MISSION COMMUNE D'INFORMATION SUR LE FONCTIONNEMENT DES DISPOSITIFS DE FORMATION PROFESSIONNELLE

Mercredi 31 janvier 2007

- Présidence de M. Jean-Claude Carle, président. -

Audition de M. Michel Quéré, directeur du Centre d'études et de recherches sur les qualifications (Cereq), accompagné de M. Michel Théry, chef du département production et usage de la formation continue, et de Mme Martine Möbus, ingénieur d'études

La mission d'information a tout d'abord procédé à l'audition de M. Michel Quéré, directeur du Centre d'études et de recherches sur les qualifications (Cereq), qui était accompagné de M. Michel Théry, chef du département production et usage de la formation continue, et de Mme Martine Möbus, ingénieur d'études.

M. Michel Quéré a tout d'abord brièvement présenté le Cereq, établissement public national de taille modeste délocalisé à Marseille et essentiellement chargé d'analyser la relation entre la formation et l'emploi. Il a précisé que le Cereq s'attachait particulièrement à analyser l'insertion des « primo entrants » sur le marché du travail, les systèmes de formation professionnelle, y compris au niveau européen, et les transformations du marché du travail ainsi que son mode de régulation.

Puis il a dressé un rapide panorama de la formation professionnelle.

Faisant tout d'abord ressortir les principales caractéristiques de son évolution historique, il a fait observer que les dispositifs législatifs et réglementaires relatifs à la formation continue avaient été préfigurés par des négociations collectives. Puis il a analysé le glissement progressif de l'objectif de promotion sociale, assigné à la formation continue au cours des années de croissance économique, à celui de la lutte contre le chômage impliquant activement les partenaires sociaux.

Analysant ensuite les caractéristiques du système français de formation professionnelle continue, M. Michel Quéré a distingué trois principaux « effets de structure ». Il a tout d'abord insisté sur la séparation stricte des rôles entre une formation initiale diplômante organisée par l'Etat et une formation professionnelle à ambition qualifiante, portée par les partenaires sociaux, essentiellement au niveau des branches d'activité. Il a ensuite estimé que les entreprises étaient soumises à une obligation de financement du système plus qu'à celle de former « leurs » salariés. Il a enfin analysé l'implication croissante de toutes les entreprises dans la formation professionnelle, le taux de participation financière des grandes entreprises demeurant supérieur à celui des plus petites.

Du point de vue individuel, il a expliqué que l'évolution du système de formation professionnelle faisait ressortir un double clivage : entre deux autorités - l'entreprise et l'Etat - et entre deux grandes filières, avec d'une part la formation des salariés, qui comporte un effort spécifique de lutte contre le chômage des jeunes, et d'autre part la formation des chômeurs. Il a fait observer que cette césure était tempérée par l'introduction de la formation en alternance.

Poursuivant son analyse des caractéristiques du système de formation professionnelle, il a souligné l'atomisation des intermédiaires et de l'offre de formation entre une centaine d'organismes collecteurs et environ 12 000 prestataires actifs de formation. Il a indiqué que cette situation se conjuguait avec des difficultés d'harmonisation des pratiques, différenciées à travers quelque 250 accords de branches, et avec une lente montée en charge de nouveaux dispositifs comme le droit individuel à la formation (DIF) et la validation des acquis de l'expérience (VAE).

Puis M. Michel Quéré a formulé quatre grandes interrogations à l'égard du système de formation professionnelle continue.

Il s'est tout d'abord demandé, de façon volontairement provocatrice, si ce système se construisait « autour d'un enjeu de formation ou de négociation ». A cet égard, il a fait observer que l'efficacité de la formation professionnelle ne devait pas seulement être évaluée en fonction de sa dimension économique. Il a illustré son propos avec des statistiques montrant une baisse des durées moyennes de formation et une hausse des taux d'accès, ces courbes pouvant être interprétées comme une forme « d'achat de la paix sociale dans l'entreprise ». Il a également fait ressortir, à l'aide d'un graphique, que les inégalités d'accès à la formation diminuent lorsque la taille des entreprises s'accroît, en notant que ces chiffres correspondaient au fait que le pouvoir de négociation des salariés augmente avec la taille de l'entreprise.

M. Michel Quéré a ensuite abordé la question des inégalités d'accès à la formation professionnelle en précisant que, partout en Europe, les personnes les mieux formées bénéficient d'un meilleur accès aux actions de formation. Il s'est alors demandé si la finalité principale de la formation professionnelle était d'être égalitaire et s'il était possible de mesurer les inégalités. Il a fait observer que, selon une certaine logique, les distorsions de formation pouvaient être considérées comme inhérentes à la structure des emplois et des besoins des entreprises.

