. Chaque représentant de l'institution doit se sentir partie prenante de cette autonomie et doit donc s'impliquer au service des établissements en étant en mesure de finaliser ces actes non dans une logique administrative, mais en les inscrivant dans une chaîne opérationnelle visant à l'amélioration globale des compétences de tous les élèves.
M. Pierre Garnier. - Deux mots dans la question nous laissent à penser qu'il s'agit d'une question typiquement du second degré : établissement et rectorat. Je reviendrai ultérieurement sur le rôle du directeur.
M. Philippe Tournier. - Les EPLE sont autonomes depuis 1985, mais de façon très cadrée. Les textes de 1985 ne sont en réalité pas respectés par les différentes autorités.
Le rôle des rectorats a profondément changé au cours des dix dernières années. Bien que tous les personnels ne s'en rendent pas compte aujourd'hui, les relations entre les établissements et les rectorats sont une source majeure de tension dans l'organisation du système éducatif. Ce débat est longtemps resté assez confiné au sein de l'encadrement. Il témoigne de la très profonde transformation qu'a connue l'organisation du système éducatif depuis une quinzaine d'années. Ainsi, beaucoup de personnels croient vivre dans un système qui n'existe plus.
Je n'emploierai pas le mot « renforcement ». Je parlerai plutôt de « déversement » : nous avons en effet assisté, depuis une quinzaine d'années, à un déversement sur les choix rectoraux de la gestion quotidienne du réel, du concret et du matériel. S'ajoute à cela la « fonte » du pilotage national. Il ne s'agit pas d'un phénomène très récent : ce phénomène plutôt systémique a été engagé il y a une quinzaine d'années et a survécu aux ministres et aux majorités. Il va aujourd'hui en s'amplifiant. Nous avons atteint, cette année, un nouveau stade de ce phénomène : même la question des suppressions de postes est aujourd'hui entièrement sous-traitée par les échelons locaux. Les résultats de PISA révèlent que la France est le pays de l'OCDE où les origines sociales pèsent le plus sur les résultats scolaires des élèves, plus encore qu'au Brésil ! Ce constat est directement lié à la disparition de l'intervention politique dans le champ de l'éducation.
Aujourd'hui, ainsi, nous pouvons affirmer que nous comptons 30 ministères de l'éducation nationale. Nous publierons la semaine prochaine une enquête qui démontre l'ampleur et la profondeur du phénomène. Ainsi, souvent, l'homogénéité des horaires, des programmes et des statuts des personnels cachent cette réalité d'ores et déjà très prégnante.
La question n'est pas de savoir si l'autonomie est bien ou mal. Le problème, aujourd'hui, est que cette autonomie est mise en place sans aucune régulation. La seule forme de régulation est le statut des recteurs, sorte de « préfets des études ». On rappelle souvent que le statut des enseignants date de 1950. Celui des recteurs date de 1854 et n'a pratiquement pas été revu depuis. Cela crée un hiatus entre des logiques contradictoires, à savoir le temps politique court des recteurs (9 mois) et le temps long des établissements qui ont besoin de s'inscrire dans la durée (5, 6, 10 ans). Le contrat d'objectifs avait pour but de réguler ce type de rapports. Nous avions obtenu, ainsi, la signature d'une charte des pratiques de pilotage pour réguler ce type de rapport. Dans les faits, cette charte n'est pas véritablement mise en oeuvre.
Le rectorat a besoin de ne pas être seulement un service déconcentré de l'État, y compris pour que les collectivités territoriales y aient leur place. Nous nous trouvons aujourd'hui dans une véritable paralysie de la République avec les « compétences partagées ». La France a accumulé un retard invraisemblable en matière de technologies numériques dans le domaine scolaire et de déploiement des Espaces numériques de travail (ENT). Ce retard est directement lié au niveau de conflit élevé existant entre les collectivités territoriales et les représentants locaux de l'État. Le recteur doit avoir un mandat renouvelable, de trois ans par exemple, et inscrire le fonctionnement local dans une perspective moins agitée qu'actuellement.
L'autonomie est soumise à une régulation interne dans l'établissement : tout ce qui relève de l'autonomie relève du conseil d'établissement. Cette régulation est, à mon sens, largement suffisante. Cela pose la question du fonctionnement du conseil d'administration : quand les conseils d'administration ont à traiter des questions qui concernent véritablement l'établissement, il s'avère souvent qu'ils sont tout à fait en mesure d'assumer ce rôle. Nous préférons en ce sens le terme de « responsabilité » à celui « d'autonomie ».
On s'interroge sur la mise en place d'une régulation nationale. Le pouvoir central lui-même est frappé aujourd'hui par une extraordinaire instabilité des personnes, mais aussi des politiques. Sur les 20 dernières années, aucune politique n'a survécu plus de 16 mois !
M. Corinne Vaillant. - Je limiterai mon intervention à la politique de santé à l'éducation nationale et son articulation avec le chef d'établissement et le département.
Aujourd'hui, la politique de santé à l'éducation nationale dépend de la circulaire de janvier 2001, qui l'établit sur quatre niveaux : le national, le rectoral, le départemental et le local. Les médecins sont positionnés en experts auprès des différents niveaux de responsabilité.
Au niveau rectoral, chaque recteur définit les objectifs et les modalités de mise en oeuvre de la politique de santé sur l'académie. Il est censé tenir compte des axes définis au niveau national et du contexte local de l'établissement. Le recteur doit se doter des indicateurs nécessaires au diagnostic, à l'élaboration, à la mise en oeuvre, à l'évaluation et à la réorientation de sa politique. Il prend donc l'avis des médecins et infirmières pour ce qui relève de leur champ de compétences. Un bilan régulier doit être dressé au niveau de la politique académique. Une préconisation insiste aujourd'hui pour favoriser une concertation avec les Agences régionales de santé (ARS) pour la gestion de la politique de santé académique. Les rectorats assurent une formation des personnels de l'éducation à la santé en s'appuyant sur leurs compétences propres. Ils sont censés gérer la création de chartes partenariales académiques avec les collectivités territoriales. Il est à noter que lorsqu'une décision est prise au niveau national, bien souvent, le niveau local n'en a que les « miettes » : ainsi, l'informatisation des médecins a été arrêtée depuis 2004 et les médecins doivent s'équiper sur leurs moyens propres.
Au niveau départemental, les médecins conseils techniques coordonnent l'ensemble des médecins de l'éducation nationale du département et des infirmières techniques. Les médecins sont affectés sur des secteurs qui devraient couvrir au maximum 5 000 élèves mais en couvrent en réalité bien souvent 10 000, voire plus. Les médecins de secteur agissent en concertation avec les chefs d'établissement et les directeurs d'école.
Au niveau de l'établissement, le chef de l'établissement est responsable de la politique de santé et de son application. Les projets de santé sont menés dans le cadre du Comité d'éducation à la santé et à la citoyenneté (CESC), présidé par le chef d'établissement. Le médecin est en mesure de mener ses projets de santé sur un ou plusieurs établissements. Il est garant de la méthodologie. Ses visites lui permettent d'établir les besoins des établissements.
Les médecins de l'éducation nationale représentent un corps professionnel de l'État à gestion déconcentrée. Ils sont placés sous l'autorité hiérarchique de l'État et sont coordonnés par les services départementaux. Il revient néanmoins au rectorat d'assurer l'embauche des médecins contractuels par des contrats que nous souhaitons harmoniser au niveau national afin qu'ils respectent la déontologie. Force est de constater que la gestion des personnels, au niveau des rectorats, actuellement, ne leur permet plus d'assurer les missions nécessaires auprès des élèves. La problématique de la politique de santé se jouera demain dans l'articulation entre ARS et rectorats, mais aussi entre ARS et établissements. Nous estimons important de pouvoir faire remonter les besoins des établissements en termes d'éducation à la santé et de santé. Les professionnels de la santé se tiennent en ce sens à la disposition des chefs d'établissement et des rectorats pour effectuer ces missions.
