Jeudi 13 janvier 2011
- Présidence de Mme Michèle André, présidente -Femmes et sport - Audition de Mme Françoise Sauvageot, présidente de la fédération française d'éducation physique et de gymnastique volontaire (FFEPGV), vice-présidente au Comité national olympique et sportif français (CNOSF)
Mme Michèle André, présidente. - Merci, Madame, d'être venue jusqu'à nous. Vous êtes en quelque sorte une pionnière dans la marche vers la féminisation des responsabilités. Présidente de la Fédération française d'éducation physique et de gymnastique volontaire (FFEPGV), vous êtes aussi la seule femme membre du bureau exécutif du comité olympique. C'est dire votre responsabilité. Notre délégation, qui veille à l'égalité hommes-femmes dans la législation, est convenue de préparer cette année un rapport sur les femmes et le sport, un monde auquel je me suis frottée pour avoir été douze années durant adjointe aux sports à la mairie de Clermont-Ferrand - j'avais commencé en 1983 -, et qui m'a laissé outre des souvenirs, une certaine accoutumance aux objections que savent nous opposer, à nous autres femmes, les fédérations et leurs présidents. Les auditions que nous avons engagées montrent que le monde du sport est un reflet assez fidèle de la société dans son ensemble, dont il force même parfois les traits, au point de les rendre mieux visibles, ce qui peut nous aider à les dénoncer afin de faire bouger les lignes...
La fédération que vous présidez, créée en 1888, et à l'origine masculine à 95 %, est aujourd'hui féminine à 95 %. Vous êtes l'une des très rares femmes ayant accédé à ces fonctions. Quelle est votre analyse de la pratique sportive féminine, à quels freins culturels et sociaux se heurte-t-elle, comment la développer, la rendre plus attractive et assurer la mixité des pratiques ? Quel bilan faites-vous de l'accès des femmes aux responsabilités dans le sport et aux professions d'encadrement sportif ? Une question, enfin, que l'on a trop tendance à ne poser qu'aux femmes : comment se passent, au sein du comité olympique où vous vous trouvez bien seule, vos relations avec vos homologues masculins ?
Mme Françoise Sauvageot, présidente de la Fédération française d'éducation physique et de gymnastique volontaire. - La Fédération française d'éducation physique et de gymnastique volontaire, qui compte aujourd'hui 540 000 licenciés, se classe parmi les poids lourds, au cinquième rang des fédérations françaises. Nous étions naguère au troisième, mais l'équitation est passée devant et nous venons juste de nous faire rattraper par le judo. Visant essentiellement l'entretien physique, la fédération, qui se définit comme non compétitive, est aussi la plus féminisée, puisqu'elle compte 94 % de femmes.
Cette fédération, aujourd'hui la plus féminisée, était il y a un siècle masculine, hygiéniste, marquée par quelques accents militaires, bien que fondée par un médecin, le docteur Philippe Tissié, qui poursuivait déjà un objectif, fondamental, de remise en santé de la population. La gymnastique volontaire est venue après un contact avec la Suède de Pehr Henrik Ling, avec les lendits, le collectif, les mouvements cadencés. En raison de fusions entre fédérations, la dénomination actuelle s'est imposée en 1972.
La féminisation s'est poursuivie après guerre, et l'équilibre a été atteint dès les années 1950. De cette époque aux années 1970, la femme s'est émancipée : elle dispose d'un carnet de chèque et a accès à la banque. Au cours de la première moitié des années 1970, les directions départementales de la Jeunesse et des Sports ont reçu mission de créer des clubs. Les « conseillers de secteurs » hommes s'orientaient plutôt vers le foot, qui disposait déjà d'une fédération emblématique et permettait d'offrir une activité physique de proximité aux jeunes garçons, leurs homologues femmes étaient naturellement plus enclines à préférer la gymnastique d'entretien. C'est ainsi que l'institutrice que j'étais est entrée à la fédération, riche d'un encadrement féminin déjà très présent sur le territoire, pour y devenir très vite animatrice.
