Mercredi 9 juin 2010
- Présidence de M. Philippe Marini, président -Crédit à la consommation - Examen du rapport et du texte de la commission
La commission spéciale procède, sur le rapport de M. Philippe Dominati, à l'examen, en deuxième lecture, des amendements et à l'élaboration du texte qu'elle propose pour le projet de loi n° 415 (2009-2010), modifié par l'Assemblée nationale, portant réforme du crédit à la consommation.
M. Philippe Marini, président. - La première lecture en séance publique remonte à presque un an. Chacun a en mémoire l'excellent travail que nous avons réalisé grâce au rapporteur, M. Philippe Dominati.
Nous n'avons reçu aucun amendement.
Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi. - Nous nous retrouvons autour d'un texte largement amélioré, qui nous avait déjà réunis il y a un certain temps.
Je suis très attachée à cette réforme, où l'on peut distinguer quatre axes. Premièrement, je voulais éradiquer la publicité tapageuse et mensongère. Deuxièmement, je tenais à mettre de l'ordre dans les cartes de fidélité. Troisièmement, il importait de mettre un terme aux crédits qui ne se remboursent jamais, finissant par faire payer un réfrigérateur en dix ans. Enfin, j'entendais contraindre les établissements financiers à vérifier la solvabilité des emprunteurs en consultant le fichier des incidents de paiement, mais aussi en examinant la capacité de remboursement.
Vous avez sensiblement amélioré le texte en donnant systématiquement au consommateur le choix entre crédit amortissable et crédit renouvelable au-delà de 1000 €. Cette disposition très importante est due à votre rapporteur. J'en profite pour rendre hommage à la qualité de son travail et de son rapport, qui expose à la fois l'utilité du crédit à la consommation et son caractère pernicieux.
La deuxième modification majeure a été proposée par le président, avec un taux de l'usure indépendant des formes de crédit, mais différent selon les tranches, de plus ou moins 3 000 et 5 000 euros.
L'Assemblée nationale a apporté trois modifications principales au texte du Sénat. Tout d'abord, les députés ont exigé que les emprunteurs produisent des justificatifs pour tout crédit supérieur à 3 000 euros. Ensuite, un rendez-vous annuel de solvabilité est institué. La réserve de crédit disponible pourra éventuellement diminuer. Enfin, l'Assemblée nationale a facilité le rebond des personnes surendettées, dont le nombre s'est considérablement accru avec la crise économique, puisque les dossiers sont passés de 180 000 à 220 000 entre 2008 et 2009, soit une hausse de 15 %. Sommes-nous au sommet de la bosse de surendettement ? Je le souhaite. En tout état de cause, il est urgent de finaliser ce texte.
M. Philippe Marini, président. - Nous sommes impatients de le voir devenir réalité, mais encore plus d'entendre le rapporteur !
M. Philippe Dominati, rapporteur. - Notre commission a examiné cette réforme en première lecture il y a exactement un an.
Hélas, l'encombrement du calendrier législatif a ralenti le processus à l'Assemblée nationale. Ses quatre commissions ont rendu leurs rapports en décembre, la commission des affaires économiques étant saisie au fond, celles des affaires sociales, des finances et des lois l'étant pour avis. Commencé fin mars, le débat en séance publique s'est achevé le 27 avril.
Nous entamons aujourd'hui la deuxième lecture du texte.
Notre assemblée avait transmis 51 articles aux députés, qui en ont voté 5 conformes, en ont modifié 46 et ajouté 12. Nous devons donc examiner aujourd'hui 58 articles, alors que le texte initial en comportait 34.
La rédaction de l'Assemblée nationale ne diffère pas sensiblement de celle que nous avions adoptée. C'est pour nous une grande source de satisfaction attestant la qualité du travail conduit par la commission spéciale pour aboutir à un compromis équilibré. D'ailleurs, le rapporteur de l'Assemblée nationale, M. François Loos, a reconnu « l'apport substantiel du Sénat. »
Notre assemblée s'était mobilisée depuis longtemps sur ces sujets, ce dont témoignent cinq propositions de loi déposées peu de temps avant ce texte. Tous leurs auteurs - notre président M. Marini, M. Biwer, M. Revet, Mme Bricq, M. Mercier - ont largement contribué à l'élaboration du texte voté par le Sénat en première lecture sur un sujet critique pour nombre de nos concitoyens.
Je veux également rendre hommage à Mme la ministre de l'économie, dont nous connaissons l'implication sur ce dossier malgré une conjoncture internationale particulièrement agitée. Les avancées que nous voulons entériner aujourd'hui doivent beaucoup à sa ténacité.