Les niveaux académique et régional sont, à notre sens, complémentaires. Nous regrettons que la gestion des personnels, en particulier de santé, soient la « cinquième roue du carrosse » au niveau des rectorats.
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - Je tiens tout d'abord à répondre à Christian Chevalier, qui s'inquiète de notre manque de réactivité à l'enquête PISA. Les conclusions de cette enquête mettant en avant la relation entre les inégalités sociales et la réussite scolaire ne nous laissés ni insensibles, ni inertes. Dans les 15 jours suivants leur publication, dans le cadre d'une initiative parlementaire, nous avons organisé un débat sur ce sujet.
Il a été question de moyens et d'indicateurs comptables. J'ai quelques difficultés avec la « monnaie » utilisée dans l'éducation nationale (Hygiène, sécurité et environnement (HSE), heures supplémentaires annuelles (HSA), exploitation des techniques de pointe en physique (ETPP), etc.). Il conviendrait de simplifier ce dispositif et d'instaurer une « monnaie unique ».
Dans un souci de responsabilisation, ne pourrions-nous pas faire voter la totalité des budgets au conseil d'administration ? Aujourd'hui, le budget voté par le conseil d'administration est amputé de sa masse principale, à savoir la masse salariale.
Aujourd'hui, la présidence du conseil d'administration des établissements agricoles est assurée par le personnel de ces établissements et non par le chef d'établissement. Nous pourrions nous en inspirer. L'amendement à la loi Fillon de 2005 que j'avais déposé, et qui avait été accepté, mettait en avant une autonomie à titre volontaire. Ne pensez-vous que cette mesure pourrait représenter une amélioration ?
Je reviens au sujet de l'autonomie. Je me méfie beaucoup des discours et des modes. L'autonomie des établissements n'a-t-elle pas des limites et ne peut-elle pas être à géométrie variable ? Elle peut, en effet, connaître une limite en termes de taille (celle de l'établissement) et en matière d'offre de formation. Ne faudrait-il pas raisonner en termes de mise en réseau à l'intérieur d'un bassin de vie et de bassins de formation ? L'autonomie est possible au niveau du secondaire, mais il se pose un problème juridique au niveau du primaire, pour lequel la mise en place d'un statut juridique serait nécessaire.
M. Albert Jean Mougin. - L'autonomie pédagogique est nécessaire. Néanmoins, il importe d'éviter que nous ne parvenions à des programmes locaux qui dénatureraient l'enseignement commun qui doit être dispensé à l'ensemble des jeunes Français.
Vous avez mentionné la mise en place d'une « monnaie unique » éducative. Cela me semble difficilement maniable. En effet, dans la vie réelle d'un établissement scolaire, le coût d'une heure de cours est tout à fait variable en fonction de l'enseignant
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - Cela n'est vrai que dans le secteur privé. Le taux horaire est variable en fonction de la main d'oeuvre mobilisée.
M. Albert Jean Mougin. - Devons-nous assimiler le système du service public au fonctionnement d'entreprises du secteur privé ? Il n'est pas exact d'affirmer que les établissements scolaires sont gérés comme des entreprises.
J'en reviens à la question de l'intégration de la masse salariale dans le budget de l'établissement. Je caricature : faudra-t-il un jour choisir entre un professeur et un tracteur ? Parler d'un budget commun dans le cadre d'un établissement pourrait nous conduire à cette situation. Vous comprenez donc nos réserves.
M. Serge Lagauche, président. - La façon dont vous répondez à la question démontre que vous saurez vous sortir de ces difficultés.
Mme Françoise Cartron. - Le conseil régional paye déjà les tracteurs.
M. Philippe Tournier. - La question de la présidence es conseils d'administration est un « marronnier » dans le débat sur les EPLE. Cette question est pratique et non seulement théorique. Les personnels de direction ont l'avantage, comme les maires, d'être les seules autorités publiques facilement accessibles aux citoyens et dont le rôle est aisément compréhensible par ceux-ci. L'autorité de proximité est unifiée : les maires sont ainsi des exécutifs tout en présidant leur conseil municipal.
Notre système est aujourd'hui rongé par des forces centrifuges. En confiant la présidence du conseil d'administration à un élu local ou un parent d'élève, nous changerions la nature du système éducatif, car ce président n'acceptera pas d'être une simple potiche. Il s'agit d'un véritable choix politique, qui doit être assumé et présenté comme tel.
Il est vrai que nous utilisons aujourd'hui pour monnaie de compte l'heure de cours, car nous nous plaçons du point de vue de ce que reçoit l'élève et non de ce qu'il coûte. Si nous introduisons la notion du coût en euros d'une heure de cours et si nous versons aux établissements des sommes en euros, un professeur agrégé sera remplacé par deux stagiaires afin de disposer d'un maximum de ressources humaines dans l'établissement. Un tel choix poserait nécessairement la question de la continuité. Si un établissement ne peut que voter « oui » pour 90 % des sommes de son budget, la discussion n'a aucun intérêt. Il ne serait pas absurde de transférer l'ensemble des sommes au conseil d'administration et de lui donner la possibilité de ne pas voter, tout en gérant l'ensemble des données en euros. Néanmoins, un tel système introduira des comportements différents. La question de la fongibilité se posera inexorablement sur le sujet des masses salariales.
M. Jean-Marie Le Boiteux. - Nous n'avons jamais compris pourquoi le législateur a créé un tel système, qui est une totale hérésie. Le chef d'établissement a deux particularités. Il est le représentant de l'État et le garant du respect des textes réglementaires, et il agit par délégation du conseil d'administration et met en oeuvre ses décisions. A ce titre, nous estimons tout à fait normal que le chef d'établissement soit le président du conseil d'administration. Un président a un certain pouvoir sur son conseil d'administration. Nous n'estimons pas normal que la politique éducative soit orientée par des professionnels : le rôle du système éducatif, en particulier dans un enseignement professionnel, est de répondre aux attentes de la société et non aux intérêts locaux d'une profession. C'est pour cette raison que, durant de longues années, l'enseignement agricole a accompagné la reproduction des modèles agricoles, notamment le modèle productiviste, et a peiné à prendre le tournant d'une nouvelle réflexion sur l'agriculture. La présidence des conseils d'administration par des professionnels dans un certain nombre d'établissements a indirectement engendré ces difficultés. Nous souhaitons donc revenir au système de l'éducation nationale.
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - L'enseignement agricole enregistre pourtant de bons résultats.
M. Jean-Marie Le Boiteux. - Tout à fait. Il n'y a pas de relation de cause à effet.
Vous avez mentionné la mise en place d'une monnaie unique éducative. Néanmoins, en matière de mise en oeuvre d'éducation et de personnel, un euro n'a pas la même valeur selon qu'il s'agit d'un euro Hygiène, sécurité et environnement (HSE) ou d'un autre. Cela ouvre la porte à des dérives et à un recours trop important aux vacations.
M. Christian Lage. - La représentation nationale sait-elle combien de personnels l'éducation nationale compte aujourd'hui ? La réponse est non. Vous votez des budgets et un nombre de fonctionnaires. Entre ce budget et le nombre réel de personnels physiques, la différence est considérable. Vous faites semblant de ne pas le comprendre. Les fonctionnaires ont été punis : ils n'auront pas d'augmentation de salaire pendant trois ans. En revanche, on leur propose des heures supplémentaires-année comme une bouée de sauvetage. S'ils souhaitent conserver un certain pouvoir d'achat, ils sont contraints d'opter pour ces HSA !
