MISSION COMMUNE D'INFORMATION SUR LA NOTION DE CENTRE DE DÉCISION ÉCONOMIQUE ET L'ATTRACTIVITÉ DU TERRITOIRE NATIONAL
Mardi 16 janvier 2007
- Présidence de M. Philippe Marini, président.Audition de M. Charles-Henri Filippi, président directeur général de HSBC France
A titre liminaire, se félicitant de recevoir, au nom de la mission commune d'information sur la notion de centre de décision économique, M. Charles-Henri Filippi, président-directeur général de HSBC France, M. Philippe Marini, président, a rappelé que le groupe de la Hong Kong and Shanghai Banking Corporation (HSBC) avait été créé en 1865 par l'Ecossais Donald Sutherland pour financer la croissance du commerce entre la Chine et l'Europe. Soulignant la dimension internationale du groupe, devenu la première capitalisation boursière bancaire européenne, et le quatrième groupe bancaire mondial avec 9 500 agences implantées dans 77 pays, il a ajouté que la filiale française du groupe, HSBC France, n'était autre que l'ancien Crédit commercial de France (CCF).
Puis, à titre liminaire, M. Philippe Marini, président, a souhaité connaître l'analyse de M. Charles-Henri Filippi de la notion de nationalité d'une entreprise ou d'un groupe, ainsi que de celle de centre de décision économique, en particulier dans le cas d'une filiale détenue à 100 % par un groupe étranger. Il s'est demandé si une telle filiale pouvait encore constituer un centre de décision économique. Il a enfin interrogé M. Charles-Henri Filippi sur la problématique de localisation des sièges sociaux en Europe, ainsi que sur les considérations fiscales susceptibles d'affecter leur localisation.
M. Charles-Henri Filippi, président-directeur général de HSBC France a abordé la question de la nationalité du groupe HSBC par un bref historique. Il a tout d'abord indiqué que la Hong Kong and Shanghai Banking Corporation, créée à Hong Kong, s'était rapidement développée en Chine continentale de manière très profitable. Puis, il a rappelé les différentes localisations du siège social, et notamment son rapatriement à Hong Kong au moment de la prise de pouvoir par Mao en Chine, puis son transfert à Londres en 1993, lors de l'acquisition d'une grande banque anglaise.
Il a souligné que, du fait de la répartition à peu près égale des implantations du groupe sur les continents asiatique, européen et américain, HSBC pouvait être considéré comme un « groupe sans territoire dominant ». Nonobstant le caractère très international du groupe, il a ajouté que la culture d'HSBC demeurait, au-delà de la localisation de son pôle de décision en Grande-Bretagne, incontestablement britannique.
En conséquence, M. Charles-Henri Filippi, président-directeur général de HSBC France, a considéré que si la démarche commerciale du groupe était décentralisée, ainsi que l'illustrait le slogan d'HSBC - « Votre banque partout dans le monde » (« The world's local bank ») - son fonctionnement en termes de contrôles et de procédures de gestion des risques était, en revanche, centralisé. Mentionnant la mise en oeuvre de la stratégie globale d'HSBC par un comité exécutif composé de douze personnes essentiellement d'origine anglo-saxonne, à l'exception de lui-même et de trois autres personnes de nationalité libanaise, chinoise et américaine, il a observé qu'il conservait, en tant que responsable de la filiale française, une importante liberté d'action.
S'agissant des perspectives de développement du groupe, il a confié que le plan stratégique quinquennal du groupe avait tendance à privilégier deux zones de puissant développement économique, dotées d'une démographie dynamique et d'une flexibilité sociale forte : l'Asie et le continent américain. Il a alors reconnu que le choix stratégique d'investir en Europe occidentale, notamment par l'acquisition du CCF, justifiée en son temps par la création de la zone euro, n'emporterait peut-être pas aujourd'hui le même degré d'adhésion des analystes financiers et des investisseurs.
Ensuite, M. Charles-Henri Filippi, président-directeur général de HSBC France, a tenu à souligner l'effet bénéfique de la fusion du CCF avec HSBC sur les moyens de développement du CCF en France, ainsi que sur l'emploi : si la marque « HSBC » constituait naturellement un atout majeur pour la clientèle entrepreneuriale, en raison de la mise en oeuvre d'une stratégie de soutien aux entreprises françaises dans tous les pays d'implantation d'HSBC, elle n'en demeurait pas moins attractive pour la clientèle particulière.
