Jeudi 1er juillet 2010
- Présidence de M. Bruno Retailleau, président -Audition de M. Paul Girod, président, et de M. Christian Sommade, délégué général, du Haut Comité français pour la défense civile
M. Bruno Retailleau, président. - Notre réflexion vise à éviter un nouveau drame tel que Xynthia ou les récents évènements dans le Var. Nous remettrons notre rapport final la semaine prochaine. Nous avons conduit 170 auditions, qui ont porté sur l'alerte, la vigilance, la sécurité civile, etc. Notre sujet charrie de nombreux thèmes. Nous nous sommes déplacés pour observer les expériences de nos voisins, aux Pays-Bas notamment.
Nous sommes heureux d'accueillir notre ancien collègue dans ses fonctions actuelles. Quelle est la fonction du Haut Comité ? Quelle est votre approche de ces évènements ?
M. Paul Girod, président du Haut Comité français pour la défense civile (HCFDC). - Le Haut Comité a été créé à l'initiative de feu notre collègue Maurice Schumann, qui en a été président jusqu'à sa mort. Il m'avait sollicité, puisque j'étais rapporteur pour avis du budget sécurité civile, pour occuper les fonctions de vice-président.
Cet organisme a beaucoup changé. Il avait été conçu comme un moyen de pression sur le gouvernement, afin d'amodier la doctrine qui avait cours alors : nous avions choisi le tout-dissuasion nucléaire et faire des plans pour protéger la population aurait laissé penser que nous ne croyions pas à notre dispositif puisqu'une riposte aurait pu nous atteindre. Certains, tels Maurice Schumann ou le général Billotte, jugeaient ce raisonnement un peu court et ont cherché à infléchir les choses. Certes, le pari a été gagné et il n'existe plus de menace nucléaire crédible aussi le débat a-t-il été élargi à l'ensemble de la protection civile.
La défense du pays, conformément à l'ordonnance du général de Gaulle de 1959 est militaire mais aussi civile; elle exige préparation et protection. Je disais du reste au ministre de la défense que l'intitulé de ses attributions me dérangeait, car la défense va au-delà des seules forces armées. Le Haut Comité comporte un collège d'élus, un collège d'entreprises, un autre de gérants d'infrastructures critiques, un d'experts, de scientifiques. C'est un point de rencontre entre toutes les administrations d'Etat concernées par la préparation du pays aux dangers et aux crises et tous les intervenants privés. Nous organisons des petits-déjeuners autour d'un invité, des colloques réguliers. Nos moyens, modestes, proviennent des parlementaires, du ministère de l'intérieur, du ministère de la santé et de nos membres du secteur privé. Le Comité a un budget d'un million d'euros et il emploie dix personnes. Il a une grosse activité de formation.
Nous avons créé une formation nationale pour les responsables de la sécurité, de tout niveau. Nous ne sommes pas l'Institut des hautes études de défense nationale, mais nous réunissons des représentants de toutes les grandes entreprises, la RATP, et bien d'autres.
Nous n'avons pas été très étonnés par les événements récents. Je voudrais d'abord faire la distinction entre la sécurité civile, bras armé de la protection de la population, et la défense civile, qui inclut l'anticipation des crises. Pour moi, l'inquiétude doit être permanente : je ne veux pas parler de peur mais d'un esprit non quiet, pas tranquille. Or, depuis le Moyen Age, rien n'a vraiment changé : « Dormez tranquilles, bonnes gens, le guet veille ! ». Ce qui devrait susciter l'inquiétude devient sujet d'apaisement parce que des plans existent...
Au niveau de l'Etat, il existe un Orsec sectoriel, qui a été assoupli, mais l'organisation préfectorale n'est pas si réactive. Je ne me suis pas rendu sur les lieux de la catastrophe Xynthia, mais de mon enquête je conclus que l'alerte a été complète et l'interprétation, nulle. Personne au ministère, à la préfecture de zone, aux préfectures de département -sans parler des préfectures de région, qui ne jouent aucun rôle alors que c'est là que l'Etat concentre ses cerveaux...- ne s'est interrogé en voyant qu'un périmètre limité était en rouge sur la carte. On a certes réveillé quelques maires à deux heures du matin, ils étaient informés depuis la veille au soir, ils avaient regardé la télévision...C'est sans cesse le même phénomène : on manque d'imagination, on ne se pose pas de question, on se fie à ce qu'on a préparé. Quel orgueil...
