N° 534

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 11 avril 2024

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la proposition de résolution européenne en application de l'article 73 quinquies du Règlement, visant à permettre le financement par la facilité européenne pour la paix d'une mesure d'assistance
au profit de l'
Arménie,

Par Mme Valérie BOYER,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-François Rapin, président ; MM. Alain Cadec, Cyril Pellevat, André Reichardt, Mme Gisèle Jourda, MM. Didier Marie, Claude Kern, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Georges Patient, Mme Cathy Apourceau-Poly, M. Louis Vogel, Mme Mathilde Ollivier, M. Ahmed Laouedj, vice-présidents ; Mme Marta de Cidrac, M. Daniel Gremillet, Mmes Florence Blatrix Contat, Amel Gacquerre, secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Jean-Michel Arnaud, François Bonneau, Mme Valérie Boyer, M. Pierre Cuypers, Mmes Karine Daniel, Brigitte Devésa, MM. Jacques Fernique, Christophe-André Frassa, Mmes Annick Girardin, Pascale Gruny, Nadège Havet, MM. Olivier Henno, Bernard Jomier, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Ronan Le Gleut, Mme Audrey Linkenheld, MM. Vincent Louault, Louis-Jean de Nicolaÿ, Teva Rohfritsch, Mmes Elsa Schalck, Silvana Silvani, M. Michaël Weber.

Voir les numéros :

Sénat :

507 et 535 (2023-2024)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

MM. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes, et Bruno Retailleau, président du groupe Les Républicains, ont présenté une proposition de résolution européenne visant à permettre le financement, par la facilité européenne pour la paix, d'une mesure d'assistance au profit de l'Arménie.

Cette proposition de résolution européenne réitère et renforce les positions adoptées précédemment par le Sénat.

I. LE SÉNAT A DÉJÀ ADOPTÉ TROIS RÉSOLUTIONS POUR SOUTENIR L'ARMÉNIE

En effet, à la suite des opérations militaires engagées par l'Azerbaïdjan au Haut-Karabagh, du 27 septembre au 10 novembre 2020 (« guerre des 44 jours ») puis les 19 et 20 septembre 2023, qui ont finalement débouché sur l'annexion par l'Azerbaïdjan de ce territoire et par l'exode forcé vers l'Arménie, à l'automne 2023, d'une centaine de milliers d'Arméniens qui y vivaient, le Sénat a adopté à trois reprises1(*) des résolutions, en application de l'article 34-1 de la Constitution.

Dans sa dernière résolution, en date du 17 janvier 2024, le Sénat réaffirmait l'inviolabilité de l'intégrité territoriale de l'Arménie et demandait le retrait immédiat et inconditionnel, sur leurs positions initiales, des forces azerbaïdjanaises et de leurs alliés du territoire souverain de l'Arménie. Il soulignait également que l'Arménie avait le droit de défendre son intégrité territoriale et de disposer des moyens d'assurer sa sécurité, y compris par la voie militaire.

Dans le prolongement de cette résolution, à l'initiative du président de la commission des affaires européennes du Sénat, lors de sa LXXIe réunion des 24-26 mars 2024, la Conférence des organes parlementaires spécialisés dans les affaires de l'Union européenne (COSAC) a exprimé son soutien inébranlable à l'indépendance, à la souveraineté et à l'intégrité territoriale de l'Arménie.

Le Sénat avait également dénoncé l'exode forcé, à l'automne 2023, de la quasi-totalité des Arméniens qui vivaient au Haut-Karabagh, assimilable à une opération de nettoyage ethnique. Tant le Sénat que l'Assemblée nationale2(*) ont pris position avec force sur ce sujet, marquant une approche commune aux deux chambres du Parlement français. Selon des informations communiquées à la rapporteure, il resterait moins de 10 personnes d'origine arménienne dans cette région. Certains mauvais traitements qui leur auraient été infligés lui ont en outre été dénoncés. Il convient également de rappeler que l'Azerbaïdjan retient des prisonniers politiques arméniens, notamment huit anciens dirigeants du Haut-Karabagh, dont l'ancien ministre d'État Ruben Vardanyan qui a entamé le 5 avril 2024 une grève de la faim pour réclamer un procès équitable et transparent dans des délais raisonnables.

Le Sénat soutenait enfin « toute initiative visant à défendre au niveau de l'Union européenne le recours à la Facilité européenne pour la paix (FEP) en faveur de l'Arménie ».

II. UN FORT RAPPROCHEMENT EST EN COURS ENTRE L'ARMÉNIE ET L'UNION EUROPÉENNE

A. UN TOURNANT STRATÉGIQUE DE LA PART DES AUTORITÉS ARMÉNIENNES

L'Union européenne s'est engagée fortement en faveur d'une paix juste et durable au Caucase et elle essaie de jouer un rôle de médiateur entre les parties. Au-delà, on note un rapprochement structurel avec l'Arménie, en particulier à travers l'accord de partenariat global et renforcé, entré en vigueur le 1er mars 2021. C'est dans ce cadre que l'Union européenne vient d'annoncer, le 5 avril 2024, une enveloppe de 270 millions d'euros sur la période 2024-2027, dans le cadre d'un programme intitulé « Résilience et croissance de l'Arménie 2024-2027 ». Un dialogue politique et de sécurité est également en place, la deuxième réunion de ce type ayant eu lieu en novembre 2023.

L'Union européenne a également institué, en janvier 2023, une mission civile en Arménie, dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC)3(*). Celle-ci vise à contribuer à la stabilité dans les zones frontalières en Arménie, et ainsi à favoriser les efforts de normalisation entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, soutenus par l'Union européenne.

Enfin, devant le Parlement européen, le 17 octobre 2023, le Premier ministre Pachinian a déclaré que « l'Arménie est prête à se rapprocher de l'UE aussi loin que l'UE le juge possible ». En s'inscrivant dans le prolongement de ces propos, des responsables politiques arméniens de premier rang, notamment le Président de l'Assemblée nationale et le ministre des affaires étrangères, évoquent désormais ouvertement la possibilité que leur pays formule une demande d'adhésion à l'Union européenne.

