Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu le traité sur l'Union européenne, notamment son préambule, ses articles 2 et 3, paragraphes 3 et 5,
Vu la Charte des Nations unies, signée à San Francisco le 26 juin 1945,
Vu la résolution n° 96 adoptée le 11 décembre 1946 par l'Assemblée générale de l'organisation des Nations unies,
Vu la Convention des Nations unies du 9 décembre 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide, notamment son article 2,
Vu la déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948, notamment ses articles 12, 13 et 15,
Vu la Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre du 12 août 1949, notamment ses articles 4, 49 et 50,
Vu le Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux, notamment ses articles 77 et 78,
Vu la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales telle qu'amendée par les Protocoles n° 11, 14 et 15, adoptée à Rome, le 4 novembre 1950, notamment ses articles 5 et 8,
Vu l'article 3 du Protocole n° 4 du 16 septembre 1963 complétant la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales reconnaissant certains droits et libertés autres que ceux figurant déjà dans la Convention et dans le premier Protocole additionnel à la Convention,
Vu le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966, notamment ses articles 18, alinéa 4, et 24,
Vu la Convention relative aux droits de l'enfant, signée à New York le 20 novembre 1989, notamment ses articles 7, 8, 9, 21, 22, 25, 28 et 30,
Vu le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, signé le 17 juillet 1998, notamment ses articles 5, 6-e, 7-d, 8-a-vii, 8-b-i, 8-b-xxi, 15, 25, 53 et 81,
Vu la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, signée le 20 décembre 2006,
Vu la résolution ES-11/1 de l'Assemblée générale des Nations unies du 2 mars 2022 intitulée « Agression contre l'Ukraine »,
Vu l'ordonnance de la Cour internationale de justice du 16 mars 2022 sur les allégations de génocide au titre de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie),
Vu la résolution 2433 (2022) de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe,
Vu la résolution 2436 (2022) de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe,
Vu la résolution 2482 (2023) de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, notamment ses alinéas 10, 12, 15-7, 17 et 25-5,
Vu la résolution 2022/2564 du Parlement européen du 1er mars 2022 sur l'agression russe contre l'Ukraine,
Vu la résolution 2022/2655 du Parlement européen du 19 mai 2022 sur la lutte contre l'impunité des crimes de guerre en Ukraine,
Vu le décret du Président de la Fédération de Russie du 30 mai 2022, visant à simplifier la procédure d'obtention de la citoyenneté russe,
Vu le Règlement (UE) 2022/838 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2022 modifiant le règlement (UE) 2018/1727 en ce qui concerne la préservation, l'analyse et la conservation, au sein d'Eurojust, des éléments de preuve relatifs aux génocides, aux crimes contre l'humanité, aux crimes de guerre et aux infractions pénales connexes,
Vu les conclusions 488/22 du Conseil européen du 30 mai 2022 sur l'Ukraine,
Vu la loi russe sur le non-respect par la Russie des décisions de la Cour européenne des droits de l'homme adoptée le 7 juin 2022 par la Douma d'État, l'Assemblée fédérale de la Fédération de Russie,
Vu le Règlement d'exécution (UE) 2022/1270 du Conseil du 21 juillet 2022 mettant en œuvre le règlement (UE) n° 2659/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l'intégrité territoriale, la souveraineté et l'indépendance de l'Ukraine et son annexe, notamment la ligne 1210 de la liste des personnes physiques, entités et organismes,
Vu le plan de paix en dix points présenté par le Président de l'Ukraine le 15 novembre 2022 lors de la réunion du G20 à Bali, en particulier son quatrième point,
Vu les conclusions du Conseil 15237/22 du 29 novembre 2022 sur la lutte contre l'impunité en matière de crimes commis dans le cadre de la guerre d'agression menée par la Russie contre l'Ukraine,
Vu la déclaration conjointe publiée à l'issue du 24e sommet UE-Ukraine le 3 février 2023,
Vu la résolution n° 52 (2022-2023) du Sénat du 7 février 2023 exprimant le soutien du Sénat à l'Ukraine, condamnant la guerre d'agression menée par la Fédération de Russie et appelant au renforcement de l'aide fournie à l'Ukraine,
Vu les conclusions EUCO 1/23 du Conseil européen extraordinaire du 9 février 2023,
Vu le rapport de la faculté de santé publique de l'université de Yale, intitulé « Le programme systématique de la Russie tendant à la rééducation et à l'adoption d'enfants ukrainiens », publié le 14 février 2023,
Vu la déclaration de la Ministre de l'Europe et des Affaires étrangères sur le conflit en Ukraine, prononcée le 23 février 2023 à New York lors de la session extraordinaire d'urgence de l'Assemblée générale des Nations unies,
Vu le rapport du président de la commission ad hoc sur les migrations à la commission permanente de l'assemblée parlementaire de l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE), lors de sa 22e réunion d'hiver à Vienne, publié le 24 février 2023,
