- Mardi 1er février 2011
- Audition de Mme Anne Castot, chef du service de la surveillance du risque, du bon usage et de l'information sur les médicaments à l'Afssaps
- Audition de M. le professeur Jean-François Girard, président de « Sorbonne Paris Cité », ancien directeur de la Santé (1986-1997)
- Audition de M. le Professeur Hubert Allemand, médecin conseil de la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés
- Jeudi 3 février 2011
Mardi 1er février 2011
- Présidence de M. François Autain, président -Audition de Mme Anne Castot, chef du service de la surveillance du risque, du bon usage et de l'information sur les médicaments à l'Afssaps
M. François Autain, président. - Alors qu'elle est due à une initiative qui remonte au 21 novembre, notre mission commune d'information n'organise qu'aujourd'hui ses premières auditions, en commençant par celle de Mme Anne Castot, chef de service de la surveillance du risque, du bon usage et de la formation sur les médicaments à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). Nous voulons comprendre ce qui s'est passé avec le Mediator et éviter que de tels événements ne surviennent à nouveau.
Madame, je vous demanderai de commencer par décrire les étapes de votre carrière, les conditions de votre recrutement à l'Agence du médicament et les fonctions successives que vous avez exercées.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - J'ajoute que nos travaux sont ouverts à la presse.
M. François Autain, président. - En effet. Vous pouvez d'ailleurs demander le huis clos.
Mme Anne Castot. - Soyons transparents.
J'ai effectué toute ma carrière dans le service public, à l'hôpital Fernand Widal de Paris, où j'ai été médecin attaché, puis chef de clinique-assistant avant de devenir, en 1986, praticien hospitalier en pharmacologie clinique. J'ai exercé au centre antipoison dans le service du professeur Fournier, avant de faire partie des pionniers de la pharmacovigilance dans les années 1974-1975, au sein d'une structure créée à la demande des chefs de service de l'époque, car il nous fallut attendre 1984 pour qu'un décret reconnaisse cette nouvelle discipline.
Jusqu'en 1993, je me suis consacrée à la toxicologie clinique, à la pharmacologie et à la pharmacovigilance dans le centre de l'hôpital Fernand Widal, où j'ai poursuivi mon activité en consultation.
Lorsque l'Agence du médicament fut créée en 1993, j'ai été contactée par le professeur Jean-Michel Alexandre, futur directeur de l'évaluation du médicament. Après un temps de réflexion, j'ai accepté d'y travailler à titre temporaire, si bien que j'ai cumulé pendant quelques mois ce nouveau poste avec mon travail de pharmacovigilance à Fernand Vidal. Ce choix s'explique à la fois par les échanges que j'ai eus avec le professeur Alexandre et par la volonté d'infléchir ma carrière en quittant l'hôpital. Au demeurant, l'évolution n'a pas été sans difficultés, car je ne connaissais pas l'administration. Je suis restée à l'Agence à temps plein à partir de 1994. Souhaitant garder néanmoins un contact avec la clinique, j'ai conservé une activité de consultation hebdomadaire, puis bihebdomaire, avant d'y renoncer il y a deux ans à la suite d'un accident. Au demeurant, mes responsabilités au niveau européen étaient devenues prenantes.
M. François Autain, président. - Quelles étaient vos fonctions à l'Agence du médicament, à partir de 1994 ?
Mme Anne Castot. - Je fus tout d'abord nommée chef de l'unité de pharmacovigilance. Ma mission consistait à créer cette activité ab initio, et à l'organiser, sachant qu'elle allait devoir intégrer un an plus tard l'Europe du médicament, puisque l'Agence européenne du médicament date du 1er janvier 1995. Dès lors, j'ai représenté la France au groupe européen de pharmacovigilance.
M. François Autain, président. - Je vous remercie de ces précisions. Avez-vous eu à un moment de votre carrière un lien d'intérêts avec un laboratoire pharmaceutique ?
M. François Autain, président.- Nous commencerons par évoquer l'affaire du Mediator, avant d'aborder, si nous en avons le temps, l'évaluation et le contrôle du médicament.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur.- Quand et comment avez-vous été informée pour la première fois des effets nocifs du Mediator, qui a reçu son autorisation de mise sur le marché (AMM) en 1976 ? En Belgique, son enregistrement a été refusé dès 1977. Quelles mesures avez-vous alors prises ?
Connaissez-vous les suites données aux premières analyses portant sur le danger des fenfluramines, notamment après l'International Primary Pulmonary Hypertension Study, dite « enquête IPPHS », réalisée en 1995 ? Comment furent traitées les informations transmises à l'Agence dès 1998 par ses unités de pharmacovigilance ?
M. François Autain, président. - Quand avez-vous appris que le Mediator s'appelait benfluorex ?
Quand avez-vous fait le lien avec la dénomination commune internationale (DCI) élaborée par l'OMS ? Dans ce cadre, chaque famille thérapeutique est identifiée par un segment-clé. Ainsi, les dénominations ayant une terminaison en «-orex » désignent des anorexigènes. Il est vrai qu'au cours d'une interview donnée au Figaro, le professeur Lucien Abenhaïm a dit n'avoir découvert qu'en 1999 l'existence du benfluorex !
Mme Anne Castot. - Ces trois questions sont distinctes mais liées. Pour plus de clarté, je commencerai par la deuxième.
Quand j'ai rejoint l'Agence du médicament, l'évaluation des risques liés aux anorexigènes avait déjà commencé, qu'il s'agisse des amphétaminiques ou des fenfluraminiques. La direction de la pharmacie et du médicament (DPHM) s'intéressait aussi au sujet. Pour nous, l'année 1994 a joué un rôle charnière, puisque nous attendions les résultats préliminaires intermédiaires de l'étude IPPHS, conduite par le professeur Abenhaïm à la demande des laboratoires Servier, mais dont nous avions validé le principe et que nous avions largement prise en charge. La France a, en effet, été rapporteur de ce dossier sur le plan européen. J'ai donc participé à l'expertise européenne des anorexigènes, mais ma première rencontre avec le Mediator date du milieu 1995.
Au vu de l'étude IPPHS, nous avons saisi l'Agence européenne du médicament, à qui l'Allemagne avait demandé un arbitrage. La réévaluation a commencé en Europe par un tour de table sur les effets indésirables des anorexigènes dans les pays membres. Je souligne que cette démarche concernait les seuls produits dont l'AMM mentionnait une indication anorexigène. Or, le benfluorex était classé hypolipidémiant, c'est-à-dire dans une autre catégorie ; l'occasion de l'étudier a donc été manquée.
M. François Autain, président. - L'OMS le classe comme anorexigène.
Mme Anne Castot. - Je n'ai découvert cela que bien plus tard.
M. François Autain, président. - En quelle année ?
Mme Anne Castot. - En 1996, lorsque j'ai constaté sa présence sur la liste 3 du décret Talon.
M. François Autain, président. - Si tard ? Vous avez pourtant été sollicités plus tôt à son sujet, en 1995.
Mme Anne Castot. - Oui... Cela doit remonter à 1995.
M. François Autain, président. - En effet, je dispose d'une lettre que vous avez signée cette année-là. Il faut être précis.
Mme Anne Castot. - Il s'agissait alors d'interdire l'utilisation de ce produit dans certaines préparations magistrales. Nous avons procédé en deux temps.
M. François Autain, président. - Pourquoi ?
Mme Anne Castot. - Mus par une volonté de précaution, nous n'avons pas attendu les résultats des études européennes pour interdire l'utilisation dans les préparations magistrales des produits dont l'AMM établie en France mentionnait une finalité anorexigène. Ensuite, au début de l'été 1995, nous avons ajouté les anorexigènes autorisés seulement sur les autres marchés européens, ainsi que les produits figurant sur la liste 3 du décret Talon, dont le benfluorex. C'est alors que j'ai découvert l'existence de ce produit. Je me suis interrogée sur les raisons ayant motivé son inscription du fait de sa parenté structurale, sans pousser ma réflexion jusqu'à son terme...
M. François Autain, président. - Avez-vous envisagé une erreur ?
Mme Anne Castot. - Non. En effet, ce produit devait raisonnablement faire perdre du poids, ne serait-ce que par les effets périphériques sur le métabolisme.
Nous avons interdit le benfluorex par précaution dans les préparations magistrales, car il est extrêmement difficile de les surveiller, contrairement aux spécialités mises sur le marché, mais nous n'avions pas pris cette décision sur des arguments pharmacologiques rapprochant le benfluorex des anorexigènes.
M. François Autain, président. - Ce distinguo est curieux, puisque l'interdiction du benfluorex en préparation magistrale était motivée par la crainte d'un déplacement de prescription, qui pouvait tout aussi bien se produire avec la spécialité pharmaceutique.
Il est vrai que ne pas utiliser la dénomination commune internationale (DCI) est source de difficultés. Vous n'avez peut-être pas établi de lien entre le Mediator et le benfluorex.
Pourquoi ne pas avoir évoqué le sujet avec votre directeur ? Songez à ce que vous auriez évité si vous n'aviez pas gardé tout cela pour vous !
Mme Anne Castot. - Je ne me souviens pas de l'avoir fait, mais il n'est guère envisageable que le chef de la pharmacovigilance que j'étais n'ait pas évoqué ce sujet avec son directeur.
Il faut savoir qu'à cette époque, nous pratiquions une pharmacovigilance a posteriori : toute décision devait être fondée sur des certitudes. Depuis, les choses ont évolué.
J'ajoute que je n'avais jamais prescrit de Mediator et qu'il ne figurait à l'ordre du jour d'aucune réunion consacrée aux anorexigènes, ni en France ni en Europe. D'ailleurs, aucun autre Etat membre ne s'était posé la question.
L'interdiction d'utiliser le benfluorex dans les préparations magistrales nous semblait être une précaution car il est difficile, toujours aujourd'hui, de les maîtriser. En revanche, s'agissant d'un médicament surveillé par le système de pharmacovigilance, s'il y a des notifications - et il n'y en avait pas à l'époque -, nous aurons les signaux d'alerte permettant de mieux appréhender le profil de risque.
M. François Autain, président. - Pourquoi ne pas avoir carrément retiré le benfluorex du marché, puisque vous avez interdit son utilisation dans les préparations magistrales ? C'est incohérent !
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Avez-vous eu connaissance de l'étude IPPHS, demandée en 1992 par l'Agence du médicament ? Pourquoi n'avez-vous pas établi de lien avec le retrait de l'Isoméride, décidé en 1997 ?
Mme Anne Castot. - L'Isoméride et le Ponderal ont été retirés de tous les marchés en septembre 1997, à la demande des laboratoires Servier. Nous connaissions alors des cas de valvulopathies, observés uniquement aux Etats-Unis et très mal expliqués.
M. François Autain, président. - Avez-vous effectué des recherches en France ?
M. François Autain, président. - Et vous n'avez rien trouvé ?
Mme Anne Castot. - Non. Les conditions d'utilisation aux Etats-Unis étaient différentes. Ces produits y étaient prescrits à de vrais obèses - car l'obésité y est un authentique sujet de santé publique - en association avec d'autres anorexigènes amphétaminiques. J'observe que l'AMM a été délivrée aux Etats-Unis en 1996, alors que le processus de retrait était engagé sur le Vieux Continent. En France et en Europe, les prescriptions concernaient des patients au surpoids modeste ou nul, avec des durées de traitement beaucoup plus courtes.
En septembre 1997, nous avons tenté de savoir si le problème existait en France et en Europe. La Commission européenne a demandé une réévaluation du bénéfice thérapeutique et du risque inhérent aux amphétaminiques et aux fenfluraminiques. Je fus le rapporteur. Il est apparu qu'il n'y avait pas en Europe de valvulopathies reliées à ces spécialités - sauf en Belgique où elles étaient prescrites simultanément à d'autres anorexigènes, comme l'Amphepramone.
M. François Autain, président. - En France aussi il y a eu des co-prescriptions ! Le centre régional de pharmacovigilance (CRPV) de Besançon a signalé onze cas d'hypertension artérielle pulmonaire due à l'absorption en association d'Isoméride et de benfluorex.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Quand avez-vous été pour la première fois informée des effets nocifs du Mediator ? Comment ces informations ont-elles été traitées au sein de l'Agence ?
Mme Anne Castot. - Entre 1995 et 1997, ce produit a été mis sous surveillance par le CRPV de Besançon. Fin 1997 - début 1998, suite à l'affaire des anorexigènes, il a été décidé de faire le point sur les données de notifications spontanées. Le profil pharmacocinétique de ce produit a été examiné au vu des connaissances acquises au sujet des fenfluramines et des autres spécialités dont l'AMM mentionnait un effet anorexigène.
M. François Autain, président. - Tout le problème est là !
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Comment les informations étaient-elles traitées au sein de l'unité de pharmacovigilance ?
Mme Anne Castot. - Courant 1998, un comité technique a examiné les données présentées par le CRPV de Besançon.