Celle-ci apparaît peu probable en l'état, compte tenu des relations que l'Arménie entretient encore avec les organisations dépendant de la Russie, notamment l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) qui rassemble la Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizistan et le Tadjikistan, ainsi que l'Union économique eurasiatique. Même si le Premier ministre arménien a annoncé, le 23 février 2024, le gel de la participation de l'Arménie à l'OTSC, ce lien historique avec la Fédération de Russie explique, pour une part, les relations complexes que peut entretenir la Géorgie avec l'Arménie, mais aussi le regard méfiant qu'ont longtemps porté un certain nombre d'États membres de l'Union européenne vis-à-vis de l'Arménie. Les récentes déclarations des plus hautes autorités politiques arméniennes marquent ainsi un tournant stratégique pour le pays.

B. UNE RELATION FRANCO-ARMÉNIENNE QUI S'EST RÉCEMMENT DÉVELOPPÉE EN MATIÈRE DE DÉFENSE

Pleinement engagée en faveur de la souveraineté et de la résilience de l'Arménie, la France, dans un cadre bilatéral, a apporté un soutien humanitaire important en faveur de l'Arménie et des réfugiés du Haut-Karabagh, avec une aide s'élevant à 29 millions d'euros en 20234(*), venant en appui des actions des organisations non gouvernementales, du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), de la Croix Rouge arménienne et des agences des Nations unies pour l'accueil et la prise en charge sociale, médicale, scolaire et financière de ces populations particulièrement vulnérables.

Plusieurs coopérations bilatérales existent également, notamment pour le développement de projets d'infrastructures dans les domaines des transports, de l'énergie et de l'eau.

Récemment, la France a également renforcé sa relation en matière de défense, alors que l'Arménie cherche à diversifier ses partenariats dans ce domaine, et s'est fortement investie pour faire comprendre à ses partenaires de l'Union européenne le changement de dynamique à l'oeuvre dans le Caucase.

La France est ainsi intervenue pour soutenir les forces armées arméniennes, non pas contre l'Azerbaïdjan ou la Russie, mais pour permettre à l'Arménie d'améliorer ses capacités défensives et d'assurer son intégrité territoriale. L'Arménie a ainsi pu bénéficier d'une coopération en matière de formation militaire et a notamment passé commande à des industriels français de dispositifs de défense antiaérienne ou de mobilité militaire.

Dans leur avis sur le projet de loi de finances pour 2024, M. Hugues Saury et Mme Hélène Conway-Mouret relevaient ainsi que « l'Arménie a signé récemment une commande portant sur trois radars GM200 auprès de Thales et il est question d'une livraison de missiles sol-air MISTRAL 3. Les rapporteurs sont en mesure d'indiquer que 24 véhicules blindés de type Bastion, produits par le groupe français Arquus, sont en cours de livraison à l'Arménie et qu'ils devraient être rejoints par 26 autres véhicules du même type en cours de production » 5(*).

Il apparaît néanmoins nécessaire d'aller au-delà, dans un cadre européen, compte tenu des nombreuses menaces qui pèsent sur l'Arménie.

III. DES MENACES PERSISTANTES CONDUISENT À DEMANDER UNE MESURE DE SOUTIEN À L'ARMÉNIE DANS LE CADRE DE LA FACILITÉ EUROPÉENNE POUR LA PAIX

A. DES MENACES RÉELLES

L'Arménie fait face à des menaces, persistantes de la part de l'Azerbaïdjan, croissantes de la part de la Fédération de Russie, qui voit d'un mauvais oeil le rapprochement opéré entre l'Arménie et l'Union européenne.

Les menaces émanent bien sûr toujours de l'Azerbaïdjan mais aussi de la Turquie, qui ont des vues hégémoniques sur le Caucase du Sud.

Alors que les deux pays poursuivent des négociations de paix, l'Azerbaïdjan emploie une rhétorique agressive et essaie d'imputer à l'Arménie une volonté d'escalade des tensions. Les autorités de Bakou ont ainsi accusé l'Arménie de masser des troupes à la frontière. Le 31 mars dernier, la mission civile de l'Union européenne a effectué des patrouilles pour le vérifier et a déclaré n'avoir observé aucun mouvement militaire inhabituel de la part de la partie arménienne.

La rapporteure souligne également que le Président Aliev parle régulièrement de l'Arménie comme de « l'Azerbaïdjan occidental », ce qui tend à nier purement et simplement la réalité de ce cet État.

La menace est palpable et l'Azerbaïdjan n'a pas renoncé à établir un passage traversant le sud de l'Arménie, pour assurer une continuité jusqu'à l'enclave azerbaïdjanaise du Nakhitchevan6(*) et pouvoir ensuite rejoindre la Turquie, qui dispose d'une frontière d'à peine 10 kilomètres avec le Nakhitchevan.

Les autorités de l'Azerbaïdjan tiennent en outre des propos agressifs vis-à-vis de l'Union européenne et de certains États membres, au premier rang desquels la France, contestant de plus ouvertement les valeurs de démocratie, d'État de droit et de droits de l'homme.

Cette situation a d'ailleurs conduit le Bureau du Sénat à prendre des mesures restreignant les activités du groupe interparlementaire d'amitié avec l'Azerbaïdjan7(*), mais aussi l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe à suspendre jusqu'à nouvel ordre la participation de la délégation parlementaire de l'Azerbaïdjan à ses travaux8(*), en soulignant que le pays n'a pas rempli les « engagements majeurs » découlant de son adhésion au Conseil de l'Europe il y a vingt ans.

Mais les menaces à l'encontre de l'Arménie émanent également désormais, et de plus en plus fortement, de la Fédération de Russie, qui voit d'un très mauvais oeil le rapprochement en cours entre l'Arménie et l'Union européenne, mais aussi la ratification par l'Arménie du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, dont elle est devenue le 1er février 2024 le 124ème État partie.

B. UN RECOURS À LA FACILITÉ EUROPÉENNE POUR LA PAIX QUI APPARAÎT OPPORTUN ET NÉCESSAIRE

Dans ce contexte, il apparaît désormais nécessaire que l'Arménie puisse bénéficier d'une mesure d'assistance relevant de la facilité européenne pour la paix.

