commission des lois |
Projet de loi Vie locale et action publique (1ère lecture) (n° 677 rect. ) |
N° COM-173 rect. 1 octobre 2019 |
AMENDEMENTprésenté par |
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M. Loïc HERVÉ, Mme TETUANUI, M. MIZZON, Mme GUIDEZ, MM. LAFON et LONGEOT, Mme BILLON, MM. KERN, JANSSENS, MOGA et VANLERENBERGHE et Mme VÉRIEN ARTICLE ADDITIONNEL APRÈS ARTICLE 32 |
Après l'article 32
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article 25
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« I. Le deuxième alinéa de l’article 121-2 du code pénal est supprimé.
II. Au quatrième alinéa de l’article 121-3 du code pénal, les mots « soit » à deux reprises et les mots « commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer » sont supprimés ».
Objet
Les conditions dans lesquelles les élus peuvent voir leur responsabilité pénale personnelle mise en cause en cas d’accidents survenus dans leur commune contribue fortement, quelle que soit la réalité statistique des condamnations, à décourager des citoyens de s’engager dans l’exercice d’un mandat.
En l’état actuel du droit, tel qu’il résulte de la loi dite « Fauchon » du 10 juillet 2000, l’auteur indirect d’un délit non intentionnel peut être condamné s’il a, soit « violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement », soit « commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité » qu’il ne pouvait ignorer.
La première branche de cette alternative n’appelle aucune critique et les condamnations qui se fondent sur elle ne suscitent aucun émoi particulier.
Deux raisons expliquent que cette hypothèse soit unanimement reconnue comme permettant des condamnations équitables.
D’une part, l’exigence d’une violation « manifestement délibérée » de la règle de prudence rapproche ce régime juridique de celui des délits intentionnels, et de la belle position originelle selon laquelle « il n’y a point de délit sans intention de le commettre ».
D’autre part, l’exigence d’une obligation « particulière » de prudence ou de sécurité qui doit être « prévue par la loi ou le règlement » empêche le juge d’identifier, a posteriori, une obligation qui n’aurait pas été prévue dans un texte normatif opposable à l’élu au moment des faits. La faute étant, en droit général, le manquement à une obligation, il est légitime d’exiger que les obligations que les décideurs publics ont la charge de respecter et de faire respecter soient claires, intelligibles et préexistantes à la condamnation.
Comme l’indiquait Jean-Jacques Hyest dans ces murs, « la référence au caractère délibéré de la violation de l’obligation de sécurité ou de prudence est fondamentale et constitue un garde-fou contre l’extension déraisonnable de la répression » (intervention dans le cadre du colloque du 9 octobre 2010, La responsabilité pénale pour imprudence à l’épreuve des grandes catastrophes, Palais du Luxembourg).
Et comme l’indiquait le sénateur Fauchon dans son rapport sur sa proposition de loi, « il paraît nécessaire de faire référence à une obligation particulière de sécurité, afin d'éviter que certaines obligations définies de manière très générale puissent être utilisées pour mettre en cause pénalement des personnes après un accident » (Rapport n°177 (1999-2000) de M. Pierre Fauchon, fait au nom de la commission des Lois du Sénat, déposé le 20 janvier 2000).
Or – et ce point est crucial pour les maires - la Cour de cassation a approuvé une chambre d'accusation qui avait estimé que l'article L.2212-2 du code général des collectivités territoriales, qui confie au maire, de façon générale, le soin de prévenir et faire cesser tous les événements survenant sur le territoire de sa commune et de nature à compromettre la sécurité des personnes, ne créait pas à sa charge d'obligation particulière de sécurité au sens de l'article 223-1 du code pénal, mais mettait seulement à la charge du maire une obligation générale de police sur le territoire de sa commune (Cass., crim, 27 novembre 2001, n°00-87.153).
La solution doit évidemment être approuvée, les équipes municipales ayant déjà fort à faire avec un stock de 400.000 normes en vigueur, nombre en croissance continue.
Mais ce satisfecit serait trompeur si on oubliait que la condamnation n’était pas nécessairement prononcée en application de cette branche-là de l’article 121-3 : le juge peut punir sur un autre fondement : la faute « caractérisée ».
Or cette seconde branche de l’alternative posée par la loi Fauchon concentre, elle, les critiques.
