Logo : Sénat français

commission des lois

Proposition de loi

Violences intrafamiliales

(1ère lecture)

(n° 344 )

N° COM-1

3 mars 2023


 

AMENDEMENT

présenté par

Rejeté

Mme Valérie BOYER


ARTICLE ADDITIONNEL APRÈS ARTICLE 3 (NOUVEAU)


Après l'article 3 (nouveau)

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La section 1 du chapitre Ier du titre IX du livre premier du code civil est ainsi modifiée :

1° La première phrase du dernier alinéa de l’article 373-2 est complétée par les mots : « sauf lorsque l’un des parents exerce sur la personne de l’autre des violences physiques ou psychologiques » ;

2° L’article 373-2-1 est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa, après le mot : « commande », sont insérés les mots : « ou lorsque l’un des parents exerce sur la personne de l’autre des violences physiques ou psychologiques » ;

b) Le deuxième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « Les motifs graves peuvent résulter des violences physiques ou psychologiques qu’un des parents exerce sur la personne de l’autre. » ;

c) À la première phrase de l’avant-dernier alinéa, les mots : « ou lorsque la remise directe de l’enfant à l’autre parent présente un danger pour l’un d’eux » sont remplacés par les mots : « , lorsque la remise directe de l’enfant à l’autre parent présente un danger pour l’un d’eux ou lorsque l’un des parents exerce sur la personne de l’autre des violences physiques ou psychologiques » ;

3° L’article 373-2-9 est ainsi modifié :

a) Après le deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

 « La résidence de l’enfant ne peut être fixée au domicile du parent qui exerce sur la personne de l’auteur des violences physiques ou psychologiques. » ;

b) À la première phrase du dernier alinéa, les mots : « ou lorsque la remise directe de l’enfant à l’autre parent présente un danger pour l’un d’eux » sont remplacés par les mots : « , lorsque la remise directe de l’enfant à l’autre parent présente un danger pour l’un d’eux ou lorsque l’un des parents exerce sur la personne de l’autre des violences physiques ou psychologiques ».

Objet

Cet amendement est issu de la proposition de loi de Valérie Boyer et plusieurs de ses collègues déposée au Sénat le 2 février 2022[1].

Plus que jamais il est urgent de renforcer notre arsenal législatif par une pluralité de mesures aussi bien préventives que répressives, en replaçant la victime au cœur de notre processus judiciaire.

La loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 et la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 inscrivent quant à elles de nouvelles mesures, notamment sur la suspension de l’autorité parentale. En matière d’autorité parentale, ces textes qui s’inspirent de la proposition de loi du 28 août 2019 relative aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants sont encore insuffisants.

Cette proposition de loi s’appuie sur la proposition de loi n° 407 du 22 novembre 2017 relative aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants  ainsi que sur la proposition de loi n° 2200 du 28 août 2019, portant le même titre. Cette dernière aurait dû aurait dû être examinée à l’Assemblée nationale le 10 octobre 2019. Sur le texte n°2468 relatif aux violences au sein des couples et à la protection des enfants, du 03 décembre 2019. Enfin sur la proposition de loi loi n° 440 rect. bis portant le même titre, déposée au Sénat le 10 mars 2021[2].

Le droit de la famille ne prend pas suffisamment en compte les situations de violences intrafamiliales. La justice civile paraît trop déterminée par le modèle de la coparentalité, selon lequel le parent - singulièrement le père - doit être reconnu dans son statut de parent quelles que soient les circonstances, comme si le conjoint violent pouvait être un « bon » parent. Ce constat a été corroboré par la Délégation aux droits des femmes du Sénat en conclusion de ses travaux sur les violences intrafamiliales, aux termes desquels elle soulignait « les difficultés posées par l’autorité parentale d’un parent violent, qui laisse la possibilité à celui-ci de continuer à exercer son emprise sur les membres de sa famille.[3] ».

Longtemps la Justice a cru qu’il fallait que l’enfant puisse garder un lien à tout prix avec ses deux parents. Nous entendions toujours la formule « un mari défaillant n’est pas forcément un mauvais père. ».

Comme l’a rappelé le Juge Édouard Durand[4] lors de son audition devant la Délégation des droits des femmes du Sénat, le 1er octobre 2019, « on ne peut pas déconnecter la protection des femmes victimes de violence du traitement de la parentalité ». D’autant plus que la plupart des femmes victimes de violences (80 %) sont des mères.

Selon lui, « la première manière de venir en aide à ces enfants traumatisés, c’est de protéger leur mère par une rapide mise à l’abri. Ensuite, un traitement adapté de la parentalité s’impose pour que même après la séparation du couple, le père ne dispose pas de la capacité voire des moyens juridiques de perpétuer son emprise sur la mère et sur l’enfant. ».

Oui, les enfants sont les premières victimes collatérales des violences conjugales. Nous devons aujourd’hui basculer dans une logique préventive.

De plus, les enfants sont bien souvent instrumentalisés comme objet de chantage par le parent violent pour maintenir l’emprise sur le parent violenté. C’est la raison pour laquelle afin de protéger les victimes de violences conjugales, nous devons également améliorer la protection de leurs enfants.