Établie en 20219(*), cette facilité vise à permettre le financement, par les États membres de l'Union européenne, d'actions de l'Union européenne au titre de la politique étrangère et de sécurité commune destinées à préserver la paix, prévenir les conflits et renforcer la sécurité internationale.

Dès le mois d'octobre 2023, la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, alors Mme Catherine Colonna, avait écrit à M. Josep Borrell, haut représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, afin de lui demander d'intégrer l'Arménie dans le champ des bénéficiaires de la facilité européenne pour la paix.

La demande formulée par le Gouvernement français auprès de M. Borrell n'a pas abouti à ce stade, même si des discussions sont aujourd'hui en cours au Conseil de l'Union européenne. Lors de sa réunion du 13 novembre 2023, le Conseil des affaires étrangères est en effet convenu d'étudier la possibilité d'apporter un soutien non létal à l'Arménie au titre de la facilité européenne pour la paix et de renforcer la mission de l'Union européenne dans le pays, afin que le nombre d'observateurs et de patrouilles puisse augmenter, y compris dans des zones sensibles.

Selon les informations recueillies par la rapporteure, l'Arménie a bien adressé une demande formelle de soutien dans le cadre de la facilité européenne pour la paix.

Si certains États membres sont apparus sur la réserve au départ, un accord de principe semble s'être dessiné lors d'une réunion récente du Comité politique et de sécurité, ce qui pourrait donc entraîner une accélération des négociations, une adoption par le Conseil étant envisagée le 22 avril. La mesure envisagée serait de portée limitée sur le plan budgétaire, applicable pour une certaine durée comme toutes les mesures de ce type, et aurait un caractère strictement non létal. Il n'existe en effet à ce stade aucun consensus permettant d'envisager le moindre soutien létal aux forces armées arméniennes dans le cadre de la facilité européenne pour la paix.

L'adoption d'une telle mesure serait cohérente avec les mesures de soutien adoptées par l'Union européenne en faveur de la Moldavie ou de la Géorgie, qui font également face à une relation difficile avec la Fédération de Russie et qui bénéficient aujourd'hui du statut de candidat à l'adhésion.

La proposition de résolution européenne présentée par MM. JeanFrançois Rapin et Bruno Retailleau entend donc réaffirmer, dans le contexte des négociations engagées au Conseil, la position adoptée sur ce point par le Sénat le 17 janvier 2024, afin que l'Arménie puisse bénéficier rapidement d'une mesure d'assistance au titre de la facilité européenne pour la paix.

Cette proposition a été examinée le jeudi 11 avril 2024 par la commission des affaires européennes.

À l'issue de cette réunion, la commission des affaires européennes a adopté, sur le rapport de Mme Valérie Boyer, trois amendements puis la proposition de résolution européenne ainsi modifiée visant à permettre le financement, par la facilité européenne pour la paix, d'une mesure d'assistance au profit de l'Arménie.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires européennes, réunie le jeudi 11 avril 2024, a engagé le débat suivant :

M. Jean-François Rapin, président. - La seconde proposition de résolution européenne soumise ce matin à l'examen de notre commission (n° 507) obéit elle aussi à un calendrier très contraint. J'en ai moi-même pris l'initiative avec le Président Bruno Retailleau, dans un contexte de tensions croissantes depuis l'invasion russe en Ukraine : l'Arménie est menacée par l'Azerbaïdjan mais aussi par la Russie, à mesure que l'Arménie se rapproche de l'Union européenne. En retour, l'Union se doit de soutenir l'Arménie au même titre que la Moldavie et la Géorgie, elles aussi inquiètes devant l'agressivité que la Russie manifeste en Ukraine.

L'intégrité territoriale de ces pays doit absolument être respectée : j'ai tenu à le faire rappeler par mes homologues des commissions des affaires européennes, réunis à la Conférence des organes spécialisés dans les affaires de l'Union (la COSAC) le 26 mars dernier. Le projet de contribution prévoyait que la COSAC exprime « son soutien inébranlable à l'indépendance, à la souveraineté et à l'intégrité territoriale de l'Ukraine, de la Moldavie et de la Géorgie à l'intérieur de leurs frontières internationalement reconnues ». J'ai déposé un amendement à ce projet pour intégrer l'Arménie à cette liste car c'est la paix dans toute cette région caucasienne que nous devons soutenir : l'amendement a été repris dans la version finale de la contribution de la COSAC. J'en suis honoré et je m'en félicite.

L'engagement européen auprès de ces pays menacés doit passer par des mots mais aussi par des actes, y compris en mobilisant la Facilité européenne pour la paix, cet instrument extrabudgétaire qui a pour objectif d'accroître la capacité de l'Union à prévenir les conflits et qui est déjà activé au profit de l'Ukraine depuis sa création en 2021. Le mobiliser aussi pour l'Arménie : voilà l'objet de la proposition de résolution européenne n° 507, que j'ai déposée avec Bruno Retailleau il y a une semaine, et que je remercie Valérie Boyer d'avoir bien voulu rapporter dans des délais très serrés, commandés par la suspension imminente de nos travaux et par le calendrier européen qui, nous venons de l'apprendre, devrait amener les 27 à se prononcer avant la fin du mois sur ce sujet. Je lui laisse la parole.

Mme Valérie Boyer- Merci beaucoup Monsieur le Président. Mes chers collègues, tout d'abord mes premiers seront pour le président Rapin et le président Retailleau. Je les remercie de leur confiance pour m'avoir demandé de présenter cette proposition de résolution européenne qui vise à permettre le financement, par la facilité européenne pour la paix, d'une mesure d'assistance au profit de l'Arménie. Vous connaissez la situation dans cette zone, qui est chaque jour dramatique. Cette proposition de résolution européenne réitère et renforce la position que le Sénat avait adoptée le 17 janvier dernier.