En troisième lieu, M. Michel Quéré a abordé les transformations de la demande de qualification en précisant que celle-ci nécessite aujourd'hui une implication plus active du salarié dans la décision de formation, ce qui correspond à l'enjeu principal du droit individuel à la formation (DIF).

Il a également jugé nécessaire de réfléchir à une redéfinition des frontières entre formation initiale et continue dans un contexte français marqué, encore aujourd'hui, par le poids et le rôle protecteur du diplôme. Il a relié à cet enjeu ceux de l'orientation et de l'insertion des non-diplômés.

M. Michel Quéré a enfin analysé le fonctionnement du « paritarisme à la française », en rappelant le choix des partenaires sociaux de privilégier la branche sur l'entreprise comme lieu du débat social et que la gouvernance publique de la formation professionnelle se partageait entre les régions et l'Etat, dont le rôle tutélaire et régalien se maintient.

Puis il a souligné le défaut de coordination dans le pilotage du système de formation professionnelle en estimant que, pour y remédier, l'observation des pratiques suivies par d'autres pays conduisait à préconiser la mise en place d'un tripartisme entre les pouvoirs publics, les partenaires sociaux et les entreprises, en accroissant sensiblement le rôle de ces dernières.

Il s'est enfin demandé si la mise en place des nouveaux dispositifs réglementaires, comme l'accord national interprofessionnel du 5 décembre 2003 et le droit individuel à la formation, constituaient des évolutions suffisantes pour parfaire la transformation du système de formation professionnelle.

Après avoir remercié l'intervenant pour la clarté de son exposé, M. Jean-Claude Carle, président, a souhaité approfondir la question de la pertinence de la séparation entre formation professionnelle initiale et continue.

Mme Isabelle Debré a souhaité que l'utilisation des sigles, nombreux dans cette matière, soit limitée et que ceux-ci puissent être au moins explicités.

Evoquant la genèse de la législation relative à la formation professionnelle, M. Jacques Legendre a rappelé les apports de la première loi sur l'alternance du 12 juillet 1980 organisant les formations professionnelles alternées, adoptée à son initiative et abrogée par la suite.

M. Michel Quéré a discerné une évolution sensible des frontières entre formation initiale et continue, tout en observant que cette évolution était ralentie par la « prégnance historique de leur césure » dans le système français, facteur auquel s'ajoute le poids protecteur du diplôme initial. Il a illustré cette observation par des courbes statistiques faisant apparaître qu'en deçà du niveau Bac + 2, les personnes en échec scolaire et universitaire ont tendance à privilégier un rattrapage par un retour en formation initiale.

M. Michel Théry a complété ce propos en indiquant, à l'aide d'un graphique comparatif, que la France se caractérisait par un taux de participation à la formation continue le plus faible d'Europe.

A l'invitation de M. Jean-Claude Carle, président, Mme Martine Möbus a alors présenté quelques observations sur la formation professionnelle continue dans une perspective comparative.

Elle a tout d'abord indiqué qu'en France 80 % des dépenses des entreprises étaient consacrés à la formation continue et 20 % à la formation initiale, alors que les entreprises allemandes consacrent 60 % de leurs dépenses à la formation initiale et 40 % à la formation continue.

Elle a également souligné, dans le système français, le flou sémantique de la notion de formation professionnelle, qui inclut non seulement des formations en alternance mais aussi l'apprentissage, qui relève de la formation initiale. Au total, 23 % des 24 milliards d'euros dépensés pour la formation continue sont consacrés aux jeunes. S'agissant de la formation continue des salariés stricto sensu, elle a estimé que le cadre juridique et financier en vigueur en France depuis vingt-cinq ans était beaucoup plus clair et lisible que dans les autres pays, notamment en Allemagne.

A l'aide d'une « matrice comparative », elle a caractérisé le système français par la spécificité de deux catégories d'objectifs, l'adaptation à l'emploi et la compétitivité des entreprises, en indiquant que les dispositifs en place dans les pays du Nord de l'Europe mélangeaient les objectifs de formation permanente, de promotion sociale et de formation professionnelle continue.

Elle a cependant souligné que le système français de formation continue accordait peu de place à l'initiative individuelle alors que la France se situe en bonne place du point de vue de la durée des stages, qui est de dix-sept heures en moyenne, contre douze dans l'ensemble de l'Europe.

M. Jean-Claude Carle, président, a estimé nécessaire de s'interroger non seulement sur les « entrées » en formation continue, mais aussi sur les « sorties » prématurées.