De 1975 à 1980, nous sommes passés à 80 % de recrutement féminin, à la suite du choix fédéral de privilégier la formation des pratiquantes en interne pour devenir animatrices. Quelques hommes se hasardaient dans mes cours, attirés par la promesse d'un match de basket ou de volley, après la séance de gymnastique. Nous avons ainsi atteint des taux de féminisation de 97%. Même si la féminisation paraît irréversible, je défends en effet la mixité en même temps que l'objectif d'offrir dans un esprit convivial une activité de sport santé accessible à tous.
Si le souci de la forme, du bien être et de l'entretien est d'abord féminin - ce n'est qu'après 50 ans que les hommes, davantage portés au défoulement et à la compétition, en viennent à ce souci de soi -, il est clair, à la lumière de mon expérience, que le sexe des encadrants a une influence sur le recrutement des pratiquants. Aujourd'hui, la majorité des animateurs sont des femmes, mais la tendance est en train de s'inverser chez les formateurs, où se pressent désormais, le marché du travail étant devenu ce qu'il est, les candidatures de jeunes hommes diplômés en STAPS (sciences et techniques des activités physiques et sportives). Notre pyramide des âges veut que nous recrutions beaucoup, ce qui tend à infléchir l'équilibre au profit des hommes. Je serai attentive aux évolutions. Ce changement d'équilibre aura-t-il une influence sur celui des pratiquants ? Nous ne le saurons que dans une dizaine d'années. Mais il me semble dès à présent que l'influence de l'encadrement est profonde, et que l'animateur est un modèle auquel on s'identifie.
Notre fédération a longtemps été dirigée par des hommes. La première femme à accéder à la présidence fut Nicole Dechavanne, qui disposait d'une grande expérience tant nationale qu'internationale. Les femmes n'ont depuis refait leur apparition aux postes à responsabilité qu'il y a six ans, alors même que la fédération comptait depuis longtemps plus de 90 % de femmes. Aujourd'hui, une femme est présidente. Et paradoxalement, le premier dossier que j'ai eu à traiter portait sur la mixité des effectifs dirigeants. Une application stricte de la loi du 6 juillet 2000 sur le sport et du décret du 7 janvier 2004 garantissant aux femmes une proportionnalité entre le nombre de licenciées et le nombre de sièges dans les instances de direction des fédérations aurait abouti à ce que nous n'ayons qu'un homme au comité directeur. Il me semble, et je crois avoir convaincu, qu'un meilleur équilibre au sein des instances représentatives est souhaitable au sein d'une fédération qui n'est pas par essence féminine. Un homme, aussi fort soit-il, ne saurait représenter à lui seul toutes les aspirations des hommes. J'ai présenté ma position au ministère, engagé la discussion au sein de la FFEPGV en proposant un compromis à 30 %, car seul un groupe peut représenter une minorité. J'ai obtenu 20 %, le pourcentage qui prévaut au Comité international olympique, soit cinq hommes sur vingt-trois. Cela me paraît essentiel pour que les hommes puissent enrichir la réflexion en apportant leur point de vue. Mme Chantal Jouanno, ministre des sports, m'a fait observer malicieusement qu'aucune fédération majoritairement masculine n'était venue lui présenter une telle requête en faveur de la présence de femmes. J'ai saisi la balle au bond en lui suggérant de la leur soumettre. Car l'objectif de la loi n'est certes pas, à l'inverse, de placer quelques femmes-alibi pour solde de tout compte.
Mme Michèle André, présidente. - Cela était de mode il y a vingt ans. Je me souviens de l'émotion de la Fédération française de pétanque et de jeu provençal, qui réunissait son assemblée générale à Clermont-Ferrand. Comment trouver la perle rare, s'inquiétaient ces messieurs, auxquels j'ai fait observer que des femmes aimaient assez leur sport pour être présentes à cette réunion. Ils sont ensuite, heureusement, bien revenus de leur appréhension, et ont compris tous les bénéfices que peut apporter la mixité. Depuis, cet objectif a été hélas perdu de vue, et le flambeau n'a guère été repris...