M. François Autain, président. - Ne disposiez-vous pas de résultats officieux depuis 1995 ?
Mme Anne Castot. - Non ! Nous craignions seulement une déviation de la prescription en raison de la parenté chimique. D'où l'enquête confiée au CRPV de Besançon, qui a été renforcée en 1998.
M. François Autain, président. - Pourtant, les premiers éléments étaient disponibles dès 1995.
Mme Anne Castot. - Il n'était alors question que de parenté chimique et de risques de déviation dans la prescription. C'était extrêmement ténu.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Pourquoi avoir maintenu l'indication de diabète avec surcharge pondérale lorsqu'en juillet 2007 la commission d'AMM a supprimé l'indication de troubles du métabolisme des lipides ?
Quels liens aviez-vous établis avec les autres Agences de sécurité sanitaire ?
Mme Anne Castot. - En juillet 1999, j'ai quitté la pharmacovigilance pour prendre en charge la coordination des vigilances.
Pendant une partie de mon exercice professionnel à l'Agence, je suis passée en deuxième position.
Fin 1998, deux démarches parallèles se déroulaient. L'une, conduite en France, concernait spécifiquement le produit ; l'autre, qui avait démarré en septembre 1998, était consécutive à la lettre envoyée par le professeur Garattini, suggérant d'inclure ce produit dans l'évaluation conduite à l'initiative de la Commission européenne sur les liens entre anorexigènes et valvulopathies.
M. François Autain, président. - Le professeur Garattini présentait-il le Mediator comme un anorexigène ?
M. François Autain, président. - Qu'en pensiez-vous ?
Mme Anne Castot. - Je ne pouvais qu'admettre cette idée, puisque le métabolisme de ce produit libère des norfenfluramines, dont les propriétés sont les mêmes que celles des fenfluraminiques.
M. François Autain, président. - Les « mêmes propriétés » ? Dites plutôt la même nocivité !
Mme Anne Castot. - Je me posais des questions. Certains parlaient d'hypertension artérielle pulmonaire liée à la norflenfluramine, mais certains travaux suggéraient que cet effet n'était pas dû à la consommation d'un produit isolé. Nous nous interrogions sur son rôle dans les valvulopathies, confirmé en 2000. Un cortège d'arguments suggérait que le Mediator pouvait se comporter comme les fenfluraminiques, mais sans preuve catégorique, ni compréhension du mécanisme.
Fin 1998, l'enquête française de pharmacovigilance continue. Saisie par le professeur Garattini, l'Agence européenne du médicament n'estime pas nécessaire de modifier la réévaluation en cours. Elle a donc saisi de ce dossier le groupe de pharmacovigilance dont j'étais vice-présidente. Nous avons alors lancé une évaluation sur deux pays : l'Italie et la France.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Quand avez-vous su que l'Espagne et l'Italie avaient retiré le Mediator ? Quelles conséquences ces décisions ont-elles eues pour l'Agence ?
Mme Anne Castot. - Pour l'Espagne, je l'ai su dès 2003. En revanche, je n'ai aucun souvenir s'agissant de l'Italie, car j'étais chargée de coordonner les diverses actions de vigilance entre l'hémovigilance des produits sanguins labiles, la biovigilance portant sur le triptyque organe-tissu-cellule et la cosmétovigilance, outre les domaines alimentaire et environnemental. Il fallait que toutes les structures concernées travaillent ensemble. Pendant l'été 2005, le directeur général de l'Afssaps m'a demandé de revenir pour y développer le système de gestion des risques et mettre en place l'activité de plans de gestion du risque, ainsi que les études pharmaco-épidémiologiques.
Au demeurant, je n'ai jamais totalement cessé de suivre ce dossier, étant présidente du groupe européen de pharmacovigilance, où j'étais tenue à une certaine réserve, puisque je ne représentais pas la France.
M. François Autain, président. - Vous vous êtes contentée de le suivre... Avez-vous utilisé les moyens tirés de l'article 12 pour imposer à vos partenaires une vision plus rigoureuse du benfluorex ? Vous disposiez des éléments permettant de faire retirer le benfluorex du marché, mais je n'ai pas l'impression que la France ait fait entendre sa voix...
Mme Anne Castot. - Alors que la règle « un pour tous, tous pour un » s'applique en cas de procédure communautaire, il est en revanche extrêmement difficile de se faire entendre dans le cadre européen lorsqu'on est en minorité sur un produit. Le benfluorex n'était commercialisé que dans certains pays. Les autres n'étaient pas intéressés.
J'espère que la révision communautaire va changer les choses.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Puisqu'il ne s'agissait pas d'une autorisation européenne, pourquoi la France n'a-t-elle pas retiré ce produit, comme l'Espagne l'a fait dès 2003 ?
M. François Autain, président. - Excellente décision !
Mme Anne Castot. - L'Espagne n'a pas retiré le produit du marché.
M. François Autain, président. - Vous faites du formalisme !
Mme Anne Castot. - En 2003, nous connaissions un cas de valvulopathie en Espagne. La commercialisation y a été immédiatement arrêtée par le laboratoire, mais les autorités de ce pays nous ont simplement informés que le benfluorex n'y était plus en vente.
M. François Autain, président. - Sans mentionner de liens avec la valvulopathie ?
Mme Anne Castot. - Mais c'est aujourd'hui que l'on se pose cette question !
M. François Autain, président. - Aurait-il fallu que Servier retire le benfluorex du marché français pour que nous en soyons débarrassés ?
Mme Anne Castot. - La pharmacovigilance repose sur des données provenant des professionnels de la santé, mais aussi sur celles transmises par les laboratoires. En 2003, Servier ne nous avait pas informés de ce qui avait motivé son retrait des marchés espagnol et italien.
Mme Nathalie Goulet. - Je ne suis ni médecin, ni pharmacien, mais je consomme des coupe-faim. Lorsque vous avez reçu la lettre des laboratoires Servier au sujet du Ponderal et de l'Isoméride, quel a été le circuit d'examen de ce courrier ? Quelle publicité les risques éventuels ont-ils reçue ?
Comment expliquez-vous le maintien du Mediator malgré le retrait de deux spécialités chimiquement semblables ? Le Dinintel était analogue au Mediator.
M. Jean Desessard. - Je suis perplexe. Quand on vous interroge, vous évoquez l'Europe ou l'avis de votre directeur, vous répondez que vous attendiez de savoir si le laboratoire prendrait une initiative. Est-ce à dire qu'à votre sens l'Agence du médicament doive se contenter d'une activité journalistique faisant le point sur l'information et la diffusant, ou estimez-vous qu'elle doive anticiper les dangers pour protéger la santé des gens ? Ce que j'ai entendu jusqu'à présent évoque plutôt un service administratif empilant des dossiers avec inertie.
M. François Autain, président. - La comparaison avec les journalistes ne doit pas sembler critique, car ils ont effectué un travail remarquable.
M. Jean Desessard. - En effet.
M. François Autain, président. - On ne peut pas en dire autant de l'Afssaps.
M. Bernard Cazeau. - Le 1er février 2001, Servier vous a donc envoyé un courrier décrivant le protocole d'une étude à conduire normalement en douze mois, mais celle-ci n'a été réalisée qu'en 2006 et transmise à l'Afssaps qu'en 2009 ! Pourquoi ces délais ? Pourquoi n'avez-vous pas insisté auprès du laboratoire pour que les résultats vous soient communiqués dans les délais habituels d'un an au lieu de trois ?
Mme Anne Castot. - Servier nous a envoyé non un courrier, mais la nouvelle qu'il allait retirer l'Isoméride et le Ponderal. Disposant d'un peu d'avance sur l'annonce officielle, nous avons immédiatement mis fin à toute commercialisation de ces deux spécialités.
M. François Autain, président. - Il me semble que le laboratoire a pris sa décision en France trois jours après la fin de la commercialisation aux Etats-Unis. Cela montre une nouvelle fois sa grande compassion...
Mme Anne Castot. - A cette époque, j'étais chef d'unité. Servier a pris une décision extrêmement brutale.
M. François Autain, président. - Par précaution.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Le laboratoire, pas l'Agence chargée de la pharmacovigilance.
Mme Anne Castot. - Les conditions de prescription des anorexigènes étaient extrêmement restreintes depuis plusieurs années.
M. François Autain, président. - C'est exact.
Mme Anne Castot. - Nous arrivions au bout de l'évaluation européenne. Un arbitrage contraignant avait alors laissé le produit sur le marché, mais seulement sur une niche divisant par plus de cent la consommation, qui atteignait auparavant quelques centaines de milliers de boîtes par mois.
Nous connaissions alors les premiers cas de valvulopathie constatés à la Mayo Clinic. D'où la réunion organisée au plan européen.
M. François Autain, président. - Pour les réunions, vous êtes imbattables : il y en a eu dix-sept sur le benfluorex ! Votre problème, c'est l'action.
Mme Anne Castot. - Nous avons élargi l'évaluation à tous les anorexigènes, donc aussi au Dinintel.
M. François Autain, président. - Et au benfluorex ?
Mme Anne Castot. - Non ! L'AMM du Mediator ne mentionnait aucune « aide à perdre du poids ».
M. François Autain, président. - Saviez-vous qu'il s'agissait d'un anorexigène au sens de l'OMS ?
Mme Anne Castot. - Pas encore.
M. François Autain, président. - Quand en avez-vous pris conscience ?
Mme Anne Castot. - Bien plus tard.
M. François Autain, président. - N'aviez-vous pas de contact avec l'OMS ?
M. François Autain, président. - La terminaison en «-orex » ne vous avait rien suggéré ?
Mme Anne Castot. - Ni à moi, ni aux autres pharmacologues.
M. François Autain, président. - Si ! Dès 1976, le n° 4 de la revue « Pratiques » a publié un article où était indiqué ce que nous avons découvert vingt ans plus tard.
Mme Anne Castot. - Je ne le conteste pas.
M. François Autain, président. - C'est heureux !
Mme Anne Castot. - Je suis humble, sans aucune prétention à être un grand pharmacologue.
M. François Autain, président. - Il y en avait à vos côtés.
Mme Anne Castot. - Parmi les experts consultés, aucun ne nous a alertés.
M. Jean Desessard. - Comment concevez-vous le rôle d'anticipation de l'Agence ?
Mme Anne Castot. - Je suis arrivée dans le domaine de la pharmacovigilance au début des années soixante-dix ; le système a beaucoup changé en trente-cinq ans pour éliminer ses insuffisances et ses dysfonctionnements. Depuis 2005, il anticipe bien mieux.
M. François Autain, président. - Vous me rassurez.
Mme Anne Castot. - Je vous rappelle que la définition initiale de la pharmacovigilance au plan européen concernait l'ensemble des risques liés à l'usage des médicaments dans les conditions de l'AMM.
Selon M. Desessard, nous n'avons pas pris les décisions qui s'imposaient, mais les directeurs des centres de pharmacovigilance se réunissent tous les mois.
M. Jean Desessard. - Ce n'est pas une raison pour ne rien décider.
Mme Anne Castot. - Jusqu'à la mi-1998, le comité technique estimait que les arguments manquaient pour suspendre la vente d'un produit sur la seule base d'une parenté chimique et parce que l'OMS reconnaissait un effet anorexigène. Jusqu'à présent, la pharmacovigilance repose largement sur les notifications spontanées transmises par des professionnels de santé - qui sont tenus de signaler tout lien possible entre un événement indésirable et la prise d'un médicament. Bientôt, les patients et leurs associations pourront participer au dispositif.
Toute cette affaire se caractérise par une grande sous-notification d'événements indésirables. En 2009, la décision de retrait a été prise alors que moins de quarante cas d'hypertension artérielle pulmonaire avaient été rapportés.
M. François Autain, président. - N'est-ce pas assez ? Combien vous en faut-il ? En Italie et en Espagne, un seul a suffi.
Mme Anne Castot. - La décision italienne était fondée sur d'autres considérations.
M. François Autain, président. - C'est vrai, mais les cas répertoriés en France suffisaient à suspendre le Mediator après le cas de Marseille. Vous ne l'avez pas fait.
M. Bernard Cazeau. - Je répète ma question : pourquoi Servier a-t-il pu attendre trois ans pour vous remettre son étude, elle-même tardive ?
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Avez-vous eu connaissance de conflits d'intérêts ? Comment ceux-ci étaient-ils gérés ?
Mme Anne Castot. - En 2001, nous souhaitions une étude comparant l'efficacité du Mediator et celle d'autres antidiabétiques, en ajoutant une surveillance écho-cardiographique des patients avant et après traitement.
Le premier protocole européen de 2001 a été regardé de près par les Français et les Italiens, qui ont d'ailleurs réagi plus vite que nous. Portant sur l'efficacité, les résultats de l'étude Moulin étaient disponibles en 2005. L'étude Regulate sur la tolérance a été conduite entre 2005 et 2007. Nous avons réussi à en obtenir les résultats après septembre 2009.