Je rappelle en effet qu'à la suite des opérations militaires engagées par l'Azerbaïdjan au Haut-Karabagh, en Artsakh, du 27 septembre au 10 novembre 2020, connues sous le nom de « guerre des 44 jours », puis ensuite des 19 et 20 septembre 2023 qui ont très grièvement meurtri l'Arménie, le Sénat a adopté à trois reprises des résolutions, en application de l'article 34-1 de la Constitution.

Dans sa résolution du 17 janvier 2024, la dernière en date, le Sénat réaffirmait l'inviolabilité de l'intégrité territoriale de l'Arménie et demandait le retrait immédiat et inconditionnel, sur leurs positions initiales, des forces azerbaïdjanaises et de leurs alliés du territoire souverain de l'Arménie. La République d'Arménie, état souverain reconnu par la communauté internationale, est de fait attaquée quotidiennement. Le Sénat soulignait également que l'Arménie avait le droit de défendre son intégrité territoriale et de disposer des moyens d'assurer sa sécurité, y compris par la voie militaire. Comme l'a rappelé le président Rapin, ce point a également été souligné par la COSAC.

Nous avions également dénoncé, et je veux le souligner, l'exode forcé, à l'automne 2023, de la quasi-totalité des Arméniens qui vivaient au Haut-Karabagh. Récemment, des Azerbaidjanais ont filmé des moqueries et tortures infligées à une personne arménienne restée en Artsakh. Selon les informations qui m'ont été communiquées, il resterait moins de 10 personnes d'origine arménienne dans la région, des vieillards et des personnes en situation de handicap maltraitées par les forces par les forces azéries présentes sur le territoire. On peut dire que le nettoyage ethnique a été une grande réussite !

Ceci est en effet assimilable à une opération de nettoyage ethnique, comme nous l'avions affirmé et comme l'Assemblée nationale vient également de le faire dans une résolution adoptée début mars. C'est un point de la résolution que je vous proposerai de renforcer. La qualification de « nettoyage ethnique » incombera in fine aux juridictions, mais c'est un sujet sur lequel le Sénat et l'Assemblée nationale ont déjà pris position avec la force de la constatation.

La résolution adoptée le 17 janvier dernier soutenait enfin « toute initiative visant à défendre au niveau de l'Union européenne le recours à la Facilité européenne pour la paix (FEP) en faveur de l'Arménie ». C'est évidemment le point central de la proposition de résolution européenne qui nous réunit ce matin.

Pour préparer cette intervention, j'ai procédé à trois auditions. J'ai ainsi entendu des représentants de la direction de l'Union européenne et de la direction de l'Europe continentale du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, puis le conseiller diplomatique et le conseiller technique en charge des affaires parlementaires au cabinet du ministre des armées et, enfin, l'ambassadrice d'Arménie en France.

L'Arménie continue à faire face à des menaces importantes de la part de l'Azerbaïdjan, qui emploie une rhétorique agressive et qui essaie de lui imputer une volonté d'escalade des tensions. Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a fait part de sa préoccupation en la matière il y a seulement quelques jours. L'Azerbaïdjan pratique la diplomatie de la menace depuis des années et des incidents mineurs sont exploités, faisant régulièrement des morts.

N'oublions pas que le président Aliev parle de l'Arménie comme de « l'Azerbaïdjan occidental ». Cela va au-delà du nettoyage ethnique puisque de tels mots nient l'existence-même d'un État reconnu par la communauté internationale. Faisons attention aux mots des dictateurs. Les autorités de Bakou accusent l'Arménie de masser des troupes à la frontière, même si elle n'est pas en mesure de le faire. Le 31 mars dernier, la mission civile de l'Union européenne a effectué des patrouilles pour le vérifier et a déclaré n'avoir observé aucun mouvement militaire inhabituel de la part de la partie arménienne.

La menace est palpable et l'Azerbaïdjan n'a pas renoncé à établir un passage traversant le sud de l'Arménie, pour assurer une continuité jusqu'à l'enclave azerbaïdjanaise du Nakhitchevan et pouvoir ensuite rejoindre la Turquie. Celle-ci dispose en effet d'une frontière d'à peine 10 kilomètres avec le Nakhitchevan, fruit d'un échange de territoires avec l'Iran. L'Iran, qui comporte une très importante communauté azérie, se méfie pourtant des projets d'expansion territoriale de l'Azerbaïdjan et apparaît aujourd'hui comme un « allié » de l'Arménie sur cette question. Je dirais peut-être que c'est le seul État de la région qui n'agresse par l'Arménie, considérant que l'Iran comme d'autres États ne sont pas venus au soutien de l'Arménie lorsqu'elle fut attaquée.

Au-delà de la menace azérie, l'Arménie doit aussi faire face à une menace croissante de déstabilisation de la part de la Russie, à laquelle elle a longtemps été liée. L'Arménie demeure ainsi membre de l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) qui rassemble la Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizistan et le Tadjikistan.

Ce lien datant de la Russie soviétique explique d'ailleurs, pour une part, les relations complexes que peut entretenir la Géorgie avec l'Arménie, mais aussi le regard méfiant qu'ont longtemps porté un certain nombre d'États membres de l'Union européenne vis-à-vis de l'Arménie, et notamment ceux qui ont pu se dégager du joug de l'empire soviétique à la chute du Mur. Cette perception est en train de changer, sous le coup de déclarations de plus en plus menaçantes de la part de la Russie, au fur et à mesure que l'Arménie se rapproche de l'Union européenne. Cela explique pourquoi une mission d'assistance au titre de la facilité européenne pour la paix devient possible.

L'Union européenne est engagée en faveur d'une paix juste et durable au Caucase et elle essaie de jouer un rôle de médiateur entre les parties. Mais au-delà, on note un rapprochement structurel avec l'Arménie, en particulier à travers l'accord de partenariat global et renforcé, entré en vigueur dès mars 2021. C'est dans ce cadre que l'Union européenne vient d'annoncer, le 5 avril, une enveloppe de 270 millions d'euros sur la période 2024-2027, dans le cadre d'un programme intitulé « Résilience et croissance de l'Arménie 2024-2027 ».