M. Bruno Retailleau, président. - Quelle est votre explication sur cette catastrophe humaine ?
M. Paul Girod, président du HCFDC. - Elle a plusieurs origines. On a cédé sur les permis de construire sous la pression des élus ; là où des permis ont été accordés dans des zones à risque, on n'a pris aucune précaution minimale sur les plans ; on n'a jamais informé la population sur les secteurs dangereux, sur les réflexes à avoir. Je l'observe hélas partout.
M. Bruno Retailleau, président. - S'il s'agit d'une zone dangereuse, le permis de construire le mentionne.
M. Paul Girod, président du HCFDC. - Il y a incontestablement une carence administrative, sur le contrôle en particulier. A Toulouse, on nous dit que l'usine AZF avait été construite en pleine ville, c'est faux. L'usine initiale avait été construite à trois kilomètres de la ville. Si des exercices d'évacuation avaient été organisés à mesure que les alentours s'urbanisaient, la pression foncière n'aurait pas été la même. A Roissy, les zones non aedificandi se sont peu à peu réduites, jusqu'au ras des pistes. Le Concorde s'est écrasé sur un hôtel qui n'aurait jamais dû être construit à cet emplacement. On a de façon répétée transgressé la réglementation d'origine, sans prévenir la population des inconvénients ni des dangers, sans procéder à des exercices. La préfecture de police l'a reconnu, il faudrait prévoir à Paris 800.000 évacuations. Et dans le Val-de-Marne, personnes n'a dit aux habitants des maisons pieds dans l'eau qu'ils devraient trouver un proche susceptible de les recueillir un peu plus loin ; quant aux immeubles de grande hauteur, ils seront fermés, faute d'ascenseur et d'assainissement. Si on doit évacuer, qui décide, qui annonce, qui protège les biens et les personnes ? L'affaire ne s'improvise pas !
L'information est trop segmentée. Les digues de la région touchée par Xynthia avaient été inspectées, des travaux prévus ici et là ; mais quelqu'un a-t-il eu toute l'information, afin de décider une réflexion globale ?
M. Bruno Retailleau, président. - Qu'aurait-il fallu faire en matière d'alerte ?
M. Alain Anziani, rapporteur. - Un plan-type est-il envisageable ?
M. Paul Girod, président du HCFDC. - Notre Comité est le seul organisme qui récompense, en décernant le « pavillon orange », les efforts des maires pour élaborer un plan communal de sauvegarde. Ainsi peuvent-ils diffuser dans la population des consignes certifiées par quelqu'un d'autre. L'Etat, lui, exige des plans mais ne donne pas suite.
M. Christian Sommade, délégué général du HCFDC. - Un rapport de 1991 avait jugé obsolète le système d'alerte en France. Les sirènes étaient à l'origine gérées par les 45 bureaux interdépartementaux d'alerte, sous le contrôle de l'armée de l'air ; on craignait surtout, à l'époque, les bombardiers soviétiques. Le système était confié aux PTT, mais aujourd'hui France Télécom se contente d'envoyer ses factures. Ce réseau n'intéresse plus personne.
Avec ces drames, nous payons vingt ans d'inaction. Le Livre blanc de 2008 a mis en évidence les problèmes du système d'alerte et l'on a demandé à la Sécurité civile d'en mettre en place un nouveau. Le Système d'alerte et d'information des populations (SAIP) a coûté 80 millions d'euros. Aux maires la sauvegarde, à l'Etat le secours. Les capteurs finaux sont laissés à la charge financière des municipalités. L'Etat met en oeuvre un système national au maillage fin, géré par les SDIS.
M. Bruno Retailleau, président. - Les sirènes sont-elles dépassées ?
M. Christian Sommade, délégué général du HCFDC. - Non ! Il n'y a rien de mieux à trois heures du matin, quand les téléphones portables sont en mode silencieux...
M. Paul Girod, président du HCFDC. - La sirène ne suffit pas, elle est une alerte. Lorsqu'elle retentit, les personnes doivent comprendre : écoutez les instructions à la radio.
M. Christian Sommade, délégué général du HCFDC. - A Gonfreville l'Orcher, dans les zones dangereuses, chacun a son alert box et sait qu'il doit allumer sa radio pour entendre les consignes. Les équipements ont été payés par la mairie et la communauté urbaine du Havre. Ailleurs, on exige des maires la réalisation des plans communaux de sauvegarde sans les accompagner en rien. La Sécurité civile vient juste de procéder au premier recensement : seulement 22% des communes ont mis en place un PCS. Dans certains cas, il est sérieux et complet ; dans d'autres, il s'agit d'un vague document de trois pages élaboré par un stagiaire et remisé sur un haut d'étagère ; s'il est envoyé en préfecture, c'est pour ouvrir le parapluie sans rien faire... Il est fondamental de mieux diffuser une culture de la sécurité, de faire des exercices et pour cela, il faut des ressources et de l'appétence.
