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SIMP

Projet de loi

Simplification de la vie économique

(1ère lecture)

(n° 550 )

N° COM-158 rect. ter

28 mai 2024


 

AMENDEMENT

présenté par

Adopté

MM. MOUILLER, FAVREAU et DARNAUD, Mmes VENTALON et BORCHIO FONTIMP, MM. Cédric VIAL, PIEDNOIR et BRISSON, Mmes DUMONT et RICHER, MM. PANUNZI et SAURY, Mme MICOULEAU, MM. BOUCHET et NATUREL, Mmes MALET et DESEYNE, M. TABAROT, Mmes DEMAS et SCHALCK, MM. Jean Pierre VOGEL, KAROUTCHI et BURGOA, Mme ESTROSI SASSONE, MM. Henri LEROY, SOMON, DAUBRESSE et FRASSA, Mmes CANAYER et BELRHITI, MM. KLINGER, ANGLARS et MEIGNEN, Mme AESCHLIMANN, M. SIDO, Mme NÉDÉLEC, MM. REYNAUD et GENET, Mmes PETRUS et PLUCHET et MM. BELIN et Jean-Baptiste BLANC


ARTICLE 5


Supprimer cet article.

Objet

L’article 5 du projet de loi entend procéder à l’unification du contentieux de la commande publique au profit du juge administratif, à travers l’élargissement de la qualification législative de contrat administratif à tous les contrats relevant du code de la commande publique.

Cette réforme est présentée comme une simplification qui permettrait aux acteurs économiques d’identifier plus facilement la nature du contrat et le juge compétent, de régler plus rapidement les litiges et d’éviter les divergences de jurisprudence. Le rapport « Rendre des heures aux français » présenté par des parlementaires en février 2024 et qui formule cette proposition, entendait « simplifier l’accès à la commande publique pour les TPE et PME » à travers cette unification du contentieux, estimant que « cette dissociation des compétences est source de divergences dans le cadre de contentieux en matière de commande publique ».

En premier lieu, force est de constater que l’état actuel du droit ne semblait pas poser de difficultés telles qu’elles justifiaient la présentation d’une réforme aussi profonde sans concertation et étude d’impact visant à en mesurer la portée sur le monde économique :

-       Le juge judiciaire est le juge naturel des affaires et des entreprises. Si les personnes morales de droit privées peuvent être amenées à conclure des contrats de la commande publique, et donc à se rapprocher de la « sphère publique », il n’en demeure pas moins que la distinction entre contrat administratif et contrat de droit privé n’est pas anodine. Le Conseil constitutionnel a ainsi pu rappeler que « les contrats administratifs et les contrats de droit privé répondent à des finalités et des régimes différents » (QPC n°020-857 du 2 octobre 2020, Société Bâtiment mayennais), justifiant ainsi des différences de traitement qui ne méconnaissaient pas le principe d’égalité devant la loi (à propos de l’absence de recours « Tarn-et-Garonne » devant le juge judiciaire) ;

-       Comme le rappelle l’étude d’impact, le volume de requêtes concernant le contentieux des contrats privés de la commande publique devant les 11 tribunaux judiciaires de première instance spécialement désignés est faible, avec moins de 30 affaires enregistrées devant le TJ de Paris en 2022 et 2023, et aucune autre dans les autres tribunaux depuis 2021 ;

-       Le Conseil d’État observe dans son avis rendu sur le projet de loi, qu’il convient « de ne pas surestimer les avantages de la mesure en termes de simplification pour les entreprises », ajoutant que « le partage actuel du contentieux ne conduit que très rarement à des difficultés quant à la désignation du juge compétent ou à des divergences d’interprétation entre les deux ordres de juridiction »

Loin d’apporter une simplification salvatrice, l’article 5 du projet de loi aura à l’inverse des conséquences lourdes sur le fond du droit applicable pour de nombreux acteurs économiques, en particulier dans le secteur de l’énergie, et sera donc à l’origine d’une véritable complexification de l’activité des acteurs privés de la commande publique :

-       L’unification du contentieux conduira à ce qu’une partie de l’activité des organismes concernés relève de la compétence du juge administratif, tandis qu’ils continueront de relever, pour le reste, du juge judiciaire, comme le souligne le Conseil d’État dans son avis ;

-       Cette unification conduira également à l’ouverture du recours des tiers privilégiés ou intéressés (« recours Tarn-et-Garonne »), multipliant ainsi le risque de recours injustifiés ou abusifs dans un contexte d’acceptabilité de plus en plus délicate des travaux de réseaux et d’équipements de production d’énergies renouvelables, pourtant indispensables pour atteindre nos objectifs de transition énergétique ;

-       Deux régimes contractuels coexisteront, entre les contrats conclus avant et après la réforme, ce qui sera source de confusion et de complexité ;

-       L’exécution des contrats concernés se trouverait bouleversée sur de nombreux aspects, en commençant par l’application délicate des Cahiers des Clauses Administratives Générales (CCAG), nécessitant un profond travail d’adaptation des contrats des entités adjudicatrices de droit privé dotées pour la plupart depuis des décennies de juristes et d’acheteurs de droit privé et non de juristes et d’acheteurs de droit public ;

-       Les grands principes régissant les contrats administratifs auraient vocation à s’appliquer à l’ensemble de ces contrats : plafonnement des pénalités pour certains marchés, modification et remise en cause unilatérale des contrats… Ces pouvoirs exorbitants du droit commun, dont seraient investies les entités adjudicatrices de droit privé, sont en contradiction avec l’esprit de négociation commerciale, pourtant inhérent à la vie des affaires, et viendraient déséquilibrer les relations entre ces entités et leurs fournisseurs.

Ces bouleversements concerneront un nombre important d’acteurs économiques, en particulier dans le secteur de l’énergie, alors même que nous devons plus que jamais accélérer la transition énergétique et faciliter le déploiement des projets qui contribueront à l’atteinte de la neutralité carbone.

En effet, de nombreux opérateurs du secteur de l’énergie sont des entités adjudicatrices au sens du code de l’énergie, qu’il s’agisse de grandes entreprises publiques, notamment dans le domaine de l’électricité, ou d’entreprises publiques locales qui sont essentielles pour nos territoires et leur transition. A ce titre, les entreprises locales de distribution, qui jouent un rôle majeur dans leurs territoires, seront particulièrement touchées sur l’ensemble de leurs activités :

-       Sociétés d’économie mixte et sociétés d’intérêt collectif agricole et leurs filiales

-       Entités gérant des réseaux d’électricité et de gaz,

-       Entités de commercialisation d’énergie

-       Entités de production d’énergies renouvelables

Alors que nos entreprises doivent concentrer leurs efforts sur leur action pour faire face aux enjeux de la transition énergétique, de résilience au changement climatique et de décarbonation, et que le volume d’achats et de contrats sera amené à s’intensifier dans les prochaines années pour les entités concernées, il serait contreproductif de leur imposer un bouleversement du régime auquel sont soumises leurs activités. Loin de simplifier la vie de nos entreprises, cette réforme entrainera des coûts supplémentaires notamment en matière de ressources humaines, grèvera l’attractivité de ces opérateurs auprès de leurs fournisseurs et allongera les délais de traitement et d’attribution des contrats.

Le présent amendement propose en conséquence de supprimer l’article 5 du projet de loi et de maintenir ainsi l’état actuel du droit.



NB :La présente rectification porte sur la liste des signataires.