Le texte initial poursuivait plusieurs objectifs : transposer la directive du 23 avril 2008 sur le crédit aux consommateurs ; réduire le malendettement en diminuant la part du crédit renouvelable au profit du crédit amortissable ; améliorer le traitement du surendettement.
En première lecture, nous avions estimé utile de compléter ce bon projet pour lui permettre de donner sa pleine mesure. Trois innovations majeures avaient été introduites.
Le premier ajout a trait à la réforme des seuils de l'usure. À mon sens, la régulation d'une économie moderne doit provenir du marché, sous le contrôle d'organes chargés d'assurer la concurrence, outre l'intervention du juge pour défendre les intérêts individuels. Les pays voisins vivent pour la plupart selon ce schéma, dont l'application aurait supprimé le régime de l'usure. L'opinion n'y étant pas prête, nous avons adopté une solution intermédiaire avec un taux de l'usure dépendant non de la catégorie du produit, mais du montant prêté. À cet effet, le fondement législatif de cette transformation s'accompagne d'une période transitoire de deux ans au maximum, avec une gestion administrée des taux devant éviter un éventuel effondrement brutal du crédit. Enfin, un comité ad hoc supervisera la réforme et vérifiera les marges des établissements de crédit. L'Assemblée nationale a repris ce dispositif quasiment sans le modifier.
Le deuxième ajout concerne le fichier positif, dont nous avons beaucoup débattu. Après avoir entendu des avis contrastés, nous avons effectué un déplacement en Belgique pour approfondir la réflexion. Je n'étais pas alors absolument convaincu de l'efficacité de ce dispositif pour combattre le surendettement, mais notre commission a trouvé une solution de compromis : le principe d'une création à terme de ce fichier est affirmé tout en ménageant le temps de l'évaluation, de la concertation et de la réflexion. L'Assemblée nationale a largement approuvé ce dispositif après de vifs débats. Finalement, un amendement gouvernemental a permis l'accord en prévoyant un rapport sur la création d'un registre national des crédits aux particuliers, qui sera remis au Gouvernement et au Parlement un an après la promulgation de la loi - alors que le Sénat avait adopté un délai de trois ans - un comité devant préfigurer la création envisagée. Mme Lagarde a précisé aux députés la composition de cette dernière instance, où toutes les parties prenantes seraient représentées, notamment les associations de consommateurs. Notre assemblée avait confié l'élaboration du rapport à la commission créée à l'article 33 A pour évaluer la loi. Le travail de compromis s'est donc poursuivi à l'Assemblée nationale.
Le troisième ajout porte sur le micro-crédit social, car plusieurs auditions nous avaient convaincu de recentrer le micro-crédit personnel sur sa finalité sociale, afin qu'il contribue au maintien ou au retour vers l'emploi et qu'il puisse soutenir tout projet d'insertion sociale. Il nous avait semblé important que le fonds de cohésion sociale finance les garanties, mais aussi les dépenses d'accompagnement des bénéficiaires. L'Assemblée nationale a suivi le Sénat et complété le dispositif pour favoriser la relance du micro-crédit.
Sur le reste du texte, les députés ont maintenu l'essentiel des enrichissements apportés par le Sénat, qui s'orientaient dans quatre directions principales.
Ainsi, l'information et la protection du consommateur seront renforcées, puisque la fiche de dialogue devra être accompagnée des justificatifs nécessaires. Elle ne pourra être utilisée par le prêteur contre l'emprunteur ayant commis des erreurs ou des omissions.
Nous avons aussi clarifié les relations entre commerce et crédit par une meilleure confidentialité des opérations sur le lieu de vente, une meilleure formation du personnel et en facilitant le contrôle des prescriptions par l'autorité administrative. En outre, le consommateur désirant régler à crédit des achats devra systématiquement disposer d'une offre alternative de crédit amortissable si on lui propose un crédit renouvelable.
En outre, pour soutenir le crédit amortissable, nous avons facilité l'application de la loi Chatel sur la résiliation d'office d'un crédit renouvelable inutilisé.
Enfin, nous avons harmonisé la prise en charge du surendettement et développé un suivi social plus étroit des intéressés, avant de rendre plus favorables aux emprunteurs les règles régissant le fichier national des incidents de remboursement de crédits aux particuliers (FICP).
De son côté, l'Assemblée nationale a enrichi le texte.
Elle a proposé une consultation annuelle du FICP, complétée par un examen complet de solvabilité tous les trois ans, afin de vérifier régulièrement la solvabilité des emprunteurs ayant souscrit un crédit renouvelable. S'ajoute une meilleure transparence de l'offre assurancielle avec une information claire sur son coût et l'obligation de motiver le refus de délégation d'assurance en matière de crédits immobiliers. Les députés ont aussi ajouté un mécanisme d'alerte préventive dans le fonctionnement du FICP. Enfin, les débiteurs dont le dossier a été jugé recevable seront mieux protégés contre d'éventuelles mesures d'expulsion.