Mme Françoise Sauvageot. - De fait, nous progressons vers la parité par étapes. Les femmes qui le souhaitent doivent pouvoir investir des responsabilités. Les premières assises sur les femmes et le sport, sous le ministère de Mme Marie-George Buffet, en 1999-2000, furent à cet égard un moment très fort. Au-delà d'une présence symbolique au sein des fédérations, il faut que les femmes puissent y faire valoir leur point de vue, et travailler à faire avancer les choses.
Mme Michèle André, présidente. - Pas des potiches !
Mme Françoise Sauvageot. - L'égal accès aux pratiques sportives passe par une évolution du système, aujourd'hui fait par les hommes, pour les hommes. Sous la pression des assises, l'idée d'ouvrir les exécutifs des fédérations aux femmes dans les disciplines qui restent trop exclusivement masculines a fait son chemin. Après ceux de Myriam Chomaz dans la boxe, l'on ne peut que se réjouir des succès de notre équipe de foot féminine, que je suivrai en juillet en Allemagne. Le sport au féminin progresse et ne pourra continuer de le faire que si des femmes sont présentes au sein des instances dirigeantes, pour défendre l'équité et proposer des aménagements au système. Voyez par exemple quels problèmes se posent lorsque deux équipes de foot, l'une féminine, l'autre masculine, entrent en compétition pour accéder à une division supérieure : le choix, d'ailleurs largement financier, est fait d'avance. Les fédérations envisagent désormais le problème sous l'angle du développement, et c'est une bonne chose. Alors que les effectifs masculins de la fédération de football commencent à stagner, les femmes représentent pour elles un vivier intéressant. Même si l'on peut discuter des choix de médiatisation, souhaitons que le développement du football féminin amène une forme d'équilibre.
Demeure cependant le problème de la médiatisation du sport féminin de haut niveau. L'on ne va pas investir dans quelque chose qui ne rapporte pas. Sans médiatisation, pas d'image ! Les enjeux financiers sont tels que les clubs préfèrent promouvoir une image masculine du football. Ne l'oublions pas, les présidents de fédérations sont aujourd'hui amenés à travailler comme des chefs d'entreprise.
On ne pourra assurer la pérennité des pratiques sans une mixité des instances dirigeantes. Or, l'accès aux postes à responsabilité n'est pas encore acquis. J'observe qu'au sein du comité directeur de ma fédération, sur dix-sept femmes, treize sont passées par l'animation sportive et toutes ont pris des responsabilités au niveau départemental ou régional avant de franchir le pas. Tout se passe comme si les femmes avaient besoin de se prouver à elles-mêmes leur compétence. C'est à partir de cette prise de conscience qu'elles peuvent tenter l'expérience...
Mme Michèle André, présidente. - Quand on les sollicite...
Mme Françoise Sauvageot. - Quand nous accompagnons celles qui sont en position d'être élues. Nous avions tenté avec une autre femme qui, comme moi, affichait clairement ses ambitions, l'expérience d'accompagner des femmes susceptibles d'endosser des responsabilités, en leur proposant des formations pour les sécuriser. Avec des résultats. L'une d'elles est devenue présidente de ligue dans une fédération importante. Les femmes n'osent pas, il faut les y aider.
En ce qui me concerne, j'étais depuis longtemps investie dans la fédération : il ne m'a pas été difficile de franchir le pas. Mais il n'en a pas été de même au Comité olympique, et les vieux réflexes sont revenus. Son président, qui voulait promouvoir la mixité et souhaitait intégrer le représentant d'une grande fédération, a mis un mois pour me convaincre. Et convaincre également, au reste, ses pairs, car ma fédération n'étant pas olympique, il a fallu rappeler que le Comité national olympique et sportif français était autant sportif qu'olympique...
