Mardi 8 avril 2008
- Présidence de Mme Brigitte Bout, vice-présidente -Audition de M. Jean Le Garrec, président, et Mme Marie-Pierre Establie, déléguée générale de l'Alliance villes emploi
La commission a d'abord procédé à l'audition de M. Jean Le Garrec, président, et Mme Marie-Pierre Establie, déléguée générale de l'Alliance villes emploi.
M. Jean Le Garrec a tout d'abord présenté l'Alliance ville emplois (AVE). Structure d'ingénierie et de soutien aux plans locaux pour l'insertion et l'emploi (PLIE) et aux maisons de l'emploi, elle est constituée paritairement et a pour mission de mettre en oeuvre, au plus près du terrain, une politique de l'emploi dont la définition relève de l'Etat.
Evoquant ensuite les PLIE, il a indiqué que 300.000 personnes étaient entrées dans le dispositif durant la période 2000-2006, dont la moitié a trouvé un débouché professionnel à son issue. Ces plans proposent un accompagnement permanent à des personnes en situation difficile sur de longues périodes, en moyenne de 18 mois, pouvant s'étendre jusqu'au nouvel emploi.
Abordant ensuite les maisons de l'emploi, il a rappelé que M. Jean-Louis Borloo, alors ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale, les concevait lors de leur création comme des lieux de cohérence territoriale pour l'emploi. Il s'est félicité de la concertation avec Mme Christine Lagarde, alors ministre de l'économie, des finances et de l'emploi, qui a débouché sur la loi du 13 février 2008 relative à la réforme de l'organisation du service public de l'emploi. Il a noté que son contenu n'était pas contradictoire avec le projet de fusion de l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE) et de l'Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (UNEDIC), dont il a rappelé avoir lancé l'idée lorsqu'il était ministre en charge de l'emploi en 1982.
Jugeant que les PLIE s'étaient révélés efficaces mais que le service public de l'emploi souffrait de son éclatement, il a souligné l'importance du travail de terrain entre élus locaux et responsables économiques mené au sein des maisons de l'emploi et permettant d'adapter au mieux les actions aux situations particulières. Il a précisé que le bassin d'emploi, homogène et cohérent, avait été retenu comme espace de référence pour leur implantation.
Notant que l'exclusion traduisait des phénomènes complexes de terrain, il a relevé la faible mobilité des personnes concernées. Jugeant nécessaire d'adopter une approche critique sur les systèmes de formation professionnelle et un regard plus prospectif sur la nature de l'emploi et son évolution, il a fait remarquer combien il était primordial pour les acteurs de s'adapter rapidement.
Soulignant pour conclure l'importance de la stratégie territoriale en matière d'emploi, il a appelé à une réflexion sur la nature de la gouvernance et a jugé centrale la notion de parcours pour les publics concernés.
Après que Mme Brigitte Bout, présidente, eut abondé sur ce dernier point, M. Bernard Seillier, rapporteur, a souligné la qualité du travail mené dans les missions locales et par l'AVE, se félicitant de son « militantisme associatif » et de l'efficacité d'une telle démarche non institutionnelle. Puis il a demandé à l'intervenant de rappeler le contenu des PLIE, avant de le questionner sur les politiques nationales pour l'emploi et contre l'exclusion, ainsi que sur la mise en place par son association d'actions en faveur des zones urbaines sensibles.
Indiquant que les PLIE étaient financés par des fonds européens dont le volume se réduisait, ainsi que par les collectivités adhérentes, M. Jean le Garrec a rappelé que ces plans soutenaient des populations se situant en marge de l'emploi, souvent ne bénéficiant pas de prestations chômage, en leur proposant bilan de compétences, traitement de problèmes parfois non directement liés avec l'emploi et accompagnement jusqu'à l'insertion professionnelle, voire au-delà. Il a précisé que seule une insertion de plus de six mois aboutissait à la sortie de son bénéficiaire du PLIE.
Plaidant avec vigueur pour une plus grande continuité des politiques de l'emploi d'un gouvernement à l'autre, il a pointé les conséquences néfastes de l'instabilité législative sur les populations concernées, souvent mal informées des dispositifs en vigueur. Citant l'exemple de la législation sur les salariés de plus de 50 ans, il a appelé à faire précéder toute réforme d'une évaluation préalable et à assurer une plus grande stabilité des systèmes de financement.
