- Mercredi 14 juin 2006
- Audition de MM. François Carayon, sous-directeur, et Thierry Pellé, chef du bureau des retraites et des régimes spéciaux de la 6e sous-direction de la direction du budget au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie
- Audition de M. Christian Cardon, président de la commission de compensation
Mercredi 14 juin 2006
- Présidence de M. Alain Vasselle, président -Audition de MM. François Carayon, sous-directeur, et Thierry Pellé, chef du bureau des retraites et des régimes spéciaux de la 6e sous-direction de la direction du budget au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie
Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la mission a procédé à l'audition de MM. François Carayon, sous-directeur, et Thierry Pellé, chef du bureau des retraites et des régimes spéciaux de la 6e sous-direction de la direction du budget au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie.
M. Alain Vasselle, président, a indiqué que la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) a souhaité consacrer un rapport à la problématique de la compensation démographique entre les régimes sociaux, ce qui témoigne de l'intérêt qu'elle porte à ce sujet. Le choix de désigner deux corapporteurs, l'un issu de l'opposition, M. Claude Domeizel, l'autre de la majorité sénatoriale, M. Dominique Leclerc, par ailleurs rapporteur pour la branche vieillesse de la commission des affaires sociales, confère une solennité particulière à ce contrôle parlementaire.
M. François Carayon a indiqué, à titre liminaire, que ses services se tiennent à l'entière disposition des parlementaires, puis il a exposé successivement l'origine, les grandes lignes et les principales données chiffrées sur les mécanismes de compensation.
Malgré l'esprit de l'ordonnance du 19 octobre 1945, qui reposait sur le principe d'unité de l'assurance vieillesse dans le cadre d'un système de retraite par répartition, le maintien de régimes distincts a finalement été admis dès les premières années d'après-guerre, avec la reconnaissance de la spécificité des régimes spéciaux puis des indépendants.
Le système français d'assurance vieillesse s'est construit progressivement sur une logique de solidarité, dans ses deux dimensions : solidarité entre générations et au sein des régimes, d'une part, solidarité à l'intérieur des régimes eux-mêmes, d'autre part.
Deux systèmes distincts de compensation se superposent aujourd'hui : la compensation généralisée, créée par la loi du 24 décembre 1974, puis la compensation spécifique, appelée généralement « surcompensation », qui a été instituée par la loi de finances pour 1986. Dans les deux cas, il s'agit de mécanismes de rééquilibrage financier entre régimes obligatoires visant à remédier aux inégalités démographiques et aux disparités de capacités contributives.
Ces dispositions trouvent leur origine commune à la fois dans la grande diversité des régimes existants et dans un choix de principe, effectué en 1945, en faveur d'un système de retraite par répartition, qui suppose un minimum de solidarité pour fonctionner. A titre d'illustration, les régimes des exploitants agricoles (606.000 cotisants pour 1,7 million de retraites de droits directs) et des mines (17.000 cotisants pour 217.000 retraites de droits directs, auxquels s'ajoutent 158.000 retraites de droits directs) ne pourraient exister sans bénéficier d'importants transferts financiers, en provenance des autres assurés sociaux.
La solidarité inter-régimes et interprofessionnelle repose sur des critères objectifs. On raisonne en effet sur la base d'un régime fictif unique couvrant l'ensemble de la population. Tous les bénéficiaires sont censés percevoir la même prestation, qualifiée de « prestation de référence ». Les contributions des cotisants sont appréciées par le biais d'un taux de cotisation déterminé de façon à équilibrer le régime. Dans ce cadre fictif, chacun des régimes prélève les cotisations du régime fictif et verse à ses bénéficiaires la prestation de référence. On dégage ainsi un solde de transfert de compensation qui permet d'identifier les différences de situation démographique et d'aboutir à une base de répartition équitable.
M. François Carayon a rappelé que la compensation démographique repose sur un système à plusieurs étages entre groupes de régimes de plus en plus homogènes.
