Direction de la séance |
Projet de loi Croissance, activité et égalité des chances économiques (Nouvelle lecture) (PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE) (n° 542 , 541 ) |
N° 66 29 juin 2015 |
AMENDEMENTprésenté par |
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Mme LIENEMANN ARTICLE 80 |
Supprimer cet article.
Objet
Cet amendement vise à supprimer le passage de 5 à 12 dimanches travaillés sur autorisation du maire.
Le repos dominical est un élément fondamental de notre Code du travail. Toute exception à ce principe doit donc se justifier par une amélioration de l’activité économique et de la protection des salariés.
Rien n’indique que la libéralisation du travail du dimanche aura un impact économique significatif et positif. En effet, le porte-monnaie des Français ne va pas s’élargir pour consommer le dimanche. Or, les Français sont, dans leur grande majorité, bien plus contraints par leur budget, déjà très affecté par la stagnation du pouvoir d’achat, que par leur temps disponible. Dès lors, l'ouverture des magasins sept dimanches supplémentaires ne provoquera pas un choc de demande de nature à relancer l'activité. En outre, le risque est grand de voir fermer un à un les petits commerces et les commerces de proximité, peu à peu « cannibalisés » par les grandes surfaces et les centres commerciaux qui, seuls, auront la possibilité de faire face aux surcoûts – salariaux, énergétiques, administratifs – engendrés par l'ouverture sur l'ensemble de la semaine. Il est ainsi probable que, loin d'engendrer une augmentation de la consommation, et ainsi de l'activité et de l'emploi, l'ouverture des magasins dans le secteur du commerce sept dimanches supplémentaires par an aura pour conséquence de favoriser uniquement une consommation plus étalée sur la semaine, avec ainsi de nombreuses plages horaires « creuses » dans les magasins, et au profit des grandes surfaces commerciales. Les emplois ainsi créés, en petit nombre, seront essentiellement des emplois précaires, instables, et donc peu à même de favoriser un véritable redémarrage de l'activité.
Les études théoriques et empiriques existantes viennent confirmer que le travail dominical n'est pas une mesure qui permettra de relancer l'activité. Une étude du Crédoc de novembre 2008 estimait les effets potentiels sur l'emploi d'une généralisation totale du travail dominical dans le commerce non-alimentaire, entre une destruction de 5 400 et une création de 14 800 emplois. Plus récemment, une étude menée pour le compte de l'Union du Grand Commerce de Centre-ville, chiffre à 20 000 le nombre d'emplois à temps plein créés par le passage de 5 à 15 dimanches ouverts sur autorisation du maire, sans prendre en compte les effets indirects d'une telle ouverture (l'« effet de cannibalisme » notamment). Les expériences étrangères montrent, quant à elles, des effets d'ampleur faible, dans un sens positif comme négatif suivant les différents pays (en Allemagne par exemple). Un effet inflationniste est également à attendre, en raison des surcoûts.
Le développement récent du e-commerce que l’on voudrait freiner car il serait peu créateur d’emplois sera très faiblement impacté par l’extension des ouvertures dominicales.
Au contraire, le régime actuel permet de s'adapter à des situations où les consommateurs sont effectivement contraints plutôt par leur temps que par leur budget (période des fêtes et des soldes), et où la demande potentielle captée par l'ouverture dominicale des établissements de commerce de détail est très importante.
Ainsi, le passage de 5 à 12 dimanches ouverts pour tous les magasins de commerce de détail ne semble pas justifié sur un plan économique. L'étude d'impact attenante au projet de loi ne mentionne aucun ordre de grandeur de création d'emplois à attendre concernant cet article, rendant bien hasardeuse cette libéralisation, qui ne sera pas sans conséquence pour les salariés.
Cette mesure mettra des communes en concurrence, puisque la zone de chalandise s'étend bien au-delà de la commune, ou même de l'EPCI. Les maires ne voyant pas l'avantage d'autoriser le recours au travail dominical, pour des raisons économiques et sociales, seront ainsi placés en situation de concurrence avec les territoires voisins, et n'auront d'autre choix que de permettre l'ouverture dominicale des commerces de leurs territoires. Cette concurrence entre élus locaux conduira, de fait, à des situations sous-optimales en termes économiques et sociaux.
Quant à la décision intercommunale, elle peut conduire à favoriser une ouverture 52 dimanches par an par rotation entre les communes au détriment du commerce de proximité.
Enfin, cette mesure menace le bien-être des salariés et de leur famille. Travailler douze dimanche par an – c’est-à-dire un dimanche par mois –, n’est plus une exception acceptable, c’est un bouleversement des rythmes sociaux et familiaux. Ainsi, une question de société est véritablement posée puisque, une fois par mois, de nombreux travailleurs ne pourront plus jouir de leur dimanche, souvent destiné à la vie associative, culturelle, familiale, politique, sportive, etc., c'est-à-dire à l'ensemble des activités complémentaires au travail. Le volontariat des salariés, s'il a été théoriquement garanti in extremis dans le projet de loi, restera bien peu appliqué en pratique. En raison du lien de subordination qui existe entre l'employeur et l'employé, le refus de travailler le dimanche sera très difficile à mettre en œuvre, tout comme d'éventuelles pressions, refus d'embauches, etc., seront formellement impossibles à établir. Il est nécessaire de rappeler que le secteur du commerce de détail emploie 64 % de femmes, selon les données de l'INSEE, essentiellement à temps partiel, et à un salaire horaire moyen qui n'excède pas de 10 % le SMIC. Le « volontariat » sera donc essentiellement demandé à des salariées dont le refus sera encore plus contraint par leur « inégalité des chances économiques » face à leur employeur. Afin de préserver ce temps particulier, le volontariat théorique des salariés, et surtout des salariées, ne suffira donc pas.
Pour l'ensemble de ces raisons, le présent amendement propose le maintien du statu quo concernant le nombre de dimanches où les commerces de détail peuvent ouvrir sur autorisation du maire.