Un dialogue politique et de sécurité est également en place, la deuxième réunion de ce type ayant eu lieu en novembre 2023. L'Union européenne a également institué, en janvier 2023, une mission civile en Arménie, dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC). Celle-ci vise à contribuer à la stabilité dans les zones frontalières en Arménie, et ainsi à favoriser les efforts de normalisation entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, soutenus par l'Union européenne.

Enfin, devant le Parlement européen, en octobre dernier, le Premier ministre Pachinian a déclaré que « l'Arménie est prête à se rapprocher de l'UE aussi loin que l'UE le juge possible », ce qui constitue un pas très important de la part de l'Arménie.

En s'inscrivant dans le prolongement de ces propos, des responsables politiques arméniens de premier rang, notamment le Président de l'Assemblée nationale et le ministre des affaires étrangères, évoquent désormais ouvertement la possibilité que leur pays formule une demande d'adhésion à l'Union européenne. Celle-ci apparaît peu probable en l'état, compte tenu des relations que l'Arménie entretient encore avec les organisations dépendant de la Russie, notamment l'OTSC et l'Union économique eurasiatique. Mais c'est le signal d'un tournant stratégique pour ce pays.

La France, dans un cadre bilatéral, a apporté un soutien important à l'Arménie. Elle a renforcé sa relation dans le domaine de la défense et s'est fortement investie pour faire comprendre à ses partenaires de l'Union européenne le changement de dynamique à l'oeuvre dans le Caucase. La France soutient les forces armées arméniennes, non pas contre l'Azerbaïdjan ou la Russie, mais bien pour permettre à l'Arménie d'améliorer ses capacités défensives et, ainsi, d'assurer son intégrité territoriale. L'Arménie a notamment passé commande de dispositifs de défense antiaérienne auprès d'industriels français.

Pourtant, au regard des menaces auxquelles l'Arménie est confrontée et de l'état des forces armées arméniennes, le seul soutien de la France ne suffira pas, d'où l'intérêt d'une mesure d'assistance dans le cadre de la facilité européenne pour la paix qui marquerait un nouvel engagement de l'Union européenne à l'égard de l'Arménie.

Je rappelle que la facilité européenne pour la paix (FEP) a été établie en 2021 et qu'elle vise à permettre le financement, par les États membres de l'Union européenne, d'actions de l'Union européenne au titre de la politique étrangère et de sécurité commune destinées à préserver la paix, prévenir les conflits et renforcer la sécurité internationale. C'est en particulier l'outil utilisé pour apporter un soutien militaire à l'Ukraine, mais dans une autre dimension, le soutien militaire à l'Ukraine n'étant pas de même proportion que celui destiné à l'Arménie.

Dès le mois d'octobre 2023, Catherine Colonna avait écrit à Josep Borrell afin de lui demander d'intégrer l'Arménie dans le champ des bénéficiaires de cette FEP. Lors de sa réunion du 13 novembre 2023, le Conseil des affaires étrangères est convenu d'étudier la possibilité d'apporter un soutien non létal à l'Arménie au titre de la facilité européenne pour la paix et de renforcer la mission de l'Union européenne dans le pays, afin que le nombre d'observateurs et de patrouilles puisse augmenter, y compris dans des zones sensibles. Je me permets de les remercier et de souligner leur travail utile et important dans cette zone.

Les personnes auditionnées nous ont indiqué que l'Arménie a adressé une demande formelle de soutien dans le cadre de la facilité européenne pour la paix. Au départ, certains États membres sont apparus sur la réserve, en avançant notamment une possible crispation de l'Azerbaïdjan en retour. L'idée de mettre en place une mesure parallèle en faveur de l'Azerbaïdjan afin de contribuer à des opérations de déminage a même été évoquée. Elle semble aujourd'hui écartée dans la mesure où l'Azerbaïdjan, très critique sur les positions de l'Union européenne, n'en est pas demandeur. En outre, l'Union européenne soutient déjà des opérations de déminage.

Un accord de principe s'est dessiné lors d'une réunion récente du Comité politique et de sécurité (COPS). Les négociations devraient donc s'accélérer très fortement. Selon les informations que j'ai recueillies en début de semaine, des négociations auraient lieu cette semaine dans le cadre des groupes de travail du Conseil, en vue d'une adoption en COREPER la semaine prochaine, puis d'une adoption par le Conseil le 22 avril. La mesure pourrait ainsi être mise en oeuvre dès le lendemain.

Les délais sont donc extrêmement courts mais c'était une fenêtre qu'il ne fallait pas rater. La mesure étant en cours de négociation, compte tenu de sa nature et du caractère confidentiel des documents s'y rapportant, elle ne peut être détaillée dans le rapport. Elle devrait néanmoins être d'ampleur budgétaire limitée et bornée dans le temps, comme toute mesure de ce type. Des garanties devraient également être apportées sur le caractère strictement non létal de la mesure.

Il n'existe à ce stade aucun consensus permettant d'envisager le moindre soutien létal aux forces armées arméniennes dans le cadre de la facilité européenne pour la paix.

L'ambition, quoique limitée sur le plan budgétaire, est forte sur le plan symbolique. Elle s'inscrit en outre dans une démarche cohérente de soutien de l'Union européenne vis-à-vis de la Moldavie, qui a bénéficié de plusieurs mesures d'assistance, ainsi que de la Géorgie, pour laquelle des négociations sont également en cours.

Par le biais de cette proposition de résolution européenne, c'est donc un signal important que nous souhaitons voir l'Union européenne accorder à l'Arménie. S'agissant plus précisément du texte qui nous a été proposé par les présidents Rapin et Retailleau, je vous propose trois amendements :

- le premier, afin d'introduire un nouvel alinéa 12 pour faire référence à une résolution adoptée par l'Assemblée nationale le 4 mars 2024. Le but est de bien montrer que le Parlement français est à l'unisson dans cette démarche et que la position défendue est celle de la France dans son ensemble, par-delà les clivages politiques ;

- le deuxième, à l'alinéa 16, afin d'évoquer un « passage traversant le sud de l'Arménie », plutôt que d'évoquer le couloir du Zanguezour ;

- le troisième, à l'alinéa 24, pour souligner que l'exode des personnes qui vivaient au Haut-Karabagh était un exode forcé, assimilable à une opération de nettoyage ethnique. Il ne reste que des tombes, qui sont aujourd'hui profanées et, selon des données qui m'ont été communiquées, moins de 10 personnes d'origine arménienne en Artsakh.

