EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires européennes, réunie le jeudi 11 avril 2024, a engagé le débat suivant :

M. Jean-François Rapin, président. - Chers collègues, notre commission a ce matin un ordre du jour très chargé, en raison de la prochaine suspension des travaux des institutions européennes et de la suspension ce soir de nos propres travaux pendant deux semaines, puis du calendrier défavorable des deux semaines suivantes, comprenant chacune un jour férié le mercredi.

Nous allons commencer par examiner deux propositions de résolution européenne (PPRE).

La première a été déposée hier par des membres du groupe de suivi de la politique agricole commune (PAC), qui est conjoint à notre commission et à la commission des affaires économiques. Ce groupe de suivi, tout récemment reconstitué à mon initiative, a dû travailler en un temps express pour analyser la réforme de la PAC que vient de proposer en mars la Commission européenne, en réponse à la crise agricole. Il est parvenu à élaborer une position sur cette réforme, que nous réclamions depuis si longtemps et qui doit être adoptée sans délai à Bruxelles, avant que les institutions ne suspendent leurs travaux à cause des élections européennes. Il n'est pas possible en effet d'attendre l'automne pour finaliser la réforme de la PAC : les agriculteurs ne le supporteraient pas. Je remercie Daniel Gremillet d'avoir bien voulu rapporter en un temps record sur cette PPRE, qu'il a contribué à rédiger au sein du groupe de suivi de la PAC. Je lui donne tout de suite lui la parole.

M. Daniel Gremillet. - Merci Monsieur le Président, mes chers collègues, la Commission européenne a en effet présenté, le 15 mars dernier, une proposition législative destinée à modifier deux règlements de la PAC issus de la dernière réforme, afin d'assouplir notamment certaines règles de la conditionnalité. En raison des élections européennes, l'examen de cette proposition s'inscrit dans un calendrier très contraint, comme l'a rappelé le Président Rapin à l'instant, puisqu'après avoir été adopté par le Conseil lors d'une réunion le 26 mars dernier, le texte devrait être soumis au vote du Parlement européen le 25 avril.

En dépit de ces délais très courts, le groupe de suivi sur la PAC s'est donné pour objectif de produire avant la suspension des travaux parlementaires une proposition de résolution européenne afin de réagir en temps utile aux ajustements règlementaires proposés par la Commission. Nous nous sommes donc réunis mardi après-midi dans l'optique d'élaborer un texte commun - et nous y sommes parvenus, à l'issue d'échanges constructifs entre tous les membres du groupe.

Avant de vous présenter succinctement le résultat de nos travaux, je souhaiterais rappeler quelques éléments sur la nouvelle PAC 2023-2027. Tout d'abord, sa première année d'application a confirmé toutes nos craintes : les modalités de mise en oeuvre de cette PAC sont extrêmement complexes, ce qui se traduit par une multiplication des formalités administratives à remplir pour nos agriculteurs. Cette complexité tient, d'une part, à la mise en oeuvre d'une conditionnalité environnementale renforcée, et, d'autre part, à la renationalisation de cette politique au titre de la subsidiarité. Or, dès 2017, le Sénat avait identifié cet écueil ! À plusieurs reprises, nous avons, par le biais de résolutions européennes, mis en garde le Gouvernement contre la charge administrative accrue qui découlerait de la réforme de la PAC. Nous n'avons pas été entendus, et nos agriculteurs ont été submergés de nouvelles normes à mettre en place à très brève échéance, sous peine de sanctions, et sans bénéficier de financements supplémentaires.

Ensuite, les effets de cette réforme ont été considérablement amplifiés par le « Pacte vert » et sa déclinaison sur le volet agricole, la stratégie « De la ferme à la fourchette ». Plusieurs études ont en effet montré que la mise en oeuvre de cette stratégie faisait courir le risque d'une diminution de la production agricole européenne dans des proportions allant de 10 % à 20 % à horizon 2030, en raison de la chute attendue des rendements et de la réduction des surfaces cultivées et du volume des récoltes. Si certaines des règles nouvellement instaurées dans le cadre de la PAC semblaient, dès le départ, peu à même de soutenir la production agricole, le Pacte vert promeut ouvertement une trajectoire décroissante. Une fois de plus, nous avons alerté le Gouvernement, en faisant notamment valoir que toute diminution de la production européenne serait inéluctablement compensée à due concurrence par des importations de substitution extra-européennes. Une fois de plus, nous n'avons pas été entendus ; non seulement la Commission s'est obstinée à décliner sa stratégie, en élaborant de nouvelles réglementations à un rythme effréné, mais en plus le Gouvernement français l'a explicitement soutenue dans cette démarche !

Enfin, et c'est mon troisième point, ces politiques européennes - je veux parler de la PAC et du Pacte Vert - ont été conçues avant l'agression russe de l'Ukraine. Or, et nous avons déjà eu l'occasion d'en discuter au sein de cette commission, ce conflit implique de toute évidence un changement de paradigme, ne serait-ce qu'au regard de la menace qu'il représente pour la sécurité alimentaire mondiale. Le Sénat a, une fois de plus, tiré la sonnette d'alarme dans une résolution européenne du 6 mai 2022 : nous avons pointé la nécessité de répondre à la demande alimentaire mondiale et de remettre au premier plan les objectifs de souveraineté alimentaire et d'autonomie stratégique pour l'Union européenne, à l'heure où nos dépendances éclataient au grand jour. À nouveau, nous n'avons pas été entendus, et nos agriculteurs en ont payé le prix, tant et si bien qu'ils ont fini par laisser exploser leur colère et leurs inquiétudes légitimes.

