Sénats d'Europe - Les Sénats et la représentation des collectivités locales
Palais du Luxembourg, 6 juin 2001
M. Frédéric Korthals Altes, Président de la Première Chambre des États généraux des Pays-Bas :
De 1579 à 1796, les sept provinces du Nord des Pays-Bas constituaient une République fédérale, la République des provinces unies. Ces provinces étaient formées par les anciens comtés, un évêché, un duché datant de l'époque féodale. Dans les provinces, le pouvoir souverain était exercé par les États de cette province.
À La Haye siégeaient à l'époque les États généraux, représentation des sept provinces. A l'origine donc, les États généraux des Pays-Bas formaient une représentation pure de collectivités provinciales. D'ailleurs, les États généraux étaient dominés par la très puissante province de Hollande, celle qui se situe le plus à l'Ouest des sept provinces. Les membres des États généraux étaient des représentants de la province et n'avaient pas de liberté de manoeuvre.
Ils étaient très liés par leur mandat, si bien que les États généraux, qui avaient été si puissants au XVII e siècle, brillaient au XVIII e siècle par leur manque de décision. Il y avait beaucoup d'immobilisme sur le plan de la politique étrangère, puisque les décisions portant sur la guerre et la paix étaient censées être prises à l'unanimité. Donc il n'est pas étonnant que les historiens néerlandais essaient d'avertir l'Europe de l'immobilisme qui menace si l'on veut absolument s'en tenir à l'unanimité au Conseil des ministres.
La prise de décision était toujours retardée car les membres des États généraux devaient consulter les États de leur province. En 1796, naît une nouvelle république, la République batave. Celle-ci connaissait un Gouvernement central et une assemblée nationale élue directement. Le pouvoir des provinces était ainsi éliminé. Après la conquête de la France, et l'intégration dans l'empire, les Pays-Bas devinrent, de 1815 à 1830, un royaume avec la Belgique. L'assemblée nationale reprenait en 1814 son ancien nom d'États généraux et était à nouveau choisie par les provinces.
Ce n'est qu'en ajoutant les Pays-Bas du Nord et la Belgique en 1815 qu'est institué le bicamérisme. Le Sénat que l'on appelle la Première Chambre des États généraux est né grâce à la demande très poussée des Belges, je leur en suis d'ailleurs toujours reconnaissant. A l'origine, il y avait la première chambre, dont les membres étaient nommés par le Roi, appelée la « ménagerie du Roi » .
En 1848, la nouvelle Constitution démocratique prévoit que le Sénat sera à nouveau élu par les États des provinces. Le Sénat poursuit ainsi la tradition des anciens États généraux de la République des Provinces unies. La Constitution prévoit cependant que tous les membres sont responsables de leur propre décision et interdit toute instruction. De ce côté là, la situation ressemble à celle qui a été décrite par la présidente du Sénat de la Confédération helvétique.
Pendant longtemps, le lien entre les États des provinces, douze à l'heure actuelle, et le Sénat était très fort. Les États provinciaux ne sont pas uniquement composés des soixante-quinze membres du Sénat mais s'y trouvent aussi ceux qui sont responsables de la présentation des listes de candidats. D'ailleurs, c'est quelque chose d'extrêmement compliqué sur le plan des calculs. Depuis 1818, on tient compte également de la représentation proportionnelle : les provinces choisissent des membres du Sénat tout en tenant compte de facteurs de proportion avec la population. Il y a donc une représentation proportionnelle au Sénat. Pendant longtemps d'ailleurs, les partis politiques n'avaient pas beaucoup d'influence sur la composition des listes de candidats.
Mais aujourd'hui, pratiquement tous les partis politiques participent à la constitution de ces listes de candidats. Les membres des États provinciaux doivent ensuite soumettre les listes de candidats de manière beaucoup plus formelle, en tenant compte des décisions de leur parti. Nous sommes donc passés d'une liberté provinciale à une décision par les partis. En 1966, nous avions fait une première tentative pour exercer une influence sur cette nomination. La première réunion n'avait pas duré plus de cinq minutes, car les membres des États provinciaux étaient venus à la réunion mais refusaient de s'exprimer tant que la direction du parti était présente. Ils avaient le droit constitutionnel de présenter des candidats et souhaitaient exercer ce droit. Mais aujourd'hui, donc, ce sont les partis qui établissent les listes et ce sont les États provinciaux qui ensuite présentent ces listes de candidats. Nous connaissons maintenant partout ce type de structure. Mais un parti doit tenir compte de la répartition régionale des candidats.
Avec des possibilités préférentielles, les États peuvent toujours choisir des membres autres que ceux mentionnés sur la liste. Il y a donc possibilité de corriger le tir lorsqu'un parti politique ne tient pas suffisamment compte de cette répartition régionale tant souhaitée. A l'heure actuelle, deux sénateurs siègent au Sénat en dérogeant à l'ordre de la liste. Les sociaux-démocrates de la province de Gueldre ont repris le droit en main et ont corrigé le fait que leur parti ne tenait pas suffisamment compte des intérêts de la province de Gueldre.
Depuis 1995, nous avons également un sénateur sans parti, choisi par les provinces. Pour ce qui est de l'aspect législatif, les différences régionales ne jouent pas un grand rôle au Sénat. Les intérêts de l'agriculture ou des PME sont les mêmes quelle que soit la région représentée. L'origine régionale des sénateurs ne s'exprime que lors de l'examen de propositions visant à revoir la structure communale. Là il y a également la question de savoir si le sénateur provient d'une grande ville ou d'une banlieue.
Entre les provinces des XVI e , XVII e et XVIII e siècles et la structure décentralisée des XIX e et XX e siècles, l'organisation politique a laissé peu de place à l'influence forte des collectivités locales, même si les provinces peuvent corriger le tir en proposant des candidats. La valeur ajoutée du Sénat des Pays-Bas n'est pas tant dans la représentation des collectivités locales, mais dans le fait que ses membres ont un horizon social ou une expérience différente des membres du Parlement. Ces derniers sont des hommes politiques professionnels qui n'ont pas forcément une grande expérience sociale. Ils sont beaucoup plus actifs dans le domaine politique, alors que les sénateurs sont des personnes qui ont déjà une longue carrière dans le domaine de la science, de l'entreprise et qui veulent encore vivre au sein de la société. Il s'agit souvent de professeurs, d'universitaires, d'anciens maires, d'anciens chefs d'entreprises, d'anciens ministres, ou d'anciens membres du parlement. Donc, toute une kyrielle d'expériences. Par exemple, nous avons trois anciens ministres de la justice, deux anciens ministres des affaires étrangères, un ancien ministre de la santé, un ancien ministre de la défense. Les sénateurs ne font pas souvent usage du droit de veto ; ils accordent beaucoup plus d'importance à la valeur du débat.
Voilà donc ce que je voulais vous dire au cours de cette première réunion de l'Association des Sénats d'Europe. En ce qui me concerne ce sera ma dernière réunion, étant donné qu'au mois d'octobre, je passerai le relais à un représentant d'un autre parti (chrétien-démocrate). Mais il vient également d'une autre province et il représente également une autre collectivité locale.