M. Bruno Retailleau, président. - Nombre de communes vendéennes ne comptent pas 2.000 habitants. Quelle assistance peuvent-elles obtenir ?
M. Christian Sommade, délégué général du HCFDC. - Nous avons créé le pavillon orange pour cette raison : le site regroupe toutes les informations nécessaires et un logiciel - à télécharger gratuitement - sert à élaborer ou mettre à jour le plan communal. Une formation d'une journée et demie est également proposée aux communes.
Nos ressources proviennent du secteur public pour moins de 10% ; pour 35 à 40%, des cotisations des grandes entreprises ; et pour 50% de nos activités.
M. Bruno Retailleau, président. - Combien de communes avez-vous aidées ?
M. Christian Sommade, délégué général du HCFDC. - Cette année, 17. Le processus est lent, la prise de conscience récente. Les catastrophes cependant ont fait réagir les mairies.
Je veux dire également que nous sommes mal vus de la Sécurité civile. « De quoi se mêlent-ils ? », voilà le jugement qu'elle porte sur nous.
M. Alain Anziani, rapporteur. - La loi pourrait-elle poser que le plan communal doit être conforme à un cahier des charges précis ?
M. Christian Sommade, délégué général du HCFDC. - Le décret du 13 septembre 2005 le prévoit déjà.
M. Alain Anziani, rapporteur. - Mais les plans sont de pure forme ?
M. Christian Sommade, délégué général du HCFDC. - Il nous manque surtout la culture de la sécurité.
M. Paul Girod, président du HCFDC. - La conscience des risques fait défaut jusque dans les territoires comportant des sites classés Seveso ! Et qui va juger les plans ? Les services de Sécurité des préfectures sont de plus en plus restreints et pas toujours motivés.
M. Bruno Retailleau, président. - Pourrait-on prévoir un référent dans chaque département, soit un agent de la préfecture, soit un volontaire, jeune retraité par exemple, qui agirait comme un commissaire-enquêteur en quelque sorte. Il serait formé pour cela.
Il faudrait ensuite, après avoir élaboré les plans communaux, les faire vivre, porter le dispositif à la connaissance des populations, monter des exercices d'évacuation puis les évaluer. Je vous suggère aussi de rebaptiser le Haut Comité « de défense et de protection civile », ce qui éclairerait mieux la réalité, même si cela choque quelques fonctionnaires au fin fond de couloirs obscurs.
M. Alain Anziani, rapporteur. - Le plan communal de sauvegarde pourrait être, comme document d'urbanisme, soumis à l'avis de diverses instances, dont le Haut Comité.
M. Christian Sommade, délégué général du HCFDC. - Le maire qui se connecte sur notre site y trouve 250 questions ; lorsqu'il ne sait pas répondre sur tel ou tel point, cette lacune suscite sa réflexion. Cette voie est moins coûteuse ! Le plus important est la volonté politique.
M. Paul Girod, président du HCFDC. - Les référents existent théoriquement dans chaque préfecture, le chef du pôle Défense et protection civile, mais ils sont débordés. Le problème est là. La sécurité est comme les autres services soumise à la RGPP. Dans l'Aisne, chez un paysan, tel contrôleur particulièrement rigoureux des services sanitaires vient faire un prélèvement ADN sur un veau pour vérifier s'il est bien issu de telle vache, et sans même qu'elle soit de race pure ! On pourrait l'affecter à des tâches plus sérieuses !
M. Bruno Retailleau, président. - C'est vrai qu'il faut vraiment aimer les bêtes pour en élever sous cette férule ! L'Etat ferait mieux de se concentrer sur ses missions régaliennes.
M. Christian Sommade, délégué général du HCFDC. - La réforme de l'Etat dans les territoires entraîne des difficultés. Les services sont accablés de travaux de planification et sont de moins en moins capables d'intervenir localement. Quant aux élus, ils se disent « si ça va mal, j'appelle le préfet et les pompiers » ; ils n'ont pas encore véritablement intégré leur mission de sauvegarde. Or, si une catastrophe touche un périmètre restreint, les secours s'y concentrent, mais si la zone est vaste, les militaires ne sont pas forcément disponibles. Et il faut cinq à six jours pour mobiliser les 10.000 réservistes.
