Direction de la séance |
Projet de loi Financement de la sécurité sociale pour 2025 (1ère lecture) (n° 129 , 138 , 130) |
N° 828 15 novembre 2024 |
AMENDEMENTprésenté par |
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Mmes PONCET MONGE et SOUYRIS ARTICLE 28 |
Supprimer cet article.
Objet
L’article 28 fixe pour 2025 les objectifs de dépenses de la branche accidents du travail et maladies professionnelles à 17,0 milliards d’euros. Le présent amendement a vocation à le supprimer.
Les objectifs de dépenses 2025 de la branche AT/MP reposent notamment sur une sous-déclaration importante des AT/MP qui justifie le transfert vers la branche maladie (pour un montant plus faible que l’estimation basse de la fourchette d’évaluation par la commission qui pourtant « met le frein » sur l’évaluation réelle par l’application de plusieurs facteurs minorants).
Cette évaluation ne traduit qu’en partie la dégradation des conditions de travail génératrice de pathologies du travail (dont l’explosion du syndrome d’épuisement professionnel) accentuée par les réformes engagées ces dernières années.
Selon la Commission de sous-déclaration, laquelle déplore que la plupart de ses recommandations restent lettre morte, le montant de la sous-déclaration des AT-MP est évalué désormais entre 2 et 3,8 Md€.
Notons le plus grave, ces sous-déclarations privent les salariés de leurs droits.
Ainsi aux coûts pour la branche maladie et pour les organismes complémentaires de la sous-déclaration, il faut parler de la perte pour les assurés évaluée à 1 milliard qui n’est pas comptabilisé dans le montant de la sous-déclaration.
Si la branche faisait face à la totalité des AT MP, elle devrait assumer des dépenses bien supérieures à cette estimation et verrait les taux de cotisations augmenter comme tout système assuranciel.
Or, rien ne semble être mis en œuvre pour s’attaquer à la sous-déclaration alors même que, selon la Commission de sous-déclaration, 24% des sous-déclarations étaient dues à une pression des employeurs, 22% à la complexité de la procédure, 23% à une mauvaise compréhension du droit.
En parallèle, les risques psychosociaux continuent de n’être reconnues que de façon très limitée (à savoir pour les seules dépressions sévères), qui représente déjà 16% de l’augmentation de la sous-déclaration, alors même que le syndrome d’épuisement professionnel est la première cause d’arrêt de travail en France.
De fait, les troubles psychologiques et l’épuisement professionnel sont à l’origine de 20% des arrêts (11% en 2016) dépassant les troubles musculosquelettiques qui représentent 16% des arrêts.
Selon une étude de Malakoff Humanis réalisée en 2023, environ 36 % des salariés affirment avoir ressenti un épuisement professionnel au cours des 12 derniers mois. Selon Opinion Way en 2022 : 34% des salariés sont en état d’épuisement professionnel, dont 14% en burn out sévère, 41% sont en détresse psychologique.
Selon l’agence européenne pour la sécurité et la santé au travail de l’UE, en 2022, sur les 12 derniers mois, 30% des salariés français ressentaient une fatigue générale, 24% ont eu des problèmes de maux de tête, 26% des problèmes musculaires/osseux/articulaires, et 25% sont passés par des états de stress/dépression/anxiété.
L’intensification du travail, dont la DARES a montré l’évolution à plusieurs reprises, se traduit par une réduction des pauses, par l’exposition à des contraintes physiques et à des substances chimiques dangereuses, à des cadences de travail plus élevée dans des environnements de travail souvent inadaptés.
Selon Christine Erhel et Mathilde Guergoat, la France présente une situation plus défavorable que les autres pays dans tous les domaines recoupant la qualité de travail. C’est particulièrement le cas sur les facteurs d’exposition aux risques physiques (ergonomie et risques biochimiques), environ 15% supérieurs à la moyenne européenne en 2021 alors que la France se démarque par une structure de l’emploi relativement peu industrielle. Quant à la toute dernière vague de l’enquête d’Eurofound, passée en 2021 auprès de plus de 70 000 Européens de 36 pays, elle révèle d’autant plus la situation très préoccupante des conditions de travail en France qu’elle s’appuie sur des comparaisons européennes.
La France occupe dans ce paysage une position particulière : elle apparaît très mal placée et même en queue de peloton dans de nombreuses catégories, notamment les contraintes dans le travail. Ainsi les travailleurs français déclarent plus souvent que leur travail implique des postures douloureuses, des ports de charges lourdes, des mouvements répétitifs ou des situations perturbantes que l’Allemagne, le Danemark ou les Pays-Bas ainsi que la moyenne en UE (compensation de ces critères de pénibilité retirée en 2017).
Sur le volet de la santé au travail et du bien-être, la France se situe également en dessous des partenaires européens. En 2021, soit un an après le pic de la pandémie de Covid-19, 39% des travailleurs français déclarent que leur santé est à risque du fait de leur activité professionnelle, 6 points de plus que la moyenne des travailleurs européens (33%). Si l’on met ce chiffre en regard du nombre de travailleurs français qui déclarent avoir un conseil ou un délégué chargé de la santé et la sécurité au travail (70% contre une moyenne européenne de 76% - 84% en Allemagne), la situation semble particulièrement alarmante en France. La suppression des CHS CT a aggravé ce constat.
En parallèle, la France reste « championne » d’Europe des Accidents du Travail et des morts au travail.
Selon les chercheurs Nicolas Dufour, Caroline Diard et Abdel Bencheikh, entre 2009 et 2017, la France est passée de 557 morts au travail à 585, soit 28 décès supplémentaires, alors que sur la même période soit de 2009 à 2017, le nombre de morts au travail baissait dans toute l’Union Européenne, passant en Italie de 703 morts à 484, en Autriche de 159 à 96, aux Pays-Bas de 88 à 43, en Allemagne de 489 à 430 et enfin de 213 à 140 au Portugal.
Selon les chercheurs « la France est le seul pays qui a vu le nombre de décès s’accroître entre 2009 et 2017 passant de 2,17 décès pour 100 000 travailleurs à 2,64 pour 100 000, soit une augmentation de 22% en huit ans. ». En comparaison, « les Pays-Bas dont le taux de décès est déjà faible à l’origine, ont réussi à le réduire de 45 % en huit ans en passant de 1,07 à 0,59 décès par 100 000 travailleurs. Ils sont l’exemple par excellence de l’objectif zéro mort au travail » de l’Union Européenne en 2030.
Selon les dernières prévisions Eurostat, la France n’atteindra jamais l’objectif de zéro mort au travail d’ici 2030 à ce rythme. Sans même évoquer les décès, le taux d’incidence des AT (nouveaux cas chaque année) en France reste très élevé. Ainsi selon les chercheurs cités plus haut « le taux d’incidence en France était en 2009 de 1887 accidents pour 100 000 travailleurs et en 2017 il a atteint 3396 accidents par 100 000 travailleurs ». Ce taux d’incidence est le plus élevé d’Europe, ce que confirme aussi l’agence Eurostat.
En conséquence, il conviendrait de rehausser nettement les objectifs de l’AT-MP afin de tenir compte du nombre catastrophique d’accidents du travail en France. Il semble inadéquat de perpétuer un sous-financement de cette Branche eu égard à la situation réelle des conditions de travail en France et des taux élevés d’accidents du travail, ainsi que de la sous-déclaration toujours massive ; de même qu’il semble peu acceptable que cette branche limite ses dépenses de prévention alors qu’elle est excédentaire.
Telle est la raison de la suppression de cet article.