Mission commune d'information sur le bilan et les conséquences de la contamination par l'amiante
Mercredi 16 février 2005
- Présidence de M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président -
Programme de travail - Echange de vues
La mission d'information a d'abord procédé à un échange de vues pour définir son programme de travail.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président, a fait état des propositions arrêtées par le bureau, lors de sa précédente réunion. Compte tenu du calendrier des vacances parlementaires, il a estimé que la mission d'information disposerait de quatorze semaines pour organiser ses auditions et ses déplacements. Il a proposé que les auditions soient organisées le mercredi après-midi, à raison de trois auditions par séance, et les déplacements, le jeudi.
Il a considéré que le champ d'investigation de la mission était déterminé par son intitulé même : il lui appartient d'effectuer un bilan de la contamination par l'amiante et d'évaluer ses conséquences, ce qui implique, notamment, de s'intéresser à la prévention du risque et à la réparation du préjudice subi par les victimes. Le bureau a jugé nécessaire d'examiner aussi les questions posées par les fibres céramiques réfractaires, qui sont un produit de substitution de l'amiante.
Puis M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président, a présenté les propositions du bureau concernant le programme d'auditions. Il a jugé utile d'auditionner certains ministres, notamment le garde des sceaux, pour faire le point sur les questions de responsabilités administrative, civile et pénale. Pour établir un bilan de la situation, il a suggéré d'entendre d'abord les représentants des associations, des partenaires sociaux et des chefs d'entreprise, puis les fonctionnaires compétents et les gestionnaires des régimes de sécurité sociale et des fonds d'indemnisation.
Les auditions pourraient prendre, ponctuellement, la forme de tables rondes, réunissant, par exemple, les partenaires sociaux, des membres du corps médical ou des juristes. Afin de ne pas multiplier les auditions, des contributions écrites pourraient également être sollicitées.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président, a ensuite suggéré à la mission d'effectuer quatre déplacements :
- à Dunkerque, pour rencontrer, notamment, les associations de victimes ;
- à Cherbourg, pour visiter les chantiers de la direction de la construction navale (DCN) ;
- à Condé-sur-Noiraud, pour visiter le site industriel d'un équipementier automobile ;
- enfin, sur le site de Jussieu, pour examiner un chantier de désamiantage.
Il a, en revanche, jugé irréaliste, pour des raisons de calendrier, d'envisager des voyages d'étude à l'étranger.
M. Gérard Dériot, rapporteur, a estimé qu'il serait judicieux que la mission débute ses travaux en faisant un état des lieux précis sur les conséquences médicales de la contamination par l'amiante et sur l'évolution de la réglementation applicable.
M. Roland Muzeau a souhaité que la mission ne se contente pas d'effectuer, dans son rapport, une compilation de la documentation disponible, mais qu'elle analyse les mécanismes ayant conduit à ce drame afin d'éviter que de telles crises sanitaires ne se reproduisent à l'avenir. Il a fait part de son inquiétude concernant les conséquences, sur la santé humaine, de l'utilisation des éthers de glycol, qui ont des effets reprotoxiques avérés. Puis il a suggéré que la mission effectue une visite en Corse, sur un ancien site d'extraction de l'amiante, pour étudier les conséquences de cette activité sur les populations environnantes.
Mme Marie-Christine Blandin a rappelé que la région Nord-Pas-de-Calais était particulièrement concernée par le problème de la contamination par l'amiante. Elle a demandé que la mission inclue dans son champ d'étude les problèmes soulevés par le démontage, le confinement et le stockage de l'amiante.
M. Roland Muzeau a ensuite souligné que la campagne référendaire, en vue de la ratification du traité instituant une Constitution pour l'Europe, allait sans doute occasionner une suspension des travaux parlementaires et rendre indisponibles de nombreux sénateurs. En conséquence, il a demandé que la mission suspende ses travaux pendant cette période.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président, a indiqué qu'il veillerait, dans toute la mesure du possible, à ce que la mission ne se réunisse pas pendant cette période. Il n'a pas exclu que la mission prolonge ses travaux au-delà du mois de juin afin de mener à bien la totalité de ses travaux.