La compensation généralisée rassemble les régimes de base comptant un effectif d'actifs cotisants et de retraités de droits directs de soixante-cinq ans et plus, au moins égal à 20.000 personnes. Il est procédé à un calcul en deux temps, d'abord entre les régimes de salariés pour un montant estimé à 2,896 milliards d'euros en 2006, ensuite entre les régimes de salariés et les régimes de non-salariés, pour un montant qui devrait atteindre 5,524 milliards d'euros en 2006. Il a observé, s'agissant de la première étape de calcul, que trois régimes (Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales [CNRACL], régime des fonctionnaires de l'Etat et régime général) assurent à eux seuls l'essentiel des flux au profit du régime des salariés agricoles (81 %) et du régime des mines (11 %). Il en va de même pour les transferts entre les salariés et les non-salariés qui sont financés par le régime général, le régime des fonctionnaires civils de l'Etat, la CNRACL et la Caisse nationale d'assurance vieillesse des professions libérales (CNAVPL).
La compensation spécifique est calculée sur la base d'un périmètre sensiblement différent, dans la mesure où il ne concerne que les régimes spéciaux ayant un effectif supérieur à 5.000 retraités de droits directs, âgés de soixante ans et plus. Ce mécanisme de solidarité, nettement plus accentué que le précédent, est justifié par la plus grande homogénéité des régimes concernés. En 2006, la surcompensation devrait porter au total sur des flux financiers d'un montant de 2,065 milliards d'euros, assurés pour l'essentiel par deux régimes (CNRACL et régime des fonctionnaires de l'Etat) au profit notamment, et là encore, du régime des mines (42 %), de la SNCF et des marins.
M. François Carayon a observé toutefois que ce mécanisme a été placé en extinction progressive, sur une période de huit ans, entre 2004 et 2012, conformément à la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites.
Sur la réforme des critères de compensation intervenue à l'automne 2002, il a estimé que la prise en compte des prestations du fonds de solidarité vieillesse (FSV) a permis de s'approcher davantage de la réalité des charges et des ressources effectives des régimes. Il s'agissait d'actualiser le mécanisme conçu en 1974, en tirant les conséquences de la création du FSV, intervenue en 1993. Il a souligné que cette modification technique avait été proposée par le rapport de MM. Yves Ullmo et Louis-Paul Pelé de 2001 et évoquée dans le rapport du Conseil d'orientation des retraites (Cor) de décembre 2001.
Après avoir rappelé qu'il s'exprime devant les parlementaires en sa qualité de fonctionnaire de l'Etat et qu'il n'est évidemment pas en mesure de porter une quelconque appréciation ayant une portée politique, M. François Carayon a estimé, d'un point de vue technique, qu'il convient de tirer des enseignements du rapport Pelé - Normand de 2004, en examinant trois pistes de réflexions mises en avant par ce document :
- en premier lieu, la prise en compte des durées moyennes de cotisation pour le décompte des effectifs de retraités de chaque régime afin d'éviter, comme aujourd'hui, tout à la fois la prise en compte des doubles comptes et l'absence de proportionnalité avec la durée réelle de cotisation ;
- en second lieu, l'intégration dans l'effectif des cotisants des bénéficiaires de l'assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF), dont les cotisations sont prises en charge par la Caisse nationale d'allocations familiales (Cnaf), pour se rapprocher des capacités contributives effectives des régimes ;
- enfin, la consolidation du régime des salariés agricoles avec le régime général pour le calcul des transferts de compensation.
M. Dominique Leclerc, rapporteur, a souligné, en faisant notamment allusion aux travaux du groupe de travail présidé par M. Jean-François Chadelat, qu'au-delà des grands discours sur la compensation, il importe avant tout que les responsables politiques aient une version claire de son mode de fonctionnement, ce qui est loin d'être facile.
Après avoir rappelé que l'article 7 de la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites avait précisément pour objet de renforcer les pouvoirs de la commission de compensation pour améliorer la transparence des processus de compensation démographique, M. Dominique Leclerc, rapporteur, a vivement regretté que le décret d'application nécessaire à l'entrée en vigueur de ces dispositions ne soit toujours pas publié. Il a considéré que la réforme des paramètres de compensation intervenue à l'automne 2002 n'avait pas été transparente, comme l'avait d'ailleurs fait observer à l'époque le président de la commission de compensation, M. Bernard Zuber. Cette mesure, prise discrètement par voie réglementaire, s'est avant tout traduite par un net accroissement des charges du régime général, et corrélativement par une économie substantielle pour le budget de l'Etat.
