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commission des finances

Projet de loi

Projet de loi relatif à la lutte contre la fraude

(1ère lecture)

(n° 385 )

N° COM-46

25 juin 2018


 

AMENDEMENT

présenté par

Adopté

M. de MONTGOLFIER, rapporteur


ARTICLE ADDITIONNEL APRÈS ARTICLE 4


Après l’article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. – Après l’article 283 du code général des impôts, il est inséré un article 283 bis ainsi rédigé :

« Art. 283 bis – I. – Sont soumis aux dispositions du présent article, quel que soit leur lieu d’établissement, les opérateurs de plateforme en ligne au sens du 2° du I de l’article L. 111-7 du code de la consommation, dont l’activité dépasse le seuil de nombre de connexions défini au premier alinéa de l’article L. 111-7-1 du même code.

« II. – Lorsqu’il existe des présomptions qu’une personne résidant en France ou réalisant des livraisons de biens ou des prestations de service au sens des articles 258 à 259 D du présent code et qui exerce son activité par l’intermédiaire d’une plateforme en ligne se soustrait à ses obligations en matière de déclaration ou de paiement de la taxe sur la valeur ajoutée, l’administration peut signaler cette personne à l’opérateur de la plateforme en ligne, afin que celui-ci puisse prendre les mesures permettant à cette personne de régulariser sa situation.

« III. – Si les présomptions persistent après un délai d’un mois, l’administration peut mettre en demeure l’opérateur de plateforme en ligne de prendre les mesures mentionnées au II, ou à défaut, d’exclure la personne concernée de la plateforme en ligne.

« IV. – Si, en l’absence de mise en œuvre des mesures mentionnées au III après un délai d’un mois, les présomptions persistent, la taxe est solidairement due par l’opérateur de plateforme en ligne.

« V. – Les modalités d’application du présent article sont définies par arrêté du ministre chargé du budget.

II. – Après l’article 293 A bis du code général des impôts, il est inséré un article 293 A ter ainsi rédigé :

« Art. 293 A ter – I. – Sont soumis aux dispositions du présent article, quel que soit leur lieu d’établissement, les opérateurs de plateforme en ligne au sens du 2° du I de l’article L. 111-7 du code de la consommation, dont l’activité dépasse le seuil de nombre de connexions défini au premier alinéa de l’article L. 111-7-1 du même code.

« II. – Lorsqu’il existe des présomptions qu’une personne établie dans un État ou un territoire n’appartenant pas à l’Union européenne et qui exerce son activité par l’intermédiaire d’une plateforme en ligne se soustrait à ses obligations en matière de déclaration ou de paiement de la taxe sur la valeur ajoutée, l’administration peut signaler cette personne à l’opérateur de la plateforme en ligne, afin que celui-ci puisse prendre les mesures permettant à cette personne de régulariser sa situation.

« III. – Si les présomptions persistent après un délai d’un mois, l’administration peut mettre en demeure l’opérateur de plateforme en ligne de prendre les mesures mentionnées au II, ou à défaut, d’exclure la personne concernée de la plateforme en ligne.

« IV. – Si, en l’absence de mise en œuvre des mesures mentionnées au III après un délai d’un mois, les présomptions persistent, la taxe est solidairement due par l’opérateur de plateforme en ligne.

« V. – Les modalités d’application du présent article sont définies par arrêté du ministre chargé du budget.

III. – Le présent article est applicable à compter du 1er janvier 2019.

Objet

Afin de lutter contre la fraude à la TVA en matière de commerce en ligne, cet amendement institue un régime de responsabilité solidaire des plateformes en ligne en cas de non-paiement de la TVA par les vendeurs et prestataires qui exercent leur activité par leur intermédiaire.

La question des pertes de recettes fiscales liées à la révolution numérique s’est pour l’instant concentrée sur l’impôt sur les sociétés, et en particulier les schémas d’optimisation fiscale des GAFA. Il existe pourtant des pertes considérables en matière de TVA – et il ne s’agit pas d’optimisation légale, mais bien de fraude.

Le problème se concentre sur les vendeurs, notamment étrangers, présents sur des plateformes en ligne.

La commission des finances du Sénat a alerté dès 2013 sur l’ampleur de cette fraude, puis une nouvelle fois dans un rapport de son groupe de travail sur la fiscalité du numérique du 17 septembre 2015, intitulé « Le e-commerce : propositions pour une TVA payée à la source ».

Dans un rapport alarmant d’avril 2017, le National Audit Office (NAO) britannique a évalué la fraude à la TVA sur le commerce en ligne à un montant compris entre 1 et 1,5 milliard de livres sterling, pour la seule partie imputable aux ventes de biens matériels (c’est-à-dire hors plateformes de services). D’après un nouveau rapport de mars 2018, les vendeurs issus de pays tiers représenteraient jusqu’à 60 % du total (600 à 900 millions de livres sterling). Ce montant équivaut à 12 % du manque à gagner de TVA identifié par la Commission européenne pour le Royaume-Uni.

En France, la TVA est la première recette fiscale de l’État en France, avec un rendement estimé à 150 milliards d’euros. Le manque à gagner de TVA est estimé à 20 milliards d’euros, soit 12 % des recettes totales de TVA. Compte tenu du poids du commerce en ligne en France par rapport au Royaume-Uni, le manque à gagner pour la France résultant de la fraude à la TVA peut être estimé à un milliard d’euros au minimum, pour les seules ventes en ligne de biens matériels.