Audition du professeur Claude Got
La mission a ensuite procédé à l'audition du professeur Claude Got.
Face à l'ampleur du dossier de contamination de l'amiante, M. Claude Got a indiqué qu'il lui semblait aujourd'hui nécessaire de réfléchir à deux priorités, l'amélioration de la gestion du risque « amiante » pour le futur et la définition de moyens à mettre en oeuvre afin que les erreurs de gestion du passé ne se reproduisent pas.
Il a souligné que la question du choix du système organisationnel était un enjeu majeur et récurrent dans les « crises » de santé publique, et que cette question avait été au centre de ses réflexions tout au long de sa carrière, notamment comme expert en accidentologie dans le domaine de la sécurité routière et au titre de son action contre l'alcoolisme dans les cabinets ministériels de Mme Simone Veil et de M. Jacques Barrot.
Il a rappelé qu'il avait été chargé en 1997 par Mme Martine Aubry et M. Bernard Kouchner, alors ministres en charge du travail et de la santé, après que l'amiante a été interdite en France en janvier 1997, suite à la publication du rapport de l'INSERM, d'un rapport sur la gestion du risque et des problèmes de santé publique posés par l'amiante en France.
Retraçant un siècle d'histoire d'utilisation de l'amiante, il a insisté sur le fait que les risques d'insuffisance respiratoire induits par son inhalation avaient été décelés très tôt, puisque dès 1906, une étude publiée par M. Auribault, sur une usine de tissage du Calvados, mettait en lumière le danger de fibrose.
Il a relevé que le risque de cancer avait été clairement identifié dès les années 1930, comme le prouve une étude anglaise publiée en 1931, puis documenté dans les années 1950, notamment par un rapport Peto qui estimait que la probabilité pour les travailleurs exposés à l'amiante de développer un cancer bronchique était multipliée par 17 par rapport à des ouvriers qui n'auraient pas été mis en contact avec cette fibre.
Considérant qu'on pouvait déjà tenir les pouvoirs publics de l'époque pour responsables de n'avoir pas su tirer les conséquences de ces avertissements, il a néanmoins attiré l'attention de la mission sur la difficulté d'appréhender un demi-siècle plus tard le niveau d'acceptation du risque qui prévalait au sein de l'opinion publique d'alors, facteur déterminant de la décision politique.
Reconnaissant le caractère tardif de l'identification du lien spécifique entre l'inhalation des poussières d'amiante et le développement du cancer de la plèvre, qu'il a jugé pour le moins paradoxal au vu des statistiques, il a insisté sur le tournant de l'année 1965, date à laquelle un congrès réunissant les plus grands spécialistes concernés s'est tenu à New York et qui a donné lieu à un ouvrage volumineux consultable à la bibliothèque de la faculté de médecine de Paris, dont l'argumentaire développe non seulement l'ampleur du risque de cancer pleural, mais également les moyens à mettre en oeuvre pour le gérer.
Ayant eu l'occasion de rédiger en 1967 un rapport d'expertise reprenant l'essentiel de cette argumentation, à la demande du tribunal des affaires sociales de Meaux saisi d'une affaire de responsabilité professionnelle d'un employeur vis-à-vis d'un salarié atteint d'un cancer, il a proposé de remettre ce rapport à la mission.
Il a estimé qu'après le congrès de 1965, le décalage entre la connaissance des risques et l'inadaptation des mesures de prévention prescrites devenait d'autant plus choquant que, dès les années 1930, des études avaient été publiées, notamment celle de M. Dehrs en 1931, détaillant les moyens de réduire l'empoussièrement et la diffusion des fibres sur les lieux de travail au moyen de mesures simples comme le confinement des machines et la mise en place d'une alimentation en air pur, techniques qui sont aujourd'hui encore utilisées, notamment, sur le chantier de désamiantage du campus de Jussieu.
