Logo : Sénat français

Direction de la séance

Proposition de loi

Rétention des personnes condamnées pour des faits d'une particulière gravité

(1ère lecture)

(n° 430 , 429 )

N° 13 rect. bis

18 mars 2025


 

AMENDEMENT

présenté par

C Défavorable
G Défavorable
Rejeté

Mmes BRIANTE GUILLEMONT et Maryse CARRÈRE, MM. DAUBET, GOLD, GROSVALET, LAOUEDJ et MASSET, Mme PANTEL, M. FIALAIRE, Mme JOUVE et MM. GUIOL, ROUX, RUEL, BILHAC et CABANEL


ARTICLE 1ER


Supprimer cet article.

Objet

Actuellement, l'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) prévoit que les étrangers condamnés à une peine d'interdiction du territoire pour des actes de terrorisme ou faisant l'objet d'une décision d'expulsion édictée pour un comportement lié à des activités à caractère terroriste pénalement constatées peuvent être maintenus en rétention administrative pendant 180 jours maximum.

Le magistrat du siège peut même décider, en vertu de l'article L. 742-7 du CESEDA, de prolonger cette rétention administrative jusqu'à 210 jours, à titre exceptionnel.

Ces dispositions particulièrement attentatoires aux libertés, puisqu'il s'agit d'une rétention administrative, peuvent se comprendre et se justifier s'agissant des étrangers en situation irrégulière ayant commis des actes en rapport avec une entreprise terroriste.

La proposition de loi, dans le texte issu de la commission, suggère en revanche d'étendre ce dispositif aux infractions « de droit commun », à savoir tous les crimes et les délits punis de cinq ans ou plus d’emprisonnement ou si son comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public.

Cette extension d'un régime d'exception, actuellement dédié aux auteurs d'infractions terroristes, qui, pour certaines, sont réprimées de la réclusion criminelle à perpétuité, aux auteurs d'infraction de droit commun, ne nous paraît pas opportune.

Tout d'abord, évidemment, nous ne souhaitons en aucun cas que des individus dangereux puissent se retrouver « dans la nature », a fortiori s'ils font l'objet d'une mesure de quitter le territoire national et qu'ils ont déjà été condamnés pour des faits graves.

Cependant, le dispositif proposé par la proposition de loi est disproportionné. En effet, le texte précise que l'éloignement de l'étranger doit rester une perspective raisonnable, mais les chiffres issus du rapport national et local 2023 sur les centres et locaux de rétention administrative  montrent que le nombre d'éloignements en fonction du nombre de jours passés dans les CRA hexagonaux est surtout très important au début de la rétention.

Selon le rapport, l'écrasante majorité des éloignements (81 %) a lieu pendant les 45 premiers jours de la rétention et moins de 8 % ont lieu durant les prolongations exceptionnelles, celles qui vont au-delà des 60 jours.

L'allongement de la durée à 90 jours n'a donc absolument pas permis d'éloigner davantage, elle a simplement maintenu en rétention des personnes étrangères qui n'avaient en réalité que peu de perspectives d'être éloignées.

Surtout, les longues périodes d'enfermement s'accompagnent d'une dégradation significative de la santé mentale des personnes enfermées (tentatives de suicide, automutilation, mais aussi violences entre personnes retenues et envers le personnel des CRA, etc.)

Nous comprenons, bien sûr, la volonté de maintenir en rétention les personnes présentant un potentiel danger pour la société. Mais les conditions très dures de rétention, ayant un impact mental fort sur les personnes retenues, ne favorisent pas du tout la prévention de la récidive. D'aucuns diraient que c'est même sans doute l'inverse.

De plus, la rétention administrative n'est pas, par définition, une détention judiciaire : les personnes qui y sont enfermées ne purgent pas de peine. La mise à l'écart de la société pour cause de danger ne devrait pas être un motif de rétention administrative : cela serait contraire aux grands principes de notre droit et aux garanties qui sont attachées aux peines restrictives de liberté. En d'autres termes, la rétention administrative n'est pas une et ne peut pas être une mesure de prévention de la récidive.

Ajoutons, pour conclure, que cette proposition de loi reprend un amendement qui avait été adopté en novembre dernier par le Sénat en réponse au meurtre de Philippine Le Noir de Carlan en septembre 2024 par un étranger en situation irrégulière. Or, celui-ci était effectivement en rétention administrative, mais il y est resté moins longtemps que le maximum légal actuel (à savoir 90 jours).

Ainsi, même si le dispositif suggéré par la présente proposition de loi était en vigueur à l'époque, il n'aurait sans doute malheureusement pas empêché le sordide meurtre de Philippine, puisque son assassin présumé a été relâché 15 jours avant la fin légale du délai de 90 jours.

Enfin, la proposition de loi étend un régime d'exception — celui qui concerne les personnes ayant été condamnées pour des faits en lien avec une entreprise terroriste — à des infractions de droit commun. Un véritable « doigt dans l'engrenage » que le législateur devrait arrêter net, pour éviter d'étendre encore plus des mesures exceptionnelles à des infractions… communes.



NB :La présente rectification porte sur la liste des signataires.