M. Bernard Cazeau. - Comment expliquer ce délai inhabituel ?
Mme Anne Castot. - La rédaction d'un protocole est rapide, mais il faut ensuite choisir les centres, inclure les patients et obtenir l'autorisation de la Cnil. Tout cela prend plus d'un an. Reste à faire l'étude et à en analyser les résultats. Que l'ensemble du processus prenne trois ans n'est pas pour surprendre.
M. Jacky Le Menn. - La pharmacovigilance fonctionne-t-elle encore sur la base des transmissions spontanées ? Comment les décisions sont-elles prises, dès lors qu'une nocivité est perçue ?
Par ailleurs, vous avez dit qu'il était compliqué de se faire entendre au niveau européen lorsqu'on est minoritaire. Il s'agit pourtant d'une question scientifique. Les notions de minorité et de majorité n'ont rien à voir avec la vérité scientifique !
M. Jean-Jacques Mirassou. - Tout ce que vous avez dit est remarquable au sens péjoratif du terme. Certains produits disponibles sur le marché sont soumis au principe de précaution. Avant le Mediator, il y avait eu l'Isoméride, quasiment identique. La pharmacovigilance a été doublement coupable, puisque le cas de ce médicament n'a pas été considéré comme un signalement très fort pour au moins revoir l'AMM du Mediator.
M. François Autain, président. - Le benfluorex n'était pas considéré comme un anorexigène.
Mme Anne Castot. - Pas jusqu'en 1995, quand les premiers doutes sont apparus quant à l'usage des préparations magistrales. Pour la préparation pharmaceutique, cette propriété n'a été claire qu'en 1998.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Etait-ce avant ou après le courrier envoyé le 21 septembre 1998 par les médecins conseil des trois principales caisses nationales d'assurance maladie ?
Mme Anne Castot. - La décision date du mois d'avril.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Avez-vous eu connaissance du courrier envoyé en septembre ?
Mme Anne Castot. - Oui. Nous avons répondu qu'une enquête était en cours.
M. François Autain, président. - Vous avez répondu ! C'est beaucoup, mais vous n'avez pris aucune décision.
Mme Anne Castot. - Je m'exprimais comme chef d'unité de pharmacovigilance.
M. François Autain, président. - Rassurez-vous : nous interrogerons votre supérieur hiérarchique.
Mme Anne Castot. - Le premier cas index d'insuffisance aortique a été signalé en 1999, suivi d'un cas d'hypertension artérielle pulmonaire.
M. François Autain, président. - Cela ne suffît toujours pas : en France, nous sommes exigeants.
Mme Anne Castot. - Fin juin 1998, j'ai écrit une lettre pour dire que ces deux cas et les données pharmacologiques devaient conduire à accélérer la réévaluation.
Monsieur Le Menn, la pharmacovigilance est restée une responsabilité nationale jusqu'en 1985, qu'il s'agisse de surveiller les risques ou de prendre des décisions. A cet égard, je tiens à souligner que, dès que l'Isoméride a reçu l'AMM, nous avons organisé une surveillance, par crainte de voir réapparaître les inconvénients du Ponderal. Dans les deux cas, l'AMM comportait une indication anorexigène.
A partir de 1995, nous arrivons dans l'Europe du médicament. L'Agence européenne du médicament s'intéresse d'abord aux procédures centralisées. Prises dans ce cadre à la majorité des vingt-sept membres, ses décisions sont contraignantes. Peu après 1995, la France a pris ses responsabilités et saisi l'Agence européenne de certains produits, qui n'étaient pas tous anorexigènes.
En cas de procédure d'« arbitrage », un ou plusieurs Etats membres soumettent des questions. Les recommandations du comité des spécialités pharmaceutiques sont transmises à la Commission de Bruxelles, qui les avalise ou s'abstient de le faire.
Les difficultés apparaissent lorsque la procédure n'est pas contraignante, quand le produit n'est pas sur tous les marchés, comme l'a montré l'exemple du Ketum.
M. François Autain, président. - Ce qui n'est pas le cas du Mediator qui pouvait être retiré sans passer par les instances européennes !
Mme Anne Castot. - Je vous parle de la période allant de 1994 à 1998. Ensuite, ce médicament a été considéré comme anorexigène. Suite à la suspension de l'Isoméride en 1998, nous avons considéré qu'il fallait mener une enquête de pharmacovigilance afin de mettre en évidence le plus rapidement possible le profil du risque potentiellement similaire à l'Isoméride et au Pondéral. Quand on surveille un médicament, il faut mettre en regard risques et efficacité.
M. François Autain, président. - Cela ne plaide pas en faveur du Mediator puisqu'il était prouvé que le Mediator ne servait à rien !
Mme Anne Castot. - Il y a eu un problème de process à un moment donné : on voyait l'efficacité sans prendre suffisamment en compte les risques. Ce n'est qu'à partir de 2004, avec les textes européens, que la notion de bénéfice-risque est devenue primordiale. En outre, il a été décidé, avec la révision communautaire, que l'évaluation du risque devait prendre en compte l'usage thérapeutique.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Nous avons rencontré les mêmes problèmes au moment du Vioxx. A l'époque, Mme Payet et moi-même étions rapporteur et nous avions proposé un certain nombre de solutions dont on peut s'étonner qu'elles n'aient pas été suivies d'effet.
Vous avez dit que le Mediator avait fait l'objet de quarante notifications. De plus, vous avez dit que les médicaments étaient mis sur le marché selon un modèle pastorien. Or, la plupart des médicaments sont aujourd'hui délivrés pour des pathologies à long terme. Le modèle pasteurien risque de dysfonctionner d'autant plus. Le modèle de mise sur le marché avec une évaluation de bénéfice-risque reposant sur un modèle pastorien ne semble-t-il pas inadapté à la réalité actuelle ?
Mme Anne Castot. - Suite à l'évolution de la législation, notamment en décembre 2005, les mises sur le marché des médicaments ont beaucoup évolué. Depuis lors, quand on met un médicament sur le marché, on part du principe que rien n'est figé et que tout reste à faire. Dans la mesure où les essais thérapeutiques sont réalisés de façon aseptisée, on ne peut savoir exactement comment les médicaments vont se comporter une fois sur le marché. C'est pourquoi les Etats-Unis, l'Europe, dont la France, ont mis en place des plans de gestion des risques. Ces études portent sur la production, l'utilisation et la prescription des médicaments mis sur le marché.
M. François Autain, président. - C'est la théorie. Dans la pratique, nous savons bien que les choses se passent différemment.
Nous allons être obligés d'interrompre cette audition, mais elle pourra reprendre ultérieurement si nous avons d'autres questions à vous poser.
Mme Nathalie Goulet. - Un problème de méthode, monsieur le président. Comme nous ne sommes pas tous des spécialistes, serait-il possible de disposer d'organigrammes précis pour savoir exactement qui sont nos interlocuteurs et de schémas sur le système du médicament ?
M. François Autain, président. - Je vous invite à consulter le remarquable rapport qui a été rédigé par Mme Hermange en 2005 et qui décrit le très complexe circuit du médicament.
Mme Nathalie Goulet. - Rien n'a changé depuis 2005 ?
M. François Autain, président. - J'en ai bien peur !
Audition de M. le professeur Jean-François Girard, président de « Sorbonne Paris Cité », ancien directeur de la Santé (1986-1997)
M. François Autain, président. - Nous avons l'honneur et le plaisir de recevoir M. le professeur Jean-François Girard, président de « Sorbonne Paris Cité » et ancien directeur général de la santé de 1986 à 1997. Au cours de cette période, un certain nombre de décisions ont été prises en ce qui concerne le Mediator. Je ne pense pas avoir à vous demander si vous avez des liens d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique.
M. Jean-François Girard. - Ni à cette époque, ni depuis !
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Pouvez-vous nous dire quand et comment vous avez été informé pour la première fois des effets nocifs du Mediator et quelles mesures vous avez prises, alors que vous étiez directeur général de la santé de 1986 à 1997 ?
Comment expliquez-vous que le Mediator ait fait l'objet d'une validation restrictive le 22 avril 1987 restée lettre morte pendant dix ans, comme le fait remarquer le rapport de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) ? Lorsque, enfin, la modification de l'AMM intervient le 16 avril 1997, elle sera de façon incompréhensible annulée le 5 juin de la même année. Comment expliquez-vous une telle décision ? Le rapport de l'Igas évoque la possibilité d'une « instruction d'un des responsables de la direction de l'évaluation ».
M. Jean-François Girard. - Tout d'abord, je veux vous dire quelque chose qui va vous paraître sans doute stupéfiant : je n'ai aucun souvenir de ces événements. Ce n'est que récemment, exerçant d'autres métiers, que j'ai pris connaissance des actes que j'avais signés. Comme vous pouvez l'imaginer, cette situation m'a interpellée : s'agissait-il d'un affaiblissement de la mémoire ? Cela arrive à tout le monde... Cela fait effectivement une quinzaine d'années. Deuxièmement, et c'est une hypothèse que formule un médecin qui s'est intéressé un peu à la physiologie, peut-être que mes molécules d'ARN, largement sollicitées depuis par des métiers tout aussi épuisants que celui de directeur général de la santé, ont dû faire place à autre chose - puisque j'ai exercé la présidence de l'Institut de recherche pour le développement pendant huit ans, puis mon actuel métier de président d'un pôle de recherche d'enseignement supérieur à Paris. La troisième remarque que je ferai sur la faillite de la mémoire éclaire sans doute le mieux le fonctionnement de l'administration en général, et en tout cas celui de la direction générale de la santé : je n'ai pas de souvenir de ce dossier. Par contre, j'ai des souvenirs très précis en ce qui concerne les dossiers du pilotage de la lutte contre le Sida dont j'ai été un temps le délégué interministériel, de l'amiante et de la crise de la vache folle. Lorsqu'on est directeur général de la santé, on ne voit pas tout : on s'investit beaucoup dans des dossiers lourds à vos yeux, pour les ministres que vous servez et pour la société, mais d'autres dossiers ont pu apparaître, du moins à cette époque, ne pas nécessiter le même type d'investissement du directeur général de la santé. Ceci étant, cela veut dire que je faisais confiance à mes collaborateurs et si j'ai signé un arrêté publié au Journal officiel, c'est qu'il était accompagné d'un fond de dossier qui m'a convaincu. Vous devez bien comprendre que ces dossiers lourds mobilisaient toute mon attention et d'autres, qui pouvaient apparaître à l'époque plus « secondaires », même si le terme peut aujourd'hui choquer, étaient traités par les trois cents fonctionnaires de mon administration. Enfin, il faut garder à l'esprit qu'à l'époque coexistaient la direction générale de la santé et la direction de la pharmacie et des médicaments puis, depuis la loi du 4 janvier 1993, a été créée l'Agence du médicament, aujourd'hui l'Agence française de sécurité sanitaires des produits de santé (Afssaps).
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Grâce au Sénat !
M. François Autain, président. - Et grâce au gouvernement de Lionel Jospin !
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Que de bonnes fées !
M. Jean-François Girard. - L'expérience que j'en retire, notamment lorsque j'ai réalisé en 2006 un rapport au gouvernement sur la veille sanitaire, est que la compétence de la direction générale de la santé ne concerne pas le médicament, sauf pour les préparations magistrales, ce que je ne m'explique pas.
M. François Autain, président. - On se prend à regretter qu'elle n'ait pas été aussi responsable pour tous les médicaments !
M. Jean-François Girard. - C'est un autre débat, sur la taille et le périmètre des administrations.
J'ai eu à gérer diverses crises sanitaires - crise de la vache folle, sang contaminé, hépatites, clinique du sport et amiante -, et loin de moi l'idée de vouloir me défausser. A l'époque, nous voulions à la fois analyser les crises que nous subissions et dire la vérité à nos concitoyens. De plus, la coexistence de diverses administrations me rendait attentif au respect des frontières entre les unes et les autres. C'est sans doute aussi pourquoi ce dossier a été considéré à l'époque comme « secondaire » - et je ne voudrais pas que cette expression soit considérée comme quantitative - par rapport à celui de la vache folle ou celui du Sida. En outre, il a relevé de la direction de la pharmacie et du médicament puis de l'Agence du médicament.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - En octobre 1995, vous avez signé un arrêté interdisant le benfluorex dans les préparations magistrales. Pourquoi cette interdiction n'a-t-elle pas été étendue aux préparations pharmaceutiques ? Vous venez implicitement de nous répondre : ce n'était pas de votre responsabilité. Pourquoi aucun lien n'a-t-il été établi avec le retrait de l'Isoméride en 1997 ? Comment expliquez-vous que, selon le rapport de l'Igas, de 1987 à 2001, les responsables de l'évaluation du médicament de l'Agence « ont fait passer la promesse de nouvelles études de la firme, études dont ils connaissaient pourtant les faiblesses, avant l'application de leurs propres décisions constatant la très faible efficacité thérapeutique du Mediator » ?
