Direction de la séance |
Projet de loi Financement de la sécurité sociale pour 2025 (Nouvelle lecture) (n° 341 , 344 ) |
N° 58 14 février 2025 |
AMENDEMENTprésenté par |
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Mmes PONCET MONGE et SOUYRIS, MM. BENARROCHE, Grégory BLANC et DANTEC, Mme de MARCO, MM. DOSSUS, FERNIQUE et GONTARD, Mme GUHL, MM. JADOT et MELLOULI, Mme OLLIVIER, M. SALMON et Mmes SENÉE et Mélanie VOGEL ARTICLE 6 |
I. – Alinéa 15
Remplacer le nombre :
2,25
par le nombre :
2
II. – Alinéa 16
Remplacer le nombre :
3,3
par le nombre :
2
III. – Alinéa 22
Remplacer le taux :
200
par le taux :
100
Objet
Cet amendement vise à supprimer les exonérations de cotisations sociales sur les salaires au-delà 2 SMIC.
Le présent article 6 du PLFSS, malgré une suppression de cette disposition à l’Assemblée Nationale et au Sénat, propose le remplacement des points de sortie des bandeaux en 2026 par un lissage des allègements généraux, lequel a été amoindri en CMP puisqu’au lieu d’abaisser les points de sortie des bandeaux à 2,2 SMIC pour le bandeau maladie et à 3,2 pour le bandeau famille, la nouvelle mouture du texte les établit à 2,25 et 3,3 SMIC. Le gain de l’ensemble de la réforme, qui était estimé à 4 milliards pour les comptes sociaux, n’est plus que 1,6 milliard. C’est peu, surtout en comparaison des gains estimés d’une remise en cause des bandeaux au-delà de 2 SMIC, estimés par l’économiste Anne-Laure Delatte à 8 milliards.
Le gouvernement manque ici de courage, alors même que l’on sait que les exonérations de cotisations n’ont quasiment aucun impact au-delà d’un certain seuil.
Selon le Conseil d’Analyse Économique dans une étude de 2019, si les baisses de cotisations sociales sur les bas salaires ont pu avoir des effets sur l’emploi : « Les baisses de cotisations sociales sur les salaires plus élevés (au-delà de 1,6 SMIC) n’ont pas encore fait la preuve de leur efficacité », et les chercheurs d’écrire : « nous recommandons une remise en cause des réductions du coût du travail au-delà du seuil de 1,6 SMIC ».
De même, le rapport de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale sur le contrôle et l’efficacité des exonérations de cotisations sociales de septembre 2023, indiquait que « le maintien des exonérations de cotisations familiales (dites « bandeau famille ») portant sur les salaires compris entre 2,5 et 3,5 Smic ne se justifiait pas, c’est pourquoi nous proposons de les supprimer. ».
Les auteurs du rapport ne trouvaient, tout comme le CAE avant eux, aucun effet probant des exonérations de cotisations sociales sur l’emploi ou la compétitivité des entreprises au-delà de 2 SMICS.
Même les économistes mandatés par le gouvernement, Antoine Bozio et Etienne Wasmer, dans leur rapport établissant un état de l’art de la recherche sur les politiques d’exonérations de cotisations sociales en France et en Europe, ne parviennent pas à démontrer un effet des exonérations de cotisations sur l’emploi au-delà d’un certain seuil.
Les travaux cités du Conseil Supérieur de l'Emploi, des Revenus et des Coûts, le CSERC (1996), Laffargue (1996), Malinvaud (1998), Salanié (2000), Audric, Givord et Prost (2000), L’Horty (2000), et Laffargue (2000) mettent surtout en avant des effets importants sur l’emploi non qualifié avec une borne à 1,3 SMIC.
Un article publié dans le Journal of Public Economics (Kramarz et Philippon, 2001) sur les réformes Juppé de 1995 et 1996 démontre des effets positifs s’arrêtant à 1 et 1,2 SMIC.
Enfin, la méta analyse de Bunel, Emond et L’Horty (2012), également citée par Bozio et Wasmer, semble aller dans le même sens, puisque « leurs simulations indiquent qu’il est plus efficace de concentrer les réductions de cotisation sur les plus bas salaires ». Si des mesures d’exonérations de cotisations au-delà des bas salaires peuvent parfois être efficaces, c’est lorsqu’elles sont temporaires et ciblées, comme semble le démontrer l’expérience suédoise, citée par Bozio et Wasmer, qui a mis en place une exonération de cotisations de 31 % de 2008 à 2015 pour les moins de 26 ans, avec un fort effet sur l’emploi, lequel s’est maintenu même après la fin des exonérations de cotisations par la Suède en 2016, démontrant que cette exonération a surtout servi à lever un effet discriminatoire : « la baisse des cotisations a permis aux employeurs d’incorporer de jeunes salariés contre lesquels il existait auparavant une forme de discrimination, et une fois ces jeunes en emploi, cet a priori négatif aurait disparu. ».