Tout d’abord, la notion de faute « caractérisée » pêche par son manque de clarté. Comme le souligne la doctrine universitaire, la jurisprudence de la Cour de cassation « donne la fâcheuse impression qu’il n’y a guère de différence entre causalités directe et indirecte ni, ce qui est plus inquiétant encore, entre faute ordinaire et faute caractérisée » (Jean-Yves Maréchal, JurisClasseur Pénal Code, Fascicule 20, Élément moral de l’infraction, §84).
Deux ans après le vote de la loi Fauchon, le rapport public de la Cour de cassation confirmait d’ailleurs les craintes : préciser que la faute requise doit être caractérisée « peut apparaître superfétatoire car on ne voit pas, a priori, comment retenir une faute qui ne le serait pas » (Frédéric Desportes, conseiller référendaire à la Cour de cassation, La responsabilité pénale en matière d’infractions non-intentionnelles, in Rapport public de la Cour de cassation, 2002).
La seconde branche de l’article 121-3 du Code pénal tel que modifié par la loi Fauchon et sur laquelle peut germer une condamnation, s’expose à une autre critique : puisque cette seconde branche ne fait pas référence, à la différence de la première, à la violation d’une règle particulière de prudence ou de sécurité, cela signifie, implicitement mais sûrement, que la faute « caractérisée » peut consister dans la violation d’une règle qui n’est pas prévue par la loi ou le règlement.
Autrement dit, le législateur exige du maire qu’il soit plus clairvoyant que lui dans l’identification des comportements à risque. Il place l’élu dans la position de devoir rendre compte, devant la justice, de son inaction à faire respecter un impératif de prudence ou de sécurité alors que ni le Parlement, ni le Gouvernement n’a considéré jusqu’à ce moment-là que le comportement à risque justifiait qu’une règle soit édictée pour l’encadrer ou l’interdire.
Pour rendre à la gestion publique locale la sérénité dont elle a besoin pour être efficace et pour rendre à la loi pénale sa nécessaire prévisibilité, il convient donc de supprimer toute référence à une « faute caractérisée » dans l’article 121-3 du Code pénal.
Pour mémoire, limiter, comme le prévoit le présent amendement, l’engagement de la responsabilité pénale personnelle de l’auteur indirect d’une infraction au seul cas où il a violé, de manière manifestement délibérée, une règle particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, était l’objet de la proposition de loi Fauchon, telle qu’adoptée en première lecture par le Sénat, avant que l’Assemblée nationale décide d’ouvrir la seconde branche, si critiquable, fondée sur la faute caractérisée.
Parallèlement, l’élargissement des conditions dans lesquelles la responsabilité pénale des collectivités locales (et de leurs groupements) peut être engagée constituerait une contrepartie raisonnable et utile au resserrement des conditions d’engagement de la responsabilité pénale des élus.
Actuellement, l’article 121-2 du Code pénal dispose que « les collectivités territoriales et leurs groupements ne sont responsables pénalement que des infractions commises dans l'exercice d'activités susceptibles de faire l'objet de conventions de délégation de service public ».
Supprimer cette restriction, comme le propose le présent amendement, aboutirait à une situation plus juste :
- pour les élus, car la faute de négligence de l’élu correspond en réalité, dans les faits, dans l’immense majorité des cas, non à une négligence délibérée d’une règle de sécurité ou de prudence (cas que continuerait à couvrir l’article 121-3 réformé) mais à un dysfonctionnement imputable à une structure qui, en tant que telle, a pu faillir, soit que l’apparition du risque n’ait pas été décelé à temps, soit que les mesures possibles n’aient pas été prises ou correctement relayées sur le terrain ;
- et plus juste pour les victimes, qui auraient ainsi la certitude de pouvoir mettre en cause la responsabilité de la collectivité locale, sans avoir à craindre de fluctuations de la jurisprudence sur la notion d’activité susceptible de faire l’objet de conventions de délégation de service public et en ayant la certitude de disposer d’un débiteur solvable en ce qui concerne la réparation des intérêts civils.
Cette mesure de suppression des conditions posées par le code pénal à l’engagement de la responsabilité pénale des collectivités locales figurait déjà, elle aussi, dans le texte initial de la proposition de loi du sénateur Fauchon, dont le présent amendement aboutit donc à retrouver le savant équilibre.