M. Jean-François Girard. - Concernant l'Isoméride, j'ai certes signé un arrêté qui relevait des attributions de la direction générale de la santé, mais je n'ai pas eu la curiosité, ni le temps, de me mêler des attributions d'une autre direction ou d'une agence. Il y a un débat sur une meilleure réponse du dispositif sanitaire à ce genre de situation. De nombreux acteurs interviennent dans la politique de la santé et il serait légitime de s'interroger sur la création d'une autorité de tutelle.
M. François Autain, président. - Nous reviendrons sur ces questions en abordant votre rapport de 2006. Vous avez signé deux arrêtés mais, si j'en juge par une lettre signée d'une chargée de mission à l'Agence du médicament, Mme Hélène Sainte Marie, vous ne suiviez pas personnellement ce dossier. D'ailleurs, à l'époque, elle se demandait pour quelle raison l'Afssaps vous demandait de signer un deuxième arrêté en octobre, après celui de mai. On aurait peut-être pu faire signer un seul arrêté. Les deux arrêtés dénotent que, dans ce domaine, l'Afssaps a beaucoup hésité.
M. Jean-François Girard. - Je n'ai pas de souvenir sur ce point. Je me dois de vous préciser que, lorsque j'ai quitté mon poste, je n'ai pris aucun document avec moi : tout à été versé aux Archives nationales. Je ne peux pas donc pas répondre.
Sinon, selon son intitulé, la sous-direction était compétente pour la pharmacie et pas pour le médicament. La direction générale de la santé était chargée des services professionnels de santé, y compris les professions pharmaceutiques. Mme Sainte Marie était chargée de mission auprès du sous-directeur de la pharmacie, à qui elle a succédé. Son sérieux, son sens de l'intérêt général et sa connaissance des dossiers ne sont pas discutables.
M. François Autain, président. - Est-elle toujours en activité ?
M. Jean-François Girard. - Je ne sais pas.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Estimez-vous que l'influence des laboratoires est forte auprès des administrations publiques ? Explique-t-elle « l'incompréhensible tolérance de l'Afssaps à l'égard du Mediator » que l'Igas a soulignée ?
M. Jean-François Girard. - Dans une vie antérieure, quand j'exerçais une activité hospitalière, je ne recevais déjà pas les visiteurs médicaux. Je n'ai jamais eu de contact avec les laboratoires, à deux exceptions près : pour les vaccins, parce que l'Etat est pour ainsi dire prescripteur, puisqu'il s'agit d'une véritable politique publique comportant un calendrier et l'engagement de sa responsabilité par l'Etat. Il était donc normal que le directeur général de la santé reçoive les laboratoires producteurs de vaccins. En outre, j'ai également eu des contacts avec les laboratoires en 1996 à l'occasion de l'apparition sur le marché des trithérapies contre le Sida. Avec le ministre de la santé de l'époque, M. Gaymard, nous avons décidé de généraliser très vite l'accès du plus grand nombre aux trithérapies. En quatre mois, ce fut chose faite et j'estime qu'il s'agissait à l'époque d'une politique de santé publique : rendre les trithérapies accessibles à tous.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Nous en arrivons à l'évaluation et au contrôle du médicament. A la suite de l'affaire du Vioxx, le Sénat a publié en 2006 un rapport dont celui de l'Igas reprend un certain nombre des préconisations. En tant qu'ancien directeur général de la santé, avez-vous des propositions pour améliorer l'organisation institutionnelle de la sécurité sanitaire, notamment sa simplification ?
Dans un article d'un quotidien du soir daté du 15 janvier 2011, reprenant un rapport que vous aviez remis en 2006, vous estimez qu'il serait souhaitable de rapprocher les agences pour éviter la balkanisation, pour réduire les coûts et pour développer une culture commune. Ce rôle n'incombe-t-il pas au comité d'animation du système d'agences (Casa) créé en 2008 et regroupant, autour du directeur général de la santé, les dix opérateurs sanitaires et l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) ?
M. Jean-François Girard. - C'est toute l'histoire de l'administration de la santé et de son renforcement depuis deux décennies que vous évoquez là ! J'ai créé le premier embryon d'agence en 1992 avec le réseau national de santé publique. J'ai joué un rôle dans sa création, non pas du fait des crises sanitaires antérieures, mais parce que j'avais en effet été très impressionné lors d'un voyage aux Etats-Unis effectué en 1987 par le CDC (Center for Disease Control and Prevention), et je m'étais juré que nous aurions un CDC en France. Il m'a fallu cinq ans pour obtenir la création du réseau national de santé publique. Globalement, la création des diverses agences françaises a été positive, mais des questions demeurent. Le ministère de la santé dispose désormais de lieux d'expertise qu'il n'avait pas auparavant. A une époque où la croissance de la fonction publique n'était déjà plus de mise, nous avons obtenu de l'ordre de mille cinq cents postes pour ces agences, ce qui a donné au ministère de la santé une puissance de feu en termes d'expertise. Pour leur part, les administrations centrales auraient dû se focaliser sur leur métier : faire de la stratégie et appliquer les politiques gouvernementales. En 1993 fut créée l'agence du médicament, puis en 1998 l'Afssaps, ainsi que la création de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset), ayant fusionné récemment avec l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa).
Mais il est évident qu'une approche sectorielle plutôt qu'une approche globale de la santé peut être un handicap. Traiter de façon segmentaire le domaine du médicament indépendamment des autres aspects de la politique de santé conduit à une forme d'autarcie intellectuelle. Les inconvénients de cette organisation ne sont-ils pas supérieurs aux avantages qu'on peut en espérer ? Il faut également savoir qui pilote, d'autant que le pilotage doit être rigoureux. Je ne peux en revanche répondre sur la performance du Casa, même si dans son principe il répond à un besoin indispensable. En outre, je veux insister sur le caractère interministériel de toute politique en matière de santé. Ainsi, la sécurité alimentaire est à la fois sous l'autorité des ministres de l'agriculture, de la santé, de l'équipement et du travail !
Enfin, il est temps d'évaluer le dispositif qui a été mis en place depuis une bonne dizaine d'années. Enfin, madame le rapporteur, vous avez évoqué la pharmacovigilance, sans que le nom n'en soit prononcé.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - J'allais vous poser la question. Que pensez-vous de la prise en compte des décisions de rejet ou de retrait d'AMM dans les autres pays et des signalements directs des effets nocifs par les patients et les associations ? Comment mieux utiliser les données recueillies par les centres régionaux de pharmacovigilance ?
Comment développer une expertise indépendante des laboratoires et comment lutter contre les conflits d'intérêts ?
Comment accélérer les mesures de suspension et de retrait, améliorer la transparence et le pluralisme, dès lors qu'il y a plusieurs cas de notification ? A quel moment doit-on décider de retirer un médicament ?
M. Jean-François Girard. - Lorsque j'étais directeur général de la santé, je me suis intéressé à la pharmacovigilance, mais je n'ai pas vu fonctionner ce secteur de l'intérieur.
Sur la pharmacovigilance, j'ai une position minoritaire, inchangée depuis 1993 et réaffirmée dans mon rapport de 2006 : j'estime qu'elle ne doit pas être du ressort de l'Agence du médicament. Il faut en effet éviter tout conflit d'intérêts, conscient ou inconscient. On ne peut à la fois être juge et partie. Sur ce point, je vous renvoie au rapport qui a été rendu par M. Sauvé au Président de la République : les grandes règles qui y sont rappelées à propos des conflits d'intérêts dans des situations différentes peuvent s'appliquer à la question qui nous réunit cette après-midi. L'administration qui joue un rôle dans l'accès aux médicaments peut-elle, en même temps, les contrôler, faire preuve de la nécessaire défiance, prendre en compte la moindre alerte ? Je pense que la fonction d'alerte de la pharmacovigilance doit être sortie de l'Agence. Par exemple, si un symptôme apparaît, le lien avec la prise de médicaments doit être analysé. Le dépistage des signes qui contribue à la pharmacovigilance est un acte médical et implique une déclaration à l'Institut de veille sanitaire (InVS). Cet organisme est chargé de collecter les variations de l'état de santé de la population, fussent-elles faibles. Ainsi, l'épidémie de Sida a-t-elle été détectée au CDC grâce à la consommation excessive de certains médicaments. Le donneur d'alerte doit être extérieur à l'Agence du médicament, même s'il est envisageable que cette dernière prononce le retrait du marché.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - M. Hirsch a dit qu'il fallait « renationaliser » la pharmacovigilance. Qu'en pensez-vous ? Y a-t-il un modèle étranger qui vous agrée ?
M. Jean-François Girard. - L'expression « renationaliser » est étonnante ! Je ne savais pas que la pharmacovigilance avait été privatisée ! Il s'agit d'une fonction régalienne, d'un service public qui peut faire appel, il est vrai, à des praticiens en exercice libéral. Je pense qu'elle n'a jamais été dénationalisée.
En ce qui concerne l'analyse des risques, à partir de quand doit-on s'inquiéter ? A partir de deux, de dix cas ? Il faut distinguer le constat, l'analyse du risque et sa mesure dans les différentes étapes de la sécurité sanitaire. L'intervention de l'InVS doit porter sur le recueil et l'intégration des signes puis sur l'analyse des risques.
Pour ceux qui n'ont pas compris l'intérêt des statistiques, je ne puis que les inciter à se pencher sur les crises passées. Le tournant a toujours eu lieu après une étude, française ou étrangère, qui a mis en évidence la mort de deux cents, cinq cents ou mille personnes. Ce n'est qu'en 1996, après une étude de l'Inserm demandée par la direction de la réglementation du travail et la direction générale de la santé, qui avait déclaré que l'amiante ferait deux mille morts, que des décisions ont été prises. Pour le tabac, il en a été de même. Le jour où l'on dira, par exemple, que tel ou tel produit va faire des morts, je puis vous assurer que des décisions seront rapidement prises. La quantification des risques en épidémiologie est le guide fondamental des décisions de santé publique.
M. François Autain, président. - Vous avez raison.
Je reviens sur vos propositions pour restructurer notre système de sécurité sanitaire. Dans votre rapport, vous préconisez que la pharmacovigilance soit intégrée à l'InVS. Faut-il également adjoindre les vigilances en général, comme la matériovigilance et la toxicovigilance ?
Je reconnais avec vous que la commission nationale de pharmacovigilance n'a pas assez d'autonomie par rapport à la commission d'autorisation de mise sur le marché (AMM) : elle devrait pouvoir prendre des décisions, et pas seulement rendre des avis. Le cas du Mediator en est la preuve.
Certains experts estiment que tout ce qui concerne le médicament devrait être regroupé dans une instance unique. Il serait préférable que la commission de la transparence, au sein de la Haute Autorité de santé (HAS), soit réintégrée à l'Afssaps, si tant est que l'Afssaps doit demeurer dans sa forme actuelle. Aujourd'hui, le circuit du médicament est beaucoup trop compliqué : il faudra nécessairement le simplifier et votre proposition vise à le rendre plus autonome afin de renforcer la sécurité sanitaire. Doit-on l'intégrer à l'InVS et, dans ce cas ne doit-on pas rapatrier toutes les vigilances, assez nombreuses au sein de l'Afssaps ?
Enfin, quand M. Hirsch parlait de renationaliser la pharmacovigilance, il devait sans doute faire référence à son financement car, actuellement, les agences sont financées par les laboratoires. Un financement public irait bien évidemment dans le bon sens.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - S'agissant du financement, je parle sous l'autorité de M. Vasselle : faut-il réformer le dispositif de remboursement en cas de service médical rendu insuffisant ? Comment expliquez-vous le maintien d'un taux élevé de remboursement pour le Mediator ?
M. Jean-François Girard. - Il n'y a pas de raison de ne pas traiter toutes les vigilances de la même façon. Mon analyse de l'Afssaps, où je n'ai jamais travaillé, lui est extérieure. Enfin, l'idée qui circule de regrouper tout ce qui concerne le médicament me fait peur. En matière de médicaments, mais aussi dans tous les domaines, je me méfie de l'endogamie : je trouve cela dangereux.
Quel doit être le statut des experts, cette question étant liée à celle du financement ? On peut être spécialiste d'un sujet à vie, mais on ne saurait être expert ad vitam aeternam, car on intervient dans un domaine et sur un sujet précis, et l'on doit rendre une réponse dans un temps donné. Une fois la réponse faite, on redevient enseignant chercheur ou professeur de pharmacologie. Toute la difficulté vient de ce que l'expertise n'est ni valorisée, ni payée dans notre pays.
M. François Autain, président. - Cela s'appelle du bénévolat.
M. Jean-François Girard. - Lorsque j'étais directeur général, nous avons fait venir des généralistes au ministère de la santé pour débattre de leur métier. Ils ont perdu des journées de consultation et ils n'ont pas été rétribués. Lorsque les enseignants chercheurs salariés sont appelés en tant qu'experts, ils doivent en retirer un avantage financier, surtout lorsqu'on connaît le montant de leur rémunération, ou bien ce travail doit être pris en compte dans leur parcours professionnel, au même titre que leurs publications.