Il s'est demandé également quel devrait être le coût pour l'Etat de la disparition progressive sur une durée de huit ans, entre 2004 et 2012, de la surcompensation.
Evoquant ensuite le rapport Pelé - Normand de 2004 d'une part, les travaux du groupe de travail présidé par M. Jean-François Chadelat, d'autre part, M. Dominique Leclerc, rapporteur, a estimé que la très grande sensibilité des paramètres de la compensation rend extrêmement difficile toute réforme, même d'envergure modeste. Il a fait part de sa préoccupation à l'égard de la demande insistante des instances du Fonds de financement des prestations sociales des non-salariés agricoles (Ffipsa) tendant à revoir à leur profit les règles de la compensation. Or, les exploitants et les salariés agricoles bénéficient déjà actuellement, au total, de 6 milliards d'euros de transferts provenant des autres régimes : dans ces conditions, on peut se demander si les limites des efforts demandés aux régimes contributeurs ne sont pas atteintes. Au surplus, les autres régimes, à commencer par la Cnav et la CNRACL, ne disposent d'aucune marge de manoeuvre pour satisfaire cette demande dans la mesure où leurs comptes sont d'ores et déjà très fragiles ou même déficitaires.
Après s'être interrogé sur les contours de la notion de solidarité, par ailleurs largement sollicitée, voire librement interprétée par tous les régimes participant à la compensation démographique, il a insisté sur l'importance des données démographiques. Il s'est demandé ainsi quel pourrait être l'avenir à moyen et long termes de la compensation démographique, dans la mesure où, d'ici à vingt ans, tous les régimes enregistreront des déficits importants, ainsi qu'un rapport cotisant - retraité très défavorable.
M. Claude Domeizel, rapporteur, a souhaité savoir si l'Etat n'est pas parvenu, sur une longue période, à se libérer substantiellement de ses engagements à l'égard des organismes de protection sociale et ce, en revisitant régulièrement à son profit les règles de compensation.
Il s'est demandé par ailleurs si certains de ces régimes peuvent même être qualifiés encore de régimes par répartition, compte tenu de leur structure de financement faisant très majoritairement appel à des transferts financiers provenant de l'extérieur. Il a considéré qu'un régime comme celui des mines a été placé en extinction à la suite d'une décision de politique industrielle et qu'en conséquence, il conviendrait de considérer que la charge des retraites des mineurs relève de la solidarité nationale, et donc soit mise à la charge du budget de l'Etat. Il semblerait ainsi logique que la caisse des mines soit placée en dehors des calculs de compensation.
Faisant référence à un article récent paru dans un grand quotidien, M. Alain Vasselle, président, a souhaité savoir s'il est vraiment concevable que la population adulte de la France compte trois retraités pour un cotisant à l'horizon 2050.
M. Claude Domeizel, rapporteur, a observé que le calcul des soldes de compensation apparaît de plus en plus artificiel, car il ne tient pas compte des évolutions récentes de l'assurance vieillesse, à commencer par l'adossement des industries électrique et gazière, l'intégration de la caisse des cultes au régime général ou la création du régime social des indépendants. Dans ces conditions, le risque est grand de raisonner sur des données théoriques très éloignées de la réalité.
M. François Carayon a confirmé, sur la base des projections du Cor, le caractère inéluctable des tendances démographiques à moyen et long termes affectant la structure de la population française, en infirmant toutefois les chiffres diffusés par la presse auxquels M. Alain Vasselle faisait référence : alors qu'aujourd'hui notre pays ne compte « que » quatre personnes âgées de plus de soixante ans pour dix personnes d'âge actif (entre vingt et soixante ans), ce rapport serait de huit pour dix en 2050. Pour autant, il a estimé que, même dans ce contexte démographique dégradé, les mécanismes de compensation conserveraient leur légitimité, dans la mesure où ils comprennent manifestement une dimension redistributive.
M. Alain Vasselle, président, s'est demandé toutefois si les limites de la solidarité inter-régimes ne seront pas inévitablement dépassées à l'avenir, dans la mesure où dès aujourd'hui, les régimes contributeurs sont à la fois peu nombreux et fortement sollicités.