Il a également mis en lumière, avec satisfaction, les atouts qu'apportait la filiale française au groupe HSBC, notamment en matière de mathématiques financières et de gestion d'actifs. Il a fait savoir que la vaste expertise des services bancaires français en ce domaine plaidait pour une localisation en France de l'activité de gestion d'actifs, ainsi que des produits dérivés sophistiqués de taux et d'actions.
Puis M. Christian Gaudin, rapporteur a questionné M. Charles-Henri Filippi sur l'attractivité de la France, ainsi que sur le risque de délocalisation des services bancaires. Après l'avoir invité à préciser sa position sur le patriotisme économique, il lui a demandé de porter un jugement sur l'expansion de l'activité des fonds d'investissement, tels que les fonds de « leverage buy out ».
En ce qui concernait l'attractivité du territoire français, M. Charles-Henri Filippi, président-directeur général de HSBC France, a rappelé, en premier lieu, que l'implantation dans un pays n'avait pas pour objet l'installation d'un siège social « perse », mais le développement d'activités. Il a ajouté que le choix d'une telle implantation était généralement déterminé d'abord par la dynamique du marché local. Il a constaté, en second lieu, qu'une telle approche consistant à comparer les différences de potentiel de développement conduisait, dans le cas français, à s'interroger sur sa capacité à gagner des parts de marché sur les concurrents, dans un contexte de croissance relativement faible.
Abordant les handicaps grevant l'attractivité du territoire français, il a estimé que la fiscalité française ne constituait pas un véritable obstacle à l'implantation en France pour deux raisons : la fiscalité française sur les sociétés n'était pas radicalement différente de celle de ses partenaires ; les salaires directs restaient moins élevés, malgré des charges sociales plus lourdes, ce qui rendait le coût de la main d'oeuvre en France dans le secteur financier inférieur à ce qu'il était au Royaume-Uni.
En revanche, il a relevé les deux obstacles majeurs à l'attractivité française à savoir, d'une part, les délais des procédures, et d'autre part, l'insuffisante maîtrise de la langue anglaise. Illustrant le premier handicap par les 18 mois de la discussion réalisée dans le cadre du plan « Efficacité pour la croissance », il a déploré la lourdeur et la lenteur des procédures. Quant au problème de la langue, il a souhaité que s'opère un changement de mentalité, afin que la langue anglaise devienne également le moyen de communication des hommes d'affaires français, et plus particulièrement des acteurs de la place de Paris. Un tel changement, accompagné d'une amélioration du statut des impatriés, lui semblait crucial pour le développement de la place de Paris.
Evoquant la question du patriotisme économique, M. Charles-Henri Filippi, président-directeur général de HSBC France, a insisté sur la notion de réciprocité, de telle sorte que tous les pays, même ceux entrés le plus récemment dans l'économie de marché, pussent se conformer réellement aux même règles.
S'agissant des dangers issus de l'activité des fonds d'investissement réalisant des leverage buy out (LBO), il a, également, fait valoir que l'effort de rentabilisation qui découlait de telles opérations, n'entraînait pas uniquement une rationalisation à court terme des coûts, mais pouvait, dans certains cas, contribuer au développement de l'entreprise par l'amélioration de ses pratiques managériales.
En réponse à Mme Nicole Bricq sur le caractère apatride ou non du groupe, au sens originel du terme, M. Charles-Henri Filippi, président-directeur général de HSBC France, a jugé que le groupe était « la moins nationale des entreprises globales ». Il s'est félicité que sa dimension globale ait créé un sentiment d'appartenance à toutes les patries, plutôt qu'une déconnexion totale des considérations nationales. Il a poursuivi sa démonstration en qualifiant le groupe de « multi-patriote », en prenant l'exemple du soutien aux entreprises françaises.