Je souhaite ajouter qu'un nouvel acteur est apparu en vingt ans : le citoyen, ou le malade. Sur la question du Sida, les associations de malades ont été très présentes et je veux rendre hommage à la façon dont s'est constituée l'Agence nationale de recherche sur le Sida, parmi les premières à associer les malades aux décisions sur la définition de protocoles thérapeutiques.
M. Jean-Jacques Mirassou. - En préambule, vous avez dit que votre mémoire vous faisait défaut, mais elle est surtout sélective car, dans certains domaines, elle est excellente pour analyser l'organisation du système de sécurité sanitaire ! Du fait de la multiplicité des agences, notre politique sanitaire manque de lisibilité et les responsabilités sont diluées.
Ma question sera brutale : considérez-vous l'épisode du Mediator comme une fatalité ?
M. Jean-François Girard. - La fatalité, je ne connais pas ! Il y a trente ans, on croyait que la maladie était une fatalité : ce n'est plus le cas aujourd'hui. Ce que l'on mange, l'air que l'on respire, ce que l'on prend comme médicaments a un impact sur notre santé. Il serait trop facile de considérer que le Mediator n'a été vendu qu'en raison de l'agressivité commerciale de son fabricant. Si tel avait été le cas, le dispositif public aurait dû l'emporter. En matière de santé, le grand nombre de dossiers à traiter fait que l'on est amené à faire des choix, à définir des priorités, comme en politique, et donc d'une mémoire qui peut apparaître faillible ou sélective.
Mme Nathalie Goulet. - Le principe de précaution aujourd'hui ne va-t-il pas nous amener à découvrir d'autres scandales sanitaires ? Ne faudrait-il pas envisager une révision complète du contrôle des médicaments, favorisant des positions minoritaires comme la vôtre ?
M. Jean-François Girard. - Nous n'avons pas besoin d'un autre Mediator pour envisager un remaniement en profondeur du dispositif actuel. Je n'ai pas lu tout le rapport de l'Igas mais il y a sûrement d'autres situations qui illustrent les mêmes difficultés de prise de décision. Il faut y mettre un terme. Le Mediator est très explicite, mais il y aura d'autres cas où l'appréciation du risque fera débat.
M. Alain Vasselle. - Même si vous ne vous souvenez plus de façon précise de la manière dont les choses se sont passées à l'époque, pensez-vous pouvoir adresser une note au président et au rapporteur de cette commission sur les faiblesses du système ? Ne pensez-vous pas que les différents organismes qui se prononcent sur la mise sur le marché d'un médicament travaillent de façon beaucoup trop cloisonnée ? Ne faudrait-il pas plus de transversalité pour un travail cohérent, même si le regroupement opéré au sein de la Haute Autorité de santé (HAS) a permis de réaliser des progrès ?
M. Jean-François Girard. - Il me faudrait beaucoup de temps pour me replonger dans ce dossier, et mes fonctions actuelles m'en laissent très peu. Je reste néanmoins intéressé par l'organisation générale du dispositif : à mon avis, il ne faut pas que le médicament ne soit traité que par l'Agence du médicament. Comme je l'ai déjà dit, l'endogamie est néfaste. On me répond que l'InVS n'a pas de compétences en matière de pharmacovigilance : cet argument n'est pas recevable ! On n'a qu'à doter cet organisme de cette compétence ! Divers éclairages sont absolument nécessaires. Je me félicite de la création de la HAS après que j'ai quitté le ministère de la santé, et cette question renvoie au Casa dont vous avez évoqué la mise en place. Plutôt que de tout mettre sous la même autorité, je préfère une forte coordination pour éviter l'endogamie.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Vous avez dit qu'il fallait des morts pour prendre conscience des dangers d'un médicament. Ces propos sont terribles ! Ils mettent en cause tout notre dispositif sanitaire de vigilance et ils semblent démontrer que l'agressivité des fabricants l'emporte sur le dispositif public. C'est la conclusion que je retire de votre audition.
M. François Autain, président. - Vous posez là une vraie question. Pour mettre un médicament sur le marché, il suffit d'une présomption de rapport bénéfice-risque favorable. Pour le retirer, une présomption ne suffit pas, il faut une certitude. En d'autres termes, pour mettre un médicament sur le marché, quelques mois suffisent, mais pour le retirer, il faut des années. Pour l'amiante, il en a été de même.
Quand il y a doute, il doit profiter au malade et non à l'industrie pharmaceutique. Cette révolution culturelle des mentalités sera très difficile à mettre en oeuvre.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - De plus, comme il nous l'avait été dit lors de la mission d'information du Sénat suite à l'affaire du Vioxx, il y a inadéquation entre le modèle pasteurien sur lequel est fondée la décision de mise sur le marché et l'utilisation à long terme des médicaments par les patients. Les risques s'en trouvent encore accrus.
M. Alain Milon. - Si nous avions disposé il y a un siècle des mêmes méthodes d'analyse qu'aujourd'hui, l'aspirine n'aurait-elle pas connu un sort identique à celui du Mediator ?
M. le professeur Jean-François Girard - Je me suis fait mal comprendre : je n'ai pas dit qu'il fallait des morts pour retirer du marché un médicament, j'ai dit que l'important était la quantité mesurée d'effets indésirables - cela peut être simplement l'apparition de boutons à la suite de la prise d'un médicament. Si une personne sur dix en est victime, il faut intervenir, même si la situation n'entraîne pas de morts.
Sont aussi en cause la facilité à accorder l'AMM en même temps que la difficulté à la retirer à un médicament. Après l'AMM, le suivi est insuffisant. Certains médicaments justifient la mise en place de dispositifs de suivi post-AMM.
Enfin, il faut considérer la place du médicament dans notre système de santé. D'abord, du point de vue économique, puisque l'industrie pharmaceutique représente jusqu'au dixième de notre industrie agro-alimentaire. Ensuite parce que le médicament devient vite un recours facile par rapport aux autres pratiques médicales et qu'il les fait disparaître dès lors qu'il apparaît. Je me souviens avoir craint en 1996 que l'arrivée des trithérapies ne réduise à néant les efforts de prévention contre le Sida.
M. François Autain, président. - L'aspirine présente aujourd'hui un rapport bénéfice-risque bien supérieur à celui du Mediator, qui, lui, ne servait à rien...
Merci, monsieur le professeur, pour ces opinions, minoritaires mais fécondes, et dont je tiendrai le plus grand compte.
Audition de M. le Professeur Hubert Allemand, médecin conseil de la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés
M. François Autain, président. - Monsieur le professeur, vous êtes médecin conseil national de la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnam) et c'est à ce titre que nous vous auditionnons aujourd'hui, même si, dans un avenir proche, vous pourriez être appelé à d'autres fonctions, selon les journaux.
Nos questions porteront sur l'année 1998 et les suivantes puisque, cette année-là, vous avez été le premier à appeler l'attention de l'Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (Afssaps), avec vos deux collègues, sur le mésusage dans les prescriptions du Mediator. J'ai même lu dans le rapport de l'Igas que des médecins conseil de la sécurité sociale de Dijon avaient porté des jugements qui, avec le recul, apparaissent très sensés, sur la véritable utilité de ce médicament. Et j'espère que demain l'Afssaps se posera, à son tour, les vrais problèmes.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Comment expliquez-vous l'absence de suites données à votre courrier alertant sur « l'utilisation non contrôlée d'un produit de structure amphétaminique, dans un but anorexigène » ? Quelle procédure aurait dû alors être engagée ? Avez-vous, par la suite, à nouveau alerté les autorités sanitaires ?
M. François Autain, président. - Mme Castot nous a dit qu'on avait répondu à votre courrier. Qu'en est-il exactement ?
M. le Professeur Hubert Allemand, médecin conseil de la Cnam. - Merci de me recevoir et de permettre ainsi à l'assurance maladie de s'exprimer. La lettre de 1998 a été adressée dans le cadre d'évaluations que nous faisons systématiquement sur les produits dont nous avons l'impression qu'ils peuvent être prescrits hors AMM - produits de dopage ou utilisés à titre toxicomaniaque par exemple. Le médicament est un produit actif, que le corps humain tend à éliminer au plus vite. On espère que son passage dans le corps présentera plus de bénéfices que de risques, individuels ou collectifs. Nous avons écrit et alerté les pouvoirs publics parce que le Mediator offrait un bénéfice faible, étant prescrit pour un autre usage que ses indications. Dans environ un tiers des cas, selon les études que nous avons faites à l'époque, il était utilisé comme coupe-faim. Il présentait une analogie avec les amphétamines. Le rapport de l'Igas nous apprend qu'il y aurait eu un projet de réponse, non daté, non signé, mais nous n'avons pas retrouvé trace de cette réponse dans nos archives que la réglementation nous oblige à détruire au bout de cinq ans. Je ne peux donc vous répondre formellement mais je ne me souviens pas d'une quelconque réponse.
M. François Autain, président. - L'Afssaps a, semble t-il, retrouvé cette réponse. L'avez-vous relancé ultérieurement ?
M. le Professeur Hubert Allemand - Nous n'avons apparemment pas eu de réponse. Nous n'avons pas de responsabilité dans la sécurité du médicament. N'ayant pas de suites, nous avons conclu que les pouvoirs publics considéraient qu'il n'y avait manifestement pas de risques. Toutefois, que pouvions-nous faire sur les prescriptions hors AMM portant préjudice à l'assurance maladie ? Nous ne pouvons pas mettre un gendarme derrière chaque prescripteur ! Un médecin a toujours la possibilité de faire une telle prescription, sous sa responsabilité et, nous, nous ne pouvons la contester sur des arguments médicaux car nous n'avons pas d'élément de diagnostic à notre disposition. On peut faire des enquêtes spécifiques, mais à l'époque nous n'avions pas le codage des médicaments. Dans un cas hors AMM, le médecin doit écrire NR (non remboursable) mais il ne le fait quasiment jamais, alors que je pense que la proportion des prescriptions hors AMM est énorme, plus de 50 % quand j'interroge certains pharmacologues. Par exemple, lorsqu'un industriel propose une statine, il présente l'indication qu'il souhaite dans le cadre de l'AMM. Certaines statines reçoivent l'autorisation pour une prévention primaire et d'autres pour une prévention secondaire - c'est-à-dire lorsque la maladie est installée et qu'on a déjà fait un infarctus du myocarde, par exemple. Or, les deux statines les plus prescrites dans notre pays n'ont pas d'AMM pour la prévention secondaire. Ces deux médicaments font plus de la moitié des prescriptions dans notre pays. A chaque fois qu'ils sont prescrits après un infarctus, ce devrait être avec la mention NR. On retrouve la même chose pour le benfluorex. En réalité, le hors AMM est très courant ; il faut revoir cette situation, car il est toujours dommageable d'avoir une réglementation qui n'est pas appliquée. Si on dit à des médecins : « vous avez prescrit hors AMM sans indiquer NR », ils nous répondront que la médecine est un art difficile et demanderont si on ne peut pas organiser quelque chose de plus fonctionnel.
M. François Autain, président. - Et lorsque le médicament ne devrait être prescrit qu'en deuxième intention ? S'il est prescrit en première intention, c'est aussi du hors AMM ?
M. le Professeur Hubert Allemand - Il y a des positions de la commission de transparence dans ces cas-là. Certains remboursements ne sont effectifs que pour les formes sévères d'une affection. Mais comment pouvons-nous le savoir ? Nous n'avons pas de données médicales. Cette réglementation n'est pas opérationnelle.
M. François Autain, président. - On ne va quand même pas remettre en cause le sacro-saint principe de la libre prescription !
M. le Professeur Hubert Allemand - C'est un des échelons manquants de notre dispositif du médicament. On ne parle jamais d'une question essentielle : la hiérarchisation des traitements qui sont de niveaux 1, 2 ou 3. Nous attendons de la Haute Autorité de santé (HAS) qu'elle y ait un positionnement en termes de hiérarchie.
M. François Autain, président. - Elle vient de changer de président...
M. le Professeur Hubert Allemand - On peut fixer intelligemment le prix d'un médicament dès lors qu'on sait où il se place exactement dans la stratégie thérapeutique. Certains pays ont avancé sur ce sujet : la Nouvelle-Zélande, l'Australie, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis.
M. François Autain, président. - En Nouvelle-Zélande, ils n'ont que deux statines et ils ne s'en portent pas plus mal...
M. le Professeur Hubert Allemand - Douze ans après, le rapport de l'Igas dit la même chose que nous. La mise sur le marché des médicaments peu efficaces pose un vrai problème...
Mme Marie-Thérèse Hermange - Comment expliquez-vous qu'en octobre 2009 plusieurs de vos interlocuteurs ne soient pas encore convaincus du lien que vous avez établi dans un rapport entre le benfluorex et les valvulopathies comme le précise l'Igas ?
M. le Professeur Hubert Allemand - Je crois que le doute bénéficie au médicament et pas au patient. Nous sommes toujours séduits par la science, par la multiplication des études. Mais devant certains signaux, il vient un moment où il faut arrêter les études, parce qu'on a bien assez d'indicateurs, et prendre une décision d'ordre humain, même si elle n'est que suspensive.
