PRÉSENTÉE
Par MM. Jean BIZET, Gérard BAILLY, Philippe BAS, Michel BÉCOT, Pierre BORDIER, Jean-Claude CARLE, Mme Caroline CAYEUX, MM. Gérard CÉSAR, Marcel-Pierre CLÉACH, Gérard CORNU, Raymond COUDERC, Robert del PICCHIA, Francis DELATTRE, Mmes Catherine DEROCHE, Marie-Hélène DES ESGAULX, MM. Éric DOLIGÉ, Jean-Paul EMORINE, Bernard FOURNIER, Christophe-André FRASSA, Yann GAILLARD, Jacques GAUTIER, Patrice GÉLARD, Alain GOURNAC, Francis GRIGNON, Mme Christiane HUMMEL, MM. Benoît HURÉ, Jean-Jacques HYEST, Mlle Sophie JOISSAINS, MM. Marc LAMÉNIE, Robert LAUFOAULU, Antoine LEFÈVRE, Jacques LEGENDRE, Dominique de LEGGE, Jean-Pierre LELEUX, Jean-Claude LENOIR, Philippe LEROY, Gérard LONGUET, Roland du LUART, Mme Hélène MASSON-MARET, M. Jean-François MAYET, Mme Colette MÉLOT, MM. Philippe PAUL, Jackie PIERRE, Rémy POINTEREAU, Mme Sophie PRIMAS, MM. Henri de RAINCOURT, Bernard SAUGEY, Mme Esther SITTLER, M. André TRILLARD, Mme Catherine TROENDLÉ, MM. Jean-Noël CARDOUX et Jean-Pierre VIAL,
Sénateurs
(Envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames Messieurs,
La « constitutionnalisation » du principe de précaution a, depuis l'origine, fait débat - et tous ceux qui ont participé aux travaux préparatoires de la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l'environnement en ont gardé le souvenir.
D'emblée, de nombreuses voix s'étaient élevées pour exprimer la crainte que l'application du principe de précaution renforce les réticences envers la science, la méfiance à l'égard de l'innovation et du progrès technologique, qu'elle soit un frein aux activités de recherche et au développement économique.
Telle n'était pas, bien sûr, l'intention du constituant, qui concevait au contraire le principe de précaution comme un principe d'action susceptible de restaurer la confiance dans le progrès scientifique en permettant d'anticiper les risques, et en démontrant que la « société de la connaissance » n'opposait pas la science et l'innovation à la préservation de l'environnement. Au demeurant, la Charte imposait aussi de concilier protection et mise en valeur de l'environnement, développement économique et progrès social (article 6), et précisait que la recherche et l'innovation devaient concourir à la préservation et la mise en valeur de l'environnement (article 9).
La place respectivement donnée au principe de développement durable et à celui de l'innovation varie dans les lois fondamentales : en la matière, tous les États du monde, en particulier les trois grands pays émergents que sont le Brésil, l'Inde et la Chine, n'ont pas, loin de là, accordé au principe de précaution une place analogue à celle que la France lui a réservée.
Ainsi, l'article 218 de la Constitution du Brésil dispose que « l'État promouvra et encouragera le développement scientifique ainsi que la recherche et la maîtrise technologiques » mais ne fait pas référence au principe de précaution. De même, sans qu'il y ait une référence directe à « l'incitation à l'innovation », l'article 51A (h) de la partie IV-A de la Constitution indienne mentionne qu'il est du devoir de chaque citoyen de l'Inde de développer un tempérament scientifique, humaniste et un esprit de curiosité et de réforme. Quant à la Chine, le terme« principe de précaution » n'est pas encore explicitement employé dans la législation mais l'esprit de ce principe est introduit dans plusieurs lois relatives à la protection de l'environnement. Toutefois, bien que souhaitant réguler les domaines recélant des incertitudes scientifiques en vue de prévenir les risques environnementaux, la législation chinoise ne bride pas pour autant l'encouragement à l'innovation.
