N° 88 SESSION
ORDINAIRE DE 2014-2015 1er
avril 2015 |
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rÉsolution europÉenne relative
à la lutte contre le terrorisme et tendant à l'adoption d'un Acte pour la sécurité intérieure de l'Union européenne. |
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Le Sénat a adopté la
résolution dont la teneur suit : |
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Voir les
numéros : Sénat : 350 et 369 (2014-2015). |
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la
Constitution,
Vu les articles 2 et 4 du
traité sur l'Union européenne ainsi que les articles 67, 69 et 73 du traité sur
le fonctionnement de l'Union européenne,
Vu la décision-cadre 2002/475/JAI
du Conseil, du 13 juin 2002, relative à la lutte contre le
terrorisme et la décision-cadre 2008/919/JAI du Conseil, du 28 novembre
2008, modifiant la décision-cadre 2002/475/JAI relative à la lutte contre le
terrorisme,
Vu la stratégie de l'Union
européenne visant à lutter contre la radicalisation et le recrutement des
terroristes adoptée le 30 novembre 2005 (document du Conseil
14781/1/05) et révisée en 2008 (document du Conseil 15175/08) et en 2014
(document du Conseil 9956/14),
Vu les conclusions
relatives à la lutte contre le terrorisme adoptées par le Conseil des affaires
étrangères le 9 février 2015,
Vu la déclaration des
membres du Conseil européen du 12 février 2015 sur la lutte contre le
terrorisme,
Considérant que le
terrorisme constitue une atteinte directe aux valeurs fondamentales, énoncées à
l'article 2 du traité sur l'Union européenne, de respect de la dignité
humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l'État de droit ainsi que de
respect des droits de l'homme, y compris des droits des personnes appartenant à
des minorités, sur lesquelles l'Union est fondée ; que ces valeurs sont
communes à tous les États membres ;
Considérant qu'au nom des
valeurs fondamentales énoncées audit article 2, les citoyens européens
sont en droit d'exprimer des attentes fortes quant à leur sécurité ; que
la lutte contre le terrorisme et l'utilisation des moyens conférés à cette fin
aux États membres doivent respecter les valeurs de l'Union et l'État de
droit ;
Considérant que l'Union
respecte les fonctions essentielles des États membres, notamment celles qui ont
pour objet d'assurer leur intégrité territoriale, de maintenir l'ordre public
et de sauvegarder la sécurité nationale et que ladite sécurité nationale reste
de la seule responsabilité de chaque État membre ;
Considérant que l'Union
constitue un espace de liberté, de sécurité et de justice dans le respect des
droits fondamentaux et des différents systèmes et traditions juridiques des
États membres ; que l'Union œuvre pour assurer un niveau élevé de sécurité
par des mesures de coordination et de coopération entre autorités policières et
judiciaires et autres autorités compétentes, ainsi que par la reconnaissance
mutuelle des décisions judiciaires en matière pénale et, si nécessaire, par le
rapprochement des législations pénales ;
Considérant qu'en vertu des
traités, il est loisible aux États membres d'organiser entre eux et sous leur
responsabilité les formes de coopération et de coordination qu'ils jugent
appropriées entre les services compétents de leurs administrations chargées
d'assurer la sécurité nationale ;
Considérant le rôle des
parlements nationaux pour veiller au respect du principe de subsidiarité,
conformément au protocole n° 2 sur l'application des principes de
subsidiarité et de proportionnalité ;
Considérant qu'une menace
terroriste grave et sans doute durable pèse désormais sur la plupart des
sociétés européennes et justifie une réponse commune urgente ;
Considérant que l'Union
européenne dispose, d'ores et déjà, d'un certain nombre d'instruments susceptibles
d'être utilisés à titre préventif pour lutter contre le terrorisme et, partant,
réduire la menace ; que la mise en œuvre opérationnelle de ces instruments
demeure toutefois insuffisante ; que l'utilisation accrue de ces
instruments doit s'accompagner d'une intensification de la coopération entre
les différents services chargés de la sécurité intérieure des États membres
tant dans le domaine du renseignement et de la surveillance que dans celui des
enquêtes, des poursuites et de la répression ;
Considérant que cette
coopération plus développée ne dispensera pas d'une réflexion en profondeur sur
les causes du phénomène terroriste dans nos sociétés et les moyens d'y remédier
sur la durée par des actions communes notamment dans le domaine éducatif ;
Estime que, afin de
répondre aux attentes légitimes des citoyens européens et d'assurer la sécurité
intérieure de l'Union européenne, une législation antiterroriste commune
devrait être rapidement adoptée par l'Union européenne sous la forme d'un
« Acte pour la sécurité intérieure » ;
– Sur la
définition des infractions terroristes :
Considère qu'il s'agit de
