commission des affaires sociales |
Projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel (1ère lecture) (n° 583 ) |
N° COM-240 25 juin 2018 |
AMENDEMENTprésenté par |
|
||||
Mme LÉTARD et M. HENNO ARTICLE 65 QUATER (NOUVEAU) |
Supprimer cet article.
Objet
Introduits à l'initiative du Gouvernement lors de l'examen du texte devant l'Assemblée nationale, les articles 65 bis, 65 ter et 65 quater visent à élargir l'accès aux emplois de direction des administrations de l'Etat, des collectivités territoriales et des hôpitaux. Ces dispositions ne présentent pas de lien, même indirect, avec le projet de loi en discussion au regard de l’article 45 de la Constitution.
Si le recours à des agents contractuels, au demeurant déjà possible dans le cadre légal actuel, peut être amélioré dans ses modalités, l'absence totale d'encadrement qui découle de la rédaction en l'état des articles 65 bis, 65 ter et 65 quater fait courir, pour la gestion des administrations publiques, des risques sans précédent.
Force est d'abord de constater que le recrutement par contrat des hauts fonctionnaires, aujourd'hui possible et dérogatoire, deviendrait inexorablement le mode de recrutement de droit commun, voire le mode de recrutement quasi exclusif, en se substituant au concours.
Le système des concours n'aurait en effet plus de raison d'être dans un cadre légal où aucune limitation n'est fixée au recours à des agents contractuels.
Non seulement les hauts fonctionnaires recrutés sur ces emplois de direction chaque année, dans le cadre de notre système méritocratique, ne disposeraient plus d'aucune priorité de recrutement, mais l'extrême latitude laissée aux recruteurs engendrerait à l'évidence un risque d'atteinte à la neutralité de notre fonction publique.
Ceci est d'autant plus choquant qu'une forte majorité de Français est favorable au principe républicain de l'égalité d'accès à la fonction publique, que le concours promeut.
De plus, cette évolution, faussement présentée dans les médias comme concernant uniquement la haute fonction publique, impacte en réalité l'ensemble de la fonction publique et de son encadrement supérieur.
Pour exemple, alors qu'existe déjà aujourd'hui la possibilité de pourvoir par la voie du contrat les emplois de direction générale de nombreuses collectivités territoriales (régions, départements et communes de plus de 80000 habitants) et établissements publics de coopération intercommunale, l'article 65 ter élargit cette possibilité à toutes les collectivités et tous les établissements de coopération de 2000 habitants et plus.
C'est ainsi un démantèlement insidieux du statut qui est à l'oeuvre, l'équilibre même du statut et du contrat étant profondément remis en cause au sein de la fonction publique territoriale.
Ainsi, de nombreuses collectivités redoutent aujourd'hui que n'apparaissent ou se renforcent des risques importants : pression permanente au renchérissement des rémunérations, creusement des écarts salariaux avec les autres agents, perte de compétence en l'absence de logique de déroulement de carrière, discontinuité du service public en raison de turn over plus fréquents, moindre capacité d'adaptation du service public du fait de la relation contractuelle et non statutaire entre ces agents et la collectivité publique, conflits d'intérêts potentiels plus nombreux et aux conséquences pénales importantes.
Sur ce dernier point, le risque pour les élus, de s'exposer à une mise en cause pour conflits d'intérêts, à l'occasion de ces recrutements contractuels, n'est pas négligeable...
Il est enfin particulièrement choquant que ces articles 65 bis, 65 ter et 65 quater, qui abordent un sujet lourd de sens pour la fonction publique, et qui nécessitent à l'évidence qu'en soient sérieusement soupesées les conséquences pour ses trois versants, n'aient fait l'objet d'aucune concertation, ni avec les représentants des employeurs publics, notamment locaux, ni avec les organisations syndicales ou associations professionnelles, alors même que des négociations viennent d'être ouvertes en vue d'un projet de loi relatif à la fonction publique en 2019.
Ils abordent un sujet propre à la fonction publique qui n’a pas fait l’objet de concertation avec les représentants des employeurs publics notamment locaux ni avec les organisations syndicales alors que des négociations ont été ouvertes en vue du dépôt d’un projet de loi relatif à la fonction publique en 2019. De telles dispositions devraient être débattues dans le cadre de ce texte. Ce report est souhaitable car l’inscription de ces dispositions dans la loi n’a été précédée d’aucune étude d’impact permettant d’apprécier son effet pour les administrations.
De facto, les commissions et groupes de travail organisés dans cette perspective sont ignorés, notamment la commission d’enquête du Senat sur les mutations de la haute fonction publique, directement concerné, et qui auditionne actuellement...
Il serait grandement dommageable, qu'une idée intéressante, celle d'une ouverture permettant un certain brassage des profils, soit ainsi détournée de son objectif et se traduise par une déstabilisation de notre fonction publique, qui plus est sans que le Parlement n'ait eu la possibilité réelle de s'en saisir, et alors même que la réforme de la fonction publique sera prochainement à l'ordre du jour.
Enfin, la rédaction actuelle soulève de délicates questions juridiques, notamment du point de vue de sa constitutionnalité. En effet, la généralisation de l’intégration directe de personnel sans être lauréat d’un concours heurte le principe d’égal accès aux emplois publics tel qu’interprété par la jurisprudence constitutionnelle. De surcroît, en s’abstenant de fixer des critères objectifs de recrutement comme des conditions de diplôme, le législateur commettrait une incompétence négative.
Pour toutes ces raisons, les articles 65 bis, 65 ter et 65 quater doivent être supprimés, et la réflexion sur ces aspects reprise avec sérénité, concertation, et dans le cadre approprié de la réforme annoncée pour 2019.