M. François Carayon a estimé qu'il appartiendra nécessairement au législateur, en particulier à l'occasion des prochaines clauses de rendez-vous de la réforme des retraites, d'apprécier les limites éventuelles à apporter à la solidarité entre les différentes catégories d'assurés sociaux. Il a par ailleurs observé que des mécanismes de compensation existent non seulement entre les régimes de base, mais aussi à l'intérieur des régimes complémentaires, et notamment entre l'Association générale des institutions de retraite des cadres (Agirc) et l'Association des régimes de retraite complémentaire (Arrco).
M. Claude Domeizel a souhaité savoir pourquoi le décret d'application de l'article 7 de la réforme des retraites, tendant à renforcer le pouvoir de la commission de compensation, n'est toujours pas paru et ce, trois ans après la promulgation de la loi.
M. François Carayon a indiqué que le processus interministériel d'élaboration de ce texte réglementaire a effectivement pris du retard, et que celui-ci n'est pas imputable au ministère de l'économie et des finances. Cette situation dommageable devrait prochainement prendre fin.
Il a souligné par ailleurs que l'Etat reste l'un des principaux contributeurs, à hauteur de 22 % des montants collectés dans le cadre de la compensation et de 20 % pour la surcompensation. De même, la suppression progressive de la surcompensation se traduira in fine par une dépense supplémentaire de l'ordre de 1,5 milliard d'euros pour l'Etat. Il a ainsi réfuté toute idée de désengagement de la puissance publique. Il a ensuite fait valoir l'intérêt de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), qui a permis la création d'une nouvelle mission, intitulée « Régimes sociaux et de retraite » et consacrée au suivi des grands régimes spéciaux de retraite.
M. Dominique Leclerc, rapporteur, a précisé, à ce propos, qu'il avait adressé en janvier dernier une lettre au ministre du budget, reprenant les demandes de la commission des affaires sociales tendant à améliorer la pertinence des indicateurs choisis. Ce courrier, cosigné par le président Nicolas About, est malheureusement resté sans réponse à ce jour.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe a souhaité disposer de ratios détaillés sur la structure des dépenses des différents régimes de retraite, notamment pour apprécier les frais de gestion.
M. Dominique Leclerc, rapporteur, a souligné l'extrême sensibilité des paramètres de compensation et réaffirmé, s'agissant des pensions civiles et militaires de l'Etat, les demandes anciennes de la commission des affaires sociales, visant à créer à terme une véritable caisse de retraite de la fonction publique de l'Etat.
M. Alain Vasselle, président, a rappelé que la loi n° 74-1034 du 24 décembre 1974 prévoyait une compensation intégrale de la charge de compensation pour le régime général, par le biais de droits sur les alcools. Il a souhaité savoir quand la Cnam a été privée de cette ressource et si la Cnav bénéficiait aussi d'une ressource de ce type.
M. François Carayon a indiqué que ses services effectuent des recherches dans les archives pour répondre à ces interrogations et qu'ils ont demandé des renseignements complémentaires à la direction de la sécurité sociale.
M. Dominique Leclerc, rapporteur, a constaté que la problématique de la compensation apparaît très complexe et nécessitera, pour la Mecss, un travail approfondi, ainsi qu'un effort de présentation pédagogique, qui supposera éventuellement des auditions complémentaires.
Audition de M. Christian Cardon, président de la commission de compensation
Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la mission a procédé à l'audition de M. Christian Cardon, président de la commission de compensation.
En guise d'introduction, M. Christian Cardon, président de la commission de compensation, a indiqué que les réserves formulées dans le rapport Pelé-Normand de juillet 2004 sur le manque de fiabilité des éléments de calcul de la compensation restent encore aujourd'hui valables, et ce pour trois raisons.
En premier lieu, tous les régimes ne connaissent pas avec précision leurs effectifs. A titre d'exemple, ceux du régime général sont simplement estimés à partir des statistiques de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), après déduction des effectifs des autres régimes.
