2. Qui doit être appelé à jouer le rôle de prêteur en dernier ressort ?
En
l'état, l'identité du prêteur en dernier ressort est
fixée sur des bases quelque peu existentialistes. Il s'agit
principalement d'instances nationales (banques centrales, budgets,
assurances...) mais il peut s'agir aussi des institutions financières
internationales, et en particulier du FMI, qui, même s'il manque de
moyens en ce sens, joue de fait ce rôle.
Cette architecture est-elle satisfaisante ? Ne faut-il pas mieux
préciser les rôles ?
Cette question souvent abordée sur un plan académique doit
pourtant être traité avec pragmatisme.
Il convient d'abord de rappeler en quoi consiste l'activité de
prêteur en dernier ressort entendue au sens strict. Il s'agit de
consentir des prêts d'urgence à des établissements qui,
bien que solvables en régime normal, se trouvent confrontés
à une pénurie de liquidités.
Une telle situation est généralement susceptible d'être
gérée par n'importe quelle banque centrale puisqu'aussi bien ces
institutions disposent d'une capacité illimitée de créer
de la monnaie. Il en va d'ailleurs ainsi en pratique.
Il n'apparaît donc pas systématiquement nécessaire de
mobiliser un quelconque prêteur en dernier ressort supra-national pour
régler les problèmes de liquidité des banques.
Toutefois, en de rares circonstances
, soit que la banque centrale d'un
pays se refuse à intervenir, soit que le problème de
liquidité rencontré consiste en une pénurie en devises
impossible à combler via des interventions de banques centrales en crise
de liquidités elles-mêmes,
l'intervention d'un prêteur en
dernier ressort non-national s'impose.
Qui peut et qui doit jouer ce rôle ?
La première question amène naturellement à s'interroger
sur la capacité du FMI à jouer efficacement le rôle d'un
prêteur en dernier ressort. Le déroulement des crises asiatiques a
montré que cette capacité était limitée. Le Fonds
n'a pas la possibilité de créer de la monnaie. Face à des
besoins massifs, il doit au préalable recourir aux Etats en
espérant que ceux-ci consentent à une augmentation de ses moyens.
Ses interventions sont destinées aux Etats alors que les
problèmes de liquidité concernent désormais souvent des
acteurs privés. Ceux-ci ne bénéficient des interventions
du Fonds qu'après intermédiation des banques centrales nationales
et donc moyennant des délais supplémentaires.
Les interventions du Fonds sont donc, par construction, tardives. Elles ne
parviennent pas à prévenir les crises.
En fait, dans la plupart des crises de liquidité à impact
international potentiellement élevé, les prêteurs en
dernier ressort efficaces ont été les banques centrales
nationales en mesure d'intervenir massivement c'est à dire pour
l'essentiel la banque centrale américaine, la Banque du Japon et,
à un moindre degré, les banques centrales des pays
européens.
Faut-il modifier cette situation ?
Cette question revêt deux
aspects distincts.
Le premier d'entre eux consiste à s'interroger sur le choix de
l'organisme qu'il conviendrait de charger de la mission de prêteur en
dernier ressort.
Ce rôle est mal joué par le FMI dans
l'hypothèse de crises d'illiquidité des agents privés.
Seule une réforme profonde du Fonds et un accroissement très
sensible de ses moyens lui permettrait d'être un prêteur en dernier
ressort efficace, c'est-à-dire capable de prévenir le
déclenchement d'une spirale de crises.
D'un autre côté, la décentralisation actuelle des
initiatives aux grandes banques centrales nationales ne constitue pas une
solution coopérative et laisse perdurer une réelle
dépendance des pays émergents à l'égard des pays
les plus développés.
Ce diagnostic fonde les recommandations suivantes
.
Il importe d'abord que des banques régionales se développent dans
les zones économiques où elles font défaut. Elles doivent
être en mesure sinon d'exercer toujours le rôle de prêteur en
dernier ressort du moins d'en constituer un support éventuel et
d'être des interlocuteurs crédibles des banques centrales des pays
développés.
En outre, la coordination entre les grandes banques centrales doit être
renforcée pour traiter de façon harmonieuse leurs interventions
au titre de prêteur en dernier ressort.
C'est d'ailleurs un modèle de ce type qui est implicitement retenu dans
le cadre du système européen de banques centrales (SEBC). En son
sein, les refinancements restent en pratique à la charge des banques
centrales nationales mais la Banque centrale européenne dispose d'un
droit de regard général sur l'activité des banques
nationales et il existe au sein du SEBC des accords de liquidité
susceptibles d'être mobilisés le cas échéant.
Ainsi, et même si la BCE ne s'est pas vue explicitement confier le
rôle de prêteur en dernier ressort dans la zone euro, cette
solution apparaît d'abord conforme au principe de subsidiarité. En
outre, contrairement aux critiques qu'elle a suscitées en particulier de
la part des économistes du FMI, cette solution paraît compatible
avec les exigences de régulation en Europe. La probabilité d'y
voir une banque centrale nationale hors d'état de jouer le rôle de
prêteur en dernier ressort est faible ; le SEBC semble avoir mis en
place les instruments que pourrait réclamer une crise d'une ampleur
particulière. Enfin, l'imprécision qui caractérise cette
organisation est conforme au principe "
d'ambiguïté
constructive
" par les incertitudes qu'elle laisse planer sur le
principe même d'une intervention en permettant de limiter le risque
d'irresponsabilité né du sentiment de l'existence de
l'intervention garantie d'un assureur des risques.
En conclusion, il apparaît souhaitable de mettre en oeuvre au niveau
international un système de coopération souple mais attentif
entre banques centrales plutôt que de se reposer sur la
désignation institutionnelle d'un prêteur en dernier ressort.
Cette recommandation qui procède du constat que le Fonds n'est pas un
mesure d'être un prêteur en dernier ressort préventif ne
signifie pas que le FMI doive renoncer à l'exercice des missions qui
sont les siennes.
La seconde question qui ne peut être éludée consiste
à s'interroger sur la compatibilité d'un système
décentralisé de prêteur en dernier ressort avec l'existence
d'une communauté d'intérêts dans le domaine
monétaire
. Cette question revêt une particulière
importance dans le cadre des zones monétaires unifiées. En leur
sein, l'intervention d'un prêteur en dernier ressort est susceptible
d'exercer des effets contradictoires avec l'objectif de stabilité
monétaire. La situation de la zone euro illustre un éventuel
conflit entre les décisions monétaires prises par l'organe
central (la BCE) et les interventions comme prêteur en dernier ressort
des organes décentralisés (les banques centrales nationales).
La perspective d'un tel conflit et les voies de sa résolution ne sont
pas éludées par le traité d'Union monétaire puisque
les activités des banques centrales nationales ne doivent pas nuire aux
objectifs et aux missions du SEBC où la BCE exerce la
responsabilité de la définition de la politique monétaire.
C'est sur ces bases que les autorités monétaires en Europe
pourraient assurer, de façon pragmatique, la conciliation des
initiatives de secours d'urgence et des objectifs de la politique
monétaire unique.
Cette architecture, il faut l'admettre, ne se retrouve pas en l'état au
niveau international. Cependant il est loisible et souhaitable d'aborder cet
aspect du problème dans les enceintes internationales de concertation.