Mme Martine Möbus a rappelé que le modèle français de mobilité sociale reposait presque exclusivement sur le diplôme acquis en formation initiale. Evoquant la difficulté de mesurer les inégalités d'accès à la formation continue, elle a cependant souligné que les disparités entre branches professionnelles étaient plus accentuées en France que dans le reste de l'Europe et que les salariés les moins formés étaient également les moins demandeurs de formation.

Elle a conclu son propos en indiquant que la particularité du congé individuel de formation résidait notamment dans son « universalité », tandis que, dans les autres pays, les dispositifs comparables tendent à être réservés à ceux dont le niveau de formation est le moins élevé.

Mme Muguette Dini, rapporteur adjoint, a interrogé les intervenants sur les transformations de la formation professionnelle continue depuis 1971, en évoquant ses principes fondateurs, ses modalités et les choix alternatifs qui auraient été envisageables.

M. Michel Théry a rappelé que les partenaires sociaux avaient négocié en 1970, dans un contexte de plein emploi, les conditions de mise en place d'un système de formation professionnelle orienté vers la promotion sociale. Puis il a relaté les circonstances dans lesquelles le ralentissement de la croissance avait, par la suite, imposé la prise en compte de la problématique de l'emploi.

Il a estimé qu'une troisième étape se dessinait depuis l'accord national interprofessionnel du 5 décembre 2003 qui met en place un partage de responsabilités dans l'entreprise en instaurant un « tête à tête » entre employeurs et salariés sur la question des parcours professionnels, autrefois exclusivement négociés globalement dans certaines entreprises, par branches, au niveau national ou territorial. Il a précisé que l'article premier de cet accord prévoyait explicitement l'organisation d'un entretien professionnel tous les deux ans dans l'entreprise.

Mme Martine Möbus a observé que cette inflexion en faveur de la responsabilité individuelle traduisait une influence de la stratégie conçue au niveau européen.

M. Jean-Claude Carle, président, a demandé aux intervenants si les comparaisons européennes permettaient d'identifier une éventuelle tendance au retrait de l'Etat.

Mme Martine Möbus a évoqué l'expérience allemande qui se déroule en l'absence de cadre réglementaire comparable à celui qui organise la formation professionnelle en France. Elle a souligné que les syndicats allemands se montraient admiratifs à l'égard de la mutualisation instituée dans notre pays. Elle a toutefois signalé que l'instauration de normes comparables aux nôtres ne correspondait pas aux traditions allemandes, en précisant qu'en Allemagne l'employeur n'est soumis à aucune obligation légale de financer la formation ou de former ses salariés. En revanche, elle a évoqué le développement dans ce pays d'initiatives mixtes impliquant l'individu, l'entreprise et l'Etat dans un contexte où prédomine, de façon générale, la négociation de branche.

Mme Muguette Dini, rapporteur adjoint, a ensuite évoqué la question du décloisonnement entre formation initiale et continue.

M. Michel Théry a alors souligné la logique statutaire du système français. Dans une première étape, les jeunes sont formés sous l'autorité de l'Etat. Adultes et salariés, ils dépendent de l'entreprise pour leur formation continue, de l'Etat et des collectivités territoriales intervenant pour remédier aux accidents de la vie professionnelle.

Il a évoqué les avantages de ce système, une certaine forme de clarté, et ses inconvénients, notamment une abondance de dispositifs débouchant sur la tentative récurrente de mettre en place des « guichets uniques ».

M. Michel Quéré a complété ce propos en soulignant la difficulté d'isoler les circuits de la formation continue sans réaffirmer simultanément l'importance de sa « porosité » avec la formation initiale.

Il a également considéré que la loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social pouvait être considérée comme une manifestation de l'influence européenne sur la dynamique de la formation tout au long de la vie.

Constatant la césure entre la formation initiale et continue, Mme Christiane Demontès, rapporteur adjoint, a insisté sur les 150 000 jeunes qui sortent chaque année de l'école sans diplôme, mais pas sans qualification, certains ayant suivi jusqu'au bout une formation sans obtenir de diplôme correspondant. Elle a rappelé que la formation professionnelle continue prenait en charge ces jeunes, tout en s'interrogeant sur la nécessité de mettre en place des dispositifs spécifiques.

Constatant ensuite, entre 1977 et 2000, un certain désengagement des entreprises de la formation continue, lié à la possibilité d'employer des salariés surqualifiés, elle a interrogé les intervenants sur cette question ainsi que sur les écarts d'analyses entre les branches et les entreprises en matière de formation professionnelle.