M. Didier Marie. - Il me paraît judicieux d'employer le terme « assimilable ».

Mme Valérie Boyer- Oui, c'est un terme non contestable en effet ! Cette position est cohérente avec la position adoptée par le Sénat le 17 janvier et correspond à la réalité que je vous décrivais.

Notre position pourra être utile à nos collègues qui participeront la semaine prochaine à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, laquelle a suspendu en janvier dernier les droits de la délégation de l'Azerbaïdjan, ainsi qu'à nos collègues qui se rendront en Arménie pendant la deuxième semaine de suspension, avec le groupe d'amitié. Elle sera également très utile aux parlementaires qui siègeront à l'assemblée parlementaire de l'OSCE fin juin à Bucarest, où nous déciderons vraisemblablement de faire part de cette position. Nous tenterons de soutenir cette proposition et de convaincre nos collègues de la partager dans leurs parlements respectifs. Je remercie une nouvelle fois les présidents Rapin et Retailleau pour leur engagement et leur confiance.

M. Jean-François Rapin, président. - Merci, Madame la rapporteure. C'est important de défendre cette position à un moment clef. Je crois que le Gouvernement français est demandeur d'un soutien des deux chambres afin de porter la voix de la France à l'unisson sur ce sujet.

M. Didier Marie. - Je remercie la rapporteure pour le travail effectué et les propositions qui sont faites. Une actualité chassant l'autre, on a malheureusement tendance à oublier ce qui s'est passé il y a peu de temps. La situation en Arménie reste particulièrement tendue et l'Azerbaïdjan demeure menaçant. Je siège à l'APCE et nous avons pu constater, à de nombreuses reprises, la position azerbaidjanaise, agressive et révisionniste, ce qui a amené cette délégation à être suspendue de l'assemblée parlementaire pendant un an. L'utilisation de la FEP, même dans des proportions relativement modestes, est un symbole que nous soutenons. J'ai une question sur la nature de l'aide apportée par cette facilité, concernant la guerre cyber et les attaques dont l'Arménie peut faire l'objet de la part de l'Azerbaïdjan en termes de désinformation. Des moyens sont-ils envisagés, le cas échéant, pour lutter contre celle-ci ?

M. Jacques Fernique. - J'exprime l'accord de mon groupe avec ce texte. La mesure d'assistance dans le cadre FEP déployée pour l'Arménie semble tout à fait opportune.

Mme Marta de Cidrac. - J'approuve entièrement tout ce qui a été dit.

M. Didier Marie. - La FEP est utilisée dans certains pays pour lutter contre les cyberattaques et la désinformation. Je ne citerai pas les pays déjà évoqués précédemment, mais ce sont des attaques provenant de la Russie et visant à remettre en cause le rapprochement en cours avec l'Union européenne. Ces attaques de désinformation ont lieu pour les mêmes raisons dans les Balkans, d'où ma question sur les moyens disponibles en Arménie pour faire face à ces menaces.

Mme Valérie Boyer- C'est une première étape en effet. L'important est déjà de de faire en sorte que l'Arménie bénéficie de la FEP, ce qui reviendrait à une reconnaissance de son statut d'agressé. L'une des difficultés auxquelles fait face l'Arménie, c'est la capacité de conviction dont dispose l'Azerbaïdjan envers quelques États membres, proches de Bakou pour diverses raisons, et pas seulement pour le gaz. Il y a également une réelle méconnaissance de la situation de l'Arménie. Concernant le point que vous soulevez, l'Arménie a développé des capacités remarquables dans le domaine cyber et avait souhaité, avant même la guerre des 44 jours, faire de son territoire une île cyber au milieu de l'océan de dictatures qui l'entoure. Après la guerre en Ukraine, de nombreuses personnes travaillant dans le domaine ont quitté la Russie et se sont installées à Erevan, qui demeurait une échappatoire pour les opposants du régime. Ce n'est qu'une observation personnelle. Il existait également de nombreux accords avec les entreprises françaises sur ces questions cyber.

Mme Marta de Cidrac. - Merci pour ces observations, Madame la rapporteure. J'ai une question concernant la Géorgie, État voisin aujourd'hui candidat à l'adhésion à l'Union européenne. Comment le pays se positionne-t-il et vit-il la situation particulièrement complexe traversée par l'Arménie ?

Mme Valérie Boyer- Je ne connais pas personnellement la Géorgie mais j'ai toujours été marquée par les tensions et la complexité des liens entre les deux pays. Je pense que c'est lié à leur histoire, notamment à la façon dont les évènements se sont déroulés après la chute de l'Union soviétique. La Géorgie s'est démarquée de façon différente de l'Arménie, qui était à l'époque pleinement imbriquée dans le bloc soviétique et qui n'a pas pu manifester de soutien à la volonté d'ouverture démocratique géorgienne. Par ailleurs, les liens entre la Géorgie et la Turquie sont excellents. La Turquie n'exprime pas d'intention génocidaire vis-à-vis de la Géorgie. Pourtant, l'Arménie et la Géorgie ont beaucoup de points communs et expriment, comme nombre d'anciens pays satellites de l'URSS, une envie d'émancipation et de processus démocratique.

M. Jean-François Rapin, président. - Merci beaucoup, je vous propose de passer au vote de cette proposition de résolution européenne.