Réfutant la qualification de « groupe opportuniste », évoqué par une question de Mme Nicole Bricq, il a tenu à rappeler que le groupe était doté d'une stratégie globale qui inspirait l'ensemble des filiales du groupe. Mais, mettant l'accent sur le caractère local du métier de banquier dans un cadre multi-géographique, il a insisté sur la nécessité du groupe de respecter la diversité culturelle de l'entreprise.
Répondant à l'interrogation de M. Philippe Marini, président, sur les conséquences de la composition majoritairement britannique des organes centraux de décision sur les choix stratégiques du groupe, notamment en termes d'emplois ou d'investissement, M. Charles-Henri Filippi, président-directeur général de HSBC France a souligné l'absence de toute préférence stratégique en faveur des sites britanniques. Il a estimé que les pays émergents, et plus particulièrement l'Inde, constituaient aujourd'hui une cible privilégiée, en raison du potentiel de croissance.
Mme Nicole Bricq, souhaitant connaître le degré de décentralisation de la filiale française par rapport au siège, a interrogé M. Charles-Henri Filippi sur la marge de manoeuvre d'HSBC France en matière d'investissement. En réponse, M. Charles-Henri Filippi, président-directeur général de HSBC France, a indiqué qu'il détenait le pouvoir de décision dans la limite de 100 millions d'euros de crédits, et qu'au delà, une vérification du dossier, qui ne donnait pas lieu à une nouvelle instruction, était réalisée au siège dans un délai de 24 heures.
Après que Mme Nicole Bricq fut revenue sur le lien existant entre l'implantation commerciale dans une zone donnée et le potentiel de croissance de cette dernière, M. Charles-Henri Filippi, président-directeur général de HSBC France, a confirmé la forte corrélation entre ces deux points en nuançant, toutefois, la portée de cette affirmation. Il a ainsi souligné que toute zone à fort potentiel de croissance constituait également une zone de risque supérieur, et qu'il fallait en tenir compte dans l'allocation de capital entre pays.
Souhaitant que M. Charles-Henri Filippi développe sa remarque sur le manque d'attractivité de l'Europe occidentale, Mme Elisabeth Lamure l'a ensuite interrogé sur le potentiel des pays d'Europe de l'Est et centrale. Confirmant que l'Europe occidentale ne constituait pas, pour la majorité des investisseurs dans le titre HSBC, dans le contexte actuel de croissance modérée, une zone prioritaire, M. Charles-Henri Filippi, président-directeur général de HSBC France, a souligné que le choix stratégique d'HSBC d'investir en priorité dans les pays émergents était conforme aux attentes de ces investisseurs. S'agissant de l'Europe de l'est et centrale, zone aujourd'hui prioritaire pour le groupe, il a regretté qu'HSBC n'y ait encore qu'une présence faible, au contraire de la Société Générale, par exemple, eu égard au fort potentiel que présentait cette zone géographique.
Relayant la question de Mme Nicole Bricq sur l'éventuel caractère « opportuniste» du groupe HSBC, M. Michel Teston a cité un article de la Tribune du 4 décembre 2006, traitant du possible transfert du siège d'HSBC en Irlande. M. Charles-Henri Filippi, président-directeur général de HSBC France, a néanmoins démenti une telle information. Il a souligné, en outre, le caractère non stratégique de la localisation d'un siège social, indépendamment de toute analyse du potentiel du marché ou d'autres considérations de développement. En d'autres termes, il a fortement insisté sur le fait que le succès d'une implantation était conditionné par la mise en oeuvre d'une stratégie de développement, et non par la simple localisation du siège social. Il a réitéré que le groupe HSBC était doté d'un plan d'expansion clairement défini et ne pouvait aucunement, en conséquence, être qualifié d'opportuniste.
Puis M. Michel Teston a invité M. Charles-Henri Filippi à développer son propos sur les marges de manoeuvre d'HSBC France, en tant que filiale entièrement détenue par le groupe. Convenant que le rachat d'une entreprise par un groupe mondial conduisait inévitablement à un déplacement de son centre de gravité vers la maison-mère, M. Charles-Henri Filippi, président-directeur général de HSBC France, a néanmoins fait valoir que ce déplacement était variable selon les situations. S'agissant d'HSBC, il a indiqué que si le centre de décision ultime était Londres, chaque filiale disposait, toutefois, d'une importante marge de manoeuvre. En outre, il a ajouté qu'aucune décision ne pouvait être prise sans l'avis favorable des dirigeants de la filiale concernée. Enfin, il a constaté qu'une stratégie alternative fondée sur les « lignes de métiers » en dehors de toute considération de pays, telles que mises en oeuvre par certaines entreprises bancaires américaines, pouvait conduire à de graves erreurs.