Les députés ont également adopté plusieurs amendements du Gouvernement, dont certains tendaient à mettre en oeuvre les conclusions auxquelles est déjà parvenue Mme Cohen-Branche, magistrat à la Cour de cassation, qui travaille à un rapport sur les relations entre les banques et les personnes surendettées.
Enfin, l'Institut national de la consommation a été réformé sur la base des préconisations formulées en octobre par les Assises de la consommation.
Le texte résultant de ces travaux me paraît très largement satisfaire nos objectifs en première lecture, avec un compromis équilibré entre les parties concernées. Il me semble que l'absence d'amendements à ce stade exprime bien cet équilibre. Je vous propose donc d'adopter conforme ce projet de loi dans la rédaction de l'Assemblée nationale, ce qui permettra d'appliquer sans tarder un texte très attendu, mais aussi de respecter - ou presque ! - les délais de transposition, puisque la directive européenne aurait dû être transposée au plus tard le 12 mai 2010.
M. Philippe Marini, président. - Merci pour cet exposé clair et complet.
Mme Nicole Bricq. - En effet, l'encombrement du calendrier parlementaire a beaucoup retardé l'examen du projet de loi par l'Assemblée nationale, qui n'a guère apporté de modifications substantielles. Nous maintenons donc notre position initiale, d'autant plus que 29 décrets d'application devront intervenir, parfois sur des questions essentielles comme la structure d'un crédit renouvelable comportant une partie amortissable.
Un point majeur a suscité les demandes des associations de consommateurs : la distinction entre cartes de crédit et cartes de fidélité, car la confusion des deux participe amplement aux dossiers de surendettement.
Sur le taux de l'usure, notre position est d'autant plus forte que les banques ont accès aujourd'hui à des liquidités très peu chères.
Nous voulons toujours modifier l'offre de crédit, peu adaptée aux besoins des ménages. Les banques ont fait certains efforts pour dispenser un « micro-crédit » mais au prix d'une confusion avec ce qui existe depuis une trentaine d'années pour financer l'activité économique. Nous préférons parler de « crédit social », d'autant que l'offre des banques reste marginale.
Les députés socialistes ont fait un choix drastique en demandant que le crédit renouvelable soit interdit. Telle n'est pas notre position sur un outil utile mais qui ne doit pas être détourné de son objectif initial.
À propos du fichier positif, le rapporteur avait déclaré vouloir « laisser quelque chose à l'Assemblée nationale... ». Les députés ont raccourci quelque peu le délai dans lequel nous verrons apparaître dans notre droit cette bête curieuse, inconnue, mais on reste dans le cosmétique.
Nous reparlerons en séance des recommandations utiles formulées par la Cour des comptes dans son rapport sur le surendettement des ménages.
J'ai compris que l'on s'acheminait vers un vote conforme. Mais il ne faudra pas claironner que tout pourra changer très vite, car tout va s'achever dans le secret des bureaux ministériels, auxquels il faudra du temps pour élaborer 29 décrets d'application.
Nous présenterons des amendements en séance.
M. Philippe Marini, président. - La date limite de dépôt est fixée au jeudi 17 à midi.
Madame le ministre peut-elle s'engager à publier les décrets d'application dans les plus brefs délais ?
Mme Christine Lagarde, ministre. - Je crois qu'il y en a 30 !
En dehors des cas particuliers, pour lesquels une date est spécifiquement prévue, les neuf décrets en Conseil d'État, les quinze décrets ordinaires et les six arrêtés seront adoptés dans les six mois suivant l'entrée en vigueur du texte, auquel vous savez combien je suis attachée.
M. Philippe Marini, président. - Merci. La rentrée étant propice à de nouveaux endettements, nous insistons pour qu'au moins les dispositions relatives à l'information et aux mesures les plus sensibles soient publiées avant la fin du délai maximum de six mois.
Mme Christine Lagarde, ministre. - Je vous proposerai en séance un échéancier de publication. Certains décrets sont déjà en cours d'élaboration.
M. Philippe Marini, président. - Voilà un engagement exemplaire !
M. Alain Vasselle. - En premier lieu, je me félicite de l'évolution vers la création d'un fichier positif. Cela m'encourage à suivre le rapporteur, qui préconise un vote conforme.
Mme Bricq a raison en critiquant la confusion entre cartes de fidélité et cartes de crédit. Le sujet n'est pas traité dans ce texte. Qu'en pense Mme le ministre ?
Bravo pour l'engagement sur le calendrier, en espérant que cet exemple soit repris par les autres membres du Gouvernement.