S'agissant de la demande individuelle de formation, elle s'est enfin interrogée sur les moyens de lutter contre les inégalités qui frappent particulièrement ceux qui ont « raté la marche » de la formation initiale.

Dans le même sens, M. Jean-Claude Carle, président, s'est demandé si les moins bien formés n'étaient pas également les moins bien informés et les moins demandeurs de formation.

Sur la base, notamment, de son expérience d'ancien délégué interministériel à l'emploi des jeunes, M. Michel Théry a souligné qu'ici encore, notre pays avait « fabriqué un statut » de stagiaire de la formation professionnelle, dont le succès auprès des jeunes pouvait s'expliquer par le souci d'obtenir une rémunération tout autant que par celui de se former. Il a estimé que ce statut se substituait ainsi au salariat ou constituait une transition vers l'emploi.

Soulignant la nécessité de prendre en compte les intérêts des divers acteurs concernés par la formation professionnelle, il a notamment rappelé qu'environ 15 % des 9 millions de salariés se dirigeaient vers la formation continue en espérant un gain salarial ultérieur, mais que seul un tiers de ces 15 % pensait l'avoir obtenu. Puis il a estimé que le système français était construit autour de la logique selon laquelle les entreprises finançant la formation professionnelle doivent pouvoir en retirer un avantage.

Observant que la progression professionnelle était historiquement fondée en France sur l'ancienneté, il a estimé que la fragilisation de notre système, où convergent en principe l'intérêt de l'entreprise et celui du salarié, était globale et ne pouvait pas être imputée aux seuls employeurs. Il a ensuite estimé que les négociations de branche semblaient ne pas avoir d'influence majeure sur la politique des entreprises.

M. Michel Quéré s'est dit préoccupé par la stabilité du flux d'environ 130 000 jeunes sortant chaque année de formation initiale sans diplôme et a insisté sur l'intérêt qui s'attache à distinguer les non-qualifiés des non-diplômés. Puis il a jugé positive l'augmentation du nombre des entrées en apprentissage, qui traduit le développement d'une « deuxième chance » au sein de la formation initiale.

Il a également évoqué le renforcement de l'entreprise comme lieu de débat social et a lié l'instauration du droit individuel à la formation (DIF) à la recherche de solutions permettant de former des personnes qui n'en formulent pas le besoin. Il a estimé qu'il était, à cet égard, trop tôt pour mesurer l'efficacité du DIF.

Mme Gisèle Printz a demandé des précisions statistiques sur la place des femmes dans la formation professionnelle, en s'interrogeant sur l'existence d'une obligation d'élaborer des indicateurs sexués dans ce domaine.

M. Michel Théry a déploré que la France conserve un certain retard dans l'élaboration de statistiques sexuées désormais imposées par l'Europe. Il a ensuite souligné la concentration du travail féminin dans des secteurs d'activité faiblement formateurs à la fois pour les hommes et les femmes.

Mme Martine Möbus a également insisté sur l'importance des disparités intersectorielles en matière d'emploi et de formation qui sont, en France, plus accentuées que dans d'autres pays de l'Union européenne.

M. Michel Quéré a observé pour sa part, sur la base de séries statistiques, que les femmes non qualifiées bénéficiaient d'une moindre stabilité dans l'emploi que les hommes non qualifiés.

Revenant sur les perspectives d'évolution du « système paritaire à la française », M. Jean-Claude Carle, président, s'est demandé si les modalités de la collecte et de la gestion des fonds de la formation professionnelle ne constituaient pas un frein.

M. Michel Théry a rappelé que la loi quinquennale du 20 décembre 1993 relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle avait procédé à une réduction du nombre d'organismes collecteurs, qui avoisine désormais une centaine. Il a fait observer que cette loi avait été adoptée sans que l'accord préalable des partenaires sociaux ait pu être obtenu. Puis il a soulevé la question de la capacité des partenaires sociaux à concevoir un système plus économe, en rappelant que la formule « qui gère décide » se rattachait à une solide tradition française.

M. Jean-Claude Carle, président, a estimé essentiel de poser le problème de la gouvernance d'ensemble de la formation professionnelle continue.

M. Michel Théry a noté qu'on pouvait observer dans d'autres pays une disjonction entre la gouvernance et la gestion des systèmes à vocation professionnelle ou sociale, en illustrant son propos avec le cas des crédits consacrés, en Hollande, aux handicapés. Il a ajouté que cette expérience hollandaise ne s'était pas traduite par les économies de gestion escomptées.

