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Direction de la séance

Projet de loi

Projet de loi de finances pour 2025

(1ère lecture)

SECONDE PARTIE

MISSION JUSTICE

(n° 143 , 144 , 150)

N° II-346

27 novembre 2024


 

AMENDEMENT

présenté par

C Défavorable
G Défavorable
Rejeté

Mmes PONCET MONGE et Mélanie VOGEL, MM. BENARROCHE, Grégory BLANC, DANTEC, DOSSUS, FERNIQUE et GONTARD, Mme GUHL, M. JADOT, Mme de MARCO, M. MELLOULI, Mme OLLIVIER, M. SALMON et Mmes SENÉE et SOUYRIS


Article 42 (crédits de la mission)

(État B)


I - Créer le programme :

Adaptation, pour les personnes en situation de handicap, des établissements pénitentiaires.

II. – En conséquence, modifier ainsi les crédits des programmes :

 (en euros)

Programmes

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

 

+

-

+

-

Justice judiciaire

dont titre 2

 

 

 

 

Administration pénitentiaire

dont titre 2

 

 

 

 

Protection judiciaire de la jeunesse

dont titre 2

 

 

 

 

Accès au droit et à la justice

 

 

 

 

Conduite et pilotage de la politique de la justice

dont titre 2

 

 

 

 

Conseil supérieur de la magistrature

dont titre 2

 

1

 

1

Adaptation, pour les personnes en situation de handicap, des établissements pénitentiaires

1

 

1

 

TOTAL

1

1

1

1

SOLDE

0

0

 

Objet

Notre amendement d’appel vise à adapter les prisons aux détenus en situation de handicap.

Si deux arrêtés ont été pris, l’un du 4 octobre 2010 et l’autre du 29 décembre 2016, l’un relatif à l’accessibilité́ des personnes handicapées dans les établissements pénitentiaires neufs et l’autre dans les établissements pénitentiaires existants, la mise aux normes des établissements est souvent tardive, voire inexistante.

Dans son rapport (datant de juillet 2022) « La santé incarcérée : Enquête sur l’accès aux soins spécialisés en prison »[1], l’observatoire international des prisons (OIP) – section française note que si ces deux arrêtés fixent des quotas de cellules pour personnes à mobilité́ réduite (PMR) (3 % dans les nouveaux établissements de plus de 120 places, 2 % pour ceux qui ont une moindre capacité d’accueil, et 1 % dans les établissements existants) et que ces cellules, « plus spacieuses, sont censées permettre le passage et la manœuvre des fauteuils roulants par la porte d’entrée et entre les éléments du mobilier », cependant, « selon un état des lieux, moins d’un établissement sur deux en est doté ».

De plus, l’OIP dénonce des aménagements insuffisants : « Les cellules PMR, lorsqu’elles existent, ne sont pas toujours adaptées : dimension des portes qui ne permettent pas le passage d’un lit médicalisé́, exiguïtés et positionnement des sanitaires, hauteur et fonctionnement des douches, localisation du bouton d’alarme, etc. D’autres dysfonctionnements sont parfois pointés, comme la localisation du système d’alarme ». Par exemple, à Rennes-Vezin, un homme décrit : « Le bouton d’alarme est à côté de la porte. Ce qui fait que si on a un problème en pleine nuit, il faut qu’on sorte de notre lit et qu’on puisse aller jusqu’au bouton. Mon voisin de cellule est en fauteuil électrique, et il lui est déjà arrivé de tomber de son lit la nuit. Dans ces cas-là, il ne peut pas accéder au bouton d’appel, et il reste allongé par terre, jusqu’au lendemain matin quand ils vont ouvrir les cellules ».

L’Observatoire international des prisons a documenté à plusieurs reprises des atteintes aux droits de personnes incarcérées en situation de handicap.