Ensuite, toutes les caisses ne sont pas en mesure de déterminer le nombre de leurs cotisants en « équivalents carrière complète », pour les personnes ayant cotisé dans plusieurs régimes différents, ni même le montant de leur masse salariale plafonnée, ou encore le détail des périodes cotisées de leurs adhérents. Même s'ils devront prochainement améliorer leur outil statistique, conformément aux dispositions de la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites, ces régimes ne connaîtront pour autant jamais avec exactitude le décompte de ces périodes pour les assurés ayant déjà liquidé leur retraite en 2004.
Abordant ensuite la question de l'extrême sensibilité des paramètres de la compensation dont le rapport Pelé-Normand fait état, M. Christian Cardon a estimé qu'elle a trois origines. En premier lieu, le mécanisme même de la compensation, consistant à faire entrer tous les assurés sociaux dans un seul grand régime de retraite fictif, n'est assorti d'aucun système d'écrêtement. En second lieu, l'importance des effectifs et des montants financiers en cause est telle, que de faibles évolutions en pourcentage suffisent pour provoquer des transferts très élevés, se chiffrant en millions d'euros supplémentaires à verser ou à recevoir par les régimes concernés. Enfin, les paramètres de la compensation peuvent subir des évolutions d'une ampleur considérable en peu de temps. A titre d'exemple, le nombre des cotisants du régime des exploitants agricoles a brutalement chu de 20.000 unités entre 2005 et 2006.
Ces trois facteurs conjugués rendent aléatoire tout processus de réforme : certains régimes bénéficiaires de la compensation une année peuvent ainsi devenir débiteurs l'année suivante. En fait, les simulations accompagnant chaque hypothèse de réforme envisageable ne sont réellement valables que pour l'année où elles ont été établies ; au-delà, l'incertitude est très grande.
Puis M. Christian Cardon a évoqué la réforme des critères de compensation intervenue à l'automne 2002, rappelant qu'elle avait consisté à prendre en compte les chômeurs dont les cotisations sont financées par le fonds de solidarité vieillesse (FSV). Cette réforme n'avait pas été approuvée, en son temps, par la commission de compensation, mais elle a été considérée, a posteriori, par la Cour des comptes, dans son rapport public sur la sécurité sociale de septembre 2003, comme cohérente « avec la pratique actuelle qui ne distingue pas dans les ressources des régimes ce qui relève des cotisations et ce qui relève des financements extérieurs dont ils bénéficient ».
En réalité, l'opposition exprimée par la commission de compensation obéissait à différents motifs, tenant aussi bien aux conditions dans lesquelles cette modification était intervenue (son président d'alors, M. Zuber, se plaignant d'avoir découvert cette réforme a posteriori), qu'à des raisons de fond, dans la mesure où celle-ci apparaissait très défavorable au régime général.
A la question de savoir s'il convient de renforcer les pouvoirs de la commission de compensation, M. Christian Cardon a répondu que les dispositions de l'article 7 de la loi portant réforme des retraites apparaissent à ses yeux suffisantes, sous réserve toutefois que les décrets d'application prévus soient effectivement pris. Or, la rédaction desdits décrets est achevée depuis plusieurs mois, mais leur publication se heurte, semble-t-il, à une opposition du ministère de l'agriculture, qui porterait sur des points marginaux.
Invité ensuite à préciser les raisons pour lesquelles, de 1994 à 2002, la prestation de référence avait été calculée contre l'avis de la commission de compensation, M. Christian Cardon a rappelé qu'à compter de la création du FSV, les soldes de compensation ont pris en compte, dans l'établissement de la prestation de référence, les majorations pour enfant. La réforme de l'automne 2002 comportait, par ailleurs, deux volets contradictoires, en supprimant ces prestations de l'assiette de calcul tout en intégrant, à l'inverse, les cotisations et les effectifs des chômeurs parmi les paramètres. Là encore, la commission de compensation avait fait part de son désaccord : la cohérence aurait voulu que ces deux séries de données soient ou bien intégrées, ou retirées ensemble du mode de calcul, au lieu de se succéder dans le temps.