Puis, interrogé par Mme Gisèle Printz sur le rôle des régions dans la formation professionnelle, M. Michel Théry a indiqué qu'en termes financiers, la gestion des régions représentait une part minoritaire de la formation professionnelle, tout en soulignant la difficulté de coordination, notamment entre les logiques de branches et les enjeux territoriaux, dans ce domaine.

Audition de M. Paul Santelmann, chef du service prospective de l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA)

La mission commune d'information a entendu, ensuite, M. Paul Santelmann, chef du service prospective de l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA).

M. Paul Santelmann a précisé, au préalable, qu'il n'intervenait pas au nom de l'AFPA mais au titre de son expérience d'acteur de la formation professionnelle.

Il a indiqué que la loi de 1971 avait cherché à associer et responsabiliser les partenaires sociaux dans un système de la formation professionnelle jusqu'alors dominé par l'Etat sans que cela conduise à créer un véritable partenariat entre ces différents acteurs, auxquels se sont ajoutées les régions à partir de 1983.

Rappelant que le système de la formation professionnelle était devenu de plus en plus complexe et sujet à critiques, il a souligné les difficultés des ministères concernés à se coordonner pour répondre de façon satisfaisante au double objectif d'élévation du niveau de qualification de la population active et d'adaptation aux mutations de l'économie. En effet, la crise économique a tendu les relations entre les pouvoirs publics et les partenaires sociaux, alors que les exemples étrangers montrent que le système ne fonctionne bien que s'il existe entre eux des rapports de confiance.

Il a ajouté que l'obligation légale de participation des entreprises au financement de la formation professionnelle était souvent perçue comme une modalité de taxation et que ce système était inadapté aussi bien aux très petites, petites et moyennes entreprises (TPE et PME) qu'aux grandes firmes, qui disposent de leur propre système de formation.

Ayant indiqué que la superposition de dispositifs aux objectifs souvent proches avait rendu peu lisibles les responsabilités respectives des différents pouvoirs publics impliqués dans la politique de formation continue, il a jugé nécessaire de préciser les attentes à l'égard du système à partir d'un diagnostic des besoins.

Notant l'augmentation importante du nombre d'organismes de formation depuis 1971, M. Paul Santelmann s'est interrogé sur le bien-fondé de cette atomisation, qui rend la tâche d'orientation professionnelle délicate. Néanmoins, il a reconnu qu'une certaine spécialisation de l'appareil de formation était utile au regard du nombre de stagiaires - 15 millions d'entrées par an - et de la diversité de leurs besoins.

Il a estimé ensuite que le financement de la formation professionnelle par le biais de prélèvements obligatoires, à hauteur de 95 %, ne constituait sans doute pas un facteur d'efficacité du système qui souffre, par ailleurs, d'un déficit de régulation et d'évaluation.

Il a indiqué, à cet égard, que l'efficacité de la formation professionnelle se mesurait à sa capacité à offrir une deuxième chance aux personnes n'ayant pas réussi leur formation initiale et à accompagner les reconversions. Or, la formation professionnelle n'a en France qu'un impact marginal sur le niveau moyen de qualification de la population active. Seule une minorité de demandeurs d'emploi et de salariés ont accès à une formation qualifiante ; environ 15 000 ouvriers et employés, sur une population de 12 millions, accèdent après l'âge de trente ans à un niveau de qualification supérieur ; en parallèle, près d'un million de jeunes obtiennent chaque année un diplôme de niveaux V ou IV, par la voie de l'enseignement professionnel, de l'apprentissage ou d'un contrat de qualification.

M. Paul Santelmann a souligné, en conséquence, la nécessité de déplacer l'effort de formation en direction des adultes de plus de trente ans, en vue de montrer aux jeunes qu'il existe des possibilités d'évolution de carrière et de les inciter à s'engager, ainsi, dans certains métiers dont ils ont, a priori, une représentation négative.

Il a insisté, en parallèle, sur les enjeux liés à la prise en charge des jeunes en difficulté. En effet, celle-ci se heurte aux réticences des employeurs et des formateurs alors qu'il existe, en théorie, dans le cadre des dispositifs ordinaires, les capacités suffisantes pour accueillir les 160 000 jeunes sortant chaque année du système scolaire sans diplôme ni qualification.

A l'issue de cette intervention, M. Jean-Claude Carle, président, a demandé si les entreprises ne participaient au financement de la formation professionnelle que parce qu'elles y étaient contraintes, dans la mesure où 95 % de ce financement relèvent de prélèvements obligatoires.