« Principe d'action » ou « principe d'inaction », la querelle sur le sens et les conséquences du principe de précaution s'est poursuivie après l'adoption de la Charte de l'environnement.
Le discours prononcé par le Président de la République lors de la clôture du Grenelle de l'environnement, le 25 octobre 2007, avait tenté de la trancher en soulignant que «proposer la suppression du principe de précaution au motif qu'il bride l'action repose sur une profonde incompréhension »,et en réaffirmant que « le principe de précaution n'est pas un principe d'inaction. Au contraire, c'est un principe d'action et d'expertise pour réduire l'incertitude. Le principe de précaution n'est pas un principe d'interdiction. Au contraire, c'est un principe de vigilance et de transparence. Il doit être interprété comme un principe de responsabilité. »
La crise économique, l'inquiétude suscitée par le déclin de la compétitivité de l'économie nationale ont néanmoins relancé la controverse.
Dès 2008, le « rapport Attali » pour la libération de la croissance proposait d'abroger l'article 5 de la Charte de l'environnement relatif au principe de précaution, ou au moins d'en préciser la portée, considérant que sa formulation trop floue en faisait un obstacle à la croissance économique.
Le Parlement s'est aussi inquiété des effets de la mise en oeuvre du principe de précaution, notamment à travers les travaux de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), qui avait organisé en 2009 une audition publique consacrée au bilan de ses quatre premières années d'application.
Tout récemment encore, le rapport de la commission« Innovation 2030 » a préconisé l'adoption d'un principe d'innovation « équilibrant le principe de précaution, yin et yang du progrès des sociétés ».
Il serait plus simple, semble-t-il, de modifier la rédaction de la Charte de l'environnement pour exprimer plus clairement que le principe de précaution est aussi un principe d'innovation, puisque sa bonne application repose, en fait, sur le développement des connaissances scientifiques et de l'innovation et, bien loin d'encourager l'obscurantisme, rend indispensables la diffusion des résultats de la recherche, la transparence et le débat.
Tel est l'objet de la présente proposition de loi constitutionnelle.
Son article unique propose de modifier trois articles de la Charte de l'environnement :
- l'article 5, relatif au principe de précaution, serait complété par un alinéa précisant que les autorités publiques doivent veiller à ce que la mise en oeuvre du principe de précaution constitue un encouragement à la recherche, à l'innovation et au progrès technologique, afin de souligner que ce principe, loin de s'opposer au progrès, impose au contraire de promouvoir la recherche et l'innovation ;
- il est également proposé de compléter l'article 7, relatif au droit à l'information et à la participation à l'élaboration des décisions publiques pouvant avoir un impact sur l'environnement, pour prévoir, d'une part, que l'information du public et l'élaboration des décisions publiques doivent s'appuyer sur la diffusion des résultats de la recherche et sur le recours à une expertise pluridisciplinaire et que, d'autre part, la loi doit définir les conditions de l'indépendance de l'expertise scientifique et de la publication des résultats ;
- enfin, à l'article 8, il serait précisé que la promotion de la culture scientifique doit contribuer, au même titre que l'éducation et la formation à l'environnement, à l'exercice des droits et devoirs définis par la Charte.
PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE
La Charte de l'environnement de 2004 mentionnée au premier alinéa du Préambule de la Constitution est ainsi modifiée :
1° À l'article 5, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Elles veillent également à ce que la mise en oeuvre du principe de précaution constitue un encouragement au développement de la connaissance, à la promotion de l'innovation et au progrès technologique. » ;
2° À l'article 7 sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« L'information du public et l'élaboration des décisions publiques s'appuient notamment sur la diffusion des résultats de la recherche et le recours à une expertise scientifique pluridisciplinaire ;
« La loi définit les conditions de l'indépendance de l'expertise scientifique et de la publication des résultats » ;
3° À l'article 8, après les mots :« formation à l'environnement », sont insérés les mots : «, ainsi que la promotion de la culture scientifique, ».