- Mardi 17 janvier 2006
- Audition de M. Jean-Luc Belingard, porte-parole du G5 et président du laboratoire Ipsen, et de M. Jean Deregnaucourt, conseiller scientifique du président des laboratoires Pierre Fabre
- Audition de M. Georges-Alexandre Imbert, président de l'association d'aide aux victimes des accidents et maladies liés aux risques des médicaments (AAAVAM)
Mardi 17 janvier 2006
- Présidence de M.Gilbert Barbier, président -Audition de M. Jean-Luc Belingard, porte-parole du G5 et président du laboratoire Ipsen, et de M. Jean Deregnaucourt, conseiller scientifique du président des laboratoires Pierre Fabre
La mission d'information a procédé à l'audition de M. Jean-Luc Belingard, porte-parole du G5 et président du laboratoire Ipsen, et de M. Jean Deregnaucourt, conseiller scientifique du président des laboratoires Pierre Fabre.
M. Jean-Luc Belingard a indiqué que le G5 est une association qui regroupe les laboratoires pharmaceutiques d'origine française. A l'origine, cette association regroupait cinq membres (les sociétés Sanofi-Aventis, Pierre Fabre, Servier, Ipsen et Fournier) ; elle n'en compte aujourd'hui plus que quatre depuis que le laboratoire Fournier a été racheté par la société Solvay. En France, ces laboratoires représentent 40.000 des 100.000 emplois du secteur pharmaceutique, dont 11.000 collaborateurs dans les secteurs de la recherche et du développement (R&D).
L'industrie pharmaceutique mondiale compte quatre acteurs principaux : les Etats-Unis, le Japon, la Grande-Bretagne et la France. La France se caractérise par l'importance de son marché pharmaceutique et par une culture médico-scientifique très forte.
Les membres du G5, dans un contexte de forte internationalisation, considèrent la France comme une plate-forme de développement dotée d'atouts importants et ils envisagent de poursuivre une politique d'investissement soutenue même si certaines mesures, comme la taxe exceptionnelle prévue dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2006, ne sont pas favorables à l'industrie du médicament.
Mme Anne-Marie Payet, rapporteur, s'est interrogée sur le rôle que jouent les visiteurs médicaux dans l'information des médecins, sur la transparence des informations communiquées aux professionnels de santé en matière d'effets indésirables et sur l'état d'application de la charte de la visite médicale conclue entre les laboratoires pharmaceutiques et les pouvoirs publics.
M. Jean-Luc Belingard a observé que, dans le contexte actuel, les conditions d'utilisation des médicaments et le rôle des visiteurs médicaux sont critiqués. Il a rappelé que l'action de ces derniers est régie par la charte de la visite médicale qui reconnaît un rôle de formateur aux visiteurs médicaux, notamment dans le domaine de l'innovation thérapeutique.
La documentation qui est diffusée auprès des médecins est strictement encadrée et fait l'objet d'un contrôle rigoureux et strict de la part de l'Afssaps au travers de sa commission chargée du contrôle de la publicité et de la diffusion des recommandations sur le bon usage des médicaments.
Mme Anne-Marie Payet, rapporteur, s'est interrogée sur la possibilité d'avoir recours à la formation médicale continue obligatoire pour renforcer l'information des médecins en matière de sécurité sanitaire.
M. Gilbert Barbier, président, a demandé si le contrôle de l'Afssaps est exercé de façon sévère et s'il est appliqué également aux questions relatives à l'appréciation du service médical rendu par un médicament.
M. François Autain a précisé que ce contrôle est exercé a priori pour les informations diffusées en direction des usagers et a posteriori pour celles destinées aux médecins.
M. Jean-Luc Belingard a indiqué que, du point de vue des laboratoires pharmaceutiques, ce contrôle est exercé de manière stricte et rigoureuse. L'Afssaps émet des avis (remarques, mise en alerte, interdictions) qui peuvent être assortis de sanctions financières en cas d'infractions aux règles de la publicité sur les produits de santé.
Il a rappelé que le service médical rendu (SMR) des produits de santé est évalué par la commission de la transparence et qu'il s'agit d'une procédure distincte de la délivrance de l'autorisation de mise sur le marché. L'évaluation du SMR est un critère déterminant pour la fixation du prix d'un médicament par le comité économique des produits de santé, ce qui constitue une forme de sanction pour les produits dont le SMR est faible par rapport à la thérapeutique existante. La charte de la visite médicale impose aux visiteurs médicaux de diffuser l'information relative au SMR d'un médicament. Il a précisé que les visiteurs médicaux informent les médecins des effets indésirables connus, susceptibles d'être provoqués par un médicament.