M. Paul Santelmann a précisé que certaines entreprises allaient au-delà de l'obligation légale de financement. Toutefois, le plan de formation que les grandes entreprises doivent négocier, chaque année, avec les partenaires sociaux, est devenu, de ce fait, un outil de régulation sociale davantage qu'un investissement économique. Les très petites entreprises, quant à elles, se heurtent à la complexité administrative du système, dont les organisateurs sont devenus des prescripteurs. Cette dérive a conduit les opérateurs de formation à se préoccuper davantage de la réglementation que de la performance et de l'efficacité pédagogique des formations. Or, la réussite d'une formation dépend de la qualité des formateurs et des personnes chargées de l'orientation professionnelle.

Il a indiqué, en outre, que la validation des acquis de l'expérience (VAE) constituait un véritable défi, mais qu'il fallait veiller à ne pas créer de concurrence avec les dispositifs de formation. Il a préconisé une remise à plat des diplômes professionnels, conçus en 1948 dans un contexte de pénurie de la main-d'oeuvre et de besoin de personnels très spécialisés, en vue de mieux répondre aux besoins de polyvalence actuels.

Mme Muguette Dini, rapporteur adjoint, a interrogé l'intervenant sur les solutions qu'il préconisait en vue de répondre aux critiques formulées, dans son exposé liminaire, à l'égard du système de formation professionnelle.

En réponse, M. Paul Santelmann a jugé prioritaire de retrouver une cohérence entre les fonctions d'orientation, de formation et de certification au sein de notre appareil de formation, afin de bâtir de véritables parcours qualifiants pour les adultes. Il s'agit notamment de renforcer la lisibilité du système et d'envoyer aux jeunes un message fort quant aux possibilités d'évolution des trajectoires professionnelles en cours de carrière.

Il a suggéré que ces dispositifs soient régulés par les régions et les partenaires sociaux, et qu'ils s'appuient sur des formateurs ayant gardé un contact avec le monde du travail, afin d'apparaître crédibles à l'égard des entreprises.

Constatant que ceux dont le niveau est le plus élevé à l'issue de la formation initiale étaient ensuite les principaux bénéficiaires de la formation continue, Mme Christiane Demontès, rapporteur adjoint, s'est interrogée sur l'intérêt de la formation dès lors qu'elle n'est pas reconnue en termes de valorisation du parcours professionnel. Elle a demandé quelles étaient les responsabilités respectives des branches professionnelles et des entreprises à cet égard, avant de s'enquérir, de façon plus générale, de la place des pouvoirs publics, des régions et des partenaires sociaux dans le système de formation professionnelle.

M. Paul Santelmann a estimé que la vraie reconnaissance de la formation et de la qualification résidait dans le niveau du salaire. Si certains secteurs ont déjà fait des efforts, il appartient aux partenaires sociaux de réactiver la négociation salariale.

Par ailleurs, il a suggéré de favoriser la mobilité professionnelle des salariés en accompagnant ceux qui prennent le risque de démissionner pour s'engager dans un nouveau projet professionnel. Faisant observer que cette aide était prise en charge par l'assurance chômage dans d'autres pays, il a souligné que la faible mobilité professionnelle des salariés de plus de trente ans, en France, contribuait à rigidifier le marché du travail.

Un large débat s'est ensuite engagé.

Mme Isabelle Debré a demandé si les personnes aptes à évaluer les compétences professionnelles des candidats à la VAE étaient en nombre suffisant. Puis elle a souhaité connaître l'avis de l'intervenant sur le principe d'une incitation fiscale des entreprises au financement de la formation professionnelle, avant de s'enquérir des aspects positifs de notre système de formation.

Mme Gisèle Printz s'est interrogée sur les critères que les organismes doivent remplir pour pouvoir dispenser des formations, ainsi que sur les moyens de contrôle existants.

M. Paul Girod s'est demandé dans quelle mesure les blocages du système étaient liés aux réticences de certains organismes de formation à se remettre en question, dans un contexte économique en profonde mutation.

M. Jean-Claude Carle, président, a voulu savoir si la gestion paritaire du système de formation avait fait prévaloir les questions de gestion sur les finalités de la formation.

M. Jean-François Humbert s'est demandé si les régions remplissaient de façon satisfaisante leurs missions en matière de formation professionnelle.