M. Bruno Retailleau, président. - Le CNFPT ne pourrait-il dispenser une formation aux risques, destinée aux maires et adjoints, afin d'enclencher une acculturation ?
M. Paul Girod, président du HCFDC. - Je suis d'accord ! Mais on ne saurait se satisfaire d'une formation purement administrative. Il faut aussi faire des simulations en grandeur nature, sous l'oeil d'observateurs extérieurs.
M. Christian Sommade, délégué général du HCFDC. - La France est le seul pays qui ne soit pas doté d'un site internet public décrivant de façon systématique les risques et la conduite à tenir lorsqu'ils surviennent. Un projet est en chantier depuis des années. Il n'aboutit pas. Cela tient peut-être au fait que la prévention et la protection, dans notre mentalité, relèvent de l'Etat et de lui seul. Le citoyen n'a pas à s'occuper de lui-même. Il en va tout autrement dans les pays anglo-saxons, où la doctrine est : « soyez autonome chez vous pendant 72 heures » en attendant les secours.
M. Bruno Retailleau, président. - Et les préfectures, ne dispensent-elles pas de documents sur les risques ?
M. Christian Sommade, délégué général du HCFDC. - Il y a un dossier départemental sur les risques majeurs mais aucune consigne. La Grande-Bretagne possède un site national en dix-sept langues, dont l'ourdou, l'hindi et même le français. Il traite de tous les risques. Des forums regroupent le secteur privé, public, les grandes associations, etc. pour préparer la résilience économique et la gestion post-crise.
On pourrait prévoir un forum de résilience par zone de défense ou par région économique car si on ne sensibilise pas les collectivités locales, y compris les petites, et les entreprises, y compris les PME, le redémarrage d'après-crise est retardé : ou on ralentit la reprise générale, ou on laisse chacun y mettre du sien et c'est chaotique. Nous n'avons pas de plan Orsec de gestion post-crise.
M. Bruno Retailleau, président. - Comment informer la population ?
M. Christian Sommade, délégué général du HCFDC. - En termes d'alerte pure, le self broadcast, avec les téléphones portables, fonctionne bien le jour. Mais la nuit, surtout si le téléphone filaire est mis hors d'état par la catastrophe, il n'y a que les sirènes pour informer d'un danger immédiat.
M. Bruno Retailleau, président. - Sur tous les sites industriels soumis à un plan particulier d'intervention (PPI), sur tous les sites nucléaires, il y a des sirènes. Dans les villes également. Il y en a à chaque barrage, mais pas sur chaque digue... Il ne faudrait pas en rajouter beaucoup pour tout couvrir. Je signale aussi que seuls 20 à 30% des établissements scolaires ont élaboré leur plan de sûreté.
M. Alain Anziani, rapporteur. - Qui doit actionner la sirène ?
M. Christian Sommade, délégué général du HCFDC. - Celui qui est au plus près du danger. Il faut plusieurs décideurs. Au niveau du département, le centre opérationnel départemental d'incendie et de secours (CODIS), qui reçoit tous les appels d'urgence ; le maire, -qui n'était pas responsable dans l'ancien système d'alerte mais qui doit aujourd'hui diriger le secours tant que le préfet n'a pas pris la main ; si c'est très grave, le Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC).
M. Bruno Retailleau, président. - Le réseau Antarès, tant vanté, semble coûter très cher...
M. Christian Sommade, délégué général du HCFDC. - Acropol, le réseau crypté de la police, avait coûté cher ; l'infrastructure existait, on a jugé qu'elle pouvait servir aussi pour les pompiers et les colonnes de secours. Antarès va encore plus loin dans la sécurité, il a coûté un peu plus cher. L'infrastructure nationale partagée des transmissions fut une bonne idée, mais il faut à présent la renforcer, y accueillir le SAMU, ainsi que des opérateurs d'importance vitale, comme ERDF. Sans communications, la gestion des crises devient plus épineuse...
M. Bruno Retailleau, président. - Je reviens à la culture du risque. Le président de la Fédération nationale de la protection civile suggérait une formation des collégiens.
M. Paul Girod, président du HCFDC. - En 2004, la loi a prévu des interventions par des personnes de l'extérieur dans les écoles primaires : elle est restée lettre morte, l'éducation nationale ne prisant pas les intrusions... Quant aux instituteurs, ils n'ont pas intégré ce volet dans leurs programmes. Dommage car grâce aux enfants, c'eût été la meilleure façon de faire passer des messages aux parents ! J'en ai vu les résultats inespérés pour le tri sélectif !