Il a observé qu'aucun autre grand pays ne dispose d'un système technico-réglementaire aussi précis pour encadrer l'activité des visiteurs médicaux.
Il a estimé qu'une réflexion sur la formation des médecins est une piste à explorer pour améliorer le bon usage des médicaments car, d'une part, la formation initiale ne laisse pas une place suffisamment importante aux questions thérapeutiques, d'autre part, la formation médicale continue est pour le moment insuffisamment développée alors que les connaissances médico-scientifiques sont en constante évolution.
Il a considéré que la commission d'AMM et la commission de la transparence font preuve d'une indépendance totale à l'égard de l'industrie pharmaceutique.
M. Gilbert Barbier, président, a voulu connaître les règles de recrutement et de rémunération des visiteurs médicaux.
M. Jean-Luc Belingard a indiqué qu'il existe un diplôme universitaire spécialisé et qu'en général les laboratoires pharmaceutiques privilégient les étudiants issus de cette filière. Après leur recrutement, ils suivent une formation interne dont la durée est variable suivant les entreprises. Leur rémunération est constituée d'une part fixe et d'une part variable, cette dernière pouvant représenter un tiers du revenu d'un délégué médical. Le montant de cette part variable est déterminé par chaque laboratoire.
Les visiteurs médicaux sont regroupés en réseau, par équipe de huit à douze, et encadrés par un superviseur. Leurs connaissances scientifiques sont régulièrement contrôlées par l'intermédiaire de « stages qualifiants » et un contrôle continu des connaissances est pratiqué au moyen d'outils informatiques.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur, s'est interrogée sur le rôle que peuvent jouer les études post-autorisation de mise sur le marché (post-AMM) pour renforcer la sécurité des patients, ainsi que sur les conditions de prise en charge financière de ces études.
Mme Anne-Marie Payet, rapporteur, a voulu connaître les motifs pour lesquels un laboratoire, ou une institution publique, ont recours à une étude post-AMM.
M. Jean Deregnaucourt a précisé que les études menées sur une modification de posologie ou de nouveaux usages d'un médicament ne relèvent pas de la catégorie des études post-AMM. Cette dernière comporte deux types d'études : celles engagées par les industriels afin de permettre l'apprentissage de la manipulation des nouvelles thérapeutiques par les professionnels (études de phase IV) et celles demandées par l'Afssaps, la Haute autorité de santé (commission de la transparence), la direction générale de la santé (DGS) ou le comité économique des produits de santé. Les thèmes de ces études sont retenus en fonction des objectifs propres de ces structures. Par exemple, la DGS peut s'interroger sur l'impact d'un produit sur l'organisation de l'offre si cette nouvelle thérapeutique est susceptible d'éviter un recours à l'hospitalisation. Il a rappelé que les protocoles scientifiques de ces études post-AMM sont fixés par le demandeur.
Il a indiqué que l'agence européenne du médicament (EMEA) souhaite que les laboratoires développent une nouvelle politique de gestion du risque, dont les études post-AMM seront un élément central.
Il s'est prononcé en faveur de la création d'un comité de liaison des études post-AMM afin de centraliser et de regrouper les demandes émises par les autorités sanitaires.
M. François Autain a voulu connaître le nombre d'études d'ores et déjà entamées.
M. Jean Deregnaucourt, a indiqué qu'environ quarante études post-AMM sont en cours. Les premiers résultats ne sont pas encore disponibles, car leur réalisation ne peut être menée à bien en moins de deux ans.
M. François Autain a voulu savoir dans quelles circonstances les laboratoires choisissent de recourir à des essais cliniques plutôt qu'à des essais comparatifs.
M. Jean Deregnaucourt a précisé que lorsqu'il existe déjà un médicament d'une même classe thérapeutique, l'éthique interdit de recourir à des essais avec placebo. La pratique doit être de comparer le nouveau médicament avec ceux qui existent déjà.
Mme Anne-Marie Payet, rapporteur, a demandé si les experts de l'Afssaps et de la commission de la transparence peuvent véritablement être indépendants par rapport à l'industrie pharmaceutique. Elle a voulu savoir dans quelles circonstances les laboratoires sont susceptibles de recourir à des experts.
