CS croissance et transformation des entreprises |
Projet de loi croissance et transformation des entreprises (1ère lecture) (n° 28 ) |
N° COM-191 10 janvier 2019 |
AMENDEMENTprésenté par |
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Mme LAVARDE ARTICLE ADDITIONNEL APRÈS ARTICLE 23 |
Après l'article 23
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au titre II du Livre VI du code monétaire et financier (partie législative) il est ajouté une section VIII intitulée "Protection des entreprises contre les manipulations de cours", ainsi rédigée :
Section VIII
1°. Les banques ou établissements financiers sont tenus de notifier à l’Autorité des marchés financiers dans un délai maximum de trois jours après chaque opération de prêts de titres :
- Le nombre et la valeur nominale des titres prêtés ;
- L’identité des prêteurs et des emprunteurs ;
- La durée des prêts consentis ;
- Les taux et commissions pratiqués ;
- La répartition des titres entre les titres nominatifs et les titres au porteur.
2°. Afin d’assurer la traçabilité des opérations réalisées sur les titres empruntés, les emprunteurs de titres sont tenus de déclarer à l’Autorité des marchés financiers les instruments de couverture utilisés et les contreparties.
3°. En cas de prêts de titres aux porteurs, et afin de protéger l’information des actionnaires, les informations mentionnées ci-dessus doivent être publiées sur le site de l’Autorité des marchés financiers.
4°. L'Autorité des marchés financiers notifie aux entreprises cotées concernées les mouvements de titres les concernant et leur détail tel que mentionné au 1°.
5°. Est passible d’une sanction, égale à 30% du montant des opérations réalisées avec les titres empruntés, l’absence de respect des obligations de notification prévues aux articles 1 et 2. Les parties, émetteur et actionnaires, peuvent en outre réclamer l’indemnisation du préjudice subi.
6°. Les établissements financiers, ou les emprunteurs de titres, qui publient des analyses financières sur des entreprises dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé français, sont tenus de rappeler les informations mentionnées aux 1° et 2° afin de prévenir tout conflit d’intérêt, ainsi que toute manipulation de cours.
7°. Dès lors que les titres empruntés dépassent 10% du capital d’une entreprise, l’Autorité des marchés financiers peut considérer que cet état de fait entrave la libre confrontation de l’offre et de la demande de titres devant mener à la détermination d’un prix de marché, et, en conséquence, décider la suspension des ventes à découvert et des opérations de prêt-emprunt portant sur ce titre.
Objet
La vente à découvert est la vente d'un titre que le vendeur ne possède pas, dans l'intention de racheter ultérieurement et moins cher un titre identique afin de pouvoir le livrer.
Les entreprises européennes sont de plus en plus ciblées par les fonds spéculatifs, le plus souvent américains ou anglo-saxons. Les ventes agressives à découvert deviennent un problème général en Europe et la liste des sociétés « shortées » s’élève à 212 en Grande Bretagne, 194 en Allemagne et 79 en France.
Dans de nombreux cas, il ne s'agit pas de fonds activistes s'intéressant à l'entreprise, à sa gouvernance, à ses performances. Ces fonds visent simplement à modifier la valeur de l'action, à la hausse ou plutôt à la baisse, et à s'approprier la différence. Leur objectif est de fragiliser fortement une entreprise en spéculant sur son titre le plus souvent à la baisse, au moyen de pratiques caractéristiques de la manipulation de cours et du conflit d’intérêt : on ne peut en effet à la fois produire des analyses financières fondées pour partie sur une manipulation de l’information, et spéculer massivement. Ces pratiques sont interdites par les règlements européens et par la législation française.
Par des comportements manifestement concertés, ces fonds chassent en meute et cherchent à faire baisser massivement le prix de leurs proies. Les motifs généralement invoqués, rentabilité insuffisante ou endettement excessif, ne sauraient masquer la menace prégnante d’une financiarisation excessive et spéculative de l’économie réelle, déjà pratiquée contre les établissements financiers en 2008, provoquant la plus grave crise des cinquante dernières années. L’objectif est toujours de réaliser un profit rapide, via un effondrement des cours, au détriment de cibles dont la plupart sont des pépites industrielles, des entreprises emblématiques ou particulièrement agiles et innovantes, ancrées dans les territoires et fortement créatrices d’emplois. Comme en 2008 dans le secteur financier, les ventes à découvert des fonds activistes sont susceptibles de provoquer une grave crise économique en Europe.
Dans la pratique, ces fonds activistes, souvent de création récente, empruntent dans la plus grande opacité des titres auprès des établissements financiers de la place proposant des services de conservation et d’administration de titres (« Asset Servicing »). Les entreprises émettrices de ces titres ne sont pas tenues informées de ces prêts de titres à des fonds qui les utilisent pour spéculer à la baisse.
Enfin, l’internationalisation des marchés suscite mécaniquement une asymétrie entre la situation d’une entreprise localisée et cotée dans un pays (en l’espèce la France), et celle des vendeurs à découvert localisés dans un autre pays, d’ailleurs souvent non membre de l’Union européenne.
En plus du risque de disparition de pépites industrielles françaises et de la perte d’emplois qui en résulterait, ce qui est aussi en cause, c'est l'intégrité du marché, la capacité à la faire respecter, l’attractivité de la place de Paris, et, au-delà, le financement de notre économie.
Afin de renforcer la sécurité des émetteurs et des actionnaires, et par conséquent l’attractivité de la place de Paris, il est indispensable d’introduire plus de transparence, et de renforcer l’information, le contrôle et les actions du régulateur dès lors que les comportements observés sont constitutifs d’un fonctionnement « anormal » du marché. Du fait de l’urgence de la protection adéquate des émetteurs et des actionnaires, l’AMF pourrait alors décider la suspension des ventes à découvert et des opérations de prêts-emprunts portant sur ce titre. C’est l’objet de cet amendement.