Il y a aussi un problème dans l'accueil des alertes, et même des petites alertes. Un effet indésirable a très peu de chances d'être déclaré : 5 % selon certaines études. Prenons l'exemple d'un accident qui arriverait une fois sur mille, ce qui est déjà relativement fréquent : 5 % d'un cas sur mille, cela fait une fois sur 20 000. Tout clignotant devrait être pris au sérieux. Là, nous avions des analogies avec d'autres produits. Les radars ne sont pas assez sensibles pour détecter les petites alertes, alors que le doute devrait toujours bénéficier au malade. Avant le 12 octobre 2009, nous n'avions jamais entendu parler des effets secondaires du Mediator à l'assurance maladie, quand quelqu'un de la Cnam en entend parler dans un colloque et on lui demande de regarder dans ses bases de données. Aujourd'hui, contrairement à ce qu'il en était en 2009, nous disposons à la Cnam d'une base de données qui permet de traiter les petites alertes, de confirmer ou d'infirmer le clignotant. Nous disposons de l'intégralité des prescriptions ambulatoires depuis 2005 mais c'est seulement depuis juillet 2009 que nous avons le chaînage des décès en hôpital. Depuis 2000, nous n'avions que la base de médicaments. C'est donc tout récent. Mais, depuis, nous avons pu aller vite car nous connaissions et suivions de près une cohorte d'un million de diabétiques, nous avions l'expérience du benfluorex et on nous disait d'observer les cas de valvulopathies. Mais toute étude ne pourrait pas se faire dans les mêmes délais et avec la même facilité.
Mme Marie-Thérèse Hermange. - Vous avez donc disposé de la base des données la même année que la publication du rapport.
M. le Professeur Hubert Allemand. - Exactement. Nous étions prêts avec la base de données des diabétiques pour répondre en un mois et demi.
M. François Autain, président. - Comptez-vous faire ce genre d'études pour d'autres médicaments ? En avez-vous l'initiative, ou faut-il attendre une commande de l'Afssaps ?
M. le Professeur Hubert Allemand - Nous pouvons en effet maintenant, à partir de nos bases de données, répondre aux demandes des agences, de l'Afssaps, de l'InVS lorsqu'ils ont une suspicion sur un produit. Et il est important que cela se fasse à la demande des agences, sinon on pourrait accuser la Cnam de conflits d'intérêts qui regarderaient, par exemple, les médicaments coûteux. Nous disposons d'une expertise publique de haut niveau et ce sont les pouvoirs publics qui sont décideurs. Nous avons créé un pôle spécifique pour répondre à ces questions car nos bases sont fondées sur la réglementation du remboursement et non à destination épidémiologique. Nous renforçons notre pôle pour répondre à ces demandes. Nous avons déjà établi une convention avec l'InVS et réfléchissons à en établir une avec l'Afssaps.
M. François Autain, président. - Le prochain directeur ira certainement dans votre sens...
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Vous êtes professeur de santé publique à la faculté de médecine de Besançon. Avez-vous été en contact avec le centre régional de pharmacovigilance de cette ville, qui a été parmi les premiers centres régionaux à mettre en garde contre le Mediator ?
M. le Professeur Hubert Allemand. - Je l'ai lu dans le rapport de l'Igas. Je connaissais bien le professeur Bechtel mais nous n'avons jamais évoqué ce sujet ensemble. Je ne suis plus dans son CHU, depuis qu'en 1997, j'ai été nommé médecin conseil de la Cnam, à Paris.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Pourquoi les intérêts des laboratoires - maintenir la commercialisation et le remboursement du Mediator - ont-ils été manifestement plus puissants que l'intérêt général, c'est-à-dire réévaluer le service médical rendu, empêcher son mésusage et donner une réponse efficace et rapide aux signalements de pharmacovigilance ? Quel a été le poids des liens d'intérêts entre l'industrie, les agences sanitaires et l'expertise ? Ou faut-il déplorer aussi la dispersion des instances d'autorisation et de contrôle qui aurait entraîné la dilution des responsabilités ? Qui est responsable des dysfonctionnements révélés par l'Igas ?
M. le Professeur Hubert Allemand - La première responsabilité est celle du laboratoire qui, lui, dispose de l'intégralité des informations sur son médicament, y compris internationales - on a vu encore récemment que la Belgique s'est prononcée très tôt. Le laboratoire a-t-il répercuté ces informations ? C'est une question. C'est pourquoi l'assurance maladie - le régime général, avec le régime social des indépendants (RSI) et la mutualité sociale agricole (MSA) - a décidé de porter plainte, notamment pour « tromperie aggravée », afin que la justice puisse trancher sur la responsabilité réelle des laboratoires et que la Cnam, tout comme les citoyens, soit dédommagée. Ces dédommagements doivent porter sur les remboursements illégitimes opérés depuis 1999 - date à laquelle l'Igas dit qu'on avait assez d'éléments pour retirer le médicament -, pour un montant de 220 millions d'euros. Ils doivent porter aussi sur les conséquences sanitaires, pas seulement les décès mais aussi les hospitalisations et les actes de chirurgie, sur les rappels adressés aux patients et sur leurs conséquences.
Pour le reste, les responsabilités sont éclatées du fait que le système est segmenté et que les différents niveaux de responsabilité ne fonctionnent pas en coordination. La première de ces responsabilités est intervenue au moment de la décision très importante d'attribution de l'AMM en 1974, où le doute doit profiter au patient. Je suis un fervent défenseur de la gestion du risque en amont. Lorsque le bénéfice médical est faible, je suis partisan d'agir en amont plutôt que de s'épuiser ensuite dans de multiples contrôles, et on simplifie les situations qui s'ensuivent comme les prescriptions hors AMM. La première responsabilité concerne l'AMM.
Autre niveau de responsabilité, celui de la pharmacovigilance : quand apparaît un élément nouveau, il faut savoir reconsidérer l'intérêt d'un produit. D'autant que, sur le plan de sa commercialisation, nous étions isolés en Europe...
M. François Autain, président. - Pourquoi étions-nous les seuls en Europe, si l'on exception l'Italie, l'Espagne, Malte et la Grèce ?
M. le Professeur Hubert Allemand - La décision de retirer un médicament n'est pas chose facile, c'est un risque qu'une agence peut ne pas avoir l'audace de prendre. Si bien qu'on peut se demander qui est le véritable « client » d'une agence : le patient ou le laboratoire ? Dans certains pays, c'est le patient ; dans d'autres, peut-être que les enjeux économiques l'emportent. C'est une décision difficile, mais sans doute devons-nous changer notre position à cet égard.
La décision relative à un médicament est éclatée entre les commissions d'AMM, de transparence, de pharmacovigilance... Et tout cela ne communique pas beaucoup, et parfois elles sont en opposition de phase. Il faut recentrer une expertise beaucoup plus forte sur le suivi du médicament ! Dans l'affaire du Mediator, la transversalité a été la grande absente. Il faut une plus grande intégration des informations et des acteurs car le rapport bénéfice-risque peut varier. Il faut des experts moins nombreux, plus responsables, indépendants des industriels et aussi bien rémunérés qu'ils le seraient dans l'industrie privée. Travailler quelques années dans une telle structure d'expertise est au moins aussi intéressant que de le faire dans un laboratoire.
Je m'intéresse au médicament, j'ai l'impression de connaître le sujet. A propos du Rimonabant, j'ai d'emblée questionné la commission de transparence, je lui ai écrit pour lui faire part de mes doutes sur un anorexigène provoquant des troubles psychiques graves. J'ai écrit à la commission de transparence et je l'ai dit au laboratoire. Je n'ai reçu de réponse ni d'un côté ni de l'autre et mon intervention a fortement déplu... Un mois après, la Food and Drug Administration portait les mêmes accusations que moi. Mais le médicament a encore été commercialisé en France pendant un an... A l'issue de ce délai, j'ai renvoyé un courrier au président de la Haute Autorité de santé, lui disant que le Rimonabant avait entraîné des suicides. Et sur nos bases de données, plus de 10 % des personnes prenant du Rimonabant ont parallèlement des antidépresseurs. Quelques semaines après, il était enfin retiré.
Il faudrait donc que des experts passent quelques années de leur vie professionnelle dans une agence, alertant les autorités au bon moment. Il faut que quelqu'un prenne les décisions ! Dans le cas du Mediator, la ligne décisionnelle n'existait pas suffisamment fortement. Et je le dis sans porter des critiques sur un métier extrêmement difficile.
Il faut corriger le tir, mais sans oublier tous les progrès précédemment réalisés, sans vouloir brutalement tout détruire et prétendre reconstruire à partir de zéro. Car c'est ce que certains veulent faire...
M. François Autain, président. - Ce sont des nouveaux convertis...
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Après l'affaire du Mediator, faut-il réformer l'Afssaps ? Et que faut-il penser du projet de direction bicéphale pour cette agence, de la réforme de la composition des commissions et de celle du système de financement annoncés par le Gouvernement ?
Comment améliorer la réactivité des autorités publiques en matière de signalements, d'expertises et de décisions ? Comment améliorer les mesures de suspension, de retrait, la transparence, le pluralisme ?
M. le Professeur Hubert Allemand - Les propositions faites sont intéressantes, en particulier celle d'une direction bicéphale, car l'Agence est une structure complexe aux dimensions tant administrative et juridique que médicale et scientifique. Un binôme de ce genre a montré expérimentalement son utilité et, avec Frédéric Van Roekeghem, nous en avons formé un à la tête de la Cnam. Certains penchent pour un éclatement des responsabilités. Il faut y réfléchir mais je suis plutôt partisan de les recentrer et de coordonner tant les informations que les décisions. Il faut qu'une personne ait une vision globale sur un médicament, qu'on ne sépare pas pharmacovigilance et octroi de l'AMM. Il faut établir une ligne claire de responsabilités en recentrant les experts et en les valorisant - d'un point de vue pas seulement financier mais aussi universitaire.
M. François Autain. - Et aussi dédommager les hôpitaux du temps que les praticiens hospitaliers passent à l'Afssaps, ce qui n'est pas le cas jusqu'à présent.
M. le Professeur Hubert Allemand - Il leur faut donner davantage de latitude pour, lorsqu'il y a un doute sur un médicament, prendre une décision, proposer un retrait définitif ou provisoire. La réglementation peut-elle être modifiée ? Beaucoup de décisions sont prises au niveau européen, la réglementation étant actuellement trop protectrice à l'égard des industriels. Dans l'industrie pharmaceutique, on trouve en général aussi de grands professionnels. Commençons par être aussi professionnels qu'eux dans l'évaluation et le contrôle ! Nous commençons à l'être par nos outils et nos équipes, comme les délégués de l'assurance maladie. Et nous avons eu des procès retentissants de certains laboratoires qui considéraient que nous allions trop loin, dont l'un est allé jusqu'en Cassation.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Le Sénat est aussi très professionnel qui, après l'affaire du Vioxx, avait élaboré en 2006 un rapport intitulé « Restaurer la confiance » qu'on a redécouvert récemment comme je le constate à la conclusion du rapport de l'Igas. Je m'étonne que les pouvoirs publics n'aient pas tenté d'appliquer certaines de nos propositions concrètes.
M. François Autain, président. - Et à l'époque, Xavier Bertrand était déjà ministre de la santé.
M. le Professeur Hubert Allemand - Il faut redonner aux pouvoirs publics la force d'intervenir. Par exemple, pour les bases de données, certains organismes à but lucratif peuvent vouloir les utiliser. Aujourd'hui, les pouvoirs publics ont les moyens de répondre aux questions qui se posent en phase post-AMM. C'est une manière d'être transparent vis-à-vis du public. J'ai lu qu'on voulait introduire des représentants dans certains organismes, ce dont je me félicite, mais en faisant attention de ne pas rebasculer dans les conflits d'intérêts. Les pouvoirs publics ont déjà beaucoup à faire pour avoir une grande liberté sur la procédure d'AMM. J'ai lu avec intérêt ce rapport du Sénat. Beaucoup de bonnes propositions ont été faites. Il serait bon que l'assurance maladie puisse dérembourser des médicaments, par exemple.
M. François Autain, président. - J'étais aussi membre de la mission parlementaire, à l'époque de ce rapport, et j'avais proposé de confier à l'assurance maladie le soin de fixer le prix des médicaments. Il sera difficile de ne pas en arriver là, sans associer également les assurances complémentaires.
M. le Professeur Hubert Allemand - Ou au moins, dans une première étape, d'avoir la parité au comité économique des produits de santé (CEPS) alors qu'aujourd'hui les représentants des assurances obligatoires et complémentaires sont minoritaires.
M. François Autain, président. - J'étais pour ma part partisan de la suppression pure et simple du CEPS, ce qui évite peut-être de passer par cette étape transitoire.