La PPRE que nous avons élaborée revient sur ces différents points, pour rappeler les positions défendues contre vents et marées par le Sénat français au cours des dernières années. Permettez-moi d'insister sur ce point : il a fallu un certain courage à notre assemblée pour tenir cette ligne politique, que peu d'autorités partageaient et soutenaient alors. Nous regrettons donc explicitement, dans la PPRE, que le Gouvernement et la Commission aient fait la sourde oreille, ignorant les avertissements qui leur étaient adressés jusqu'à l'explosion de la crise actuelle. Nous pointons du doigt la responsabilité des autorités européennes dans l'irruption de cette crise, en rappelant que le Pacte vert a été initié de manière très unilatérale, sans que le monde agricole soit réellement associé à la démarche ; la Commission a cru pouvoir se dispenser de débat sur la logique de décroissance inhérente au « Pacte vert », ainsi que sur les conséquences économiques et sociales de sa mise en oeuvre. Le lancement aujourd'hui d'un dialogue stratégique sur l'avenir de l'agriculture européenne a vocation à réparer cette faute originelle, pour enfin permettre de construire une vision concertée des ambitions agricoles de l'Union - mais cette initiative est bien tardive, et nous le soulignons.

S'agissant plus spécifiquement des ajustements proposés par la Commission, nous soutenons bien évidemment la réouverture des règlements relatifs à la PAC : une telle démarche était indispensable pour garantir une simplification des modalités de mise en oeuvre de cette politique. Nous estimons que les dérogations accordées au respect de la conditionnalité ainsi que l'allègement de certaines exigences - je pense notamment à la suppression de l'obligation de mettre une part minimale des terres en jachère - permettront d'assouplir la gestion des exploitations, ce qui constitue évidemment une bonne nouvelle pour nos agriculteurs.

S'il y a donc lieu de soutenir les évolutions prévues par la Commission, nous sommes d'avis que cette proposition législative ne constitue qu'un premier pas, qui doit impérativement être suivi d'autres initiatives du même ordre et ce, pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, et cela nous a été confirmé lors de l'audition jeudi dernier de notre Représentation permanente à Bruxelles, certaines des pistes d'amélioration identifiées et défendues par notre pays n'ont pas été reprises par la Commission. Nous demandons donc que les Bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE) 2 et 4 fassent l'objet d'un réaménagement, et nous plaidons en faveur d'un relèvement du seuil des aides de minimis. Ce dernier point nous paraît crucial pour permettre aux États membres de répondre de manière plus efficace aux crises actuelles et à venir car il ne leur sert à rien de promettre des aides si les agriculteurs sont interdits de les percevoir dès lors qu'elles dépassent ce seuil.

Nous relevons également que la proposition de règlement confère davantage de souplesse aux États membres dans l'élaboration des normes environnementales : nous invitons donc le Gouvernement à se saisir de l'ensemble des possibilités octroyées par la Commission européenne et à ne pas faire de zèle dans la transposition des obligations européennes, au risque d'aggraver les distorsions de concurrence intra-européennes dont souffre notre agriculture française !

En tout état de cause, des progrès substantiels doivent encore être faits pour permettre aux agriculteurs de faire face aux aléas climatiques et aux situations de force majeure sans crainte de sanction, et nous le rappelons. Il nous semble également fondamental de reconnaître un « droit à l'erreur » aux agriculteurs et de réduire l'incertitude liée aux contrôles, durement vécue par l'ensemble des agriculteurs. Sur ce point, nous estimons qu'il serait opportun d'étudier la mise en place d'un contrôle unique des exploitations agricoles par l'administration.

Notre PPRE aurait pu se limiter à la réforme de la PAC stricto sensu, mais nous avons choisi d'aborder d'autres points sensibles, dont les autorités nationales et européennes doivent impérativement se saisir dans les semaines à venir.

Nous mentionnons, en premier lieu, la lutte contre les pratiques commerciales déloyales, en mettant en exergue la nécessité de lutter plus efficacement contre les contournements des législations nationales sur l'encadrement des négociations commerciales par la localisation de centrales d'achat sur le territoire d'autres États membres. La Commission s'est engagée à évaluer à brève échéance puis à réviser la directive sur les pratiques commerciales déloyales ; nous saluons cette démarche et suivrons attentivement ces travaux.

Nous abordons ensuite la question de la rémunération de nos agriculteurs, en faisant valoir la nécessité de garantir un revenu décent pour tous les acteurs de la chaîne d'approvisionnement alimentaire, et par conséquent de renforcer le pouvoir de négociation des producteurs agricoles.

Nous évoquons, enfin, la politique commerciale de l'Union européenne, en plaidant pour un abaissement des limites maximales de résidus de produits phytosanitaires tolérés dans les produits importés et en appelant à renforcer les contrôles des importations agricoles en provenance de pays tiers. Nous rappelons également, comme nous l'avons déjà fait dans nos résolutions passées, notre attachement aux principes de réciprocité et d'équité dans les échanges internationaux.

Nous avons souhaité ajouter une mention spécifique concernant les importations ukrainiennes ; il s'agit d'un sujet d'actualité, puisqu'un accord a été trouvé avant-hier au niveau du Conseil s'agissant du règlement sur la libéralisation des échanges avec l'Ukraine. Si le Conseil et le Parlement européen sont convenus d'inclure des mesures de sauvegarde, et de retoucher la période de référence utilisée pour calculer le seuil de déclenchement de ces mesures, plusieurs céréales ukrainiennes ne sont pas incluses dans ce mécanisme. Nous estimons qu'il faut maintenir la pression à ce sujet.

Notre PPRE s'achève enfin par un alinéa prospectif : nous rappelons l'imminence du lancement des travaux préparatoires à l'élaboration de la PAC 2028-2034 et appelons, dans ce contexte, à tirer les enseignements de la crise actuelle, pour concevoir une politique agricole commune simple, lisible et clairement orientée vers le renforcement de la souveraineté agricole et alimentaire de l'Union européenne.

M. Jean-François Rapin, président. - Merci, le temps était en effet contraint en raison du calendrier européen et il nous faut en l'occurrence agir très vite.

M. Didier Marie. - Je crois qu'il faut insister sur un point : nous examinons cette PPRE dans la précipitation du fait d'un texte européen lui-même adopté dans des délais très courts. Nous examinons cette proposition de résolution seulement une semaine après la reconstitution du groupe de suivi PAC. Nous n'avons pu réaliser qu'une seule audition, celle de notre Représentation permanente à Bruxelles, et n'avons pas pu entendre les acteurs du monde agricole ayant contesté la nouvelle orientation de la politique agricole commune. Ce contexte n'est pas satisfaisant.