M. Christian Chevalier. - Il serait utile que nos concitoyens sachent ce que coûte l'éducation nationale. Cette prise de conscience est nécessaire. Il ne s'agit pas d'un investissement à fonds perdus. Le message que vous faites passer est politiquement d'une autre nature : en choisissant l'unité de compte « Euro », nous risquons une réelle dérive. L'UNSA considère que l'éducation n'est pas un bien de consommation mais un droit.
Le SE UNSA estime qu'il faut avancer sur la question de l'autonomie des établissements du premier degré. L'école communale de Jules Ferry a vécu et doit évoluer parallèlement à l'éducation et au monde éducatif. L'école primaire est multiple et dépend des communes. L'attachement des maires à l'école communale est très fort. De vraies questions se posent néanmoins sur le fonctionnement de l'école maternelle et élémentaire. Je vous renvoie aux difficultés actuelles des directeurs d'école, qui ont subi la suppression de l'aide administrative. Leur dernière grève administrative a duré cinq années. Je n'exclue pas qu'elle se reproduise. Quel devenir souhaite-t-on pour l'école maternelle et élémentaire ? Quelle est aujourd'hui la structure la plus adaptée ? Un excellent rapport a été rendu public il y a quelques mois sur ce sujet ; il renvoie au débat sur l'expérimentation. Il nous semble qu'il s'agit de la meilleure méthode pour avancer car nous ne souhaitons pas voir, s'agissant de l'école primaire, une réponse unique mais des réponses adaptées. Nous sommes prêts à travailler sur cette question. Néanmoins, la volonté politique n'est pas claire, même si le dossier est compliqué. Nous ne pouvons pas ne pas faire évoluer le fonctionnement des écoles, notamment en milieu rural. Il existe, sur cette question, une volonté de plus en plus forte des différents acteurs locaux (élus, parents d'élèves, enseignants) de s'impliquer.
Mme Fabienne Bellin. - Vous suggérez une unité de compte « Euro » afin de simplifier le système des HSE, HSA, etc. Je partage les propos de Philippe Tournier sur cette question. Il s'agit d'une question technique. Même si nous rendions publique la masse salariale des établissements, il continuerait à exister des heures supplémentaires et un certain nombre d'éléments techniques difficiles à maîtriser.
Vous proposez que la gestion des personnels soit effectuée par le conseil d'administration, qui déciderait de recruter deux stagiaires plutôt qu'un agrégé. Cela nous paraît incompatible avec la loi et cela n'est pas ce que nous souhaitons.
M. Pierre Garnier. - Nous ne souhaitons pas que l'école primaire soit configurée sur le modèle des établissements du second degré. Un directeur d'école, à notre sens, est un pédagogue avant d'être un gestionnaire. Nous déplorons néanmoins une réelle accumulation des tâches du directeur d'école, qui a besoin d'une aide à la direction, peut-être sous la forme d'un métier de secrétaire. Changer le statut du directeur d'école ne peut pas être la seule réponse pour redynamiser l'école et contribuer à la réussite des élèves. La mission d'animation pédagogique du directeur d'école est essentielle. Nous ne sommes pas certains que la mise en place d'un statut pour les établissements primaires permettrait de réduire les inégalités territoriales avérées et considérables, allant de 1 à 10 suivant l'endroit où se situent les écoles.
M. Serge Lagauche, président. - Nous vous demandons, pour des raisons de temps, de répondre aux deux questions simultanément, dans le même délai. Je vous les rappelle :
- Le chef d'établissement doit-il être un pilote, un gestionnaire ou un coordinateur ?
- Les obligations de services des enseignants sont-elles adaptées à l'école d'aujourd'hui ?
Le dialogue pourra tout à fait continuer par la suite et nous pourrons vous rencontrer à nouveau si nécessaire.
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - Nous organiserons une journée d'étape, le 4 mai, au Sénat, à laquelle vous serez conviés.
Mme Corinne Vaillant. - En tant que professionnels de santé, nous intervenons sur plusieurs établissements. Le chef d'établissement nous apparaît comme un leader à la tête de son équipe éducative. Son style et son choix vont influencer la vie quotidienne de l'établissement. L'infirmière est sous son autorité. L'assistante sociale et le médecin, en revanche, sont sous l'autorité de l'inspecteur d'académie. L'absence de hiérarchie favorise l'indépendance professionnelle du médecin et ainsi son rôle d'expert vis-à-vis du chef d'établissement dans le champ de la santé. Le chef d'établissement délègue ainsi volontiers à ces professionnels la politique de santé de l'établissement.
A notre sens, la formule gagnante serait la suivante : des projets d'éducation à la santé impulsés et évalués par le médecin, et coordonnés et soutenus par le chef d'établissement. L'infirmière assurerait le suivi et le Comité d'éducation à la santé et à la citoyenneté engagerait toute l'équipe à valider et développer des projets éducatifs et partenariaux.
Le chef d'établissement dirige son équipe. Le médecin pilote le projet de santé. Cette articulation ne nous est pas spécifique : dans les différents secteurs d'activité médicale, la responsabilité administrative est bien différenciée de la responsabilité médicale. En revanche, à l'hôpital, le médecin ne se limite pas à un simple rôle consultatif comme dans les conseils d'administration des établissements. Compte tenu de l'importance de la santé dans un établissement scolaire (hygiène, ergonomie, nutrition, etc.), le médecin devrait pouvoir prendre part au vote et sortir de son simple rôle d'expert. La possibilité d'une procuration et d'une suppléance serait tout à fait envisageable avec les autres professionnels médicaux et sociaux de l'établissement.
M. Philippe Tournier. - Les personnels de direction doivent à notre sens être en même temps des pilotes, des gestionnaires, des coordinateurs, mais aussi des pédagogues, des médiateurs, des négociateurs, des synthétiseurs de politiques publiques, etc. Le rôle et les missions des personnels de direction sont aujourd'hui le reflet des missions que l'on confie aux établissements qu'ils dirigent : il n'existe pas d'autonomie professionnelle des personnels de direction par rapport à la réalité du fonctionnement des EPLE.
Ces EPLE ont deux caractéristiques. La première est que ce ne sont fondamentalement pas des structures au mode de fonctionnement hiérarchique. Cette réalité correspond à la réalité dominante du système. La seconde est que l'on demande aux chefs d'établissement un exercice qui exige beaucoup de qualités, à savoir de résoudre localement des problèmes que l'on ne parvient pas à résoudre nationalement. Cela demande beaucoup de qualités, mais c'est passionnant.
M. Pierre Garnier. - Il n'existe pas de chef d'établissement dans les écoles maternelles et élémentaires. Nous ne souhaitons pas que le niveau primaire soit configuré sur le modèle des établissements du second degré. Le directeur d'école joue un rôle essentiel dans le fonctionnement des écoles. Son métier consiste à organiser la vie de l'école, à la gérer, mais il est aussi, et avant tout, animateur d'une équipe pédagogique et médiateur. Pour cela, son pilotage ne peut pas être technocratique et basé sur des tableaux de bord de suivi d'indicateurs multiples dont il faudrait rendre compte en continu. Pour faire classe, l'on ne peut pas passer son temps à remplir des tableaux de bord. Cette dimension doit être prise en compte. Le directeur d'école, s'il entre uniquement dans une logique d'animation et de coordination des équipes, risque également de se couper des préoccupations professionnelles et concrètes des enseignants. Or le coeur de son métier, pour favoriser la réussite des élèves, est la qualité de l'acte pédagogique. Le directeur d'école a besoin d'être déchargé de certaines tâches administratives ; nous demandons la création d'un métier de secrétariat. Il a également besoin de temps pour se recentrer sur des missions qui dynamisent vraiment l'école et son activité. Il doit rester en lien avec les élèves. Il pourrait, par exemple, être le maître surnuméraire dans l'école. Nous portons cette revendication depuis longtemps. Une expérimentation a été menée sur ce sujet, avec la prise en charge des élèves à un moment de la journée et l'organisation d'activités éducatives précises. Cela pourrait prendre la forme d'une redéfinition du temps de service du directeur d'école : une part en direction de l'enseignement en tant que maître surnuméraire et une part affectée à ses missions de direction.