A l'issue de cet échange, M. Philippe Marini, président, a vivement remercié M. Charles-Henri Filippi de son intervention.
Jeudi 18 janvier 2007
- Présidence de M. Philippe Marini, président.Audition de M. Jean-François Théodore, président-directeur général d'Euronext
M. Philippe MARINI, président, a brièvement rappelé les objectifs de la mission d'information et indiqué que la commission des finances avait suivi, en 2006, avec un grand intérêt l'évolution du projet d'alliance entre le New York Stock Exchange (NYSE) et Euronext, qui revêtait un caractère de « test » des enjeux étudiés par la mission d'information sur le maintien des centres de décision sur le territoire national. Il a souhaité connaître l'opinion de M. Jean-François Théodore sur la pertinence du concept de nationalité d'une entreprise et sur les limites de l'intervention de la puissance publique, et lui a demandé de rappeler les termes de l'alternative devant laquelle la société Euronext avait été placée, et les raisons pour lesquelles elle avait opté pour un rapprochement avec la bourse américaine plutôt qu'avec celle de Francfort.
Après avoir souligné l'intérêt que revêtait, à ses yeux, l'objet de la mission d'information, M. Jean-François Théodore, président-directeur général d'Euronext, a rappelé que les spécificités des métiers d'Euronext, qui offrait des services financiers à haute valeur ajoutée, ne conféraient sans doute pas à sa situation une valeur d'exemplarité pour les entreprises d'autres secteurs d'activité. Il s'est déclaré intimement convaincu que, dans le secteur boursier, l'« enracinement national » d'une entreprise avait plus d'importance que sa nationalité juridique.
Il a considéré que dans le cas des services de cotation boursière, le maintien de centres de décision en France impliquait en réalité de ne pas se cantonner à une vision purement nationale, compte tenu des évolutions technologiques et de l`impact positif qu'une dimension internationale permettait d'exercer sur l'élargissement de la liquidité et la diminution de la part des coûts fixes dans le chiffre d'affaires. Il a estimé qu'en revanche, l'ancrage national des centres de décision était une condition déterminante de l'exercice de ce type de métier, car il se révélait cohérent avec la vocation d'une place de marché à financer les sociétés émettrices, qui se montraient attachées à la proximité géographique des gestionnaires de la bourse et à la cotation dans le droit d'incorporation.
Il a illustré ce point de vue par l'échec du projet de rapprochement esquissé en 2000 entre les bourses de Londres et de Francfort, qui prévoyait de spécialiser les deux lieux de cotation selon un critère de taille des émetteurs, et non en fonction de la nationalité de ces derniers. A contrario, Euronext constituait une fédération d'entreprises de marché implantées dans cinq pays distincts (la Belgique, la France, les Pays-Bas, le Portugal et le Royaume-Uni), disposant chacune de la personnalité juridique et d'une licence locale de bourse, mais dont le système informatique et plusieurs services étaient mutualisés.
Il a indiqué que l'activité d'Euronext se caractérisait par une absence de véritable « quartier général », mais que le « barycentre » d'Euronext se situait plutôt à Paris. Il a ainsi précisé que le siège social de la société Euronext NV était domicilié aux Pays-Bas, mais que le conseil de surveillance et le directoire se réunissaient en alternance dans les capitales des cinq pays concernés, selon les opportunités et les éventuelles contraintes réglementaires locales.
M. Jean-François Théodore, président-directeur général d'Euronext, a relevé qu'il n'était toutefois pas toujours aisé d'expliquer cette réalité fédérale, son coût et ses conséquences sur le nécessaire maintien d'effectifs locaux, à des investisseurs et actionnaires parfois prompts à requérir une diminution de la masse salariale. L'architecture fédérale d'Euronext avait néanmoins permis son expansion et au Liffe, marché anglais de produits dérivés, d'accepter son offre d'acquisition en 2002, au détriment des offres concurrentes du London Stock Exchange et de la Deutsche Börse.