Poursuivant son exposé, M. Christian Cardon a confirmé que les propositions du rapport Pelé-Normand tendant, d'une part, à la mise en place d'une double procédure de contrôle, d'autre part, à la modification du calendrier habituel de travail de la commission de compensation, n'ont pas été mises en oeuvre. Néanmoins, la première de ces préconisations pourrait connaître un début d'application dans le cadre de la nouvelle procédure de certification des comptes de la sécurité sociale : il devrait être possible, en effet, de demander aux certificateurs de vérifier l'exactitude des éléments de calcul utilisés pour la compensation. La question de la modification du calendrier de travail de la commission de compensation continue, en revanche, de se heurter à la difficulté que rencontrent encore certains régimes pour fournir, dans les délais nécessaires, les indications qui leur sont demandées, notamment celui des fonctionnaires civils de l'Etat.
Evoquant ensuite la constitution d'un « Manuel du technicien », M. Christian Cardon a indiqué que des questionnaires ont été envoyés par le secrétariat de la commission des comptes, auxquels les régimes ont répondu en début d'année. Un groupe de travail ad hoc examinera prochainement les différences existant entre les méthodes utilisées et appréciera l'opportunité de définir les bonnes pratiques à suivre. Cette période d'évaluation, qui s'étendra d'octobre 2006 à juin 2007, doit déboucher sur l'élaboration de ce « Manuel du technicien » pour octobre 2007.
Interrogé par M. Claude Domeizel, rapporteur, sur la question de savoir si l'on peut parler d'un dévoiement au fil du temps de la compensation démographique créée par la loi de 1974, M. Christian Cardon a clairement répondu par la négative. Le mécanisme s'applique bel et bien aujourd'hui, tel que le législateur l'avait originellement prévu. Le rapport Pelé-Normand n'a fait que mettre en lumière et proposer de corriger certaines insuffisances apparues dès 1974.
Puis M. Dominique Leclerc, rapporteur, a souhaité connaître la position de M. Christian Cardon sur l'avenir de la compensation démographique dans un contexte où, d'ici à vingt ans, tous les régimes enregistreront des déficits élevés et présenteront un rapport cotisants-retraités très défavorable.
M. Christian Cardon a rappelé que la compensation est rendue indispensable par la grande disparité de rapport entre les nombres des cotisants et des retraités des différents régimes de retraite. Il s'agit de corriger les déséquilibres insurmontables nés de ces inégalités. Ces mécanismes resteraient nécessaires, même s'ils devaient s'appliquer à des régimes tous devenus déficitaires, dans la mesure où leur objet premier vise à compenser les effets de situations démographiques différentes.
Cependant, on assiste actuellement, bon an mal an, à une convergence des régimes de retraite entre eux, renouant ainsi sur le long terme avec une perspective d'unification progressive de la branche vieillesse de la sécurité sociale, conformément à ce qui était l'objectif initial du législateur en 1945. A ce titre, il a cité à la fois l'harmonisation partielle, dans le cadre de la réforme de 2003, des règles des régimes alignés sur le régime général, les adossements de certains régimes spéciaux sur le régime général et la fusion de l'Organisation autonome nationale de l'industrie et du commerce (Organic) et de la Caisse autonome nationale de compensation des assurances vieillesse artisanale (Cancava).
Sollicité par M. Claude Domeizel, rapporteur, notamment sur les travaux du groupe de travail, présidé par M. Jean-François Chadelat, relatif à l'avenir du financement du fonds de financement des prestations sociales des non-salariés agricoles (Ffipsa), et sur le caractère réformable du mécanisme de compensation en général, M. Christian Cardon s'est déclaré relativement optimiste, estimant qu'il existe des marges d'amélioration possibles pour la compensation, même si celles-ci sont faibles.
En premier lieu, une partie des obstacles cités par le rapport Pelé-Normand concernant la fiabilité des données devrait être levée progressivement grâce aux dispositions de la « loi Fillon » obligeant, dans un proche avenir, les régimes à échanger les informations relatives à leurs cotisants. Ensuite, les travaux du système national d'information interrégimes de l'assurance maladie (Sniiram) et du répertoire national interrégimes des bénéficiaires de l'assurance maladie (RNIAM) permettront de mieux connaître d'ici à quatre ou cinq ans les effectifs des bénéficiaires de consommations médicales, ainsi que le montant de ces consommations. La prise en compte de ces paramètres rendrait possible une réforme de la compensation « maladie », en tenant compte des consommations par tranches d'âge. Mais cette réforme, réclamée par la Mutualité sociale agricole (MSA), est fortement critiquée par les régimes salariés, au premier chef desquels le régime général.