Enfin, les évaluations interdisciplinaires des impacts du CICE en matière de compétitivité internationale, d’investissement, d’emploi, de résultat net des entreprises et de salaires, n’a pas non plus conclu à de réels effets sur l’emploi : « En ce qui concerne l’emploi global, aucun impact significativement positif ne ressort de nos estimations, quelle que soit la spécification retenue. ».
Ainsi, alors que le coût des mesures en faveur de l’emploi ne cesse de peser sur le budget de l’Etat et les comptes de la sécurité sociale, les divers gouvernements s’obstinent à ne pas remettre en cause des politiques d’exonérations dont les effets au-delà d’un certain seuil ne sont pas démontrés, ni en termes d’effet emploi, ni en termes de compétitivité.
Les annexes du PLFSS évaluent le coût des exemptions et exonérations de cotisations sociales en 2024 à 91,3 milliards soit près de 3 points de PIB dont 2,9 d’exonérations non compensées par le Budget de l’Etat, alors qu’en 2012 elles ne représentaient qu’1,1 point de PIB (le seul CICE en 2013 a fait passer les coûts de 1,1 à 2,1 points de PIB et la transformation du CICE en exonérations a fait bondir le coût (la perte de recettes) de ces dernières de 36,1 milliards en 2018 à 52 milliards en 2019).
Dans le total de ces exonérations, le bandeau maladie représentait un coût (une perte de recettes) de 25 milliards (89% des salariés sont concernés par ce bandeau) et le bandeau famille 9,6 milliards (98% des salariés sont concernés). Ces sommes exorbitantes constituent un coût important pour l’ensemble des finances publiques alors que l’objectif est un déficit à 3 % toutes APU consolidées selon les critères européens.
Pour les comptes sociaux, une remise en cause des bandeaux à partir de 2 fois le SMIC réduirait massivement les exonérations et donc la dépense pour l’Etat en recentrant et limitant les exonérations sur les bas salaires. Soit l’inverse de ce que prévoit le gouvernement alors que la densité de la population active au SMIC s’établit à 14,6% en 2024 (après un pic historique à 17,3 % en 2023 [1] du fait de la déflation salariale, les salaires n’ayant pas suivi l’inflation) et alors que l’effet dans certaines branches est peu maîtrisé compte tenu de la place de la sous-traitance (du fait de la politique d’externalisation des grands groupes).
L’économiste Anne-Laure Delatte évalue les recettes restaurées d’une borne à 2 SMICs, à 8 milliards pour 2025, tandis qu’en audition pour la Commission Affaires Sociales, l’économiste Gilbert Cette a estimé que le potentiel des gains se situe aux environs de 6 milliards, tandis que l’économiste Pierre Cahuc avance un chiffre supérieur à ses deux confrères précédemment cités. Pour FO, d’après des administrateurs de l’URSSAF, une borne à 1,4 SMICs pour les exonérations de cotisations sociales employeurs rapporterait 10 milliards de recettes nouvelles.
Ces désaccords sur les chiffres démontrent l’importance d’une étude d’impact sur le sujet, surtout compte tenu de l’importance des gains estimés, y compris dans les évaluations les plus basses.
À l’inverse, la réforme(tte) ici présentée, qui est un recul sur celle initialement proposée alors même qu’elle manquait déjà d’ambition, ne présente qu’un gain estimé à 1,6 milliard au maximum, ce qui ne suffit pas à ralentir la trajectoire déficitaire des comptes publics due massivement à ces allègements. Compte tenu du manque d’effets sur l’emploi documentés par la littérature économique depuis des décennies des exonérations de cotisations sociales au-delà d’un certain seuil, le recul ici proposé semble purement idéologique et rien n’empêche de songer à un abaissement des points de sortie bien plus ambitieux. En conséquence, le présent amendement présente une solution alternative réelle en prônant une mesure bien plus ambitieuse, portant les deux points de sortie des 2 bandeaux à 2 SMIC.
[1] https://www.vie-publique.fr/en-bref/296760-moins-de-salaries-au-smic-en-2024-par-rapport-2023