Les obligations de service des enseignants sont-elles adaptées à l'école d'aujourd'hui ? Plus que jamais, nous estimons que de nouvelles modalités de travail et d'organisation des enseignants sont nécessaires. Le métier est aujourd'hui soumis à de nombreuses tensions du fait des nouvelles mesures en place depuis la rentrée 2007 : passage à 24 heures hebdomadaires avec de nouveaux programmes, mise en place de l'aide personnalisée, alourdissement de la charge de travail concentrée sur un temps réduit. Les 48 heures annuelles que nos collègues doivent assurer pour les animations pédagogiques, le travail en équipes, les réunions avec les parents, le suivi des projets personnels de scolarisation pour les enfants en situation de handicap, ne sont pas suffisantes. Les conseils d'école ne suffisent pas à l'évaluation et à la conception de projets pédagogiques.
Pour nous, temps de travail enseignant et temps scolaire des élèves doivent être déconnectés dans le cadre d'une diminution du temps d'enseignement sans réduction du temps d'apprentissage pour les élèves. Disposer de maîtres surnuméraires permettrait de sortir de l'exercice trop solitaire du métier et de la logique « un maître - une classe », en mettant en place d'autres fonctionnements dans l'école pour répondre aux besoins des élèves, en particulier des élèves en difficulté. Cela permettrait en outre de croiser les regards. Les équipes disposeraient alors de marges de manoeuvre pour organiser, sur le temps de classe, du travail en petits groupes. Déconnecter ces temps devrait aussi permettre de libérer plus de temps pour le travail en équipe. Le temps pour l'équipe ne peut avoir de sens que dans des démarches pédagogiques qui dépassent la structure de classe. Il faut en effet du temps pour la définition des besoins des élèves et l'analyse de l'évolution au fil de l'année, mais aussi pour l'organisation des décloisonnements et la constitution de « groupes de besoins » sur un cycle.
M. Patrick Roumagnac. - Il pourrait être tentant de répondre à la première question en affirmant que le chef d'établissement, comme tout cadre du système éducatif, doit être polycompétent. Il semble cependant que, dans la dynamique attendue d'amélioration de la gestion des ressources humaines dans les établissements, l'image du pilote soit la plus pertinente. Elle renvoie en effet à une fonction (amener ses passagers à destination) qui induit une responsabilité (mieux vaut ne pas perdre trop de passagers en route) mais suppose une réelle expertise (certains chemins sont plus sûrs que les autres). Si ces éléments sont bien reconnus dans le second degré tant dans la voie générale et technologique que dans la voie professionnelle, les choses sont plus complexes au niveau de l'école primaire. Les textes sont prolixes pour fixer les responsabilités du directeur, mais ils deviennent étrangement muets pour fixer les moyens par lesquels ces charges peuvent être exercées. La mise en place des Réseaux Ambition-Réussite (RAR) nous apporte quelques enseignements à cet égard. Dans le dispositif initialement imaginé, à la constitution duquel notre syndicat avait été associé, les chefs d'établissement du second degré et les directeurs des écoles du secteur devaient être associés pour constituer un Comité directeur du réseau. L'Inspecteur de l'éducation nationale (IEN) de la circonscription devait pour sa part être associé aux inspecteurs d'académie-inspecteurs pédagogiques régionaux pour constituer un pôle externe d'évaluation et d'accompagnement du dispositif. Cette organisation présentait l'avantage de donner aux directeurs une reconnaissance statutaire fonctionnelle. Elle permettait, en outre, d'envisager une meilleure continuité entre le premier et le second degré dans l'évaluation. Malheureusement, de fortes pressions ont conduit à une révision de ce dispositif et ont débouché sur l'implication de l'IEN dans le comité de direction et la suppression du pôle évaluatif envisagé. Cet exemple témoigne des réticences et résistances au changement qui rendent souvent difficile la mise en oeuvre d'évolutions significatives. Il faut pourtant reconnaître que les modalités organisationnelles sont déterminantes pour l'efficacité du pilotage. A cet égard, le nouveau dispositif associant des établissements du premier et du second degré dans une dynamique visant à structurer l'offre éducative en référence au socle commun des connaissances et des compétences, tel qu'il est mis en place dans certains établissements de l'académie de Rennes, nous semble constituer un axe de réflexion tout à fait pertinent. Son développement nécessiterait que soient sérieusement remis en cause des éléments structurants du système scolaire. La notion de responsabilité fonctionnelle ne suppose pas nécessairement l'instauration d'un échelon hiérarchique de proximité supplémentaire, mais doit donner au directeur la capacité et les moyens de fixer les orientations en mobilisant l'équipe pédagogique. C'est bien dans une logique de responsabilité partagée et dans une complémentarité des regards que doit être conçu le pilotage et non dans une concurrence totalement contreproductive. Dans cette logique, il est légitime que les chefs d'établissement du second degré et les directeurs d'école assurent le pilotage des actions éducatives mises en place, tandis que les corps d'inspection pourraient concentrer leur énergie sur l'évaluation et la recherche de cohérence des pratiques à l'échelle d'un territoire défini sur la base d'un projet éducatif partagé. Une telle approche suppose toutefois une porosité des structures, qui est loin d'être fréquente à ce jour, même si chacun se lamente sur la trop grande rupture entre premier et second degrés.
Les obligations de service des enseignants sont-elles adaptées à l'école d'aujourd'hui ? Il appartient aux organisations syndicales représentatives de ces personnels de s'exprimer sur ce point. Notre organisation tient cependant à soumettre une réflexion. La notion d'obligation de service porte certes en elle une logique indispensable visant à fixer une contrainte, mais surtout des marges de responsabilité et d'action des principaux acteurs de l'acte éducatif. L'administration et la gestion du système scolaire ne peuvent en effet prendre sens que dans l'aide susceptible d'être apportée aux enseignants pour que ceux-ci fassent preuve de la meilleure efficacité possible au service des élèves. Dès lors, l'idée d'obligation de service ne doit pas nécessairement être lue comme une contrainte, mais plutôt s'inscrire dans une forme de contrat de confiance entre la nation et ses enseignants. Selon nous, la seule obligation ayant véritablement du sens est celle de la mobilisation de tous les moyens et de toutes les énergies en vue de la réussite de tous les élèves.
M. Philippe Péchoux. - Le chef d'établissement doit être un peu pilote, gestionnaire et coordinateur à la fois. Sur chacun des paramètres, les marges sont extrêmement limitées.
Il doit être un pilote mais, il est souvent un pilote automatique car, de fait, les moyens dont il dispose ne lui offrent pas beaucoup voies possibles pour parvenir à un point donné. En dotant les établissements de moyens adaptés à leur structure, on leur permet de disposer de la marge de manoeuvre et du choix des parcours plus intéressants.
Il doit être un gestionnaire, sans aucun doute, mais aussi un intendant d'établissement scolaire. De ce point de vue, la dimension « gestion », bien qu'elle tende à se développer, ne doit pas faire l'identité propre du chef d'établissement.
La fonction de coordinateur devrait primer. Néanmoins, l'autorité hiérarchique tendant à se renforcer, nous avons plus souvent le sentiment que le chef d'établissement est un manager. La formation à l'Ecole supérieure de l'éducation nationale a tendance à développer ce point alors que la partie pédagogique, au coeur de notre métier et de notre pratique, tend à disparaître. Le conseil pédagogique ne peut que tenter de corriger ce manque.
Nous souhaiterions que le chef d'établissement soit un facilitateur. Il n'a cependant pas les moyens nécessaires pour permettre à l'ensemble des équipes de fonctionner. Le chef d'établissement, souvent, est bien seul dans cette situation.