Je suis par ailleurs intrigué par notre calendrier. La proposition de résolution que nous allons adopter n'aura de portée juridique que dans un délai d'un mois, à savoir le 10 mai. Or, le Conseil « Agriculture et pêche » se tiendra le 29 avril. Nous pouvons faire deux lectures de cette situation. Premièrement, nous sommes contraints d'anticiper au regard de la suspension parlementaire, mais nous reviendrons sur la question après le 10 mai, si l'un des groupes de notre assemblée demande l'inscription de cette PPRE à l'ordre du jour en séance publique. Deuxième option, cette PPRE est une communication politique destinée à montrer aux agriculteurs que la majorité sénatoriale a entendu leurs revendications et tente d'y répondre. Je souhaite présenter, au nom de mon groupe, un certain nombre d'amendements pour revenir sur le fond et exprimer nos désaccords avec l'orientation de la PPRE.

M. Jean-François Rapin, président. - Je me permets de répondre en tant que président de la Commission sur l'organisation du travail. Concernant la brièveté du délai écoulé entre l'installation du groupe de suivi PAC et le dépôt de la PPRE, je rappelle que le groupe de suivi n'a naturellement pu être constitué qu'après plusieurs échanges avec la commission des affaires économiques afin de désigner les membres des deux commissions et de s'accorder sur sa présidence. Quant au calendrier européen, nous ne le maîtrisons pas, et sommes contraints de nous y adapter. Même en s'efforçant d'anticiper les sujets législatifs, notre commission n'a pas la main sur les délais internes de procédure d'adoption des PPRE, tels que fixés par le Règlement du Sénat, qui laisse un mois à la commission permanente au fond pour se prononcer si elle le souhaite sur la PPRE qui lui est renvoyée après adoption par notre commission. Nous n'avions donc pas de solution évidente. Une solution aurait pu être que la commission des affaires économiques, compétente sur le fond, délibère juste après notre commission pour adopter la PPRE. Ce scénario n'a malheureusement pas pu être retenu, étant donné que nous sommes à quelques jours de la suspension de nos travaux. Nous devrons donc attendre un mois pour que notre PPRE devienne définitivement résolution du Sénat. Il reste loisible aux groupes politiques qui le souhaiteraient de demander son examen en séance, mais nous ferons toujours face à cette même configuration calendaire défavorable.

S'agissant de la visée de cette PPRE, il s'agit en effet d'envoyer un message en direction de nos agriculteurs, et je l'assume pleinement. Nous sortons d'une crise agricole violente, qui n'est pas terminée. Un nombre important de revendications demeure. On ne peut reprocher aux élus de mon groupe de ne pas avoir fait preuve de constance sur ces sujets agricoles au cours des dernières années. Je rends notamment hommage à notre collègue Sophie Primas, alors présidente de la commission des affaires économiques, avec laquelle nous avons travaillé conjointement pour élaborer et faire adopter un nombre conséquent de PPRE pour alerter sur la catastrophe qui s'annonçait. Or, nous n'avons pas été entendus. Vous défendez votre ligne politique, comme nous défendons la nôtre, c'est la règle du débat politique.

M. Pierre Cuypers. - J'aimerais remercier le rapporteur pour son investissement sans faille, qui l'a conduit à retravailler la PPRE en un temps record, pour intégrer les différentes modifications dont nous avons débattu lors de la dernière réunion du groupe de suivi PAC. Concernant l'accord concernant les importations agricoles d'Ukraine, vous avez mentionné les céréales. L'importation massive de sucre est également un sujet majeur, puisque les volumes importés sont passés de 20 000 tonnes annuelles avant le conflit à 700 000 tonnes en 2023. D'après mes contacts en Ukraine, ce pays est heureux d'avoir trouvé un tel marché pour ses exportations et envisage d'exporter 30 % de sucre de betterave supplémentaires. Cela aurait pour conséquence la fermeture de nombreuses usines françaises.

M. Daniel Gremillet. - La PPRE ne mentionne pas le sucre car ce produit est couvert par le mécanisme d'urgence prévu dans l'accord avec l'Ukraine.

M. Jacques Fernique. - Contrairement au texte proposé aujourd'hui, le groupe écologiste ne se réjouit pas de la révision de la PAC. Nous déplorons que dans un contexte de fortes tensions agricoles, la Commission privilégie des réponses de court terme, au détriment de la transition bas carbone et des résultats de trois ans d'inclusion d'un volet environnemental dans la PAC. On parle de simplification administrative mais, en réalité, il s'agit d'un détricotage : on sape les objectifs du Pacte vert. Il ne faut pas perdre de vue que l'agriculture est le deuxième secteur le plus émetteur de carbone en France. Si nous voulons atteindre nos objectifs en termes d'émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2030, nous devons réduire de 22 % ces émissions agricoles par rapport à 2015. Pour atteindre les objectifs à l'horizon 2050, une trajectoire encore plus accentuée serait nécessaire. Le Haut conseil pour le climat a publié une communication explicite et claire à ce sujet en janvier dernier.

Les agriculteurs n'ont pas à payer le prix de cette transition nécessaire. Il est difficile d'entendre dire qu'il faut changer de pratiques ; il est donc nécessaire de mettre en place un accompagnement solide à destination des agriculteurs. Les autorités doivent les soutenir en leur garantissant un revenu digne et une retraite décente, en facilitant l'accès au foncier, en s'efforçant de freiner la baisse des prix de production et en les protégeant de la concurrence mondialisée qui résulte des accords internationaux. Cette résolution n'incite pas à faire tout ceci : elle repousse des mesures nécessaires à demain, si ce n'est à jamais.