Evoquant enfin l'idée d'un contrat unique, il a souligné la nécessité de tenir compte de l'histoire de chaque individu et de conserver suffisamment de souplesse pour s'adapter à la diversité des situations personnelles.
Mme Marie-Pierre Establie a indiqué que la thématique des contrats avait été abordée dans les trois groupes de travail du Grenelle de l'insertion. Apportant un jugement très nuancé sur les dix propositions remises à l'issue de ce dernier, et regrettant que certains types de contrats, de professionnalisation ou d'avenir, malgré leur efficacité, n'aient pas été davantage développés, elle a stigmatisé le problème de gouvernance dans la création des PLIE. Appelant à définir des contrats de territorialisation sur les politiques que les acteurs souhaiteraient développer, elle est convenue des difficultés à les faire travailler ensemble et à coordonner leur action. Evoquant la notion de référent unique contenue dans les PLIE, elle a fait référence au concept de médiation jusque dans l'emploi et à la méthode interventions sur l'offre et la demande (IOD) qui y est associée.
M. Jean Le Garrec s'est montré très critique sur les dix propositions issues du Grenelle de l'insertion, dont il a souligné l'éloignement des réalités de terrain.
Notant que les PLIE étaient l'expression employée pour l'insertion dans les dispositifs de la politique de la ville, Mme Marie-Pierre Establie a rappelé que les contrats urbains de cohésion sociale (CUCS) avaient succédé aux contrats de ville comme cadre du projet de territoire développé au bénéfice des quartiers en difficultés. Regrettant que les prestations des agences de l'emploi empiètent sur l'activité de petites associations, elle a exprimé sa perplexité face à la gestion des contrats d'autonomie par des prestataires extérieurs. Relevant l'échec d'un marché public lancé en Allemagne il y a deux ans dans ce domaine, elle a jugé nécessaire pour les acteurs de se professionnaliser davantage.
M. Jean Le Garrec a précisé que des expériences de sous-traitance avaient déjà été réalisées par l'ANPE.
Exprimant son doute sur le financement futur des PLIE, des maisons de l'emploi et des missions locales, dont il a souligné le rôle social, M. Guy Fischer a profondément regretté la suppression des contrats d'avenir et d'accompagnement dans l'emploi, et a dit son inquiétude face au désarroi et à la colère des jeunes.
Partageant son analyse, M. Jean Le Garrec a indiqué que les statistiques officielles en matière d'emploi ne rendaient pas compte des réalités. Soulignant la nécessité d'une plus grande cohérence et d'une continuité dans les financements alloués, il s'est à nouveau félicité de la pérennisation des maisons de l'emploi par la ministre en charge de l'économie.
Mme Marie-Pierre Establie a précisé que 80 % des fonds alloués par l'Union européenne au financement des PLIE, soit 350 millions d'euros, risquaient d'être définitivement perdus pour notre pays en raison de leur non-utilisation. Ajoutant que ces sommes auraient permis de remettre 150.000 personnes au travail, elle a indiqué que l'administration, sollicitée sur ce point, n'avait pas répondu.
Rappelant que le XIème Plan distinguait les politiques nationales des politiques centralisées, tout en cherchant à les articuler, Mme Annie Jarraud-Vergnolle a stigmatisé la difficulté des pouvoirs publics à prendre des décisions. Appelant à son tour à faire preuve de davantage de continuité dans l'action et le financement des politiques publiques, elle s'est demandé dans quelle mesure était acceptable le cumul par un même élu de la présidence de l'ensemble des structures locales d'aide à l'emploi.
M. Jean Le Garrec a jugé positif, pour des questions de cohérence d'action, un tel cumul. Insistant à nouveau sur la nécessité d'une plus grande souplesse et continuité, il a appelé à soutenir les dispositifs existants dont l'efficacité avait été avérée.
Rappelant que la non-consommation par la France des fonds européens lui étant impartis était un problème récurrent, M. Paul Blanc l'a attribué à une possible méconnaissance par l'administration des dispositifs communautaires, ou bien à l'existence d'autres sources de financement plus faciles à mobiliser. Jugeant regrettable que l'administration centrale recommande la suppression ou le regroupement des petites structures locales de placement, il a nuancé le principe de continuité dans les financements en plaidant pour des conventions à durée limitée et renouvelable permettant de s'assurer régulièrement de l'efficacité des structures aidées.