M. Albert Jean Mougin. - Le chef d'établissement est une spécificité du modèle français. C'est un personnel élu parmi ses pairs. Il n'est pas nommé et désigné comme tel. Il est le représentant de l'État et le garant du respect des décisions prises par la collectivité nationale en termes d'éducation et d'application des programmes. A ce titre il nous semble qu'il faut un chef dans tous les établissements scolaires. Le syndicat du primaire qui nous est associé est très attaché à la notion de statut pour les directeurs d'école. Je rappelle cette position.
Le chef d'établissement doit rester profondément lié au corps professoral et doit en être issu. Le centre du système éducatif est la classe, le maître et ses élèves. Tout ce qui se trouve autour doit servir ce qui se passe dans ce centre : en ce sens, le chef d'établissement doit être perçu comme un facilitateur de fonctionnement, un serviteur, un « ministre ».
S'agissant des obligations de service des enseignants, nous serions tentés de demander si ces enseignants sont aujourd'hui dans la possibilité d'assumer d'autres obligations de service. Un enseignant, aujourd'hui, prépare ses cours, dispense ses enseignements, vérifie les devoirs, assure le suivi de ses élèves, participe aux instances statutaires de l'établissement, etc. Selon les textes, il assure 36 heures hebdomadaires. Pour que d'autres obligations entrent dans cette fonction, il faudra envisager qu'il enseigne moins. Qu'est-ce qu'un enseignant qui enseigne moins ? Nous devrions nous interroger sur l'évolution du type d'adulte mis en rapport d'accompagnement avec des adolescents et des jeunes gens. On changerait alors d'univers. Nous ne le souhaitons pas. Notre pays a besoin d'enseigner, de donner des savoirs riches, divers et importants. Pour cela, il faut que les personnels enseignants puissent se dédier à la fonction enseignante, dans le cadre de leur temps de travail hebdomadaire.
Mme Anne-Marie Martin. - Pour nous, l'équipe de direction doit être à la fois pilote, gestionnaire et coordinatrice. Elle doit impulser un projet, être un facilitateur des relations, être à l'écoute, ouverte au dialogue et elle doit reconnaître la place de chacun. Elle doit savoir entraîner et déléguer. Elle est à la fois le porteur d'un projet et le représentant de l'État. Ces deux aspects de la fonction ne doivent pas conduire à des situations impossibles.
Dans le premier degré, nous sommes favorables à une évolution. Nous avons produit sur ce sujet un document de quatre pages.
S'agissant des obligations de service des enseignants, il semble qu'on ait vite passé à la trappe le travail de la commission Pochard. Il faut penser l'ensemble du travail des enseignants et non seulement les obligations statutaires. Le travail du professeur ne se réduit pas à ses heures de cours. Il faut prendre en compte toutes les tâches dans le métier, telles que l'aide individualisée, qui doit être le coeur du métier, intégrée dans le service comme étant une mission importante, et non considérée comme des heures supplémentaires. Le monde change et le métier doit suivre cette évolution pour rendre service aux élèves.
Il ne faut pas secondariser le premier degré, ni primariser le second. Nous devons créer une école initiale et une école moyenne, ayant chacune ses objectifs propres, avec un continuum éducatif entre elles qui résultera de nombreux échanges. Il importera de ne pas cumuler les inconvénients du premier et du second degré.
M. Jean-François Le Borgne. - Le chef d'établissement est un pilote, mais utilisant des instruments précis de navigation et des conseillers. En effet le chef d'établissement ne peut connaître ses personnels que s'il a été formé à la gestion des ressources humaines. Il n'est pas toujours le mieux placé, de par sa formation antérieure, sur la pédagogie et l'enseignement. Un récent rapport a qualifié l'histoire-géographie, l'éducation civique et les sciences de la vie et de la terre de « matières dictées » : il s'agit là d'une vision très passéiste de ces disciplines. Un certain nombre de chefs d'établissement ne sont plus au fait de ces disciplines. Une aide nous semble nécessaire.
Le chef d'établissement est également un gestionnaire, aidé par des spécialistes capables d'expliquer les choix qu'ils prennent pour orienter les établissements scolaires.
Le chef d'établissement peut être un coordinateur si les moyens lui sont donnés pour se faire entendre de tous.
Les aides extérieures au pilotage et à la coordination sont essentielles. Des audits de plusieurs types devraient être menés pour approcher les méthodes de gestion, de gestion de ressources humaines et de pédagogie. Seul un regard extérieur est susceptible de donner une vision non biaisée aux chefs d'établissements. L'inspection, dans ce domaine, a un rôle fondamental à jouer avec les chefs d'établissements. Ceux-ci devront nécessairement acquérir certaines formations dans le cadre d'une responsabilité partagée. Une formation collective pour les inspecteurs, chefs d'établissement et un certain nombre de personnels pourrait favoriser leur travail en commun et la fixation d'objectifs communs.
S'agissant des obligations de service des enseignants, les textes de 1997 devraient largement suffire. Les enseignants remplissant actuellement toutes les tâches qui leurs sont confiées, devraient pouvoir effectuer tout ce qui leur est demandé. Toutefois, depuis quelques années, face à une demande sociale de plus en plus vive, les demandes d'action par les enseignants se multiplient, au détriment, parfois, de ce qui était considéré il y a encore peu, comme étant sans contestation possible, la transmission pure des savoirs de type universitaire. Face à ce dilemme croissant, augmenter le temps de présence des enseignants demanderait de nombreux aménagements et des coûts en hausse. Aurait-on alors de meilleurs résultats scolaires ? Rien ne permet de l'affirmer. Il faudrait certainement se pencher sur des méthodes et démarches pédagogiques plus en conformité avec les lieux de réussite et des résultats d'expérimentation conformes à la première question posée à l'ouverture de cette séance. Les élèves apprennent-ils mieux lorsque les enseignants sont plus présents et plus longtemps dans les établissements ? Cette question devrait être étalonnée par des expérimentations bien ciblées. Nous n'avons toujours pas la réponse.
M. Jean-Marie Le Boiteux. - A priori, l'on aurait tendance à dire que le chef d'établissement doit être à la fois un pilote, un gestionnaire et un coordinateur. Il faut néanmoins savoir ce que nous mettons derrière ces mots. Rappelons que cette question est posée dans le cadre de la gestion des ressources humaines, ce qui lui apporte une certaine connotation.
Ainsi, pour nous, le chef d'établissement ne doit pas être un pilote, car un pilote choisit la direction qu'il prendra, c'est-à-dire les programmes et la définition des diplômes. Sur les choix internes de mise en oeuvre, le chef d'établissement agit par délégation du conseil d'administration, qui doit définir les orientations choisies. Le chef d'établissement ne doit pas être un gestionnaire. Les ressources humaines sont attribuées par l'État et les statuts des personnels existent. Le chef d'établissement, représentant de l'État et garant du respect des lois et règlements ne peut donc que mettre en oeuvre. A notre sens, le chef d'établissement est plutôt coordinateur : on devrait lui donner des moyens correspondant à la politique qu'il est chargé de mettre en oeuvre. Il doit ainsi coordonner ces moyens pour les mettre en adéquation avec les programmes et formations à mettre en oeuvre, en fonction des orientations prises par le conseil d'administration.
En conséquence, à notre sens, le chef d'établissement doit présider le conseil d'administration.
Il existe, dans l'enseignement agricole, une exception que nous estimons anormale concernant les personnels de direction : ils ne sont pas dans un statut de corps comme dans l'éducation nationale, mais sur un statut d'emploi, ce qui pose un certain nombre de difficultés.
