Proposition de loi Sortir la France du piège du narcotrafic
commission des lois
N°COM-36
20 janvier 2025
(1ère lecture)
(n° 735 rect. (2023-2024) )
AMENDEMENT
Rejeté |
présenté par
M. BOURGI, Mmes de LA GONTRIE, NARASSIGUIN, HARRIBEY et LINKENHELD et MM. CHAILLOU, KERROUCHE et ROIRON
ARTICLE 4
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Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. - Le sixième alinéa de l’article 131-21 du code pénal est ainsi modifié :
1° Les mots : « porte également sur les » sont remplacés par les mots : « est obligatoire s’agissant des » ;
2° Sont ajoutées deux phrases ainsi rédigées : « Cette confiscation est motivée. Toutefois, la juridiction peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer cette peine, en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur. »
Objet
L'objet de cet amendement, inspiré des travaux de l’association CRIM’HALT et du Collectif Anti-Mafia Massimu Susini, est de rendre obligatoire, sauf décision spécialement motivée, la confiscation des biens meubles ou immeubles dont l'origine n'a pu être justifiée, en cas de délit ou de crime puni d'au moins cinq ans d'emprisonnement et ayant procuré un profit direct ou indirect.
Dans son rapport sur l’impact du narcotrafic en France, la commission d'enquête sénatoriale souligne l'importance de « faire du volet patrimonial un incontournable de la lutte contre le narcotrafic (...). » Elle recommande également de renforcer les saisies – et par conséquent les confiscations – grâce à des mesures destinées notamment à mieux identifier les bénéficiaires effectifs, à intégrer les cryptoactifs et à faciliter la saisie des fonds de commerce.
A l’heure actuelle, un membre d’un réseau criminel condamné pour racket et extorsion de fonds, propriétaire de commerces ou détenant des participations dans diverses sociétés acquis avec de l’argent sale et ayant la libre disposition d’autres biens, a la possibilité de conserver tous ces biens et de continuer à en disposer, dès lors que les juges n’ont pu prouver que ces biens sont le produit de l’infraction. Les montages financiers illicites et organisations patrimoniales frauduleuses auxquels se livrent les délinquants leur permettent d’échapper aux confiscations et de continuer à profiter des biens obtenus par des voies illégales.
Dans sa directive 2022/0167 relative au « recouvrement et à la confiscation d’avoirs criminels », le Parlement européen constate : « La criminalité organisée représente l’une des plus grandes menaces pour la sécurité de l’Union Européenne. La portée transnationale de la criminalité organisée, son recours systématique à la violence et à la corruption et son degré d’infiltration économique sans précédent ont été mis en évidence lors des opérations EncroChat, Sky ECCet ANOM menées en 2020-2021(...) Les organisations criminelles déploient des moyens sophistiqués pour blanchir leurs importantes recettes, qui sont estimées au minimum à 139 milliards d’euros chaque année(...)Il est essentiel de priver les criminels de ces profits illicites pour désorganiser les activités des groupes criminels et prévenir leur infiltration dans l’économie légale. »
La confiscation obligatoire des avoirs criminels en cas de condamnation pénale doit donc être la pierre d’angle de la lutte contre les organisations criminelles.
Le 24 juin 2024, dans le cadre de la loi visant à renforcer l'efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels, l'Assemblée nationale et le Sénat ont adopté une modification du troisième alinéa de l'article 131-21 du code pénal : « Sous les mêmes réserves et sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, la confiscation des biens saisis au cours de la procédure est obligatoire lorsqu'ils ont servi à commettre l'infraction ou en constituent l'objet, le produit direct ou indirect. »
Le présent amendement modifie le sixième alinéa du même article afin de combler un vide juridique en ce qui concerne la confiscation des biens meubles ou immeubles dans lecas où le condamné n’a pu en justifier l’origine. Il propose une avancée majeure dans la lutte contre le blanchiment d’argent, en dotant la justice d’un levier efficace et puissant pour contrer la pénétration de l’argent du crime dans l’économie légale, empêcher le bénéficiaire économique effectif du produit infractionnel de se servir de l’organisation patrimoniale frauduleuse qu’il a mise en place pour s’opposer à la confiscation. Au demeurant, ce dispositif répond aux préconisations de l’article 5 de la directive 2014/42/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 concernant le gel et la confiscation des instruments et des produits du crime dans l’Union européenne.
Les enquêteurs et magistrats sont trop souvent découragés par les difficultés engendrées par l’enquête patrimoniale. L’identification des avoirs criminels est perçue comme une charge supplémentaire et non vraiment justifiée dans la mesure où, in fine, leur confiscation n’est pas obligatoire mais facultative. La rendre obligatoire donnera tout son sens à l’enquête patrimoniale.
Dans le cadre de la procédure, le condamné est présumé bénéficier en connaissance de cause de ressources ou de biens dont il sait que l’origine est frauduleuse. Il s’agit d’une présomption réfragable. Il dispose de la possibilité de prouver que le droit de propriété privée qu’il revendique sur les biens meubles ou immeubles en cause est justifié par des ressources légales.
La confiscation prononcée, faute pour le condamné de pouvoir justifier l’origine des biens en cause, n’est donc pas disproportionnée par rapport au but d’intérêt général poursuivi.
Le juge disposera aussi de la possibilité de ne pas prononcer la confiscation à la condition de motiver cette décision.
En rendant la confiscation obligatoire, le condamné ne pourra sérieusement soutenir qu’il n’avait pas pu comprendre les conséquences juridiques de ses actes faute pour lui de pouvoir justifier l’origine du bien.
Cette confiscation obligatoire aurait aussi pour effet d’accroître les ressources de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) grâce à la confiscation de beaucoup plus de biens meubles ou immeubles.