M. Bernard Cazeau - J'ai écouté religieusement votre dialogue avec le président ; j'ai cru à un moment qu'il allait vous nommer à la tête de l'Afssaps...Tout cela est bien beau mais ne nous dit pas pourquoi, depuis 1998, vous n'êtes pas allé au-delà d'une simple lettre alors qu'on l'a fait pour un autre médicament. Tout ce que vous nous dites, ce sont des « voeux pieux ». Il ne faudrait pas occulter les pressions des laboratoires et des visiteurs médicaux. Sinon, tout recommencera. Il y a eu un raté. Bien sûr, il y a maintenant les banques de données ; j'espère qu'on s'en servira, mais je doute que le contrôle s'améliore beaucoup.
M. Jacky Le Menn - Vous dites que les industriels sont de grands professionnels et vous souhaitez que les collaborateurs des autorités publiques le soient autant. Pourquoi les uns sont-ils très professionnels et les autres très influençables ? Les uns sont professionnels du fait de l'appui financier de leurs laboratoires, les autres sont influençables du fait d'un certain laxisme des pouvoirs publics dans le chaînage de l'expertise ou du fait des liens d'intérêts. En ce sens, ils sont moins « professionnels » pour résister dans l'intérêt des malades.
Mme Janine Rozier - Ma question est celle de quelqu'un qui n'appartient pas au monde médical. Quand, exactement, avez-vous appelé l'attention de l'Afssaps sur le problème du Mediator ? Vous avez dit qu'il fallait peu de temps pour obtenir l'AMM et beaucoup de temps pour la retirer. Je croyais au contraire qu'au moins sept à dix ans étaient nécessaires entre la découverte du médicament et l'obtention de son AMM. Enfin, je trouve que les notices ne sont pas toujours compréhensibles pour le patient moyen, et l'on est mal éclairé sur les effets des interférences entre plusieurs médicaments.
M. Alain Milon - Actuellement, il y a l'organisme qui accorde l'AMM, celui qui surveille et celui qui rembourse, et une grande influence des laboratoires transparaît. Si, comme vous le proposez, les trois activités sont le fait d'un même organisme, l'influence qu'auront sur lui les laboratoires ne sera-t-elle pas plus grande encore ?
M. le Professeur Hubert Allemand - Madame Rozier, c'est en 1998 que nous avons adressé notre courrier. Il est vrai qu'il faut, en moyenne, sept à dix ans avant de pouvoir demander une AMM et cela représente un très gros investissement pour les laboratoires ; d'où la très grande difficulté qu'il y a à accepter ou à refuser cette autorisation. Et à ce moment, il faut se poser la question de qui bénéficie du doute : le laboratoire ou les patients ? Sinon, oui, la rédaction des notices est perfectible pour faire la part de certains risques.
Je n'ai pas dit qu'il faut fondre les différentes structures en une seule mais que des experts doivent avoir en main l'ensemble des données. Sur le Mediator, ceux qui s'occupaient de l'AMM n'avaient pas le même avis que la commission de pharmacovigilance. L'existence de différentes structures n'empêche pas qu'un groupe d'experts possède et synthétise l'ensemble des données. Le rapport de l'Igas a fait ce travail-là. S'il y avait eu un audit sur ce médicament par un comité d'expertise, on aurait peut-être eu ces résultats plus tôt.
M. François Autain, président. - Merci d'avoir contribué à ce débat. Il aboutira à un rapport qui, lui, nous l'espérons, sera lu...
Jeudi 3 février 2011
- Présidence de M. François Autain, président -Audition de M. Pierre Schiavi, directeur de la division scientifique « Pharmacologie et gériatrie » des laboratoires Servier
M. François Autain, président. - Nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation. Vous avez accepté que cette réunion soit publique : le confirmez-vous ?
M. Pierre Schiavi. - Absolument.
M. François Autain, président. - Vous êtes bien, monsieur Schiavi, directeur de la division scientifique « Gériatrie » des laboratoires Servier et trésorier de la société française de pharmacovigilance et de thérapeutique.
M. Pierre Schiavi. - Je le confirme. Plus précisément, je suis directeur de la division scientifique « Pharmacologie et gériatrie » des laboratoires Servier, et trésorier de la société française de pharmacologie et de thérapeutique. La pharmacovigilance n'est que l'une des composantes de la pharmacologie.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Pouvez-vous nous rappeler les grandes étapes de votre carrière au sein des laboratoires Servier, et nous dire si vous ne vous êtes jamais trouvé en situation de conflit d'intérêts ?
M. Pierre Schiavi. - Ingénieur biochimiste de formation, je suis sorti en décembre 1979 de l'Institut national des sciences appliquées (Insa) de Lyon. Après avoir fait mon service militaire à l'hôpital Sainte-Anne de Toulon, j'ai été recruté en 1979 par les laboratoires Servier, dans un laboratoire de pharmacologie cardio-vasculaire, pour y faire des recherches sur les inhibiteurs d'enzymes de conversion, utilisés dans le traitement de l'hypertension artérielle. Après deux ou trois ans, mon patron m'a conseillé de poursuivre ma formation jusqu'à un doctorat es-sciences. Je me suis donc inscrit en diplôme d'études appliquées (DEA) de pharmacologie générale à Paris V en 1982-1983 et, à la suggestion d'une de mes enseignantes, pharmacologue réputée, j'ai rejoint en 1984 l'association des anciens élèves du certificat de pharmacologie et de pharmacodynamie, société savante devenue un peu plus tard la société de pharmacologie expérimentale (je l'ai présidée de 1989 à 1992). Le 1er janvier 1997, les trois principales sociétés savantes françaises dans ce domaine se sont réunies en une seule société française de pharmacologie et de thérapeutique ; administrateur de l'une des trois anciennes, j'ai rejoint le conseil d'administration de la nouvelle société, où j'ai toujours été réélu. Ce regroupement a offert l'avantage d'améliorer la représentativité de la pharmacologie française dans les instances internationales, où celle-ci ne dispose généralement que d'un siège. Le président d'une des sociétés fondatrices m'a demandé d'être le trésorier de la nouvelle société, et j'ai accepté.
Les comptes, que je présente chaque année à l'assemblée générale, ont toujours été approuvés à l'unanimité.
J'ai mené en parallèle une carrière au sein des laboratoires Servier, que je n'ai jamais quittés. Au centre de recherche de Suresnes, j'ai contribué au développement d'un inhibiteur d'enzymes de conversion dont le nom de marque est Coversyl, mais aussi d'autres antihypertenseurs. En 1991, je suis passé de « la paillasse » au développement clinique et à la recherche thérapeutique, dans une division consacrée au développement d'antihypertenseurs : nous avons mis au point une version à libération prolongée du Fludex - les antihypertenseurs sont ma zone de compétence. Puis, au début des années 2000, j'ai rejoint Servier International, une structure de marketing, où je me suis occupé de Natrilix SR, nom de marque international du Fludex LP, dont la dénomination commune internationale est l'indapamide. Enfin, en 2006, j'ai quitté cette structure pour la direction scientifique France, dont le rôle est d'informer les médecins et pharmaciens hospitalo-universitaires ; on m'a chargé de la direction scientifique d'une division où ont été mis au point des inhibiteurs d'enzymes de conversion, comme le Protélos, le Coveram ou le Procoralan qui est un bradycardisant pur, doués de propriétés pharmacologiques particulières - ce sont les premiers de leur classe, avec une position particulière dans l'arsenal thérapeutique. Ces nouveaux médicaments qui sont issus de la recherche des laboratoires Servier sont de réelles innovations pharmacologiques. Mais je n'insiste pas, je crois que vous êtes médecin.
M. François Autain, président. - Je ne prescris plus.
M. Pierre Schiavi. - Je n'ai jamais été visiteur médical, mais ma fonction est d'informer les médecins et les pharmaciens. J'ajoute que j'ai appartenu entre 1988 et 2002 à une société américaine d'hypertension artérielle.
M. François Autain, président. - Nous avons bien compris que vous étiez spécialiste de l'hypertension, mais nous souhaitons que vous nous parliez de benfluorex. Dans le livre d'Irène Frachon, vous êtes cité à propos d'une lettre indiquant que : « le Mediator se distingue radicalement des fenfluramines tant en termes de structure chimique et de voies métaboliques que de profil d'efficacité et de tolérance ». Cela n'a rien à voir avec les documents parus depuis 1976. Pouvez-vous nous expliquer le contenu de cette lettre dans laquelle vous n'êtes pas nuancé du tout mais catégorique et maintenez-vous ce propos ?
M. Pierre Schiavi. - Je suis content de pouvoir m'expliquer. Je vais vous dire comment cela s'est passé. Je vous laisserai juge de mon implication. Ma fonction consiste à rencontrer les médecins, pharmaciens et pharmacologues hospitalo-universitaires. Vers la fin mars 2008, je visitais le service de pharmacologie du CHU de Brest ; après une longue conversation avec le chef de service concernant les nouveaux médicaments des laboratoires Servier, je suis passé voir une de ses collègues, membre du centre régional de pharmacovigilance et membre de la société savante, à qui j'ai présenté le Procoralan dans le détail. A l'issue de cet entretien, ce membre de la société de pharmacologie m'a posé une question très précise : « y-a-t-il des similitudes chimiques entre le Mediator et les fenfluramines, Isoméride et Pondéral ». N'étant pas spécialiste du métabolisme ni de l'endocrinologie, j'ai fait part de cette question à notre service d'information médicale au siège des laboratoires Servier, qui m'a transmis une note, sous forme de fichier, que j'ai transmise à mon interlocutrice, et que je n'ai pas signée moi-même. La réponse portait sur la similitude chimique puisque c'était la question initiale. Ma contribution a été de transmettre une information qui avait été, je suppose, donnée en interne par les chimistes compétents.
M. François Autain, président. - Vous n'assumez donc pas la responsabilité de cette lettre ?
M. Pierre Schiavi. - Je n'assume pas la teneur de celle-ci dans la mesure où je ne l'ai pas rédigée.
M. François Autain, président. - Qui est responsable ? Qui faut-il interroger ? Il nous faudrait savoir sur quel fondement cette personne propageait une telle thèse.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Quand l'Isoméride et le Ponderal ont été retirés du marché, la société savante dont vous êtes membre s'est-elle interrogée sur les similitudes éventuelles entre ces médicaments et le Mediator ?
M. Pierre Schiavi. - Je rappelle qu'il ne s'agit pas d'une société de pharmacovigilance, mais de pharmacologie. Son rôle n'est pas de porter un jugement sur des décisions administratives.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Quel est le processus décisionnel au sein du groupe Servier sur la conduite, la validation et l'exploitation des travaux de recherche ? Quelles ont en particulier été les grandes étapes entre les recherches menées sur le Mediator et son autorisation de mise sur le marché en 1976 ?
M. Pierre Schiavi. - Entré chez Servier en 1979, j'ignore comment les recherches s'étaient déroulées auparavant. Par ailleurs, je ne me suis jamais occupé de métabolisme ou d'endocrinologie, domaines dont relève le Mediator. Je n'avais aucune compétence réglementaire, et je n'ai jamais monté aucun dossier, excepté celui de la pharmacologie du Coversyl en 1981 - j'en suis fier, ainsi que d'avoir signé en 1984 le premier papier sur ce médicament.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Vos équipes scientifiques n'ont-elles jamais douté de l'efficacité ou de la sécurité du Mediator ? Avaient-elles connaissance des études internationales mettant en cause la consommation d'anorexigènes, et des deux lettres des médecins de la sécurité sociale soulignant les inconvénients de l'Isoméride ?
M. Pierre Schiavi. - Je manque de compétences sur la question.
M. François Autain, rapporteur. - Vous n'êtes, en somme, qu'un « transmetteur ». Mais qui, chez Servier, était chargé du suivi pharmacologique du benfluorex et donc responsable de cette note ? Vous n'ignorez pas que son segment-clé, d'après la liste établie par l'organisation mondiale de la santé (OMS) en 1950, désigne cette molécule comme un anorexigène, c'est indéniable.
M. Pierre Schiavi. - Je n'ai pas à porter de jugement sur ce point.
M. François Autain, président. - Cela s'impose à tous. C'est un dérivé amphétaminique. Comment a-t-on pu dire que cette molécule n'avait rien à voir avec d'autres de la même famille ? Nous attacherions beaucoup de prix à l'original de la lettre, et souhaiterions connaître son auteur.
M. Pierre Schiavi. - Vous en avez lu un extrait, j'en ai vu d'autres dans la presse. Les laboratoires Servier vous la feront parvenir. La directrice de l'information médicale était alors le docteur Antoinette Chanu, qui a dû se renseigner auprès des gens compétents parmi nos 22 000 collaborateurs.
M. François Autain, président. - Est-elle pharmacologue ?
M. Pierre Schiavi. - Elle est médecin. Aujourd'hui à la retraite, elle travaillait chez Servier depuis une trentaine d'années.
M. François Autain, président. - Elle a écrit cette lettre sans le recours d'un pharmacologue ? Nous devrions l'auditionner et vous nous laisserez ses coordonnées. Mais avançons, comme me le suggère Mme le rapporteur.