Il a ensuite rappelé que le choix de l'intégration européenne, puis du rapprochement avec le NYSE, avait été motivé par les aspirations des émetteurs au franchissement de nouvelles étapes dans la consolidation boursière. La solution d'une fusion avec la Deutsche Börse était finalement apparue comme contraire au modèle fédéral et à l'enracinement national, du fait de la conception centralisatrice de la bourse allemande - qui employait près de 2.000 personnes à Francfort - et des contraintes spécifiques de son autorité de régulation, le Land de Hesse. Une telle opération paraissait, dès lors, impliquer l'établissement à Francfort d'un unique quartier général comme du siège des réunions du directoire, et la domiciliation du directeur général et du directeur financier. Il aurait pu, selon lui, en résulter le passage d'une structure polycentrique à un vaste ensemble centralisé, comportant des risques de sclérose.
Il a considéré que le rapprochement avec le NYSE permettait, au contraire, de préserver cette structure fédérale et de maintenir la gestion des transactions européennes dans les cinq pays d'implantation d'Euronext. L'architecture fédérale se trouvait ancrée dans un système plus global, et l'attractivité de Paris comme centre financier pourrait être renforcée par une offre de cotation en euros à des sociétés de pays émergents souhaitant ne pas être soumises aux contraintes de la loi américaine Sarbanes-Oxley et se retirer de la cote américaine.
Il a estimé qu'au-delà de la problématique connue de la loi Sarbanes-Oxley, une condition essentielle du succès de cette opération résidait dans l'indépendance des réglementations boursières nationales. Celle-ci était garantie, dans la nouvelle architecture, par deux dispositifs : d'une part un accord entre les cinq régulateurs européens et l'autorité boursière américaine, la Securities and Exchange Commission (SEC), et d'autre part, la mise en place d'une fondation composée de trois « Sages » et permettant de découpler la structure en cas d'intrusion en Europe de l'une ou l'autre des réglementations, lois ou jurisprudences américaines.
M. Christian Gaudin, rapporteur, a relevé que le statut des bourses s'était relativement banalisé avec la privatisation de fait, puis la cotation de plusieurs entreprises de marché, dont Euronext. Il s'est demandé si l'on pouvait considérer qu'une bourse était une entreprise comme une autre, compte tenu des quasi prérogatives de puissance publique dont elle pouvait disposer et de son rôle clef dans le respect de l'ordre public financier, et si le politique n'était pas fondé à intervenir ou à donner son avis sur le processus de consolidation en cours, dans la mesure où le financement par les marchés contribuait pour une large part à la puissance économique d'une nation.
Il s'est également interrogé sur les perspectives d'élargissement à moyen terme du pôle européen de l'ensemble Euronext-NYSE aux bourses italienne et espagnole, susceptible d'assurer un meilleur équilibre face à la puissance de la bourse de New-York, et a souhaité savoir si le mouvement actuel de concentration plaidait en faveur de la mise en place d'un régulateur boursier européen unique.
En réponse, M. Jean-François Théodore, président-directeur général d'Euronext, a tenu à relativiser le rôle institutionnel des entreprises de marché. D'une part, elles ne disposaient plus de réelles prérogatives de puissance publique - transférées à l'Autorité des marchés financiers (AMF) et au Comité des entreprises d'investissement et des établissements de crédit (CECEI) - ni d'une responsabilité dans la régulation boursière depuis la transposition en droit français de la directive sur les services d'investissement en 1996. D'autre part, les entreprises de marché se plaçaient désormais dans un contexte de concurrence croissante, la directive sur les marchés d'instruments financiers (MiFID) du 21 avril 2004 contribuant à la suppression du principe de centralisation des ordres sur les marchés réglementés et à la création de plates-formes de négociation concurrentes.
Il a cependant estimé que les bourses jouaient un rôle social important, et que les émetteurs conservaient certainement un biais favorable au statut de marché réglementé, qui en France était reconnu par le ministre de l'économie et des finances et dont les règles d'organisation et de fonctionnement étaient préalablement approuvées par l'AMF, le CECEI et le ministre.