La commission adopte, à l'unanimité, les amendements proposés par la rapporteure puis la proposition de résolution européenne, disponible en ligne sur le site Internet du Sénat.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
VISANT À PERMETTRE LE FINANCEMENT
PAR LA FACILITÉ EUROPÉENNE POUR LA PAIX
D'UNE MESURE D'ASSISTANCE AU PROFIT DE L'ARMÉNIE

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu le traité sur l'Union européenne, et notamment ses articles 21, 28, 41, 42 et 43,

Vu l'accord de partenariat global et renforcé entre l'Union européenne et la Communauté européenne de l'énergie atomique et leurs États membres, d'une part, et la République d'Arménie, d'autre part, entré en vigueur le 1er mars 2021,

Vu la décision (PESC) 2021/509 du Conseil du 22 mars 2021 établissant une facilité européenne pour la paix, et abrogeant la décision (PESC) 2015/528, modifiée par les décisions (PESC) 2023/577 et 2023/994 du Conseil des 13 mars et 22 mai 2023 et (UE) 2023/1304 du Conseil du 26 juin 2023 ;

Vu la décision (PESC) 2023/162 du Conseil du 23 janvier 2023 relative à une mission de l'Union européenne en Arménie (EUMA),

Vu les résultats de la réunion du Conseil des affaires étrangères de l'Union européenne du 13 novembre 2023,

Vu les conclusions du deuxième dialogue politique et de sécurité de haut niveau entre l'Union européenne et l'Arménie du 15 novembre 2023,

Vu les résultats de la cinquième réunion du Conseil de partenariat entre l'Union européenne et l'Arménie, tenue le 13 février 2024,

Vu les résolutions du Parlement européen du 20 mai 2021 sur les prisonniers de guerre à la suite du dernier conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan (2021/2693(RSP)), du 10 mars 2022 sur la destruction du patrimoine culturel au Haut-Karabakh (2022/2582(RSP)), du 5 octobre 2023 sur la situation au Haut-Karabagh après l'attaque menée par l'Azerbaïdjan et la persistance des menaces contre l'Arménie (2023/2879(RSP)), et du 13 mars 2024 sur le resserrement des liens entre l'Union et l'Arménie et sur la nécessité de parvenir à un accord de paix entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie (2024/2580(RSP)),

Vu les résolutions du Sénat n° 26 (2020-2021), du 25 novembre 2020, portant sur la nécessité de reconnaître la République du Haut-Karabagh, n° 19 (2022-2023), du 15 novembre 2022, visant à appliquer des sanctions à l'encontre de l'Azerbaïdjan et exiger son retrait immédiat du territoire arménien, à faire respecter l'accord de cessez-le-feu du 9 novembre 2020, et favoriser toute initiative visant à établir une paix durable entre les deux pays, et n° 50 (2023-2024), du 17 janvier 2024, visant à condamner l'offensive militaire de l'Azerbaïdjan au Haut-Karabagh et à prévenir toute autre tentative d'agression et de violation de l'intégrité territoriale de la République d'Arménie, appelant à des sanctions envers l'Azerbaïdjan et demandant la garantie du droit au retour des populations arméniennes au Haut-Karabagh,

Vu la contribution de la LXXIe Conférence des organes parlementaires spécialisés dans les affaires de l'Union européenne (COSAC) des 24-26 mars 2024,

Considérant que les relations entre l'Union européenne et l'Arménie reposent sur des valeurs communes telles que la démocratie, l'État de droit, les droits de l'homme et les libertés fondamentales, la coopération régionale et un engagement actif dans le cadre du partenariat oriental afin de contribuer à la coopération et à la stabilité régionales ;

Considérant l'agression militaire conduite par l'Azerbaïdjan les 19 et 20 septembre 2023 dans la région du Haut-Karabagh, en violation de l'accord de cessez-le-feu du 9 novembre 2020 et du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ;

Considérant les violations répétées de l'intégrité territoriale de l'Arménie par l'Azerbaïdjan et ses ambitions affichées de créer un couloir de transport qui traverse le massif du Zanguezour, situé au Sud de l'Arménie, pour relier l'Azerbaïdjan à la République autonome du Nakhitchevan, et d'offrir ainsi une continuité terrestre jusqu'à sa frontière avec la Turquie ;

Considérant que le conflit du Haut-Karabagh et celui entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie se déroulent dans une région particulièrement instable, proche de l'Union européenne, et comportent un risque d'embrasement impliquant potentiellement des puissances régionales ;

Considérant que le Président de l'Assemblée nationale d'Arménie puis le ministre arménien des affaires étrangères ont évoqué, les 4 et 9 mars 2024, la possibilité pour l'Arménie de déposer une demande d'adhésion à l'Union européenne ;

Considérant la menace croissante de déstabilisation de l'Arménie par la Russie en réponse à ce rapprochement de l'Union européenne ;

Considérant que l'Union européenne soutient la souveraineté, l'intégrité territoriale et l'inviolabilité des frontières de l'Arménie, et qu'elle se mobilise en faveur d'une paix et d'une stabilité justes et durables dans le Caucase du Sud ;

Considérant que la mission de l'Union européenne en Arménie, dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), créée par décision du Conseil le 23 janvier 2023, a pour objectif de contribuer à réduire le nombre d'incidents survenant dans les zones touchées par des conflits et les zones frontalières en Arménie ainsi que le niveau de risque pour la population vivant dans ces zones, et ainsi de contribuer à la normalisation des relations entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan sur le terrain ;

Considérant que la facilité européenne pour la paix a été établie en 2021 en vue du financement, par les États membres, d'actions de l'Union européenne au titre de la politique étrangère et de sécurité commune destinées à préserver la paix, prévenir les conflits et renforcer la sécurité internationale ;

Considérant que le Conseil des affaires étrangères de l'Union européenne, lors de sa réunion du 13 novembre 2023, est convenu d'étudier la possibilité d'apporter un soutien non létal à l'Arménie au titre de la facilité européenne pour la paix et de renforcer la mission de l'Union européenne dans le pays, afin que le nombre d'observateurs et de patrouilles puisse augmenter, y compris dans des zones sensibles ;

Réitère sa condamnation avec la plus grande fermeté de l'offensive militaire menée les 19 et 20 septembre 2023 par l'Azerbaïdjan, avec l'appui de ses alliés, dans le Haut-Karabagh, qui a contraint à l'exode la quasi-totalité des populations arméniennes qui y vivaient ;

Salue les efforts déployés par l'Union européenne, notamment au travers de la mission déployée en Arménie, en faveur de la paix dans le Caucase ;