L'alinéa 34 est éloquent : il appelle à rester sur la ligne de cette PPRE au-delà de 2028. Oui, les normes doivent être simplifiées, mais les supprimer purement et simplement est une mauvaise solution. La crise agricole a été fortement nourrie par la crise du revenu agricole ; c'est un enjeu auquel il faut s'attaquer, mais supprimer les exigences environnementales n'est pas la solution. Les subventions récompensent les exploitations à l'hectare et font disparaitre les petites exploitations. La loi Egalim est bafouée durant les négociations commerciales, ce qui profite à la grande distribution et l'agro-industrie. Des agriculteurs sont exposés à des marchés internationaux volatiles, ce qui nécessite une vraie lutte contre la concurrence déloyale.

Enfin, les modèles agricoles durables sont ceux qui préservent la biodiversité des sols. Ce sont les modèles les plus résilients face aux chocs climatiques et économiques : ce sont ceux qui doivent être soutenus par les pouvoirs publics. Or ce n'est pas l'esprit de ce texte. Nous voterons donc contre cette PPRE, et en faveur de tous les amendements de mes collègues socialistes, dont je salue les efforts pour orienter dans le bon sens cette PPRE.

En conclusion, il est significatif que, dans les 35 alinéas de cette PPRE, il n'y ait pas la moindre allusion à la transition bas carbone à mener en agriculture, aux défis de réduction des émissions, d'augmentation de stockage et de préparation à un climat plus chaud. Je note la mention des aléas climatiques, seulement abordés sous l'angle de dérogations associées dans la gestion de l'eau pour les agriculteurs. Nous sommes d'accord avec des éléments de la PPRE, notamment sur les limites maximales de résidus tolérés dans les produits importés, sur le contrôle des importations et les clauses miroirs, sur les outils pour renforcer la place des agriculteurs dans la chaîne de valeur. Mais dans l'ensemble, nous ne partageons par l'esprit de cette résolution qui offre des réponses de court terme qui occultent les défis liés aux transitions à mener.

M. Michaël Weber. - Je souhaite abonder dans le sens des interventions de Didier Marie et de Jacques Fernique. Nous partageons le constat de l'origine de la crise agricole ; or c'est bien le problème, nous n'avons pas pris le temps suffisant pour discuter des réalités de l'adaptation à la transition demandée aujourd'hui, de son impact sur le revenu des agriculteurs et de la question des normes, qui est un faux-sujet. Les normes sont là pour garantir l'application de décisions qui ont été prises. Je pense que nous partageons tous ce constat. Il existe un vrai clivage politique cependant dans les réponses à apporter à la crise agricole. Il y a d'un côté ceux qui pensent qu'il faut revenir à des pratiques anciennes, et n'assument pas la nécessité de porter cette transition ; c'est une politique de l'autruche à contre-courant des souhaits de la population, des citoyens et des consommateurs. Les problématiques liées à l'eau, au sol, aux produits phytosanitaires touchent tout le monde. Les tenants de cette ligne considèrent que la transition n'est pas faite de la bonne manière, et font en quelque sorte du greenwashing en répondant à ces enjeux par des mots davantage que par des actes.

De l'autre côté, il y a ceux qui considèrent qu'il faut assumer la transition et y apporter des réponses à partir d'un constat partagé. Comme le disaient Didier Marie et Jacques Fernique, je ne peux pas en l'état soutenir ce texte qui va à totalement à l'encontre de ce que je prône depuis longtemps. Il y a un clivage à assumer, je pense que nous nous accordons là-dessus et c'est sain d'un point de vue politique.

M. Jean-François Rapin, président. - Avant de donner la parole à Daniel Gremillet pour des compléments plus techniques, j'aimerais redire que l'on assume ce clivage. Je ne pense cependant pas que l'on fasse un constat précipité. La ligne est fixée par la Commission européenne depuis 30 ans, nos agriculteurs s'adaptent depuis 30 ans et pour quel résultat ? Ils sont dans la rue et disent qu'ils n'en peuvent plus.

M. Michaël Weber. - On ne peut pas résumer la crise agricole ainsi ! Ceux qui sont dans la rue en Espagne et en Pologne ne demandent pas la même chose.

M. Jean-François Rapin, président. - Tout syndicat confondu, il y a eu une certaine convergence dans les revendications. Dans les divers mouvements européens, les demandes sont bien sûr différentes mais portent toujours sur des mesures prises par la Commission, et sur le rythme de leur mise en oeuvre. Il est évident que les agriculteurs ne peuvent pas tenir ce rythme, a fortiori quand les instances européennes leur assignent en plus l'ambition de contribuer aussi à l'« autonomie stratégique ouverte » .

Mme Pascale Gruny. - Merci Monsieur le Président, et un grand merci à Daniel Gremillet. C'est une réponse rapide mais je tiens à souligner que notre réflexion sur cette résolution ne date pas d'une semaine. Je ne suis pas d'accord quand on dit que nous nions cette nécessaire transition. Il y a 40 ans, je travaillais dans un centre de gestion agricole, alors que mon père était agriculteur. Je me souviens de l'usage de charges de phytosanitaires et d'engrais énormes. Près de 20 ans après, mon frère a repris la ferme et la réalité était bien différente. Les pratiques ont progressivement changé, les agriculteurs ont à l'esprit la nécessité du progrès. Ils souhaitent faire mieux pour la santé, pour les plantes et pour les sols qu'ils souhaitent transmettre dans leur famille. En revanche, et je l'ai toujours dit, cette transition va trop vite et trop fort. Aujourd'hui il n'y a pas de solution à la jaunisse de la betterave par exemple. La réponse de la Commission est une dérogation donnant droit à deux ou trois pulvérisations supplémentaires...

M. Pierre Cuypers. - Qui ne sont d'ailleurs pas forcément efficaces.

Mme Pascale Gruny. - En effet. Elles sont également en suspension, ce qui signifie qu'on peut les respirer alors qu'on aurait pu les appliquer à la graine. C'est dommage, ce n'est pas du bon sens. Je me satisfais de cette PPRE, de ce regard différent, de ces solutions faites pour accompagner les agriculteurs. Il faut en effet pousser la recherche, l'accompagnement, les produits de substitution. Je vous remercie enfin pour l'inclusion des problématiques liées aux importations ukrainiennes dans cette PPRE.