M. Philippe Marini, président, a sollicité des précisions sur le dispositif de la fondation, précédemment évoqué, et sur le processus de décision afférent à la localisation des centres de décision du nouvel ensemble. Evoquant les assouplissements à la loi Sarbanes-Oxley annoncés par la SEC, il s'est demandé si la perspective de voir des sociétés de pays tiers préférer une cotation en euros sur les marchés d'Euronext était réellement crédible. Se référant aux conséquences de la récente directive sur les marchés d'instruments financiers, il s'est enfin interrogé sur l'ampleur de la menace, pour les marchés réglementés tels que ceux d'Euronext, constituée par la concurrence de nouvelles plates-formes multilatérales de négociation ou des systèmes internalisés, mis en place par de grandes banques d'investissement et en principe totalement délocalisables.
M. Jean-François Théodore, président-directeur général d'Euronext, a tout d'abord estimé qu'une délocalisation des centres de décision d'Euronext n'était certainement pas souhaitable, compte tenu de l'atout que constituait la proximité pour les émetteurs, ni même possible, en raison du décalage horaire de six heures entre le NYSE et les places européennes. En tout état de cause, le processus décisionnel était strictement « verrouillé » non par la fondation, mais par les conditions préalables posées par le collège des 5 régulateurs boursiers européens d'Euronext, qui avaient largement trait au maintien des compétences locales, et qu'Euronext s'était engagée à respecter. Il a précisé que le non respect de ces conditions exposerait les dirigeants d'Euronext à des sanctions disciplinaires, et la société au retrait des licences locales de bourse. Il a ajouté que l'association Paris Europlace avait suggéré qu'une évolution législative permette à l'AMF de se prononcer, au-delà du respect de l'ordre public boursier par Euronext, sur des motifs d'opportunité, ce qui, selon lui, se révélait proche de la pratique.
Puis en réponse à une question de M. Philippe Marini, président, sur d'éventuels mécanismes de majorité qualifiée au sein de la gouvernance interne de la structure NYSE-Euronext, M. Jean-François Théodore, président-directeur général d'Euronext, a indiqué que le conseil d'administration était paritairement composé d'Européens et d'Américains, lesquels étaient proposés par un comité de nomination lui-même paritaire. Il a ajouté qu'un changement de statut nécessitait une majorité du conseil d'administration des deux tiers et un vote à 80 % de l'assemblée des actionnaires.
Abordant les perspectives d'introduction en bourse de sociétés de pays émergents, il a indiqué que ces dernières continuaient aujourd'hui de se faire coter sur le London Stock Exchange, bien que ce dernier fut libellé en livres sterling. Euronext se trouvait donc confronté au défi de devenir un véritable marché international d'actions, et non plus essentiellement domestique, qui fut conforme au statut de deuxième devise de réserve de l'euro. Ce changement de dimension reposait avant tout, selon lui, sur une stratégie accentuée de communication et de marketing.
Il a ajouté que la loi Sarbanes-Oxley avait exercé un impact négatif sur les cotations à la bourse de New-York, et que les aménagements dont elle pourrait faire l'objet seraient vraisemblablement marginaux et ne permettraient pas de revenir à la situation antérieure, dans la mesure où cette loi poursuivait avant tout un objectif de protection de l'épargnant.
Concernant l'expansion du pôle européen de NYSE-Euronext, il a indiqué que le mécanisme fédéral demeurait ouvert à d'autres places de marché, telles que celles de Milan, Madrid ou Varsovie. Il a précisé que la Borsa Italiana, à l'instar de la compagnie aérienne Alitalia, s'interrogeait sur sa stratégie et sur l'alternative consistant à rejoindre Euronext, ou à poursuivre seule son développement en s'introduisant sur son propre marché. Il a considéré que si l'extension d'Euronext était effectivement de nature à permettre un rééquilibrage interne au regard du volume de transactions, cet équilibre n'en était pas moins assuré dans la gouvernance de NYSE-Euronext, compte tenu de la parité au sein du conseil d'administration, avec 11 membres de part et d'autre, des mécanismes de majorité qualifiée, et de l'engagement pris par le nouveau groupe que l'adhésion éventuelle de toute entreprise de marché européenne fusse uniquement réalisée auprès de la structure fédérale Euronext, et non directement auprès de l'ensemble NYSE-Euronext.