M. Jean-Luc Belingard a indiqué qu'il existe au niveau mondial deux types de système pour le recours à l'expertise : le recours à des experts internes, c'est le cas de la Food and Drugs administration (FDA) aux Etats-Unis, ou une solution mixte, par appel à des experts internes et externes. Le système français se classe dans cette deuxième catégorie et ce choix d'organisation a été effectué par la quasi-totalité des pays membres de l'EMEA.
Il a rappelé que l'Afssaps a mis en place un système de déclaration destiné à éviter les conflits d'intérêts lorsque les experts sont appelés à intervenir pour le compte des pouvoirs publics et qu'en outre, il existe une commission de déontologie.
Il a insisté sur le fait que cette double compétence acquise par les experts qui interviennent successivement pour le compte des autorités publiques et des laboratoires pharmaceutiques est bénéfique pour la qualité de l'expertise, car elle permet à ces intervenants de se tenir au courant des dernières évolutions scientifiques.
M. François Autain a souhaité connaître le montant que consacrent chaque année les laboratoires pharmaceutiques à la recherche - développement et au marketing, ainsi que les résultats financiers obtenus.
M. Jean-Luc Belingard a indiqué que les laboratoires membres du G5 consacrent, chaque année 4,5 milliards d'euros aux activités de recherche et développement. Il a précisé que le laboratoire qu'il dirige, la société Ibsen, augmente plus rapidement les dépenses consacrées à la R&D que celles affectées à la promotion.
M. Jean Deregnaucourt a précisé que les investissements en R&D des laboratoires Pierre Fabre vont croître de 17 % cette année.
Audition de M. Georges-Alexandre Imbert, président de l'association d'aide aux victimes des accidents et maladies liés aux risques des médicaments (AAAVAM)
La mission d'information a ensuite procédé à l'audition de M. Georges-Alexandre Imbert, président de l'association d'aide aux victimes des accidents et maladies liés aux risques des médicaments (AAAVAM).
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur, a demandé quel rôle peuvent respectivement jouer les médecins, les associations d'usagers et les usagers eux-mêmes pour optimiser le fonctionnement du système de pharmacovigilance.
M. Georges-Alexandre Imbert a indiqué qu'ayant reçu plus de 5.000 plaintes de victimes depuis sa création en 1992, l'AAAVAM a pu mesurer la réticence des victimes et de leurs ayants droit à signaler un accident médicamenteux en remplissant un questionnaire de pharmacovigilance. Cette réticence est principalement le fait de pressions morales et parfois physiques exercées par les médecins sur les patients. Il a considéré à cet égard que les médecins ne reconnaissent pas les effets indésirables des médicaments et ne veulent pas engager leur responsabilité sur ce terrain.
Il s'est déclaré très favorable au renforcement du rôle des usagers et des associations de patients dans le système de pharmacovigilance, à condition d'éviter qu'une trop forte médiatisation des accidents médicamenteux ne jette le discrédit sur l'ensemble du monde médical.
Il a estimé que le système actuel de pharmacovigilance, placé sous le contrôle de l'agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), également chargée de délivrer les autorisations de mise sur le marché (AMM), ne peut fonctionner correctement. Seules, des études indépendantes, réalisées par des pharmacologues n'ayant pas de lien d'intérêt avec les laboratoires pharmaceutiques, peuvent réellement permettre de mesurer les risques des médicaments.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur, a indiqué que les effets indésirables sont inhérents à la prise de médicaments, notamment lorsqu'il s'agit de traitements lourds comme la chimiothérapie, et que ces effets sont souvent acceptés par les patients lorsque le traitement est la seule voie possible de guérison.
Mme Anne-Marie Payet, rapporteur, a demandé comment les médecins et les pharmaciens participent à l'information des patients sur le bon usage des médicaments, le respect des posologies et la durée des traitements.
M. Georges-Alexandre Imbert a considéré que les informations délivrées aux patients sont difficilement fiables lorsque l'ordonnance comprend plus de deux médicaments, les effets indésirables étant souvent imprévisibles au-delà.
Il a regretté, à cet égard, l'attitude des patients pour lesquels une ordonnance qui comporte peu de produits n'est pas efficace. Il a estimé que le déremboursement de médicaments peu actifs est une erreur, dans la mesure où ces produits permettent aux praticiens de rallonger la prescription sans danger pour le malade. Il a enfin fait valoir qu'il est difficile de délivrer une information rationnelle à un patient qui souhaite guérir par tous les moyens et suit un traitement de quinze et parfois vingt-cinq médicaments actifs. Ces situations aboutissent souvent à des accidents médicamenteux catastrophiques. Il a souhaité que les prescriptions excessives entraînent des sanctions pour les médecins qui en sont responsables. Il a fait observer, d'ailleurs, que les ordonnances qui comportent plus de dix remèdes ne sont pas toujours le fait de médecins de ville, mais également souvent de services hospitaliers.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur, a souhaité que la mission dispose d'informations de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnam) sur ce point.