Mais si le premier obstacle à l'accès aux responsabilités vient des femmes elles-mêmes, il n'est pas non plus facile, ensuite, de vivre au quotidien dans un milieu majoritairement masculin. Nous restons bien minoritaires. Il faut persévérer, et participer aux évolutions quotidiennes. La possibilité d'avoir recours au scrutin de liste pour les élections fédérales m'est un espoir. Avec le scrutin uninominal, les femmes craignent trop d'aller seules à l'échec.
Mme Sylvie Goy-Chavent. - Où qu'on les y pousse...
Mme Françoise Sauvageot. - Il est long de construire une équipe dirigeante. Or, nous devons être opérationnels très vite, comme une entreprise. C'est pourquoi le scrutin de liste, dans lequel les femmes se sentent mieux encadrées, me paraît une bonne solution.
Mme Michèle André, présidente. - On connaît cela en politique. Le scrutin de liste proportionnel est le moyen de faire entrer les femmes en politique. Reste ensuite à être en mesure d'agir pour créer du nouveau. Les partis ont d'abord retenu une interprétation curieuse de la loi : trois hommes en tête, trois femmes derrière... Il a fallu y revenir, pour imposer une alternance stricte de candidats de chaque sexe. Allez directement sans état d'âme au une pour un.
Mme Françoise Sauvageot. - Au comité olympique, il faut remonter au temps de Nelson Paillou pour trouver une femme, Nicole Dechavanne, qui y a siégé dix-huit mois. Sept femmes sont aujourd'hui membres du conseil d'administration, c'est un progrès. Reste le problème des fédérations olympiques, dont pas une, sur les trente-deux, n'est présidée par une femme. Nous avançons cependant, puisque onze femmes président des fédérations unisports non olympiques ou affinitaires et multisports, et au conseil d'administration du CNOSF sont apparues quelques vice-présidentes ; et d'ailleurs une femme préside la commission scolaire et universitaire.
La présence des femmes aux responsabilités est particulièrement importante pour le développement des pratiques multisports et d'entretien physique, devenues essentielles dans une société où l'obésité, notamment, progresse - même si nous avons réussi, grâce au plan national nutrition-santé, auquel je participe, à faire légèrement reculer l'obésité infantile. Dans la prise de conscience des fédérations, les femmes ont un rôle essentiel à jouer.
Mme Michèle André, présidente. - Je vous remercie d'avoir dressé ce tableau complet, qui laisse des raisons d'espérer. Je vous suis lorsque vous relevez qu'il est difficile d'agir seule. Il faut être deux ou trois pour faire bouger les choses et cela vaut dans bien des situations. Je l'ai constaté dans mon métier : on n'intègre jamais seul un enfant sourd en milieu ordinaire.
Mme Françoise Sauvageot. - Le président du Comité olympique en est parfaitement conscient. Le Comité fonctionne avec des structures emboîtées, typiquement masculines... Au « bureau exécutif », qui se réunit parfois plusieurs fois par semaine, je suis la seule femme. Un second niveau de Bureau compte deux vice-présidents supplémentaires et se réunit de manière plus aléatoire, je puis compter sur une autre femme, Isabelle Severino, avec laquelle j'ai immédiatement noué une complicité. Le « bureau élargi », enfin, qui se réunit une fois par mois, compte encore une autre femme. Nous y sommes donc trois, sur une vingtaine de membres, et le courant passe admirablement, ce qui nous aide à progresser.
Si les charges sont difficiles, elles offrent aussi des rencontres et des découvertes extraordinaires. Nous pouvons apporter beaucoup au monde du sport, qui reflète largement, ainsi que vous l'avez dit, Madame la Présidente, la société dans son ensemble. Cela requiert cependant bien des sacrifices, bien des déplacements, notamment, qui se concilient mal avec la vie familiale.
Mme Gisèle Gautier. - Vous avez tracé un schéma que nous connaissons bien dans les milieux professionnel et politique. Les femmes, nous avez-vous dit, n'ont pas le même esprit de compétition que les hommes. S'ajoute à cela le fait que lorsque les femmes deviennent majoritaires dans une activité, les hommes ont tendance à se retirer, estimant peut-être qu'elle est dévalorisée. Troisième constat, les femmes ne savent pas se mettre en avant - et je puis le confirmer, car lorsque l'on m'a proposé de devenir conseillère municipale, j'ai commencé par refuser. Tandis que les hommes, de leur côté, sont généralement assez nombreux pour se coopter.
Je m'en tiendrai à une question. Comment expliquer la féminisation de votre fédération, alors même qu'existent sur le marché des salles de sport ou de musculation où règne une véritable mixité ?
Mme Françoise Sauvageot. - Il est vrai que la pratique de l'entretien physique n'est guère valorisante aux yeux des hommes, qui nous laissent volontiers la place dans les instances départementales. Mais dès le niveau régional, l'attrait du pouvoir l'emporte. Je ne parle même pas du niveau fédéral, où il a fallu, par exemple, un vote très clair pour écarter un président qui briguait un quatrième mandat. A mon tour, quatre ans plus tard, je n'ai eu qu'un adversaire quand je me suis présentée, un homme qui s'est comporté, je dois le dire, de façon si peu courtoise à mon égard que l'assemblée générale l'a même écarté du comité directeur. Le pouvoir l'aveuglait... Plus modestement, j'avais préparé un travail d'équipe, participatif : je propose, nous discutons, décidons, nous faisons et on évalue. Je ne sais travailler qu'avec une équipe rapprochée partageant un engagement.
Vous m'interrogez sur les pratiques auto-organisées et le secteur commercial. Il est vrai qu'existent de nombreuses salles de mise en forme. Toute la différence tient à leur coût : il y a là un clivage social. J'ajoute que l'assiduité y est moins grande. Il n'est pas rare de voir abandonner la pratique au bout de trois mois quand l'abonnement a été pris pour six grâce à des offres de lancement alléchantes. Alors que ceux qui pratiquent dans les clubs relevant de notre fédération sont plus assidus. A quoi cela tient-il ? Au lien social : c'est l'appel du collectif qui entretient la motivation sur le long terme et cela sert l'éducation physique parce que la personne se sent bien, qu'elle sait pourquoi : on n'est pas sur un vélo, avec pour seul programme affiché de perdre 100 grammes ! Voyez le jogging, pratique assez souple pour ne pas déplaire aux femmes, mais à laquelle il manque pourtant quelque chose. Nous en avons fait l'expérience, en créant des groupes animés par des éducateurs. Cela motive énormément : 10 % de pratiquants ont rejoint nos clubs, par goût de cet accompagnement fait de convivialité et de conseils. Les femmes ne se satisfont des pratiques isolées que lorsqu'elles ne peuvent pas faire autrement.
Mme Gisèle Gautier. - Les hommes ne se sentent-ils pas aussi un peu seuls au milieu d'une majorité de femmes ?
Mme Françoise Sauvageot. - Mon mari, passé cinquante-cinq ans, est venu me rejoindre dans mon club. Il était le seul homme. J'ai craint sa défection, mais non. Il se trouve que sa présence régulière a attiré d'autres maris. Ils sont aujourd'hui huit, et les choses se passent fort bien. Il est vrai qu'au-delà de 80 % de femmes, les choses deviennent difficiles. C'est pourquoi nous créons aujourd'hui des associations masculines pour faire remonter nos effectifs.
Mme Gisèle Gautier. - Ce n'est pas la mixité.
Mme Françoise Sauvageot. - Elle passe par là.
M. Yannick Bodin. - L'on peut être minoritaire, l'on peut même être le seul homme au sein de cette délégation, et se sentir très bien. Un élément culturel incite à l'optimisme : les hommes se préoccupent de plus en plus de leur propre corps ; vous devriez tirer bénéfice de cette tendance.
Il faut lutter contre certaines attitudes, comme nous le faisons ici. Après tout, Marie de Médicis, qui a fait construire ce palais, n'avait rien à envier aux hommes de pouvoir, Indira Gandhi ou Mme Thatcher non plus. Dans la candidature à la candidature pour le renouvellement de la moitié du Sénat, les femmes ne sont pas en retard sur les hommes. Il fallait autrefois que je décroche mon téléphone pour susciter des vocations, on en est plutôt à départager les candidates.
Avec la politique des médias, les femmes subissent la double peine. Les enjeux financiers de l'audiovisuel sont énormes : plus vous avez de spectateurs, plus le public est large, et plus vous passez à la télévision. Le trois-quarts aile des All Blacks court 100 mètres en 11 secondes malgré ses 110 kilos : voilà un spectacle avec lequel il est difficile de rivaliser. En revanche, j'ai suivi avec intérêt le match entre les équipes féminines de rugby de France et du Canada. De même, les femmes brillent aux Jeux olympiques dans les sports nordiques, le ski alpin, la gymnastique synchronisée, la gymnastique et l'athlétisme. C'est à travers les médias et par le sponsoring que cela se joue. Les grands sports collectifs donnent du spectaculaire, un peu comme un western - mais les Calamity Jane sont rares... Vous êtes victimes de la télévision, voilà ce contre quoi il faut lutter jusqu'à ce qu'on voie des retransmissions de matchs féminins de basket ou de handball.
Mme Françoise Sauvageot. - La médiatisation influe sur la richesse des clubs, en référence à la pratique de haut niveau. Mme Danièle Salva, présidente de l'association Femmes Mixité Sports, que vous auditionnez bientôt, reviendra sur ces questions, mais je peux vous dire que pour obtenir 30 secondes d'image sur Stade 2, il faut qu'une femme dispute un titre européen ou mondial alors qu'on retransmet tous les matchs de la coupe de France de football. Atteindre un niveau exceptionnel ne suffit pas toujours : on a très peu parlé de la qualification de l'équipe féminine de football à la coupe du monde.
Le spectacle tennistique de filles est un bon spectacle, aussi Roland-Garros a-t-il été le premier tournoi à donner aux femmes les mêmes primes qu'aux hommes. De même, j'étais dans la tribune du public à Troyes lors du match entre l'équipe de France féminine de football et la Serbie, et j'ai entendu des spectateurs s'étonner de la qualité de leur jeu, de la précision de leurs gestes (particulièrement bien entraînée, cette équipe a atteint un haut niveau tactique et technique) ; un de mes voisins s'est même promis de retourner à des matchs féminins. Pourtant, les enjeux financiers continuent de peser sur le beau spectacle qu'est le sport féminin et l'on n'est plus dans la réalité. Le président du CNOSF a souhaité que nous travaillions à la création d'une chaîne spécialisée qui retransmettrait tous les sports, quels qu'en soient les pratiquants. Nous avons ouvert le dossier et un appel d'offres vient d'être lancé. J'y crois aussi parce que l'on diffusera ainsi une image à laquelle pourront s'identifier les petites filles.
Mme Gisèle Gautier. - L'audimat ! Sans public suffisant, pas de publicité !
Mme Michèle André, présidente. - L'équipe masculine de football en a involontairement apporté la démonstration, si l'on n'est pas exemplaire, les sponsors finissent par considérer que leur argent est mal placé : ils recherchent d'autres opportunités. Lorsque l'équipe de France féminine a obtenu sa qualification, j'ai salué sa performance par un communiqué qui a été repris par les journaux, parfois sur le mode humoristique : le Sénat félicitait l'équipe de France... féminine. Des gens ont découvert à cette occasion qu'il y avait une équipe féminine de football. Le respect des règles est bien supérieur chez les filles, qui n'ont pas de mauvais gestes, mais construisent un jeu splendide. Montrons des matchs féminins, ouvrons-leur les stades, comme je l'ai fait à Clermont, et les spectateurs en verront bien la qualité.
M. Yannick Bodin. - Les mentalités évoluent. A Melun, après le match France-Canada, des hommes ont dit que le spectacle leur avait plu, même si ça manquait de « castagne » pour certains.
Mme Sylvie Goy-Chavent. - Précisément, pour fournir ce spectacle et atteindre cette puissance physique, les femmes ne seront-elles pas tentées, y compris dans le tennis, de consommer certaines substances ?
Mme Françoise Sauvageot. - Il s'agit moins de genre que de savoir jusqu'où l'on cherche à aller dans la performance au-delà de l'humain. Le « mésusage des médicaments », le dopage pour l'appeler par son nom, est lié à la médiatisation et au sponsoring. Dès lors que c'est la recherche de la performance qui est en cause, les femmes seront malheureusement aussi touchées, comme elles l'ont été dans un autre domaine par l'usage du tabac.
Mme Sylvie Goy-Chavent. - Votre exposé confirme que le sport est le miroir de la société. Vous avez évoqué une masculinisation de l'encadrement. Faut-il en chercher la cause dans la formation ou dans la disponibilité ?
Mme Françoise Sauvageot. - La masculinisation se situe au niveau des formateurs de formateurs. Le directeur technique national (DTN) de la FFEPGV est entouré de sept personnes et accompagné dans les régions des conseillers pédagogiques (en tout 13 cadres d'État et une trentaine de fédéraux) en charge de la formation. Actuellement, le renouvellement de ces cadres nécessite un ou deux recrutements l'an. Les diplômés des STAPS cherchent des débouchés ; ils arrivent avec un master 2 et joignent, à ce niveau d'études assez impressionnant, une volonté telle que je suis obligée de recommander au DTN de penser à conserver un équilibre entre les genres dans le recrutement. Nous avons certes besoin de jeunes compétents, mais l'on ne doit pas recruter que des hommes. Or les femmes s'orientent moins vers ce type d'emploi parce qu'on y voyage beaucoup et qu'on multiplie les formations délocalisées, ce qui est peu compatible avec une vie de famille. Les hommes s'y adaptent mieux. J'essaie de préserver une forme d'équilibre mais, pour ne pas avoir que des femmes célibataires, nous devrions concevoir des modalités de travail moins déstructurées.
Mme Gisèle Gautier. - Qu'en est-il de la différence physiologique entre les sexes ?
Mme Françoise Sauvageot. - Nous avons le même cerveau...
Mme Gisèle Gautier. - Le même Q.I.
Mme Françoise Sauvageot. - Au niveau musculaire, aucun sport n'est interdit aux femmes, ni le saut à la perche, ni la lutte. Si les performances diffèrent et qu'on ne peut organiser une course d'athlétisme mixte, il n'y a, pour le reste, pas de différence génétique. Il incombe aux femmes de remporter la compétition de l'image. Cette conquête se heurte à un obstacle : comme on ne peut pas continuer de multiplier le nombre des délégations aux Jeux olympiques, le CIO n'accueille une nouvelle discipline qu'en en retirant une autre ; or les hommes ne sont pas prêts à renoncer à une spécialité masculine au sein d'une discipline pour faire place à une nouvelle spécialité féminine...
Mme Michèle André, présidente. - Je vous remercie, Madame, de cette présentation passionnante, enrichissante et efficace au quotidien. Puissiez-vous ne pas rester seule au CNOSF, car l'on avance mieux à plusieurs. Nous sommes maintenant 23 % au Sénat...
Mme Gisèle Gautier. - Nous sommes passées de 6 à 12 puis à 18 et aujourd'hui 23% !
Mme Michèle André, présidente. - ... contre 18 % à l'Assemblée nationale. Il y a eu une évolution, mais le plafond de verre est à 35 %.