mieux prendre en compte les nationaux qui partent combattre à l'étranger dans
le dessein, comme le souligne, en particulier, la résolution n° 2178 du
24 septembre 2014 du Conseil de sécurité des Nations unies sur les
« combattants étrangers », de « commettre, d'organiser ou de
préparer des actes de terrorisme, ou afin d'y participer ou de dispenser ou
recevoir un entraînement au terrorisme, notamment à l'occasion d'un conflit
armé... » ;
Insiste sur la nécessité de
disposer d'un cadre juridique européen facilitant la surveillance, les
poursuites et les mises en cause en ce qui concerne les « combattants
étrangers » ;
– Sur la révision
du code frontières Schengen et le contrôle des frontières extérieures :
Souhaite qu'à droit
constant, il soit procédé rapidement, sur le fondement d'indicateurs de risque
appliqués uniformément par les États membres, à des contrôles approfondis quasi
systématiques de ressortissants des pays membres de l'espace Schengen
lorsqu'ils entrent et sortent de cet espace ;
Demande également la
révision ciblée du code frontières Schengen pour autoriser, sur le fondement
d'indicateurs de risque appliqués uniformément par les États membres, les
contrôles approfondis systématiques de ressortissants des pays membres de
l'espace Schengen qu'il serait nécessaire d'effectuer de manière
permanente ;
Considère qu'un contrôle
efficace des frontières extérieures doit être une responsabilité partagée au
niveau de l'Union européenne ;
Constate qu'en l'état
actuel, l'agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle
aux frontières extérieures (FRONTEX) ne peut apporter aux États qu'un appui
ponctuel et limité dans le temps pour des opérations ciblées ; estime
qu'une mission permanente de contrôle des frontières extérieures de l'Union
devrait être dévolue à un FRONTEX disposant de moyens humains et financiers
pérennes et considérablement renforcés et dont devrait relever un corps de
gardes-frontières européens ; demande instamment le renforcement des
moyens aujourd'hui très faibles de FRONTEX ;
Souhaite que les
dispositifs d'identification des personnes tels que le système d'information
Schengen (SIS II) soient perfectionnés ; appelle aussi de ses vœux
une intensification et une uniformisation de l'utilisation du SIS II par
les États membres ;
Invite les États membres à
réfléchir plus activement à la définition d'une politique européenne des visas,
limitée jusqu'à présent au court séjour et au transit, dont les critères
communs prendraient notamment en compte des indicateurs de risque liés à la
menace terroriste ;
– Sur la mise en
place d'un système de protection des données des dossiers passagers (PNR)
européen :
Rappelle que dans sa
résolution n° 78 en date du 15 mars 2015, le Sénat estime
urgente l'adoption de la proposition de directive relative à l'utilisation des
données des dossiers passagers pour la prévention et la détection des
infractions terroristes et des formes graves de criminalité, nommée communément
« directive PNR » ; juge que la mise en place d'un tel mécanisme
européen serait seule de nature à assurer une coordination efficace entre les
PNR nationaux dans le respect des garanties indispensables pour la protection
des données personnelles ;
Souligne que cette mesure
indispensable pour harmoniser les critères de fonctionnement des PNR nationaux
pourrait être appliquée, dans un premier temps, d'une manière expérimentale
avant d'être évaluée, réexaminée ou renforcée ; rappelle qu'en tout état
de cause, le PNR européen pourra être aménagé pour intégrer le futur cadre de
protection des données personnelles en cours de discussion ;
– Sur une lutte
effective contre les sources de financement du terrorisme et le trafic d'armes :
Souligne la nécessité de
tarir les sources de financement du terrorisme, en particulier à travers le
blanchiment des capitaux et le trafic d'armes ; demande en conséquence
l'application résolue des législations européennes en la matière, l'adoption
rapide de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil
relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du
blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme qui actualise la
législation existante, des propositions législatives annoncées pour 2015 par la
Commission européenne en matière de lutte contre le trafic d'armes à feu, ainsi
qu'une coordination accrue des politiques nationales au niveau de
l'Union ;
Rappelle le rôle
fondamental de la coopération internationale en matière de lutte contre le
blanchiment de capitaux et le trafic d'armes à feu dans des conditions
garantissant la protection des droits individuels ;
– Sur le
renforcement de la coopération policière et judiciaire :
Souligne le rôle fondamental
des deux agences européennes que sont Europol en matière de coopération
policière et Eurojust en matière de coopération judiciaire ; insiste sur
le fait que leur potentiel pourrait être développé ;
Estime qu'il convient de