Les obligations de service des enseignants ne sont plus adaptées à l'école d'aujourd'hui et devraient évoluer. Les enseignants sont la seule catégorie professionnelle française qui n'ait pas vu son temps de travail diminuer depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Une enquête de l'éducation nationale menée sous Luc Ferry avait conclu que le temps réel de travail des enseignants était de 42 heures. Les obligations de service des enseignants doivent évoluer dans le sens d'une diminution. Le temps de scolarisation, notamment dans le second degré, a fortement évolué depuis un certain nombre d'années, ce qui a augmenté l'hétérogénéité des classes et implique un suivi individualisé des élèves plus poussé.
Dans l'enseignement agricole, nous avons développé la pluridisciplinarité, qui demande un renforcement de la concertation entre les enseignants, et qui nécessite donc du temps. Nous souhaitons donc une diminution globale des obligations de service et un temps précis pour la concertation et le suivi des élèves.
M. Christian Lage. - Votre première question renvoie au fonctionnement des établissements. Le chef d'établissement n'est pas un surhomme, ni une personne seule et isolée à la tête d'un établissement. Si telle était la définition du chef d'établissement, nous assisterions à un glissement sémantique et le chef d'établissement deviendrait un chef d'entreprise. Le chef d'établissement évolue dans un cadre statutaire national et réglementaire. Chacun doit exercer sa mission selon son statut et dans le respect et reconnaissance des missions de chacun. Evacuons très rapidement deux questions : l'évaluation au mérite des personnels et le recrutement des personnels ne sont pas de la responsabilité du chef d'établissement. Passons à des choses plus importantes et plus intéressantes. Les chefs d'établissement ont un statut donné. Il convient de ne pas en faire des boucs émissaires. Arrêtons d'essayer d'opposer les personnels les uns aux autres ! Une communauté éducative est un équilibre. Le chef d'établissement a un rôle d'impulsion et de dynamique. Les enseignants ont des obligations de service. Mais la société et l'État respectent-ils ces enseignants ? Non. Comment respecter les enseignants quand on les rémunère si mal par rapport au niveau d'études qu'on leur demande ? On a supprimé leur formation : il est vrai que le métier d'enseignant ne s'apprend pas mais se détermine sur le terrain ! On doit s'interroger sur la formation continue des enseignants. Toute formation doit effectivement être poursuivie. Le PAF (Plan académique de formation) n'existe plus !
La logique du métier d'enseignant est de s'interroger sur la façon d'entrer dans le métier. Entrer dans ce métier sur une logique de niveau universitaire n'est pas pertinent. Cette entrée doit s'accompagner d'une logique d'accompagnement et de formation. Comment donner la chance à des enseignants de pouvoir se réorienter et mener une autre carrière ?
J'en viens au statut des professeurs de lycées professionnels auquel nous sommes très attachés. Ce statut date de 2000. Nous nous sommes en effet battus pour qu'il soit rénové. Il a été modifié en 2010 afin que nous puissions enseigner aux Brevets techniques supérieurs (BTS). La liberté pédagogique des enseignants est limitée par les contraintes du métier et les obligations de service : le respect des programmes et le respect du cadre statutaire national. A partir de là, le PLP en enseignement général est bivalent, mais il a sa spécificité. Dans l'académie de Poitiers, il a été ainsi décrété qu'on pourrait compter 30 élèves par classe dans l'enseignement général. Ce chiffre passera certainement à 35 l'année prochaine car les moyens seront encore réduits. Je vous propose de créer des amphithéâtres et nous ferons cours, de manière théorique, devant les élèves qui sont les plus socioculturellement défavorisés ! Posons-nous les bonnes questions sur les obligations de service et ne nous demandons pas ce que les enseignants pourraient encore faire de plus ! Le PLP est supposé être présent 18 heures devant les élèves. Or il existe des périodes de cours, des périodes de formation en entreprises, etc. Le PPCP (projet pluridisciplinaire à caractère professionnel) vise à faire vivre ensemble des élèves sur la pédagogie d'un projet, pour en faire des individus autonomes, capables de s'intégrer dans la société. Les obligations des enseignants nous renvoient aux statuts.
Le chef d'établissement doit respecter ses missions. Je ne parle pas des corps d'inspection, qui devraient être détachés d'un certain nombre de missions administratives et renvoyés véritablement sur le terrain pour l'accompagnement des enseignants, notamment des enseignants en difficulté.
Vous ne posez pas simplement la question du métier d'enseignant : vous posez la question de la pression de l'opinion publique sur l'école. Voulons-nous que l'école soit ouverte 24 heures sur 24 afin que les parents déposent leurs enfants le matin et que nous les leur rendions le soir en « produits finis » ? Si c'est cette réponse, nous avons effectivement nos limites.
M. Michel Gonnet. - Le mot « pilotage » est importé de la gestion des entreprises privées sans que l'on s'interroge sur son emploi. Ce mot est généralement associé aux notions de tableaux de bord et d'indicateurs, qui ont une certaine validité lorsqu'il s'agit d'exécuter un budget mais qui, lorsqu'il s'agit de suivre des performances scolaires liés à la construction de savoirs et de compétences de citoyens en devenir, a de nombreuses limites.
Il convient d'identifier l'objet du pilotage et le sens dans lequel on doit exercer ce pilotage. Le chef d'établissement remplit les trois missions décrites dans cette question. A cet égard, nous regrettons que les corps d'inspection ne soient pas compris dans votre question sur les ressources humaines.
S'agissant des obligations de service des enseignants, je laisserai les organisations syndicales d'enseignants répondre sur ce sujet. Nous estimons qu'un meilleur fonctionnement réside sans doute dans la capacité collective des acteurs des établissements à travailler ensemble, à donner du sens à leur engagement éducatif, à s'impliquer dans des démarches innovantes, à construire leur lieu de travail comme un centre d'initiatives pour transformer l'école, faire évoluer leurs pratiques, former des équipes de coordinateurs de filières, etc. Ceci nécessite de prévoir du temps de concertation dans l'actuel temps de service.
Un récent rapport utilisé par les services du Premier ministre fait apparaître que la France est l'un des pays de l'OCDE possédant le taux d'encadrement le plus bas.
M. Christian Chevalier. - Les représentants des autres organisations syndicales se sont largement exprimés sur le rôle des chefs d'établissement. J'ajouterai simplement que, pour nous, les chefs d'établissements ne peuvent en aucune façon être des recruteurs. Une telle logique instaurerait en effet une concurrence entre les établissements.
Il importe d'être clairs sur ce que vous entendez par « obligations de service des enseignants » et de distinguer le service statutaire et le travail des enseignants, qui va bien au-delà de ce service statutaire. L'enseignant assume en effet toute une charge de travail de préparation, de suivi, etc. Il assure en outre des heures supplémentaires, des activités de professeur principal, rencontre les parents, etc. Il importe de ne pas réduire l'activité des enseignants à la seule activité statutaire de 18 heures pour les enseignants certifiés et 24 + 3 heures pour les professeurs des écoles. La charge de travail des enseignants est réelle et de plus en plus lourde. Ils sont confrontés aux difficultés, aux faiblesses et à la violence de la société. Nous ne pouvons pas concentrer le débat sur la question du service des enseignants.
Nous sommes favorables à une évolution alors que des missions nouvelles apparaissent. Dans le premier degré, les obligations de service des enseignants ont été revues et sont passées de 26 + 1 heures à 24 + 3 heures. On a intégré, dans ces obligations de service, du temps de concertation, l'aide personnalisée, etc. Les obligations de service peuvent apparaître comme un frein, mais elles sont aussi une protection pour les enseignants. En tant que responsable syndical et secrétaire général d'une organisation syndicale d'enseignants, je souhaite que les enseignants soient bien protégés. Cela renvoie au débat précédent concernant les recteurs. Aujourd'hui, l'inventivité est à la manoeuvre. Nous bénéficions heureusement d'un statut qui nous protège car les secrétaires généraux et les gestionnaires des ressources humaines des académies ne manquent pas d'imagination pour contourner la loi et faire faire aux enseignants plus que ce que précisent leurs obligations statutaires. Je ne souhaite pas que la situation soit figée, mais protéger les salariés est un sujet important sur lequel l'État doit être exemplaire.