M. Bernard Jomier. - Merci Monsieur le Président. Je comprends que vous souhaitiez faire voter un texte et exprimer votre opinion en dépit du calendrier et de ses aléas. Ce qui m'ennuie davantage, et ce même vous avez rappelé l'ancienneté des positions de votre groupe, c'est que la dernière crise a été l'occasion de relever les questions agricoles à un niveau constitutionnel.

Quand on souhaite constitutionnaliser des principes, on recherche un accord le plus large possible ; la dernière fois qu'on a révisé la constitution, 85% des parlementaires ont voté cette révision. Or, vous êtes ici dans une démarche de clivage que vous assumez par ailleurs. Pour reprendre les propos, de Pascale Gruny, au sujet du rythme de la transition, j'aimerais souligner qu'il s'agit d'une question transversale qui touche la mobilité, le logement, le changement des modes de consommation Toute la société est affectée par la violence des changements climatiques et de l'effondrement de la biodiversité, et l'on demande effectivement à nos concitoyens de changer à une vitesse qui dépasse leur capacité économique, et parfois même humaine. On ne change pas tous les dix ans notre façon de vivre et de consommer. Je ne suis pas un expert des questions agricoles ; il me semble néanmoins que ce texte dénonce explicitement certaines stratégies européennes, comme à l'alinéa 15 : « Considérant que le « Pacte vert » et plus particulièrement les stratégies « De la ferme à la fourchette » et « Biodiversité à l'horizon 2030 », faisant courir le risque d'une diminution de la production agricole européenne dans des proportions de 10 à 20 % à horizon 2030, ont amplifié les effets de la réforme de la PAC, au point d'entraîner une seconde réforme de fait de cette politique ». Ce texte ne s'inquiète pas que ces stratégies aillent « trop vite, trop fort », il s'y oppose clairement.

M. Pierre Cuypers. - Merci Monsieur le Président. J'ai une certaine expérience dans le domaine agricole, du fait de mon âge et de mon activité. Depuis que la PAC existe, jamais une PAC n'est allée à son terme. Il y a toujours eu des révisions à mi-parcours entraînant une perte de visibilité néfaste pour l'agriculture. À chaque fois, on passe d'une politique à une autre, avec des contraintes et des difficultés supplémentaires à prendre en compte. Par la PAC, je pense qu'il faut donner aux agriculteurs de la visibilité sur leur futur, sur les solutions disponibles au niveau européen et applicables par tous. Ce texte est important. Il est certain qu'aujourd'hui, il faut traiter les sujets agricoles sur le temps long, et ne pas revoir la PAC d'ici deux ans. Les agriculteurs n'en peuvent plus.

M. Jean-François Rapin, président. - Le temps long est aujourd'hui compliqué à appréhender. La PAC a été élaborée sans bien sûr anticiper la guerre en Ukraine, idem pour la politique de pêche commune qui a été entravée par le Brexit et la Covid. Les politiques de long terme ont bien dû s'adapter aux crises et urgences.

M. Daniel Gremillet. - Merci M. le Président, merci chers collègues pour vos réactions. Tout d'abord, l'urgence est claire. Qui aurait pu imaginer à la fin de l'année 2023 que les évènements survenus au premier trimestre 2024 se déroulent sur le territoire français et européen ? Il y a eu une rupture. Je remercie le Président Rapin d'être à l'initiative et de nous permettre à nous, membres de la commission des affaires européennes, d'être au rendez-vous. Historiquement, étant élu depuis 2014, j'atteste que la commission a toujours été très impliquée sur les sujets agricoles. Nous nous sommes prononcés sur les révisions successives de la PAC depuis 2017 avec mes collègues, en suivant une ligne de fond réaffirmée et travaillée en concertation avec le monde agricole, pour répondre à Didier Marie. Dans le contexte d'urgence où nous sommes, il était impossible de mener des auditions dans les conditions habituelles, mais nous les avons menées au fil du temps préalablement. Par ailleurs, le texte était finalisé dès mardi soir, hormis quelques modifications marginales apportées hier soir. J'ai ainsi proposé d'ajouter des éléments sur l'adaptation des exploitations agricoles aux nouvelles conditions climatiques, à l'alinéa 30. Cet ajout était nécessaire.

Il est important que les femmes et hommes travaillant dans l'agriculture perçoivent des revenus permettant de vivre, afin d'envoyer un message positif aux jeunes désireux de s'installer. Ces revenus doivent également garantir un équilibre financier de l'exploitation agricole pour permettre la modernisation de sa production et la prise en compte du changement climatique. Je trouve justement notre texte offensif sur ce point. Pour répondre à Mickaël Weber, nous ne prônons pas un retour aux pratiques anciennes, puisqu'on considère que l'agriculteur doit être en capacité de se projeter et disposer des moyens nécessaires pour faire évoluer et adapter son exploitation. Nos travaux et cette PPRE ne courent pas après les slogans entendus dans les diverses manifestations mais sont la traduction des travaux parlementaires qui prônent une simplification, davantage qu'une remise en cause. S'il fallait voter, nous serions tous d'accord : il est nécessaire de nourrir les Français et les Européens. Or, pour répondre à Bernard Jomier, il faut ouvrir les yeux : nous n'avons jamais été aussi fragiles dans notre capacité à nourrir l'ensemble des Français et Européens. Nous conduisons au niveau de la commission des affaires économiques un suivi de la loi Egalim et un bilan des négociations de la période 2023-2024. S'il y a de bonnes choses dans la loi Egalim, c'est néanmoins un choc de constater qu'une partie des produits ne sont plus français ou européens, mais importés de pays tiers car les conditions de production y sont plus accessibles. Notre ambition, notre rôle est de disposer d'une agriculture française et européenne capable de nourrir l'ensemble des citoyens. Il y a là un défi de compétitivité et d'efficacité.