Je voudrais également savoir si certaines dispositions d'initiative parlementaire ont été adoptées contre la volonté du Gouvernement. En pareilles circonstances, il est fréquent de voir l'exécutif inscrire dans les décrets d'application ce qu'il n'a pu obtenir lors du vote...
Mme Nicole Bricq. - C'est un grand classique.
M. Alain Vasselle. - J'en viens à mon dernier propos. Comme président d'un organisme d'HLM, j'ai acquis des logements appartenant à des personnes surendettées. Quelque 400 biens ont été ainsi achetés grâce à un financement accordé par la Caisse des dépôts. Or, celle-ci a mis un terme à ses interventions, ce qui a interrompu cette politique sociale. Il nous faut en particulier amortir l'achat en une cinquantaine d'années. Certaines familles peuvent même racheter le logement dont elles avaient dû se séparer dix ans plus tôt en raison d'un aléa de la vie.
M. Philippe Marini, président. - C'est un sujet important.
Mme Christine Lagarde, ministre. - Je suggère à M. Vasselle d'aborder ce sujet avec mon équipe. Au demeurant, la Caisse des dépôts est placée sous l'autorité du Parlement.
M. Philippe Marini, président. - Une autorité bien formelle !
Mme Nicole Bricq. - Je serai votre porte-parole à la commission de surveillance de la Caisse des dépôts.
Mme Christine Lagarde, ministre. - Je n'ai donné aucune instruction en ce sens. Au contraire, je souhaite que pareil financement perdure.
Quant à d'éventuelles dispositions adoptées contre l'avis du Gouvernement, j'ai longtemps douté qu'il faille substituer un fichier positif au FICP. C'est néanmoins un amendement du Gouvernement qui a articulé le dispositif, j'espère qu'il sera efficace. De façon générale, un terrain d'accord a systématiquement été trouvé. Nous sommes ainsi parvenus à un compromis intelligent.
Les cartes de fidélité ne doivent pas induire ipso facto le crédit ; toute carte de fidélité doit comporter une fonction paiement et la fonction prioritaire doit être le paiement comptant, l'utilisation comme carte de crédit devant être conditionnée par la demande explicite du client et non par défaut.
M. Joël Bourdin. - Ce n'est pas assez.
Mme Christine Lagarde, ministre. - Si nous avions interdit qu'une carte de fidélité puisse comporter une possibilité de crédit, l'offre marketing aurait orienté les clients vers la carte de paiement.
M. Philippe Marini, président. - Une carte unique, mais des fonctions distinctes afin d'éviter toute confusion.
M. Joël Bourdin. - L'assouplissement de la doctrine financière me réjouit, car il a permis d'aboutir à des dispositions raisonnables à propos du fichier positif, ce qui n'était pas gagné d'avance. J'avais reçu un accueil très froid lorsque j'avais proposé il y a cinq ans de créer un tel fichier. La Banque de France était très rigide.
Mme Nicole Bricq. - Ça n'a pas changé.
M. Philippe Marini, président. - Une banque centrale doit l'être.
M. Joël Bourdin. - Dans nos permanences, nous voyons des gens sans ressources, accablés de nombreux crédits. Il peut y en avoir jusqu'à vingt !
L'évolution est réelle à propos des cartes de fidélité, mais il faudra revenir sur ce sujet, car les distributeurs commettent encore des abus de droit.
M. Philippe Dominati, rapporteur. - L'essentiel a été dit à propos du fichier positif et des cartes de fidélité.
Pendant l'année écoulée, la consommation a subi quelques variations et les grands établissements ont adapté leur offre. Ainsi, l'innovation caractérisant la carte présentée l'an dernier par le Crédit agricole s'est généralisée. La Banque postale fait de la publicité sur un crédit à la consommation « nouvelle manière ». La situation est donc évolutive. Il importe de préserver l'unicité de la carte en prévenant son mauvais usage.
Sur un autre plan, alors que les acteurs hostiles au texte initial intervenaient activement l'an dernier dans des colloques ou via des demandes de contact, ils semblent aujourd'hui apaisés, puisque je n'ai été sollicité que pour cinq contacts, d'ailleurs pour accélérer le processus législatif. Tout le monde veut aujourd'hui soumettre le plus vite possible ce texte à l'épreuve de la réalité.
J'en déduis que le Gouvernement devrait faire plus largement confiance à la représentation nationale, puisque la procédure simple permet d'élaborer promptement des solutions, du moins si le rapporteur est suivi.
M. Philippe Marini, président. - Excellent plaidoyer pro domo !
Il est vrai que le débat parlementaire a fait évoluer les lignes, surtout en première lecture. Le Gouvernement a laissé le consensus intégrer les apports du Sénat.
Le projet de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.