Nous pouvons discuter sur certaines marges de manoeuvre, à condition qu'il existe des contreparties. Il ne s'agit pas de travailler plus pour gagner autant, voire moins.
M. Serge Lagauche, président. - Nous ne souhaitons pas entrer dans cette négociation.
Mme Fabienne Bellin. - Je ne souhaite pas m'enfermer dans un choix entre trois termes concernant le rôle du chef d'établissement. Quel doit être le rôle du chef d'établissement en termes pédagogiques et en termes de gestion des personnels ? C'est plutôt à cette question que je me sens capable de répondre. Pour nous, au-delà des trois termes proposés, le chef d'établissement doit être avant tout celui qui anime, coordonne et organise le travail d'une équipe. Sa ligne de conduite doit être la mise en oeuvre des politiques fixées au plan national et des décisions prises par le conseil d'administration. Il n'a pas, pour nous, compétence pour évaluer la pédagogie des enseignants. A ce sujet, on veut faire jouer au chef d'établissement un rôle qui nous pose problème : pour le faire intervenir au plus près de la gestion des ressources humaines, se pose la question de l'évaluation individuelle que l'on veut faire porter par le chef d'établissement seul. Ce qui se passe en classe est certes un élément essentiel de notre métier. Néanmoins, comment un chef d'établissement qui n'est pas compétent dans le champ disciplinaire des enseignants peut-il intervenir sur les contenus disciplinaires enseignés en classe ou sur les éléments didactiques de la discipline, éléments étroitement liés au contenu enseigné. Nous demeurons très attachés à la double évaluation existant actuellement. Enfin, pour nous, il n'est pas question que le chef d'établissement recrute des personnels. Or l'on glisse de plus en plus vers une évolution du rôle des chefs d'établissement vers un modèle de gestion d'entreprise. Les chefs d'établissement ont depuis quelques années la responsabilité de recruter un certain nombre de personnels. La démarche est toujours la même : on renforce la hiérarchie locale dans l'évaluation individuelle, ce qui n'est pas de nature à améliorer les performances du système.
Tout a été dit sur les obligations de service des enseignants par mes collègues du FSU et du SE UNSA. Le temps de travail d'un enseignant n'est pas son maxima de services, bien que cela soit défini comme tel statutairement. Le métier a considérablement évolué en 50 ans, avec un réel alourdissement de la charge de travail. Le statut doit également évoluer. Aucun aménagement du temps de travail n'est intervenu pour les personnels d'éducation. Il est grand temps de prendre en compte les évolutions du métier d'enseignant et des autres personnels éducatifs.
Dans la question posée, il semble qu'aucune adaptation ne soit intervenue entre les obligations de service des enseignants et l'école. Or, c'est bien parce que la profession a su adapter ses pratiques professionnelles que l'école a évolué, au prix d'une charge de travail toujours plus lourde pour les personnels.
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - Vous vous demandez ce qu'il faut lire entre les lignes. Il n'y a rien à lire entre les lignes. Nous ne cherchons pas de bouc émissaire et nous ne souhaitons pas opposer les uns aux autres.
Nous souhaitons absolument sortir de la situation actuelle dans laquelle un fils d'ouvrier a 17 fois moins de chances d'entrer dans une grande école qu'un fils de cadre ou d'enseignant. Je n'ai aucun a priori ni aucun tabou sur ce sujet. Nos questions sont totalement ouvertes. Nous tirerons des conclusions de nos travaux en juin. Nous aurons d'ici là encore le temps de vous consulter.
Notre société exige de la réactivité et de la souplesse. Je ne crois pas que le monde éducatif puisse y échapper. L'organisation du système scolaire, encore extrêmement centralisée, est-elle bien adaptée à cette attente ? Un certain nombre de freins ou de rigidités ne doivent-ils pas être réduits ? Ces rigidités ne contribuent-elles pas au mal-être des enseignants ?
L'évaluation des enseignants s'apparente plus à un contrôle formel, à un accompagnement et un conseil qu'à une sanction.
M. Christian Chevalier. - Il importe de conserver à l'esprit que le temps de l'apprentissage de l'enfant se mesure en années, voire en dizaine d'années. La graine que nous semons aujourd'hui se mesurera sur l'enquête PISA dans dix ans. Pour l'UNSA, dans le cadre d'un véritable dialogue social, les choses peuvent avancer collectivement sur la transformation du système éducatif. Il est peut-être temps de se mettre autour de la table et de ne pas faire de l'école et de l'éducation un enjeu idéologique. L'Espagne et le Portugal ont réalisé des progrès considérables sur les évolutions de leurs systèmes éducatifs car, sur ces questions, ils sont parvenus à trouver un consensus national.
M. Patrick Roumagnac. - On entend beaucoup de choses sur l'inspection. L'inspecteur croulerait sous les tâches administratives, au point de ne pas accompagner les équipes pédagogiques. Cela est entièrement faux. Il croule effectivement sous les tâches administratives, mais il est bien en permanence sur le terrain pour accompagner les équipes.
Il existe des lourdeurs et de la rigidité à tous les échelons. On essaie aujourd'hui d'assouplir le système en passant par des trous de souris. Il conviendrait d'agrandir ces trous de souris et de dégager des boulevards qui permettent vraiment d'aider les élèves à progresser mieux. Tout constitue aujourd'hui un frein. Il est difficile de travailler en liaison entre premier et second degré. Si nous étions en mesure de travailler ensemble, nous progresserions davantage. Nous découvrons chaque année l'histoire des élèves, pourtant suivis depuis l'école maternelle. Ces ruptures, alors même que les élèves sont en difficultés, constituent une attaque grave contre les futurs droits de citoyens des élèves. Le système semble aujourd'hui s'ingénier à bloquer par tous les moyens cette porosité, alors qu'il devrait essayer d'ouvrir ces connexions.
Mme Corinne Vaillant. - Il est fondamental de ne pas laisser les enseignants seuls par rapport aux difficultés spécifiques des élèves (handicap, problème d'apprentissage, situation sociale particulière, etc.). Les assistantes sociales, les médecins et les infirmières, souvent dans l'ombre, ont un rôle fondamental. Ces personnels ont véritablement des obligations de service à rendre à la population. Leurs missions sont, aujourd'hui, très difficiles à assurer. Des situations qui pourraient être prévenues se dégradent car un enfant n'a pas été signalé ou n'a pas pu être suivi.
Compte tenu de l'évolution de la législation, les exigences portées vis-à-vis des enseignants sont plus lourdes en termes de type de population accueillie. Il serait très intéressant de pouvoir mesurer les effets de la situation sur les enseignants en termes de risques psychosociaux notamment. Nous ne disposons pas d'une médecine de prévention à la hauteur de ce qui serait nécessaire pour protéger les enseignants.
M. Albert Jean Mougin. - Apporter des soins aux blessés est important, mais l'essentiel est qu'il n'y ait pas de blessés.
L'enquête PISA peut certes être contestée. Nous sommes au terme d'un certain nombre d'années au cours desquelles on a imposé un système uniforme d'enseignement, qui ne convenait pas aux élèves et était générateur de refus de l'école et de conflits entre les familles et les professeurs. Ainsi, l'enseignant, dans son collège ou dans son lycée, est souvent l'objet vers lequel se tourne l'agressivité publique, qu'elle soit verbale, morale ou physique. Les hiérarchies, dans le meilleur des cas, fonctionnent aux côtés des professeurs. Dans bien des cas, elles ne les soutiennent pas.