S'agissant des dossiers reçus par l'association, M. Georges-Alexandre Imbert a indiqué que plusieurs concernent les médicaments prescrits au moment de la ménopause, comme l'Agreal, pour lequel il n'est pas précisé qu'il s'agit d'un neuroleptique, ainsi que les médicaments contre le cholestérol, dont le meilleur exemple est l'affaire Bayer. En revanche, peu de témoignages - 150 chaque année - existent sur les suicides médicamenteux. Quelques dossiers concernent également le Roacutène, qui font état de problèmes cardio-vasculaires et de maxillaires rongés. Enfin, environ 200 dossiers portent sur les effets indésirables du Vioxx : 30 % des cas se sont soldés par un décès. Parmi les dossiers reçus par l'AAAVAM, l'Afssaps n'a confirmé que 70 cas, dans la mesure où les 130 autres n'ont pas rempli de fiche de pharmacovigilance. Dans de nombreux cas, toutefois, les personnes décédées étaient âgées et de santé fragile ; le médicament a alors accéléré, mais n'a pas provoqué directement, leur mort.
M. François Autain s'est étonné du faible nombre de dossiers relatifs au Vioxx par rapport à la médiatisation importante qui a accompagné son retrait du marché. Il a demandé si les médicaments plus anciens, qui ont fait leurs preuves, sont moins dangereux pour les patients.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur, a remarqué à cet égard que l'aspirine ne serait probablement pas commercialisée à l'heure actuelle. Elle a demandé si l'association vérifie le respect de la posologie par le patient lorsqu'elle reçoit un dossier de pharmacovigilance.
M. Georges-Alexandre Imbert a précisé que les fiches de pharmacovigilance sont transmises à l'Afssaps qui choisit de mener, ou non, une enquête. Si l'association l'estime nécessaire, elle conseille également au patient de contacter un médecin-conseil et un avocat.
Mme Anne-Marie Payet, rapporteur, a demandé si la création de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (Oniam) permet la prise en charge de l'indemnisation des victimes d'accidents médicamenteux. Elle a également interrogé M. Georges-Alexandre Imbert sur l'évolution des accidents médicamenteux, des contentieux qui les accompagnent et des réparations qui sont versées aux victimes.
M. Georges-Alexandre Imbert a indiqué que, depuis la création des commissions régionales de conciliation et d'indemnisation de l'Oniam, dans lesquelles siège l'AAAVAM, la situation ne s'est guère améliorée dans la mesure où les médecins décident seuls et que les magistrats entérinent leurs décisions. De nombreux mandants de l'association ont ainsi démissionné de leurs fonctions dans ces commissions. Il a également estimé que les rapports annexés au dossier d'indemnisation des victimes d'accidents médicamenteux sont d'une grande partialité et parfois réalisés par des experts pharmacologues en relation avec des laboratoires pharmaceutiques.
Il a précisé ensuite qu'à la différence des catastrophes sanitaires dites sérielles, comme l'affaire Bayer ou celle du Vioxx qui sont fortement médiatisées, les déclarations individuelles des effets indésirables relèvent davantage de la responsabilité du prescripteur qui peut choisir ou non d'y donner suite. Il a estimé, pour ceux qui concernent les catastrophes sérielles, que des actions collectives (« class action ») pourraient améliorer le dispositif d'indemnisation des victimes, comme tel est déjà le cas aux Etats-Unis et au Canada. Il convient également que les compte rendus des professeurs des hôpitaux et des rapports des médecins conseils des patients soient mieux considérés par la justice, qui ne tient compte actuellement que du rapport de l'expert qu'elle désigne elle-même. L'orientation des expertises judiciaires, souvent favorables aux laboratoires pharmaceutiques, permet en effet de ne pas indemniser les victimes et de laisser le produit défectueux sur le marché.
Il a estimé que, lorsqu'un médicament est suspecté d'avoir entraîné un effet indésirable, il faut que le doute profite à la victime et que la réparation soit simplifiée et rapide.
Il a enfin fait valoir que les falsifications des études destinées aux AMM sont le résultat de la course au profit à laquelle se livrent les multinationales de la pharmacie. Ces problèmes mafieux, dénoncés régulièrement, sont à l'origine des catastrophes sanitaires dans le domaine du médicament.