M. Pierre Schiavi. - La propriété anorexigène du Mediator, à laquelle vous avez fait référence, monsieur le président, n'a jamais été donnée à ma connaissance comme indication thérapeutique.
M. François Autain, président. - Les médecins prescripteurs lui ont prêté beaucoup sur ce point, à tort ou à raison. Ils l'ont prescrit souvent en lieu et place de l'Isoméride. Vos visiteurs médicaux ne les ont-ils jamais avertis des dangers de cet usage ? Avez-vous informé les médecins en les mettant en garde ?
M. Pierre Schiavi. - Ils l'ont prescrit dans l'« intimité du cabinet », mais il n'y a pas d'indication légale.
M. François Autain, président. - Si vous avez des documents de ce type, ils nous intéressent.
M. Pierre Schiavi. - L'industrie pharmaceutique, vous le savez, est très réglementée. Je suis certain que les laboratoires Servier faisaient la promotion du Mediator dans son indication, en tant qu'adjuvant du traitement du diabète.
M. François Autain, président. - Ce n'était pas le cas dans les années 1980, il était recommandé comme adjuvant du régime dans les hypertriglycémies, le « diabète » ne figurait pas.
M. Pierre Schiavi. - Je ne suis pas compétent pour vous répondre sur ce point.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Tout médicament a des indications dans le Vidal qui est consulté par les médecins et les pharmaciens. Comment cela était présenté ? Avez-vous modifié les informations figurant dans le Vidal ?
M. Pierre Schiavi. - Encore une fois, je n'ai pas de compétence réglementaire. On trouve dans le Vidal la monographie acceptée par les autorités de tutelle. Les médecins avaient accès à une information validée par les autorités règlementaires.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Les laboratoires Servier n'ont pas présenté le Mediator comme anorexigène, mais des médecins l'auraient prescrit comme tel ?
M. Pierre Schiavi. - Je n'ai pas dit cela.
M. François Autain, président. - Mais nous sommes bien forcés de constater, comme le disait avant-hier le professeur Allemand, qui est une autorité incontestée, que 50 % des prescriptions s'effectuaient hors autorisation de mise sur le marché (AMM). Pourquoi ? Quelle est la part de responsabilité des laboratoires Servier ?
M. Pierre Schiavi. - Je ne suis pas compétent pour en juger.
M. François Autain, président. - Vous le serez un peu plus en sortant de cette salle ! Il nous faudra bien comprendre pourquoi les médecins ont prescrit le Mediator comme un anorexigène et quelle est la responsabilité des laboratoires Servier.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Un récent rapport de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) met en cause une stratégie de positionnement du Mediator, menée dès l'origine par les laboratoires Servier, en décalage avec sa réalité pharmacologique ? Répondez-vous que le Mediator a été prescrit en dehors de son indication thérapeutique ?
M. Pierre Schiavi. - Jamais, de la première AMM jusqu'à la dernière, le Mediator n'a été indiqué comme anorexigène par les laboratoires Servier.
M. François Autain, président. - Jamais non plus l'hypertension artérielle pulmonaire ni les valvulopathies cardiaques graves n'ont été désignées comme d'éventuels effets indésirables de 1979 à 2009 ! C'est extraordinaire ! Alors que c'est la raison pour laquelle il a été finalement retiré.
M. Pierre Schiavi. - Encore une fois, la notice du Vidal n'est que la copie de la monographie acceptée par les autorités de tutelle.
M. François Autain, président. - Je ne vous mets pas en cause. Je fais juste état d'une « étrangeté ». La réglementation est, en effet, du ressort de la commission d'AMM et de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), mais le laboratoire peut ne pas inclure un médicament dans le Vidal.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - A combien les laboratoires Servier estiment-ils le nombre de victimes du Mediator ? Les estimations actuelles oscillent entre cinq cents et deux mille victimes.
M. Pierre Schiavi. - Un médicament n'est pas là pour faire des victimes, ces dernières étant de toute manière toujours trop nombreuses. En tant que citoyen et pharmacologue, je suis choqué qu'un médicament fasse des victimes, et impatient de connaître les responsabilités de chacun. Je souhaite ardemment que le groupe Servier assume celles qui lui seront imputées, et je ne doute pas qu'il le fera comme d'autres laboratoires français ou internationaux l'ont fait en des cas semblables.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Quelles dispositions prenez-vous pour les patients qui ont consommé du Mediator dans le passé ?
M. Pierre Schiavi. - Je ne suis pas impliqué dans le suivi thérapeutique. Les autorités sanitaires, l'Afssaps, la société française de cardiologie, les ordres des médecins et des pharmaciens ont formulé des recommandations et les autorités sanitaires ont pris des décisions. J'espère que le suivi sera efficace, car même ceux qui n'ont subi que des effets collatéraux doivent avec leur famille être au coeur de notre attention.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Par précaution, comptez-vous retirer du marché d'autres médicaments, y compris des génériques ?
M. Pierre Schiavi. - Dans le domaine de l'hypertension et des maladies cardio-vasculaires, pas à ma connaissance. Les autorités sanitaires françaises, européennes et internationales sont là pour effectuer cette surveillance. N'oublions pas les bienfaits des médicaments, qui permettent aujourd'hui de soigner certaines maladies cardio-vasculaires dont on pouvait décéder il y a vingt ans.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Y a-t-il sur le marché des génériques composés de la même molécule que le Mediator ?
M. Pierre Schiavi. - Il n'y en a pas à ma connaissance !
M. François Autain, président. - Non, en effet. Mais rappelons que l'autorisation de mise sur le marché des génériques est intervenue un mois avant le retrait du benfluorex, ce qui témoigne de la cohérence de la gestion de l'Afssaps !
Que pensez-vous du Vastarel ? Certes, c'est un vasodilatateur et non un antihypertenseur. Le journal Prescrire, il y a un an, estimait que sa balance bénéfice-risque était défavorable, et qu'il devait être retiré du marché. Je ne sais s'il figure sur la fameuse liste des soixante-dix-sept médicaments sous surveillance, où l'on trouve tout et n'importe quoi... Et je prends la responsabilité de ce que je dis.
M. Pierre Schiavi. - Le Vastarel n'entre pas dans mon champ de compétence.
M. François Autain, président. - Encore. Mais la prochaine fois, nous saurons à qui nous adresser en cas de problème avec le Coversyl...
M. Pierre Schiavi. - Pour celui-là, en effet, j'en suis le découvreur et maintenant l'utilisateur.
M. Jacky Le Menn. - En tant que directeur d'une division scientifique chez Servier, vous êtes chargé d'informer les pharmacologues hospitalo-universitaires, gens doués d'une grande curiosité. Lorsqu'une collaboratrice du CHU de Brest vous a interrogé sur les similitudes entre l'Isoméride et le Mediator, ne vous êtes-vous pas demandé sur quoi elle fondait ses doutes ? N'avez-vous fait que transmettre cette question à vos services, simple « petit télégraphiste » ? Quant à la note produite par ceux-ci, n'avez-vous pas voulu connaître les raisons d'une position aussi radicale, contraire à l'avis des plus hautes sommités médicales ? Vous deviez sans doute vous attendre à ce que l'on vous interroge de nouveau à ce sujet.
Je ne puis croire que la société française de pharmacologie et de thérapeutique, dont vous êtes depuis longtemps trésorier, soit restée indifférente lorsque l'Isoméride a été interdit. La curiosité des chercheurs n'a-t-elle pas été piquée ? Je crains que votre patriotisme d'entreprise n'ait occulté à vos yeux des problèmes qui auraient dû vous interpeller en tant que citoyen.
M. Pierre Schiavi. - Je ne me souviens d'aucun commentaire au sein de la société savante lors du retrait du marché de l'Isoméride. La pharmacologie est une discipline transversale, chacun ayant son domaine de compétence ; je ne suis spécialiste que du domaine cardio-vasculaire, non de métabolisme ou d'endocrinologie.
Lors de ma visite à l'hôpital de la Cavale blanche de Brest, je l'ai dit, j'ai présenté dans le détail le Procoralan avec la responsable du centre régional de pharmacovigilance, et ce n'est qu'à l'issue de cet entretien qu'elle m'a interrogé sur les similitudes chimiques du Mediator et des fenfluramines. Je vous ferai parvenir la lettre que je lui ai adressée le 7 avril 2008 : les informations fournies étaient scientifiques et fondées sur des références bibliographiques.
Quant à mon patriotisme d'entreprise, je travaille chez Servier depuis trente-deux ans, et je suis fier des travaux auxquels j'ai contribué sur le traitement de l'hypertension. Il m'est insupportable que des médicaments puissent faire des victimes, et je suis sûr que lorsque les responsabilités de chacun seront élucidées, le groupe Servier saura assumer les siennes.
M. Philippe Darniche. - Pharmacien d'officine, j'ai eu fréquemment à délivrer du Mediator sur l'indication du Vidal, d'abord comme adjuvant du régime du diabétique, puis comme antidiabétique de premier rang. Je voudrais donc savoir si les études des laboratoires Servier ont été confirmées par d'autres travaux dans le monde, et si d'autres laboratoires internationaux se sont penchés sur cette indication thérapeutique. Comment les études ont été menées sur cette indication thérapeutique ?
M. Pierre Schiavi. - Ma spécialité est l'hypertension. Cela étant, en général, quand un laboratoire est propriétaire d'une molécule en termes d'utilisation commerciale, tous les scientifiques du monde peuvent obtenir des comprimés « en poudre » ou du principe actif afin de procéder à toutes les expériences qu'ils souhaitent.
M. Philippe Darniche. - Il serait intéressant d'obtenir le résultat des études.
M. François Autain, président. - Ces études existent, comme l'étude Régulate. Ce sont elles qui ont conduit à la suspension de l'autorisation de mise sur le marché en raison des effets secondaires. L'étude du professeur Garattini notamment a montré que les effets du Mediator n'étaient pas différents de ceux des médicaments de référence comme l'Isoméride ou le Ponderal. Tout cela était connu depuis 1999. L'Afssaps a pourtant hésité pendant dix ans...
M. Philippe Darniche. - Je ne parlais pas de l'étude finale sur les effets secondaires mais de l'étude qui a initialement caractérisé le Mediator en tant qu'adjuvant à un régime antidiabétique.
M. François Autain, président. - Ces informations figurent dans le rapport de l'Igas. La commission d'autorisation de mise sur le marché de 1987 a été très claire : elle ne reconnaît pas l'action du Mediator sur le diabète. Reportez-vous au rapport.
Autre point : quelles sont les modalités de financement de votre association et à quel niveau les subventions se situent-elles ? Le ministre a en effet critiqué le financement des sociétés savantes par l'industrie pharmaceutique.
M. Pierre Schiavi. - Les comptes de la société sont présentés à l'assemblée générale qui les vote ; ils sont publics et déposés auprès des services fiscaux - je puis vous les transmettre.
M. François Autain, président. - Nous vous en serions reconnaissants.
M. Pierre Schiavi. - Je ne dispose pas encore des comptes 2010, mais je ne doute pas qu'ils seront proches de ceux de 2009. Notre première recette est constituée des cotisations, soit 110 euros pour chacun de nos six cents à sept cents membres. Viennent ensuite les abonnements des deux journaux que nous publions, l'un en anglais, l'autre en français ; nous en assurons gratuitement le service à nos adhérents et ils sont distribués aux scientifiques et industriels. Cela représente entre 20 % et 25 % de nos ressources.
M. François Autain, président. - Qui finance les journaux ?
M. Pierre Schiavi. - Nous n'avons pas de publicité - la pharmacologie n'est pas un bon vecteur. Nous avons des lecteurs dans le monde entier. Nos recettes proviennent de notre éditeur anglo-néerlandais et des abonnements, notamment des bibliothèques.
M. François Autain, président. - Ne recevez-vous pas de subventions de l'industrie ?
M. Pierre Schiavi. - Le congrès annuel constitue une autre source de recettes. Nous l'organisons avec la société de physiologie, avec qui nous en partageons les pertes et profits dans la proportion de deux tiers pour nous et un tiers pour elle. Viennent enfin les subventions qui représentent 6 % de notre budget. Parmi nos partenaires, l'on trouve des gens qui font du diagnostic et des fournisseurs de matériel expérimental.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - La mission d'information sur le Vioxx avait noté l'omniprésence des laboratoires dans la formation médicale. Faut-il réformer ce système et comment restaurer la confiance ?
M. Pierre Schiavi. - Il faut la restaurer. C'est même urgent quand des personnes ne se font plus vacciner ou que des malades se détournent de médicaments qui sauvent des vies. Je ne puis qu'aller dans votre sens. Les analyses de votre mission peuvent y contribuer : l'on doit identifier les responsabilités et en tirer les conséquences.
M. François Autain, président. - Je vous remercie d'avoir répondu avec précision à nos questions, même si vous n'étiez pas le bon interlocuteur pour toutes.