M. François Bonneau. - Comme Daniel Gremillet vient de le dire, nous partageons l'objectif de production pour nourrir la population dans les meilleures conditions possibles. J'ai suivi une présentation dans mon département de la nouvelle PAC, et tout ceci est kafkaïen. Il en va de l'agriculture comme du médicament. Une fenêtre thérapeutique va vous guérir, mais un surdosage produit un effet toxique. Voilà pourquoi nous allons soutenir cette résolution, qui n'est pas parfaite mais va dans le bon sens.

M. Jean-François Rapin, président. - Je comprends qu'il y a des amendements. Je propose que nous en écoutions la présentation avant de passer au vote.

M. Didier Marie. - J'aimerais ajouter un propos d'ordre général avant d'en arriver aux amendements. Nous partageons le constat que bon nombre d'agriculteurs éprouvent des difficultés, et nous avons rencontré celles et ceux qui manifestaient dans nos départements respectifs. Nous constatons aussi le surplus de charge administrative subie par les agriculteurs, comme indiqué dans la PPRE. Cependant, la réouverture de la PAC telle qu'elle a été réalisée en urgence se traduit par une remise en cause de son verdissement et des orientations du Pacte vert porté par la Commission, le Conseil européen et le Parlement européen pendant toutes ces années. Il ne s'agit pas d'une réaction à une crise ponctuelle mais d'une réorientation de fond de la stratégie de l'Union européenne en matière agricole.

C'est d'autant plus étonnant que, comme mentionné dans la proposition de résolution, la plupart des dispositions permettant le verdissement de la PAC ne sont pas en vigueur. Il y a donc une dimension idéologique dans les propositions qui sont faites. Nous pensons que le conflit en Ukraine a effectivement perturbé les marchés mondiaux et, par voie de conséquence, l'agriculture européenne, mais elle ne peut à elle seule justifier une réorientation de la PAC. Cette guerre est davantage révélatrice des difficultés préexistantes depuis des années. Nous considérons que la PAC actuelle n'est plus adaptée aux enjeux impératifs de transition écologique et de souveraineté alimentaire. Nous partageons le constat fait par le rapporteur s'agissant des difficultés à garantir notre souveraineté alimentaire.

Nous estimons également que l'agriculture constitue un bien commun, et non un secteur économique comme les autres, et doit bénéficier à ce titre d'une politique spécifique. Nous divergeons car nous considérons qu'outre notre sécurité alimentaire, l'agriculture doit aussi contribuer à la qualité de notre environnement, de notre patrimoine territorial, gastronomique, historique. Cette position se traduit par un certain nombre d'orientations, déclinées sous forme d'amendements : la nécessité de réguler les marchés, la nécessité de la transition agroécologique, la nécessité de mettre en place une rémunération équitable pour les agriculteurs. Ce dernier point constitue leur sujet de focalisation aujourd'hui ; pour que les agriculteurs s gagnent correctement leur vie, il faut instituer un revenu minimum conforme à la directive européenne sur le salaire minimum. Il faut également valoriser les services environnementaux rendus par les agriculteurs. Ceci implique une modification en profondeur des règles de la PAC comme la dégressivité et le plafonnement des aides ainsi que l'octroi d'une surprime aux premiers hectares pour faciliter la vie des petites exploitations. Nous demandons le renforcement du paiement vert et un système contracyclique pour aider les filières en difficulté, ainsi qu'un calcul des aides en fonction de l'actif agricole, prenant en compte le nombre d'emplois dans chaque exploitation. Je vais décliner les propositions d'amendement qui répondent à ces grandes orientations que nous défendons à l'échelle européenne et nationale.

M. Didier Marie. - Nous proposons de remplacer les considérants 13, 14 et 15 de la PPRE, que je ne lirai pas, par les deux considérants suivants : « Considérant que la PAC actuellement en vigueur connaît de grandes difficultés et n'est plus adaptée aux enjeux de transition écologique et de souveraineté alimentaire » et « Considérant la nécessité de reconnecter l'agriculture et l'alimentation dans une nouvelle PAAC (Politique agricole et alimentaire commune), notamment en favorisant les liens entre les territoires de production et les lieux de consommation, et en répondant aux enjeux de l'inflation alimentaire et du revenu agricole par une juste régulation des prix et des marchés ». J'en ai exposé les motifs précédemment. À l'alinéa 16 : « Considérant, enfin, que les agriculteurs européens manifestent depuis plusieurs semaines leur colère et leur inquiétude concernant l'avenir de leur activité et leur capacité à en tirer un revenu suffisant », nous proposons de supprimer la fin de la phrase après « suffisant » et nous proposons d'ajouter un nouveau considérant ainsi rédigé : « Considérant que la plupart des réglementations du « Pacte vert » ne sont pas encore entrées en vigueur ».Après le considérant 17, nous proposons d'introduire les trois considérants suivants. Le premier serait ainsi rédigé : « Souligne que l'agriculture ne peut être considérée comme un secteur économique comme un autre mais comme un bien commun qui contribue à notre souveraineté alimentaire, à la qualité de notre alimentation et notre environnement, à notre patrimoine territorial, culturel et gastronomique ». Je ne pense pas que le rapporteur puisse être en désaccord avec cette affirmation. Le deuxième serait le suivant : « Défend une Politique agricole commune qui permette une plus grande régulation des marchés et assure une véritable transition agroécologique et qui reconnaisse le travail rendu par nos agriculteurs en leur assurant une rémunération équitable ». Et le troisième enfin : « Considère par conséquent que la réouverture de la PAC telle qu'engagée ne peut concerner les seules mesures liées à son verdissement, et que le virage agroécologique doit être fortement accompagné ».

À l'alinéa 18 débutant par « Souligne que, dès le 6 mai, 2022 dans sa résolution européenne... », après le mot « Sénat » au début de la deuxième ligne, nous proposons de remplacer : « craignant que l'application stricte des stratégies adoptées pour décliner le « Pacte vert » conjuguée avec l'entrée en vigueur de la nouvelle PAC en 2023 n'amplifie » par :» interpellait sur la déstabilisation des marchés agricoles induite par l'invasion russe de l'Ukraine et ». Nous restons dans la même logique.