Tardive, notamment par rapport à l'Angleterre qui a fixé des limites dès 1937 ou les Etats-Unis dès 1966, la réglementation française protectrice des travailleurs de l'amiante, adoptée en 1977, était également inadaptée, d'une part parce que les valeurs limites de concentration moyenne en fibres autorisées étaient trop importantes pour prévenir l'apparition des cancers, d'autre part parce que l'utilisation générale et massive des produits contenant de l'amiante a mis au contact de ce matériau des populations de salariés beaucoup plus étendues que celles visées par les décrets, ainsi qu'un large public.
Il a indiqué qu'à l'insuffisance de la réglementation applicable, s'était ajoutée la réticence des médecins du travail à diagnostiquer des maladies professionnelles dues à l'amiante, la longueur du délai entre la période d'exposition et le développement de la maladie, dont il a rappelé qu'il s'étendait jusqu'à 30 ans pour les mésothéliomes, les ayant conduits à largement sous-estimer l'origine professionnelle des cancers et des complications respiratoires.
En conséquence, il a estimé que si la France pouvait être considérée comme un pays particulièrement négligent dans la gestion du risque de l'amiante, notamment par rapport à ses voisins européens, notre attitude n'avait pas été la pire, comme le montre la réaction du Québec à la réglementation française de 1997, attaquant notre pays devant l'OMC pour maintenir sa politique d'« usage sécuritaire de l'amiante ».
Abordant la question du rôle et de la responsabilité des pouvoirs publics, le professeur Claude Got a ensuite jugé essentiel de comprendre les motivations et d'examiner les structures organisationnelles qui ont permis de faire prévaloir, au moins jusqu'en 1997, les intérêts économiques sur les impératifs de santé publique.
S'il a reconnu qu'après la révélation d'un certain nombre de « crises » sanitaires majeures, comme l'affaire du sang contaminé ou l'hormone de croissance, l'abaissement du seuil de tolérance au risque avait conduit les pouvoirs publics à se doter, depuis une dizaine d'années, de plusieurs organismes de veille, à l'image de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) ou de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), il a estimé qu'une culture de l'ignorance du risque avait trop longtemps prévalu.
Il a cité à cet égard le fonctionnement du Comité permanent amiante (CPA), organisme informel mis en place dans les années 1980, à un moment où l'amiante, dont on commençait à saisir l'ampleur du problème tant au sein d'instances spécialisées, à l'instar du Centre international de recherche contre le cancer (CIRC), que dans les médias, était classé parmi les produits cancérigènes.
Réunissant des représentants des industriels, des administrations publiques et des syndicats - à l'exception de Force ouvrière-, ce comité était sensé réfléchir à la gestion du risque de l'amiante, alors même que ses réunions se tenaient dans les locaux appartenant aux industriels concernés et qu'il n'était encadré par aucun service ministériel, faute de responsable désigné au sein de la Direction générale de la santé pour suivre ce problème.
Le professeur Claude Got a ainsi estimé qu'il n'était pas surprenant que, manipulé par les intérêts industriels, le comité, seule structure institutionnelle en charge du dossier de l'amiante, n'ait jamais évoqué la question essentielle des produits de substitution de l'amiante, et qu'il ait continué au contraire à promouvoir l'utilisation d'un produit dont l'extraction se fait à moindre coût et est par ailleurs doté de propriétés tout à fait exceptionnelles.
Il a dénoncé, en outre, la « volonté de ne pas savoir » des décideurs publics, alertés à maintes reprises, et notamment par une lettre de M. Jean Bignon, adressée au Premier ministre Raymond Barre, après la tenue du congrès du CIRC dans les années 1980 et dont il a jugé qu'il serait intéressant de reconstituer le cheminement administratif avant d'avoir été « classée sans suite ».
