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Direction de la séance

Projet de loi

Financement de la sécurité sociale pour 2024

(1ère lecture)

(n° 77 , 84 , 80)

N° 816 rect.

13 novembre 2023


 

AMENDEMENT

présenté par

C Défavorable
G Défavorable
Rejeté

Mmes PONCET MONGE et SOUYRIS, MM. BENARROCHE, Grégory BLANC et DANTEC, Mme de MARCO, MM. DOSSUS, FERNIQUE et GONTARD, Mme GUHL, MM. JADOT et MELLOULI, Mme OLLIVIER, MM. PARIGI et SALMON et Mmes SENÉE et Mélanie VOGEL


ARTICLE 27


Supprimer cet article.

Objet

L’article 27 propose de renforcer les capacités de contrôles des caisses d’assurance maladie et des employeurs et les sanctions en cas d’arrêt de travail juger indu. Le Gouvernement justifie cette mesure en soulignant l’augmentation des dépenses d’indemnités journalières qui ne pourrait pas s’expliquer par l’augmentation de la population active, le vieillissement de la population ou en encore l’augmentation du montant de l’indemnité moyenne en raison de la hausse des salaires et de l’activité. Il est vrai que selon le rapport « Charges et produits » de l’assurance maladie au titre de l’année 2024, les dépenses d’Indemnités journalières (IJ) remboursées entre 2010 et 2022 ont connu une croissance moyenne annuelle de +3,8 % pour les IJ maladie et pour les IJ accidents du travail et maladie professionnelle (ATMP). 

Or, si le Gouvernement s’attarde longuement sur l’augmentation des indemnités journalières et des arrêts maladies, il ne pondère pas ce constat par l’intensification tout aussi dynamique du travail depuis de nombreuses années et se garde de caractériser les arrêts de travail. Selon la DARES, le taux de salariés exposés à trois contraintes physiques ou plus était de 12 % en 1984, il est de 34 % en 2016. En 1984, 21,2 % des ouvriers non qualifiés étaient exposés à au moins trois contraintes physiques, ils sont 63,4 % en 2016 ; 23,5 % des ouvriers qualifiés étaient exposés à au moins trois contraintes physiques en 1984, ils sont 60,8 % en 2016 ; 13,2 % des employés (commerces et services) étaient exposés à au moins trois contraintes physiques en 1984, ils sont 46,9 % en 2016 ; 2,1 % des cadres en 1984 étaient exposés à au moins trois contraintes physiques, ils sont 26,1 % en 2016. L’intensification du travail s’étend à toutes les catégories socio-professionnelles et c’est cela qui explique, en grande partie, l’augmentation des arrêts de travail.

Selon le baromètre Malakoff Humanis, le nombre de salariés arrêtés est supérieur à 40 % chaque année depuis 2016 et 42 % des salariés ont déposé un arrêt en 2022. mais ceux qui déposent le plus d’arrêts maladie, ce sont les cadres et les jeunes. Ainsi, le taux d’absentéisme des moins de 30 ans a explosé de plus de 50 % entre 2019 et 2022 et de plus de 40 % chez les managers. Les mêmes connaissant une intensification du travail particulièrement élevées ces dernières années et un rapport au travail conflictuel en lien avec le manque de sens de certaines activités qui a largement été documenté, notamment par la DARES dans une étude parue en 2021 qui démontrait : « Entre 2013 et 2016, la proportion de salariés ayant au moins un jour d’absence pour maladie passe de 29,6 % à 33,3 % et le nombre annuel moyen de jours d’absence augmente de 6,5 à 8,1 jours. Le nombre de jours d’absence augmente beaucoup plus fortement pour les 20 % de salariés qui ont connu la plus forte perte de sens du travail, et diminue au contraire pour les 20 % dont le sens du travail s’est le plus amélioré. » Ainsi, une perte de sens du travail accroît le nombre de jours d’absence pour maladie. De même, selon l’étude « L’augmentation de l’insécurité socio-économique accroît également la probabilité de connaître une absence pour maladie. ». Et même pour les salariés stables : « L’évolution des absences pour maladie dépend, quant à elle, de l’intensité du travail et du soutien social, mais plus encore du sens du travail. ».

Intensification du travail, manque de sens et insécurité socio-économique : tous ces effets du néolibéralisme sur le travail et l’emploi se répercute en particulier chez les jeunes qui posent de nombreux arrêts maladie pour épuisement professionnel. Le rapport « charges et produits » de l’Assurance maladie permet d’avoir une photographie précise des principales causes d’arrêts de travail, en 2022. Hors Covid qui arrive en tête avec 1,68 millions d’arrêts maladie prescrit, viennent ensuite 1,52 million d’arrêts pour « syndromes dépressifs » , puis les 874 000 absences pour « gastro-entérologie », et les 787 000 pour « lombalgies », sans oublier les 479 000 arrêts pour « sciatique » et les 260 000 pour « tendinopathie ». Le burn-out et les tous les troubles psychologiques, (troubles anxieux, bipolaires, dépressifs majeurs, épuisement professionnel ou burn-out) sont en effet devenus la première pathologie à l’origine des arrêts de travail de longue durée. Ils représentent 22,2 % des arrêts de plus de 30 jours en 2022, contre 18,2 % en 2019 et 11 % en 2016 selon le baromètre de l’absentéisme d’Axa en 2023. Selon Opinion Way en 2022 : 34 % des salariés sont en état de burn out dont 14 % en burn out sévère, 41 % sont en détresse psychologique

Enfin, l’augmentation du taux d’emploi des 50-64ans, encouragé par la réforme des retraites a un coût, selon le baromètre, avec une augmentation des prescriptions pour arrêts longs qui concernent de plus en plus d’entreprises. Les seniors sont 17 % à se voir prescrire un arrêt long contre 14 % en moyenne. 

Tous ces éléments ne sont pas pris en compte dans cet article qui se contente une fois de plus d’esquiver la question du travail, de sa perte de sens et de son intensification délétère pour la santé des travailleurs, en leur faisant peser la charge de la sanction et de la suspension possible des IJ via un renforcement des contrôles. S’il faut lutter contre les arrêts maladie indus, il serait bon d’abord de lutter en premier lieu et efficacement contre la dégradation des conditions de travail et la perte de sens au travail que ressentent les travailleurs.

Pour toutes ces raisons, cet amendement se propose de supprimer l’article 27.