Vu la résolution de la Rada adoptée le 24 février 2023, intitulée « Appel à la commission des droits de l'homme des Nations unies, à la commission des Nations unies sur les droits de l'enfant, au Haut-Commissaire des Nations unies » demandant le « retour des enfants » d'Ukraine déportés,
Vu le dixième paquet de sanctions à l'encontre de la Russie et des personnes et entités contribuant à son effort de guerre, adopté par le Conseil de l'Union européenne le 25 février 2023,
Vu le décret du Président de l'Ukraine n° 115/2023 du 26 février 2023 « sur l'application de mesures économiques spéciales et autres mesures restrictives personnelles (sanctions) »,
Vu le discours de la Ministre de l'Europe et des Affaires étrangères au Conseil des droits de l'homme des Nations unies à Genève prononcé le 28 février 2023,
Considérant que la Cour pénale internationale a compétence à l'égard des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité et des crimes de génocide, qui constituent des violations graves du droit international, des droits de l'homme et du droit international humanitaire ;
Considérant que la Cour pénale internationale entend par « crimes de guerre » les « atteintes à la dignité de la personne, notamment les traitements humiliants et dégradants », incluant « la déportation ou le transfert illégal ou la détention illégale » ;
Considérant que la Cour pénale internationale entend, par « crime contre l'humanité », « la déportation ou le transfert forcé de population » ;
Considérant qu'aux termes de la résolution n° 96 du 11 décembre 1946 de l'Assemblée générale de l'ONU, « le génocide est le refus du droit à l'existence à des groupes humains entiers, de même que l'homicide est le refus du droit à l'existence d'un individu », et que la Convention du 9 décembre 1948 renvoie autant à la responsabilité des États qu'à celle des individus ;
Considérant que l'article 6 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale reprend à l'identique les termes mêmes de l'article 2 de ladite Convention, selon lesquels « on entend, par crime de génocide, l'un quelconque des actes ci-après commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel : […] e) Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe » ;
Considérant que le Procureur de la Cour pénale internationale a annoncé, dès le 2 mars 2022, avoir fait usage de son pouvoir pour ouvrir une enquête sur la situation en Ukraine de sa propre initiative au vu de renseignements concernant des crimes relevant de la compétence de la Cour, sur la base des saisines reçues les 1er et 2 mars 2022 par 39 États parties au statut de Rome, dont la France, complétées par la suite par quatre autres États parties ;
Considérant que la Cour pénale internationale est compétente à l'égard des personnes physiques et que quiconque commet un crime relevant de sa compétence est individuellement responsable et peut être puni ;
Considérant que les transferts forcés et les déportations de personnes protégées hors du territoire occupé dans le territoire de la Puissance occupante sont interdits par les conventions internationales précitées quel qu'en soit le motif ;
Considérant que la Puissance occupante doit prendre toutes les mesures nécessaires pour faciliter l'identification des enfants et l'enregistrement de leur filiation et ne peut, en aucun sens, procéder unilatéralement à une modification de leur statut personnel ;
Considérant les nombreux éléments et témoignages faisant état de déplacements massifs d'enfants ukrainiens vers la Russie, recueillis notamment par l'Ombudsman de l'Ukraine, par la commission des droits de l'homme et par la sous-commission des droits de l'enfant de la Rada, mais aussi par la plateforme mise en ligne par le gouvernement ukrainien Children of War, avec le soutien du gouvernement canadien, par l'Institut de recherche sociale de Kharkiv, et par de nombreuses organisations non gouvernementales (ONG), ainsi que ceux recensés dans le rapport de l'université de Yale du 14 février 2023 ;
Considérant que la Convention de Genève définit comme protégée toute personne qui, à un moment quelconque et de quelque manière que ce soit, se trouve, en cas de conflit ou d'occupation, soumise au pouvoir d'une Puissance occupante ;
Considérant les déclarations publiques d'officiels russes selon lesquelles des enfants ukrainiens ont été massivement déplacés et placés dans des familles russes depuis le début de la guerre d'invasion de l'Ukraine le 24 février 2022, et notamment celles de la commissaire aux droits de l'enfant de la Fédération de Russie, admettant que des orphelins ukrainiens ont été « déplacés » vers son pays depuis des établissements ukrainiens ;
Considérant que plusieurs auditions, témoignages et éléments publiés concordants attestent que la Fédération de Russie procède au transfert forcé d'enfants ukrainiens vers la Russie ;
Considérant qu'il est fait état, notamment par les ONG, mais aussi dans le rapport de l'université de Yale précité, fondé sur des sources ouvertes, que la Fédération de Russie procède de manière administrative et massive à la naturalisation, au changement de nom et de filiation d'enfants transférés vers son territoire ;