S’agissant des vendeurs et des prestataires de services établis en France ou dans l’Union européenne, l’administration fiscale dispose de moyens très limités pour détecter les fraudes à la TVA. Son action se limite à quelques contrôles ponctuels, largement entravés par l’absence de portée extraterritoriale de son droit de communication à l’égard de plateformes qui, elles, sont souvent établies à l’étranger. La fraude est alors très facile, étant entendu que le fait que la TVA figure sur la facture ne prouve en aucun cas que le vendeur l’a effectivement collectée et reversée au Trésor public.

S’agissant des vendeurs établis dans un pays tiers, l’administration est encore plus démunie. En principe, lorsqu’un vendeur en dehors de l’Union européenne (UE) vend un bien à un consommateur français, il doit s’enregistrer auprès de la direction des impôts des non-résidents (DINR), collecter la TVA et la reverser au Trésor public.

La TVA à l’importation doit être payée au moment du dédouanement, en même temps que les droits de douane. Il n’existe pas d’exception, ni de seuil minimum de chiffre d’affaires comme pour la TVA intra-communautaire. Il faut en outre rappeler que l’exonération applicable aux envois à valeur négligeable (EVN) inférieurs à 22 euros (pour la TVA) ou à 150 euros (pour les droits de douane) n’est en aucun cas applicable aux ventes par correspondance (y compris en ligne).

La TVA à l’importation repose donc sur une procédure purement déclarative. Or les spécificités du commerce électronique rendent la fraude quasiment indétectable :

1)      Les biens peuvent être expédiés directement depuis le pays tiers par la Poste ou via un opérateur de fret express. Dans ce cas, ceux-ci sont très fréquemment sous-évalués, non-déclarés, ou déclarés abusivement comme des « envois à valeur négligeables », « cadeaux » ou encore « échantillons ». La douane n’a pas les moyens humains ni matériels de contrôler chacun des millions de petits colis qui transitent chaque année dans les aéroports, et qui représentent chacun un enjeu financier très faible.

2)      Les biens peuvent être importés en gros par le vendeur, qui les stocke dans un entrepôt sur le territoire de l’UE et en demeure propriétaire. Lorsque le consommateur achète le bien en ligne, la livraison est alors plus rapide. Dans ce cas, au moins deux types de fraude peuvent se cumuler : le non-paiement de la TVA à l’importation, puis le non-paiement de la TVA lors de la vente au consommateur.

La Commission européenne a enfin reconnu l’ampleur du problème, mais son plan d’action présenté le 1er décembre 2016 propose seulement la suppression des seuils des « envois à valeur négligeable » et la mise en place d’un « guichet unique ». Si elle constituent indéniablement une avancée, ces deux mesures sont dépourvues de moyen de contrôle et seront donc sans effet sur les vendeurs indélicats, ou tout simplement ignorants de leurs obligations. Rien n’est prévu pour lutter contre la fraude à la TVA au sein de l’Union européenne.

En France, l’on ne se donne pas les moyens de faire face à cette fraude massive, alors même que la commission des finances du Sénat avait alerté le Gouvernement sur le sujet et fait des propositions concrètes dans un rapport de 2013.

Dans ce contexte, et compte tenu de l’urgence de la situation, le présent amendement propose un régime de responsabilité solidaire des plateformes en ligne pour le paiement de la TVA due par les vendeurs de pays tiers, inspiré du dispositif adopté en septembre 2016 par le Royaume-Uni, et dont l’efficacité est aujourd’hui reconnue. Le National Audit Office et la Chambre des Communes estiment toutefois que l’administration fiscale britannique fait un usage encore trop timide de ces nouvelles possibilités.

Entre septembre 2016 et janvier 2018, l’administration fiscale et douanière britannique avait ouvert environ 2 100 enquêtes pour fraude à la TVA en matière de commerce en ligne de la part de vendeurs issus de pays tiers, dont 1 300 enquêtes ayant conduit à engager la responsabilité solidaire des plateformes, pour 120 millions de livres de recettes fiscales supplémentaires.

Par comparaison, en France, seuls 18 contrôles ont été effectués dans le secteur de la vente à distance, représentant quelque 2,1 millions d’euros de droits et pénalités notifiés et seulement 172 419 euros effectivement recouvrés.

En outre, alors que seules 1 650 entreprises hors-UE étaient enregistrées en 2015 auprès de l’administration fiscale britannique dans le secteur de la vente à distance, 27 550 demandes d’enregistrement ont été effectuées entre l’annonce de la mesure et le 31 janvier 2018, pour un surcroît de recettes de TVA de 100 millions de livres.

Par comparaison, en France, seules 3 182 entreprises sont enregistrées auprès de la DINR dans le secteur de la vente à distance, contre 569 en 2013.

Ainsi, le présent amendement prévoit que la responsabilité solidaire de la plateforme dans le paiement de la TVA peut être engagée dès lors que les vendeurs indélicats lui ont été formellement signalés par l’administration fiscale et que les mesures n’ont pas été prises pour assurer leur mise en conformité ou, à défaut, leur exclusion. Cette procédure est encadrée par des délais et des garanties spécifiques.

La solidarité fiscale existe déjà en matière de TVA dans de nombreux cas. S’agissant plus particulièrement de la TVA à l’importation, elle correspond au régime juridique, très fréquent, du « déclarant en douane ».

Ce dispositif serait applicable aux plateformes en ligne recevant plus de cinq millions de visiteurs uniques par mois, soit le seuil retenu pour l’obligation de « loyauté des plateformes » instituée par la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique.