Mercredi 3 novembre 2010
- Présidence de M. Martial Bourquin, président -Audition de MM. Philippe Mellier, président, et Jean-Louis Ricaud, directeur des opérations, de Alstom Transports
M. Martial Bourquin, président. - Nous recevons aujourd'hui MM. Philippe Mellier, président d'Alstom Transports et Jean-Louis Ricaud, directeur des opérations. Votre entreprise est implantée dans des grands sites industriels sur l'ensemble du territoire français.
M. Philippe Mellier, président d'Alstom Transports. - Alstom Transport, qui est l'une des deux principales branches d'Alstom, possède en effet neuf sites en France : nous assurons l'assemblage de trains à Valenciennes, à Aytré-La Rochelle, à Reichsoffen et à Belfort, les autres sites étant consacrés à la fabrication de composants : chaînes de traction à Tarbes, moteurs à Ornans, signalisation à Saint-Ouen, boggies au Creusot et contrôle des commandes de trains à Villeurbanne.
Nous employons 8 500 collaborateurs en France, ce qui représente un tiers de nos effectifs mondiaux, alors que nous effectuons seulement 20 % de nos ventes dans notre pays. Je rappelle que notre société a traversé une phase difficile de 2003 à 2005 : nous avons alors dû nous séparer de certaines de nos activités, mais nous avons tenu à préserver au maximum l'emploi en France.
Le chiffre d'affaires est de 2,5 milliards d'euros aujourd'hui, contre un milliard il y a dix ans, et le nombre de nos collaborateurs s'accroît en France. La recherche et développement est réalisée à 80 % en France.
La production, pour sa part, doit parfois être délocalisée à l'étranger. Toutefois, 34 % des achats provenant de nos sites à l'étranger sont effectués auprès d'entreprises françaises.
Certaines études indiquent que la part de contenu local dans le secteur ferroviaire est passée de 79 % il y a dix ans à 62 % aujourd'hui. C'est en fait le résultat de l'ouverture du marché et de l'entrée de nouveaux donneurs d'ordre qui, parfois, assemblent à 50 %, voire à 100 %, à l'étranger.
La part de contenu local dans les produits que nous fabriquons en France est de 88 %, contre 79 % il y a dix ans. En effet, les achats représentent 60 % de nos ventes et nous en réalisons 80 % auprès de sites français.
Nous constatons aujourd'hui, au niveau international, un retour du protectionnisme. En effet, nous sommes la plupart du temps payés avec l'argent des contribuables : les États et collectivités ont donc le souci que l'argent qu'ils dépensent reste en bonne partie dans le pays afin de soutenir l'emploi local. Nous l'avons constaté ainsi en Italie ou en Allemagne.
M. Michel Teston. - Une de vos filiales produit pourtant en Italie des trains de type ICE destinés au marché allemand.
M. Philippe Mellier. - Nous sommes considérés seulement comme des fournisseurs sur ce marché. En Europe, la demande de contenu local ne peut être inscrite explicitement dans les appels d'offres, en raison des règles du droit européen, mais on constate en pratique que les fournisseurs produisant localement sont le plus souvent sélectionnés. Aux États-Unis, le Buy American Act nous oblige à fournir 60 % de contenu local, voire 100 % dans certains contrats.
Toutefois, cela ne nous conduit pas à délocaliser les activités existantes, car une économie éventuelle sur la main d'oeuvre dans les pays à bas coût ne compenserait pas le coût et les risques liés au transport de matériels ferroviaires sur une longue distance.
De plus, la production dans les pays clients peut s'effectuer progressivement : dans le cas du Kazakhstan, nous produirons au début à Belfort avant de mettre en place une unité de production sur place.
Enfin, nous sommes un des très gros exportateurs industriels français et nous bénéficions à ce titre du soutien du Gouvernement.
En conclusion, Alstom Transport est une entreprise résolument française qui privilégie la production sur notre territoire.
M. Martial Bourquin, président. - Au Conseil général du Territoire de Belfort, une réflexion est menée avec Alstom sur la mise en place d'une filière de l'énergie, car un emploi dans une grande entreprise induit quatre emplois dans la filière. Qu'en pensez-vous ?
M. Philippe Mellier. - Pour ce qui concerne les transports, on peut constater par exemple l'existence d'un vrai pôle ferroviaire dans le Nord, avec la présence d'Alstom Transport, de Bombardier, du Centre européen d'essais ferroviaires et de nombreux fournisseurs.
Au total, nos commandes génèrent 25 000 emplois en France. Nous essayons de faire appel à des fournisseurs locaux et nous avons sans doute aidé certains d'entre eux à traverser la crise de l'automobile grâce à la stabilité de nos commandes.
Mme Christiane Demontès. - Lorsque vous devez produire localement dans des pays étrangers, déplacez-vous certains de vos employés sur les sites ? S'agissant de la recherche et développement, que vous apporte le crédit impôt-recherche ?
M. Philippe Mellier. - Le crédit impôt-recherche nous aide beaucoup et nous souhaitons vivement son maintien. Nous investissons 3 à 3,5 % de notre chiffre d'affaires en recherche et développement, dont une part de recherche fondamentale.
S'agissant de l'expatriation de nos personnels, cela dépend des pays dans lesquels nous signons des contrats. Au Kazakhstan, nous allons envoyer des collaborateurs pour former du personnel de manière à mettre en place un encadrement local d'ici à quelques années. En Chine, en revanche, nous disposons d'ores et déjà d'une équipe de direction locale.
M. Dominique de Legge. - Vous nous avez dit que les donneurs d'ordre français étaient tentés de solliciter les entreprises concurrentes. Comment expliquez-vous cette attitude ? Est-ce par manque de patriotisme économique ou pour d'autres raisons liées à la compétitivité ou aux règles des marchés publics ?
Par ailleurs, vous avez dit que la main-d'oeuvre représentait 10 à 15 % des coûts de production. Est-ce que ces chiffres valent pour Alstom en général ou pour l'ensemble du produit fini y compris les composants achetés à des fournisseurs étrangers ? A cet égard, seriez-vous favorable à la mise en place d'une TVA sur les produits importés ?
M. Michel Teston. - Je constate avec satisfaction qu'Alstom est bien implantée sur le territoire français avec neuf sites et des effectifs et des commandes en forte augmentation depuis 2005. Cette organisation fortement localisée en France vous permet-elle de faire face à la compétition internationale et pensez-vous pouvoir la maintenir ? De la même façon, aurez-vous la volonté et la possibilité de maintenir durablement les équipes de recherche et développement en France ?
M. Martial Bourquin, président. - Lorsqu'un client exige dans le cahier des charges une forte part de contenu local, comment faites-vous pour protéger vos savoir-faire et les nouvelles technologies d'Alstom ?
M. Philippe Mellier. - Notre politique a toujours été très prudente dans ce domaine, ce qui nous a valu parfois des critiques. Il est vrai que, parfois, le refus de transférer nos savoir-faire technologiques nous ont coûté de gros contrats qui ont été remportés par nos concurrents, mais nous avons préservé la technologie de la grande vitesse et, ainsi, de futurs contrats. Néanmoins, lorsque nous réalisons des chantiers sur place, nous sommes contraints de partager une partie de nos savoir-faire. On s'efforce dans ce cas de ne pas transférer l'intégralité de notre technologie.
A l'inverse, croyant pouvoir remporter de gros contrats, nos concurrents n'ont pas hésité à vendre leur savoir-faire et ont ainsi suscité la naissance de nouveaux concurrents. Force est de constater qu'au final, ils n'ont pas remportés les marchés espérés.
S'agissant de la question posée par M. Michel Teston sur la pérennité de notre implantation française, celle-ci découle de l'histoire d'Alstom, qui résulte de l'achat progressif de petites entreprises ferroviaires. Nous nous efforçons de préserver les emplois nationaux et sommes très attachés à notre image d'entreprise citoyenne. En retour, nous comptons sur le soutien indéfectible des élus locaux, en particulier, des présidents de région qui décident des achats de trains régionaux. Il est en effet essentiel pour Alstom de conserver des commandes et des références en France pour être légitime et compétitif à l'export.
En Allemagne, notre concurrent, Siemens, bénéficie d'un soutien très fort du gouvernement. A titre d'exemple, Mme Angela Merkel est intervenue à trois reprises auprès des autorités du Kazakhstan pour défendre la candidature de l'entreprise allemande.
M. Martial Bourquin, président. - Et s'agissant de la TVA à l'export, y êtes-vous favorable ? D'après l'analyse d'Emmanuel Todd, le marché européen est extrêmement ouvert et, contrairement aux autres marchés, il est très peu protégé. Cela pénalise les entreprises européennes qui sont assujetties à de nombreuses normes, environnementales ou de sécurité, et dont la compétitivité est affectée par le niveau de protection sociale dont bénéficient leurs salariés. Faut-il créer les conditions d'une préférence communautaire en créant une taxe sur les produits importés ?
M. Philippe Mellier. - Il est vrai que l'on dit très souvent de l'Europe qu'elle est ouverte et offerte. A l'inverse, les autres pays ont mis en place des barrières protectionnistes à l'entrée : le Brésil applique une taxe de 15 % sur les produits importés ; il est quasiment impossible d'exporter en Chine ; en Corée, un décret de 2003 a réservé la participation aux marchés publics relatifs aux transports aux seules entreprises nationales et en Allemagne, il est quasiment impossible de remporter un appel d'offres. A l'inverse, la France n'applique aucune restriction et les entreprises françaises ne sont pas spécifiquement privilégiées. Il existe un réel problème de réciprocité, même en Europe, où il est interdit d'ériger des barrières à l'entrée des marchés nationaux.
A titre d'exemple, il m'a fallu cinq ans pour obtenir l'homologation d'un train français en Allemagne, et encore, j'ai obtenu gain de cause grâce à l'intervention du directeur de la Deutsche Bahn avec lequel j'ai de bonnes relations. La France demeure très clairement le pays européen le plus ouvert. Même l'Italie et l'Espagne sont beaucoup plus fermées. Cela explique à mon sens, en grande partie, les délocalisations des industries françaises.
Malgré cela, Alstom est très bien positionné dans la compétition mondiale : nous sommes premiers pour les métros et les TGV et seconds pour le tramway et la signalisation ferroviaire.
Il est parfois nécessaire, pour remporter un marché, de s'implanter dans les pays acheteurs. C'est parce que nous avions un site de production au Brésil que nous avons pu remporter le marché du métro brésilien contre les Chinois.
M. Martial Bourquin, président. - Alstom est exemplaire : c'est une entreprise très française, qui appelle au patriotisme économique. Vous avez eu raison de protéger vos savoir-faire technologiques et de vous préserver ainsi pour l'avenir de l'émergence de nouveaux concurrents.
M. Philippe Mellier. - Il est vrai que nous sommes la seule entreprise du secteur ferroviaire à ne pas avoir vendu notre technologie à la concurrence étrangère. C'est un reproche que l'on nous fait souvent mais je suis convaincu que nous avons eu raison de le faire. On a vendu une technologie à la Chine qui ne pouvait s'appliquer que dans ce pays et ne risquait pas de susciter contre nous une concurrence sur d'autres marchés.
M. Michel Teston. - La plupart des entreprises occidentales ont été acculées au transfert de leurs dernières technologies pour obtenir des marchés. L'essentiel est de préserver les technologies les plus récentes quitte à transférer, comme vous l'avez fait pour conquérir le marché coréen, des technologies plus anciennes. A l'inverse, vous avez bien fait de refuser de transférer la technologie de la grande vitesse à la Chine même si Siemens, en acceptant de transférer la sienne, a remporté le marché. Mais sa technologie est plus ancienne. La vôtre est celle du train du XXIème siècle.
M. Philippe Mellier. - On a voulu conserver notre technologie articulée qui est unique. Mais pour le marché kazakh du fret, on est parti d'une locomotive dessinée pour les Chinois sur laquelle on a greffé des éléments de technologies appliquées à celle que l'on a vendue aux Russes. Les premières unités de cette locomotive seront vraisemblablement réalisées à Belfort. Notre modèle de production est en quelque sorte un puzzle mondial qui permet au final de faire travailler la France avec des technologies que l'on a développées pour d'autres pays.