Alors que le Conseil d'Etat a retenu, dans une décision du 3 mars 2004, la responsabilité de l'Etat pour sa carence à prendre les mesures de prévention des risques liés à l'exposition des salariés aux poussières d'amiante, il a enfin déploré l'adoption, en juin 2000, de la loi dite Fauchon sur la définition des délits non intentionnels, jugeant irréaliste l'allégement de la responsabilité des décideurs du seul fait de leur ignorance, l'affaire de l'amiante montrant que « ne pas savoir » pouvait aussi relever d'une décision délibérée.
Un large débat s'est alors instauré.
M. Gérard Dériot, rapporteur, a rappelé, ainsi que M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président, les conditions pour lesquelles M. Pierre Fauchon avait été conduit à déposer sa proposition de loi.
Il s'est ensuite interrogé sur les moyens à mettre en oeuvre afin d'instituer des procédures d'alerte efficaces à l'intention des pouvoirs publics.
M. Claude Got a rappelé que l'Institut national de veille sanitaire (InVS) avait été mis en place pour tenir ce rôle, même si l'incapacité à prévenir la crise de la canicule avait montré les limites d'un tel organisme.
Évoquant sa propre expérience au sein de cet institut, il a regretté que le manque de moyens l'ait conduit à réduire ses ambitions, alors même que cet organisme avait vocation à élaborer une véritable politique de prévention à moindre coût, en s'appuyant sur l'expertise des chercheurs dont les travaux existants relevaient déjà l'essentiel des menaces qui pèsent sur la santé et la sécurité des populations.
Il a regretté par ailleurs la suppression du Conseil supérieur de l'évaluation, qui reflète, selon lui, l'absence d'une culture de l'évaluation des politiques publiques en France et, d'une façon plus générale, la surestimation de l'importance accordée dans notre pays aux organismes de gestion.
M. Roland Muzeau a rappelé que la mission d'information venait de se constituer et a souhaité recueillir l'avis du professeur Got sur l'étendue et la nature des investigations qu'il conviendrait d'engager.
Tout en estimant opportun de tirer un bilan des erreurs de gestion du problème de l'amiante, il s'est par ailleurs interrogé sur la persistance des dysfonctionnements dans la gestion d'autres dossiers, notamment celui des éthers de glycol.
M. Claude Got a estimé que la recherche des responsabilités était difficile, sauf à établir le cheminement de la chaîne décisionnelle, avec des marges d'erreur importantes et a considéré qu'il s'agissait plutôt de réfléchir aux moyens de gérer les risques résultant de la présence résiduelle d'amiante et la surveillance, notamment, des chantiers de désamiantage.
Sur le second point, il a estimé que, tant que subsisteraient des conflits d'intérêts entre les industriels et les impératifs de santé publique, on continuerait, à l'instar de l'industrie automobile, à commercialiser des produits qui sont de véritables armes en puissance et que l'aptitude à gérer les risques dépendait de choix politiques.
Établissant un parallèle avec la silicose, Mme Michèle San Vicente s'est interrogée sur les niveaux d'indemnisation qui pourraient être garantis aux victimes.
M. Claude Got a jugé que le système d'indemnisation mis en place par le législateur, via le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA), était une réussite, tant concernant le montant des niveaux d'indemnisation, à la hauteur de ceux des victimes du sang contaminé, que sur le plan de la représentativité des parties concernées.
S'il a estimé que la prise en charge de la grande majorité des pathologies était satisfaisante, la reconnaissance des cas de mésothéliome ou de fibrose donnant lieu à indemnisation automatique, il a relevé que le cas du cancer bronchique continuait de poser problème, parce qu'il pouvait être généré par d'autres causes que l'inhalation des poussières d'amiante et qu'il fallait également examiner le cas des victimes qui ont effectué une partie de leur carrière professionnelle dans un pays étranger.
Il a enfin déclaré qu'il se tenait à la disposition de la mission pour lui soumettre quelques propositions, lorsque celle-ci aura avancé dans sa réflexion.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président, a remercié le professeur Claude Got pour son intervention et a indiqué que la mission serait sans doute conduite à reprendre contact avec lui, avant de rendre ses conclusions.