En réponse à ces différents intervenants, M. Paul Santelmann a apporté les précisions suivantes :

- il existe une certaine pénurie de personnels qualifiés pour apprécier les acquis de l'expérience ; il faudrait inciter davantage de professionnels à participer aux jurys de validation ;

- il est nécessaire de restructurer l'appareil de formation en vue de renforcer sa qualité et son efficacité avant de chercher à accroître les dépenses de formation des entreprises par le biais d'une incitation fiscale ;

- il suffit de justifier l'existence d'un premier marché pour pouvoir se déclarer comme organisme de formation ; la responsabilité de l'évaluation de la qualité des formations repose au premier chef sur les financeurs, qui devraient assurer par ce biais une régulation de l'offre ;

- la dérive du système est liée à la croyance que le développement des prescriptions insérées dans les cahiers des charges accompagnant les appels d'offres serait un gage de la qualité des formations. Il faudrait plutôt susciter une émulation entre les organismes de formation en leur accordant, en contrepartie, une plus grande liberté en ce qui concerne les contenus et les méthodes pédagogiques ; il convient, en parallèle, de développer les démarches de suivi et d'évaluation des organismes de formation, en s'appuyant notamment sur les usagers ;

- notre système de formation professionnelle a créé des rentes de situation au profit des opérateurs ; par ailleurs, la segmentation de l'offre de formation en fonction des types de publics ne constitue pas un facteur d'efficacité ; les organismes les plus efficaces sont ceux destinés aux cadres, alors que les personnes les moins qualifiées bénéficient d'un système qui n'est pas suffisamment en phase avec l'évolution des métiers ;

- de nombreuses innovations sont mises en oeuvre sur le terrain sans être suffisamment connues ou diffusées ; or, comme le montre l'exemple du secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP), l'ingénierie centrale doit pouvoir se nourrir des initiatives locales ;

- la complexité des dispositifs et des mécanismes de financement conduit les organismes paritaires à se préoccuper davantage de la gestion du système que de ses finalités ;

- à défaut de disposer de l'ensemble des leviers, les conseils régionaux ne peuvent développer une véritable politique stratégique en matière de formation professionnelle ; si le dispositif d'orientation professionnelle doit être mieux adapté aux réalités locales, une éventuelle décentralisation de ces services devrait néanmoins garantir que tous les personnels chargés de l'orientation aient le même socle de compétences sur l'ensemble du territoire, afin de pouvoir comparer leurs performances.

Audition de MM. Jean-Pierre Revoil, directeur général, et Jean-Paul Domergue, directeur des affaires juridiques, de l'Union nationale pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (Unedic)

La mission commune d'information a enfin procédé à l'audition de MM. Jean-Pierre Revoil, directeur général, et Jean-Paul Domergue, directeur des affaires juridiques, de l'Union nationale pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (Unedic).

M. Jean-Pierre Revoil a rappelé que l'Unedic, qui gère les Assedic, est chargée à la fois de « prévenir » et de « guérir » grâce au versement des indemnités d'assurance chômage (en moyenne 1 005 euros par mois et par allocataire), et aux aides au reclassement visant à fluidifier le marché de l'emploi en fonction des besoins des entreprises. A cet effet, l'Unedic réalise un recensement auprès des entreprises en leur demandant quelles sont leurs intentions d'embauche et les difficultés qu'elles rencontrent pour satisfaire celles-ci. Au vu des résultats, l'Unedic distingue les emplois « en tension », c'est-à-dire ceux pour lesquels la rencontre entre l'offre et la demande pose problème (BTP, hôtellerie et restauration, aide aux personnes, transports routiers) et les « métiers porteurs » (informatique, banque). Cette enquête s'effectue au niveau local et est affinée selon les bassins d'emploi avec les trente Assedic. Elle permet d'identifier au plus près les besoins des entreprises locales.

M. Jean-Pierre Revoil a précisé qu'en 2006, les partenaires sociaux ont affecté 287 millions d'euros à l'aide à la formation, 33 millions d'euros à l'aide à la mobilité et 95 millions d'euros aux employeurs embauchant des allocataires de longue durée (plus d'un an) ou des chômeurs de plus de cinquante ans.

S'agissant de l'aide à la formation, il a indiqué à titre d'illustration que l'Assedic des Alpes a disposé de 11 millions d'euros et a décidé de les affecter à différentes formations de moins d'un an dont les prestataires ont été déterminés par appel d'offres auprès de centres de formation locaux. Les bénéficiaires reçoivent des indemnités et suivent des formations conventionnées (sans garantie d'embauche). Dans ce cas, l'ANPE est l'opérateur et l'Unedic le financeur. Parallèlement, il existe des formations préalables à l'embauche (avec garantie d'embauche), qui sont de courte durée. L'Unedic n'intervient dans ce dernier cas que pour l'accompagnement (frais divers, transport). Au total, 176 millions d'euros, soit 62 % des crédits, ont été effectivement consommés, l'an passé, à ce titre.