S'inquiète néanmoins des ambitions hégémoniques de l'Azerbaïdjan et de la Turquie ainsi que du danger qu'elles représentent pour la République d'Arménie, son intégrité territoriale et la paix dans le Caucase ;

Exprime également ses plus vives craintes vis-à-vis des actions de déstabilisation de l'Arménie qui pourraient être menées par la Russie, alors que l'Arménie manifeste son souhait de se rapprocher de l'Union européenne ;

Fait valoir le droit de l'Arménie à défendre son intégrité territoriale et à disposer des moyens d'assurer sa sécurité, y compris par la voie militaire ;

Juge légitime et opportun, dans ce contexte, que l'Arménie puisse bénéficier d'une mesure d'assistance au titre de la facilité européenne pour la paix, en pleine cohérence avec les objectifs assignés à cette facilité et avec le renforcement en cours des liens entre l'Union européenne et l'Arménie ;

Invite le Gouvernement à faire valoir cette position dans les négociations au Conseil.

LA RÉSOLUTION EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, le tableau synoptique de la résolution en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

https://www.senat.fr/tableau-historique/ppr23-507.html

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Lundi 8 avril 2024

- Ministère de l'Europe et des affaires étrangères :

o M. Benoît LEROSEY, chef de mission au service des relations extérieures de l'Union européenne, à la direction de l'Union européenne ;

o M. Nicolas KARGES, adjoint au sous-directeur du Caucase et de l'Asie centrale, à la direction de l'Europe continentale ;

o M. Jules SUBERVIE, adjoint au chef de mission RELEX1 de la direction de l'Union européenne, chargé de l'Europe de la défense ;

o M. Félix CABANNES, rédacteur Europe de la défense et PSDC à la mission RELEX1 de la direction de l'Union européenne ;

o M. Sacha BAUDINET, rédacteur à la mission RELEX2 de la direction de l'Union européenne, chargé de l'Europe orientale et du Caucase ;

- Cabinet du ministre des armées :

o M. Vincent BRACONNAY, conseiller diplomatique ;

o M. Malo TRICCA, conseiller technique pour les affaires parlementaires ;

- Ambassade d'Arménie en France :

o Mme Hasmik TOLMAJIAN, ambassadrice de la République d'Arménie en France ;

o Mme Varduhi SAHAKYAN, première secrétaire.


* 1 Résolutions du Sénat n° 26 (2020-2021), du 25 novembre 2020, portant sur la nécessité de reconnaître la République du Haut-Karabagh, n° 19 (2022-2023), du 15 novembre 2022, visant à appliquer des sanctions à l'encontre de l'Azerbaïdjan et exiger son retrait immédiat du territoire arménien, à faire respecter l'accord de cessez-le-feu du 9 novembre 2020, et favoriser toute initiative visant à établir une paix durable entre les deux pays, et n° 50 (2023-2024), du 17 janvier 2024, visant à condamner l'offensive militaire de l'Azerbaïdjan au Haut-Karabagh et à prévenir toute autre tentative d'agression et de violation de l'intégrité territoriale de la République d'Arménie, appelant à des sanctions envers l'Azerbaïdjan et demandant la garantie du droit au retour des populations arméniennes au Haut-Karabagh.

* 2 Résolution européenne de l'Assemblée nationale n° 248 (seizième législature) du 4 mars 2024 visant à dénoncer le nettoyage ethnique des populations arméniennes du Haut-Karabakh par l'Azerbaïdjan et à exiger le respect de l'intégrité territoriale de la République d'Arménie.

* 3 Décision (PESC) 2023/162 du Conseil du 23 janvier 2023 relative à une mission de l'Union européenne en Arménie (EUMA).

* 4 Compte-rendu de l'entretien de M. Stéphane Séjourné, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, avec son homologue arménien, M. Ararat Mirzoyan, le 9 février 2024.

* 5 Projet de loi de finances pour 2024 : Défense : Équipement des forces - Avis n° 130 (2023-2024), tome VIII, de M. Hugues Saury et Mme Hélène Conway-Mouret, déposé le 23 novembre 2023.

* 6 La République autonome du Nakhitchevan est aujourd'hui une région de l'Azerbaïdjan, sans continuité territoriale avec le reste du pays. Annexé par la Russie en 1828, le Khanat du Nakhitchevan fut inclus dans l'oblast arménien puis dans le gouvernement d'Erevan. Sous la domination soviétique, en 1921, Joseph Staline décida de rattacher le Nakhitchevan à l'Azerbaïdjan, en le dotant d'un statut de région autonome. Les Arméniens représentaient, avant la soviétisation, environ la moitié de la population de cette région, qui a été progressivement vidée de sa population arménienne. Les traces de la présence arménienne, des églises jusqu'aux tombes, ont également fait l'objet d'une politique d'effacement méthodique. Une étude de chercheurs de l'Université de Cornell (Caucasus Heritage Watch, “Silent Erasure: A Satellite Investigation of the Destruction of Armenian Cultural Heritage in Nakhchivan, Azerbaijan”), publiée en septembre 2022, a estimé que 98 % du patrimoine religieux arménien répertorié (églises, monastères et cimetières) avait été détruit entre 1997 et 2011.

* 7 Lors de sa réunion du 14 décembre 2023, le Bureau du Sénat a décidé de restreindre les activités des groupes interparlementaires d'amitié avec la Russie et la Syrie, ainsi qu'avec l'Azerbaïdjan au sein du groupe régional « France-Caucase », aux seules auditions de chercheurs, de journalistes ou d'opposants, les liens avec les ambassades, les homologues parlementaires et les autorités de ces pays étant gelés.

* 8 Résolution 2527 (2024) sur la contestation, pour des raisons substantielles, des pouvoirs non encore ratifiés de la délégation parlementaire de l'Azerbaïdjan, adoptée par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe le 24 janvier 2024.

* 9 Décision (PESC) 2021/509 du Conseil du 22 mars 2021 établissant une facilité européenne pour la paix, et abrogeant la décision (PESC) 2015/528.

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