M. Jean Le Garrec a dit partager la volonté de donner la priorité à la contractualisation et à l'évaluation. Ajoutant que l'AVE cherchait à développer cette dernière, il a noté que les maisons de l'emploi pourraient fédérer les outils territoriaux.
Suggérant d'interpeller les ministres concernés par la non-utilisation des fonds européens, M. Jean Desessard a proposé la mise en place de structures de conseil et d'aide à l'élaboration des dossiers candidats au fonds social européen (FSE). Ayant été interrogée sur l'origine de la méthode IOD, Mme Marie-Pierre Establie a indiqué qu'elle avait été mise en place à Bordeaux mais qu'elle était également aujourd'hui utilisée dans d'autres villes. Précisant que le site de l'AVE accueillait 300.000 visiteurs par an, elle a ajouté qu'il recensait les bonnes pratiques afin de professionnaliser les acteurs.
Notant que les dossiers étaient toujours complexes et que l'AVE cherchait à simplifier ses documents, M. Jean Le Garrec s'est engagé à évoquer l'ensemble de ces problématiques devant le nouveau secrétaire d'Etat à l'emploi, M. Laurent Wauquiez.
Rapportant les efforts réalisés dans sa circonscription pour faire travailler l'ensemble des acteurs au sein de la mission locale, Mme Odette Herviaux a observé que la maison de l'emploi, une fois mise en place, avait prolongé ce rôle de coordination. Jugeant opportun de travailler au niveau du pays, elle a souligné le besoin de clarification ressenti par les acteurs.
Convenant que la mise en cohérence des actions et des acteurs était difficile, M. Jean Le Garrec l'a jugée aujourd'hui impérative, quel que soit le niveau d'intervention, pays ou bassin d'emploi.
Audition de Me Denis Chemla, président de l'association Droits d'urgence
La mission commune d'information a ensuite procédé à l'audition de Me Denis Chemla, président de l'association Droits d'urgence.
Mme Brigitte Bout, vice présidente, a tout d'abord souhaité connaître l'opinion de M. Denis Chemla sur l'évolution de la pauvreté et de l'exclusion au cours des dix dernières années, ainsi que son jugement sur l'efficacité du système de solidarité français pour réduire ce phénomène.
M. Denis Chemla a d'abord rappelé que l'association Droits d'urgence, créée en 1996, réunissait aujourd'hui 350 avocats et juristes bénévoles ainsi que 45 salariés à temps plein spécialisés dans l'accès au droit. Forts du constat que des situations de grande pauvreté peuvent naître d'un simple accident, tel qu'une perte de travail ou de logement, les fondateurs de l'association ont souhaité créer une structure capable d'aller au devant des personnes confrontées à une telle situation, pour les aider à faire valoir leurs droits. Ces personnes sont en effet intimidées par les institutions et les pouvoirs publics, et ne les sollicitent donc pas spontanément. Droits d'urgence a ainsi mis en place des permanences gratuites d'avocats et de juristes en collaboration avec les grandes associations de lutte contre la pauvreté telles qu'Emmaüs ou ATD Quart Monde. A Paris, trois points d'accès au droit, permettant de recevoir et d'orienter les personnes en difficulté vers des consultations gratuites de professionnels du droit, ont été créés avec le soutien de la mairie.
L'association vient également en aide, avec la collaboration du ministère de la justice, à des détenus rencontrant divers problèmes juridiques tels qu'une saisie de compte en banque, un divorce ou encore des impayés de loyers. Elle s'efforce en outre de négocier avec les bailleurs pour éviter des expulsions locatives. Enfin, les étrangers en situation irrégulière représentent désormais 40 % des personnes aidées.
Droits d'urgence a constaté au cours des dernières années une certaine stabilité de la pauvreté mais surtout une augmentation du nombre de personnes vulnérables, c'est-à-dire n'ayant pas des revenus suffisants pour mener une vie normale et être à l'abri d'un accident, augmentation due en particulier à la hausse du coût de la vie. Cette vulnérabilité touche notamment de plus en plus de personnes âgées disposant de retraites insuffisantes.
M. Bernard Seillier, rapporteur, a souhaité connaître les éléments qui, dans l'expérience du droit de M. Denis Chemla, l'avaient amené à devenir président d'une telle association. Il a également demandé si le droit, par sa complexité, pouvait en lui-même être cause de vulnérabilité et d'exclusion, avant de s'enquérir des éventuelles expériences et innovations faites par l'association Droits d'urgence et susceptibles d'être généralisées par la voie législative.