Monsieur le rapporteur assurait qu'il n'y avait rien à lire entre les lignes. Toute une représentation, pourtant, se fait jour dans l'idée que se fait la société de notre école. Le discours sur l'école est envahi par le vocabulaire managérial. La Finlande est un tout petit pays ayant de gros problèmes d'immigration, mais un système éducatif idéal. Cependant, la Finlande a subi cinq cas de fusillade dans des établissements scolaires en quatre ans. La solution est de revisiter en profondeur ce qui a fait le succès du système éducatif français, à savoir un service public de qualité assis sur des professeurs et des personnels d'encadrement garantis par des statuts nationaux, assurés du soutien de la société qui les emploie. Le ministère de l'éducation nationale, finalement, est le ministère public de l'avenir. Nous devons nous réinstaller dans ce que nous sommes.
Il a été question de dérives managériales. Le statut des recteurs de 1854 a changé il y a deux mois. Le recteur est le seul serviteur de l'éducation nationale qui ne soit astreint à aucune exigence de niveau. Il n'est en outre plus un professeur ou docteur universitaire. Ce changement est très important.
M. Jean-François Le Borgne. - J'attire votre attention sur deux points essentiels. Les inspecteurs d'académie et les inspecteurs pédagogiques régionaux n'ont plus les moyens d'effectuer leurs missions. Ils disposent de 3 000 euros par an pour circuler et intervenir dans des académies grandes comme la Belgique, ce qui leur permet de travailler environ deux mois. Le reste du temps, ils sont condamnés à rester au rectorat et à exercer des tâches administratives.
L'on dit souvent que les inspecteurs d'académie-inspecteurs pédagogiques régionaux payent pour devenir inspecteurs : ils rémunèrent en quelque sorte l'État à travers l'utilisation de leurs véhicules personnels. Cela explique qu'ils ne puissent pas toujours aller à la rencontre des professeurs. Les inspecteurs sont en grande difficulté : lorsqu'ils découvrent que les enseignants sont eux-mêmes en grande difficulté, ils n'ont aucun moyen financier, technique, matériel, pour pouvoir remédier à ces problèmes.
La formation continue des enseignants est une peau de chagrin. Un inspecteur quitte en général un établissement en formulant un certain nombre de recommandations enthousiastes, que partage le chef d'établissement. Or rien ne suit, faute de moyens. Ainsi, tous les moyens d'action de formation de cette année ont été « pompés » par les fameux « fonctionnaires stagiaires » qui nous ont été imposés. Nous avons défini des solutions mais nous n'avons pas d'argent pour les mettre en oeuvre. Pourquoi la formation continue des enseignants ne serait-elle pas inscrite dans leurs statuts ?
Mme Fabienne Bellin. - Je souhaite revenir sur les rigidités du statut, qui contribueraient ou non au mal-être des enseignants. Nous défendons ce statut. Ce que vous appelez des rigidités est le prix à payer pour assurer l'efficacité du système scolaire. L'efficacité, ce n'est pas enseigner plusieurs disciplines à la fois et pouvoir placer n'importe quel enseignant n'importe où. Cela n'est pas compatible avec l'égalité de droits des personnes, l'indépendance des fonctionnaires et l'équité dans les recrutements. La rigidité du barème d'affectation des personnels est le prix à payer pour un certain nombre de garanties. Sur les remplacements, un certain assouplissement est advenu au cours des dernières années. Dans le second degré, le système ne fonctionnait pas si mal. Les collègues affectés sur une zone pour remplacer les absences de courte durée ont vu leurs zones de remplacement s'élargir de plus en plus : il n'y a pas de rigidité de ce point de vue !
M. Serge Lagauche, président. - Nous connaissons la situation et ce dilemme : le statut des fonctionnaires doit être protégé mais des évolutions sont nécessaires pour que le service fonctionne mieux.
M. Pierre Garnier. - Depuis 2007, la profession, dans le premier degré mais aussi dans le second degré, est soumise à une véritable enclume. Affirmer qu'elle manque de souplesse et de réactivité me questionne. Nous sommes passés à 24 + 3 heures, avec la mise en place de l'aide personnalisé, de nouveaux programmes, etc. On ne peut pas reprocher à la profession et de ne pas être réactive ! La profession n'est pas figée dans des carcans. Elle a besoin d'une boussole, que seule la formation initiale et continue peut lui apporter. Il existe une certaine incompréhension des collègues lorsque les recteurs cherchent à favoriser l'efficience sur le territoire en ne considérant pas de la même façon tous les établissements.
L'enquête PISA a démontré que l'école maternelle a un effet positif sur les résultats des élèves. Que fait le politique en France ? Il marque un retrait sur l'école maternelle et la laisse en friche. Nous marchons sur la tête.
M. Christian Lage. - L'attractivité du métier d'enseignant se mesure au nombre de candidats passant le concours. Ce nombre a considérablement évolué. En outre, les demandes de mutations des personnels ont fondu dans notre secteur de façon colossale. Les collègues ont en effet la peur de se retrouver les derniers arrivés dans un établissement scolaire et de subir, s'il y a moins de moyens, une carte scolaire imposée.
La lisibilité de l'école pour l'opinion et la lisibilité des parcours sont fondamentales. Le mot « orientation » est essentiel. La voie professionnelle ne doit pas être ghettoïsée.
M. Jean-François Humbert. - Vous avez tous parlé d'insuffisances, de suppressions de postes, etc.
Le budget de l'éducation nationale s'établit à 60 milliards d'euros pour 2011 sur un budget de 286 milliards d'euros, soit un milliard d'euros pour un million d'habitants. Le budget de l'éducation nationale est certes en augmentation en Allemagne mais je ne suis pas certain que le rapport soit le même.
M. Serge Lagauche, président. - Je précise que nos désaccords pourront figurer dans le rapport de Monsieur Carle.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Cet exercice de style est extrêmement frustrant car nous ne pouvons pas réagir à vos propos au fil de vos interventions.
Nous avons relevé une profonde lassitude du corps enseignant et une perte de repères sur le sens de l'école, pour les enseignants et la population.
Vous avez évoqué la manière dont nous devrions expérimenter. Il est impératif de sortir de ce comportement erratique qui consiste à généraliser ou à revenir brutalement sur une expérimentation.
Nous avons besoin d'un engament politique partagé. Il s'agira d'être en capacité, à partir des diagnostics réalisés par les uns et les autres, dont l'enquête PISA, d'essayer de réfléchir avec l'ensemble de la communauté éducative sur les pistes à engager, y compris par l'expérimentation.
Les contraintes budgétaires imposées à l'école ne permettent pas un débat serein. Nous devons inventer ensemble l'école dont la France a besoin.
Mme Bernadette Bourzai. - Je partage entièrement cette position.
M. Jean-Marie Le Boiteux. - L'Allemagne a choisi de refonder complètement son type d'enseignement. Une amélioration a certes été constatée. Néanmoins, il semble que les élèves d'origine turque n'ont pas progressé. Il conviendrait d'étudier les méthodes qui ont réussi, partout dans le monde.
M. Jean-François Humbert. - Il faut ajouter, aux 60 milliards d'euros de budget de l'éducation nationale, les engagements des conseils généraux, des conseils municipaux, etc.
M. Philippe Tournier. - La France dépense, pour son éducation, une part de son PIB moins importante que les États-Unis. Dans la dépense à la tête, la France est dans le dernier tiers des pays évalués par le Centre d'analyse stratégique. 60 milliards d'euros est certes une somme considérable. Néanmoins, en comparaison internationale, la France ne mène pas d'efforts particuliers, bien qu'elle ne soit pas le dernier des pays.
M. Christian Lage. - La France est pilote pour la mise en oeuvre des European Credit System for Vocational Education and Training (ECVET), qui seront obligatoire en 2015.