M. Jean-François Théodore, président-directeur général d'Euronext, a ajouté que les cinq régulateurs européens avaient su faire preuve, à l'occasion de ce rapprochement, de la même faculté d'adaptation et de la même souplesse que lors de la constitution d'Euronext en 2000, avec la constitution d'un comité de pilotage et de groupes de travail communs. Cette concertation entre régulateurs s'était révélée efficace, sans pour autant préjuger de la création d'une autorité boursière européenne unique.
Rejoignant les positions déjà exprimées par M. Michel Prada, président de l'AMF, il a estimé qu'une telle instance de régulation demeurait un horizon lointain, compte tenu, notamment, des grandes différences de périmètre sectoriel entre autorités de surveillance, mais qu'il était possible et souhaitable de renforcer les pouvoirs de l'actuelle structure de concertation entre tous les régulateurs nationaux, le Comité européen des régulateurs de valeurs mobilières (CERVM / CESR), et de consolider son statut, afin d'aller plus loin que l'actuelle démarche de concertation.
Puis en réponse à la question de M. Philippe Marini, président, sur la réalité de la menace d'une concurrence de nouvelles plates-formes de négociation, internalisées ou non, il a rappelé que ce type d'initiative avait, jusqu'à présent, plutôt échoué dans un pays tel que le Royaume-Uni, dont la réglementation et les pratiques de marché étaient, depuis longtemps, conformes à l'univers juridique de la directive sur les marchés d'instruments financiers. Il a également relativisé l'enjeu concurrentiel de la création de telles plates-formes de marché, appelant à opérer une distinction entre les effets d'annonce destinés à faire pression sur les coûts d'Euronext et les opérations qui se réaliseraient de manière effective, a priori sous le régime du droit britannique.
Il a estimé qu'Euronext devait néanmoins faire preuve de vigilance sur la qualité de sa gestion et la poursuite de la diminution du temps de traitement de ses systèmes informatiques, mais disposait aujourd'hui d'atouts réels et d'une « masse critique » qui rendait plus difficile le déplacement de la liquidité vers des plates-formes de négociation concurrentes. Il a considéré qu'une telle concurrence était également positive et incitait Euronext à développer son offre de services. Il a mentionné, à cet égard, l'introduction d'une nouvelle faculté d'internalisation au sein du carnet d'ordres central, qui permettait de remplir les obligations communautaires de « meilleure exécution » et de réaliser une compensation en direct, et que des établissements financiers internalisateurs pourraient difficilement concurrencer en termes de coûts.
Evoquant sa rencontre avec les dirigeants de la bourse de Montréal lors d'un récent déplacement au Québec, M. Philippe Marini, président, a exposé que ceux-ci n'envisageaient pas la cotation de la place québécoise, contrairement à Euronext, et se montraient assez méfiants à l'égard des fonds d'investissement qui pourraient les acculer à un rapprochement avec une autre place de marché. Il s'est demandé si la structure NYSE-Euronext ne pourrait pas, néanmoins, rechercher une alliance avec une telle bourse, et quelles leçons pouvaient être tirées du rôle joué par les fonds spéculatifs actionnaires d'Euronext et de la Deutsche Börse lors des récentes assemblées générales de ces deux sociétés.
M. Jean-François Théodore, président-directeur général d'Euronext, a précisé que la bourse de Montréal, qui utilisait certains des outils informatiques d'Euronext, était bien gérée et s'était spécialisée dans les produits dérivés à la suite de la concentration de la cotation des actions sur la place de Toronto. Il a jugé que les actionnaires nationaux d'Euronext étaient plus sensibles à la structure fédérale et à l'enracinement national de cette société, alors que d'autres investisseurs, parmi lesquels les fonds spéculatifs, étaient davantage motivés par le rendement financier à court terme, sans se préoccuper réellement de la cohérence de l'organisation.
A l'issue de cet échange, M. Philippe Marini, président, a vivement remercié M. Jean-François Théodore de son intervention.