M. Denis Chemla a d'abord indiqué que ce n'était pas en tant qu'avocat d'affaires, mais du fait de son enfance passée en Seine-Saint-Denis, qu'il avait toujours été sensible aux problèmes de pauvreté et qu'il avait eu, encore jeune avocat, une activité associative en direction des personnes en difficulté. Il a par ailleurs rappelé que le bénévolat, quoique nécessaire, ne devait pas occulter un besoin de professionnels bien formés, notamment au sein même des pouvoirs publics.
Tout en se félicitant de l'existence d'un véritable arsenal législatif de protection des droits des plus démunis, il a regretté la persistance d'une complexité juridique inutile dans certains secteurs, rendant trop souvent nécessaire l'assistance d'un avocat : les procédures de divorce, celles relatives au décès, aux petites successions, à l'obligation alimentaire, pourraient ainsi être encore simplifiées. L'accès à l'aide juridictionnelle reste également trop complexe.
A une question de M. Bernard Seillier, rapporteur, sur l'implication de la chancellerie et plus généralement des pouvoirs publics dans l'amélioration de l'accès au droit, M. Denis Chemla a répondu que les élus locaux se montraient de manière générale très sensibles à ces sujets. En revanche, la chancellerie témoigne d'un intérêt moindre pour cette problématique que lors des précédentes législatures. D'ailleurs, les travaux menés au sein du conseil national de l'aide juridique avancent lentement et le service de l'accès aux droits et de la politique de la ville de la chancellerie va peut-être être refondu dans d'autres services.
Mme Brigitte Bout, présidente, a ensuite interrogé M. Denis Chemla sur l'application de la loi sur le droit au logement opposable (DALO), dont M. Bernard Seillier, rapporteur, a rappelé le mécanisme : en cas d'incapacité à fournir un logement à un demandeur légitime, l'Etat, garant du DALO, peut être condamné par le juge à verser une astreinte au fond d'aménagement urbain régional, et non pas directement au plaignant comme le prévoyait un amendement parlementaire rejeté lors de l'examen du projet de loi. Néanmoins, la loi réaffirme utilement un devoir fondamental d'une communauté politique : celui de loger tous ses membres.
M. Jean Desessard s'est enquis de l'identité des responsables parisiens chargés de la mise en place des trois points d'accès au droit. Il a également demandé à M. Denis Chemla si, selon lui, il revenait à l'Etat ou aux collectivités territoriales de prendre en charge les permanences locales d'accès au droit. Enfin, il a mis en exergue le problème des sans-papiers, parfois victimes de personnes sans scrupules qui, se faisant payer en promettant une régularisation rapide, se contentent ensuite d'envoyer un dossier-type aux députés ou aux sénateurs. Il a souligné que l'administration acceptait cependant d'examiner avec attention les dossiers de régularisation que les parlementaires, sollicités par des associations telles que le Gisti ou Education sans frontières, lui présentaient.
M. Guy Fischer a enfin souhaité connaître les sources de financement de Droits d'urgence. Il a également souligné que les associations de ce type se substituaient parfois en quelque sorte aux pouvoirs publics, notamment dans les quartiers pauvres, où de plus en plus de personnes, qui ne disposent que de 500 € à 1 000 € de revenus par mois pour vivre, ont besoin d'aide pour venir à bout d'un véritable imbroglio juridique et bénéficier de tous leurs droits.
Concernant la mise en place des points d'accès au droit à Paris, M. Denis Chemla a cité les adjoints au maire et les membres concernés de son cabinet.
Il a par ailleurs constaté que l'État ne garantissait pas l'égalité de l'accès au droit sur l'ensemble du territoire, certaines zones rurales parfois défavorisées connaissant notamment un déficit très important dans ce domaine, tandis que d'autres zones souffrent au contraire d'un empilement de dispositifs. Un rapport de Paul Bouchet faisait déjà en 2001 des recommandations judicieuses sur ce point.
Il a également confirmé que certaines personnes exploitaient les sans-papiers en profitant de leur faiblesse et de leur méconnaissance du système et a regretté certaines pratiques de l'administration, donnant l'exemple d'une femme battue qui, s'étant rendue dans un commissariat, avait été mise en garde à vue et soumise à une procédure d'expulsion du territoire. Une concertation avec les policiers permet le plus souvent d'éviter ces dérives.