Dans le cadre du cinquième Plan national de lutte contre les violences faites aux femmes (2017-2019), une étude relative aux enfants exposés aux violences au sein du couple a été réalisée par la Direction générale de la cohésion sociale. Elle montre trois choses : les enfants exposés et donc victimes sont une réalité massive. 83 % des femmes qui ont appelé le 3919 ont des enfants ; dans 93 % des cas, ils sont témoins de violences et dans 21,5 % des cas, ils sont eux-mêmes maltraités.

Le temps est enfin venu de prendre en compte l’incidence de ces violences sur l’enfant. Trop longtemps, son statut de victime a été ignoré. Nous devons le replacer au centre de nos préoccupations.

Prenons l’exemple de Julie Douib, assassinée le 7 juin 2019, en Corse, vraisemblablement par son ex-conjoint, Bruno Garcia-Cruciani. Du fond de sa cellule, cet individu s’oppose à ce que la résidence de ses enfants soit fixée auprès de leurs grands-parents maternels. D’ailleurs le 20 janvier 2023, la question de l’autorité parentale s’est une nouvelle fois posée lors de son procès en appel, après avoir été condamné en première instance à la réclusion criminelle à perpétuité. 

« Savoir qu’il a encore l’autorité parentale, c’est dur », avait confié aux journalistes, le père de Julie Douib, qui a désormais la garde des deux enfants.

Tous les jours, ou presque, des conjoints violents se servent ainsi des enfants. Tous les jours, ou presque, ces derniers sont réduits à des objets transactionnels permettant de maintenir l’emprise perverse du parent violent.

Cette culture du maintien du lien à tout prix est-elle bien conforme à l’intérêt de l’enfant ? Nous savons que pour certains enfants, les droits de visite et de garde sont très angoissants. Souvent le père s’empresse de questionner l’enfant sur la mère afin par exemple de tenter de savoir si elle a un nouveau compagnon.

C’est pourquoi, une proposition de loi a été déposée à l’Assemblée nationale par Valérie Boyer et plusieurs de ses collègues, le 28 août 2019[5]. Cette dernière aurait dû être examinée à l’Assemblée nationale le 10 octobre 2019 mais son examen s’est arrêté au stade de la discussion générale.

Ainsi qu'une proposition de loi déposée le

Elle proposait notamment de faire du retrait de l’autorité parentale le principe et son maintien l’exception, pour le parent condamné pour des crimes ou délits commis contre son enfant, et à l’encontre du parent qui s’est rendu coupable d’un crime sur la personne de l’autre parent. Mesure qui a toujours été rejetée par le Gouvernement.

Aussi cet amendement propose d'aller plus loin et de renforcer les dispositions du code civil relatives aux modalités d’exercice de l’autorité parentale dans le cas où l’un des deux parents est poursuivi pour violences sur l’autre parent, afin de protéger l’enfant des agissements du parent impliqué dans ces violences.

Plusieurs évolutions sont ainsi proposées :

– la levée de l’obligation d’informer l’autre parent du déménagement de la résidence des enfants en cas de situation de violences intrafamiliales commises par l’un des deux parents ;

– la possibilité d’attribuer l’exercice exclusif de l’autorité parentale au bénéfice du parent victime de violences intra- familiales, et non pas seulement lorsque l’intérêt de l’enfant le commande ;

– l’exclusion de la résidence alternée en présence de violences intrafamiliales et l’interdiction que la résidence de l’enfant soit fixée exclusivement au domicile du parent présumé violent ;

– l’ajout des situations de violences intrafamiliales parmi les motifs graves justifiant le retrait du droit de visite et d’hébergement du parent présumé violent ;

– l’introduction des violences intrafamiliales comme un motif justifiant l’organisation du droit de visite du parent présumé violent au sein de lieux médiatisés.

En tout état de cause, le juge dispose déjà de la faculté d’organiser le droit de visite de l’autre parent, lorsqu’il aura décidé de le maintenir, dans un lieu médiatisé, adapté au contexte de violences intrafamiliales et en présence d’un tiers.

[1] Texte n° 314 (2022-2023) de Mme Valérie BOYER et plusieurs de ses collègues, déposé au Sénat le 2 février 2023 https://www.senat.fr/leg/ppl22-314.html

[2] L’ensemble de ces textes ont été déposés par Valérie Boyer à l’Assemblée nationale et au Sénat.

[3] Rapport d’information (n° 564, session ordinaire de 2017-2018) de Mmes Laurence Cohen, Nicole Duranton, M. Loïc Hervé, Mmes Françoise Laborde, Noëlle Rauscent et Laurence Rossignol au nom de la Délégation aux droits des femmes du Sénat sur les violences faites aux femmes, juin 2018, pp. 165-166.

[4] Édouard Durand est un magistrat français, expert sur les questions de la protection de l’enfance, des violences conjugales et des violences faites aux enfants. Il copréside la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles (Ciivise) faites aux enfants.

[5] Proposition de loi n° 2200 relative aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b2200_proposition-loi