Nous proposons de supprimer l'alinéa 19, que nous remplaçons par un considérant ainsi rédigé : « regrette que les débats parlementaires n'aient pu s'appuyer sur une étude d'impact exhaustive sur les aspects économiques et sociaux du « Pacte vert » ainsi que sur les moyens d'articuler ses objectifs avec la préservation de l'indépendance alimentaire de l'Union européenne ». C'est là que vous parlez de la stratégie « De la Ferme à la fourchette ».

M. Didier Marie. - À l'alinéa 21 : « se réjouit que la Commission ait enfin reconnu la nécessité... »

M. Pierre Cuypers. - J'aimerais intervenir sur le 21. J'ai toujours beaucoup de mal à me réjouir de quelque chose qui est normal...

M. Didier Marie. - C'est écrit ainsi dans la PPRE pourtant.

M. Pierre Cuypers. - Je dirais davantage « prend acte ».

M. Didier Marie. - Dans cet alinéa, nous proposons de supprimer la fin de la phrase : « et alléger les contraintes pesant sur la production agricole ». Cela sous-entend que la seule solution serait de déréguler, ce qui n'est pas notre objectif, ce d'autant que beaucoup ont voté cette PAC au niveau européen.

Ensuite, nous proposons radicalement de supprimer l'alinéa 22 : « se félicite de l'allègement... », le 23 :» demande que les exigences relatives... » et le 24 : « souligne que si les nouvelles dérogations... ».

M. Jean-François Rapin, président. - Les alinéas sur BCAE 2 et 4 ?

M. Didier Marie. - Et BCAE 9.

M. Jean-François Rapin, président. - Ce sont pourtant des demandes françaises.

M. Didier Marie. - Pas nos demandes en tout cas. Nous remplacerions ces alinéas par les 3 suivants : « Regrette les décisions prises de revenir sur les mesures de conditionnalité environnementale, en particulier en ce qui concerne la suppression de l'obligation de consacrer une part minimale des terres arables à des éléments non productifs (BCAE 8), notamment par mises en jachère » ; « Demande que les exigences relatives à la protection des zones humides (BCAE 2) et les obligations de mise en place de bandes tampons enherbées le long des cours d'eau (BCAE 4) soient maintenues afin d'assurer la préservation de ces espaces de biodiversité » et « Rappelle que les différentes mesures environnementales de la PAC, notamment le paiement vert, permettent la transition agroécologique des exploitations pour les adapter face aux aléas climatiques et aux situations de force majeure. A ce titre, les mesures relatives aux prairies permanentes permettent l'entretien des sols et de la biodiversité par une présence animale, renforçant la qualité des sols face aux risques d'inondation et d'érosion, et in fine permettent la déspécialisation des exploitations agricoles ».

Nous n'amendons pas les alinéas suivants, jusqu'au 27 : « s'inquiète des risques de distorsions de concurrence intra-européenne... », où l'on propose d'ajouter, après les mots « se saisir », la formule « de manière réfléchie » afin de pondérer les propos. Et à la fin de la phrase, nous ajoutons les mots suivants : « notamment pour conserver l'aspect commun de la PAC ». La stratégie de réorientation de la PAC participe en effet d'une dynamique de renationalisation de celle-ci, sous certains aspects, ce qui présente l'inconvénient de mettre en concurrence les États membres...

M. Jean-François Rapin, président. - C'est donc en réponse aux potentielles distorsions de concurrence intra-européenne.

M. Didier Marie. - Exactement.

Mme Pascale Gruny. - C'est conforme avec ce qu'on a adopté auparavant !

M. Didier Marie. - Tout à fait. Nous supprimerions ensuite l'alinéa 28 : « appelle de ses voeux un retour aux fondements de la PAC... », sans le remplacer.

M. Jean-François Rapin, président. - Pourquoi ?

M. Didier Marie. - Car nous considérons que ces fondements sont à l'origine de la crise agricole depuis 30 ans et souhaitons donc réorienter la PAC ; nous remettons en cause ses fondements, pas la PAC en tant que telle.

Nous laisserions intact l'alinéa 29 mais proposons pour l'alinéa 30 : « juge indispensable de garantir un revenu décent... » une nouvelle rédaction qui serait la suivante : « juge indispensable de garantir un revenu équitable... »

M. Jean-François Rapin, président. - Équitable plutôt que décent ou correct ?

M. Didier Marie. - Oui, nous ne savons pas ce que signifie « correct » et le terme « équitable » a déjà été repris par ailleurs. Je poursuis : « juge indispensable de garantir un revenu équitable, et au minimum conforme à la directive sur les salaires minimums, pour chaque agriculteur. » Aujourd'hui il y a de nombreux agriculteurs qui ne gagnent pas le SMIC.

Je continue : « Fait valoir en conséquence la nécessité de renforcer le pouvoir de négociation des producteurs agricoles afin de garantir un « juste prix » qui soit raisonnable et équitable, et de valoriser les services rendus par les agriculteurs via la massification des paiements pour services environnementaux (PSE), et soutient la création annoncée d'ici avril d'un « observatoire des couts de production, des marges et des pratiques commerciales » au niveau européen, à défaut, d'un organe de contrôle ». Nous parlons de massification parce qu'aujourd'hui ces dispositifs sont encore marginaux.

M. Jean-François Rapin, président. - De tels PSE ont néanmoins déjà été instaurés, notamment pour les zones de protection de captage...

M. Didier Marie. - Nous pensons qu'on peut aller beaucoup plus loin et que c'est aussi un des éléments qui peut garantir un revenu...

M. Jean-François Rapin, président. - Pour avoir étudié la question de près, c'est très compliqué à mettre en place.

M. Didier Marie. - Je peux vous donner des exemples : ainsi, un agriculteur qui investit pour installer des panneaux photovoltaïques sur la toiture de ses équipements pour être autosuffisant en électricité ou pour le gain qu'il peut en attendre à moyen terme, pourrait bénéficier d'une prime particulière en provenance de l'Union européenne. Tout ce qui serait mis en place en faveur de l'environnement devrait se traduire par une compensation financière. C'est ça la réorientation des financements de la PAC.