Concernant la loi DALO, M. Denis Chemla en a d'abord souligné l'intérêt compte tenu du caractère aujourd'hui absolument prioritaire du problème du logement, le loyer et les garanties demandées par de nombreux bailleurs étant hors de portée d'une grande partie des personnes à revenu modeste. Il s'est néanmoins inquiété de la difficulté de contraindre l'État à remplir ses engagements en tant que garant du DALO.
Il a estimé que Droits d'urgence remplissait effectivement une mission de service public, tout en soulignant qu'il n'y avait plus aujourd'hui de démission des pouvoirs publics dans ce domaine, les collectivités locales remplissant notamment un rôle très important, comme par exemple la communauté d'agglomération de Plaine-Commune. Concernant enfin le financement de l'association, il est constitué de trois parts inégales : 40 % de subventions publiques, en général sur projet (DDASS, Premier ministre, ministère des affaires sociales), 10 % de subventions privées d'entreprises, 50 % de prestations facturées aux collectivités, dans le cadre de marchés publics. Ainsi, un marché de trois ans a été signé avec la mairie de Paris pour les points d'accès aux droits. Enfin, il a souligné que les salariés de l'association, diplômés en droit de troisième cycle, étaient moins payés qu'ils ne le seraient en entreprise, cette moindre rémunération étant cependant un choix assumé compte tenu de leur engagement associatif.
Audition de M. Jacques Freyssinet, président du conseil scientifique du centre d'études de l'emploi (CEE)
La commission a enfin procédé à l'audition de M. Jacques Freyssinet, président du conseil scientifique du centre d'études de l'emploi (CEE).
Mme Brigitte Bout, présidente, a souhaité connaître les missions du CEE ainsi que l'appréciation qu'il porte sur la capacité du service public de l'emploi à favoriser le retour à l'activité.
M. Jacques Freyssinet a tout d'abord rappelé qu'il a été membre de l'observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale (ONPES) pendant sept ans, qu'il a présidé un groupe de travail du conseil national de l'information statistique (CNIS) sur le niveau de vie et les inégalités sociales et que ses fonctions d'enseignant en économie l'ont conduit à s'intéresser plus particulièrement au marché du travail, à l'accès à l'emploi ainsi qu'à la pauvreté et à l'exclusion. Il a indiqué que le CEE est un établissement public, placé sous la tutelle du ministère de la recherche et du ministère de l'emploi, qui commandent des études relatives à l'emploi, au travail, à la protection sociale et aux différents dispositifs d'insertion.
Concernant les politiques en faveur de l'insertion, il a rappelé le consensus européen autour de l'idée que le retour à l'emploi constitue la première garantie contre le risque d'exclusion. Il a néanmoins objecté que la reprise d'une activité est une condition certes nécessaire de la réinsertion, mais pas suffisante. En effet, de nombreux salariés exerçant à temps partiel vivent dans des conditions de précarité telles que certains d'entre eux ne sont plus en mesure d'assumer le coût d'un logement.
La multiplication des familles monoparentales constitue également une cause d'appauvrissement qui n'est pas directement liée à l'exercice d'une activité.
M. Bernard Seillier, rapporteur, a souhaité savoir quels indicateurs représentatifs pouvaient être retenus pour apprécier l'ampleur du phénomène de la pauvreté et de l'exclusion. Il s'est dit favorable au regroupement des sources statistiques au sein d'un seul organisme de référence.
M. Jacques Freyssinet s'est inquiété de la multiplication des indicateurs qui ne reflètent pas toujours fidèlement la réalité. Il a cependant reconnu la nécessité de disposer de données quantitatives fiables qui doivent servir de base à toute réflexion sur les politiques mises en oeuvre. Il a rappelé que les indicateurs remplissent différentes fonctions : description d'une situation, objectifs chiffrés que se donnent les pouvoirs publics ou évaluation de l'efficacité des politiques mises en oeuvre.
Il a en outre estimé que la sélection des indicateurs devait se faire sur la base des critères de pertinence et de lisibilité et que la construction d'un indicateur synthétique regroupant plusieurs traits caractéristiques d'une même situation nécessitait un arbitrage sur le poids de chaque élément de l'indicateur, ce choix ne pouvant relever que des autorités politiques.
Il est enfin convenu de la nécessité de centraliser les données statistiques au sein d'un organisme de référence, qui pourrait être l'ONPES.