Dernier élément de réforme permettant d'améliorer les mécanismes de compensation, l'intégration des salariés agricoles dans le régime général pourrait être réalisée immédiatement, suivant les préconisations de la Cour des comptes. Cette solution n'a pas non plus été mise en oeuvre jusqu'à présent, car elle coûterait cher à l'Etat.
M. Christian Cardon a reconnu cependant qu'aucune des solutions qu'il préconise n'est à la hauteur du problème de financement présenté aujourd'hui par le Ffipsa. Les seules méthodes permettant d'enrayer le creusement du déficit de ce fonds seraient soit l'affectation d'une taxe spécifique à fort rendement, soit le versement d'une contribution budgétaire à laquelle le ministère des finances ne saurait évidemment que difficilement se résoudre.
M. Claude Domeizel, rapporteur, a ensuite souhaité connaître la perception qu'a la commission de compensation de son rôle, compte tenu du mouvement général d'intégration des dernières années. Il s'est demandé si la poursuite de cette tendance n'aboutissait pas, in fine, à créer le grand régime unique qui était l'objectif du législateur en 1945.
En réponse, M. Christian Cardon s'est déclaré optimiste en constatant que la branche vieillesse semble effectivement se diriger, sur le long terme, vers une sorte d'unification qui faciliterait grandement le fonctionnement de la compensation. Pour autant, toutes les conséquences de cette évolution n'ont pas été tirées. En particulier, il aurait fallu, contrairement à ce qui a été décidé, intégrer les régimes adossés au régime général pour le calcul du mécanisme de compensation. Mais il n'a pas été possible d'aller jusqu'au bout de cette logique, dans la mesure où des conséquences financières très négatives pour le régime général en auraient résultées. En réponse à M. Alain Vasselle, président, sur le lien éventuel entre une réforme du mécanisme de compensation et une amélioration de la situation de la branche vieillesse, il a estimé que les deux questions n'entretiennent pas de lien entre elles. Il a indiqué que les difficultés éprouvées par la branche vieillesse sont liées à l'évolution démographique du pays et au ralentissement de la croissance de la productivité et de la richesse nationale. La recherche de solutions visant à préserver l'équilibre des régimes de vieillesse supposera, tôt ou tard, de durcir les conditions d'obtention des retraites.
En réponse à M. Dominique Leclerc, rapporteur, M. Christian Cardon a insisté sur le fait que la commission de compensation n'est pas en situation de pouvoir proposer elle-même des réformes. Cette incapacité s'explique par sa nature même, puisqu'elle est tout à la fois un lieu d'expertise technique et de discussions de type « syndical », où tous les régimes sont représentés. S'il lui est possible d'expertiser les propositions qui lui sont soumises sur le plan technique, la commission ne peut jamais parvenir à un accord du fait de l'extrême diversité des intérêts qui s'y expriment. Ce sont ces caractéristiques spécifiques qui expliquent que les questions relatives au financement du Ffipsa aient dû être traitées par une structure ad hoc, le groupe présidé par M. Jean-François Chadelat, et non par la commission de compensation.
M. Claude Domeizel, rapporteur, s'est étonné de ce que la commission de compensation ne cherche pas à analyser les distorsions pouvant exister entre, d'une part, certains régimes contributeurs à la compensation, d'autre part, ceux qui en sont bénéficiaires tout en offrant à leurs cotisants une qualité de prestations supérieure. De même, on constate que certaines caisses bénéficiaires de la compensation présentent des charges de fonctionnement élevées ou se trouvent à la tête d'un patrimoine de grande valeur.
M. Christian Cardon a confirmé qu'il n'entre pas dans les attributions de la commission de compensation de se livrer à ce type de constats, qui ne sont de toute façon pas pris en compte pour le calcul de la compensation démographique. Il a cependant reconnu que les caisses complémentaires semblent plus attentives à leurs coûts de gestion et à l'équilibre financier à long terme des régimes qu'elles gèrent.