Proposition de loi Condition de durée de résidence pour le versement de prestations sociales
commission des affaires sociales
N°COM-6
10 mars 2025
(1ère lecture)
(n° 299 )
AMENDEMENT
Rejeté |
présenté par
Mmes PONCET MONGE et SOUYRIS, MM. BENARROCHE, Grégory BLANC et DANTEC, Mme de MARCO, MM. DOSSUS, FERNIQUE et GONTARD, Mme GUHL, MM. JADOT et MELLOULI, Mme OLLIVIER, M. SALMON et Mmes SENÉE et Mélanie VOGEL
ARTICLE UNIQUE
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Supprimer cet article.
Objet
Dans le débat public, un mythe, régulièrement convoqué bien que tout autant régulièrement invalidé dans les faits et les travaux de recherche, persiste : celui selon lequel le système de protection sociale français présenterait une générosité tellement supérieure aux autres pays qu’il susciterait un « appel d’air » pour une immigration mue par la quête rationnelle de prestations sociales.
Cette assertion, reprise dans l’exposé des motifs de cette proposition de loi malgré son caractère dénué de tout fondement empirique sérieux, et démentie par les travaux académiques, ne persiste que pour des motivations idéologiques teintées de xénophobie et sa fonction de diversion par la désignation de boucs émissaires : à l’heure de la rigueur budgétaire, cela coûterait cher, voire menacerait notre modèle social.
La proposition de loi crée ainsi de nouvelles conditions pour l’accès à un ensemble de prestations sociales non contributives, de deux ans de durée de résidence en situation régulière d’étranger·e·s ayant déjà satisfait aux conditions de stabilité de la résidence.
La proposition de loi prétend concilier, de manière équilibrée, les impératifs constitutionnels de solidarité nationale en faveur des personnes défavorisées et la sauvegarde de l’ordre public.
Nous le contestons et demandons la suppression de l’article unique.
En effet, notons l’hétérogénéité des prestations visées comprenant certaines prestations familiales (la prestation d'accueil du jeune enfant, les allocations familiales, l'allocation de rentrée scolaire, mais pas toutes, certaines sont exclues comme l'allocation forfaitaire versée en cas de décès d'un enfant ou l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé, sans explication logique ou cohérente, inclusions et exclusions totalement discrétionnaires), l’APA (mais pas la PCH), les APL et enfin le DALO qui comme son sigle l’indique est un droit et non une prestation, privant ainsi des résident·e·s régulier·e·s d’un droit de recours.
Certaines prestations (APL) sont concernées, mais pas pour tout·e·s, puisque le texte exclut les étudiant·e·s étranger·e·s, introduisant une rupture d’égalité entre étranger·e·s en situation régulière, et si des règles spécifiques aux étranger·e·s peuvent être édictées entre nationaux et étrangers en situation régulière sans se voir opposer le principe d’égalité, la rupture d’égalité entre étrangers en situation régulière pose un problème de droit.
De plus, ces prestations diffèrent par leur objet et par les droits et principes fondamentaux qui les fondent (dignité de la personne humaine, droit à une vie familiale, respect de la vie privée, disposer d’un logement décent…) garantis par le bloc constitutionnel et protégés par des conventions européennes et internationales (voire des accords bilatéraux). Or aucun lien entre ces objets et les restrictions des droits sociaux n'est analysé et justifié par cette proposition, avant même de juger de leur proportionnalité au sens strict pour la durée de deux ans. À quelle nécessité cela répond-il ? La restriction est-elle adaptée ? Rien n'est avancé, sinon la vague référence à l’appel d’air migratoire dans l’exposé des motifs.
Pour chaque prestation, il est aisé de montrer que le risque d’inconstitutionnalité est avéré.
Et quant à l’appel d’air, pure construction idéologique, il ne résiste pas à l’examen.
Tout d’abord, il convient de souligner que les flux migratoires répondent à des déterminants bien plus profonds et complexes que l’existence ou pas d’un filet de sécurité sociale.
Les travaux en sciences sociales et les études quantitatives menées sur la question démontrent avec constance que les motivations premières des migrant·e·s relèvent de dynamiques structurelles : instabilité politique, guerres, persécutions, catastrophes économiques, changement climatique. À cela s’ajoutent des impératifs familiaux, les aspirations éducatives et professionnelles, qui s’avèrent bien plus déterminants que le système social.
Au contraire, comparée à d'autres grands pays européens (dont la plupart ont pourtant une protection sociale moins-disante), la France attire moins d'étranger·e·s, qu'ils et elles soient citoyenn·e·s de l'Union européenne ou ressortissant·e·s de pays tiers. Cette tendance est stable depuis deux décennies.
Par ailleurs, si l’on devait suivre jusqu’à l’absurde la logique d’un supposé « appel d’air », alors la France devrait se voir submergée de vagues migratoires massives (réellement et pas en « sentiment de submersion migratoire » patiemment entretenu) dès lors que des réformes élargissent le champ de la protection sociale. Or, une telle corrélation n’existe tout simplement pas. Aucun rapport du Haut Conseil à l’Intégration, de l’INSEE, de l’OCDE ou de toute autre institution sérieuse n’a jamais établi un lien de causalité entre le niveau de prestations du modèle social français et une augmentation spécifique des flux d’immigration.
En somme, la rhétorique de l’« appel d’air » ne résiste ni à l’épreuve des faits, ni à l’analyse rationnelle. Elle sert avant tout de paravent à des discours simplificateurs, détournant l’attention des véritables enjeux de la politique migratoire et sociale. Il est grand temps de déconstruire cette fable, non seulement parce qu’elle repose sur des bases fallacieuses, mais aussi parce qu’elle alimente un climat de suspicion et d’exclusion qui affaiblit notre pacte républicain.
En conclusion, en restreignant l’accès des étranger·e·s réguliers non ressortissant·e·s de l’Union européenne au Droit au Logement Opposable, aux APL, à beaucoup de prestations familiales et à l’APA, cette proposition de loi attaque frontalement plusieurs principes constitutionnels fondamentaux. Elle contrevient aux 10ᵉ et 11ᵉ alinéas du Préambule de la Constitution de 1946, qui consacrent le droit de toute personne à un logement décent et à une protection sociale effective. Elle porte également atteinte à l’exigence de dignité humaine, pourtant érigée en principe constitutionnel. Le Conseil constitutionnel, dans une décision récente, a rappelé que les étranger·e·s résidant de manière stable et régulière sur le territoire français bénéficient des droits à la protection sociale, et que toute restriction en la matière ne saurait priver ces droits de garanties légales. Or, cette PPL va précisément à l’encontre de ce cadre en instaurant une condition de durée de résidence arbitraire et discriminatoire, dont le seul effet serait de plonger dans la précarité des personnes souvent vulnérables. Le Conseil a déjà censuré des tentatives similaires. Cette PPL tente, une troisième fois, de légitimer une forme insidieuse de « préférence nationale » qui ne dit pas son nom.