M. Charles Revet a souligné le paradoxe qui veut que certaines entreprises ont des difficultés à trouver du personnel qualifié dans certains secteurs alors qu'un taux de chômage élevé subsiste. Il s'est également interrogé sur l'opportunité d'accélérer la prise en charge des personnes en difficulté, évoquant notamment le cas des expulsions locatives.
M. Jean Desessard a souhaité savoir s'il existe un décompte objectif du nombre d'emplois non satisfaits dans certains secteurs tels que le BTP ou les métiers de bouche.
M. Jacques Freyssinet, rappelant qu'il a présidé l'agence nationale pour l'emploi (ANPE) pendant six ans, est convenu de l'intervention souvent trop tardive du service public de l'emploi pour accompagner les chômeurs. Il a toutefois indiqué que cela suppose de détecter, dès leur inscription, les demandeurs d'emploi dont la reprise d'activité nécessitera un accompagnement spécifique. Les deux tiers des personnes inscrites à l'ANPE retrouvent par elles-mêmes un emploi dans un délai de deux à trois mois.
S'agissant du décompte des emplois disponibles par secteur, il a expliqué que le bon indicateur est celui de la durée moyenne de chômage et non celle du stock de demandeurs d'emploi. Il est convenu que certains secteurs souffrent d'un manque de personnel qualifié qui nécessiterait l'implication active des entreprises concernées dans des projets de formation. Certains emplois sont également victimes d'une représentation dévalorisante qu'il faudrait modifier en améliorant notamment les conditions de travail et le niveau des salaires.
M. Guy Fischer s'est inquiété de la multiplication préoccupante des travailleurs précaires dont le salaire mensuel n'excède souvent pas 1 000 euros.
M. Jacques Freyssinet a fait observer que l'on constatait depuis plus de vingt ans une précarisation d'une partie de la population active, 20 % étant titulaires d'un contrat à durée déterminée, d'un emploi intérimaire ou à temps partiel. On assiste aujourd'hui à une segmentation croissante du marché du travail au détriment des jeunes sans qualification, des seniors ou des femmes lors de leur retour à l'emploi après une interruption d'activité.
Il a également souligné les risques de confusion entre précarité et bas salaire. Dans 90 % des cas, un faible salaire n'induit pas forcément une situation de pauvreté. Il a évoqué notamment le cas de nombreuses femmes exerçant à temps partiel mais dont le conjoint perçoit un revenu élevé. En réalité, l'appauvrissement intervient souvent suite à l'éclatement de la cellule familiale ou lorsqu'une personne disposant d'un faible revenu doit contribuer seule à la vie d'une famille. Il a ainsi comparé la situation d'une personne seule rémunérée au salaire minimum de croissance (Smic) avec celle, beaucoup plus précaire, d'un père de famille percevant le même salaire et faisant vivre quatre personnes.
M. Bernard Seillier, rapporteur, défendant l'idée d'une évaluation systématique des politiques publiques, s'est interrogé sur l'efficacité des actions mises en oeuvre en faveur de la lutte contre la pauvreté et l'exclusion.
M. Jacques Freyssinet a reconnu qu'il était indispensable de disposer aujourd'hui d'une instance scientifique et indépendante d'évaluation des politiques publiques. Il a également insisté sur la stabilisation nécessaire des politiques mises en oeuvre afin qu'elles puissent remplir véritablement leur rôle protecteur pour les individus et garantir de façon pérenne leurs droits fondamentaux.
M. Jean Desessard a souhaité obtenir des précisions sur la notion de flexi-sécurité. Il a en outre souligné la contradiction du système français qui ne prévoit le versement d'aucune indemnité chômage lors d'une démission, alors que les pouvoirs publics souhaiteraient favoriser la mobilité professionnelle.
M. Jacques Freyssinet a émis des réserves sur l'emploi excessif de la notion de flexi-sécurité qui est définie de façon très différente au sein de l'Union européenne. Il a rappelé que le versement des indemnités chômage pendant une durée limitée se justifiait par le risque d'une « désincitation » au travail. Il a également souligné le caractère protecteur des accords collectifs qui modèrent le lien de dépendance entre le salarié et son employeur.
Enfin il s'est dit favorable au versement des indemnités chômage, suite à une démission, lorsqu'elle s'inscrit dans le cadre légitime d'une séparation volontaire telle que l'a définie l'accord du 11 janvier 2008.