Par exemple, fin août, il a publié un communiqué « Les droits des personnes détenues à la merci du fonctionnement d’un ascenseur ! »[2] dans lequel on apprend qu’au centre pénitentiaire de Metz, l’unique ascenseur du bâtiment C, qui comprend notamment l’unité sanitaire et les cellules pour personnes à mobilité réduite, est régulièrement en panne (et de façon durable). Ce dysfonctionnement dure depuis plusieurs années, entraînant d’importantes dégradations des conditions de détention pour les personnes détenues. Les personnes handicapées sont incarcérées dans des cellules dédiées et restent confinées au troisième étage, devenue prison dans la prison. Un détenu témoigne : « Je me retrouve à l’écart des autres, je ne peux aller ni en promenade, ni en bibliothèque, je ne peux pas suivre l’école (…) Je suis à bout, j’en arrive à pleurer seul dans ma cellule. Au dernier parloir, ma famille, venue de loin, n’a pas été prévenue que l’ascenseur était à nouveau en panne, ils ont fait le trajet pour rien, maintenant ils ne veulent plus se déplacer ». Dans l’impossibilité de se rendre dans la salle où est installé le système de visioconférence, il n’a par ailleurs pas pu se rendre à son audience et a été jugé en son absence.

De plus, cela a des conséquences sur les conditions des travailleurs comme des conditions d’alimentation des détenus : « Tous les jours, faute de pouvoir monter le chariot par l’ascenseur, les « auxi » cuisine, personnes détenues chargées de distribuer les repas en cellule, font des allers-retours dans les escaliers midi et soir pour apporter un à un les plateaux dans les étages, qui abritent les nouveaux arrivants et les personnes fragiles, nécessitant une surveillance médicale quotidienne. Le temps de distribution est tel que la nourriture, venue de la cuisine à l’autre bout de l’établissement, est froide lorsqu’elle arrive en cellule ».

Autre exemple communiqué par l’OIP en décembre 2022, au centre pénitentiaire de Baie-Mahault[3], « malgré un certificat médical indiquant que son état de santé n’est pas compatible avec une incarcération dans l’établissement, Monsieur D., paraplégique et en fauteuil roulant, est détenu depuis sept mois au centre pénitentiaire de Baie-Mahault, dans des conditions qui portent une atteinte grave à sa dignité : contraint de partager sa cellule avec un codétenu, il dort à même le sol et ne peut se déplacer, faute d’aménagements adaptés ». La cellule ne bénéficie pas d’aménagements adaptés. Faute d’un lavabo situé à une hauteur adéquate, Monsieur D. indique par exemple se laver les dents avec l’évier à hauteur du menton. Enfin, aucun des deux codétenus (tous les deux se déplaçant en fauteuil roulant) n’ayant la capacité de faire le ménage de la cellule, Monsieur D. serait contraint de payer en cigarettes un autre détenu pour qu’il le fasse à leur place. L’accessibilité des espaces communs de l’établissement serait également très problématique. Monsieur D. explique n’avoir donc pas accès aux espaces situés aux étages supérieurs, comme la bibliothèque, les salles d’enseignement ou encore les parloirs, et être contraint de rester en cellule 22h30 sur 24. Devant son insistance pour recevoir la visite de sa conjointe, l’administration pénitentiaire lui aurait proposé d’être porté dans les escaliers par deux détenus auxiliaires, tout en signant une décharge de responsabilité de l’administration en cas d’accident.

Rappelons que dans un arrêt de 2006, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) avait estimé que « la détention d’une personne handicapée dans un établissement où elle ne peut se déplacer et en particulier quitter sa cellule par ses propres moyens [constituait] un « traitement dégradant » au sens de l’article 3 de la Convention » (Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentale). L’article 3 de la convention est le suivant : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ».

Ainsi, dans la perspective de respecter la dignité des individus, cet amendement d’appel vise à adapter et aménager les prisons aux personnes en situation de handicap.  

A cette fin, le présent amendement d’appel augmente d’un euro symbolique d'AE et CP un nouveau programme nommé « Adaptation, pour les personnes en situation de handicap, des établissements pénitentiaires » gageant via une diminution de 1 euro symbolique d'AE et CP l'action 01 « Conseil supérieur de la magistrature » du programme 335 « Conseil supérieur de la magistrature ». Les règles de recevabilité nous obligent à gager via un transfert de crédits provenant d'un autre programme de la mission.

 


[1] https://oip.org/wp-content/uploads/2022/07/oip-rapport-soinsspe-07-2022-planches.pdf

[2] https://oip.org/communique/les-droits-de-personnes-detenues-a-la-merci-du-fonctionnement-dun-ascenseur/

[3] https://oip.org/communique/centre-penitentiaire-de-baie-mahault-une-personne-paraplegique-detenue-dans-des-conditions-indignes/#_ftnref2