M. Bruno Retailleau, président. - La France est-elle à la traîne pour la gestion des risques ?
M. Paul Girod, président du HCFDC. - Nous sommes un pays où on croit encore que le Roi fait tout, règle tout, protège tout. Voilà notre problème.
M. Christian Sommade, délégué général du HCFDC. - Un député propose que l'on établisse un parcours civique et citoyen à l'école, comme cela se fait dans tant de pays européens. Un traitement des problèmes de sécurité existe, centralisé. Mais il n'implique pas assez la population. Il faudrait changer la posture de l'Etat, ce qui se produit progressivement, faute de moyens. Mais il faut aussi que la greffe prenne dans le terreau des collectivités.
Le ministère de l'écologie a un projet d'indice de résilience des territoires, avec un observatoire, pour évaluer comment, dans chaque zone, on prévient, protège mais aussi réagit à la crise et après. Nous remettrons une note sur ce sujet à la mission.
Le nombre de plans et de textes est infini. Mais qu'y a-t-il derrière ? N'y a-t-il pas un trou dans la raquette ? Un Observatoire des risques majeurs et de la résilience me paraît une bonne idée.
M. Bruno Retailleau, président. - Encore un observatoire !
M. Christian Sommade, délégué général du HCFDC. - Le ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer s'occupe de prévention et de sécurité civile ; de secours, aussi, mais pas complètement. La fragmentation est préjudiciable, personne ne considère la totalité du problème.
M. Bruno Retailleau, président. - Qui est le mieux à même de le faire : le préfet ?
M. Christian Sommade, délégué général du HCFDC. - Il est juge et partie.
M. Paul Girod, président du HCFDC. - Et l'administration refuse l'intrusion de personnes extérieures. Elle sait.
M. Bruno Retailleau, président. - Et elle se protège.
La catastrophe est survenue non seulement à la limite entre deux départements et deux régions mais entre deux zones de défense. Entre les zones de défense, est-il possible d'éviter les césures et d'avoir un continuum ?
M. Christian Sommade, délégué général du HCFDC. - Le système est organisé en poupées russes, au dessus des zones, c'est le COGIC et le Centre interministériel de crise, qui arbitrent. L'emboîtement se fait bien.
M. Paul Girod, président du HCFDC. - On est là au stade de l'intervention mais on manque de cellules où, quand un signal passe au rouge, on se pose des questions.
M. Christian Sommade, délégué général du HCFDC. - M. Patrick Lagadec, pour EDF, a proposé des forces d'intervention rapide, mais on est là au stade de la crise avérée ; quand on est simplement en vigilance, personne ne réunit de cellule d'anticipation.
M. Bruno Retailleau, président. - Au niveau de l'Etat, y a-t-il une fragmentation entre ministères ? Ne peut-on tout rattacher au Premier ministre ?
M. Christian Sommade, délégué général du HCFDC. - D'après les textes, la gestion des crises relève du Premier ministre mais le Livre blanc a désigné trois têtes de pont : la Défense pour le domaine militaire, l'Intérieur pour les territoires, les Affaires étrangères pour ce qui survient à l'extérieur. Pour la crise du nuage islandais, c'est le ministère de l'écologie qui a été désigné. L'important est que cela fonctionne au niveau interministériel. Or au ministère de l'Intérieur, il y a déjà deux services, la Direction de la planification de sécurité nationale et la Direction de la Sécurité civile. Et on compte ensuite le CPCO - Centre de planification et de conduite des opérations- à la Défense et les centres de l'Intérieur : le COGIC, le COB -Centre opérationnel Beauvau-, le CROGEN -Centre de renseignement et d'opérations de la gendarmerie nationale- et la récente cellule interministérielle de suivi et de crise. Il y a des tensions entre services et le système n'a pas encore trouvé ses marques.
M. Paul Girod, président du HCFDC. - Je terminerai en citant Tocqueville : « Ce qui caractérise déjà l'administration en France, c'est la haine violente que lui inspirent indistinctement tous ceux, nobles ou bourgeois, qui veulent s'occuper d'affaires publiques, en dehors d'elle. (...) La plus petite association libre, quel qu'en soit l'objet, l'importune. (...) Les grandes compagnies industrielles elles-mêmes lui agréent peu ; en un mot, elle n'entend point que les citoyens s'ingèrent d'une manière quelconque dans l'examen de leurs propres affaires. »