mieux exploiter les capacités d'Europol et demande que les services nationaux
des États membres fournissent plus systématiquement les informations
nécessaires ; considère qu'il importe d'accélérer la mise en place, au
sein d'Europol, d'une « plate-forme européenne de lutte contre le
terrorisme » ;
Souhaite que le Centre
européen de lutte contre la cybercriminalité (EC3), qui dépend d'Europol,
inscrive dans ses priorités, au même titre que la lutte contre la diffusion
d'images et de vidéos pédopornographiques, la lutte contre la diffusion de la
propagande et du prosélytisme terroristes ;
Constate que les données
transmises à Eurojust par les juridictions des États membres sont
quantitativement très en deçà de ce qu'elles pourraient et devraient
être ; qu'il importe donc de sensibiliser sans relâche les services
judiciaires des États membres à la valeur ajoutée que peut apporter au plan de
l'efficacité une agence européenne de collecte et d'échange de données à
caractère judiciaire comme Eurojust ;
Souhaite que, dans la lutte
contre le terrorisme, les États membres aient plus souvent recours aux équipes
communes d'enquête, prévues par la décision-cadre 2002/465/JAI du Conseil, du
13 juin 2002, relative aux équipes communes d’enquête avec une
participation effective de représentants d'Europol et d'Eurojust ;
Souligne tout l'intérêt du
mandat d'arrêt européen qui permet d'accélérer les remises de personnes
suspectées entre États membres ; fait toutefois valoir que cet instrument
devrait être utilisé plus systématiquement dans la lutte contre le
terrorisme ;
Juge indispensable la mise
en place dans un délai rapide d'un parquet européen collégial et décentralisé
en application de l'article 86, paragraphe 4 du traité sur le
fonctionnement de l’Union européenne ; souligne la nécessité d'étendre
sans délai les compétences de ce parquet européen à la criminalité grave
transfrontière ;
– Sur la place
d'internet dans la lutte contre le terrorisme :
Rappelle la responsabilité
des acteurs privés de l'internet et souhaite les voir mieux impliqués dans la
lutte contre le terrorisme ;
Relève l'intérêt des
procédures administratives telles que prévues par la loi n° 2014-1353 du
13 novembre 2014 sur le terrorisme qui permettent d'obtenir efficacement
des fournisseurs d'accès le blocage des sites internet diffusant des contenus
illégaux ;
Estime qu'il devrait être
envisagé d'étendre les compétences du Centre européen de lutte contre la
cybercriminalité (EC3) pour porter des contenus terroristes ou extrémistes à la
connaissance des réseaux sociaux, aux fins de suppression ;
Demande le renforcement des
moyens financiers et humains de la section d'Europol consacrée à la recherche
et au partage avec les États membres d'informations ayant trait au terrorisme
djihadiste sur internet ;
Rappelant sa résolution
n° 138 du 19 avril 2013 sur la proposition de directive du Parlement
européen et du Conseil concernant des mesures destinées à assurer un niveau
élevé commun de sécurité des réseaux et de l'information dans l'Union (E8076),
et sur la stratégie européenne de cybersécurité : un cyberespace
ouvert, sûr et sécurisé (JOIN(2013) 1 final), juge urgente l'adoption de cette
proposition de directive (concernant des mesures destinées à assurer un niveau
commun élevé de sécurité des réseaux et de l'information dans l'Union) ;
Appelle de ses vœux
l'intégration d'une dimension de sécurité informatique dans les formations en
informatique dispensées dans le cadre du programme « ERASMUS » ;
– Sur une
stratégie éducative de précaution et de lutte contre la radicalisation :
Soutient le développement
de réseaux européens visant à sensibiliser l'ensemble des acteurs européens au
phénomène de radicalisation et à proposer des solutions s'insérant dans une
logique de contre-discours et notamment le réseau de sensibilisation à la
radicalisation (RSR) ;
– Sur le
renforcement de la coopération internationale :
Souligne que la lutte
contre le terrorisme international doit constituer une priorité de l'action
extérieure de l'Union européenne et de son Service européen pour l'action
extérieure (SEAE) ; qu'il importe, à l'évidence, de construire un
partenariat global avec les acteurs régionaux des parties du monde les plus
sensibles et que ce dialogue, s'il sait combiner les impératifs de sécurité et
de développement, pourrait être de nature à réduire la menace terroriste sur la
durée ;
– Sur l'évaluation
des instruments existants :
Souhaite qu'il soit procédé
à une évaluation systématique de l'efficacité de l'ensemble des instruments
dont dispose aujourd'hui l'Union européenne pour lutter contre le terrorisme
qu'il s'agisse des législations ou des agences ou autres organismes
européens ; relève que ce diagnostic peut être effectué en appliquant la
procédure prévue à l'article 70 du traité sur le fonctionnement de l’Union
européenne.
Délibéré en séance publique, à Paris, le 1er avril 2015.
Le
Président,
Signé :
Gérard LARCHER