Considérant l'obligation juridique de prévenir et de punir le génocide en vertu de la Convention des Nations unies de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide ;
Considérant l'annonce faite par le Haut Représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité le 25 mai 2022 de l'institution d'un groupe consultatif sur les atrocités criminelles concernant l'Ukraine, réunissant l'Union européenne, les États-Unis et le Royaume-Uni ;
Considérant que, dans son allocution devant la troisième commission de l'assemblée parlementaire de l'OSCE réunie à Vienne le 24 février 2003, le Représentant spécial de l'OSCE pour la lutte contre les trafics et la traite des êtres humains a rappelé que, depuis l'invasion de la Crimée en 2014, le nombre de victimes de la traite des êtres humains en provenance des régions annexées par la Fédération de Russie avait quadruplé, et a appelé les États membres à accroître leur vigilance à l'égard des risques de trafics et de traite pesant sur les personnes les plus vulnérables ;
Condamne vigoureusement les transferts forcés d'enfants ukrainiens, perpétrés par la Fédération de Russie ;
Dénonce le caractère massif de ces transferts ;
Dénonce le processus d'assimilation forcée et accélérée mis en œuvre par la Fédération de Russie, à l'égard d'Ukrainiens, notamment d'enfants, orphelins ou non ;
Se félicite que le Procureur de la Cour pénale internationale ait ouvert une enquête sur ces agissements ;
Conteste fermement le narratif des autorités russes qualifiant les transferts et assimilations forcés d'enfants ukrainiens d'actes de solidarité humanitaire ;
Invite l'Union européenne et ses États membres à condamner vigoureusement ces transferts forcés d'enfants et à demander le retour de ces enfants ;
Approuve la mise en place par l'Union européenne et plusieurs États membres, avec l'appui d'Eurojust notamment, d'une équipe commune d'enquête sur ces crimes ;
Se félicite de l'initiative conjointe de la présidente de la Commission européenne et du Premier ministre de Pologne annoncée le 27 février 2023 par la porte-parole de la Commission européenne, tendant à recueillir des données et des preuves, et invite le Gouvernement français à soutenir les efforts ainsi déployés pour traduire en justice les responsables des transferts forcés d'enfants ukrainiens et à demander que cette initiative permette aussi d'obtenir des autorités russes des précisions sur le sort réservé à ces enfants ;
Appelle le Gouvernement français à accroître le volume des moyens et ressources tant humains que matériels et financiers mis à disposition d'Eurojust et de l'équipe commune d'enquête afin d'en optimiser l'efficacité ;
Invite en particulier le Gouvernement français à faciliter le concours de spécialistes français aux autorités ukrainiennes et aux services d'enquête sur le terrain ;
Souhaite que le Gouvernement français encourage l'échange de bonnes pratiques entre les autorités judiciaires et les ONG françaises et leurs homologues ukrainiennes, afin de faciliter le recueil, dans les meilleures conditions possibles, de la parole des enfants victimes et de leur entourage ;
Encourage le Gouvernement français et la Commission européenne à mettre à disposition des institutions et ONG ukrainiennes et européennes les moyens nécessaires à un accompagnement médical, psychologique et social adapté, dans la durée, des enfants victimes, et ce, pendant et après leur rapatriement ;
Demande en conséquence à l'Union européenne et à ses États membres de mettre en œuvre tous les moyens techniques et humains à leur disposition, en coopération avec les autorités ukrainiennes pour identifier, documenter et recenser tous les cas de transferts forcés et de déportation d'enfants engagés par la Fédération de Russie depuis le début du conflit et d'identifier les responsables de ces actes afin d'engager des sanctions immédiates et d'ouvrir la voie à des poursuites judiciaires ultérieures ;
Invite le Gouvernement français à plaider pour que l'Union européenne étende la liste des sanctions, à l'encontre des personnes ou institutions collaborant aux déportations d'enfants ukrainiens sur le territoire de la Fédération de Russie ;
Invite le Gouvernement français et l'Union européenne à encourager toutes les instances des Nations unies et en particulier, la Commission des droits de l'homme, l'Unicef et le Haut-Commissariat pour les Réfugiés, à venir en aide aux enfants ukrainiens déportés et à agir auprès des autorités, collectivités, institutions et ONG de la Fédération de Russie afin que celle-ci respecte les engagements auxquels elle a souscrit dans le cadre de la Convention relative aux droits de l'enfant et facilite leur rapatriement en Ukraine et auprès des membres de leurs familles et des institutions ukrainiennes compétentes ;
Invite le Gouvernement à soutenir ces orientations et à les faire valoir dans les négociations en cours et à venir au Conseil.