M. Jean-Paul Domergue a également évoqué d'autres modalités de participation de l'Unedic à la politique de formation : financement des contrats de professionnalisation, financement de l'accès des titulaires de contrats à durée déterminée au congé individuel de formation, financement de la valorisation des acquis de l'expérience (VAE). Les partenaires sociaux qui gèrent l'Unedic souhaitent accélérer la montée en charge de ces dispositifs, en partenariat avec les régions pour la VAE et avec les organismes paritaires agréés (OPCA) en ce qui concerne les contrats de professionnalisation.

Mme Isabelle Debré a demandé des précisions concernant les prises en charge pendant les formations conventionnées et les modalités d'organisation des appels d'offres.

M. Jean-Pierre Revoil a indiqué que les appels d'offres s'effectuaient au cas par cas, métier par métier, et qu'on faisait en sorte que l'offre s'adapte aux chômeurs concernés localement.

Sur les prises en charge au profit de l'entreprise, après avoir rappelé les durées maximum d'indemnisation du chômage, M. Jean-Paul Domergue a répondu qu'elles se faisaient au prorata du salaire, à hauteur de 40 % la première année, 30 % la seconde et 20 % la troisième.

Il a noté l'existence d'un effet d'aubaine au profit des entreprises qui auraient de toute façon embauché, et la relative sous-consommation des crédits dégagés (83 %).

Répondant à une question de M. Jean-François Humbert sur l'évaluation des formations des chômeurs, M. Jean-Pierre Revoil s'est appuyé sur le cas du dispositif Pare (plan d'aide au retour à l'emploi) de juillet 2001 pour souligner la difficulté d'évaluer le taux de reclassement des chômeurs compte tenu de l'influence prépondérante des fluctuations de la conjoncture économique. Il a aussi évoqué la difficulté d'intégrer dans les calculs les allers et retours sur le marché du travail (35 % des allocataires travaillent en activité réduite).

Mme Muguette Dini, rapporteur adjoint, a demandé un éclairage sur la façon dont l'éducation nationale diffuse une information sur les métiers en tension, et sur la mise en oeuvre de la VAE.

M. Jean-Pierre Revoil a considéré qu'un des problèmes majeurs actuels est l'absence de relation avec l'éducation nationale, citant l'exemple de la certification du « diagnostic immobilier » que la loi vient de rendre obligatoire pour les locations : il n'existe qu'une seule école, à Saint-Nazaire, susceptible de former ces 4 000 professionnels, dont il faudrait multiplier le nombre par trois. L'éducation nationale, a-t-il estimé, oriente insuffisamment les étudiants.

M. Jean-François Humbert a rappelé à ce sujet la mise en place au niveau régional des schémas prévisionnels des formations, dont l'objet est d'assurer une meilleure adéquation entre la formation et l'emploi.

M. Jean-Pierre Revoil a alors cité l'exemple de la formation de cuisiniers dans le Languedoc-Roussillon, où un besoin de 300 professionnels a été identifié il y a deux ans, une seule personne se présentant effectivement à la formation, proposée initialement à cent chômeurs.

Il a précisé que la VAE concernait différents partenaires : ANPE, régions, Unedic (celle-ci ne finançant que les frais résiduels) et a confirmé que le démarrage de cet instrument restait assez lent (40 millions d'euros seulement dépensés en 2006). Il a imputé cette situation au fait que les jurys se réunissent peu et que le système n'est pas assez adapté aux chômeurs.

Mme Gisèle Printz a demandé quels seraient les avantages et les inconvénients d'une fusion entre l'ANPE et l'Unedic.

M. Jean-Pierre Revoil a souligné la spécificité juridique de chaque organisme et a estimé qu'il faudrait ouvrir la voie d'un tripartisme avec les pouvoirs publics à la façon de ce qui est réalisé en Allemagne dans le domaine de l'emploi. Puis il a évoqué la loi de programmation pour la cohésion sociale du 18 janvier 2005 et la convention du 5 mai 2006 entre l'Etat, l'ANPE et l'Unedic, relative à la coordination des actions du service public de l'emploi. Les guichets uniques se mettent peu à peu en place. Par ailleurs, la mise en place des maisons de l'emploi, créées par la loi de cohésion sociale, est lente : 170 maisons ont été labellisées et 50 fonctionnent réellement.

Enfin, M. Jean-Pierre Revoil a appelé l'attention sur le fait qu'on verse actuellement 24 millions d'euros aux chômeurs en revenus de remplacement, sans que l'Unedic exerce un droit de contrôle. Cette mission est confiée aux directions départementales de l'emploi, qui manquent de personnel.