À l'alinéa 32 : « soulignant la nécessité ... », nous proposons d'ajouter la phrase suivante : « Afin de réaliser correctement ces modifications, il convient de mettre en oeuvre un moratoire sur l'ensemble des traités de libre-échange en cours de ratification ou de négociation ». Ce qui me semble logique dès lors que l'on vote contre le CETA et que l'on s'oppose au Mercosur....

M. Jean-François Rapin, président. - Ce n'est pas le cas de tout le monde.

M. Didier Marie. - Cette proposition est cohérente avec le récent vote du Sénat. Enfin au dernier alinéa, le 33 : « appelle enfin à l'heure où se profilent... », nous remplaçons la fin de la phrase après « politique agricole commune » par la rédaction suivante : « orientée vers un renforcement de la souveraineté agricole et alimentaire de l'Union européenne qui respecte l'environnement et la qualité de l'alimentation. Pour cela, le système des aides de la PAC doit être modifié en profondeur, avec une dégressivité et un plafonnement des aides, une surprime aux premiers hectares, un renforcement du paiement vert, un système contracyclique pour aider les filières en difficulté et un calcul des aides basé sur l'actif agricole ». Nous ajoutons ensuite deux alinéas ainsi rédigés : « Appelle à un renforcement des aides du second pilier de la PAC, telles que les indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN) et les zones intermédiaires, dans l'objectif notamment de mieux prendre en compte les spécificités de territoires en grande difficulté et de mettre un terme aux cartographies arbitraires » et le suivant : « Appelle à une revalorisation du budget du POSEI (programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité) pour répondre aux besoins des producteurs ultramarins, développer et améliorer la compétitivité économique et technique de l'ensemble des filières agricoles ultramarines et une augmentation des aides sectorielles afin de relever les défis de la souveraineté alimentaire des Régions Ultrapériphériques (RUP), en développant les filières de diversification animale et végétale ».

M. Jean-François Rapin, président. - Merci cher collègue. On ne pourra pas dire que nous n'aurons pas pris le temps de la discussion sur ce sujet.

M. Didier Marie. - Nous nous sommes invités dans la discussion !

M. Jean-François Rapin, président. - C'est normal, chacun défend ses positions. Il me semble néanmoins que vos dernières propositions tendent à réécrire la PAC, ce qui n'est pas la vocation de la PPRE. Nous allons suspendre notre réunion quelques minutes afin d'étudier les amendements que vous avez présentés.

La commission suspend ses travaux cinq minutes puis les reprend.

M. Daniel Gremillet. - Après toutes ces suggestions, chers collègues, ma première remarque consiste à faire une distinction entre le verdissement et le « Pacte vert ». Le premier a commencé il y a dix ans et a été renforcé en 2023, le second n'a pas encore été mis en place. Nous avons du recul sur le verdissement donc. Sur les différentes propositions d'amendement, je considère les amendements sur les alinéas 18 et 19 satisfaits ; votre rédaction est différente mais il me semble que nous disons exactement la même chose. Sur l'alinéa 21, je comprends l'amendement de Pierre Cuypers et propose, plutôt que de « prendre acte », de retenir le mot : « constate », en lieu et place de « se réjouit ». À l'alinéa 27, je suis favorable à l'insertion des mots : « notamment pour conserver l'aspect commun de la PAC » ; en effet, la PAC est une des rares politiques communes européennes.

M. Jacques Fernique. -Et la précision « de manière réfléchie » ?

M. Daniel Gremillet. - Non, je n'y suis pas favorable. À l'alinéa 30, même si on mentionne plus tard le caractère équitable dans l'alinéa 31, l'amendement substituant le terme de revenu « équitable » à « décent » ne me pose aucune difficulté. Voilà les propositions d'amendement que nous pouvons reprendre. J'insiste sur la nouvelle rédaction de l'alinéa 31, notamment en lien avec le débat lancé sur le revenu des agriculteurs. Nous avons eu un débat au sein du groupe de suivi PAC, et nous réfléchissions à inclure les deux versants, c'est-à-dire les revenus des femmes et hommes travaillant dans les exploitations agricoles, quelle que soit leur forme, individuelle ou sociétaire, et la capacité à dégager un résultat d'exploitation permettant d'investir dans l'exploitation agricole, pour favoriser son adaptation au changement climatique. Je le précise car cette rédaction n'était pas la même hier soir et j'en suis le seul responsable, ayant personnellement proposé sa modification.

M. Didier Marie. - Vous n'incluez donc pas la valorisation des services pour services environnementaux rendus ?

M. Daniel Gremillet. - C'est un sujet soulevé à juste titre, comme le sujet des zones intermédiaires. Mais notre PPRE n'a pas cette visée. C'est davantage un sujet à traiter pour la future PAC. Je ne peux que souhaiter que l'on puisse continuer à travailler sur ces thématiques dans le groupe de suivi PAC.

M. Jean-François Rapin, président. - La définition du service environnemental est importante, la déclinaison des endroits où des avancées sont possibles l'est également. Ce sujet mérite qu'on y travaille de manière approfondie et exhaustive. Merci Daniel Gremillet, merci Didier Marie pour vos contributions.

M. Daniel Gremillet. - Les services environnementaux, les zones intermédiaires et l'ultramarin sont des sujets sur lesquels nous devons débattre et travailler au préalable.

M. Jacques Fernique. - Il reste problématique que le texte ne fasse pas de la transition climatique un objectif.

M. Jean-François Rapin, président. - Des alinéas précédents incluent pourtant la prise en compte du climat. Je vous propose de passer au vote sur la PPRE telle qu'amendée et proposée par le rapporteur ainsi que sur l'avis politique qui en reprend les termes.

La commission adopte la proposition de résolution européenne et l' avis politique.

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